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Date:  20161124

Dossier:  566-34-10048

 

Référence:  2016 CRTEFP 110

Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et Loi sur les relations de travail dans la

fonction publique

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans la fonction publique

ENTRE

 

Timothy Philps

 

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

employeur

 

Répertorié

Philps c. Agence du revenu du Canada

 

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant :  Margaret T. A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé :  Lui-même

Pour l’employeur :  Christine Langill, avocate

Affaire entendue à Vancouver (Colombie-Britannique) ,

du 20 au 23 octobre 2015 et du 19 au 22 avril 2016.

(Traduction de la CRTEFP).


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTEFP)

I.  Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1]  Timothy Philps, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), directeur des programmes de la région du Pacifique de l’Agence du revenu du Canada (ARC ou l’« employeur »), a contesté une suspension de 30 jours sans traitement imposée par l’ARC à la suite d’une violation alléguée du « Code de déontologie et de conduite » (le « Code ») et pour un abus de pouvoir allégué envers de jeunes employées. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 23 septembre 2014.

[2]  Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014‑84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « Commission ») qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

II.  Résumé de la preuve

[3]  Pour la majorité de ce qui est indiqué ci-dessous, le fonctionnaire occupait un poste intérimaire en tant que directeur du bureau des services fiscaux (BSF) régional de l’employeur à Penticton, en Colombie-Britannique. Il aurait agi de façon inacceptable avec de jeunes employées en les invitant chez lui, en leur offrant de l’alcool et en les rencontrant parfois dans des hôtels et dans des bars. Ces allégations ont fait l’objet de deux enquêtes.

[4]  La première était une enquête sur le harcèlement, qui a conclu que, étant donné que ces interactions découlaient d’une conduite en dehors des heures de travail, la politique sur le harcèlement de l’employeur ne s’appliquait pas, même si le fonctionnaire, par ses actions, avait contrevenu au Code. La deuxième, qui était beaucoup plus étendue que la première, était une enquête menée par la Division des affaires internes et de la prévention de la fraude (DAI) de l’employeur, qui a conclu que le fonctionnaire s’était comporté de façon inacceptable et qu’il avait violé le Code et les attentes de l’employeur en tant qu’employé de la catégorie de la direction.

[5]  De plus, elle a permis de conclure que le fonctionnaire avait fait preuve d’un niveau élevé d’indulgence en ce qui concerne l’imposition d’une mesure disciplinaire à un collègue avec lequel il avait socialisé et que l’employeur avait licencié plus tard. La deuxième enquête a également conclu que le fonctionnaire avait utilisé sa carte de crédit American Express (AMEX) d’entreprise pour des achats personnels alors qu’il n’était pas en statut de voyage et qu’il avait omis de payer son solde impayé dans le délai de 120 jours.

[6]  Mme H. a indiqué dans son témoignage qu’elle-même et son amie, Mme P., travaillaient toutes les deux au bureau de Penticton de l’ARC en 2010. Le fonctionnaire était leur directeur pour la majeure partie de cette année-là. Mme H. et Mme P. travaillaient dans des postes de travail modulaires au premier étage, alors que le bureau du fonctionnaire se trouvait au deuxième étage. Lorsqu’il était au bureau de Penticton, le fonctionnaire prenait le temps d’arrêter aux postes de travail modulaires des jeunes femmes deux ou trois fois par semaine, pour socialiser. Mme H. a dit que le fonctionnaire était sympathique et amical, mais elle a déclaré qu’elle sentait qu’il était plus amical envers elle qu’envers d’autres personnes, ce qui la rendait mal à l’aise. Comme d’autres ont remarqué l’attention que le fonctionnaire lui démontrait, des rumeurs ont commencé au sujet de leur relation.

[7]  À l’été 2010, le fonctionnaire a demandé à Mme H. si elle connaissait quelqu’un qui pouvait faire du gardiennage pour lui un mercredi donné. Comme elle prenait congé les mercredis de cet été-là, elle a offert ses services alors que le fonctionnaire, son épouse et un autre couple faisaient une visite de la région vinicole locale. Cela a été confirmé par courriel. Pour ses services de gardiennage d’enfant, le fonctionnaire a versé 200 $ à Mme H. et il lui a donné une bouteille de vin. À son retour, il l’a raccompagnée chez elle dans un véhicule loué, qu’il a appelé le [traduction] « souteneur mobile ». Ils étaient accompagnés par son fils.

[8]  Mme H. était membre du Comité de la prochaine génération de la région du Pacifique, qui avait pour but de faciliter le transfert de connaissances des cadres supérieurs aux employés subalternes. Il avait pour but d’identifier les candidats probables aux fins de la planification de la relève. Le fonctionnaire était le [traduction] « champion de la prochaine génération » (un membre de la catégorie de la direction affecté à certaines initiatives essentielles de l’employeur pour offrir une orientation et des possibilités de promotion aux fins du comité).

[9]  Le 24 novembre 2010, le fonctionnaire a invité Mme H. et Mme P. à un événement à son condo, où il vivait seul, pour une soirée de réseautage avec lui et Kully Mann, qui à l’époque était le directeur de la sécurité du bureau régional de l’employeur à Vancouver, en Colombie-Britannique.

[10]  Comme la soirée approchait, le fonctionnaire a commencé à appeler Mme H. et à lui envoyer des messages textes au travail. Il voulait savoir ce qu’il devrait acheter à boire pour les jeunes femmes lorsqu’elles seraient à son condo. Mme H. a tenté de décliner poliment l’invitation, mais elle n’a pu le faire; le fonctionnaire a beaucoup insisté pour qu’elle soit présente et, comme il était un cadre supérieur qui pouvait avoir une influence sur sa carrière, Mme H. craignait que son absence ait une incidence négative sur sa carrière. Lorsqu’elle-même et Mme P. sont arrivées vers 18 h, elles ont découvert qu’il n’y avait qu’elles-mêmes, le fonctionnaire et M. Mann. Personne d’autre n’avait été invité.

[11]  Selon le témoignage de Mme H., il était clair que le fonctionnaire et M. Mann se connaissaient très bien. Le fonctionnaire a offert des hors-d’œuvre et des boissons à Mme H. et à Mme P. et leur a fait visiter son condo, alors que M. Mann a insisté pour prendre leurs téléphones cellulaires. À un certain moment, la porte de la chambre d’amis s’est refermée et Mme H. a réalisé que Mme P. n’était plus assise au bar du condo du fonctionnaire avec elle. Mme H. a tenté d’ouvrir la porte de la chambre d’amis, mais le fonctionnaire l’a arrêtée et a insisté pour qu’elle le serre dans ses bras. Elle croyait que cette exigence visait à l’empêcher d’ouvrir la porte de la chambre d’amis pour vérifier si son amie allait bien, laquelle était dans cette pièce avec M. Mann.

[12]  Le fonctionnaire et M. Mann ont continué de servir des boissons aux femmes et, selon Mme H., elle en avait plus que ce qui était approprié. À un certain moment, le groupe est allé au bar de l’autre côté de la rue où habite le fonctionnaire pour y prendre un repas tardif. Le groupe est resté au bar de 30 à 45 minutes, après quoi ils sont allés au restaurant adjacent, où ils ont pris place dans un compartiment en forme de « U » et le fonctionnaire a placé sa main sur la jambe de Mme H. Alors qu’ils étaient au bar, plusieurs tournées ont été offertes, dont au moins une a été offerte par Mme P. Vers 23 h, M. Mann a dit au groupe qu’il avait embrassé Mme P., qui à ce moment-là était à la salle de bain parce qu’elle ne se sentait pas bien. Mme H. a indiqué dans son témoignage que le fonctionnaire n’avait pas réagi lorsqu’il avait entendu parler du baiser.

[13]  Mme H. a quitté le groupe pour aller trouver Mme P. Elle l’a trouvée sur le plancher de la salle de bain, et elle tenait des propos incohérents. Après que le petit ami de Mme P. est venu la chercher, Mme H. a rejoint le fonctionnaire et M. Mann. Comme elle a réalisé que ses clés et son téléphone cellulaire avaient été laissés dans le condo du fonctionnaire, elle y est retournée avec lui. Le fonctionnaire a insisté pour que Mme H. ne conduise pas puisqu’elle était en état d’ébriété, mais elle n’était pas à l’aise à l’idée de rester avec le fonctionnaire, elle est donc partie. Le fonctionnaire flirtait beaucoup avec elle et elle n’était pas à l’aise en sa présence.

[14]  Après l’événement, Mme P. a quitté le Comité de la prochaine génération. Mme H. y est restée et elle a assisté à l’assemblée générale annuelle à Vancouver le 29 novembre 2010. Lorsqu’elle est arrivée à l’hôtel la nuit précédente, une carte du fonctionnaire lui souhaitait la bienvenue à Vancouver. Elle était accompagnée d’une bouteille de vin, d’un plateau à fromage et de deux verres à vin. Mme H. a compris que cela signifiait que le fonctionnaire avait l’intention de partager le vin et le fromage avec elle. Elle a vérifié auprès de l’autre participant de Penticton, P. C., pour voir s’il avait reçu un cadeau d’accueil semblable; ce n’était pas le cas. Plus tard cette soirée-là, elle a reçu un appel du fonctionnaire pour l’inviter à se joindre à lui au bar de l’hôtel pour prendre un verre.

[15]  Mme H. a rencontré le fonctionnaire et a consommé des verres, qu’il lui a payés. Il lui a fait un compliment au sujet de son apparence. Encore une fois, il a passé sa main sur sa cuisse, ce qui l’a mise mal à l’aise. Plutôt que d’offenser un cadre qui pouvait l’aider dans sa carrière, elle a éloigné sa jambe de lui. Elle est retournée seule à sa chambre.

[16]  Le lendemain, selon Mme H., après les réunions, elle-même et P. C. se sont joints au fonctionnaire dans un bar du centre-ville de Vancouver, où ils sont restés et ont bu au point où Mme H. et P. C. ont manqué leur vol. Le fonctionnaire a pris des dispositions pour que Mme H. et P. C. prennent le prochain vol. À bord de l’avion, Mme H. a discuté avec P. C. de ce qu’elle percevait comme un traitement préférentiel qu’elle recevait de la part du fonctionnaire.

[17]  Le fonctionnaire a parlé à Mme H. de la plainte que Mme P. avait déposée contre lui. Il a téléphoné à Mme H. à son numéro de téléphone cellulaire personnel et a discuté avec elle de la possibilité qu’elle témoigne en sa faveur. Finalement, deux enquêteurs l’ont interrogée, ce qui l’a préoccupée pour sa carrière. Elle leur a dit qu’elle se sentait obligée de socialiser avec le fonctionnaire. Son poste à l’ARC était son premier véritable emploi. Elle croyait qu’elle devait plaire à son patron et que lui dire non n’était pas une option. Elle ne savait pas quel contrôle il avait sur sa carrière.

[18]  Le fonctionnaire et Mme H. se sont envoyé des messages textes jusqu’au 6 décembre 2010. Par la suite, il a continué de prendre de ses nouvelles tout au long des enquêtes sur sa conduite. Elle a fini par arrêter de répondre à ses appels. Un souper qu’il avait prévu pour les membres du Comité de la prochaine génération a été annulé. Mme H. a communiqué avec lui dans l’espoir de fixer une date pour le rencontrer en présence d’une troisième personne. Elle l’a invité à une réunion, qu’elle a plus tard annulée. Elle a cessé toute communication régulière avec lui lorsqu’il a quitté le bureau de Penticton, puisque cela était très stressant et représentait un fardeau.

[19]  Mme A. a indiqué dans son témoignage qu’elle relevait du fonctionnaire et qu’elle avait socialisé avec lui lorsqu’il travaillait au BSF de Burnaby Fraser à Surrey en Colombie-Britannique. Comme Mme P. et Mme H., Mme A. était membre du Comité de la prochaine génération.

[20]  En décembre 2009, après une réunion à Vancouver, elle a invité le fonctionnaire à un dîner. Il a accepté et lui a demandé, dans un courriel qu’il lui a envoyé à partir de son compte de courriel du bureau, si elle souhaitait consommer des petits verres de tequila. Mme A. pensait qu’il n’était pas approprié de répondre à une telle invitation au moyen du système de courriel de l’employeur.

[21]  Ils se sont rencontrés pour le dîner, pendant lequel ils ont discuté de questions liées au travail et à leur vie personnelle. Ils ont discuté des rumeurs concernant la conduite inacceptable du fonctionnaire. Apparemment, des cadres de l’ARC avaient soulevé des préoccupations auprès de la direction sur ses relations avec les jeunes femmes ambitieuses dans le lieu de travail. Mme A. se préoccupait du fait qu’elle serait placée dans la même catégorie que ces femmes, appelées « Timbits », qui étaient perçues comme obtenant des faveurs et un avancement professionnel auprès du fonctionnaire.

[22]  Au dîner cette journée-là, Mme A. et le fonctionnaire ont consommé de l’alcool, qu’il a payé, selon elle. Après le dîner, ils ne sont pas retournés à la réunion, mais sont plutôt allés dans un bar-salon d’un hôtel à proximité et ils ont continué de boire. Encore une fois, le fonctionnaire a payé pour les verres. Il l’a encouragée à rester au bar et a offert de lui réserver une chambre d’hôtel pour qu’elle n’ait pas à prendre le train seule, ce qui a mis Mme A. très mal à l’aise; elle estimait que cela était tout à fait inacceptable. Elle a fini par prendre le train; elle avait le numéro de téléphone de M. Mann pour qu’il puisse prendre des dispositions afin de sortir sa voiture du garage sous-terrain au bureau de Surrey après les heures de travail. Ce n’était pas la seule fois où elle a rencontré le fonctionnaire pour prendre des verres pendant le dîner, mais c’était la dernière fois.

[23]  Le comportement inacceptable du fonctionnaire à des événements sociaux liés au travail était connu; par exemple, selon T.C., qui travaillait pour le fonctionnaire en décembre 2006, un incident s’est produit à la fête de Noël à laquelle ils ont tous les deux assistés en 2006, concernant M. Mann et la petite amie de T.C. Apparemment, M. Mann s’est approché de la femme en question, a passé son bras autour de sa taille et a appuyé ses parties génitales contre elle. Selon T.C., le fonctionnaire était au courant du comportement de M. Mann, mais il n’a rien fait. Des types de comportements semblables ont été décrits par une autre employée, y compris des descriptions de la relation entre M. Mann et le fonctionnaire, qu’elle a décrite comme très étroite à son avis.

[24]  T.C. hésitait à discuter de l’incident avec le fonctionnaire, puisque ce dernier et M. Mann étaient des amis. Il craignait de signaler l’incident en raison de l’incidence éventuelle sur son emploi; il avait peur de se voir privé de possibilités d’emploi. Cela a été confirmé par Brenda Hermann, une autre employée de l’ARC qui était présente à la fête de Noël, qui a témoigné au sujet de la relation entre le fonctionnaire et M. Mann et des étapes qu’elle a suivies pour aborder les événements qui se sont produits à la fête de Noël. À de nombreuses autres occasions dans le passé, M. Mann a agi de façon inacceptable et le fonctionnaire, qui était son gestionnaire, n’a rien fait à leur sujet. Au bout du compte, après avoir attribué à Mme Hermann l’enquête sur la conduite de M. Mann, le fonctionnaire a reconnu la nécessité d’imposer une mesure disciplinaire à ce dernier pour une conduite inacceptable.

[25]  Darrell Mahoney était le sous-commissaire de la région du Pacifique de l’employeur d’avril 2008 à juin 2011. Lorsqu’il a commencé à assumer le poste, le sous-commissaire qui partait l’a informé de rumeurs au sujet de la conduite du fonctionnaire avec de jeunes femmes. Au cours de l’exercice 2008-2009, M. Mahoney n’a pas observé de problèmes de comportement ou de rendement au sujet du fonctionnaire. Lorsque le fonctionnaire a accepté l’affectation intérimaire au BSF de Penticton, M. Mahoney a obtenu des rapports sur des rumeurs concernant le comportement inacceptable du fonctionnaire avec de jeunes femmes dans le lieu de travail de la part du supérieur immédiat du fonctionnaire. À la fin de 2010, Mme P. avait déposé une plainte de harcèlement contre le fonctionnaire.

[26]  M. Mahoney a indiqué dans son témoignage que l’employeur exigeait un niveau très élevé de confiance à l’égard du fonctionnaire comme cela ressortait du profil de responsabilisation de son poste d’attache et de son affectation intérimaire. En tant que membre de l’effectif de direction de l’employeur, le fonctionnaire devait démontrer les compétences en leadership indiquées dans les profils et maintenir un lien de confiance avec l’équipe de la direction régionale.

[27]  Le fonctionnaire était responsable d’un maximum de 400 employés, selon le temps de l’année. Il devait maintenir un niveau de confiance élevé en ce qui concerne les valeurs essentielles et l’éthique de l’ARC. Il était responsable d’un BSF, et l’employeur s’attendait à ce qu’il traite les employés qui y travaillaient avec respect et intégrité. Selon M. Mahoney, il était le représentant de l’ARC dans ce bureau. En tant que champion de la prochaine génération de la région du Pacifique (la « région »), il devait être un modèle pour les jeunes employés de l’employeur dans la région et être leur lien et leur voix avec l’équipe de la direction régionale.

[28]  En tant que gestionnaire du fonctionnaire, M. Mahoney devait évaluer le rendement du fonctionnaire. Il a rencontré le fonctionnaire au moins six fois par année en plus des moments où ils se sont rencontrés dans le cadre des réunions de l’équipe de la direction régionale ou d’autres réunions de la direction. Selon M. Mahoney, le fonctionnaire n’a soulevé à aucun moment des problèmes de santé ou de dépendance pendant les réunions. En septembre 2010, l’employeur a cerné des problèmes quant à la présence du fonctionnaire au bureau, à son manque d’intérêt pour des programmes d’apprentissage et à ses relations avec son personnel.

[29]  Lorsque le problème de l’assiduité était soulevé auprès du fonctionnaire, il répondait habituellement qu’il travaillait de la maison. Malgré le fait qu’il a été avisé des préoccupations de l’employeur au sujet de son assiduité et de son comportement dans le lieu de travail, il n’y a eu aucune amélioration, selon M. Mahoney. L’assiduité du fonctionnaire et sa conduite au bureau se sont empirées; lorsqu’il était présent, il ne participait pas à l’exécution du programme. M. Mahoney a soulevé ses préoccupations aux réunions bilatérales régulières qu’il avait avec le fonctionnaire. Selon le souvenir de M. Mahoney, le fonctionnaire démontrait le même type de comportement et d’absentéisme au bureau de Surrey de l’employeur. Malgré les préoccupations de l’employeur, le fonctionnaire n’a jamais donné de raisons à M. Mahoney pour les comportements qui causaient ces préoccupations.

[30]  Malgré tout cela, M. Mahoney a indiqué dans son témoignage qu’il ne savait pas que le fonctionnaire avait eu un comportement répréhensible envers ses employées jusqu’à ce que Mme P. dépose sa plainte de harcèlement. Lorsque l’employeur a reçu sa plainte, le fonctionnaire a eu l’ordre de retourner à son bureau régional de Surrey. Il a été affecté au portefeuille de la transformation organisationnelle dans le but de l’éloigner de la plaignante. Entre-temps, l’employeur a engagé une consultante, Carol‑Ann Hart pour enquêter sur la plainte de Mme P.

[31]  En tant que cadre de l’ARC, le fonctionnaire, comme tous les employés de l’ARC, devait s’assurer qu’il connaissait le Code et s’y conformer. Ce respect faisait partie de son offre d’emploi et de son entente de responsabilisation. Au moment des événements, selon M. Mahoney, l’équipe de la direction régionale faisait des efforts concertés pour travailler sur l’éthique et la promouvoir dans la région. Des séances de prévention du harcèlement ont été tenues dans toute la région, et elles comprenaient des sketches sur les comportements acceptables et inacceptables, comme suivi des résultats du Sondage auprès des fonctionnaires fédéraux 2008 dans le cadre duquel un grand nombre d’employés de l’ARC avaient indiqué avoir été harcelés dans le lieu de travail.

[32]  L’employeur a embauché Mme Hart pour enquêter sur la plainte de harcèlement de Mme P. Le mandat de l’enquête l’obligeait à déterminer si la politique de prévention du harcèlement et le Code de l’employeur avaient été violés. Elle a conclu que, selon son enquête et après avoir parlé à tous les témoins concernés, aucun harcèlement ne s’était produit, puisque les événements visés par la plainte de Mme P. ne s’étaient pas déroulés dans le cadre de son emploi. Toutefois, elle a conclu que le fonctionnaire avait contrevenu au Code en ayant une relation avec deux jeunes employées subalternes, ce qui avait nui à la réputation de l’employeur. Il occupait clairement une position de pouvoir, étant le cadre supérieur du BSF où les employées subalternes travaillaient.

[33]  Le fonctionnaire a rencontré Mme Hart. Selon elle, il n’a jamais soulevé de problèmes médicaux pour expliquer son comportement. Il n’a pas non plus fourni de notes médicales pour sa défense. Il ne lui a pas semblé avoir les capacités affaiblies et à aucun moment il n’a demandé à reporter leur réunion. Le fonctionnaire a répondu à son rapport préliminaire en février 2012. Il n’approuvait pas la version des événements de Mme P. de la soirée en question. Des témoins en réplique ont été trouvés et interrogés, et le fonctionnaire a eu la possibilité d’examiner leurs déclarations et celles des autres témoins et de formuler ses commentaires avant la publication du rapport final.

[34]  Puisque Mme Hart a conclu que le Code avait été violé, l’employeur a renvoyé l’affaire devant la DAI pour qu’elle enquête sur la violation alléguée. David Morgan a été affecté à la tenue de l’enquête selon le mandat que l’employeur lui a fourni. Il devait également enquêter sur l’abus du fonctionnaire de la carte AMEX de l’employeur, qui a été découvert après que Mme P. a déposé sa plainte.

[35]  M. Morgan a interrogé 12 témoins, y compris le fonctionnaire, qu’il a interrogé deux fois. Il a examiné la correspondance par courriel et les messages textes échangés entre le fonctionnaire et les employées. Interrogé au sujet de ses communications, le fonctionnaire a nié tout sentiment romantique envers ses employées. M. Morgan est également allé au bar et au restaurant où le fonctionnaire est allé avec Mme P., Mme H. et M. Mann, pour visionner les enregistrements vidéo de sécurité de la nuit en question.

[36]  Il a également obtenu les relevés AMEX du fonctionnaire, qui indiquaient les dépenses de ce dernier. Lorsque le fonctionnaire a été interrogé sur les frais non appropriés de la carte AMEX, il a dit à M. Morgan qu’ils avaient été réalisés pendant la période de deux semaines où il était gravement malade avant d’être hospitalisé. Trois prélèvements ont été faits sur la carte AMEX dans la région de Vancouver lorsque le fonctionnaire n’était pas en statut de voyage. De plus, il avait permis un arriéré de 120 jours sur sa carte AMEX, ce qui contrevenait à la politique de l’employeur sur l’utilisation de la carte de voyage.

[37]  Pendant son enquête, M. Morgan a examiné la question de savoir si le fonctionnaire avait outrepassé son pouvoir en vertu de l’article 34 de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11; LGFP) lorsqu’il a autorisé les frais de scolarité pour le programme de maîtrise de M. Mann auquel ce dernier était inscrit. Il a également conclu que le fonctionnaire n’avait pas correctement géré le comportement de M. Mann à la fête de Noël de l’ARC en 2006, ce qui signifie qu’il a fait preuve d’un traitement préférentiel à l’égard d’un ami dans les deux cas. L’abus de la carte AMEX de l’employeur a été confirmé, tout comme le comportement inacceptable du fonctionnaire à l’égard de jeunes employées subalternes dans le lieu de travail.

[38]  Maureen Phelan a assumé le rôle de sous-commissaire de la région du Pacifique de l’ARC après le départ de M. Mahoney. Elle a d’abord rencontré le fonctionnaire en sa qualité de collègue de l’équipe de la direction régionale en 2002. Pendant plusieurs années, elle n’a eu aucun contact avec lui. Lorsqu’elle a commencé à assumer le rôle de sous-commissaire, elle est devenue sa gestionnaire. Elle n’a appris qu’il avait des problèmes de santé qu’en octobre 2011, au moment où il a quitté le travail pour des raisons médicales et lui a fourni une série des certificats médicaux. Le fonctionnaire a été en congé de maladie jusqu’en décembre 2012. L’employeur n’a obtenu aucune information quant à la raison du congé. Un examen des rapports sur les congés du fonctionnaire indiquait qu’il n’a pris aucun congé de maladie en 2009 et en 2010. En 2011, il a pris 982,5 heures de congé de maladie.

[39]  Mme Phelan a reçu le rapport de la DAI du 2 octobre 2013. M. Morgan concluait que le fonctionnaire avait contrevenu au Code en ce qui concerne son utilisation de la carte AMEX de l’employeur, mais qu’il n’avait pas violé la LGFP. M. Morgan a conclu que les actions du fonctionnaire qui avaient donné lieu à la plainte de Mme P. avaient violé les articles du Code concernant la conduite en dehors des heures de travail. Selon ce rapport, elle a conclu que la mesure disciplinaire était justifiée. Le fonctionnaire avait eu un comportement répréhensible continu, que l’employeur devait aborder. Une audience disciplinaire a eu lieu, à laquelle le fonctionnaire a assisté seul, même s’il a été informé qu’il pouvait être accompagné d’un représentant s’il le choisissait.

[40]  À l’audience disciplinaire le 3 décembre 2013, le fonctionnaire a parlé à Mme Phelan de son problème d’alcool. Il lui a dit qu’il était un alcoolique et qu’il avait suivi un traitement à cet égard; pourtant il n’a fourni aucun certificat médical pour appuyer cette information. Ce qui a le plus frappé Mme Phelan à la rencontre était la déresponsabilisation du fonctionnaire et son absence de remords. Selon elle, il n’a pas reconnu l’incidence de ses actions sur les autres.

[41]  Le 14 janvier 2014, Mme Phelan a rencontré de nouveau le fonctionnaire. À cette rencontre, il l’a informée que l’ARC l’avait durement laissé tomber et qu’un ancien sous-commissaire avait tenté de faire dérailler sa carrière. Encore une fois, il n’a montré aucun remords quant à son traitement des jeunes femmes par rapport auxquelles il était en situation d’autorité.

[42]  Le fonctionnaire avait violé l’article 3 du Code, qui porte sur le soin à apporter aux biens de l’employeur et leur utilisation, y compris la carte AMEX. Sa conduite en dehors des heures de travail avait violé les dispositions sur la conduite en dehors des heures de travail et il n’avait pas joué le rôle de leader d’un gestionnaire, comme l’indique le Code. Il était le directeur d’un BSF, l’un des postes les plus élevés dans la région. Une violation du Code est considérée comme une « infraction du groupe 5 » en vertu de la « Politique sur la discipline » de l’ARC, ce qui en fait l’une des infractions les plus graves dans l’esprit de l’employeur. La sanction pour une telle infraction va d’une suspension de 20 jours sans traitement au licenciement.

[43]  Toutefois, elle a tenu compte de ce nouveau renseignement obtenu du fonctionnaire au sujet de son problème d’alcool, ainsi que d’autres circonstances atténuantes et aggravantes. Les circonstances aggravantes comprenaient la nature des infractions, le comportement inacceptable envers de jeunes femmes de sa voie hiérarchique, y compris l’envoi des messages textes, le caractère répréhensible du fait de les inviter chez lui et de les emmener dans un bar, en particulier alors qu’elles étaient déjà en état d’ébriété, les tentatives répréhensibles de socialiser avec Mme H. et l’envoi à cette dernière de cadeaux de bienvenue, les dîners « liquides » avec Mme A., la relation avec M. Mann et son absence de remords, facteurs qui justifiaient tous l’imposition d’une sanction plus élevée que la sanction minimale. Les enquêtes ont démontré un type de comportement de la part du fonctionnaire, ce qui était une circonstance aggravante.

[44]  Les circonstances atténuantes comprenaient le mandat du fonctionnaire, son dossier disciplinaire vierge, son rendement, qui était excellent, et ses problèmes d’alcool. Mme Phelan n’était pas convaincue de la relation causale entre l’alcoolisme du fonctionnaire et son inconduite. Cela n’excuse pas un comportement inacceptable. Toutefois, si ce n’est le fait que le fonctionnaire souffrait d’alcoolisme, Mme Phelan l’aurait licencié. Elle a conclu que la sanction appropriée serait une suspension de 30 jours sans traitement. Elle a indiqué dans son témoignage qu’il s’agissait de l’une des décisions les plus difficiles qu’elle a eu à prendre dans sa carrière, mais son instinct lui disait qu’il y avait possibilité de réadaptation dans son cas, ce qu’elle espérait.

[45]  En contre-interrogatoire, Mme Phelan a déclaré qu’elle avait remarqué que le fonctionnaire s’était absenté du lieu de travail [traduction] « très souvent » et que, lorsqu’il était présent, ces heures étaient irrégulières et qu’il partait sans donner d’avis. Elle savait dès juillet 2011 qu’il n’était pas heureux dans le lieu de travail et qu’il était souffrant, puisqu’il le lui avait dit dans un courriel qu’il lui a fait parvenir.

[46]  À la suite d’une rencontre qui s’est tenue le 12 septembre 2011, Mme Phelan a noté dans un résumé de la rencontre qu’il était en mauvaise santé. Lorsqu’elle est allée le voir le 16 septembre 2011 pour lui parler de la rencontre du 12 septembre, elle l’a trouvé endormi à son ordinateur et elle pouvait l’entendre ronfler derrière la porte. Elle se rappelle avoir senti de l’alcool. Dix jours plus tard, elle l’a trouvé à son bureau en état d’ébriété avancé, selon ses notes.

[47]  À la question de savoir si elle croyait que le fonctionnaire pouvait avoir un problème de santé, Mme Phelan a répondu qu’en ce qui concerne cette journée-là, elle savait qu’il était ivre et qu’il cédait sous la pression. Elle avait supposé que le fonctionnaire avait eu un dîner liquide, mais elle ne croyait pas qu’il s’agissait d’une habitude. Elle n’a pas fait de lien entre sa perte de poids importante et son alcoolisme. Au bout du compte, il est parti en congé de maladie le 27 septembre 2011. Elle savait que quelque chose n’allait pas, mais elle n’a pas conclu qu’il avait un problème de santé précis; elle supposait que sa maladie et ses problèmes étaient liés au stress.

[48]  Mme Phelan et le fonctionnaire se sont reparlé le 18 octobre 2011. Il n’a parlé d’aucun élément précis. Il a expliqué qu’il avait été hospitalisé pendant une semaine et il a indiqué les événements qui nécessitaient l’hospitalisation. Il n’a pas précisé sa maladie et il a indiqué que les médecins tentaient [traduction] « d’éliminer les problèmes ». Le plan de traitement qu’il a décrit était bénin à son avis : sommeil, repos et prise de poids. L’hospitalisation du fonctionnaire a été confirmée par un certificat médical qu’il lui a fourni le 26 octobre 2011. La nature de sa maladie n’était pas mentionnée.

[49]  Le fonctionnaire a été en congé de maladie pendant une période prolongée. Le 1er octobre 2012, Mme Phelan a reçu un avis du bureau des ressources humaines de la direction de l’ARC qui l’avisait que le fonctionnaire était sur le point d’épuiser son congé et qui soulevait la possibilité qu’il se voie accorder un congé de maladie de la direction. Mme Phelan a plutôt profité de l’occasion pour communiquer avec le fonctionnaire afin de discuter de son retour au travail. Ils se sont rencontrés le 16 octobre 2012, moment auquel il l’a informée qu’il était un alcoolique. Il était allé à un centre de traitement sur l’île de Vancouver et il était sur la voie de la guérison. Tout au long de cette période, l’enquête de M. Morgan se poursuivait. Lorsqu’elle a communiqué avec la DAI après avoir été avisée des problèmes médicaux du fonctionnaire, Mme Phelan a exprimé son inquiétude que l’enquête en cours puisse entraîner une rechute.

[50]  Le fonctionnaire a finalement remis à Mme Phelan un certificat médical indiquant qu’il était apte à revenir au travail à temps plein. Elle a indiqué dans son témoignage que, selon ce certificat, elle a supposé qu’il était apte à faire l’objet de l’enquête. Selon le rapport de la DAI et non le rapport de Mme Hart, Mme Phelan a décidé d’imposer une mesure disciplinaire au fonctionnaire, en consultation avec le représentant des relations de travail de l’employeur.

[51]  Le fonctionnaire a longuement témoigné pour son compte. Il a décrit son [traduction] « aventure » importante avec l’alcoolisme, qui est un problème de toujours pour lui, en particulier depuis les 20 dernières années. Ses postes à l’ARC, tant au bureau de Vancouver que de Penticton l’obligeaient à voyager et à s’absenter de la maison. Il était seul la plupart du temps. Il a commencé à boire lorsqu’il faisait la navette entre chez lui et le bureau.

[52]  Selon le fonctionnaire, au BSF de Burnaby Fraser, où se trouvait son bureau, beaucoup de rumeurs circulaient à son sujet. Lorsqu’il s’est vu offrir la possibilité d’accepter une affectation intérimaire au BSF de Penticton, il y a vu l’occasion de s’éloigner de ces rumeurs. Il a déclaré avoir exprimé ses doutes au sujet de l’affectation à M. Mahoney parce qu’il savait que ce ne serait pas dans son intérêt supérieur. M. Mahoney lui a donné un ultimatum – si le fonctionnaire voulait progresser dans sa carrière, il irait à Penticton sans sa famille.

[53]  Le fonctionnaire a déclaré qu’à ce moment, son alcoolisme était dans un état avancé. Selon lui, les gens du bureau de Penticton l’avaient remarqué. Il s’absentait fréquemment et il n’était pas disponible. Il a décrit sa période passée dans ce bureau comme de moins en moins productive. Il ne pouvait pas travailler sept heures sans boire, ce qui était la raison de son problème d’assiduité. Il ne pouvait faire une journée complète sans boire parce qu’il éprouvait de la douleur physique causée par l’alcool. S’il travaillait jusqu’à 16 h, il tremblait et il faisait les cent pas. Il devait bouger constamment pour faire disparaître la douleur. Lorsqu’il partait à 16 h, il se rendait à un guichet bancaire, effectuait un retrait et allait dans le quartier pour se rendre à un magasin d’alcool. Il ne pouvait parcourir les deux coins de rue menant à son condo sans boire l’alcool qu’il venait d’acheter, alors il se rendait à la salle de bain de l’hôtel le plus proche et buvait suffisamment pour faire partir les tremblements. Il buvait ensuite pendant toute la nuit jusqu’à ce qu’il soit temps d’aller au travail le lendemain.

[54]  Le fonctionnaire s’est décrit comme un alcoolique très fonctionnel qui pouvait distinguer le bien du mal même lorsqu’il était ivre; toutefois, lorsqu’il était dans les dernières étapes de sa dépendance, il avait de la difficulté à réfléchir avant d’agir, mais il n’a jamais enfreint les règles. Il était très habile pour masquer sa consommation d’alcool, au point où sa famille ne savait pas qu’il était un alcoolique. À un moment donné, alors qu’il était hospitalisé, il a fait croire à son médecin qu’il était prêt à faire des changements importants dans sa vie pour pouvoir sortir.

[55]  À partir du moment où le fonctionnaire a accepté l’affectation intérimaire à Penticton jusqu’en octobre 2011, la seule chose qui occupait son esprit était d’acheter et de consommer de l’alcool. C’était la seule chose qui lui importait et qui éloignait la douleur. Il était au courant des rumeurs qui circulaient et il avait entendu l’expression « Timbits » être utilisée pour décrire les femmes de son bureau avec lesquelles il était amical et il était contrarié par cette expression. Il a nié avoir favorisé de jeunes employées comme l’a dit M. Morgan. Le fonctionnaire avait le mandat de promouvoir les jeunes employés et de se concentrer sur ces derniers et il le faisait autant pour les hommes que pour les femmes.

[56]  Au bout du compte, après que Mme P. a déposé sa plainte de harcèlement, le fonctionnaire a repris un poste de conseiller spécial au bureau régional de Vancouver. Mme H. ne lui a jamais dit qu’elle était mal à l’aise par rapport aux événements de la nuit en question. En fait, elle est allée le trouver deux semaines plus tard et lui a envoyé des notes personnelles par la suite. Rien n’indiquait qu’elle le voyait comme un prédateur. Avant de quitter Penticton, il a remercié les employés du restaurant et du bar où les événements du 24 novembre 2010 se sont déroulés pour l’accueil qu’ils lui avaient réservé pendant son séjour à Penticton. Il a présenté ses excuses pour les avoir entraînés dans la situation qui a suivi son retour à Vancouver.

[57]  Le fonctionnaire a déclaré qu’entre janvier et octobre 2011 il en était aux dernières étapes de son alcoolisme. Il n’avait plus de période pendant la journée où il était productif; à ce moment, il buvait 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Il a arrêté de prendre soin de lui, de faire de l’exercice et de faire sa toilette. Il cachait de l’alcool partout, sauf au bureau. Il partait plutôt du bureau pour aller boire. À la fin, il buvait deux ou trois pintes d’alcool par jour. Il ne mangeait pas et il ne pouvait plus bien marcher. Alors qu’il rendait visite à ses beaux-parents en 2011, il lui est devenu évident qu’il était impuissant par rapport à l’alcool et qu’il ne pouvait plus prendre de décision rationnelle. Son jugement était affaibli par l’alcool, et son comportement changeait lorsqu’il était en état d’ébriété.

[58]  Au cours des quelques mois suivants, le fonctionnaire a passé du temps à l’hôpital à cause de la gravité de sa maladie, après quoi il a suivi un traitement par intermittence. Il a avisé Mme Phelan de ce qui est arrivé et lui a dit qu’il serait absent pour une période indéfinie. Des notes médicales ont été fournies pour appuyer ses absences.

[59]  En avril 2012, le fonctionnaire est arrivé au point où il a reconnu qu’il ne pouvait plus gérer sa vie. Il était impuissant par rapport à l’alcool. À ce moment, il a capitulé et s’est inscrit à un centre de traitement sur l’île de Vancouver. Il a terminé le programme de 56 jours et il s’est désintoxiqué médicalement. Il a rechuté une fois après sa sortie, mais, à l’audience, il était sobre depuis le 1er décembre 2012. Il constate maintenant qu’il n’était pas approprié de sa part de se conduire comme il l’a fait avec les femmes.

[60]  Le fonctionnaire assiste toujours à des rencontres des Alcooliques Anonymes. Il a décrit les étapes du programme l’obligeant à faire une liste de toutes les personnes qui avaient été blessées puis de présenter ses excuses à chaque personne lorsque c’est raisonnable de le faire. À chaque étape du processus, il a assumé la responsabilité de ses actions et il a été franc pendant sa rencontre avec Mme Phelan en janvier 2014. Il n’aurait pas été approprié de présenter des excuses dans ces circonstances.

[61]  Le témoignage du fonctionnaire au sujet de sa relation avec Mme H. ne différait pas de celui de cette dernière, sauf pour quelques détails. La seule différence concernait l’identité de la personne qui a acheté certaines des boissons au bar. Selon le fonctionnaire, Mme P. a obtenu de l’alcool gratuit pour la fête et en a fourni puisqu’elle y travaillait à temps partiel. De même, son témoignage au sujet de ses rencontres avec Mme A. ne différait pas considérablement du sien.

[62]  Le fonctionnaire a nié avoir abusé de quiconque, contrairement aux conclusions de la [traduction] « chasse aux sorcières » entreprise par l’employeur et exécutée par M. Morgan. Il a admis que, dans sa torpeur éthylique, il ne voyait pas à ses propres responsabilités financières comme il aurait dû et que, pour cette raison, le solde de sa carte AMEX était exigible depuis plus de 120 jours. Il a admis l’avoir utilisée alors qu’il n’était pas en statut de voyage.

[63]  Selon le fonctionnaire, la sanction que l’employeur a imposée aurait dû être inférieure à 30 jours s’il avait tenu compte de son alcoolisme. Toujours selon lui, l’employeur n’en a pas tenu compte; il n’a pas non plus pris en considération les renseignements médicaux qu’il a fournis. L’employeur n’a consulté aucun expert médical.

III.  Résumé de l’argumentation

A.  Pour l’employeur

[64]  L’abus de la carte AMEX de l’employeur viole le Code et constitue une « infraction du groupe 4 » selon la Politique sur la discipline de l’employeur. La conduite en dehors des heures de travail de la nature décrite en l’espèce contrevient au Code et constitue une violation allant des groupes 2 à 5 de la Politique sur la discipline de l’employeur, selon les circonstances. Le favoritisme que le fonctionnaire a démontré envers M. Mann était une infraction du « groupe 5 », soit un abus du pouvoir financier du fonctionnaire en vertu de la LGFP.

[65]  Le fonctionnaire n’a pas fait preuve de franchise dans son témoignage. Lorsque la preuve démontrait sa culpabilité, il soutenait ne pas en avoir de souvenir. Lorsqu’il tentait de s’exonérer, ses souvenirs étaient clairs. Tout au long du processus de règlement des griefs, et même à l’audience, le fonctionnaire n’a démontré aucun remords. Il n’a pas reconnu l’incidence de ses actions sur les autres. Il n’a pas appliqué les valeurs de l’ARC comme on l’attend d’un cadre de l’ARC. Tout cela faisait partie des circonstances aggravantes prises en considération au moment d’établir les mesures disciplinaires à imposer.

[66]  Des circonstances atténuantes ont été prises en considération, comme le dossier vierge du fonctionnaire et sa dépendance. L’alcoolisme n’excuse pas son comportement. En tant que champion du groupe de la prochaine génération de l’ARC, l’employeur était justifié de s’attendre à ce qu’il agisse comme un modèle pour les jeunes employés. Le comportement qu’il a eu ne respectait pas ces attentes, et l’employeur avait raison d’imposer une mesure disciplinaire pour ce manquement. L’employeur n’est pas tenu de créer des règles pour toute circonstance possible qui pourrait survenir dans le lieu de travail. Un employé est tenu de faire preuve de sens commun afin de reconnaître une limite et de ne pas la franchir (voir Gannon c. Conseil du Trésor (Défense nationale), 2002 CRTFP 32).

[67]  Les allégations concernant la carte AMEX de l’employeur ne sont pas contestées. De plus, le fonctionnaire a reconnu que les événements du 24 novembre 2010 étaient répréhensibles et qu’il n’était pas approprié d’acheter des boissons à Mme A. le 9 décembre 2009. Les deux enquêtes, soit celle de Mme Hart et celle de M. Morgan, concluaient que le fonctionnaire avait contrevenu au Code en ayant des relations non appropriées avec des employées subalternes. La question de favoritisme envers M. Mann a été soulevée dans le cadre de l’enquête de M. Morgan. Malgré le fait que les incidents remontent à 2006, ils ont été découverts dans le cadre de cette enquête. L’employeur a le droit d’imposer une mesure disciplinaire lorsqu’il découvre des éléments dans le cadre d’une enquête, peu importe le moment où ils se sont produits.

[68]  Tous les vices de procédure de la procédure d’enquête ont été réglés par la présente audience (voir Patanguli c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1206; Bridgen c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 92; Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] ACF no 818 (CA) (QL)). L’enquête de Mme Hart a été organisée selon les règles à la suite de la plainte de harcèlement de Mme P. La grande portée de l’enquête de M. Morgan indique à quel point les comportements inacceptables du fonctionnaire étaient répandus.

[69]  Le fonctionnaire a continuellement eu un type de comportement et une inconduite qui montraient du favoritisme à l’égard de M. Mann. Ils ont été mis au jour au moyen de l’enquête et, peu importe le délai qu’il a fallu pour les découvrir, la mesure disciplinaire était justifiée. En tant que cadre, on faisait confiance au fonctionnaire pour respecter les obligations. Il a dit à l’employeur qu’il allait régler l’incident de la fête de Noël et il ne l’a pas fait. Le délai qu’il a fallu pour traiter la question a été atténué par celui qu’il a fallu pour réaliser l’enquête en raison de l’absence du fonctionnaire du lieu de travail (voir Nicolas c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océan), 2014 CRTFP 40; Community Living Espanola v. Canadian Union of Public Employees, Local 2462, 84 C.L.A.S. 216).

[70]  Le fonctionnaire n’a toujours pas démontré de remords à l’égard de ses actions. Il a présenté ses excuses aux employés du restaurant et du bar à Penticton, mais il ne l’a toujours pas fait envers ses victimes. Son absence de remords et de responsabilisation était évidente tout au long de cette procédure. Il a dit peu de choses importantes pendant l’interrogatoire principal à part l’incidence que les rumeurs sur les « Timbits » ont eue sur lui et sa vie d’alcoolique. Il a blâmé les autres pour sa situation. En tant que cadre, le fonctionnaire aurait dû savoir ce qui était approprié et ce qui ne l’était pas et il aurait dû savoir que le fait d’inviter de jeunes employées à son condo n’était pas approprié.

[71]  Pour sa défense, le fonctionnaire soutient que l’employeur aurait dû être au courant de ses problèmes médicaux. Toutefois, il a fourni ces renseignements à Mme Phelan uniquement après s’être vu imposer une mesure disciplinaire. La série de notes médicales qu’il a fournies au soutien de ses absences du lieu de travail provenait de son médecin de famille et du service de médecine interne de l’hôpital Saint Paul à Vancouver. Aucune ne mentionnait l’alcoolisme ou n’indiquait de restrictions sur la prise de décision ou l’interaction avec des employées. Mme Phelan a reconnu que le fonctionnaire avait perdu beaucoup de poids, mais elle n’a pas conclu que cela était dû à l’alcoolisme. Elle a indiqué dans son témoignage qu’elle croyait que cela était lié au stress, en raison des enquêtes en cours. Selon le fonctionnaire, il était très habile et il pouvait tromper les gens.

[72]  Si le fonctionnaire envisageait de soulever un moyen de défense médicale, il aurait dû fournir des renseignements médicaux (voir Halfacree c. Canada (Procureur général), 2014 CF 360; et Cassin c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 37). Il n’a fourni aucun témoignage d’expert au sujet de sa maladie qui aurait provoqué son inconduite ou de son incidence sur ses capacités de prise de décision, même si cela est requis pour appuyer un moyen de défense médical (voir Winnipeg (City) v. Amalgamated Transit Union, Local 1505 (2006), 147 L.A.C. (4e) 162; Saputo Foods Ltd. v. Teamsters Local Union No. 464, [2009] B.C.C.A.A.A. No. 133 (QL); Health Employers Association of British Columbia v. British Columbia Nurses’ Union (2006), 147 L.A.C. (4e) 146).

[73]  Il ne s’agit pas d’un cas portant sur la prise de mesures d’adaptation – il s’agit d’un cas disciplinaire, que le fonctionnaire espère atténuer en invoquant son alcoolisme. Contrairement à la situation dans MacArthur c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2010 CRTFP 90, le fonctionnaire n’a pas assumé la responsabilité de ses actions ni n’a pris de mesures pour aborder son alcoolisme. Il s’est inscrit à un programme de réadaptation en 2012 seulement, malgré le fait que Mme P. a déposé sa plainte en 2010. Il a indiqué dans son témoignage qu’il était embarrassé par ses actions, mais il n’a présenté d’excuses à personne. Il s’est décrit comme un cadre très fonctionnel, ce qui est appuyé par le témoignage de M. Mahoney.

[74]  Le fonctionnaire a sélectivement envoyé des courriels personnels à des employées et a convoqué des réunions avec elles. Son comportement démontre de la planification; les choses qu’il a faites ne l’ont pas été sur un coup de tête. Ce n’était pas un cas d’envoi de messages textes en état d’ébriété. Il avait l’intention de donner rendez-vous à de jeunes employées. Il n’a exprimé aucun remords et n’a pas montré qu’il a compris la nature inacceptable de ses actions.

[75]  L’employeur a démontré que le fonctionnaire est coupable d’activités justifiant une mesure disciplinaire. À moins qu’une sanction imposée par l’employeur soit manifestement erronée ou déraisonnable, un arbitre de grief ne devrait pas la modifier (voir Cooper c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 119; et Ranu c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 89). Un employé peut faire l’objet de mesures disciplinaires pour une conduite en dehors des heures de travail (voir Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 28).

[76]  Mme Phelan a tenu compte de tous les renseignements, y compris les circonstances aggravantes et atténuantes, et a conclu que le comportement choquant justifiait une suspension de 30 jours sans traitement, en particulier parce que le fonctionnaire n’a pas admis sa culpabilité et n’a exprimé aucun remords. Il n’a fourni aucune preuve médicale pour indiquer qu’il n’était pas responsable de ses actions (voir Canadian Postmasters and Assistants Association v. Canada Post Corporation (2001), 102 L.A.C. (4e) 97). Son comportement avec les jeunes employées était clairement incompatible avec son rôle de champion de la jeunesse et justifiait une mesure disciplinaire sévère (voir Richer c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 10).

[77]  L’alcoolisme n’est pas une protection absolue permettant au fonctionnaire de ne pas assumer la responsabilité de ses actions. Le simple fait que son état peut avoir nécessité des mesures d’adaptation n’est pas non plus suffisant pour relever le fonctionnaire de son obligation d’établir l’existence d’une invalidité qui l’empêche d’assumer la responsabilité de ses actions. Il devait quand même établir lors de l’arbitrage tous les éléments requis pour annuler la mesure disciplinaire imposée par l’employeur (voir Ahmad c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 60). Les parties ont reconnu que le fonctionnaire était un alcoolique, mais cela n’explique pas son comportement. De plus, cela n’a été soulevé qu’à l’étape disciplinaire et non pendant les deux enquêtes.

B.  Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[78]  L’employeur a déprécié et minimisé la dépendance du fonctionnaire. La perception selon laquelle il aurait dû y remédier démontre la très mauvaise compréhension de la maladie par l’employeur. Le fait que le fonctionnaire est un cadre ne l’empêche pas de souffrir d’alcoolisme. Ce stigmate empêche la reconnaissance et le traitement et maintient les cadres alcooliques dans un monde de secret. Le fonctionnaire a honte et il regrette ce qu’il a fait sous l’emprise de la dépendance.

[79]  Ce cas porte sur l’équité. L’ARC n’a pas assuré l’équité procédurale et n’a pas appliqué ses politiques de façon impartiale. Elle est obligée d’agir équitablement et d’assurer l’équité procédurale (voir Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817). La façon générale dont l’employeur a rendu sa décision en l’espèce correspondait à un déni de justice naturelle. Il n’a pas respecté sa politique d’enquêter sur une inconduite. Lorsque l’inconduite a été établie, sa direction générale sur les relations de travail a décidé de la sanction. Un agent des relations de travail n’était pas qualifié pour déterminer la relation causale entre la dépendance du fonctionnaire et la faute commise.

[80]  L’employeur doit être responsable de respecter ses politiques ainsi que les droits des employés. Il ne peut simplement ordonner une autre enquête parce qu’il n’a pas aimé les résultats de la première. M. Morgan ne pouvait avoir carte blanche pour enquêter sur n’importe qui sur tous les sujets possibles et imaginables afin de trouver quelque chose, ce que l’employeur a fait. L’enquête de la DAI portait sur la vie d’un alcoolique pour les 10 dernières années dans l’espoir de trouver un élément permettant de lui imposer une mesure disciplinaire. Il s’agissait tout simplement d’une chasse aux sorcières.

[81]  Mme Phelan a été injuste envers le fonctionnaire alors qu’il tentait de se rétablir. Il ne pouvait le faire alors que M. Morgan tournait autour de lui à la recherche d’une faute qu’il aurait commise. Le fonctionnaire a fait l’objet de l’Inquisition espagnole et tout ce qui en est ressorti doit être rejeté.

IV.  Motifs

[82]  Le fonctionnaire a fait valoir dans son grief qu’il y avait eu manquement à la justice naturelle dans le cadre de la procédure d’enquête. Les audiences devant un arbitre de grief sont des audiences de novo et tout préjudice ou iniquité causé par un problème de procédure est corrigé par l’audition du grief (voir Maas c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 123, au paragraphe 118; Pajic c. Opérations des enquêtes statistiques, 2012 CRTFP 70; et Tipple, au paragraphe 2). Une telle lacune est corrigée par le processus d’arbitrage et, pour cette raison, elle ne sera pas abordée dans la présente décision. Il a également fait valoir que le rapport de M. Morgan aurait dû être rejeté comme manquement à la justice naturelle puisqu’un grand nombre d’incidents et de comportements sur lesquels M. Morgan a enquêté remontent à près de 10 ans.

[83]  L’employeur doit enquêter sur le comportement inacceptable sur le lieu de travail d’un employé en temps opportun. Pour cette raison, je conclus que seuls les incidents concernant Mme P., Mme H. et Mme A. et l’abus de la carte AMEX seront évalués par rapport au caractère raisonnable de la sanction. Faire autrement représenterait un manquement à la justice naturelle, en particulier puisque je souscris à la description faite par le fonctionnaire de l’enquête de grande portée et ouverte de M. Morgan; il s’agissait, à mon avis, d’une chasse aux sorcières. Cela ne revient pas à dire que les conclusions du rapport d’enquête de Mme Hart ne sont pas valides et qu’elles ne justifiaient pas une mesure disciplinaire. L’employeur pouvait imposer une mesure disciplinaire au fonctionnaire en fonction de ce rapport seul, même sans la conclusion qu’un harcèlement ne s’était pas produit, puisque l’employeur n’était pas obligé d’accepter les conclusions de Mme Hart. L’employeur pouvait conclure qu’une inconduite s’était produite.

[84]  Je ne doute pas que le fonctionnaire a eu des relations non appropriées avec à tout le moins Mme P., Mme H. et Mme A. en 2009 et en 2010. En tant que membre principal de l’équipe de la direction régionale et en particulier en tant que champion du Comité de la prochaine génération, il occupait selon elles un poste qui lui permettait de les aider dans leur avancement professionnel. Même s’il n’avait pas eu de réelle influence, la perception était suffisante pour faire en sorte que des relations avec ces femmes à l’extérieur du bureau n’étaient pas appropriées.

[85]  Le fonctionnaire a obstinément poursuivi des relations avec ces femmes, comme le démontrent les nombreux courriels et messages textes que l’employeur a déposés en preuve. Il n’a pas nié qu’il a cherché à avoir ces relations. Il n’a pas non plus nié qu’il était au courant des rumeurs sur l’expression « Timbits ». Mme H. a fait preuve de beaucoup de franchise dans son témoignage lorsqu’elle a dit qu’elle a accepté de socialiser avec le fonctionnaire en raison de son poste et parce qu’elle croyait qu’il pouvait l’aider dans sa carrière.

[86]  Dans son témoignage, le fonctionnaire a tenté d’esquiver la responsabilité de ses actions en révélant son cheminement pouvant mettre sa vie en péril à travers l’alcoolisme. Il faut louer sa sobriété, mais une partie de cette sobriété consiste à accepter la responsabilité de ses gestes préjudiciables et à présenter ses excuses. Je souscris à l’évaluation de Mme Phelan selon laquelle il n’a pas assumé la responsabilité de ses actions et il n’a aucun remords. Je conclus que son témoignage était ouvert, honnête et franc. Elle a fourni un témoignage très éclairant et elle était crédible.

[87]  Le fonctionnaire a reconnu qu’il avait violé la politique de l’employeur sur l’utilisation de la carte AMEX. Il l’a utilisée alors qu’il n’était pas en statut de voyage et il a permis un arriéré de plus de 120 jours quant à la date d’échéance de remboursement. Il a encore une fois invoqué son alcoolisme pour expliquer cette inconduite; toutefois, il n’a fourni aucun témoignage d’expert médical pour établir que l’alcoolisme était un facteur causal dans son inconduite en ce qui concerne la poursuite de relations avec Mme P., Mme H. et Mme A. ou la carte AMEX (voir Health Employers Association of British Columbia). Si un employé est toujours en mesure de prendre des décisions rationnelles ou qu’il a cette capacité à un certain niveau, il peut donc être tenu responsable de ses mauvaises décisions ou de ses mauvais choix (voir Winnipeg (City)).

[88]  Le fonctionnaire n’a pas soutenu avoir subi de la discrimination en raison du motif illicite de la déficience ce qui, en vertu de l’article 25 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; LCDP), comprend « la dépendance, présente ou passée, envers l’alcool ». Toutefois, même s’il avait invoqué une discrimination alléguée en l’espèce, je n’aurais pas conclu, selon la preuve, qu’il existait une preuve prima facie de discrimination car aucun témoignage d’expert médical ne m’a été soumis pour établir que l’alcoolisme du fonctionnaire était un facteur causal dans son inconduite. Étant donné cette conclusion, il ne m’aurait pas été nécessaire d’examiner la question de savoir si l’employeur a présenté un moyen de défense fondé sur l’article 15 de la LCDP pour établir qu’il a pris des mesures d’adaptation à l’égard des besoins du fonctionnaire au point d’en subir un préjudice indu.

[89]  Selon le témoignage du fonctionnaire, il était très fonctionnel et il était habile pour tromper les gens. Il a admis qu’il n’aurait pas dû poursuivre sa relation avec de jeunes femmes relevant de sa sphère d’influence. Son récit au sujet de son périple à travers l’alcoolisme ne suffit pas pour prouver selon la prépondérance des probabilités qu’il ne pouvait utiliser son raisonnement et reconnaître ce qui était approprié et ce qui ne l’était pas.

[90]  Le fonctionnaire soutient également que l’employeur aurait dû savoir qu’il était un alcoolique. Il n’a pas établi selon la prépondérance des probabilités que l’employeur était au courant de son alcoolisme à l’époque pertinente et des incidents concernant Mme P., Mme H. et Mme A. en 2009 et en 2010 ou de l’abus de la carte AMEX. Selon le propre témoignage du fonctionnaire, il était passé maître dans la dissimulation de sa dépendance et il était un alcoolique très fonctionnel. De plus, la preuve mène à une conclusion claire selon laquelle Mme Phelan a tenu compte de son alcoolisme lorsqu’elle a établi la sanction à lui imposer. Sans cette circonstance atténuante, le fonctionnaire aurait été licencié. Les employeurs ne sont pas des devins et il revient aux employés de soumettre les renseignements nécessaires à l’attention de leur employeur à la première occasion (voir Ahmad; et Bygrave c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2010 CRTFP 78).

[91]  La série de notes médicales que le fonctionnaire a fournies au soutien de ses absences du lieu de travail provenait de son médecin de famille et du service de médecine interne de l’hôpital Saint Paul. Aucune ne mentionnait l’alcoolisme ou la nécessité d’une mesure d’adaptation ou n’indiquait de restrictions sur la prise de décision ou l’interaction avec des employées. Mme Phelan a indiqué dans son témoignage qu’elle a reconnu que le fonctionnaire avait perdu beaucoup de poids, mais cela ne constituait pas une preuve concluante de la question de savoir si l’employeur savait qu’il était un alcoolique. Elle a indiqué dans son témoignage qu’elle croyait que cela était lié au stress, en raison des enquêtes en cours. Selon le fonctionnaire, il était très habile et il pouvait tromper les gens, même ses médecins. Il est très exagéré de conclure qu’un employé très fonctionnel ayant de bons examens de rendement qui a récemment eu des problèmes d’assiduité est un alcoolique qui a besoin de mesures d’adaptation.

[92]  L’employeur n’a pas à codifier tous les comportements de ses employés et indiquer ce qui est approprié et ce qui ne l’est pas. Ce ne sont pas tous les incidents et les irrégularités qui sont prévus dans les règles et les politiques. Le bon sens et les principes fondamentaux de la bonne conduite doivent également faire partie des attentes d’un employeur (Gannon). Toute violation de ces attentes justifie l’imposition d’une mesure disciplinaire, comme c’était le cas pour les actions du fonctionnaire en l’espèce. Le bon sens aurait dû lui dicter qu’étant donné sa position d’autorité, il était inacceptable d’inviter deux jeunes femmes à son condo pour consommer des boissons avec lui et un autre gestionnaire. Il a aggravé la situation en insistant pour qu’elles accompagnent les hommes à un bar et puis après manger. La conduite du fonctionnaire en ce qui concerne Mme A. était également tout à fait inacceptable.

[93]  Il importe peu que les gestes fautifs surviennent en dehors des heures de travail (Basra) si l’inconduite a eu un effet négatif sur la réputation de l’employeur. Une personne raisonnable conclurait dans cette affaire qu’un cadre supérieur, qui était perçu comme ayant de l’influence sur la carrière de jeunes femmes, aurait contrevenu au Code en ayant des relations non appropriées avec elles, peu importe si cela s’est produit après les heures de travail. En fait, il ne s’agit pas d’une véritable affaire de conduite en dehors des heures de travail puisque le fonctionnaire a poursuivi les femmes en question pendant les heures de travail au moyen d’interactions personnelles, de messages textes et de courriels.

[94]  Mme Phelan a décrit les circonstances aggravantes et atténuantes qu’elle a évaluées au moment d’imposer la sanction appropriée, y compris l’alcoolisme du fonctionnaire, qui lui a été divulgué à l’étape disciplinaire de la présente procédure. Elle a fait preuve de compassion pour la situation du fonctionnaire lorsqu’elle a pris la décision, tout en le tenant responsable de ses actions. Elle a été tout aussi crédible à cet égard qu’elle l’a été tout au long de son témoignage. Le licenciement du fonctionnaire a été envisagé, mais étant donné les circonstances atténuantes et sa croyance qu’il pouvait se rétablir, elle a conclu qu’une suspension de 30 jours sans traitement était appropriée.

[95]  Il est important de noter que Mme Phelan a imposé une suspension de 30 jours sans traitement dans le contexte de trois infractions précises, y compris le niveau inacceptable d’indulgence qu’a démontré le fonctionnaire envers M. Mann, qui a eu un comportement non approprié avec de jeunes femmes dans le lieu de travail. Comme je l’ai indiqué au début des présents motifs, je n’ai pas tenu compte de cette troisième infraction dans ma décision portant sur la question de savoir si la mesure disciplinaire imposée était appropriée. Afin de ne laisser planer aucun doute, j’ai conclu selon la preuve présentée à la présente audience qu’une sanction disciplinaire de 30 jours sans traitement pour les incidents concernant Mme P., Mme H. et Mme A. ainsi que l’abus de la carte AMEX, est appropriée et justifiée.

[96]  Ce n’est pas mon rôle de modifier une sanction disciplinaire qui n’est pas erronée ou déraisonnable (Cooper). Je suis convaincue que la mesure disciplinaire était justifiée, comme je l’ai indiqué ci-dessus, et que la sanction imposée se situe au bas du spectre indiqué dans la politique sur la discipline de l’employeur. Cela étant dit, elle n’est pas erronée ou déraisonnable.

[97]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V.  Ordonnance

[98]  Le grief est rejeté.

Le 24 novembre 2016.

Traduction de la CRTEFP

Margaret T.A. Shannon,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique

 

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