Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Vingt-six (26) fonctionnaires s’estimant lésés ont demandé une réparation relativement à la décision de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« employeur ») de recouvrer des crédits de congé annuel (CA) attribués de façon erronée et qui n’étaient pas acquis – les CA recouvrés allaient de 4,9 heures (équivalant à 132,95 $) à 131,65 heures (équivalant à 3 832,54 $) – une vérification amorcée en 2007 et achevée en 2010 a révélé des anomalies dans les dossiers de paye de certains des employés de l’Ontario en raison d’un mauvais calcul des événements ayant une incidence sur le service continu ou discontinu – des mesures ont été prises pour corriger les erreurs de CA – les deux parties ont convenu que les crédits de CA payés en litige ont été attribués par erreur et que l’employeur avait le pouvoir de recouvrer ces crédits – les fonctionnaires s’estimant lésés ont soutenu que l’employeur n’a pas exercé ses droits de direction de manière raisonnable et que sa décision de recouvrer les crédits de CA leur a causé un préjudice – plus particulièrement, les fonctionnaires s’estimant lésés ont soutenu que l’employeur avait agi de manière négligente, que les efforts déployés par au moins une fonctionnaire s’estimant lésée pour corriger ces erreurs ont été contrecarrés par l’employeur, et qu’une période considérable s’était écoulée depuis que les erreurs avaient été commises – l’employeur a soutenu que la loi lui conférait le pouvoir de recouvrer des crédits de CA qui n’étaient pas acquis étant donné que l’existence de préclusion promissoire n’était pas fondée sur des faits, selon lui, et qu’aucun véritable préjudice n’en a découlé – la Commission a conclu que les éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour appuyer la conclusion selon laquelle les fonctionnaires s’estimant lésés avaient subi un véritable préjudice; le fait de devoir rendre les crédits de CA ou de rembourser leur valeur équivalente en argent ne constitue pas en soi un préjudice – cette conclusion était fondée sur la nécessité de veiller à ce que les parties respectent leur convention collective et de ne pas permettre aux employés de conserver des avantages qui ne sont pas acquis et qui entraînent un coût pour le gouvernement – même s’il incombe principalement à l’employeur de tenir et de vérifier correctement les dossiers des employés, comme l’attribution des CA, un préjudice doit être démontré pour établir la faute – il ne suffisait pas aux fonctionnaires s’estimant lésés de montrer qu’une erreur avait été commise dans l’octroi des crédits de CA à leur égard et qu’ils s’y étaient fiés en toute innocence; ils devaient établir que cette confiance leur avait causé un certain préjudice, et que ce préjudice ou résultat injuste devait avoir une certaine importance.

Griefs rejetés.

Contenu de la décision

Date : 20200804

Dossiers : 566-02-11569, 11638, 11639,

11641 à 11657, 11665 à 11668,

et 11671 à 11675

 

XR: 566-02-11569

 

Référence : 2020 CRTESPF 81

Loi sur la Commission des

relations de travail et de

l’emploi dans le secteur public

fédéral et Loi sur les relations de

travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi dans

le secteur public fédéral

Entre

AMIE Doucet, ROSSANA BORUTA, KIM ALBANO, RENEE BEAUDOIN, CHARLES BURROWS, LILLIAN CANTWELL, BRIAN COBB, TANYA (TATJANA) FEGHALI, DANIELA GIANETTI, JEFFREY GILMORE, JANET GOVER, SCOTT GRABER, PATRICIA HALL, terri nicole hart, denise hood, yvonne jacobs, kallee-an jakonen, STACY MITCHELL, ann Mroue, ruth oehrlein, rebekah orr, jeffrey seguin, tessy skretas, john slattery, sophia sokolowski ET tom summers

fonctionnaires s’estimant lésés

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Agence des services frontaliers du Canada)

Employeur

Répertorié

Doucet c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant :  Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour les fonctionnaires s’estimant lésés :  Amanda Montague-Reinholdt, avocate

Pour l’employeur :  Alexandre Toso, avocat

 

Affaire entendue à Toronto (Ontario)

Les 8 et 9 octobre 2019.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I.  Résumé

[1]  Le groupe est composé de 26 fonctionnaires s’estimant lésés qui ont été touchés de manière similaire et dont les noms apparaissent sur la page couverture de cette décision (les « fonctionnaires »). Ils présentent une demande de réparation relativement à la décision de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« employeur ») de recouvrer des crédits de congé annuel (CA) attribués de façon erronée et qui n’étaient pas acquis.

[2]  Les fonctionnaires ne contestent pas le fait que les crédits de CA payés ont été attribués par erreur. Ils ne contestent pas non plus le fait que l’employeur avait le pouvoir de recouvrer les crédits de CA. Ils soutiennent plutôt que l’employeur n’a pas exercé ses droits de direction de manière raisonnable et que sa décision de recouvrer les crédits de CA leur a causé préjudice.

[3]  Les crédits de CA payés recouvrés auprès des employés allaient de 4,9 heures à 131,65 heures. La fonctionnaire qui a comparu à l’audience a indiqué dans son témoignage que, lorsque l’employeur lui a exigé, elle a choisi de rembourser la valeur en argent de 40,26 heures de CA plutôt que de renoncer à cette quantité de crédits de CA au cours du prochain exercice. Le remboursement s’élevait à 100 $ en salaire prélevé à même 10 chèques de paye.

[4]  Malgré les arguments détaillés présentés par l’avocate des fonctionnaires, je conclus que ces derniers ont reçu des crédits de CA payés qu’ils n’avaient pas acquis et, donc, auxquels ils n’avaient pas droit. En dépit des erreurs commises par l’employeur et des efforts honnêtes déployés de bonne foi par au moins une fonctionnaire pour tenter de corriger les crédits de CA qu’elle avait reçus par erreur, je conclus que les fonctionnaires doivent rembourser à l’employeur l’ensemble des crédits de CA non acquis qu’ils ont reçus.

[5]  Les éléments de preuve présentés à l’audience n’étaient pas suffisants pour appuyer la conclusion selon laquelle le remboursement par les fonctionnaires de 4,9 heures (ce qui correspond à 132,95 $) à 131,65 heures (ce qui correspond à 3823,54 $) de CA payés leur avait causé un véritable préjudice. Même si ces fonctionnaires préféreraient conserver les CA supplémentaires non acquis, le fait de devoir les rendre ou de rembourser leur valeur équivalente en argent ne constitue pas en soi un préjudice.

[6]  Cette conclusion se fonde sur la simple nécessité de veiller à ce que les parties respectent leur convention collective et de ne pas permettre aux employés de conserver des avantages qui ne sont pas acquis et qui entraînent un coût pour le gouvernement, sauf dans des circonstances très limitées.

[7]  Il y aurait lieu de déterminer qu’un allègement serait justifié dans ces circonstances si la preuve établissait que celles-ci ont entraîné un véritable préjudice, comme la confiance préjudiciable. Ce n’est toutefois pas le cas dans les griefs dont je suis saisi en l’espèce.

II.  Contexte

[8]  Les parties ont eu l’amabilité de me présenter un exposé conjoint des faits de 41 pages, lequel a été préparé après que j’aie présidé une téléconférence de gestion de cas avec les avocats plusieurs semaines avant l’audience. Lors de la téléconférence, il a longuement été question de la préoccupation selon laquelle la comparution des 40 fonctionnaires (au départ) afin de témoigner de vive voix exigerait considérablement de temps pour l’audience et de ressources. J’ai indiqué aux parties que je voulais fortement qu’elles limitent le besoin de faire comparaître tous les fonctionnaires. L’exposé conjoint des faits est le fruit des discussions préalables à l’audience.

[9]  Malheureusement, au moment de présenter les exposés introductifs et de confirmer les plans pour les témoins à l’audience, l’avocat de l’employeur a indiqué que, faute d’éléments de preuve, il déposerait une requête en vue d’annuler tous les griefs présentés à l’audience sauf celui pour lequel un fonctionnaire s’estimant lésé s’est présenté pour témoigner. Lorsque je lui ai demandé à quel moment il avait présenté un avis de son intention de déposer une telle requête à l’avocate des fonctionnaires, il a répondu avec hésitation qu’il l’avait fait le matin même.

[10]  L’avocate des fonctionnaires a répondu qu’elle n’avait pas encore vu le message qui était censé l’informer de la requête et que, à la lumière de cette tournure surprenante des événements, elle demanderait l’ajournement immédiat de l’audience afin de lui ajouter plusieurs jours pour permettre à tous les fonctionnaires de comparaître et de témoigner.

[11]  Lorsque j’ai rejeté la requête déposée par l’employeur parce qu’elle était inopportune, j’ai réprimandé l’avocat d’avoir déposé une telle requête après avoir participé à la conférence de gestion de cas plusieurs semaines plus tôt, au cours de laquelle l’audience avait été planifiée, ce qui comprenait les témoignages et une liste de témoins. Je lui ai rappelé que, durant la téléconférence, j’avais précisément indiqué que je souhaitais clore l’audience au terme des deux jours réservés des mois plus tôt.

[12]  J’ai également fait remarquer le manque complet de proportionnalité entre l’enjeu de ces griefs et les coûts qu’il faudrait engager pour reporter et réserver de nouveau plusieurs jours d’audience d’ici plusieurs mois.

[13]  Les parties ont présenté les articles pertinents des conventions collectives liés au congé. Elles ont indiqué que les conventions collectives avaient été renouvelées au cours de la période en litige. Ces questions n’ont toutefois pas été contestées ni soulevées à l’audience, et ne seront pas examinées davantage. Les faits ont également mis en lumière les règles relatives au service continu, lesquelles prévoient la méthode de calcul du CA; il a été conclu qu’elles étaient la cause des erreurs ayant donné lieu aux griefs en l’espèce. Je conclus que les détails sur la façon dont ces erreurs sont survenues n’ont aucune valeur probante; ils ne seront donc ni expliqués ni examinés. Simplement dit, l’employeur a commis une erreur dans les calculs de crédits de CA pour les fonctionnaires.

[14]  L’exposé conjoint des faits comprenait, sans toutefois s’y limiter, les éléments suivants :

À tous les moments pertinents, les fonctionnaires travaillaient pour l’employeur et étaient membres du groupe Services des programmes et de l’administration (PA) ou du groupe Services frontaliers (FB), tous deux représentés par le même agent négociateur.

Peu de temps après la fin de chaque exercice, l’employeur préparait un [traduction] « rapport individuel sur les congés » pour l’exercice qui venait de se terminer; le rapport était remis à chaque employé. Ce rapport faisait état des crédits de CA reportés de l’exercice précédent et de ceux accordés au début du nouvel exercice, ainsi que des congés pris, ce qui indiquait le nombre de crédits de CA utilisés à ce jour au cours de cet exercice. Le rapport faisait aussi était du nombre total de crédits de CA restants disponibles pour cet exercice.

Les fonctionnaires devaient présenter des demandes afin d’utiliser leurs crédits de CA, lesquelles devaient être approuvées.

En 2007, l’employeur a relevé des anomalies dans les dossiers de paye de certains employés, ce qui a donné lieu à la tenue d’un examen concernant plus de 2 000 de ses employés du sud de l’Ontario.

Selon les conclusions de l’examen, des erreurs ont été commises en raison d’un mauvais calcul des événements ayant une incidence sur le service continu ou discontinu. En conséquence, certains employés ont reçu des crédits pour de CA non acquis tandis que d’autres en ont reçu moins que ce qu’ils avaient acquis.

L’examen a été achevé en 2010. L’employeur a ensuite pris des mesures en vue de corriger les cas où des crédits de CA ont été accordés ou retenus par erreur entre le 1er avril 2005 et le 31 mars 2011. Aucune mesure n’a été prise pour corriger les erreurs de CA antérieures à cette période.

L’employeur a commencé à envoyer une série de communications à tous les employés touchés et a rétabli les crédits de CA pour ceux qui ont obtenu un nombre inférieur de crédits. Les fonctionnaires ont reçu une explication au sujet de l’examen et un décompte exact de leurs soldes de crédit de CA, moins les corrections qu’il a fallu apporter à la suite des conclusions de l’examen.

Quatre options ont été offertes aux fonctionnaires pour retourner leurs crédits de CA ou rembourser la valeur équivalente en argent. Les choix de remboursement comprenaient des options structurées réparties pendant quatre périodes de paye futures. À la lumière des commentaires formulés par les employés sur les communications, l’employeur a créé une cinquième option pour retourner les crédits de CA. Les détails sur ces options n’ont pas été contestés à l’audience.

 

[15]  Selon l’exposé des faits, les fonctionnaires ont reçu les crédits de CA erronés et non acquis (et leur valeur en argent connexe) suivants. Les fonctionnaires sont énumérés ici en ordre alphabétique en fonction de leur nom de famille :

Albano  9,375 heures (222,85 $)

Beaudoin  31,25 heures (928,94 $)

Boruta  40,26 heures (1130,01 $)

Burrows  82,5 heures (2331,88 $)

Cantwell  23,5 heures (499,66 $)

Cobb  50 heures (1450,75 $)

Doucet  28,125 heures (775,36 $)

Feghali  30 heures (938,17 $)

Giannetti  4,9 heures (132,95 $)

Gilmore  87,5 heures (2665,03 $)

Gover  37,5 heures (1153,18 $)

Graber  28,125 heures (736,12 $)

Hall  12,48 heures (248,77 $)

Hart  78,125 heures (2429,66 $)

Hood  28,125 heures (895,95 $)

Jacobs  131,65 heures (3832,54 $)

Jakonen  84,375 heures (2502,05 $)

Mitchell  59,375 heures (1698,28 $)

Mroue  32,05 heures (1012,98 $)

Oehrlein  15 heures (445,89 $)

Orr  6,25 heures (aucune valeur monétaire équivalente n’a été présentée en preuve)

Seguin  46,875 heures (1577,91 $)

Skretas  47,935 heures (1448,59 $)

Slattery  31,9  heures (967,60 $)

Sokolowski  31,25 heures (716,09 $)

Summers  12,45 heures (406,37 $)

III.  Analyse

[16]  Les fonctionnaires ne contestent pas la capacité de l’employeur de recouvrer les crédits de CA accordés par erreur et qui n’étaient pas acquis. Chacune des parties a toutefois soutenu que cette capacité découlait d’autorisations différentes, et chacune a affirmé que l’autorisation requise renforçait sa cause. Selon les positions soutenues par chacune des parties, si j’acceptais l’approche avancée par l’une, celle-ci soutenait que les faits correspondent à sa proposition et que je devais trancher en sa faveur.

[17]  L’employeur a soutenu que la loi lui conférait le pouvoir de recouvrer des crédits de CA qui n’étaient pas acquis étant donné que l’existence de préclusion promissoire n’était pas fondée sur des faits, selon lui, et qu’aucun véritable préjudice n’en a découlé.

[18]  Les fonctionnaires ont répondu que l’employeur devait s’appuyer sur le vaste ensemble des droits de la direction, pour lesquels il a été établi qu’ils étaient accompagnés d’une obligation d’être exercés raisonnablement et sans préjudice à l’égard des employés. Dans leurs observations, les erreurs de négligence de l’employeur et le temps considérable écoulé, de même que les efforts qui ont été déployés par au moins un fonctionnaire pour corriger l’erreur et qui ont été contrecarrés par l’employeur, indiquent tous que les droits de direction n’ont pas été exercés de manière raisonnable.

A.  Le pouvoir de recouvrer les crédits de CA non acquis ou leur valeur équivalente en argent

[19]  L’employeur m’a renvoyé aux dispositions suivantes de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C., 1985, ch. F-11; la LGFP), qui établissent selon lui le pouvoir statutaire de recouvrer les crédits de CA non acquis :

[...]

Déduction et compensation

155 (1) Le ministre compétent responsable du recouvrement d’une créance […] de Sa Majesté […] peut autoriser, par voie de déduction ou de compensation, la retenue d’un montant égal à la créance sur toute somme due au débiteur ou à ses héritiers par Sa Majesté du chef du Canada.

[]

Recouvrement

(3) Le receveur général peut recouvrer les paiements en trop faits sur le Trésor à une personne à titre de salaire, de traitements ou d’allocations en retenant un montant égal sur toute somme due à cette personne par Sa Majesté du chef du Canada.

[...]

[Je mets en évidence]

[20]  Les deux parties renvoient de manière raisonnable à des extraits de Murchison c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences) pour étayer leurs observations sur ces articles de la LGFP.

[21]  Dans Murchison, on a conclu que l’employeur s’était efforcé dans cette situation de recouvrer des crédits de CA accordés par erreur d’une valeur de 11 564,85 $ (ils s’accumulaient depuis l’exercice 2000-2001 et l’erreur a été découverte à la fin de l’année 2007). Environ cinq ans plus tôt, la fonctionnaire dans cette instance a tenté de signaler l’erreur à son employeur. On a également conclu que l’employeur n’avait pas utilisé toutes les ressources à sa disposition pour corriger le solde de crédits de CA de la fonctionnaire. La Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « CRTFP ») a conclu que le recouvrement de la valeur de ces crédits de CA avait causé une contrainte excessive à la fonctionnaire, ce qui a entraîné l’intervention de la CRTFP.

[22]  En l’espèce, l’avocate des fonctionnaires a fait valoir que la LGFP avait été rejetée dans Murchison, dans laquelle une question semblable sur la tentative de recouvrer de crédits de CA acquis par erreur avait été examinée. On a tiré la conclusion suivante dans cette affaire :

[...]

[47] Le paragraphe 155(3) s’applique aux paiements d’argent en trop. Il dispose clairement que les pouvoirs de recouvrement de l’employeur visent « les paiements en trop […] à titre de salaire, de traitements ou d’allocations ». L’expression « paiement en trop » est significative, tout comme l’expression « à titre de salaire, de traitements ou d’allocations ». Ce sont des termes de l’art correspondant à des concepts distincts de celui des crédits de congé annuel. Les crédits de congé ne sont pas un salaire, un traitement ni des allocations, ce sont des crédits. Tous ces termes (crédits, salaire, traitements, allocations) sont des termes de l’art en droit du travail et même si le salaire, le traitement et les allocations peuvent se ressembler, ce sont des concepts bien différents de ceux des crédits de congé annuel.

[...]

[23]  Dans Murchison, paradoxalement, la CRTFP a d’abord conclu que le paragraphe 155(3) de la LGFP ne donnait pas le pouvoir de recouvrer des crédits de CA puisqu’il avait été déterminé qu’il ne s’agissait pas de paiements et qu’ils n’étaient donc pas visés par le paragraphe 155(3) (au paragraphe 68); elle a ensuite tiré la conclusion suivante (comme l’employeur l’a fait remarquer) (au paragraphe 70) : « [...] le paragraphe 155(3) de la LGFP dispose que le receveur général peut recouvrer les paiements en trop, mais pas qu’il doit le faire ou qu’il le fait nécessairement. Cette disposition [...] autorise l’employeur à exercer son pouvoir discrétionnaire dans une situation ou dans des circonstances données ».

[24]  Parmi les autres affaires citées par les parties dans leur plaidoirie, je prends note des plus récentes sur les tentatives de recouvrement de crédits de CA acquis par erreur. Dans ces décisions, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») ou ses prédécesseurs ne tirent aucune conclusion et ne tentent même pas de savoir d’où provient le pouvoir de l’employeur d’effectuer un tel recouvrement (voir Laybolt c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2019 CRTESPF 114, Paquet c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux - Bureau de la traduction), 2016 CRTEFP 30 et Prosper c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2011 CRTFP 140).

[25]  Toutefois, dans ces décisions et dans la jurisprudence pertinente de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale (qui suivent), on indique qu’il est important que le fonctionnaire démontre la confiance préjudiciable en tant qu’éléments pour faire valoir que la préclusion promissoire s’applique. Je me pencherai sur cette question plus loin dans la présente décision.

[26]  Hormis ma conclusion selon laquelle les deux avocats ont défendu adroitement leurs présentations respectives sur ce point, je n’ai besoin de tirer aucune autre conclusion, car le pouvoir de l’employeur de recouvrer les crédits de CA accordés par erreur et non acquis n’a pas été contesté.

[27]  Je mentionne un précédent de la Cour fédérale pour étayer ma conclusion selon laquelle le litige dont je suis saisi repose essentiellement sur le fait de veiller à ce que les parties respectent les modalités de leurs conventions collectives. Il s’agit essentiellement du fondement du droit du travail et de l’aspect le plus fondamental de mon rôle d’arbitre de grief.

B.  Confiance préjudiciable

[28]  L’avocat de l’employeur a soutenu que pour que les griefs soient accueillis, je devais conclure que les fonctionnaires s’étaient appuyés de manière préjudiciable sur l’octroi erroné des crédits de CA non acquis, ce qui n’a pas été établi.

[29]  Dans son argumentation, l’avocate des fonctionnaires a indiqué qu’ils n’avaient pas invoqué la confiance préjudiciable et qu’il n’était pas nécessaire de le faire pour que j’accueille leurs griefs.

[30]  Plutôt que d’accepter ces observations polémiques, je me suis penché en profondeur sur les nombreuses affaires présentées par les parties et cerné les intérêts qui éclairaient ces décisions. Je proposerai donc un résultat fondé sur les intérêts plus complet axé sur la question de savoir s’il y a eu injustice, vu l’ensemble des circonstances pertinentes.

[31]  Dans Murchison, la CRTFP aborde la question de la confiance préjudiciable comme suit :

[...]

[44] Dans les cas de trop-payé, la jurisprudence de la Commission veut que la charge de prouver la créance désavantageuse incombe aux fonctionnaires s’estimant lésés. Le représentant de la fonctionnaire n’a jamais prouvé qu’il y ait eu créance désavantageuse de nature financière de sa part; il a plutôt allégué que rembourser le montant calculé causerait des difficultés financières à la fonctionnaire. Éprouver des difficultés financières n’équivaut pas à une créance désavantageuse. La créance désavantageuse existe au moment de l’erreur et découle du fait que le ou la fonctionnaire s’estimant lésé se fonde sur la déclaration ou sur l’erreur de l’employeur et contracte une dette ou agit d’une façon indiquant qu’il ou elle s’est fié à la parole ou à l’erreur de l’employeur à son détriment. Les difficultés financières découlent par contre de la découverte de l’erreur et de la demande de l’employeur qui s’ensuit de rembourser ce qui a été reçu à cause d’une erreur. Par conséquent, la doctrine de préclusion, telle qu’elle a typiquement été appliquée dans les cas d’argent payé en trop, ne peut pas être invoquée par la fonctionnaire comme fondement de son grief.

[...]

[51] Si j’ai tort sur ce qui précède, et si le paragraphe 155(3) de la LGFP s’applique en l’espèce, je suis convaincu que la fonctionnaire devrait avoir gain de cause quand même. Comme les deux parties l’ont souligné dans leurs arguments, la fonctionnaire doit prouver une créance désavantageuse. La jurisprudence analyse typiquement ce principe en analysant les obligations financières des fonctionnaires s’estimant lésés et en vérifiant si ces obligations ont été contractées sur la foi des calculs de la rémunération effectués par l’employeur. Toutefois, ces décisions portent sur des affaires classiques de paiement en trop de traitement et de salaire. En l’occurrence, la fonctionnaire s’est fait accorder trop de crédits de congé annuel. Dans son cas, on devrait donc analyser la question de la créance désavantageuse du point de vue des actions d’une fonctionnaire qui s’est enquise de ces crédits et qui a reçu de l’employeur des assurances qu’ils avaient bel et bien été correctement portés à son crédit. La fonctionnaire a pris des congés en se fondant sur son relevé de crédits de congé et, en ce sens, elle s’est fiée à son détriment aux assurances de son employeur. Je conclus qu’elle a prouvé une créance désavantageuse de sa part.

[...]

[Je mets en évidence]

 

[32]  Ainsi, dans Murchison, la CRTFP a conclu qu’il était nécessaire d’établir qu’il y a eu confiance préjudiciable, ce qui a été fait dans ce cas selon la preuve. La CRTFP a déterminé que le fait que la fonctionnaire utilise ses congés parce que l’employeur lui avait dit que ses crédits de CA erronés étaient en fait exacts constituait bel et bien une confiance préjudiciable.

[33]  Bien que les fonctionnaires en l’espèce se soient spécifiquement éloignés de l’argument relatif à la confiance préjudiciable, je mentionne toutefois qu’elle est survenue dans Murchison (au paragraphe 69), lorsque l’arbitre de grief a conclu que la fonctionnaire avait sincèrement tenté d’indiquer à l’employeur qu’elle avait reçu une allocation excessive erronée de crédits de CA pendant plusieurs années, selon elle, pour une somme totale de 11 564,85 $. L’arbitre de grief a ensuite conclu que « […] la créance désavantageuse est évidente du fait qu’elle a pris des congés auxquels elle était convaincue d’avoir droit ». L’avocat de la fonctionnaire a également relevé une conclusion semblable à celle rendue dans Murchison dans Prosper (au paragraphe 70).

[34]  Avec tout le respect que je dois, cette conclusion en est bel et bien une de confiance, mais je rejette la conclusion tirée dans Murchison, selon laquelle elle est essentiellement préjudiciable. Je n’y suis pas contraint et je ne puis souscrire à cet aspect des conclusions tirées par la CRTFP dans Murchison. Je ne suis pas d’accord  qu’un employé qui a reçu à tort des crédits de CA non acquis puisse établir qu’il y a eu confiance préjudiciable simplement en utilisant les crédits non acquis. Je mettrai en application la pertinence de cette affaire aux faits en l’espèce plus loin dans la présente décision.

[35]  Comme il a été indiqué, les affaires citées par les parties mentionnent aussi la directive suivante de la Cour fédérale :

[De Canada (Procureur général) c. Molbak, [1996] F.C.J. 892 (T.D.) (QL) :]

[...]

[Traduction]

1 Malgré l’habile argumentation présentée par l’avocat du requérant, j’ai conclu que la demande de contrôle judiciaire devait être rejetée. En particulier, je ne peux accepter l’argument selon lequel l’arbitre de grief n’avait pas compétence pour entendre le grief et appliquer le principe de préclusion dans cette affaire. En vertu de l’alinéa 92(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35, telle que modifié, un arbitre de grief a compétence en ce qui concerne « l’interprétation ou l’application, à [l’endroit de l’employé], d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale ». Selon moi, la décision de l’employeur de recouvrer le trop payé de salaire est directement attribuable de l’application erronée de la convention collective à la situation du demandeur. Par conséquent, l’arbitre de grief a compétence pour entendre le grief et pour appliquer le principe de la préclusion dans cette affaire. [Voir Menard c. Canada, [1992] 3 C.F. 521, 527-528 (C.A.F.); Ontario Public Service Employees Union v. Ontario (Ministry of Community and Social Services) (1995), 27 O.R. (3d) 135 (Ont. Div Ct.)].

2 L’avocat du demandeur a également soutenu que même si l’arbitre de grief avait compétence pour examiner le principe de préclusion, il a commis une erreur en l’appliquant en l’espèce, car défendeur n’a pas établi sa confiance préjudiciable par rapport aux observations erronées de l’employeur d’une manière directement liée à sa relation d’emploi. Autrement dit, il a soutenu que l’arbitre de grief avait commis une erreur en concluant que la confiance préjudiciable du défendeur par rapport aux observations erronées liées à des questions touchant sa vie personnelle suffisait à satisfaire aux exigences du principe de préclusion. Je ne vois aucun fondement en droit à la restriction de l’application du principe de préclusion de la manière proposée par l’avocat du demandeur. L’avocat du demandeur a concédé en toute franchise qu’il n’avait trouvé aucune jurisprudence à l’appui de cet argument.

[...]

[De Dubé c. Canada (Procureur général), 2006 CF 796 :]

[…]

[45] La doctrine de préclusion promissoire a été énoncée dans l’arrêt Maracle c. Travellers Indemnity Co. of Canada, [1991] 2 R.C.S. 50. À la page 57, le juge John Sopinka s’est prononcé de la façon suivante :

Les principes de l’irrecevabilité fondée sur une promesse [la doctrine de préclusion promissoire] sont bien établis. Il incombe à la partie qui invoque cette exception d’établir que l’autre partie a, par ses paroles ou sa conduite, fait une promesse ou donné une assurance destinées à modifier leurs rapports juridiques et à inciter à l’accomplissement de certains actes. De plus, le destinataire des déclarations doit prouver que, sur la foi de celles-ci, il a pris une mesure quelconque ou a de quelque manière changé sa position [...]

[...]

[Je mets en évidence]

[36]  Dans John Burrows Ltd. v. Subsurface Surveys Ltd., [1968] S.C.R. 607, le juge Ritchie s’est exprimé comme suit à la page 615 :

[Traduction]

[...]

Il me semble évident que ce genre de défense d’équité ne peut être invoquée en l’absence d’une preuve qu’une des parties a mené des négociations qui ont eu pour effet d’amener l’autre à croire que les droits stricts prévus au contrat ne seraient pas appliqués, et je crois que cela suppose qu’il doit y avoir une preuve qui permet de conclure que la première partie avait l’intention que les rapports juridiques établis par le contrat soient modifiés en conséquence des négociations.

[...]

[37]  Cet extrait a été cité avec l’approbation du juge McIntyre dans Engineered Homes Ltd. c. Mason, 1983 CanLII 142 (CSC), au paragraphe 647. Le juge McIntyre a indiqué que la promesse devait être non ambiguë, mais que l’on pouvait conclure comme tel selon les circonstances. Dans Dubé, la Cour fédérale s’est exprimée ainsi :

[...]

[46] En somme, la jurisprudence établit qu’il ne peut exister une telle préclusion promissoire en l’absence d’une promesse, expresse ou implicite, dont les effets sont clairs et précis. Il est également établi que la doctrine de préclusion promissoire exige que la promesse ait mené celui qui a reçu cette promesse à agir autrement qu’il ou qu’elle l’aurait fait en d’autres circonstances : voir La Reine c. Association canadienne du contrôle du trafic aérien, [1984] 1 C.F. 1081 (C.A.F.) à la page 1085.

[47] Afin d’établir les exigences de la doctrine de préclusion promissoire, les demandeurs doivent faire preuve des éléments suivants :

(1) que le Ministère, par ses paroles ou sa conduite, a fait une promesse d’accorder une priorité aux demandeurs visant à modifier leurs rapports juridiques et à inciter à l’accomplissement de certains actes; et

(2) en raison de cet engagement, que les demandeurs ont pris une mesure quelconque ou ont de quelque manière changé leur position.

 

Un prédécesseur de la Commission s’est aussi penché sur cette question dans Paquet, où il a conclu ainsi :

[...]

[42] Le principe de la préclusion est composé de deux volets. En premier lieu, une promesse doit avoir été faite, par le biais de paroles ou de conduite, à la fonctionnaire que l’employeur renonce à lui donner les crédits de congé annuel tel qu’il est prescrit par la convention collective; en deuxième lieu, sur la foi de cette promesse, la fonctionnaire doit avoir pris des congés sans savoir qu’elle n’y avait pas droit, ce qui lui cause maintenant un préjudice car elle doit les remettre.

[43] La Cour fédéral[sic] dans l’affaire Procureur général du Canada c. Yves Lamothe, 2008 CF 411 (CanLII) a indiqué ce qui suit en ce qui concerne la conduite ou la parole :

[...]

La conduite ou la promesse sur laquelle celui qui invoque la doctrine d’estoppel repose doit être « sans équivoque ». Par exemple, l’arbitre R.B. Blasina a dit ce qui suit dans Abitibi Consolidated Inc. and I.W.A. Canada, Local 1-424 (2000), 91 L.A.C. (4th) 21 :

[Traduction]

En d’autres mots, il y aura préclusion lorsqu’une personne ou une partie, de façon non équivoque et par la parole ou ses actions, fera une représentation ou une affirmation dans des circonstances où il serait injuste et inéquitable de ne pas se conformer par la suite à cette représentation ou affirmation. L’injustice ou l’iniquité doivent être d’une certaine importance. Le fait que la représentation ou l’affirmation aient été faites ou non en toute connaissance de cause, ou de façon active ou passive, importe peu. La représentation est perçue comme ayant le sens qui a raisonnablement été donné par la partie qui a soulevé la question de la préclusion.

[...]

[le passage en évidence l’est dans l’original]

[44] Dans leurs représentations, les deux parties m’ont aussi renvoyé à une de mes décisions, soit Prosper, dans laquelle on reprend, au paragraphe 28, les propos sur la préclusion contenus dans Brown and Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition, au paragraphe 2 :2211 :

Le concept de la préclusion équitable est solidement ancré en common law et a été énoncé comme suit :

Le principe, tel que je le conçois, veut que dans des circonstances où une des parties a, par ses paroles ou sa conduite, fait une promesse à l’autre partie ou lui a donné une assurance dans l’intention d’affecter les rapports juridiques entre les parties et qu’il y soit dûment donné suite, alors une fois que l’autre partie s’est fondée sur cet engagement et a agi en conséquence, la personne qui a fait la promesse ou donné l’assurance ne peut ensuite être justifiée de s’en remettre aux rapports juridiques existant auparavant comme si telle promesse ou assurance n’avait pas été faite, mais doit plutôt accepter les rapports juridiques liant les parties assorties de la condition que cette partie a elle-même proposée, bien qu’elle ne soit pas appuyée par quelque autre considération de nature juridique outre sa parole donnée.

Un arbitre a résumé cette doctrine comme suit :

Il appert que la doctrine à cet égard s’articule en deux volets. Il doit y avoir l’existence d’une conduite dans le cadre de laquelle les deux parties agissent ou les deux consentent, et dans laquelle la partie invoquant la préclusion a été amenée à croire que les droits stricts ne seraient pas exécutés. Il s’ensuit que la partie contre laquelle la préclusion est invoquée ne sera pas admise à exécuter ses droits de façon stricte si cela s’avérait inéquitable. Ainsi, il serait inéquitable pour une partie de tenir rigidement à l’exécution de ses droits lorsque la partie invoquant la préclusion est celle qui se serait fondée, à son détriment, sur l’engagement de cette autre partie.

 

Partant, les éléments essentiels de la préclusion sont : l’existence d’une représentation claire et sans équivoque, en particulier lorsque la représentation a été faite dans le contexte d’une négociation; la représentation peut avoir été faite en paroles ou en actes; ou, dans certaines circonstances, elle peut résulter du silence ou de l’acquiescement d’une partie; dont il est l’intention des parties que la partie qui en bénéficie est justifiée de se fonder sur cette représentation; bien que cette intention puisse s’inférer de ce qui peut raisonnablement avoir été compris par la partie; et que la partie a agi, ou n’a pas agi, en conséquence; et cela, a son détriment.

[...]

[45] Il appert donc de cet énoncé que l’existence d’une représentation doit être claire et non équivoque. Comment peut-on donc prétendre que la soi-disant promesse de l’employeur était ici claire et non équivoque si les deux parties conviennent que jusqu’en avril 2012, l’employeur ne savait pas que l’octroi des crédits de congé annuel de la fonctionnaire n’était pas conforme à ce qui avait été négocié entre l’agent négociateur et l’employeur.

[46] À cet égard, je me dois de souligner que la période de temps pendant laquelle cette erreur a perduré ne devrait pas en soi être le seul élément qui porte à conclure que l’employeur a fait des représentations ou des promesses à la fonctionnaire. Encore faut-il à mon avis, démontrer dans la présente affaire que l’employeur s’il ne savait pas, ou a été négligent au point de ne pas voir ce qui était évident. Je ne crois pas que l’employeur savait qu’il y avait erreur dans le calcul des crédits de congé. Je retiens aussi que la fonctionnaire elle-même n’a jamais cherché à vérifier si elle avait droit à ces jours de congé en joignant la fonction publique fédérale. J’ajouterais aussi qu’il ne faut pas perdre de vue le fait que malgré l’erreur de l’employeur qui s’est échelonnée sur une période de 9 ans, soit de 2003 à 2012, la fonctionnaire a malgré tout bénéficié en raison de la prescription qui a empêché l’employeur d’aller récupérer au-delà des 6 ans, de 3 années de congés auquel elle n’avait pas droit selon la convention collective.

[47] Bien que la Commission a conclu, dans Lapointe que l’employeur a été négligent en prenant trop de temps pour réagir, la doctrine de la préclusion doit néanmoins être appliquée avec prudence. On ne saurait y avoir recours systématiquement pour remédier à ce qui apparaît injuste. Soulignons d’abord que dans Lapointe, l’employeur avait été informé par un autre employé de la possibilité d’une erreur dans le calcul des congés et n’a rien fait. Ce n’est pas le cas ici. J’ajouterais de plus qu’il ne suffit pas qu’une erreur ait perduré pendant un certain temps pour conclure qu’il y a eu promesse. Une telle conclusion, selon moi, dénature l’idée véritable derrière le principe de la préclusion, à savoir qu’une partie ne peut sciemment, par ses agissements, amener l’autre partie à croire qu’elle n’exercera pas un droit donné de façon à la tromper. La préclusion est en fait un principe qui empêche une partie qui, en toute connaissance de cause, donne à l’autre partie un sentiment de sécurité quant à une interprétation ou une pratique données mais qui exige par la suite, lorsque l’autre partie n’est plus en mesure de négocier, l’application correcte de cette clause ou pratique. La négligence d’une partie qui ne réagit pas une fois qu’elle est informée d’une erreur potentielle donnerait aussi selon moi ouverture à l’application du principe de la préclusion. Cette démonstration n’a pas été faite dans la présente affaire.

[48] Il faut dans un premier temps démontrer que la partie contre qui la préclusion est invoquée avait l’intention de renoncer à l’application stricte de ses droits. Cette preuve n’a pas été faite ici. Les parties ont convenu qu’une erreur de bonne foi est à l’origine du litige. Le représentant de la fonctionnaire m’a référé à la décision Murchison ou l’arbitre a fait droit au grief sur la base notamment du fait que la fonctionnaire avait à plusieurs reprises questionné l’employeur quant à ses droits par rapport à la question des congés annuels et aussi qu’il avait fallu dans ce contexte quelque 5 ans avant que l’employeur décide de récupérer le trop payé. Dans cette affaire, l’employeur de par les questionnements de Mme Murchison, a été confronté dès le début avec la question du nombre de congé annuel auquel cette dernière avait droit. Après vérification, l’employeur a maintenu la fonctionnaire sous une fausse impression. La présente affaire se distingue à mon avis de la décision Murchison. D’une part, la question de l’application de la préclusion n’a pas été soulevée dans la décision Murchison. D’autre part, dans la présente affaire, contrairement à Murchison où la fonctionnaire a fait des demandes quant à ses droits par rapport aux congés annuels et où l’employeur l’a réconforté dans son erreur. Ici, la fonctionnaire n’a jamais cherché à connaître le nombre de jours de congé annuel auxquels elle avait droit lors de son embauche chez l’employeur.

[...]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[38]  Après avoir lu ces décisions, je souscris à l’argument présenté par l’avocat de l’employeur selon lequel il ne suffisait pas aux fonctionnaires de montrer qu’une erreur avait été commise dans l’octroi des crédits de CA à leur égard et qu’ils s’y étaient fiés en toute innocence; ils devaient plutôt établir que cette confiance leur avait causé un certain préjudice, et que ce préjudice ou résultats injuste devait avoir une certaine importance

[39]  Je souscris à la conclusion de l’arbitre Gobeil, qui a déterminé ce qui suit dans Paquet « [...] la doctrine de la préclusion doit néanmoins être appliquée avec prudence. On ne saurait y avoir recours systématiquement pour remédier à ce qui apparaît injuste » (au paragraphe 47).

[40]  Dans Paquet, on indique aussi (au paragraphe 43) que la Cour fédérale a aussi rendu une décision semblable dans Procureur général du Canada c. Yves Lamothe, 2008 CF 411, et dans 2009 C.A.F. 2, où l’appel avait été rejeté :

[]

En d’autres mots, il y aura préclusion lorsqu’une personne ou une partie, de façon non équivoque et par la parole ou ses actions, fera une représentation ou une affirmation dans des circonstances où il serait injuste et inéquitable de ne pas se conformer par la suite à cette représentation ou affirmation. L’injustice ou l’iniquité doivent être d’une certaine importance [...]

[Je mets en évidence]

 

[41]  J’ai examiné toutes les affaires présentées sur ce point. Dans ma réflexion sur les extraits de ces décisions que j’ai reproduits en l’espèce, je prends particulièrement note de la directive de la Cour fédérale dans Molbak, car elle est liée à l’affaire en l’espèce, laquelle porte essentiellement sur la mise en application adéquate des conventions collectives pertinentes.

[42]  Je prends aussi particulièrement en note la décision de la Cour fédérale dans Lamothe (citée dans Paquet), car elle définit la question dont je suis saisie comme une situation dont les circonstances présentent plus qu’une simple injustice qui mérite l’intervention de la Commission afin d’accorder réparation.

C.  Faute

[43]  J’ai lu la preuve documentaire et écouté le témoignage de Mme Boruta, qui a souligné qu’elle recevait des mises à jour imprimées régulières des rapports individuels sur les congés de son employeur dans le but de lui présenter une ventilation exacte et à jour de ses crédits de CA disponibles. Son contre-interrogatoire à ce sujet et l’argument connexe visaient à établir qu’elle devait signer ces documents afin d’en confirmer l’exactitude. L’avocate des fonctionnaires a soutenu que le témoignage de Mme Boruta montrait que celle-ci s’était raisonnablement fiée à ces mises à jour pour planifier son plan de CA. Les mises à jour produites par l’employeur montraient les crédits de CA erronés qui avaient été accordés, mais qui n’étaient pas acquis.

[44]  Je mentionne la plus récente décision pertinente rendue par la Commission dans Laybolt, laquelle portait sur l’octroi erroné de crédits de CA. Elle a déterminé que « [...] même s’il existe une certaine responsabilité partagée en matière de gestion des congés, il incombe principalement à l’employeur de tenir et de vérifier correctement les dossiers des employés » (au paragraphe 34). Le paragraphe en entier se lit ainsi :

[34] À mon avis, il est important de souligner que même s’il existe une certaine responsabilité partagée en matière de gestion des congés, il incombe principalement à l’employeur de tenir et de vérifier correctement les dossiers des employés. L’employeur a commis l’erreur initiale. Il était en mesure de vérifier les dossiers en tout temps et il a approuvé chacune des demandes de congé subséquentes présentées par la fonctionnaire au cours d’une période de trois ans. À mon avis, l’employeur ne s’est pas acquitté de son devoir de diligence envers la fonctionnaire à ces égards.

[Je mets en évidence]

 

[45]  Dans Laybolt, il a été déterminé que la fonctionnaire avait entièrement épuisé son solde de crédits de CA pour l’exercice en cause, mais son rapport indiquait encore (à tort) qu’il lui restait 252 heures de congés, ce qui, selon les faits, a mené la Commission à conclure « [...] [qu’i]l ne s’agit pas d’une erreur aussi flagrante que l’erreur “manifestement extraordinaire et difficilement compréhensible” décrite dans Prichard [...] ».

[46]  Dans ce contexte, selon mon interprétation, Laybolt se penche sur la question de la connaissance de la fonctionnaire et sur son rôle dans l’octroi erroné, ainsi que toute confiance subséquente à son détriment et toute contrainte, plutôt que de tirer des conclusions sur une responsabilité de tenue de registres.

[47]  Je mentionne également que, à l’instar des faits dans Murchison, la preuve dont je suis saisi établit clairement que Mme Boruta a déployé des efforts sincères et honnêtes à deux reprises au moins, en écrivant à son employeur pour lui poser des questions sur le calcul de son droit à des crédits de CA et lui demander de confirmer des questions à ce sujet. En retour, on lui a assuré à tort que les crédits de CA qu’elle recevait étaient exacts.

[48]  Je conclus que la question touchant les rapports sur les congés et l’identité du responsable de tels rapports n’ont aucune valeur probante en ce qui concerne la question que je dois trancher, comme je l’indique dans mes conclusions pour chaque section de la présente décision.

[49]  Une conclusion de recouvrement injuste de crédits de CA s’apparenterait à la situation d’un fonctionnaire qui ne serait pas au courant d’une erreur ou qui, comme Mme Boruta, aurait en fait tenté de s’informer de l’attribution possiblement erronée de crédits de CA et qui pourrait également établir en preuve qu’il a souffert de véritables contraintes, le dernier élément n’étant pas le cas dans l’affaire dont je suis saisi.

D.  Caractère déraisonnable, négligence et contrainte

[50]  Les fonctionnaires ont fait valoir que les droits de direction généraux ont été réputés être assortis de l’obligation concomitante d’être exercés raisonnablement. Ils s’appuient sur les conclusions tirées par la Commission dans Association des juristes de justice c. Conseil du Trésor, 2018 CRTESPF 38 (« AJJ »), qui s’appuyait quant à elle sur la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Association des juristes de justice c. Canada (Procureur général), 2017 CSC 55, dont voici un extrait :

[...]

[18] Dans les milieux de travail syndiqués, les arbitres en droit du travail reconnaissent le droit résiduel de la direction d’imposer unilatéralement des politiques et des règles en milieu de travail qui n’entrent pas en conflit avec les dispositions de la convention collective (D. J. M. Brown et D. M. Beatty, avec le concours de C. E. Deacon, Canadian Labour Arbitration (4e éd. (feuilles mobiles)), vol. 1, sujet 4:1520). Souvent, ce pouvoir résiduel est expressément reconnu dans une clause dite des droits de la direction. Le paragraphe 5.01 de la convention collective constitue une telle clause, puisqu’il réserve à l’employeur le droit d’exercer tous les pouvoirs de la direction que celui-ci na pas, « dune façon précise, fait diminuer, déléguer ou modifier » par la convention collective.

[19] En ce qui concerne les employeurs du gouvernement fédéral, bon nombre de ces droits résiduels de la direction sont prévus par la loi. En vertu des art. 7 et 11.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, c. F-11, le Conseil du Trésor est autorisé à exercer un certain nombre de pouvoirs différents dans le cadre de ses attributions en matière de gestion des ressources humaines. Il peut notamment : assurer la répartition des effectifs et leur bonne utilisation (al. 11.1(1) a)); déterminer et réglementer les traitements des employés, leurs horaires et leurs congés, ainsi que les questions connexes (al. 11.1(1) c)); régir toute autre question lorsque cela est nécessaire à la bonne gestion des ressources humaines (al. 11.1(1) j)).

[20] Cela dit, le droit résiduel de la direction d’imposer unilatéralement des règles en milieu de travail n’est pas illimité. Les droits de la direction doivent être exercés raisonnablement et conformément à la convention collective (Brown et Beatty, sujet 4:1520; Re Lumber & Sawmill Workers’ Union, Local 2537, et KVP Co. (1965), 16 L.A.C. 73 (Ont.); Irving, par. 24).

[...]

 

[51]  Dans les deux décisions liées à l’Association des juristes de justice, les dispositions relatives aux droits de la direction prévues dans les conventions collectives pertinentes sont aussi analysées. La Commission et la Cour suprême du Canada ont toutes deux mentionné ces dispositions et la Commission a indiqué que « [...] [l’]Employeur agit raisonnablement, équitablement et de bonne foi dans l’administration de la présente convention collective » (au paragraphe 193).

[52]  Les fonctionnaires ont ensuite indiqué que dans AJJ, la Commission a indiqué ce qui suit, en citant la décision rendue par la Cour suprême du Canada (au paragraphe 24, lorsqu’elle cite la décision Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée., 2013 CSC 34) :

[traduction] Pour évaluer le caractère raisonnable, les arbitres en droit du travail sont appelés à mettre à profit leur expertise dans ce domaine, à tenir compte de toutes les circonstances et à décider si la politique de l’employeur établit un équilibre raisonnable. Pour ce faire, ils peuvent tenir compte notamment de la nature des intérêts de l’employeur, de l’existence de tout autre moyen moins attentatoire de répondre aux préoccupations de l’employeur ainsi que de l’incidence de la politique sur les employés.

[Je mets en évidence]

 

[53]  Les fonctionnaires n’ont invoqué aucune section semblable sur les droits de direction de leurs conventions collectives. Peu importe, même si je ne tire pas de conclusion sur l’origine du pouvoir de recouvrer les crédits de CA, je me pencherai sur leurs observations concernant l’obligation de l’employeur d’agir de manière raisonnable comme si elle s’appliquait mutatis mutandis aux droits de direction généraux couramment reconnus dans la jurisprudence arbitrale comme étant issus de la LGFP.

[54]  Dans AJJ, la Commission s’est longuement penchée sur l’équité, le caractère raisonnable et l’équilibre des intérêts tel qu’ils ont été appliqués aux questions dont elle était saisie. Dans son examen des précédents arbitraux historiques sur cette question, qui tirent leur origine de la décision connue sous le nom KVP Co. (1965), 16 L.A.C. 73, elle a indiqué ce qui suit :

[...]

[200] Lorsqu’ils équilibrent les intérêts de l’employeur et des employés afin de déterminer le caractère raisonnable, certains facteurs que les arbitres de griefs et les arbitres de différends ont pris en considération comprennent la nature des intérêts de l’employeur et l’objectif de son instauration d’une politique ou d’une directive unilatérale, la question de savoir si les mesures adoptées avaient un lien rationnel avec les objectifs de l’employeur, la question de savoir s’il existait des moyens moins envahissants pour réaliser les objectifs de l’employeur et l’incidence des mesures sur les employés (voir, par exemple, Pâtes & Papier Irving, Ltée.; et Peace County Health v. United Nurses of Alberta, 2007 CanLII 80624 (AB GAA).) Toutefois, l’évaluation du caractère raisonnable et l’équilibre des intérêts en ce qui concerne l’exercice des droits de la direction unilatéraux doit être faite dans le contexte de la relation de négociation collective des parties et de la convention collective qu’ils ont négociée. Dans Canadian National Railway Co. v. C.A.W. - Canada (2000), 95 L.A.C. (4e) 341, à la page 375, tel qu’il est cité dans Peace County Health, au paragraphe 37, l’arbitre de grief, Michel Picher, a indiqué ce qui suit :

[Traduction]

Une partie essentielle de l’équilibre des intérêts consiste à déterminer si une règle promulguée par l’employeur est raisonnable. Toutes les parties devant l’arbitre de différends reconnaissent que, en l’absence d’un langage contraire dans une convention collective, il est loisible à un employeur d’élaborer des politiques et des règles régissant ses employés, sous réserve de certaines normes générales reconnues. Ces normes, qui sont mieux décrites dans [la décision KVP Co.], comprennent l’exigence, récemment reconnue par les tribunaux, selon laquelle une politique ou une règle doit se rapporter aux intérêts opérationnels légitimes de l’employeur et qu’elle doit être raisonnable ((Metropolitan Toronto (Municipality) v. C.U.P.E., Local 43 (1990), 1990 CanLII 6974 (ON CA), 69 D.L.R. (4e) 268 (Ont. C.A.)). Tel que cela sera discuté davantage ci-dessous, un élément qui doit être pris en considération dans l’évaluation du caractère raisonnable est la question de savoir si une règle instaurée par la direction est incohérente avec une disposition de fond d’une convention collective, y compris la protection des employés contre une mesure disciplinaire ou un congédiement sans motif valable.

[201] Dans les deux griefs dont je suis saisie, l’exercice unilatéral de l’employeur de ses droits de la direction d’exiger que tous les membres de l’unité de négociation qui étaient des employés chargés de comptabiliser leur temps participent à l’exercice de rapprochement et de demander, sinon exiger, que les employés en congé pour une longue durée de participer également à l’exercice ont une incidence directe sur l’administration et l’application de la convention collective et, plus particulièrement, sur ses dispositions relatives aux congés.

[...]

[Je mets en évidence]

 

[55]  Je différencie ces cas de droits de direction au regard de leurs faits, car ils portent sur l’imposition de nouvelles politiques en milieu de travail qui avaient une incidence bien plus grande sur les employés que des attributions erronées de crédits de CA non acquis.

[56]  Je rejette catégoriquement l’affirmation selon laquelle un équilibre des intérêts est en jeu en l’espèce. L’attribution erronée de crédits de CA non acquis exige plutôt à la Commission de s’assurer que les parties respectent les modalités de leurs conventions collectives, à moins que les circonstances indiquent que le recouvrement de ces crédits non accumulés ait entraîné de véritables contraintes qu’il serait injuste de laisser de la sorte.

[57]  L’avocate des fonctionnaires a également mentionné la décision rendue par la CRTFP dans Lapointe c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences) 2011 CRTFP 57. Cette affaire portait sur un trop payé de salaire pendant quatre ans, dont la somme s’élevait à 9666,56 $, pour laquelle le fonctionnaire n’avait reçu aucun avis selon lequel elle avait été versée par erreur. On a conclu qu’il avait compté sur cette paye supplémentaire pour conclure d’autres engagements financiers, ce qu’il n’aurait pas fait autrement (au paragraphe 33).

[58]  Je mentionne qu’aucun des faits présentés dans Lapointe n’apparaît dans les questions dont je suis saisi. L’avocate des fonctionnaires a indiqué que la CRTFP avait tiré la conclusion suivante dans Lapointe :

[...]

[32] Dans l’ensemble, il me semble raisonnable de croire que l’employeur a eu plus d’une occasion de vérifier le salaire du fonctionnaire, tout particulièrement lors des augmentations d’échelon et du renouvellement de la convention collective. La constatation d’une erreur administrative plusieurs années plus tard n’excuse pas l’employeur de son devoir de vigilance quant à la juste rémunération de son employé tel qu’il est prévu par la convention collective.

[...]

 

[59]  Comme l’arbitre de grief Paquet l’a indiqué dans Murphy c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans ), 2013 CRTFP 116 (en s’appuyant sur Molbak), lors de l’examen d’une allégation de préclusion, il doit en fait y avoir une promesse et une confiance préjudiciable. Il a ajouté que la preuve devait établir les préjudices subis par le fonctionnaire (au paragraphe 27). Il a indiqué que dans Molbak, une indemnité de transfert de 5440 $ avait été promise à la fonctionnaire, et que cette dernière s’y était fiée pour prendre des décisions; la somme lui a été versée et on a par la suite tenté de la recouvrer. La preuve dans cette affaire a démontré que la fonctionnaire aurait pris des décisions différentes si l’indemnité ne lui avait pas été promise.

[60]  En renvoyant à Murchison, on a soulevé dans Murphy que l’on avait cherché à recouvrer des attributions erronées de crédits de CA de plus de 11 000 $ accumulés pendant plus de sept ans, ce qui, selon les conclusions, constituait une contrainte excessive pour la fonctionnaire. Dans Murphy, on a également renvoyé à Defoy c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossier de la CRTFP 166-02-25506 (19941025), C.R.T.F.P.C. no 131 (QL), dans laquelle il a été conclu qu’une employée s’était fiée à la promesse d’un financement provisoire de son employeur pour faire un prêt hypothécaire, ce qui l’avait ainsi placée dans une situation financière plus lourde. En conséquence, l’arbitre de grief a tranché en faveur de son grief.

[61]  Je conclus que les affaires citées, dans lesquelles des conclusions de négligence (Murchison) et de manquement à l’obligation de diligence (Laybolt) ont été tirées, à titre de deux exemples seulement, ne fournissent aucune directive utile pour trancher les griefs dont je suis saisi.

[62]  Le terme « négligence » et le terme connexe « obligation de diligence » (je mentionne que ces affaires ne délimitaient pas la norme de diligence) sont issus du droit privé de la responsabilité délictuelle. À mon humble avis, je ne vois pas en quoi ces affaires sont pertinentes lorsqu’il est question de la nécessité de veiller au respect de la convention collective par les parties et d’accorder réparation pour ce qui pourrait autrement constituer le résultat injuste d’une partie qui prouve que le recouvrement d’un avantage attribué par erreur et non acquis a entraîné une véritable contrainte.

[63]  Les affaires présentées par les parties, que j’ai analysées, présentent une analyse juridique détaillée de plusieurs concepts. Comme je l’ai mentionné, il ne m’est pas nécessaire de déterminer d’où provient le pouvoir de recouvrer les crédits de CA.

[64]  J’ai cherché à les résumer comme suit afin de présenter une approche plus pragmatique et, selon moi, donner un résultat plus bref, mais tout de même juste, pour les griefs dont je suis saisi :

L’employeur avait-il le pouvoir de recouvrer l’avantage non acquis?

Cela n’a pas été contesté.

Les fonctionnaires ont-ils été soumis à une véritable contrainte, autrement que le simple fait de remettre l’avantage, ce qui est directement attribuable au recouvrement?

On ne trouve aucun détail, ni dans l’exposé conjoint des faits ni dans le témoignage livré de vive voix par Mme Boruta, qui indique une contrainte, hormis le fait que les fonctionnaires auraient préféré ne pas devoir rendre les crédits de CA attribués par erreur ou leur valeur équivalente en argent. Je précise que dans de nombreuses affaires sur lesquelles les parties se sont appuyées, lorsque la Commission ou ses prédécesseurs sont intervenus, les affaires portaient sur des sommes de près de 10 000 $.

À la lumière de toutes les circonstances pertinentes, comme la confiance préjudiciable démontrée par la preuve, le passage excessif du temps et les efforts déployés par les fonctionnaires pour corriger l’erreur, serait-il injuste de laisser la contrainte attribuable au recouvrement de l’avantage se poursuivre?

Je suis au courant des efforts sincères déployés par Mme Boruta (à tous le moins) pour chercher à rectifier l’erreur commise par l’employeur et je reconnais qu’une quantité considérable de temps s’est écoulée avant que le problème ne soit corrigé; toutefois, ces facteurs ne suffisent pas à me convaincre d’accueillir les griefs sans disposer de preuves supplémentaires au sujet d’une véritable contrainte. Comme je l’ai indiqué plus tôt, je rejette la notion selon laquelle le simple fait d’utiliser les crédits de CA attribués par erreur et non accumulés constituait en soi une preuve de confiance préjudiciable. On peut établir la confiance, mais cela n’établit pas nécessairement un préjudice en soi. Je mentionne aussi que l’employeur a agi sans tarder pour corriger les erreurs une fois qu’il les a relevées et que les employés disposaient de plusieurs options pour retourner les crédits; en outre, une autre option proposée par les employés dans leurs commentaires sur l’avis écrit avait aussi été adoptée.

IV.  Conclusion

[65]  Pour les motifs que j’ai exposés plus tôt en l’espèce, je conclus qu’aucun des griefs n’est étayé par une preuve démontrant une véritable contrainte allant au-delà de l’inconvénient, peut-être un inconvénient irritant dans le cas de Mme Boruta. Elle a raison d’être très frustrée par les efforts sincères et honnêtes qu’elle a déployés pour poser des questions sur les crédits de CA qui lui étaient attribués et en confirmer l’exactitude, comme elle l’affirme. Je crois toutefois que son choix de rembourser la valeur des crédits de CA attribués par erreur et non acquis en tranches de 100 $ par chèque de paye pendant 10 périodes de paye constitue une contrainte qui constitue une injustice.

[66]  J’arrive à la même conclusion, que je suive les observations de l’employeur sur le manque de preuve à l’appui de la confiance préjudiciable ou que j’examine le caractère raisonnable de l’exercice des droits de direction. Les griefs ont échoué.

[67]  Tous les fonctionnaires doivent rembourser les crédits de CA réels ou leur valeur équivalente en argent pour assurer le respect des modalités des conventions collectives convenues entre les parties.

[68]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V.  Ordonnance

[69]  Les griefs sont rejetés.

Le 4 août 2020.

Traduction de la CRTESPF

Bryan R. Gray,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

 

 

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