Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’employeur a objecté que les griefs n’avaient pas été présentés au premier parlier de la procédure de règlement des griefs individuels dans les délais impartis – la Commission a conclu que l’employeur n’avait pas rejeté les griefs, au premier palier de la procédure de règlement des griefs, parce qu’ils auraient été présentés hors délais – la Commission a conclu qu’il n’était pas clair que l’employeur avait rejeté les griefs, au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, parce qu’ils auraient été présentés hors délais au premier palier – la Commission a conclu que l’absence de décision dans les délais impartis, au palier final de la procédure de règlement des griefs, équivalait au rejet non motivé des griefs – la Commission a conclu que, dans les circonstances, les dispositions de l’article 63 et du paragraphe 95(2) du Règlement interdisaient à l’employeur de soulever, à l’arbitrage de griefs, une objection fondée sur les délais de présentation au premier palier de la procédure de règlement des griefs – la Commission a ajouté que les décisions que l’employeur avait rendues au palier final de la procédure de règlement des griefs après le renvoi des griefs à l’arbitrage, qui rejetaient les griefs pour non-respect des délais de présentation au premier palier, étaient nulles, sans effet et ne sauraient faire perdre au fonctionnaire s’estimant lésé le droit à l’arbitrage de ses griefs.


Objection rejetée.

Contenu de la décision

Date:  20200910

Dossiers:  566-02-41224 et 41303

 

Référence:  2020 CRTESPF 87

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Marc LeFebvre

fonctionnaire s'estimant lésé

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Service correctionnel du Canada)

 

employeur

Répertorié

LeFebvre c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

Devant :  Nathalie Daigle, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé :  François Ouellette, avocat

Pour l'employeur :  Valerie Taitt et Dominique Goulet, Secrétariat du Conseil du Trésor

Décision rendue sur la base d'arguments écrits,
déposés
les 13 et 28 janvier et les 4 et 21 février 2020.


MOTIFS DE DÉCISION

I.  Question devant la Commission

[1]  Marc LeFebvre, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a renvoyé deux griefs à l’arbitrage. L’employeur a exprimé une objection que ces griefs sont hors délai.

[2]  Pour les raisons qui suivent, je conclus que l’employeur n’a pas le droit de soulever une objection à l’égard des délais de présentation au premier palier de la procédure de règlement de griefs, puisque les griefs n’ont pas été rejetés pour ce motif à tous les paliers de cette procédure.

II.  Contexte

A.  Dossier 566-02-41303

[3]  Le 19 juin 2019, le fonctionnaire a présenté un premier grief à l’employeur (dossier 566-02-41303). À ce moment, l’agent négociateur qui le représentait était l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (le « Syndicat »). Le grief était rédigé comme suit :

Dans le cadre de mon emploi d'agent de correction pour le SCC (syndicat UCCO), j'ai pris un congé de paternité du 3 juillet au 6 août 2015.

Lorsque j'ai fait les démarches auprès des conseillers régionaux en rémunération pour les aviser de ce congé, on m'a informé que je ne pouvais pas bénéficier du versement de l'indemnité de paternité à 93 % de mon taux de rémunération hebdomadaire du moment (moins toute somme couverte par le RQAP) et ce, puisque ma conjointe travaillait au SCC. On m'a alors informé que le SCC n'accordait cette indemnisation à 93 % du salaire qu'à un seul des deux employés du SCC. Conséquemment, je n'ai reçu aucune indemnisation du SCC pour la période visée et je n'ai reçu que du RQAP.

Or, le 2019-06-11, on m'a informé que cette décision ne reposait que sur une mauvaise interprétation des conseiller [sic] en rémunération et que j'aurais dû avoir accès à l'égalité de 93 % de mon taux de rémunération hebdomadaire du moment (moins toute somme couverte par le RQAP), tel que le stipulait la convention collective.

 

[4]  L’employeur a rejeté le grief au premier palier de la procédure de règlement de griefs et a avisé le fonctionnaire de sa décision le 25 juillet 2019. Bien que l’employeur ait noté que « votre grief a été présenté hors des délais prescrits à l’article 18.15 de la convention collective […] », il a cependant rejeté le grief sur le fond.

[5]  L’employeur a rejeté le grief au deuxième palier de la procédure de règlement de griefs et a avisé le fonctionnaire de sa décision le 9 septembre 2019. Encore une fois, bien que l’employeur ait noté que « votre grief a été présenté hors des délais prescrits […] », il a cependant rejeté le grief sur le fond.

[6]  Le fonctionnaire a présenté son grief au palier final de la procédure de règlement de griefs. N’ayant pas reçu de décision de l’employeur à ce palier dans les délais prescrits, il a renvoyé son grief à l’arbitrage le 10 décembre 2019, en vertu de l’alinéa 209(2) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »). L’employeur a été avisé du renvoi le 19 décembre 2019.

[7]  Le 14 janvier 2020, l’employer a « rendu une décision » au palier final de la procédure de règlement de griefs, par laquelle il rejetait le grief au seul motif que « le grief a été déposé au-delà du délai prescrit au paragraphe 20.11 de la convention collective […] »

[8]  Le 4 février 2020, l’employeur a avisé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») qu’il déposait une objection au motif que le grief était hors délai. Je note que cette objection est elle-même hors-délai, selon le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (le « Règlement »), puisqu’elle a été présentée 31 jours après que l’employeur a été avisé du renvoi à l’arbitrage. Plus précisément, elle a été présentée après 16 h le 30e jour, tel que prorogé par ordonnance de la présidente pendant la période des Fêtes 2019-2020. À ce moment, le par. 9(1) du Règlement prévoyait que « le document reçu par la Commission après seize heures, heure d’Ottawa, est réputé avoir été reçu le jour suivant qui n’est ni un samedi ni un jour férié. »

[9]  Le 20 février 2020, le fonctionnaire a présenté à la Commission ses commentaires en réponse à l’objection de l’employeur. Le fonctionnaire ne s’est cependant pas opposé à l’objection sur la base qu’elle était elle-même hors-délai.

B.  Dossier 566-02-41224

[10]  Le 26 juin 2019, le fonctionnaire a présenté un autre grief à l’employeur (dossier 566-02-41224). À ce moment, l’agent négociateur qui le représentait était l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« Alliance ») :

Je dépose un grief au motif que, dû à des renseignements erronés reçus de la rémunération, je n'ai pas pu pleinement profiter de l'indemnité parentale telle [sic] qu'indiqué dans l'article 43.02, indemnité parentale, table SV [de la convention collective des Services de l'exploitation (SV)], du 03 Août au 06 Sept. 2014 ET l’article 39.02, Table SV, du 31-07-2011 au 03-09-2011 et pour la période du 29-07-2012 à 01-09-2012.

 

[11]  L’employeur a rejeté le grief au premier palier de la procédure de règlement de griefs et a avisé le fonctionnaire de sa décision le 25 juillet 2019. Bien que l’employeur ait noté que « votre grief a été présenté hors des délais prescrits à l’article 18.15 de la convention collective […] », il a cependant rejeté le grief sur le fond.

[12]  L’employeur a rejeté le grief au deuxième palier de la procédure de règlement de griefs et a avisé le fonctionnaire de sa décision le 9 septembre 2019. Or, bien que l’employeur ait noté que « votre grief a été présenté hors des délais prescrits […] », il n’est pas clair qu’il ait rejeté le grief pour cette raison.

[13]  Le fonctionnaire a présenté son grief au palier final de la procédure de règlement de griefs. N’ayant pas reçu de décision de l’employeur à ce palier dans les délais prescrits, il a renvoyé son grief à l’arbitrage le 19 novembre 2019 en vertu de l’alinéa 209(2) de la Loi. L’employeur a été avisé du renvoi le 27 novembre 2019.

[14]  Le 20 décembre 2019, l’employer a « rendu une décision » au palier final de la procédure de règlement de griefs, par laquelle il rejetait le grief au seul motif que « le grief a été déposé au-delà du délai prévu au paragraphe 18.15 de la convention collective […] »

[15]  Le 13 janvier 2020, l’employeur a avisé la Commission qu’il déposait une objection au motif que le grief était hors délai. Le 27 janvier 2020, le fonctionnaire a présenté à la Commission ses commentaires en réponse à l’objection de l’employeur.

C.  Représentations écrites

[16]  Le 13 mai 2020, les parties ont été informées que la question du respect du délai de présentation des griefs au premier palier de la procédure de règlement des griefs serait traitée comme une question préliminaire. Après avoir reçu les réponses du fonctionnaire les 28 janvier et 21 février 2020, concernant les objections de l’employeur, la Commission a invité l’employeur à fournir sa réplique, selon le cas, au plus tard le 1er juin 2020. De même, le fonctionnaire a été invité à répondre à la réplique de l’employeur, le cas échéant, au plus tard le 8 juin 2020.

[17]  En date du 1er juin 2020, la Commission n’avait reçu aucune réplique de la part de l’employeur. En conséquence, le fonctionnaire n’a pas eu à y répondre.

III.  Question à trancher : L’employeur peut-il soulever une objection au motif que les griefs ont été présentés en retard au premier palier de la procédure de règlement de griefs?

[18]  Dans le dossier 566-02-41224, l’employeur a soutenu que le grief avait été déposé après la période prescrite pour présenter un grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs et qu’il était donc hors délai. Il soumet que la convention collective entre le Conseil du Trésor et l’Alliance, pour l’unité de négociation du groupe Services de l'exploitation (SV), venant à échéance le 20 juin 2014, stipule en partie ce qui suit à l'article 18.15 :

Un employé-e s'estimant lésé peut présenter un grief au premier palier de la procédure de la manière prescrite par la clause 18.08 au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il est informé ou prend connaissance de l'action ou des circonstances tenant lieu au grief.

 

[19]  Dans le dossier 566-02-41303, l’employeur a soutenu que le grief avait aussi été présenté après la période prescrite au premier palier de la procédure de règlement des griefs et qu’il était donc hors délai. Il ajoute que la convention collective entre le Conseil du Trésor et le Syndicat stipule ce qui suit  à l'article 20.11 :

20.11 Au premier (1er) palier de la procédure, un grief de la manière prescrite au paragraphe 20.07 peut être présenté, au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il est notifié, oralement ou par écrit, ou prend connaissance, pour la première fois, de l'action ou des circonstances donnant lieu au grief.

[20]  Ces clauses établissent le délai pour présenter un grief au premier palier de la procédure de règlement de griefs. Elles prévoient qu’au premier palier de la procédure, un grief peut être présenté au plus tard le vingt-cinquième jour qui suit la date à laquelle le fonctionnaire est notifié, oralement ou par écrit, ou prend connaissance, pour la première fois, de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief.

[21]  En conséquence, l’employeur allègue que le fonctionnaire était tenu de présenter initialement ses griefs au plus tard 25 jours après avoir eu connaissance de l’événement ou de toute autre question ayant donné lieu aux griefs, ou après le jour où il en a été avisé avis, selon la première éventualité.

[22]  L’employeur a soutenu dans son objection que les griefs ont été présentés après l’expiration de ce délai. Il résume sa position comme suit :

Dossier 566-02-41224 (observations datées du 13 janvier 2020):

[…]

Aucune explication n’a été fournie afin d'expliquer le délai entre les congés parentaux du plaignant et la soumission de son grief. Les dates de cesdits [sic] congés parentaux ayant donné lieu au griefs [sic] ont largement dépassé les délais prescrits à l'article 18.15 de la convention collective applicable.

Considérant ce qui précède, l’employeur demande respectueusement à la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique de rejeter le grief en raison du non-respect du délai tel qu’illustré précédemment. À défaut d’obtenir cette ordonnance, l’employeur souligne son intention de soulever à nouveau son objection lors d’une éventuelle audience.

[…]

Dossier 566-02-41303 (observations datées du 3 février 2020) :

[…]

L’employeur soumis [sic] respectueusement n'avoir reçu aucune information de la part du syndicat ou de l’employé concernant le moment où il aurait pris connaissance des circonstances donnant lieu au grief. N’ayant aucun avis contraire, l’employeur est donc d’avis que le grief en question est hors délais, puisqu’il aurait été soumis plusieurs années suivant le congé parental. L’employeur demande donc respectueusement à la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique de rejeter le grief en raison du non-respect du délai tel que décrit.

[]

 

[23]  Selon l’employeur aucune explication n'a été fournie justifiant le délai entre les congés parentaux du plaignant et la présentation de ses griefs au premier palier de la procédure de règlement de griefs.

[24]  Dans ses observations datées du 27 janvier 2020, le fonctionnaire a fait valoir que les deux griefs ont été présentés au premier palier de la procédure de règlement des griefs dans les jours qui ont suivi le moment où il a « pris connaissance de sa cause d’action » [le passage en évidence l’est dans l’original]. Il invite d’ailleurs la Commission « à suivre le courant jurisprudentiel établi par la Commission » au sujet de l’article 95 du Règlement. Il ajoute :

Toutes ces décisions [Lafrance c. Conseil du Trésor (Statistique Canada), 2006 CRTFP 56, Sidhu c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 76; McWilliams et al. v. Treasury Board (Correctional Service of Canada), 2007 PSLRB 58 et Pannu v. Treasury Board (Correctional Service of Canada), 2020 FPSLREB 4] sont unanimes : en vertu de l’article 95 […], l’employeur ne peut soulever à l’étape de l’arbitrage de grief d’objection quant au délai de présentation d’un grief que si le grief a été rejeté pour cette raison dès la première possibilité et à toutes les étapes subséquentes de la procédure applicable aux grief [sic]. De plus, une telle objection doit être soulevée dans les 30 jours de la réception par l’employeur de l’avis de renvoi du grief à l’arbitrage. [souligné dans l’original]

[25]  Le fonctionnaire n’a pas soulevé d’objection, toutefois, au dépôt de l’objection du fait qu’elle a été déposée auprès de la Commission après seize heures le 30e jour suivant la réception, par l’employeur, de l’avis de renvoi à l’arbitrage dans le dossier 566-02-41303.

[26]  Dans ses observations datées du 20 février 2020, le fonctionnaire a ajouté qu’il ne comprenait pas que l’employeur estime n’avoir reçu aucune information de la part du fonctionnaire concernant le moment où il aurait pris connaissance des circonstances donnant lieu au grief. Il a précisé que ces informations figuraient à même le libellé du grief en termes très clairs. Il rappelle que le grief précise ce qui suit :

Lorsque j’ai fait les démarches auprès des conseillers régionaux en rémunération pour les avisés [sic] de ce congé, on m'a informé que je ne pouvais bénéficier du versement de l'indemnité de paternité de 93 % de mon taux de rémunération hebdomadaire […] et ce, puisque ma conjointe travaillais [sic] au SCC [] Or, le 2019-06-11, on m’a informé que cette décision ne reposait que sur une mauvaise interprétation des conseiller [sic] en rémunération et que j’aurais dû avoir accès à l’indemnité de 93 % de mon taux de rémunération hebdomadaire […].

 

[27]  Indépendamment de la question de savoir si le fonctionnaire a présenté ses griefs au premier palier de la procédure de règlement des griefs dans les délais prescrits, ou même en supposant que les griefs ont été présentés tardivement, l’employeur a-t-il néanmoins le droit de présenter une objection relative au respect des délais après le renvoi de ces griefs à l’arbitrage?

[28]  Selon l’article 63 du Règlement, un grief ne peut être rejeté au motif qu’il a été présenté au-delà des délais prescrits à un palier inférieur de la procédure de règlement des griefs que s’il a été rejeté à ce palier pour cette même raison. Ce point est mentionné de nouveau au paragraphe 95(2), qui prévoit qu’une objection quant au respect des délais de présentation d’un grief ne peut être soulevée, dans les trente jours du renvoi à l’arbitrage, que si le grief a été rejeté au palier pour lequel le délai n’a pas été respecté, et à tout palier subséquent de la procédure applicable au grief, en raison de ce non-respect.

[29]  L’employeur a-t-il rejeté les griefs pour ce motif à tous les paliers de la procédure de règlement de griefs précédant leurs renvois à l’arbitrage?

[30]  Dans les deux dossiers, soit 566-02-41224 et 566-02-41303, au premier palier de la procédure de règlement de griefs, l’employeur a noté que « votre grief a été présenté hors des délais prescrits à l’article 18.15 de la convention collective […] » mais il n’a pas rejeté les griefs pour cette raison.

[31]  Au deuxième palier de la procédure, l’employeur a à nouveau noté que le grief 566-02-41303 « a été présenté hors des délais prescrits à l’article 18.15 de la convention collective […] », mais il n’a pas rejeté le grief pour cette raison.  De plus, il n’est pas clair que l’employeur ait rejeté le grief 566-02-41224 pour cette même raison.

[32]  De toute façon, à la date du renvoi à l’arbitrage de chacun des griefs 566-02-41224 et 566-02-41303, l’employeur n’avait pas encore rendu de décision à leur égard au dernier palier de la procédure dans les délais qui lui étaient impartis. Puisqu’une absence de décision dans les délais requis équivaut à un rejet sans motif, l’employeur n’avait pas rejeté les griefs à ce palier parce qu’ils avaient été présentés en retard au premier palier. Les exigences de l’article 63 du Règlement n’ont donc pas été rencontrées.

[33]  Plus précisément, le paragraphe 90(2) du Règlement prévoit que si l’employeur n’a pas remis une décision au dernier palier de la procédure de règlement de griefs à l’intérieur de la période prescrite, le grief peut être renvoyé à l’arbitrage. Comme le fonctionnaire n’avait reçu aucune décision de l’employeur au dernier palier, il a renvoyé ses griefs à l’arbitrage le 19 novembre 2019 (date de réception du renvoi par la Commission dans le dossier 566-02-41224) et le 10 décembre 2019 (date de réception du renvoi par la Commission dans le dossier 566-02-41303).

[34]  Au bout du compte, le 20 décembre 2019, l’employeur a « rendu une décision » au dernier palier de la procédure de règlement des griefs pour le premier grief (566-02-41224) et le 14 janvier 2020 pour le deuxième grief (566-02-41303). Dans ces deux « décisions », l’employeur a rejeté les griefs au motif qu’ils n’avaient pas été présentés dans le délai prévu par la convention collective applicable et que, par conséquent, ils étaient hors délai.

[35]  Dans le dossier 566-02-41224, l’employeur a aussi exprimé une objection que l’Alliance, c’est-à-dire l’agent négociateur qui a appuyé la présentation du grief, n’a pas approuvé la présentation aux paliers subséquents ni le renvoi à l’arbitrage. Ainsi, selon l’employeur, conformément à l’article 213 de la Loi, puisque le grief se rattache à l'application de la convention collective applicable à l’unité de négociation du groupe Service de l’exploitation, le fonctionnaire n’a pas le droit de renvoyer ce grief à l’arbitrage à moins d’obtenir l’approbation de l’Alliance et de se faire représenter par elle. Il est entendu que cette question pourra être tranchée sur le fond à l’audience.

[36]  Tel que mentionné plus tôt, l’employeur n’avait rendu aucune décision au dernier palier de la procédure de règlement des griefs avant le renvoi des griefs à l’arbitrage. Les « décisions » que l’employeur a rendues à ce palier ne l’ont été qu’après le renvoi des griefs à l’arbitrage.

[37]  L’article 72 du Règlement établit les délais pour répondre aux griefs à chaque palier de la procédure de règlement de griefs, comme suit :

72 (1) Sauf dans le cas du grief individuel ayant trait à la classification, la personne dont la décision en matière de griefs individuels constitue le palier approprié de la procédure remet sa décision au fonctionnaire s’estimant lésé ou, le cas échéant, à son représentant au plus tard vingt jours après la réception du grief par le supérieur hiérarchique immédiat ou le chef de service local visé au paragraphe 65(1).

 (2) Dans le cas du grief individuel ayant trait à la classification, le délai est de quatre-vingts jours.

 

[38]  En vertu du paragraphe 72(1) du Règlement, l’employeur devait décider des griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs dans les 20 jours suivant la présentation des griefs à ce palier. Or, dans le cadre de la procédure de règlement de griefs, l’omission de rendre une décision dans le délai applicable est interprétée comme une décision de rejeter le grief (voir McWilliams c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 58, aux paragraphes 22 et 23, et Pannu c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 4, au paragraphe 46). Ce rejet sous forme de « non-réponse », comme il est décrit dans McWilliams, signifie que l’employeur avait rejeté les griefs sans motif. Autrement dit, l’employeur n’avait pas rejeté les griefs au dernier palier au motif qu’ils avaient été présentés hors délai au premier palier.

[39]  En somme, en ce qui concerne les deux griefs, l’employeur n’a pas rejeté les griefs au premier palier de la procédure de règlement de griefs parce qu’ils étaient hors délai à ce palier. De plus, l’article 63 du Règlement interdisait à l’employeur de rejeter les griefs pour cette raison au deuxième palier et au dernier palier. Enfin, l’omission de l’employeur de rendre des décisions sur les griefs dans les délais applicables au dernier palier équivaut à un rejet des griefs sans motif.

[40]  Je note qu’il importe peu que les « décisions » que l’employeur a rendues au dernier palier de la procédure de règlement de griefs, environ un mois après le renvoi à l’arbitrage dans chacun des dossiers, soit le 20 décembre 2019 à l’égard du grief 566-02-41224 et le 14 janvier 2020 à l’égard du grief 566-02-41303, prétendaient rejeter les griefs parce qu’ils avaient été présentés tardivement au premier palier. Ces décisions sont nulles et sans effet, car, en plus de ne pas respecter les exigences de l’article 63 du Règlement, l’omission de l’employeur de rendre des décisions à ce palier dans les délais impartis équivalait à des rejets non motivés. L’employeur aurait dû connaître l’absence de portée juridique de ses prétendues « décisions », car ce n’est pas la première fois que le Service correctionnel du Canada rencontre des problèmes à cet égard (voir McWilliams). L’employeur ne saurait donc, par un acte unilatéral de sa part qui ne respecte ni la lettre ni l’esprit du Règlement, faire perdre au fonctionnaire le droit à l’arbitrage de ses griefs.

[41]  De plus, le paragraphe 95(2) du Règlement est clair. L’employeur doit avoir rejeté les griefs à tous les paliers de la procédure de règlement de griefs en raison du non-respect des délais de présentation au premier palier pour avoir le droit de soulever  une telle objection à l’arbitrage des griefs. Comme il n’a pas rejeté les griefs pour cette raison à tous les paliers, il ne pouvait pas soulever l’objection (voir McWilliams, au paragraphe 24).

[42]  Je conclus donc que l’employeur a omis de rejeter les griefs au motif du respect des délais, à tous les paliers, et qu’il ne peut donc pas soulever, à l’arbitrage, d’objection à cet égard.

[43]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IV.  Ordonnance

[44]  Je déclare que les décisions rendues au dernier palier de la procédure de règlement de griefs le 20 décembre 2019 à l’égard du grief 566-02-41224 et le 14 janvier 2020 à l’égard du grief 566-02-41303 sont nulles et sans effet.

[45]  Je déclare que l’employeur n’a pas le droit de soulever une objection quant au respect des délais de présentation des griefs au premier palier de la procédure de règlement de griefs.

[46]  Je rejette l’objection de l’employeur.

Le 10 septembre 2020.

Nathalie Daigle,

 une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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