Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a été rétrogradé de deux niveaux passant du poste d’agent principal d’évaluation de programme (GR-08) au poste d’agent de programme (GR-06) – le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que sa rétrogradation était une tentative déguisée de lui imposer une mesure disciplinaire – l’employeur, pour sa part, a soutenu que la rétrogradation était de nature administrative et, par conséquent, il a soulevé avant l’audience une objection préliminaire concernant la compétence de la Commission à entendre le grief – la Commission a conclu que la mesure prise par l’employeur était en réalité une mesure disciplinaire déguisée qui relève de la mauvaise foi et enfreint l’équité procédurale – ainsi, la Commission avait la compétence d’entendre le grief en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral – la Commission a tenu compte des facteurs énumérés par l’arbitre de grief dans Stevenson c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 89, pour déterminer si la rétrogradation imposée par l’employeur était une réaction raisonnable à des considérations opérationnelles honnêtes – la Commission a conclu que, bien que l’employeur avait un souci opérationnel légitime de s’assurer que le rendement du fonctionnaire s’estimant lésé était adéquat, la rétrogradation imposée par l’employeur n’était pas une réaction raisonnable à des considérations opérationnelles honnêtes.

Grief accueilli.

Contenu de la décision

Date: 20200824

Dossier: 566-15-12156

 

Référence: 2020 CRTESPF 83

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Patrick Kashala Tshishimbi

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

Conseil de recherches en sciences humaines

 

employeur

Répertorié

Kashala Tshishimbi c. Conseil de recherches en sciences humaines du Canada

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant :  Nathalie Daigle, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé :  Kim Patenaude, avocate

Pour l’employeur :  Philippe Giguère, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),

du 24 au 26 juin et du 26 au 28 novembre 2019.


MOTIFS DE DÉCISION

I.  Introduction

[1]  Patrick Kashala Tshishimbi, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), travaille pour le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH ou l’« employeur »). Le 25 mai 2015, il a été rétrogradé du poste d’agent principal d’évaluation de programme (GR-08) au poste d’agent de programme (GR-06). Le 28 mai 2015, il a déposé un grief contestant cette rétrogradation.

[2]  L’employeur a rejeté le grief au palier final de la procédure. Il a répondu que la gestionnaire avait agi de bonne foi en communiquant au fonctionnaire des objectifs clairs, des indicateurs de rendement et des cibles à atteindre. Il a ajouté que la gestionnaire avait fourni du soutien et de l’encadrement continus durant le plan d’amélioration du rendement. De plus, il a répondu que le fonctionnaire avait bénéficié d’une période raisonnable pour répondre aux objectifs et qu’il avait été avisé en temps opportun des conséquences de ne pas répondre aux normes de rendement.

[3]  Le 31 mars 2016, le fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage.

[4]  Le fonctionnaire a soutenu que sa rétrogradation était une tentative déguisée de lui imposer une mesure disciplinaire. L’employeur, pour sa part, a soutenu que la rétrogradation était de nature administrative et que, par conséquent, je n’avais pas compétence. Il a soulevé la question préliminaire concernant ma compétence avant l’audience et il m’a demandé de rejeter le grief. J’ai déterminé qu’il me fallait entendre la preuve pour prendre une décision sur la question.

[5]  Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale. Cette loi a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique pour qu’il devienne la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral.

[6]  Pour les raisons qui suivent, je conclus que plusieurs anomalies, qui sont présentes dans la documentation et les témoignages présentés par l’employeur, démontrent une importante fermeture à l’égard du fonctionnaire et laissent planer un doute quant à l’honnêteté de l’opération. À cause de ces incohérences, j’estime que le motif administratif qui est invoqué est non concluant et s’apparente à un subterfuge.

II.  Question préliminaire

[7]  Le 25 mai 2015, le fonctionnaire a été rétrogradé à compter du 8 juin 2015. La lettre l’informant qu’il était rétrogradé comprend le passage suivant :

[Traduction]

[…]

En réponse à la lettre du 9 mars 2015, que vous avez reçue de votre gestionnaire, j’ai décidé de procéder à la mesure recommandée. Cette lettre servira donc d’avis de rétrogradation conformément à la délégation qui m’est accordée en vertu de l’alinéa 12(2)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques.

[…]

[8]  L’alinéa 12(2)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11; LGFP) indique ce qui suit :

12(2) Sous réserve des conditions que fixe le gouverneur en conseil, chaque administrateur général d’un organisme distinct et chaque administrateur général désigné par le gouverneur en conseil en vertu de l’alinéa 11(2)b) peut, à l’égard du secteur de l’administration publique fédérale dont il est responsable :

[…]

d) prévoir, pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou qu’une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur de toute personne employée dans la fonction publique.

[9]  Le fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) (rétrogradation pour des motifs disciplinaires) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTSPF) et non du sous-alinéa 209(1)d) (dans un organisme distinct - rétrogradation pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite).

[10]  Le paragraphe 209(1) de la LRTSPF se lit comme suit :

(1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui-ci était nécessaire;

d) soit la rétrogradation ou le licenciement imposé pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, s’il est un fonctionnaire d’un organisme distinct désigné au titre du paragraphe (3).

[11]  Il est à noter que l’alinéa 209(1)c) de la LRTSPF (à l’administration publique centrale, rétrogradation pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline) vise uniquement l’administration publique centrale qui, selon le paragraphe 2(1) de la LRTSPF, qui renvoie à la définition du paragraphe 11(1)c) de la LGFP, ne comprend pas les organismes distincts énumérés à l’annexe V de la LGFP. L’employeur est un organisme distinct figurant à l’annexe V de la LGFP, et la rétrogradation du fonctionnaire a été faite en vertu de l’alinéa 12(2)d) de la LGFP (rétrogradation pour des motifs autres qu’un manquement à la discipline).

[12]  D’un autre côté, il y a lieu de s’interroger à savoir si l’alinéa 209(1)d) de la LRTSPF (dans un organisme distinct désigné, rétrogradation pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite), qui vise les organismes distincts énumérés à l’annexe V de la LGFP, aurait pu s’appliquer en l’espèce. Cet alinéa précise que rétrogradation pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, s’il est un fonctionnaire d’un organisme distinct désigné au titre du paragraphe (3).

[13]  Pour sa part, le paragraphe 209(3) de la LRTESPF se lit comme suit :

209(3) Le gouverneur en conseil peut par décret désigner, pour l’application de l’alinéa (1)d), tout organisme distinct.

[14]  Je répondrai que ce n’est pas le cas dans la présente affaire, parce que l’employeur n’est pas désigné par un décret en vertu du paragraphe 209(3) de la LRTSPF pour l’application de l’alinéa 209(1)d) de la LRTSPF.

[15]  Ainsi, au moment où le grief contestant la rétrogradation a été renvoyé à l’arbitrage, le seul recours à la disposition du fonctionnaire en vertu de la LRTSPF était celui prévu par l’alinéa 209(1)b) (mesure disciplinaire entraînant la rétrogradation). La question visée par l’alinéa 209(1)b) consiste à déterminer si la décision de rétrograder le fonctionnaire était une mesure disciplinaire.

[16]  L’employeur a soutenu que la rétrogradation était une mesure administrative et non une mesure disciplinaire. Il a allégué qu’il avait rétrogradé le fonctionnaire en raison de son rendement insuffisant dans le poste d’agent principal d’évaluation, classifié au groupe et au niveau GR-08.

[17]  Ainsi, selon l’employeur, la rétrogradation d’un employé pour cette raison est une décision administrative. Il a ajouté qu’il n’appartient pas à un arbitre de griefs de se pencher sur le bien-fondé d’une telle décision, à moins que l’on conclue qu’il s’agit d’une mesure disciplinaire déguisée.

[18]  Selon l’employeur, un grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTSPF (mesure entraînant la rétrogradation) que si la décision de rétrograder le fonctionnaire est une mesure disciplinaire déguisée.

[19]  Le fonctionnaire a fait valoir que la Commission avait compétence pour entendre ce grief. Il a demandé que l’objection de l’employeur à la compétence de la Commission soit rejetée. Il a soutenu que sa rétrogradation était le résultat de sa relation difficile avec ses nouveaux gestionnaires et qu’il s’agissait d’une mesure disciplinaire déguisée. À tout le moins, il a demandé que la Commission lui accorde une audience afin que la Commission entende toute la preuve avant de rendre une décision concernant l’objection préliminaire liée à ce grief concernant la rétrogradation.

[20]  Les parties ont convenu d’examiner des éléments de preuve sur le fond et d’aborder de façon plus complète l’objection de l’employeur dans l’argumentation.

[21]  Je vais donc examiner l’ensemble de la preuve pour établir si la rétrogradation du fonctionnaire était une mesure disciplinaire déguisée.

III.  Résumé des faits

[22]  L’employeur a cité trois témoins : Shannon Clark-Larkin, qui, au moment des faits, était gestionnaire, Évaluation, CRSH; Susan Morris, directrice, Évaluation, CRSH et Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG); et Murielle Vergnhes, gestionnaire, Évaluation, CRSNG et CRSH.

[23]  Le fonctionnaire a présenté un témoignage à l’appui de sa position.

[24]  L’employeur a déposé sa preuve en premier, suivi du fonctionnaire. Par souci de cohérence, j’ai réuni les éléments de preuve et je les ai présentés en ordre chronologique.

A.  La formation et le parcours du fonctionnaire s’estimant lésé

[25]  Le fonctionnaire a expliqué qu’il détient un diplôme en médecine de l’Université de Kinshasa, au Congo, mais qu’à cause de son immigration au Canada, son parcours a été difficile et a engendré un changement de carrière. Plus précisément, il a reçu son diplôme de médecine en 1993, de l’Université de Kinshasa. De 1996 à la fin de 2001, il occupait un poste de médecin chef de district de santé en République démocratique du Congo. Il était responsable d’un hôpital de référence, de 4 centres de santé de référence et de 16 centres de santé qui ne sont pas de référence. Il a de même obtenu une spécialisation de l’École de la santé publique de l’Université de Kinshasa en 2002. Il a ensuite immigré au Canada.

[26]  Le fonctionnaire a expliqué qu’un médecin détenant un diplôme étranger ne peut pas pratiquer la médecine au Canada. Il doit obtenir un diplôme d’équivalence délivré par le gouvernement d’une province. Dans son cas, il n’a pas opté pour cette voie puisqu’il lui était nécessaire de travailler.

[27]  Toutefois, en 2005, il a complété une maîtrise en médecine sociale préventive à l’Université Laval, à Québec. Puis, il a suivi une formation en informatique de la santé à la Faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke. Il détient ainsi un diplôme, depuis 2009, de spécialiste de l’informatique de la santé.

[28]  De 2005 à 2008, il a travaillé à l’Université Laval dans l’équipe de recherche et d’évaluation. Dans cette équipe, il a accompli deux types de travaux. Premièrement, en tant qu’agent de recherche, il était responsable de la collecte de données, de l’analyse et de la présentation des résultats. Deuxièmement, en tant qu’assistant à l’enseignant, il coordonnait des stages de santé d’étudiants sous la gouverne de l’enseignant. Le fonctionnaire a expliqué qu’il agissait comme un pont entre les étudiants et les centres de santé.

[29]  Le fonctionnaire travaille pour l’employeur depuis le 29 septembre 2008. Son rendement au travail au CRSH n’a pas fait l’objet de discussions négatives jusqu’en 2012, suivant une restructuration où le fonctionnaire a changé d’équipe. À partir de cet instant, il a travaillé sous la gouverne d’une nouvelle gestionnaire et d’une nouvelle directrice. De 2008 à 2012, son travail comportait deux volets : 1) évaluer les programmes du CRSH et les programmes interagences; 2) développer des mesures de rendement.

[30]  Pour le volet concernant l’évaluation des programmes, le fonctionnaire accomplissait les tâches suivantes : 1) faire la collecte de données; 2) analyser des composantes à l’interne et produire un rapport; 3) appuyer les évaluateurs externes qui étaient responsables de faire les rapports finaux; 4) présenter les résultats à la gestion. Pour le volet concernant l’élaboration de mesures de rendement, le fonctionnaire développait des stratégies de mesures du rendement pour les groupes de programmes du CRSH et interagences qui n’avaient pas le temps de développer eux-mêmes ces stratégies.

[31]  Le fonctionnaire a expliqué que, de 2008 à 2012, sa superviseure, Hélène Gauthier, avait évalué son rendement. Il a déposé en preuve son évaluation du rendement produite pour la période d’octobre 2008 à septembre 2009, alors qu’il occupait un poste classifié au groupe et au niveau GR-07. Il a reçu une évaluation entièrement positive pour ces 10 mois.

[32]  Sa prochaine évaluation couvrait la période de septembre 2009 à juin 2010, alors qu’il occupait désormais un poste classifié au groupe et au niveau GR-08, suite à la reclassification de son poste le 1er octobre 2009. Il a reçu une évaluation identique à celle de l’année précédente.

[33]  Le fonctionnaire a expliqué que lorsqu’il rencontrait des difficultés, sa superviseure à l’époque, Mme Gauthier, l’aidait sans lui attribuer de faute. Elle l’orientait de façon constructive tout en reconnaissant qu’il était un grand travailleur. À ce moment, il faisait entre autres des plans d’évaluation, de la collecte de données et il aidait les collaborateurs externes. Il a un bon souvenir de cette époque où les échanges débouchaient sur un partage global d’idées fructueuses. Il était alors apprécié et reconnu.

[34]  Dans son évaluation du rendement pour la période de juin 2010 à juin 2011, le fonctionnaire a reçu une évaluation entièrement positive. Son évaluation comportait entre autres des annotations telles que la suivante :

[…]

Patrick a démontré ses capacities d’analyse lors de la creation de deux cadres d’évaluation (IOF-BOREAS et SIG-ASU) au cours desquels il a dû synthétiser l’ensemble des questions et problématiques reliés à ces programmes. […]

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[35]  Dans son évaluation du rendement pour la période d’avril 2011 à mars 2012, le fonctionnaire a reçu une évaluation très positive de sa superviseure. Les capacités évaluées touchaient, par exemple, la connaissance, la planification, l’organisation, la mise en œuvre, le contrôle, la création-innovation, l’analyse-évaluation, les communications et les relations interpersonnelles. La seule nuance était au niveau de la capacité de définir des indicateurs de rendement. Mme Gauthier avait noté ceci :

Patrick a démontré ses capacités d’analyse en évaluation lors de la rédaction de l’étude de faisabilité pour l’évaluation de la mobilisation des connaissances. L’analyse était rigoureuse et exhaustive. La définition d’indicateurs de performance à la portée des programmes du CRSH et représentatif de la recherche en sciences sociale et humaine demeure un défie.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[36]  Son résumé de l’évaluation se lisait comme suit :

Dans l’ensemble, Patrick a connu une année productive sur le plan de l’évaluation. Il a travaillé à plusieurs projets, tant pour le CRSH que pour les projets inter-agences. De plus, il a collaboré avec les collègues de sa division sur plusieurs composantes d’évaluation. L’expérience a été positive pour tous. Patrick demeure un travailleur acharné. Sa contribution aux objectifs de la division a été substantielle avec la préparation d’une étude de faisabilité pour l’évaluation sommative des subventions pour la mobilisation des connaissances. Il lui reste encore à mener de bout à bout un gros projet d’évaluation comme l’évaluation sommative des subventions pour la mobilisation des connaissances.

B.  La restructuration

[37]  Mme Clark-Larkin, qui était gestionnaire d’une équipe d’évaluateurs, a affirmé que, dans le cadre du plan de réduction du déficit en juin 2012, il y a eu une restructuration du CRSH : les deux équipes d’évaluation du CRSH et du CRSNG ont été fusionnées et un centre de service partagé a été créé. Mme Morris est devenue la nouvelle directrice du centre de service partagé. La restructuration a impliqué une réorganisation du personnel.

[38]  Le fonctionnaire occupait un poste d’agent principal d’évaluation de programme (« agent principal d’évaluation ») classifié au groupe et au niveau GR-08. La personne qui était sa gestionnaire avant la restructuration, Mme Gauthier, a été assignée à un nouveau poste. Le fonctionnaire a changé d’équipe et Mme Clark-Larkin est devenue sa nouvelle gestionnaire. L’équipe de Mme Clark-Larkin comprenait deux agents principaux d’évaluation, soit le fonctionnaire et une autre personne.

[39]  Mme Morris, la nouvelle directrice du centre de services partagés, a expliqué qu’à la suite de cette restructuration de 2012, elle s’est retrouvée à la tête d’une équipe de sept évaluateurs, dont quatre provenaient du CRSNG et trois du CRSH. Mme Morris a expliqué que les agents principaux d’évaluation dans son équipe sont responsables des projets d’évaluation. Les gestionnaires, quant à eux, assurent le contrôle de la qualité. Plus précisément, ce sont les agents principaux d’évaluation qui dirigent les projets et les gestionnaires – qui supervisent trop de projets pour pouvoir les diriger eux-mêmes - en assurent la supervision afin d’assurer une qualité finale raisonnable lors de la présentation aux gestionnaires faisant partie du groupe EX.

[40]  Mme Morris a expliqué qu’elle-même est responsable de la qualité finale des projets, au moment de les présenter aux présidents du CRSH et du CRSNG. De nombreuses personnes examinent les projets avant qu’ils ne soient soumis aux présidents.

[41]  Mme Morris a précisé qu’avant la restructuration, de façon générale, les gestionnaires classifiés au groupe et au niveau GR-10 dirigeaient les évaluations avec l’aide des agents principaux d’évaluation classifiés au groupe et au niveau GR-08, qui offraient du soutien. De plus, les évaluations étaient en partie sous-traitées et les consultants se chargeaient d’une grande partie du travail. Soit que les consultants effectuaient le travail de base et que les évaluateurs internes rédigeaient les rapports, soit que les évaluateurs internes effectuaient le travail de base et que les consultants rédigeaient les rapports.

[42]  Cela a évolué avec le temps. En raison des ressources limitées en 2012, il a été décidé que le travail de base et la rédaction des rapports seraient dorénavant faits à l’interne par les agents principaux d’évaluation. Ces derniers dirigent maintenant les projets. Il n’est donc plus commun de sous-traiter les évaluations. Ainsi, les agents principaux d’évaluation classifiés au groupe et au niveau GR-08 doivent concevoir, diriger et effectuer eux-mêmes le travail qui se divise en trois phases : la planification de l’évaluation, la mise en œuvre et l’analyse et la rédaction du rapport.

[43]  Mme Morris a spécifiquement expliqué qu’elle intervient dans les trois phases, pour s’assurer que les rapports de conception sont adéquats, appuyer la réalisation efficace des projets et s’assurer que les processus d’analyse et de compte-rendu vont bon train. Elle a ajouté que les gestionnaires classifiés au groupe et au niveau GR-10 interviennent aussi à toutes ces étapes en offrant de l’orientation et des conseils aux évaluateurs en plus d’assurer une qualité suffisante du travail avant qu’il ne lui parvienne.

[44]  Mme Morris a expliqué que les agents principaux d’évaluation dirigent en moyenne un ou deux projets à la fois lorsqu’ils sont à des phases de progression différentes. Son équipe de sept personnes voit au bon avancement d’une dizaine de projets qui sont tous à des phases de progression différentes. Certains projets commencent, d’autres se terminent. Tous les cinq ans, des évaluations sont effectuées pour tous les programmes.

[45]  Mme Clark-Larkin a aussi expliqué que le profil d’emploi d’un agent principal d’évaluation de programme a été modifié en 2013. Le profil du poste d’un agent principal de l’évaluation et du rendement qui datait de 2009 énumérait une liste de tâches spécifiques liées aux programmes du CRSH. Entre autres, en 2009, la première responsabilité énumérée dans le profil du poste était la suivante :

Planifier, organiser et gérer les évaluations du rendement et des programmes du CRSH (justification, efficacité et incidence des activités conformément aux objectifs stratégiques de l’architecture des activités des programmes). Déterminer la combinaison de compétences et d’expertise ainsi que les instruments de mesure de programmes requis pour une étude. Proposer des stratégies d’évaluation, des options, la portée du projet et les dispositions de gouvernance pour guider et conseiller les équipes pendant l’étude d’évaluation.

[46]  Mme Clark-Larkin a expliqué que les tâches liées aux évaluations du rendement des programmes du CRSH ont été retirées du profil du poste en 2013 et ont été transférées à une autre équipe (les services d’affaires). Un nouveau titre du poste (agent principal d’évaluation de programme) et un nouveau profil du poste ont été adoptés en 2013. Le profil du poste de 2013 énumère une liste de tâches spécifiques liées aux programmes du CRSH et du CRSNG. Entre autres, la première responsabilité énumérée dans le profil du poste est la suivante :

De concert avec les gestionnaires de programme du CRSNG et du CRSH et des collègues chargés de l’évaluation, déterminer s’il est possible de regrouper des programmes pour les évaluer. Évaluer le risque, classer les évaluations en fonction de l’urgence et en proposer la portée est les priorités à inscrire dans le plan d’évaluation du CRSNG et du CRSH. Élaborer des stratégies et des plans de travail détaillés à l’appui de la conception et de la mise en œuvre des études et des projets visant l’évaluation des cadres de gestion, des mesures du rendement ainsi que des modèles de conception et de prestation des programmes du CRSNG et du CRSH. Déterminer le besoin de modifier les méthodes et les techniques ou de créer des approches uniques pour la gestion axée sur les résultats lorsqu’il n’existe aucun précédent.

[47]  Mme Clark-Larkin a présenté les facteurs servant à l’évaluation du travail qui figurent dans le profil du poste. Ils comprennent des compétences spécifiques, une initiative créatrice décrite de la façon suivante, ainsi que des résultats souhaités :

L’initiative créatrice correspond au degré et à la nature de la réflexion nécessaire afin d’analyser, de raisonner, d’évaluer, de créer, de porter un jugement, de formuler des hypothèses, de tirer des conclusions, de trouver des solutions, etc. L’initiative créatrice comporte deux aspects : 1) le cadre du raisonnement ou, en d’autres mots, l’étendue de l’aide ou de l’orientation provenant d’autres personnes ou découlant des pratiques établies et des précédents; et 2) le défi posé par la nouveauté et la complexité de la réflexion à faire.

[48]  Mme Clark-Larkin a aussi confirmé qu’avant la restructuration de 2012-2013, l’employeur embauchait des consultants qui effectuaient la plus grande partie des études d’évaluation, soit les collectes de données, les analyses et la rédaction des rapports. Or, compte tenu du changement survenu en 2012-2013, l’employeur a réduit grandement son embauche de consultants.

[49]  Mme Clark-Larkin a expliqué qu’au départ, les choses allaient très bien avec le fonctionnaire. Les évaluateurs s’étaient d’emblée mis d’accord sur un mode de travail, dans un esprit collégial. Il y avait un climat de bonne entente et les réunions qu’elle organisait avec le fonctionnaire se passaient bien.

[50]  Or, une tension s’est peu à peu installée entre elle et le fonctionnaire lorsqu’elle devait lui donner de la rétroaction sur les rapports qu’il avait rédigés. Mme Clark-Larkin s’est souvenue que de 2012 à 2013, le fonctionnaire travaillait seul et lui remettait une ébauche de rapport lorsque celle-ci était terminée. Rapidement, elle a constaté des problèmes en ce qui concernait la fiabilité de l’information fournie. Elle donnait sa rétroaction au fonctionnaire par courriel et en personne, mais cette rétroaction était mal comprise et n’était pas la bienvenue. Le fonctionnaire acceptait d’effectuer des modifications mineures demandées aux rapports qu’il avait rédigés. Toutefois, il exprimait son désaccord au sujet des commentaires plus substantiels. Plus précisément, il était en désaccord avec l’utilité d’effectuer des modifications à ses rapports lorsque les modifications touchaient la méthodologie, la validité des données ou la clarté du rapport.

[51]  Mme Clark-Larkin a expliqué qu’elle devait remplir son rôle de gestionnaire et évaluer les rapports et s’assurer que leur qualité était satisfaisante avant de les faire parvenir à la directrice.

[52]  Mme Clark-Larkin a affirmé avoir alors offert une rétroaction générale au fonctionnaire au sujet de la qualité et de la fiabilité de ses rapports. Elle a aussi remarqué qu’il avait de la difficulté à collaborer dans les domaines d’intérêt commun avec l’autre agent principal d’évaluation. En particulier, elle lui a rappelé l’importance de mieux collaborer avec sa collègue du CRSH, une autre agente principale d’évaluation. La majorité du temps, il maintenait une relation professionnelle avec sa gestionnaire, malgré les mésententes.

[53]  Le fonctionnaire s’est absenté du travail de la mi-novembre 2012 à la fin janvier 2013, en raison d’un congé.

C.  L’évaluation des rapports par Mme Clark-Larkin

[54]  Dans le cadre de ses responsabilités de planification et d’évaluation des rapports, Mme Clark-Larkin a tenu sa directrice, Mme Morris, informée de ses échanges avec le fonctionnaire. Elle lui a aussi demandé des conseils sur la façon de traiter avec le fonctionnaire pour obtenir ses suggestions.

[55]  Il est possible que Mme Clark-Larkin ait eu l’intention, dès le 15 mars 2013, d’adopter un plan d’amélioration du rendement pour le fonctionnaire. Un courriel du 15 mars 2013, de Mme Clark-Larkin au fonctionnaire, contient la note manuscrite [traduction] « plan d’amélioration du rendement » : Mme Morris a précisé qu’elle avait aussi des préoccupations quant à la qualité des rapports écrits préparés par le fonctionnaire. Cela nécessitait que Mme Clark-Larkin effectue une surveillance accrue. Par conséquent, en avril 2013, Mme Morris a demandé à Mme Clark-Larkin de préciser quelles étaient les difficultés pour que les deux puissent en discuter.

[56]  Le 2 avril 2013, à la demande de Mme Morris, Mme Clark-Larkin a donc indiqué dans une note au dossier ses observations relativement aux problèmes de rendement du fonctionnaire qu’elle souhaitait régler. Ses notes couvraient les sujets spécifiques suivants : difficulté à accueillir la rétroaction; difficulté à collaborer au sein de la division de l’évaluation (avec certains collègues) et qualité du travail. Dans ses notes, elle décrivait la situation comme suit concernant sa difficulté à accueillir la rétroaction :

[Traduction]

Patrick était responsable d’une composante d’une étude d’évaluation récente; sa tâche consistait à préparer le rapport technique sur l’efficacité du programme. Cela comprenait la liaison avec les membres du personnel des Finances et du Programme afin de recueillir les données nécessaires et de consulter le personnel de l’évaluation afin de s’assurer que les chiffres exacts étaient utilisés dans l’analyse. En prévision des difficultés anticipées et réelles dans la collecte des données, un certain nombre de réunions ont eu lieu pour discuter de la meilleure approche pour le projet (au moins 5 réunions). Lors de ces réunions, Patrick avait de la difficulté à discuter et à collaborer avec moi et avec le chef du projet de façon constructive, car il argumentait souvent pour une approche analytique qui n’était pas réalisable compte tenu des données disponibles. Lors de ces réunions, on discutait souvent de la portée de sa tâche (c’est-à-dire qu’il devait s’agir d’une brève analyse en raison du manque de données disponibles, des délais serrés pour effectuer l’analyse et parce qu’il s’agissait d’une seule des sources de données pour l’étude d’évaluation). On a également demandé à Patrick d’utiliser le modèle d’un ancien rapport d’analyse d’efficacité d’un programme qu’il a préparé l’an dernier. Le rapport technique sur l’efficacité du programme que Patrick a préparé en fin de compte ne reflétait pas les discussions précédentes (c’est-à-dire, d’autres analyses qui étaient jugées hors de portée étaient incluses). À ce titre, le rapport nécessitait des révisions importantes pour répondre aux besoins de l’étude d’évaluation. Ces commentaires ont été fournis grâce au suivi des modifications et Patrick était mécontent des commentaires et des suggestions fournies (voir le courriel ci-joint) – mais il a bien accepté d’apporter quelques révisions. Il a apporté certaines des modifications suggérées de façon sélective et ensuite d’autres modifications au rapport ont été apportées par moi-même et le chef du projet. En outre, Patrick a transmis son ébauche de rapport à un autre évaluateur dans la division pour commentaires à mon insu.

[57]  Le fonctionnaire, quant à lui, a expliqué qu’à compter de la nouvelle restructuration en 2012, il s’est retrouvé dans la division de Mme Morris, sous la direction de Mme Clark-Larkin et plus tard de Mme Vergnhes. Il a réitéré que Mme Clark-Larkin avait sous sa gouverne deux agents principaux d’évaluation : le fonctionnaire et N. M. (son nom a été anonymisé dans cette décision). Ces derniers avaient été amalgamés aux évaluateurs du CRSNG.

[58]  Le fonctionnaire a expliqué que c’est alors que les problèmes ont commencé. Il était à ce moment responsable d’un projet, celui de l’évaluation sommative des subventions pour la mobilisation des connaissances du CRSH. Or, il a expliqué que, un jour, sa collègue N. M. est venue l’informer avec un ton très impoli qu’elle s’occupait dorénavant de ce projet. Le fonctionnaire en a été estomaqué. Un échange rude s’est ensuivi entre lui et N. M. puisque, selon lui, seule leur gestionnaire, Mme Clark-Larkin, pouvait prendre la décision de réassigner ce dossier.

[59]  Le fonctionnaire s’est donc adressé à Mme Clark-Larkin afin de lui demander pourquoi N. M. lui avait dit que le dossier lui avait été réassigné. Selon le fonctionnaire, Mme Clark-Larkin a confirmé la réassignation du dossier et elle s’est excusée de ne pas l’avoir informé. Elle aurait dit qu’elle ferait attention la prochaine fois. Il a expliqué que cet incident avait créé un profond malaise entre lui, sa collègue et Mme Clark-Larkin.

[60]  Un deuxième incident a nourri le malaise dans l’équipe. Il a expliqué que, dans le dossier ci-haut mentionné (l’évaluation de la mobilisation des connaissances du CRSH), il y a eu un désaccord au sujet de l’inclusion ou non des coûts des activités d’évaluation par les pairs. Selon le fonctionnaire, Mme Morris avait donné l’instruction spécifique au cours d’une réunion de ne pas inclure ces coûts dans le calcul des coûts administratifs, car il s’agissait d’un travail bénévole fait par les comités d’évaluation. En fin de compte, l’inclusion ou non de ces montants modifiait le ratio résultant du nombre des subventions données et du coût administratif de chaque subvention. Or, N. M. jugeait nécessaire d’inclure dans le rapport les coûts des activités d’évaluation par les pairs. Selon le fonctionnaire, Mme Clark-Larkin s’est rangée du côté de N. M. Les deux ont donc demandé au fonctionnaire de modifier les ratios en question dans le rapport. Le fonctionnaire, pour sa part, a décidé d’inclure deux tableaux avec des ratios différents, l’un incluant les montants et l’autre non. Or, N. M. a ensuite corrigé le rapport. Selon le fonctionnaire, les coûts des activités d’évaluation par les pairs ne devaient pas être comptés. Un mauvais climat de travail s’est donc développé et a perduré. Celui-ci était entretenu, selon le fonctionnaire, par Mme Clark-Larkin.

[61]  Au sujet de la tension qui existait alors entre le fonctionnaire et N. M., Mme Clark-Larkin a dit qu’elle avait communiqué avec le bureau du Système de gestion informelle des conflits, et qu’elle avait recommandé une approche de résolution du conflit aux deux évaluateurs pour relâcher la tension. Toutefois, selon elle, le fonctionnaire aurait répondu qu’une telle approche n’était pas nécessaire.

D.  L’évaluation du rendement de juin 2013

[62]  Par la suite, dans l’évaluation du rendement du fonctionnaire complétée en juin 2013, Mme Clark-Larkin a communiqué au fonctionnaire les problèmes au niveau de son rendement. Cette communication offrait une vue globale de la situation et les aspects à améliorer dans les domaines de l’organisation, la mise en œuvre, la création-innovation, l’analyse-évaluation et la communication. Le sommaire de l’évaluation était le suivant (tel qu’inscrit sur la première page du document, le fonctionnaire désirait que ce rapport d’évaluation du rendement soit rédigé en anglais) :

[Traduction]

D’avril à juin 2012, Patrick a travaillé en tant qu’agent principal d’évaluation et du rendement avec la Division de l’évaluation et du rendement ministériels du CRSHC. En juillet 2012, les divisions de l’évaluation et du rendement du CRSNGC et du CRSHC ont fusionné, et Patrick travaille actuellement en tant qu’agent principal de l’évaluation avec la Division de l’évaluation du CRSNG et du CRSHC. Bien que la description du poste de Patrick soit restée la même, certains de ses rôles et responsabilités ont changé en raison de la fusion. En particulier, il y a une nécessité accrue pour que les produits d’évaluation soient produits à l’interne et les attentes concernant la direction des projets sont plus élevées (même si c’est sous la supervision du gestionnaire de l’évaluation). Au départ, Patrick avait de la difficulté à s’adapter au nouvel environnement de travail et cela se manifestait dans la qualité de son travail, qui ne satisfaisait pas au niveau attendu. Plus récemment, Patrick semble s’ajuster au nouvel environnement de travail, toutefois, j’encourage Patrick à continuer de travailler sur la collaboration au sein de la division de l’évaluation, à offrir et à recevoir des commentaires, et à améliorer la qualité de son travail. Il sera important que Patrick et son superviseur établissent des objectifs clairs dans ces trois domaines pour cette année.

[63]  Mme Morris a signé l’évaluation le même jour que Mme Clark-Larkin, soit le 14 juin 2013. En apposant sa signature sur le document, Mme Morris a confirmé avoir pris acte de ce qui se trouvait dans l’évaluation, et a dit être d’accord avec celle-ci. Elle en avait discuté au préalable avec Mme Clark-Larkin. C’était le premier signal donné au fonctionnaire au sujet des lacunes observées dans son travail. L’objectif était de communiquer au fonctionnaire les objectifs à atteindre pour l’année suivante. Il relevait d’une nouvelle superviseure, il avait besoin de clarifications.

[64]  Mme Morris a ajouté qu’elle revoit les évaluations préparées par les gestionnaires de son équipe avant qu’elles ne soient remises aux employés lorsqu’elles sont sensibles ou qu’il est possible qu’elles ne soient pas bien reçues. Mme Morris peut alors donner des conseils au gestionnaire.

[65]  Le fonctionnaire a affirmé que son évaluation pour la période de juin 2012 à juin 2013 était fondée sur le fait que l’employeur estimait qu’il ne collaborait pas avec sa collègue N. M. Il est d’avis que ce climat était entretenu par Mme Clark‑Larkin, qui ne donnait pas de directives claires à ses subordonnés. Avant la fusion en 2012, il n’avait pas eu de problème avec sa collègue N. M. Il n’était pas d’accord avec l’évaluation qu’il a reçue.

E.  L’arrivée d’une nouvelle gestionnaire : Mme Vergnhes

[66]  Le 20 décembre 2013, Mme Vergnhes s’est jointe à l’équipe des évaluations en tant que nouvelle gestionnaire, classifiée au groupe et au niveau GR-10. Mme Vergnhes a expliqué qu’elle travaillait dans le domaine de la recherche depuis 30 ans et qu’elle avait plus de 20 années d’expérience de recherche en évaluation. Elle a fait beaucoup d’évaluation de programmes dans les différents postes qu’elle a occupés. Elle est gestionnaire depuis une douzaine d’années. À son arrivée en décembre 2013, elle a pris en main certains projets des évaluateurs, dont l’un des projets du fonctionnaire. Elle a donc eu l’occasion de travailler étroitement avec lui.

[67]  Mme Vergnhes a expliqué qu’après les vacances des Fêtes de fin d’année, après avoir eu le temps d’étudier le projet du fonctionnaire, elle lui a posé beaucoup de questions. Au cours des semaines qui ont suivi, elle a donc eu beaucoup d’interactions avec lui au cours desquelles ils ont discuté entre autres du choix d’indicateurs appropriés et de stratégies appropriées. Puisque Mme Vergnhes avait beaucoup d’expérience de recherche en évaluation, elle a mis en doute, à maintes reprises, la logique de la méthode proposée par le fonctionnaire. Mme Vergnhes était de l’avis que le fonctionnaire avait de la difficulté à expliquer ses choix. Il n’apportait pas de réponse définitive à ses questions et il semblait incapable de le faire.

[68]  Plus précisément, Mme Vergnhes a expliqué que, dans son projet principal, le fonctionnaire devait proposer des directions, des priorités, des options et faire des recommandations. Étant nouvelle dans l’équipe, elle avait d’abord révisé l’évaluation fondée, entre autres, sur l’énoncé de critère, la conception du projet (le design), le cadre d’évaluation, la lettre destinée à la communauté, les indicateurs de mesures et la collecte de données. Elle a constaté, par exemple, que certains indicateurs de la conception du projet (le design) étaient étranges. Le fonctionnaire n’avait pas sélectionné la bonne catégorie d’analyse. Elle en a fait part au fonctionnaire. Ce dernier toutefois était incapable d’expliquer les raisons de ses choix. Elle a perçu cela comme un signal d’alerte.

[69]  Dans le cadre de ce même projet, Mme Vergnhes a donc constaté que les réponses du fonctionnaire à ses questions n’étaient pas adéquates. Puis, ils ont eu une rencontre avec la directrice du programme évalué, une autre fonctionnaire. Mme Vergnes a, de nouveau, constaté que le fonctionnaire était incapable de répondre aux questions qui étaient posées.

[70]  Mme Vergnhes a ajouté qu’un second projet dont le fonctionnaire avait la responsabilité était assez avancé. Ce projet impliquait trois différentes parties prenantes. Mme Vergnhes avait constaté que chacune fournissait beaucoup de commentaires au fonctionnaire, dont le rôle était de distinguer entre les demandes ou préférences de ces dernières qui étaient justifiées, notamment en lien avec les objectifs du projet. Sans ce jugement de valeur pour trier les commentaires, le projet devenait un « monstre non gérable », a-t-elle ajouté. En fin de compte, elle a jugé que le fonctionnaire n’avait pas trié les commentaires, et elle a décidé de le faire.

[71]  Elle a aussi précisé que, dans un autre travail dans lequel le fonctionnaire était impliqué, un questionnaire avait été créé par un consultant. Cela impliquait des études de cas et des analyses. Or, puisque les objectifs stratégiques du projet n’étaient pas bien articulés, le consultant ne comprenait pas son mandat. Selon Mme Vergnhes, le fonctionnaire n’avait pas bien communiqué les objectifs au consultant, et ce dernier ne comprenait donc pas bien son mandat.

[72]  De plus, dans ce projet, il restait l’analyse coût-efficacité à produire. Elle a dû intervenir car il n’était pas possible d’utiliser l’analyse du fonctionnaire, qui reprenait une ancienne analyse, puisque de nouvelles variables et de nouveaux chiffres étaient en jeu. Mme Vergnhes a expliqué au fonctionnaire comment le faire. Elle a souligné que le fonctionnaire refusait de travailler en français puisqu’il voulait pratiquer son anglais. Finalement, elle dû elle–même rédiger l’analyse coût-efficacité pour conclure la question.

[73]  Mme Vergnhes a expliqué que les mêmes enjeux sont survenus dans une revue documentaire qu’elle a finalement complétée à la place du fonctionnaire. Elle avait d’abord expliqué au fonctionnaire qu’il devait synthétiser l’information, car le document qu’il lui avait remis était un document monstre de plus de 100 pages constitué de textes copié-collé d’anciens rapports. De plus, le document ne contenait pas d’analyse des informations.

[74]  Mme Vergnhes a estimé, à ce point, c’est-à-dire quelques semaines après son arrivée, que ces signaux d’alerte ne pouvaient être ignorés ou minimisés. Elle en a parlé à Mme Morris en janvier 2014, afin de lui demander si le fonctionnaire comprenait quel était son mandat relativement aux projets qui lui était assignés. Elle a expliqué que beaucoup de travail avait été nécessaire pour récupérer ce qu’il avait rédigé.

[75]  Au sujet du document monstre de plus de 100 pages qu’il avait remis à Mme Vergnhes, le fonctionnaire a expliqué que le document, une ébauche de rapport annuel, en était à la 1re phase, soit l’addition de grilles, lorsqu’il l’a remis. Il n’était pas rendu à la 2e phase qui consistait à synthétiser l’information. Après avoir donné le document, il a appris que Mme Vergnhes le voulait à l’étape de la 2e phase. Il s’agissait de nouvelles instructions.

[76]  Mme Morris a expliqué que, à ce moment, elle tenait des rencontres hebdomadaires avec les deux gestionnaires de son équipe, soit Mme Clark-Larkin et Mme Vergnhes. Ensemble, les trois discutaient de sujets tels que les étapes des projets, ce qui devait être examiné par la directrice, le déroulement des projets, les défis rencontrés, les solutions trouvées. Enfin, la directrice partageait avec ses gestionnaires des informations communiquées lors de réunions de gestion. Il arrivait aussi que Mme Morris prévoit des réunions supplémentaires pour discuter des projets en cas de besoin.

[77]  Mme Morris a précisé que deux mois après l’arrivée de Mme Vergnhes, soit vers la mi-février, lors d’une rencontre avec Mme Clark-Larkin et Mme Vergnhes, cette dernière a mentionné qu’elle avait des préoccupations au sujet de la qualité du travail du fonctionnaire, qu’il n’était pas en mesure de fournir une analyse correcte et que la communication avec lui était difficile.

[78]  À la fin de février 2014, Mme Morris a rencontré le fonctionnaire un vendredi après-midi pour lui faire part, selon ses notes préparées avant la discussion, de ce qui suit :

[Traduction]

Suivi de différentes réunions bilatérales ou de groupe, de sorte que tout le monde soit sur la même longueur d’onde.

[] les évaluations du rendement sont imminentes et je voulais éviter toute surprise.

L’objectif pour cette année était d’améliorer la qualité des produits livrables de sorte qu’ils ne nécessitent pas de révisions importantes.

Selon les commentaires de Murielle et de Shannon, c’est toujours le cas, ce que vous présentez nécessite des révisions importantes.

-et je veux signaler que - avec [l’évaluation] du rendement on [est] en train de préparer un plan d’amélioration de rendement qu’on va vous donner avec ton [évaluation] de rendement.

[79]  Lors de cette réunion, le fonctionnaire a fait part de son point de vue à Mme Morris au sujet des difficultés rencontrées. Cette dernière a perçu que la mésentente entre le fonctionnaire et les deux gestionnaires, Mme Clark-Larkin et Mme Vergnhes, était en partie le résultat d’une mauvaise communication entre les parties et de désaccords au sujet des projets. Elle a recommandé au fonctionnaire de suivre les instructions qu’il recevait de ses superviseurs lorsqu’un désaccord persistait. Elle l’a avisé que le choix de ne pas faire le travail demandé n’était pas une bonne idée.

[80]  Pour le fonctionnaire, entendre parler d’un plan d’amélioration du rendement a été la goutte qui a fait déborder le vase. Il a dû consulter son médecin, qui lui a prescrit des médicaments et l’a placé en congé de maladie.

[81]  Le lundi suivant, le fonctionnaire est entré au bureau, mais seulement pour aviser la gestion qu’il serait absent en congé de maladie. Il a été en congé de maladie du 3 mars au 3 mai 2014.

[82]  Le fonctionnaire a aussi expliqué que Mme Vergnhes était arrivée en décembre 2013, dans son équipe. Il a commencé à travailler avec elle en janvier 2014, soit après ses vacances. Selon son souvenir, Mme Vergnhes lui aurait dit qu’elle évaluerait son travail. Il a expliqué qu’avant son arrivée, il travaillait sur deux projets avec la prédécesseure de Mme Vergnhes. Lui et la prédécesseure de Mme Vergnhes entretenaient une bonne relation. Le fonctionnaire avait préparé des termes de références dans l’un de ces projets, celui portant sur le réseau du Centre d’excellence, mais Mme Vergnhes, à son arrivée, a réécrit ces termes de référence. Or, selon le fonctionnaire, Mme Vergnhes a oublié une composante importante, celle de l’analyse des données administratives du programme. Par la suite, à cause de cette omission, Mme Clark‑Larkin a préparé un appel d’offres inadéquat pour un évaluateur externe. Lorsqu’il a été embauché, ce dernier a voulu clarifier son rôle et savoir qui allait s’occuper de la composante omise. Mme Morris en a été informée. Or, selon le fonctionnaire, Mme Clark-Larkin lui a attribué la responsabilité de l’omission en question. Plus tard, Mme Clark-Larkin a inscrit ceci comme un manquement dans son évaluation du rendement alors qu’elle était elle-même, avec Mme Verghnes, responsable de cette omission.

[83]  Le fonctionnaire a aussi expliqué que, dans le cadre de son autre projet, soit celui portant sur le programme des coûts indirects, il se souvenait que ses échanges avec la gestionnaire du programme interagence pour les établissements étaient difficiles. Il était responsable de la collecte de données. Il y a eu un désaccord entre lui et la gestionnaire du programme au sujet de la collecte des données. Il semble que le fonctionnaire avait déjà communiqué avec l’agent détenant les données, et qu’il avait déjà obtenu certaines données. D’autres données manquaient toutefois. Mais le fonctionnaire souhaitait poursuivre le travail avant de demander des données plus à jour.

[84]  À l’audience, le fonctionnaire a expliqué pourquoi il avait souhaité attendre un peu avant de présenter une nouvelle demande pour des données plus récentes. Il avait remarqué que l’agent chargé de collecter les données se plaignait des demandes de données qu’il recevait de manière répétitive. Ainsi, le fonctionnaire avait jugé nécessaire, avant de redemander des données, d’identifier d’abord les données qu’ils avaient déjà afin de ne demander que les données manquantes. Le fonctionnaire a ajouté que, en fin de compte, Mme Vergnhes était mécontente de sa stratégie, car il avait présenté un tableau sans données au motif qu’il était en attente de nouvelles données. Selon le fonctionnaire, Mme Vergnhes l’a tenu responsable du délai causé par cet imbroglio, mais le fonctionnaire a noté que sa démarche était plausible et logique.

[85]  Le fonctionnaire a dit aussi que Mme Vergnhes critiquait constamment le contenu de ses rapports en disant qu’il ne convenait pas. Il s’est rappelé que, à un moment donné, elle lui avait dit que l’employeur lui chercherait un autre poste mieux adapté pour lui. Le fonctionnaire avait alors senti que son emploi était menacé et qu’il était chassé hors de la division. Il s’est ainsi senti harcelé par Mme Vergnes et il en était très peiné. Il en a parlé à Mme Morris qui, selon lui, n’a pas nié les propos attribués à Mme Vergnhes. Selon le fonctionnaire, Mme Morris voyait cela comme des problèmes de communications. Elle s’est donc engagée à en parler à Mme Vergnhes.

[86]  Or, selon le fonctionnaire, malgré le fait que sa relation avec ses gestionnaires soit tendue à cause d’un désaccord au sujet de la qualité de son travail, Mme Clark-Larkin et Mme Vergnhes ont préparé ses évaluations du rendement et un plan d’amélioration du rendement.

[87]  C’est alors que le fonctionnaire s’est absenté pour son congé de maladie du 3 mars au 3 mai 2014. Il a expliqué à l’audience que ce congé de maladie avait été nécessaire à cause du stress que Mme Vergnhes lui avait causé. Sa situation au travail était très difficile, ce qui l’avait rendu malade.

F.  L’évaluation du rendement de mars 2014

[88]  Pendant l’absence du fonctionnaire, Mme Clark-Larkin a complété son évaluation du rendement pour la période se terminant le 31 mars 2014. Il ne semble pas y avoir eu de discussion entre Mme Clark-Larkin et le fonctionnaire sur le contenu de l’évaluation avant son absence. Dans son évaluation, Mme Clark-Larkin a de nouveau inscrit que le fonctionnaire avait des problèmes de rendement. Mme Clark-Larkin a inscrit qu’il devait améliorer son rendement dans les domaines de l’organisation, la mise en œuvre, la création-innovation, l’analyse-évaluation et la communication. Le sommaire de l’évaluation se lisait comme suit :

[Traduction]

Au moment de l’évaluation du rendement de l’an dernier, Patrick a été encouragé à continuer de travailler sur quatre domaines : collaborer au sein de la division de l’évaluation, fournir et recevoir des commentaires, et améliorer la qualité de son travail en ce qui concerne ses capacités d’analyse et d’interprétation ainsi que ses aptitudes en matière de leadership. Bien que certaines améliorations aient été remarquées dans sa capacité de collaboration au sein de la division, Patrick doit s’améliorer afin de répondre aux exigences du poste et une amélioration est nécessaire dans l’immédiat en ce qui concerne le fait de fournir et de recevoir des commentaires et d’améliorer la qualité de son travail. Selon l’évaluation du rendement, un plan d’amélioration du rendement a été élaboré pour Patrick. Ce plan énoncera clairement les objectifs de Patrick pour 2014-2015, les résultats attendus, et un soutien qui lui sera offert.

[89]  Au sujet de cette évaluation du rendement, Mme Morris a mentionné que, puisque c’était la première fois que la gestion évaluait les objectifs et les attentes communiqués au fonctionnaire précédemment, elle avait jugé nécessaire de lui donner plus de détails sur ses manquements constatés. Mme Morris a aussi ajouté qu’avec l’arrivée de Mme Vergnhes, qui est francophone, Mme Morris avait eu l’occasion de constater que les problèmes rencontrés ne découlaient pas d’un problème de langue seconde. Le problème concernait les fonctions d’analyse du travail.

[90]  Mme Morris m’a montré un rapport préparé par le fonctionnaire avant la mise en œuvre du plan d’amélioration du rendement. Mme Morris a d’abord expliqué qu’elle avait dû envoyer quelques courriels pour obtenir le rapport du fonctionnaire, qui tardait à le lui remettre tel qu’il avait été demandé, ce qui semble avoir été un cas isolé.

[91]  Ensuite, lorsqu’elle a reçu le rapport, elle s’est aperçue qu’il comportait une grande quantité d’informations sans aucune synthèse, ce qui nécessitait une révision majeure. En fait, le rapport ressemblait à une ébauche faite pour soi-même, un brouillon. Le jugement nécessaire pour organiser, résumer cette information n’avait pas été fait. De même, elle m’a montré des tableaux figurant dans le rapport et a ajouté qu’elle ne les comprenait pas. Les tableaux portaient les mêmes titres, mais n’incluaient pas les mêmes chiffres. Mme Morris et Mme Clark-Larkin ont passé du temps avec le fonctionnaire par la suite pour lui expliquer quelles étaient leurs attentes.

[92]  Pour toutes ces raisons, la gestion a jugé opportun de préparer un plan d’amélioration du rendement pour le fonctionnaire.

[93]  En réponse à son évaluation du rendement pour l’année se terminant le 31 mars 2014, le fonctionnaire a présenté une rétroaction qui, selon lui, n’a pas été prise en considération. Des extraits de sa rétroaction incluent les suivants :

[Traduction]

[…]

Je comprends que je dois produire des produits de haute qualité; toutefois, en tant que membre d’une équipe, il aurait dû au moins y avoir des discussions sur les points saillants du contenu avec le superviseur; cela n’a jamais eu lieu. Par conséquent, la plupart de mes produits livrables étaient toujours des ébauches.

[…]

Cela me semble étrange, je n’ai connaissance d’aucun problème écrit sérieux concernant la clarté ou la circulation des idées de l’unique rapport que j’ai produit pour l’évaluation du Programme des RCE dirigés par l’entreprise (RCE-E) – l’étude du rapport coût-efficacité.

[94]  En fait, il a expliqué à l’audience qu’il cherchait à communiquer quatre points à Mme Clark‑Larkin. Ces points sont les suivants. Premièrement, au sujet des difficultés qu’il avait rencontrées dans son projet portant sur le programme des coûts indirects, il a reconnu que ses échanges avec la gestionnaire du programme interagence pour les établissements avaient été difficiles et que le rapport qu’il avait préparé s’était avéré être erroné, puisqu’il contenait des données incomplètes pour 2012. Au moment de préparer le rapport, il croyait détenir des données complètes. La gestion lui a reproché par la suite d’avoir mal fait sa collecte de données et d’avoir recueilli des données auprès de la mauvaise personne. Le fonctionnaire a reconnu que des données complètes étaient requises.

[95]  Deuxièmement, il était en désaccord avec les commentaires de Mme Clark‑Larkin au sujet des difficultés qu’il avait rencontrées dans son projet sur le réseau du Centre d’excellence. Il a expliqué que les termes de référence préparés par Mme Vergnhes et approuvés par Mme Clark-Larkin étaient incomplets. Cette dernière n’avait ainsi pas inclus dans le travail à faire par un évaluateur externe l’analyse des données administratives. Par la suite, lorsqu’elle a corrigé le rapport en question, elle a constaté que cette analyse était manquante. Mme Clark-Larkin estimait que cette tâche devait être accomplie par le fonctionnaire, alors que ce dernier estimait que cette tâche aurait dû être accomplie par l’évaluateur externe.

[96]  Troisièmement, il était en désaccord avec les commentaires dans son évaluation du rendement selon lesquels il ne consultait pas suffisamment les autres. Il était d’avis, par exemple, qu’il avait spécifiquement consulté Mme Morris au sujet des programmes de subventions institutionnelles du CRSH et de l’aide aux petites universités pour obtenir des conseils. Pendant leur discussion, il avait informé Mme Morris qu’il réfléchissait à la méthodologie à appliquer. C’est pourquoi il n’avait pas terminé son rapport. Finalement, Mme Clark-Larkin a noté dans son évaluation du rendement que le fait, par exemple, de ne pas consulter davantage les tiers impliqués dans les programmes reflétait son avis qu’il ne consultait pas suffisamment les autres. Selon lui, lorsqu’il consultait un tiers comme Mme Morris pour obtenir de l’orientation, on lui reprochait ensuite de ne pas bien comprendre son travail. Il se sentait donc coincé.

[97]  Quatrièmement, le fonctionnaire était en désaccord avec le fait que les difficultés qu’il avait eues avec Mme Vergnhes soient inscrites dans son évaluation du rendement. Il a insisté sur le fait que, lorsqu’il y avait un désaccord entre lui et Mme Vergnhes, il y avait une raison, une explication. Or, ces raisons et explications ont été totalement ignorées.

[98]  Mme Vergnhes a précisé que pendant les trois mois au cours desquels elle a travaillé étroitement avec le fonctionnaire, elle a eu des conversations franches et sincères avec lui au sujet de ses difficultés. Or, il était sur la défensive dès le début de leurs discussions. Selon elle, le fonctionnaire frappait un mur sur le plan de son rendement. Il n’acceptait pas l’idée qu’il s’agisse d’enjeux de rendement. Des problèmes de communications ou d’apprentissage survenaient entre eux, alors qu’elle devait le former. Mme Vergnhes a expliqué qu’elle faisait de son mieux pour que leurs discussions soient compatissantes et sympathiques, ce qui était difficile lorsqu’ils discutaient de son rendement, même si le fonctionnaire est très agréable comme collègue, qu’il voulait bien faire et qu’il consacrait beaucoup d’heures à son travail. Malgré tout, son rendement était insuffisant.

G.  Le plan d’amélioration du rendement

[99]  Mme Clark-Larkin a expliqué qu’étant donné ses préoccupations et celles de Mme Vergnhes au sujet de la qualité du travail du fonctionnaire, avec l’accord de Mme Morris, elle a consulté la Section des ressources humaines et la Section des relations de travail. Ensemble, ils ont décidé de mettre en œuvre un plan d’amélioration du rendement de six mois pour le fonctionnaire. Mme Morris a précisé qu’elle était aussi impliquée dans le processus. Elle avait communiqué avec la Section des ressources humaines pour des conseils et elle a pris connaissance du plan d’amélioration du rendement avant qu’il ne soit communiqué au fonctionnaire.

[100]  Lorsque le fonctionnaire est revenu de son congé de maladie, il y a eu une rencontre entre la gestion, son représentant syndical et lui. Cela a été un énorme choc pour lui de se voir présenter le plan d’amélioration du rendement dès son retour au travail. Au même moment, le fonctionnaire a dénoncé ce qu’il percevait comme du harcèlement psychologique de la part de Mme Vergnhes. Il s’est adressé à la Section des ressources humaines afin de dénoncer le harcèlement dont il se disait victime. Une conseillère en ressources humaines lui a suggéré de participer à des séances de médiation. Le fonctionnaire a demandé qu’on lui accorde du temps pour réfléchir. À ce moment-là, il était secoué.

H.  L’allégation de harcèlement

[101]  Mme Vergnhes, qui n’était en poste que depuis six mois au moment de l’allégation de harcèlement, a trouvé très difficile d’entendre dire que le fonctionnaire l’accusait de harcèlement. Elle a expliqué qu’il s’agissait d’une accusation grave et qu’elle n’avait fait que son travail, même s’il s’agissait d’un travail difficile et non plaisant. Elle a expliqué qu’il est effectivement très difficile d’annoncer à un employé que son travail et son rendement sont insuffisants. Elle a expliqué qu’elle avait questionné le fonctionnaire au sujet de ses études et de ses intérêts professionnels. Le fonctionnaire lui avait fait part de sa formation en médecine, mais qu’à cause de son immigration au Canada, son parcours était plus difficile et avait engendré un changement de carrière. Mme Vergnhes ressentait de l’empathie pour lui car elle aussi avait immigré au Canada. Elle est originaire de la France.

[102]  Mme Vergnhes a précisé pourquoi elle avait questionné le fonctionnaire au sujet de ses études et de ses intérêts professionnels. Puisqu’elle enseigne dans le domaine des mesures de rendement, elle est de l’avis qu’il ne faut pas priver des individus de la chance de développer des compétences analytiques et de recherche, quel que soit leur niveau. Toutefois, elle était d’avis que les compétences analytiques et de synthèse du fonctionnaire étaient limitées, contrairement à l’avis de la gestionnaire précédente du fonctionnaire, Mme Gauthier.

[103]  Mme Vergnhes a ajouté que le fonctionnaire lui répondait généralement qu’il savait déjà comment faire, qu’il était à la bonne place et que son poste était bien adapté à ses compétences. Pour sa part, Mme Vergnhes tentait de lui communiquer qu’elle pouvait l’aider à trouver un poste mieux adapté à ses compétences et ses aptitudes, s’il le désirait. Toutefois, le fonctionnaire a perçu cela comme une menace.

[104]  Lorsqu’il a reçu le plan d’amélioration du rendement et qu’il l’a examiné, le fonctionnaire a informé Mme Morris qu’il se sentait piégé; que le plan mènerait à un échec assuré. Il a, tel qu’il a été mentionné, informé Mme Morris qu’il se sentait harcelé par Mme Vergnhes. Mme Morris, inquiète, a tout de suite commencé à traiter cette plainte et a communiqué avec le bureau du Système de gestion informelle des conflits du Secrétariat du Conseil du Trésor. Après avoir reçu des conseils du bureau, Mme Morris s’est adressée aux deux individus concernés, le fonctionnaire et Mme Vergnhes, pour les aviser que le bureau acceptait d’intervenir dans ce dossier à titre de facilitateur auprès des principales parties.

[105]  À la suite de cette proposition, le fonctionnaire a répondu à Mme Morris qu’il avait dit ce qu’il avait à dire lors de sa rencontre avec elle au moment où il avait reçu le plan d’amélioration du rendement, et qu’il ne désirait pas poursuivre la procédure avec le bureau.

[106]  Mme Vergnhes, quant à elle, a expliqué qu’elle avait appelé le bureau, tel que l’avait suggéré Mme Morris. Le facilitateur l’a informée que le fonctionnaire devait aussi prendre l’initiative de téléphoner au bureau pour qu’une procédure soit enclenchée. Toutefois, puisque le fonctionnaire n’était pas intéressé à le faire, aucune tentative de résolution n’était possible. Mme Vergnhes a trouvé malheureux que la question du harcèlement reste en suspens. Toute cette histoire lui a causé beaucoup de stress.

[107]  Le fonctionnaire se sentait également très éprouvé. Pendant son congé de maladie, il a communiqué avec son député pour lui demander de l’aide. À son retour au travail, il a été convenu qu’il ne serait plus invité à travailler avec Mme Vergnhes.

[108]  Mme Morris a expliqué qu’après avoir pris des mesures pour que le fonctionnaire et Mme Vergnhes ne travaillent plus ensemble, le fonctionnaire est demeuré très cordial avec Mme Vergnhes. Toutefois, elle a expliqué que Mme Vergnhes s’est sentie très vulnérable. En particulier parce qu’un autre incident est survenu entre-temps. En fait, pendant le congé de maladie du fonctionnaire, ce dernier avait cru et dit à Mme Morris que Mme Vergnhes l’avait appelé à la maison. Cette croyance du fonctionnaire a cependant été rapidement écartée. Il s’est avéré qu’une autre personne de l’entourage plus éloigné du fonctionnaire, qui portait aussi le prénom de Murielle, était en fait la personne qui avait tenté de joindre le fonctionnaire par téléphone pendant son congé de maladie. Toutefois, l’allégation faite contre Mme Vergnhes et le malentendu ont causé bien des soucis à cette dernière. Elle a craint que le fonctionnaire ne fasse des allégations erronées à son sujet. Par la suite, elle n’a plus travaillé directement avec lui. Sa seule contribution a été de fournir certains renseignements demandés par la gestion pour la préparation de l’évaluation du fonctionnaire.

I.  La mise en œuvre du plan d’amélioration du rendement

[109]  Ainsi, le 21 mai 2014, Mme Clark-Larkin a remis une lettre écrite au fonctionnaire pour l’aviser de la mise en œuvre du plan d’amélioration du rendement. Cette lettre mentionnait notamment ce qui suit :

[…]

Nous avons déjà souligné vos carences au niveau de votre performance et communiqué nos attentes pour le futur. En particulier, des améliorations importantes sont attendues dans les domaines suivants :

Mener des projets d’évaluation avec un minimum de supervision;

Respecter les échéanciers et les normes de qualité établis;

Capacité de diriger des équipes de projet;

Capacité de communiquer efficacement et d’intégrer la rétroaction offerte par divers membres de l’équipe.

[…]

Patrick, bien que nous demeurons dévouées à vous aider à améliorer la qualité de votre travail, et continuerons de vous offrir de l’aide et du support, la situation actuelle ne peut plus continuer. Dans l’éventualité où vous ne réussissiez pas à améliorer votre rendement de manière significative et soutenue, tel que requis pour rencontrer toutes les exigences de votre poste, nous devrons envisager d’autres options.

[110]  Le plan d’amélioration du rendement qui a été créé cernait les aspects à améliorer du 26 mai au 26 novembre 2014. Il était noté qu’au cours de la période couverte par la dernière évaluation du rendement, le fonctionnaire n’avait pas été en mesure de répondre de façon satisfaisante aux objectifs de rendement. Dans les circonstances, le plan cernait les objectifs que le fonctionnaire devait atteindre et maintenir, en plus de maintenir son rendement relativement à d’autres éléments liés à son travail. Les cinq responsabilités suivantes, ainsi que leurs indicateurs de rendement, étaient énumérées (et seules les quatre premières responsabilités constituent les motifs à l’appui de la rétrogradation) :

Responsabilité 1 : Mener des projets liés à l’évaluation avec un minimum de supervision, en respectant les délais d’exécution et les normes de qualité

Indicateurs de performance :

1.1.1 % d’ébauche de produits d’évaluation ne nécessitant pas de révisions majeures par le superviseur

1.1.2 100% de produits d’évaluation livrés en respectant les délais [cet indicateur est écrit en français et en anglais. La version anglaise est plus précise et comporte le critère de 100%]

Responsabilité 2 : Élaborer des plans et des stratégies d’appui à la conception et à la mise en œuvre de projets d’évaluation – Déterminer la nécessité de modifier les méthodes et techniques ou de développer des approches uniques

Indicateurs de performance [ces indicateurs sont écrits en français et en anglais. La version anglaise est plus précise et comporte le critère du 100%] :

2.1.1 100% Qualité et pertinence des démarches de collecte de données et d’analyse mises en œuvre dans le cadre des projets d’évaluation

2.1.2 100% de produits d’évaluation ne présentant pas d’erreurs d’analyse et/ou d’interprétation des données et/ou rendant compte des résultats d’une manière claire et concise

Responsabilité 3 : Assurer la direction technique d’équipes de projet composées de spécialistes de l’évaluation de programme, de personnel affecté par le programme et de consultants, en veillant à la qualité du travail, à la validation de l’interprétation des résultats de l’évaluation et à la crédibilité de la causalité

Indicateurs de performance [ces indicateurs sont écrits en français et en anglais. La version anglaise est plus précise et comporte le critère du 100%]:

3.1.1 Démonstration de la capacité à diriger les équipes de projets en impliquant les parties prenantes au bon moment – Les clients appropriés sont incluent dans les réunions de projet à 100% du temps

3.1.2 100% de produits présentant des enjeux de qualité non soulevés (Enjeux liés à la qualité du travail, à la validation de l’interprétation des résultats de l’évaluation et à la crédibilité de la causalité) – qualité élevée des produits, information à jour et exacte, attention aux détails est apparente

Responsabilité 4 : Entreprendre et coordonner la production de rapports d’évaluation, d’études spéciales et de présentations variées, les présenter et les défendre devant des comités et des groupes de travail

Indicateurs de performance :

4.1.1 100% des produits d’évaluation ne présentant pas d’erreurs de langue, et/ou ne rendant pas compte des démarches/résultats d’une manière claire et concise, aucune révision majeure [l’indicateur 4.1.1 est écrit en français et en anglais. La version anglaise est plus précise et comporte le critère du 100%].

4.1.2 100% des communications verbales sont comprises (aucune question de clarification par le superviseur ou le personnel) [l’indicateur 4.1.2 n’apparaît pas en français. Il n’est inscrit qu’en anglais et a été traduit].

Responsabilité 5 : Accepter, solliciter et intégrer la rétroaction offerte dans le milieu de travail

5.1.1 Démonstration à 100% de la capacité à solliciter et/ou accepter et/ou intégrer la rétroaction de son superviseur et ses collègues [cet indicateur est écrit en français et en anglais. La version anglaise est plus précise et comporte le critère du 100%].

[111]  Le 9 juin 2014, le fonctionnaire a été avisé par le biais d’une lettre que le plan d’amélioration du rendement viserait finalement la période du 29 mai au 28 novembre 2014.

J.  La demande d’évaluations de mi-parcours et du changement des critères d’évaluation

[112]  Le fonctionnaire était d’avis que la méthodologie adoptée dans le plan d’amélioration du rendement ne permettrait pas de mesurer ses progrès graduels au cours de la période d’évaluation. Plus précisément, la méthode d’évaluation consistait à indiquer s’il atteignait ou n’atteignait pas les objectifs établis. Selon lui, cela revenait à une exigence qu’il obtienne 100 % pour chaque objectif. À défaut de quoi, il obtiendrait la note de « ne rencontre pas », ce qui en venait à dire qu’il obtiendrait 0 %. Le fonctionnaire a donc demandé l’ajout d’une colonne dans le plan avec des objectifs-cibles de rendement pour lui donner un aperçu de ses progrès.

[113]  Plus particulièrement, le fonctionnaire a demandé que Mme Clark-Larkin évalue ses progrès en pourcentage au lieu d’accorder la mention « rencontre » ou « ne rencontre pas ». Selon lui, tel qu’il a été mentionné, selon la méthodologie choisie par Mme Clark-Larkin, pour obtenir une évaluation de « rencontre » un critère, il devait obtenir 100 %. Il souhaitait plutôt devoir viser un pourcentage tel que 70 %, par exemple.

[114]  Le fonctionnaire a présenté une autre raison relativement à son désaccord avec la méthode d’évaluation de son travail utilisée dans le cadre du plan d’amélioration du rendement. Il a insisté sur le fait que la méthode d’évaluation choisie par la gestion était entièrement subjective. Il avait proposé une évaluation avec un seuil d’acceptabilité ou avec une échelle de rendement. Il a donné l’exemple suivant : un pointage aurait pu lui être alloué pour différents critères : par exemple, 10 points lorsqu’il présente son rapport à temps, 25 points pour une collecte des données effectuée avec la rigueur nécessaire, 25 points pour une analyse approfondie, etc. Le tout avec une note de passage de 70 % par exemple.

[115]  Plutôt, l’employeur a choisi une évaluation selon les critères « rencontre » ou « ne rencontre pas ». Le fonctionnaire a insisté sur le fait que sa représentante syndicale et lui ont fait des pieds et des mains afin que son évaluation ne dépende pas entièrement de l’évaluation subjective de Mme Clark-Larkin, avec qui il ne s’entendait pas bien. Toutefois, cette dernière a catégoriquement refusé toute variation de la méthode de correction proposée et des critères d’évaluation « rencontre » et « ne rencontre pas ».

[116]  Selon le fonctionnaire, Mme Clark-Larkin lui aurait dit que ce qu’il proposait n’était pas possible puisque, dans ce type de rapport, toutes les données présentées doivent être fiables et il ne peut y avoir de confusion.

[117]  À l’audience, Mme Clark-Larkin a dit que les rapports devaient être clairs et concis. Dans les circonstances, les critères « rencontre » ou « ne rencontre pas » étaient adéquats. Elle a aussi précisé qu’elle aurait accordé la note de « rencontre » si des révisions mineures seulement des ébauches avaient été nécessaires. Elle a donné l’exemple d’une révision dans la formulation exacte d’une idée; elle aurait considéré cette révision comme une révision mineure acceptable. Toutefois, a-t-elle expliqué, elle devait utiliser le critère « ne rencontre pas » lorsque le contenu n’était pas acceptable, c.-à-d. s’il y avait des lacunes au niveau de la clarté, de l’analyse ou de la fluidité du rapport. Elle a précisé que le contenu des rapports était discuté à l’avance avec les agents principaux d’évaluation et qu’étant donné ce travail de préparation effectué en amont, il n’était pas acceptable que des révisions majeures soient requises.

[118]  Le fonctionnaire a expliqué qu’il a demandé si une politique existait sur le droit d’utiliser les critères « rencontre » ou « ne rencontre pas ». Selon lui, Mme Clark‑Larkin a consulté une conseillère en ressources humaines qui lui a dit qu’il existe un document de référence qui appuie une méthodologie qui fixe à 100 % le critère pour l’atteinte de chaque objectif. Le fonctionnaire a toutefois indiqué que ce document de référence ne lui avait pas été communiqué, malgré sa demande pour l’obtenir.

[119]  Ensuite, le fonctionnaire a affirmé que bien qu’il ait eu l’occasion de suivre deux cours pendant la période d’évaluation, l’un sur l’analyse critique et l’autre intitulé [traduction] « Rédaction dans un langage d’affaires clair », ces deux cours ne lui ont pas permis d’atteindre les critères inscrits dans le plan d’amélioration du rendement, car il n’a pas eu le temps d’utiliser ces connaissances lors des évaluations effectuées entre juin et novembre 2014. Il a insisté sur le fait que Mme Clark-Larkin changeait continuellement la formulation des phrases de ses rapports.

K.  La première évaluation du 14 juillet 2014 en fonction du plan d’amélioration

[120]  La gestion n’a pas accepté de changer les critères d’évaluation du plan, mais elle a cependant convenu d’évaluer le fonctionnaire à différents intervalles pendant la durée du plan afin de l’aider à s’améliorer. La gestion souhaitait à ces occasions discuter de ses améliorations et de ses difficultés, ainsi que des outils mis à sa disposition pour l’aider. Ainsi, sa première évaluation est datée du 14 juillet 2014.

[121]  À cette date, Mme Clark-Larkin a en fait inscrit dans le plan que le fonctionnaire n’avait pas atteint les résultats souhaités selon son évaluation des indicateurs de rendement 1.1.1, 1.1.2, 3.1.1, 4.1.2 et 5. Plus précisément, sous l’indicateur de rendement 1.1.2, elle a inscrit qu’il avait livré ses rapports à temps mais ceci ne lui a toutefois pas permis de répondre aux attentes pour la responsabilité 1. Il était noté que la responsabilité 2 ne pouvait être évaluée pour cette période d’examen et que les indicateurs de rendement 3.1.2 et 4.1.1 n’avaient pas été évalués. Mme Clark-Larkin donnait des exemples illustrant les difficultés rencontrées par le fonctionnaire. Mme Morris a affirmé que Mme Clark-Larkin avait des exemples à l’appui pour chaque décision ou conclusion qu’elle rendait.

[122]  À ce moment, le fonctionnaire a été surpris de constater qu’il avait reçu un échec pour toutes les responsabilités évaluées, puisque, entre autres, ses rapports étaient livrés dans les délais, donc il avait rencontré l’indicateur 1.1.2. L’évaluation mentionnait ainsi certains de ses accomplissements. Malgré tout, il n’avait que des échecs et cela démontrait, selon lui, que la façon de l’évaluer était déficiente. Son évaluation globale était « ne rencontre pas » pour tous les objectifs. Il a communiqué cette incohérence à la gestion, qui a refusé de changer sa méthode d’évaluation.

[123]  Une autre révision de mi-parcours du plan était prévue le 29 août 2014. Cette révision n’a toutefois pas été effectuée à cause des vacances d’été. La révision a été remise au 25 septembre 2014.

[124]  Le 2 septembre 2014, Mme Clark-Larkin a fait parvenir un courriel à Mme Morris. Dans son courriel, Mme Clark-Larkin reconnaissait que le fonctionnaire travaillait de façon régulière. Selon son impression générale, l’ébauche du rapport qu’il avait alors rédigé [traduction] « n’était pas mauvaise pour une première ébauche ». Toutefois, par la suite, elle a décortiqué chaque partie du rapport en écrivant qu’elle soupçonnait que des renseignements étaient inexacts ici et là.

L.  L’évaluation du 25 septembre 2014 en fonction du plan d’amélioration du rendement

[125]  Le 25 septembre 2014, Mme Clark-Larkin a de nouveau inscrit dans le plan que le fonctionnaire n’avait pas atteint les résultats souhaités selon son évaluation des indicateurs de rendement 1.1.1, 3.1.1, 3.1.2, 4.1.1 et 4.1.2. Il avait atteint les résultats souhaités pour les indicateurs de rendement 1.1.2 et 5, ce qui ne lui avait toutefois pas permis de répondre aux attentes pour la responsabilité 1; il avait répondu aux attentes pour la responsabilité 5. Il était noté que la responsabilité 2 ne pouvait être évaluée pour cette période d’examen.

[126]  Le 26 septembre 2014, lors de la réunion tenue pour discuter de son rendement conformément au plan, Mme Clark-Larkin a clairement communiqué au fonctionnaire que la gestion s’attendait à ce qu’un projet soit précis, vérifié, examiné de manière critique lorsqu’il était soumis aux superviseurs. Les notes de la réunion mentionnaient spécifiquement : [traduction] « on s’attend à ce qu’une ébauche soit exacte, vérifiée et examinée de façon critique lorsqu’elle est présentée aux superviseurs ».

[127]  Le 21 octobre 2014, Mme Clark-Larkin a fait parvenir une nouvelle lettre au fonctionnaire qui incluait les passages suivants :

[Traduction]

La présente lettre fait suite à notre réunion du 26 septembre 2014, au cours de laquelle nous avons discuté de l’état d’avancement de votre plan d’amélioration du rendement à ce jour.

[…]

Tout au long de votre plan d’amélioration du rendement, je vous ai offert mon soutien au moyen de réunions régulières, d’encadrement, de rétroaction et de cours de formation en pensée analytique et en anglais langue seconde. Lors de l’examen de vos progrès, je reconnais que vous avez eu peu de temps pour appliquer les compétences acquises dans vos cours de formation. Vous aurez l’occasion d’appliquer ces compétences tout au long de la durée du plan d’amélioration du rendement. Veuillez noter qu’une amélioration importante et durable de votre rendement est nécessaire afin que vous puissiez répondre aux exigences de votre poste, plus précisément :

exécuter des projets liés à l’évaluation avec une supervision minimale, conformément aux délais et aux normes de qualité;

élaborer des plans et des programmes à l’appui de la conception et de la mise en œuvre de projets d’évaluation;

fournir une orientation technique aux équipes de projet composées de spécialistes de l’évaluation des programmes, de personnel de programme et de consultants, en veillant à la qualité du travail, à la validité de l’interprétation des résultats de l’évaluation et à la crédibilité de l’analyse causale;

entreprendre et coordonner la production de rapports d’évaluation, d’études spéciales et de diverses présentations, y compris les présenter et les défendre devant les comités et les groupes de travail.

Bien que je m’engage toujours à vous aider à perfectionner vos compétences et vos capacités afin de répondre pleinement aux exigences de votre poste d’attache, il est important que vous réalisiez que la situation actuelle doit être entièrement corrigée d’ici la fin du plan d’amélioration du rendement. Dans l’éventualité où votre rendement ne se serait pas amélioré de façon significative et durable d’ici le 26 novembre 2014, nous devrons envisager d’autres solutions pour corriger la situation, jusqu’à la rétrogradation ou le licenciement inclus.

[…]

[128]  Le 23 octobre 2014, Mme Morris a envoyé un courriel à Mme Clark‑Larkin. Elle souhaitait l’informer qu’elle avait rencontré le fonctionnaire dans le couloir plus tôt dans la journée et qu’il lui avait demandé ce qu’elle avait pensé de la réunion tenue le matin même entre la gestion et lui, puisqu’il doutait de la bonne foi de Mme Clark-Larkin. Il avait précisé que la méthodologie utilisée pour l’évaluer était déraisonnable. À l’audience, le fonctionnaire a insisté sur le fait qu’il avait fait valoir qu’un seuil à atteindre de 70 % aurait été plus raisonnable que le seuil exigé de 100 %. Il était de l’avis qu’il était normal que certaines corrections soient faites par la gestion lorsqu’il s’agit d’un rapport volumineux. Il n’était pas juste de lui demander de ne faire aucune erreur. Mme Morris a écrit dans son courriel à Mme Clark-Larkin qu’elle avait invité le fonctionnaire à l’accompagner dans son bureau, pensant qu’elle pourrait renforcer certains des messages que la gestion lui avait passés le matin même. Elle a noté que le fonctionnaire était en désaccord avec l’avis des autres, entre autres, qu’un indicateur ne s’appliquait qu’à un programme, et non pas à deux programmes. Mme Morris a insisté sur le fait qu’elle voulait lui faire comprendre qu’il n’avait pas réussi à communiquer son point de vue, parce que tous les autres en étaient arrivés à une conclusion différente.

[129]  À la suite de son évaluation, le fonctionnaire a encore remarqué que malgré certains de ses accomplissements, il avait encore obtenu une évaluation globale de « ne rencontre pas » pour les objectifs 1, 3 et 4 évalués. Mme Clark-Larkin ne tenait donc pas compte de son progrès. À l’audience, il a porté à mon attention qu’à la page 6 de son évaluation par exemple, il est inscrit [traduction] « rencontre » pour le sous-objectif « 5.1 Travailler de manière ouverte et coopérative ». Toutefois, Mme Clark-Larkin inscrit dans son commentaire surtout des propos négatifs.

[130]  Lorsqu’il a reçu la lettre de Mme Clark-Larkin du 21 octobre 2014, qui mentionnait que son rendement au travail ne s’était pas amélioré de façon significative, le fonctionnaire a perçu que le plan ne servait qu’à documenter ses supposés échecs et ne comptabilisait pas ses améliorations. Il peut être noté qu’il s’était amélioré au niveau de la collaboration avec les autres au sein de la division de l’évaluation. Il avait donc progressé et atteint le point 1.1.2.

[131]  Le fonctionnaire a expliqué que, à ce moment-là, la seule rétroaction de son travail qu’il recevait concernait les corrections qui étaient effectuées continuellement sur ses rapports avec des directives de corriger le tout. Il a ajouté qu’il allait ainsi recevoir une lettre à chaque évaluation de mi-parcours en conformité avec le plan d’amélioration du rendement. Cette façon de faire constituait clairement, selon lui, une façon de documenter son rendement estimé insuffisant.

[132]  L’évaluation finale en fonction du plan a été reportée du 26 novembre au 5 décembre 2014.

M.  L’évaluation du 5 décembre 2014 en fonction du plan d’amélioration du rendement

[133]  Le 5 décembre 2014, Mme Clark-Larkin a inscrit dans le plan que le fonctionnaire n’avait pas atteint les résultats souhaités selon son évaluation des indicateurs de rendement 1.1.1, 1.1.2, 3.1.1, 3.1.2, 4.1.1 et 4.1.2. Il était noté que la responsabilité 2 ne pouvait être évaluée pour cette période d’examen et que le fonctionnaire avait atteint les résultats souhaités pour la responsabilité 5.

[134]  Le fonctionnaire, qui avait travaillé très fort, s’attendait à atteindre plusieurs objectifs du plan. Il a expliqué que, à ce moment, il s’était vraiment rendu compte qu’il n’y avait rien qu’il pouvait faire. Peu importe les efforts qu’il déployait, son travail était continuellement jugé insuffisant.

[135]  Le 18 décembre 2014, il a reçu une lettre dont l’en-tête était le suivant : [traduction] « DERNIER AVERTISSEMENT CONCERNANT LES PROBLÈMES DE RENDEMENT LIÉS AU TRAVAIL ». Dans cette lettre, Mme Clark-Larkin informait le fonctionnaire qu’afin de lui donner une dernière occasion de démontrer une amélioration significative de son rendement, elle avait décidé de prolonger le plan d’amélioration du rendement jusqu’au 31 mars 2015. Elle identifiait les mêmes quatre domaines à améliorer. De plus, la lettre précisait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Au cours du plan, un soutien supplémentaire vous a été offert par Susan Morris, directrice de la division de l’évaluation et moi-même, y compris une charge de travail réduite (p. ex., une seule étude d’évaluation) afin de vous donner plus de temps pour vous concentrer sur l’amélioration de votre rendement au travail. On vous a également fourni un encadrement, des conseils et des commentaires écrits sur votre travail. Ce rapport est toujours à votre disposition.

[…]

À l’heure actuelle, je crois que je vous ai offert toutes les occasions de réussir à satisfaire aux exigences du poste d’agent principal d’évaluation de programme à la division de l’évaluation, classifié au groupe et au niveau GR-08. Par conséquent, je vous informe par la présente que, si votre rendement ne s’est pas considérablement amélioré de façon à satisfaire aux exigences de votre poste d’ici le 31 mars 2015, je recommanderai d’autres arrangements. Ce type d’arrangement peut entraîner une rétrogradation de votre poste actuel ou, si une rétrogradation n’est pas possible, je recommanderai de mettre fin à votre emploi au CRSH […]

[136]  À ce moment, sentant que son travail était en danger, le fonctionnaire, qui cherchait désespérément une solution de dernier recours, a écrit au vice-président exécutif de CRSH. Il lui a expliqué ses difficultés avec Mmes Clark-Larkin et Vergnhes. Il lui a demandé de l’aide pour sauver son poste.

[137]  Le fonctionnaire a eu une réunion le 12 janvier 2015, avec son représentant syndical, Mme Clark-Larkin et une conseillère en ressources humaines. Lors de cette réunion, le fonctionnaire a reçu une lettre dont l’en-tête était le suivant : [traduction] « MODIFICATION AU DERNIER AVERTISSEMENT CONCERNANT LES PROBLÈMES DE RENDEMENT LIÉS AU TRAVAIL ÉMIS LE 18 DÉCEMBRE 2014 ». Mme Clark-Larkin a expliqué que le fonctionnaire lui avait mentionné qu’une partie de la lettre précédente n’était pas claire. Par la suite, la phrase suivante, plus précisément, a été clarifiée :

[Traduction]

[…]

Veuillez prendre note que je pourrais recommander une rétrogradation avant le 31 mars 2015 si vous n’êtes pas en mesure de démontrer une amélioration importante et durable d’ici le milieu de la prolongation de trois mois (le 23 février 2015) et qu’une occasion appropriée au sein de l’organisation se présente.

[…]

[138]  Cette lettre précisait que si une possibilité de rétrogradation était disponible avant le 31 mars 2015, Mme Clark-Larkin pouvait recommander que des mesures soient prises avant la fin mars 2015, ou mettre fin à son emploi si la rétrogradation n’était pas possible.

[139]  En réponse à sa demande d’aide du 18 décembre 2014, le vice-président exécutif a demandé à la Section des ressources humaines de communiquer avec le fonctionnaire au sujet de la question du harcèlement. Le fonctionnaire a ainsi eu une discussion et une rencontre avec une conseillère en ressources humaines au sujet de ses allégations de harcèlement. Cette dernière a préparé, le 27 janvier, un résumé des sujets abordés lors de la rencontre, qui étaient les suivants : 1) harcèlement par Murielle Vergnhes; 2) inquiétudes avec Shannon Clark-Larkin. Sous ce dernier point, quatre sujets avaient été abordés. Ces sujets étaient les suivants :

[Traduction]

i Allégation que vos objectifs de rendement n’ont pas été atteints;

ii Allégation qu’elle vous a fait recueillir des renseignements financiers qui n’étaient pas recommandés par le chef de la division de l’évaluation;

iii Allégation qu’elle a accusé [le fonctionnaire] d’avoir communiqué avec une mauvaise personne pour la collecte de données;

iv Allégation qu’elle a indiqué qu’elle pouvait vous licencier à tout moment avant la fin du mois de mars 2015.

[140]  Par la suite, le fonctionnaire a été invité à rencontrer Mme Morris pour un suivi de cette rencontre.

N.  L’évaluation du 1er mars 2015

[141]  En date du 1er mars 2015, Mme Clark-Larkin a inscrit dans le plan que le fonctionnaire n’avait pas atteint les résultats souhaités pour les indicateurs de rendement suivants du plan : 1.1.1, 2.1.1, 2.1.2, 3.1.2, 4.1.1 et 4.1.2. Il était noté que le fonctionnaire avait atteint les résultats souhaités en tout ou en partie pour les responsabilités 1.1.2, 3.1.1 et 5.

[142]  Le 5 mars 2015, Mme Clark-Larkin a indiqué, dans un courriel à Mme Morris, ses observations relativement à une réunion qu’elle avait eue avec le fonctionnaire le jour même et qui ne s’était pas particulièrement bien passée. Elle a noté qu’avant d’envoyer son évaluation au fonctionnaire, elle avait souhaité avoir une brève discussion avec lui pour voir comment, selon lui, les choses se passaient. Elle a inscrit que lorsqu’elle lui a demandé ce qu’il pensait de la qualité du travail qu’il avait produit, il lui avait répondu que, depuis l’année précédente, il était d’avis que son travail s’était grandement amélioré, qu’il était assidu et qu’il avait tenu compte de tous les commentaires qu’elle lui avait présentés dans ses rapports. Selon Mme Clark-Larkin, il avait poursuivi sur cette note en indiquant qu’il était satisfait de son travail et de la façon dont les choses se déroulaient. Dans sa note, Mme Clark‑Larkin précisait qu’elle l’avait alors informé qu’elle avait terminé son évaluation et que, malheureusement, son évaluation n’était pas la même que la sienne.

[143]  Selon la note de Mme Clark-Larkin, ses paroles avaient surpris le fonctionnaire. Il était déconcerté et avait demandé comment il était possible que sa gestionnaire n’ait pu voir aucune amélioration dans son rendement au cours de l’année précédente. Mme Clark-Larkin lui a répondu qu’il y avait effectivement certains aspects qui s’étaient améliorés, par exemple la communication avec sa gestionnaire ainsi que la révision et l’intégration de ses commentaires dans les versions préliminaires ultérieures de son travail. Il a répondu que, à l’avenir, lorsque sa gestionnaire lui ferait des commentaires sur son travail, il aimerait qu’il y ait quelqu’un d’objectif dans la salle qui puisse décider si ces commentaires étaient raisonnables et suffisamment précis. Mme Clark-Larkin a répondu que cela n’était pas réalisable parce qu’en tant que gestionnaire, son travail consistait à porter un jugement sur la qualité de son travail et qu’un tiers n’avait pas nécessairement ce même mandat.

[144]  En fin de compte, le 5 mars 2015, le fonctionnaire a déclaré qu’il estimait que le plan d’amélioration du rendement avait été inutile, car ses gestionnaires avaient déjà décidé de l’issue du processus. De plus, il a précisé qu’il s’agissait de la raison pour laquelle il n’avait pas pris la parole au cours des discussions précédentes.

O.  La recommandation de rétrogradation

[145]  Le 9 mars 2015, le fonctionnaire a reçu une lettre dont l’en-tête était le suivant : [traduction] « RECOMMANDATION POUR UNE RÉTROGRADATION ». Dans cette lettre, Mme Clark-Larkin informait le fonctionnaire de ce qui suit :

[Traduction]

[…]

À l’heure actuelle, le milieu de la prolongation de trois mois de votre plan d’amélioration du rendement est passé. J’ai le regret de vous informer que vous n’avez pas fait preuve d’amélioration importante malgré les efforts précédents pour vous aider à améliorer votre rendement, y compris la formation, une charge de travail réduite, un encadrement, des conseils, ainsi que les commentaires verbaux et écrits sur votre travail. Par conséquent, je recommanderai à la personne titulaire de l’autorité déléguée, Susan Morris, directrice de la Division de l’évaluation, qu’une mesure soit prise pour procéder à votre rétrogradation pour rendement insuffisant conformément à l’alinéa 12(2)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques.

[…]

[146]  Mme Clark-Larkin a affirmé que Mme Morris s’était par la suite occupée du processus de rétrogradation. Elle s’est entretenue avec des directeurs d’autres divisions. Un poste d’agent de programme dans le portefeuille de la recherche était disponible. Les compétences du fonctionnaire ont été évaluées au regard des compétences essentielles associées au poste. Le fonctionnaire possédait les compétences requises.

P.  L’évaluation du rendement du 21 mai 2015

[147]  Le 21 mai 2015, Mme Clark-Larkin et Mme Morris ont signé la dernière évaluation du rendement annuelle du fonctionnaire pour la période d’avril 2014 à mars 2015. Tel qu’il est inscrit sur la première page du document, le fonctionnaire désirait que ce rapport d’évaluation du rendement soit rédigé en anglais. Un des passages inclus dans l’évaluation était le suivant :

[Traduction]

[…]

Dans l’ensemble, les produits livrables de Patrick continuent de nécessiter des révisions importantes. En effet, de nombreuses séries de révisions sont souvent nécessaires et, en fin de compte, le produit est révisé par le superviseur pour l’amener au niveau de qualité requise. Patrick continue d’être réceptif aux commentaires de sa superviseure – il est prêt à apporter des changements en fonction de la rétroaction de sa superviseure et d’autres employés. Sa superviseure a remarqué que, même si Patrick est réceptif à ses commentaires et tient compte de sa rétroaction, il n’est pas clair s’il comprend que le travail doit être amélioré. Une préoccupation générale est de savoir si Patrick apprend ou non de la rétroaction fournie afin de pouvoir l’appliquer à son travail dans l’avenir. À de nombreuses reprises, il a indiqué qu’il estimait que les changements demandés par sa superviseure ne sont pas nécessaires. Même si la superviseure de Patrick fournit une rétroaction approfondie afin d’améliorer la qualité du travail de Patrick, il ne semble pas appliquer cette rétroaction subséquemment dans son travail. Il semble qu’il soit fondamentalement en désaccord avec sa superviseure au sujet des normes de qualité des produits livrables préparés par un évaluateur principal.

[148]  Le même jour, le fonctionnaire a répondu à Mme Clark-Larkin qu’il était d’avis que cette évaluation, comme les évaluations de mi-parcours, était injuste et biaisée.

[149]  Le fonctionnaire m’a montré deux exemples de commentaires qu’il a formulés en réponse à l’évaluation annuelle négative qu’il a reçue. Par exemple, il a écrit ce qui suit :

[Traduction]

Contradiction! Dans une évaluation précédente du [plan d’amélioration du rendement], la superviseure a conclu que j’avais atteint l’objectif en ce qui a trait à la demande de rétroaction du superviseur. J’ai consulté mes collègues lorsque j’en avais besoin. J’ai régulièrement consulté et fourni des commentaires au personnel qui travaillait sur les différentes composantes des évaluations que j’ai menées.

[…]

C’est l’un des cauchemars de travailler avec la superviseure. Il n’était pas possible d’obtenir une attente claire de la part de la superviseure à ce sujet. Il s’est avéré que, lorsque j’ai fourni des renseignements plus détaillés, cela n’était pas apprécié. À l’inverse, lorsque la quantité de renseignements était limitée, c’était également critiqué et désapprouvé. La superviseure n’a donné aucune directive claire concernant ses attentes en ce qui a trait à la quantité de renseignements détaillés à fournir.

[150]  À la suite de cette rétroaction, Mme Clark-Larkin n’a pas modifié son évaluation.

[151]  Je note qu’il ne devrait normalement pas y avoir de contraste frappant entre cette évaluation annuelle et les évaluations de mi-parcours pour les périodes communes d’évaluation. Or, nous verrons que l’évaluation annuelle ne concorde pas avec les évaluations de mi-parcours. Par exemple, pour le critère « Organisation » il est inscrit: « il a de la difficulté à gérer son temps », alors qu’il est indiqué dans ses évaluations du 14 juillet, du 25 septembre, du 5 décembre 2014 et du 1er mars 2015 qu’il respecte les délais.

[152]  Et l’inverse est vrai aussi. Pour le critère « Qualités » il est inscrit dans l’évaluation annuelle: « A démontré jusqu’à un certain point ses capacités d’analyse. » Cette constatation (qu’il a démontré jusqu’à un certain point ses capacités d’analyse) n’est cependant pas mentionnée dans les évaluations de mi-parcours.

[153]  Au sujet de la question de la charge de travail réduite du fonctionnaire, Mme Clark-Larkin a dit avoir embauché un consultant pour faire de l’entrée de données car aucun employé junior n’était disponible pour le faire, et que ce n’est pas le rôle d’un agent principal d’évaluation de le faire. Ainsi, le fonctionnaire avait principalement un seul projet au lieu de plusieurs. De ce fait, selon elle, il n’avait pas des priorités concurrentes. Ceci serait aussi la norme pour tous les évaluateurs, toutefois, selon le témoignage de Mme Morris.

[154]  Au sujet de la langue des rapports, Mme Clark-Larkin a précisé que le fonctionnaire pouvait rédiger les rapports en français ou en anglais, selon son choix. Il les rédigeait en anglais pour se pratiquer en anglais.

[155]  Mme Clark-Larkin m’a montré différentes versions de rapports préparés par le fonctionnaire dans lesquels elle avait fourni une rétroaction importante. Elle a expliqué que cela démontrait que les premières ébauches de ses rapports n’étaient pas du niveau d’un agent principal d’évaluation. Elle a expliqué qu’une fois que le fonctionnaire incorporait la rétroaction, la deuxième version de son ébauche de ses rapports correspondait davantage à une première ébauche d’un rapport préparé par un agent principal d’évaluation.

[156]  Je note aussi qu’à partir du 25 septembre 2014, la rétroaction n’était plus un des points qu’il devait améliorer. Il répondait aux attentes et il ne s’agit donc pas d’un des motifs de rétrogradation. En fait, il s’est amélioré sur ce point à partir du 14 juillet 2014.

[157]  Pour sa part, Mme Morris a affirmé que le plan d’amélioration du rendement avait été établi pour une période de six à neuf mois. Il a été prolongé à un an pour donner au fonctionnaire davantage de temps pour atteindre les exigences du poste. Ses tâches et les éléments livrables requis lui ont été expliqués régulièrement. Toutefois, les rapports qu’il livrait n’étaient pas de bonne qualité. Mme Clark-Larkin devait intervenir dans une mesure plus importante qu’elle ne l’aurait dû. Le fonctionnaire n’était pas d’accord avec la rétroaction qu’il recevait, mais cette rétroaction était importante, et l’intention de la gestion était de lui apprendre à préparer les prochains rapports. Toutefois, les mêmes problèmes persistaient. Or, il était nécessaire qu’il applique les nouvelles connaissances aux autres produits livrables. Malgré l’ampleur de la rétroaction donnée, ses produits livrables écrits n’étaient pas acceptables.

[158]  Mme Morris a aussi précisé que ces compétences étaient essentielles dans son poste, et l’évaluation selon laquelle le rendement du fonctionnaire était insuffisant était raisonnable. Elle a donc décidé de le rétrograder.

[159]  Le fonctionnaire, quant à lui, a exprimé simplement que s’il incluait trop d’informations dans ses rapports, il se faisait reprocher d’inclure trop de détails. Cependant, lorsqu’il en enlevait, il se faisait reprocher de n’être pas suffisamment clair. Selon lui, Mme Clark-Larkin n’était pas capable d’exprimer ses attentes. C’était une question d’instinct. Il avait beau être assidu au travail et un grand travailleur, il n’était pas capable de lire ce que Mme Clark-Larkin désirait. Le fonctionnaire a ajouté avec découragement ce qui suit : « Mais ne dit-on pas que lorsqu’on veut tuer son chat, on l’accuse de la rage? »

[160]  Il a présenté en preuve un rapport intitulé [traduction] « Évaluation des subventions de capacité de recherche institutionnelles », corrigé par Mme Morris. Il a expliqué que le rapport avait déjà été corrigé par Mme Clark-Larkin. Il était donc confus à ce moment-là, car certains commentaires de Mme Morris et de Mme Clark-Larkin étaient contradictoires. Il se demandait quels commentaires il devait incorporer.

[161]  Cette évaluation portait sur les programmes SIG (SSHRC Institutional Grants) et ASU (Assistance to Small Businesses). Le fonctionnaire a porté à mon attention un commentaire de Mme Morris avec lequel il n’était pas d’accord au motif que son tableau comportait des données concernant seulement les petites universités, ce qui n’était pas une erreur. Selon lui, Mme Morris n’avait pas compris, car elle avait comparé ces données avec d’autres données s’appliquant à toutes les universités de différentes grandeurs.

[162]  Il a insisté sur le fait qu’à certaines occasions, il avait déjà discuté de sujets avec Mme Clark-Larkin mais que, par la suite, après avoir lu ses rapports, Mme Morris posait des questions techniques. Selon lui, Mme Clark-Larkin et Mme Morris avaient des exigences différentes, et il lui était difficile de satisfaire l’une et l’autre.

[163]  Le fonctionnaire a porté à mon attention un autre rapport du 19 janvier 2014 qu’il avait préparé et qui était intitulé [traduction] « Évaluation des subventions de capacité de recherche institutionnelles ». Il a dit qu’il avait eu l’impression que la personne qui avait corrigé son rapport et apporté ses commentaires un peu partout dans le document ne semblait pas avoir lu la description du programme dans le document officiel avant de faire ses commentaires. Il a insisté sur le fait qu’il était en désaccord avec ces commentaires et qu’il ne savait plus sur quel pied danser. De plus, il a précisé qu’il n’était pas le seul à inclure certaines informations deux fois dans les rapports, mais sous des formes ou versions différentes, de façon à pouvoir choisir plus tard la version la plus appropriée. Toutefois, les commentaires ajoutés au document critiquaient cette façon de faire.

Q.  La rétrogradation

[164]  Mme Morris a mentionné que tout au long du processus d’évaluation, elle a souhaité que le fonctionnaire réussisse à améliorer son rendement. Malgré tout, il n’a pas satisfait aux exigences de son poste. Elle a ajouté qu’il apporte une contribution utile au CRSH. Par exemple, il réussit à faire beaucoup de travail différent. Il travaille généralement bien en équipe et il a une bonne éthique de travail, mais compte tenu du travail à accomplir dans sa division et la rareté des ressources, il avait été nécessaire qu’elle considère de lui trouver un autre poste, mieux adapté à lui.

[165]  Elle avait en fait constaté qu’elle ne pouvait pas livrer la marchandise avec le complément d’employés qu’elle avait. Elle a ajouté qu’elle a les mêmes attentes pour tous les employés classifiés GR-08 dans sa division. Elle a envisagé de lui trouver un autre poste classifié au groupe et au niveau GR-08, mais il ne semblait pas satisfaire aux compétences essentielles de ces postes, ce qui représentait un défi. Elle a donc décidé de le rétrograder de son poste classifié GR-08 à un autre de niveau inférieur.

[166]  Elle a d’abord considéré l’option de lui trouver un poste classifié au groupe et au niveau GR-07, mais le seul poste disponible à ce niveau ne concordait pas avec l’éducation et l’expérience du fonctionnaire. Elle a noté que le fonctionnaire avait souhaité remplacer un ancien collègue, mais ce poste comprenait des fonctions de supervision, et le fonctionnaire n’avait aucune expérience dans ce domaine. De plus, étant donné son plan d’amélioration, elle a conclu que cette option ne convenait pas.

[167]  Mme Morris a ensuite envisagé l’option de lui trouver un poste classifié au groupe et au niveau GR-06 dans sa division afin de le garder dans l’équipe. Toutefois, sa division avait besoin d’une personne classifiée au groupe et au niveau GR‑08 avec un potentiel fonctionnel. Elle a déterminé qu’il était évident que le travail à faire dans sa division devait être exécuté par un employé performant classifié au groupe et au niveau GR-08.

[168]  Mme Morris a ensuite examiné la liste des postes disponibles. En fait, il ne restait qu’une option au groupe et au niveau GR-06. Ce poste classifié au groupe et au niveau GR-06 a été offert au fonctionnaire. Mme Morris a jugé que le rendement du fonctionnaire serait meilleur dans ce poste.

[169]  Mme Morris a trouvé très difficile de prendre cette décision de rétrograder le fonctionnaire. Elle savait que le quotidien du fonctionnaire en serait affecté. En somme, elle se sentait mal, car il lui avait déjà dit qu’il aimait vraiment travailler dans le domaine de l’évaluation, qu’il s’y sentait à sa place. Donc, elle a trouvé difficile de lui dire qu’étant donné ses points forts et ses faiblesses, il ne s’agissait pas du meilleur poste pour lui au CRSH.

[170]  Le 25 mai 2015, Mme Morris a donc fait parvenir une lettre au fonctionnaire dont l’en-tête était le suivant : [traduction] « RÉTROGRADATION POUR RENDEMENT INSUFFISANT ». La lettre l’informant qu’il était rétrogradé comprend les passages suivants :

[Traduction]

En réponse à la lettre que vous avez reçue de votre gestionnaire du 9 mars 2015, j’ai décidé de passer à la mesure recommandée. Cette lettre servira donc d’avis de rétrogradation conformément à la délégation qui m’est accordée en vertu de l’alinéa 12(2)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques.

Cette décision est fondée sur les problèmes de rendement continus qui ont été cernés et qui vous ont été communiqués depuis juin 2013. Malgré un soutien continu, qui comprenait la mise en œuvre et le prolongement d’un plan d’amélioration du rendement, d’importantes lacunes ont persisté. En particulier, vous devez améliorer les domaines suivants :

exécuter des projets liés à l’évaluation avec une supervision minimale, conformément aux délais et aux normes de qualité;

élaborer des plans et des programmes à l’appui de la conception et de la mise en œuvre de projets d’évaluation;

fournir une orientation technique aux équipes de projet composées de spécialistes de l’évaluation des programmes, de personnel de programme et de consultants; assurer la qualité du travail, la validité de l’interprétation des résultats de l’évaluation et la crédibilité de l’analyse causale;

entreprendre et coordonner la production de rapports d’évaluation, d’études spéciales et de diverses présentations, y compris les présenter et les défendre devant les comités et les groupes de travail.

Au cours des 12 derniers mois, votre gestionnaire vous a soutenu par des discussions, un encadrement et une formation continus afin d’essayer d’améliorer vos compétences en matière de rendement. Malheureusement, il n’y a eu aucune amélioration dans les domaines cernés par votre gestionnaire. J’ai examiné la documentation à l’appui des efforts de votre gestionnaire à cet égard et je suis d’accord pour dire que c’est la meilleure option disponible.

J’ai reconnu les efforts que vous avez déployés et suis convaincue que vous demeurez un membre précieux du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH); mon intention est de vous garder employé à l’Agence là où vos compétences peuvent être mieux utilisées.

J’ai examiné et évalué toutes les options disponibles au sein de l’Agence afin de déterminer un poste qui compléterait le mieux vos compétences et vos capacités. Par conséquent, à compter du 8 juin 2015, vous serez nommé au poste 12238, agent de programme, classifié au niveau GR-06, dans le portefeuille de la formation en recherche de la Direction des programmes de recherche. Votre taux de rémunération sera calculé conformément à la clause 27.05 de la convention collective pour la catégorie de l’administration et du service extérieur.

[…]

[171]  Le fonctionnaire a expliqué qu’il avait vécu un grand stress lorsqu’il a reçu cette lettre, entraînant une rechute au niveau de sa santé. Il a été en congé de maladie jusqu’au 5 octobre 2015, date à laquelle il a commencé son travail d’agent de programme dans la division des Programmes, portefeuille de formation à la recherche.

[172]  En contre-interrogatoire, le représentant de l’employeur a demandé au fonctionnaire s’il avait déposé une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale pour contester sa rétrogradation. Le fonctionnaire a répondu par la négative. Avec l’appui de son agent négociateur, il a plutôt déposé le présent grief pour contester sa rétrogradation.

[173]  Le représentant de l’employeur a aussi demandé au fonctionnaire s’il était un grand travailleur et s’il était engagé et assidu dans son travail. Le fonctionnaire a répondu par l’affirmative. Il a aussi donné son accord à la suggestion du représentant de l’employeur qu’il n’avait jamais été négligent. Le fonctionnaire a également été invité à répondre à la question de savoir s’il avait déjà été fautif, commis un acte malveillant ou enfreint des règles de civilité ou d’éthique. Il a répondu que non, qu’il offre le meilleur de lui-même au travail. Il a ajouté que dans ses évaluations précédentes, sa gestionnaire avait reconnu spécifiquement la qualité de son travail ainsi que son esprit innovateur et son bon comportement.

[174]  En conclusion, le représentant de l’employeur a demandé au fonctionnaire s’il reconnaissait que, de façon générale, l’intérêt de l’employeur avait été de s’assurer que chaque employé soit capable de faire un travail à un niveau satisfaisant. Le fonctionnaire a répondu qu’il s’agissait d’un intérêt valable, oui, mais qu’il offrait un travail à un niveau satisfaisant. Il était performant. C’était à cause des tensions qui étaient apparues entre lui et sa nouvelle gestionnaire, à la suite de la création de la nouvelle équipe, que les problèmes étaient survenus. Selon lui, elle lui avait imposé un plan d’amélioration du rendement pour lui enlever son emploi à cause de cette tension; ce plan comportait une méthodologie et une approche incorrectes et injustes, ce qui lui a causé préjudice et fait perdre son poste.

[175]  Enfin, le fonctionnaire a ajouté que toutes les évaluations du rendement qu’il a reçues à la suite de sa rétrogradation dans le cadre de son nouveau poste classifié au groupe et au niveau GR-06 ont été bonnes. De plus, au moment de l’audience, le fonctionnaire occupait un poste par intérim, classifié au groupe et au niveau GR-07, et recevait de très bons commentaires quant à son rendement.

IV.   La rétrogradation du fonctionnaire était-elle une mesure disciplinaire déguisée?

A.  La position de l’employeur

[176]  L’employeur soutient que la mesure imposée au fonctionnaire était une mesure administrative, soit une rétrogradation pour rendement insuffisant, dont la Commission ne peut pas être saisie en vertu de la LRTSPF puisque l’employeur est un organisme distinct non désigné. L’employeur soutient donc que la Commission n’a pas compétence pour déterminer si l’évaluation du rendement était juste ou exacte. Si le fonctionnaire avait le sentiment que son travail a été évalué injustement, le recours approprié aurait été de demander un contrôle judiciaire de la décision rendue au dernier palier, ce qui n’a pas été fait.

[177]  L’employeur insiste sur le fait que lorsqu’un grief ne peut pas être assujetti à l’arbitrage, une partie peut demander à la Cour fédérale d’effectuer un contrôle judiciaire de la décision rendue au dernier palier. Pour soutenir cette affirmation, l’employeur s’est appuyé sur les paragraphes précisés dans les décisions suivantes : Green c. Administrateur général (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2017 CRTEFP 17, au par. 340 (« Green »); Cameron c. Administrateur général (Bureau du Directeur des poursuites pénales), 2015 CRTEFP 98, au par. 85; Nadeau c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 31, au par. 164 (Nadeau c. Canada (Procureur général), 2018 FCA 203 - demande de contrôle judiciaire rejetée); Canada (Procureur général) c. Assh, 2005 CF 734, au par. 12.

[178]  Ainsi, l’employeur fait valoir que pour appuyer son grief, le fonctionnaire doit démontrer que sa rétrogradation était une mesure disciplinaire. Or, si la preuve est établie que sa rétrogradation découle d’un problème de rendement, la Commission n’aura pas compétence, étant donné que l’employeur est un organisme distinct non désigné.

[179]  Selon l’employeur, au regard de la preuve, le fonctionnaire n’a pas réussi à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que sa rétrogradation est une mesure disciplinaire déguisée que l’employeur lui a imposée. L’employeur soutient qu’il incombait au fonctionnaire de démontrer que la mesure prise par l’employeur n’est pas ce qu’elle paraît être à première vue. L’employeur s’appuie sur les paragraphes précisés des décisions suivantes pour soutenir son affirmation : Wong c. Administrateur général (Service canadien du renseignement de sécurité), 2010 CRTFP 18, au par. 34 (« Wong »); Green, aux par. 342 et 376; Peters c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires indiennes et du Nord), 2007 CRTFP 7, aux par. 304 et 334 (« Peters »); Lindsay c. Canada (Procureur général), 2010 CF 389, au par. 46; Chamberlain c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2010 CRTFP 130, au par. 96 (« Chamberlain »).

[180]  L’employeur ajoute que le fonctionnaire n’a pas établi, d’une part, que l’intention de l’employeur était de le punir et de lui imposer des mesures disciplinaires. D’autre part, selon l’employeur, le fonctionnaire n’a pas réussi à établir l’existence d’un comportement coupable sous-jacent ou d’un acte malfaisant.

[181]  Premièrement, en appui à son argument que le fonctionnaire n’a pas établi que l’intention de l’employeur était de le punir ou de lui imposer une mesure disciplinaire, l’employeur fait valoir qu’il est reconnu que la grande majorité des mesures prises en milieu de travail par un employeur sont de nature purement administrative et ne sont pas des formes de mesure disciplinaire. L’employeur m’a renvoyé à Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176, au par. 20 (« Frazee »), qui se lit comme suit : « La jurisprudence confirme que toute mesure prise par l’employeur qui a un effet préjudiciable sur l’employé n’est pas nécessairement une mesure disciplinaire. »

[182]  Selon l’employeur, les décisions suivantes démontrent que « l’intention de l’employeur est centrale pour déterminer si une mesure administrative est réellement une mesure disciplinaire » (voir Agbodoh-Falschau c. Commission canadienne de sûreté nucléaire, 2014 CRTFP 4, au par. 29 (« Agbodoh-Falschau »); Chamberlain, au par. 96; Frazee, au par. 22; Cameron c. Administrateur général (Bureau du Directeur des poursuites pénales), 2015 CRTEFP 98, au par. 96). L’employeur fait valoir que ces décisions énoncent que le fonctionnaire doit établir que l’employeur avait l’intention de le punir et de lui imposer une mesure disciplinaire.

[183]  Selon l’employeur, les faits pertinents concernant l’intention de la gestion peuvent être résumés comme suit : 1) Mme Clark-Larkin et Mme Morris ont toutes les deux témoigné que le but de tout l’exercice de rendement était d’aider le fonctionnaire; 2) les deux mêmes témoins ont témoigné qu’elles souhaitaient que le fonctionnaire réussisse à atteindre les objectifs établis dans le plan d’amélioration du rendement; 3) les deux mêmes témoins et la preuve documentaire démontrent que l’employeur a consacré beaucoup de temps et d’efforts à aider le fonctionnaire à améliorer son rendement. Or, le rendement du fonctionnaire n’était pas satisfaisant. Pour toutes ces raisons, l’employeur soutient que le fonctionnaire n’a pas démontré qu’il existait une intention de le punir et de lui imposer une mesure disciplinaire.

[184]  Selon l’employeur, la preuve démontre que la gestion avait des préoccupations opérationnelles légitimes par rapport au rendement du fonctionnaire. Il ajoute que les faits à ce sujet se résument comme suit : 1) dans son contre-interrogatoire, le fonctionnaire n’a pas contesté le fait que l’employeur avait des préoccupations opérationnelles légitimes que son rendement atteigne le niveau de production prévu; et 2) le fonctionnaire a lui-même ajouté durant son interrogatoire-en-chef qu’il lui arrive de superviser des employés et que « [l]a supervision c’est un processus pour amener l’employé à être performant ».

[185]  L’employeur fait valoir qu’il est possible que la rétrogradation ait pu causer un préjudice au fonctionnaire, mais « cela a découlé d’une décision qui ne visait pas à lui causer préjudice, mais plutôt de pallier un intérêt légitime opérationnel ».

[186]  L’employeur note aussi que les articles 6 et 7 de la LRTSPF protègent et consacrent les droits de gestion de l’employeur. De même, selon l’employeur, la LGFP « confère le pouvoir à l’employeur d’organiser l’administration de la fonction publique fédérale et de gérer les RH, y compris les conditions de travail ».

[187]  Deuxièmement, l’employeur fait valoir que le fonctionnaire n’a pas réussi à établir l’existence d’un comportement coupable sous-jacent ou d’un acte malfaisant. Il soutient que plusieurs décisions mentionnent qu’une mesure disciplinaire est normalement fondée sur un acte d’inconduite du fonctionnaire que l’employeur souhaite punir (voir Chamberlain, au par. 95; Frazee, aux par. 25, 29 et 30; Green, au par. 376; Peters, au par. 309; Wong, aux par. 36 et 38).

[188]  Ainsi, selon l’employeur, il incombe au fonctionnaire de démontrer « qu’il y avait des raisons sous-jacentes qui soutiendraient l’allégation qu’une mesure disciplinaire a été prise ». Tel qu’il est mentionné au par. 86 de Garcia Marin c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2006 CRTFP 16 (« Garcia Marin »), le fonctionnaire doit établir qu’il était coupable d’une forme quelconque d’agissement coupable ou d’inconduite de quelque sorte.

[189]  Selon l’employeur, les faits se résument plutôt comme suit à ce sujet : 1) lors de son contre-interrogatoire, le fonctionnaire a confirmé qu’il n’a jamais fait preuve d’un comportement coupable sous-jacent lors des événements en question; 2) le fonctionnaire a confirmé que l’employeur n’avait pas dû remédier à des retards de sa part ou des absences injustifiées de sa part; 3) le fonctionnaire a confirmé que l’employeur n’avait pas dû remédier à des manquements de sa part aux règles de sécurité de l’employeur; 4) le fonctionnaire a confirmé qu’il n’avait pas fait preuve de négligence ou d’actes déloyaux au travail, tenu des propos irrespectueux ou discriminatoires, ou enfreint le Code de valeurs et d’éthique du secteur public; 5) tous les témoins, incluant le fonctionnaire ont témoigné qu’il était une bonne personne, qu’il était un grand travailleur et qu’il était assidu. En somme, selon l’employeur, la preuve démontre que le fonctionnaire n’avait aucune volonté de nuire à l’employeur par ses problèmes de rendement et que ses problèmes de rendement résultaient d’actions non fautives et involontaires liées à son rendement, qui n’ont pas fait l’objet d’une réponse disciplinaire de la part de l’employeur.

[190]  Selon l’employeur, le fonctionnaire a précisé ce qui suit à l’audience : « Je suis un bon gars, je travaille bien. Je me suis bien comporté. » Ainsi, selon l’employeur, le fonctionnaire ne soutient pas que l’employeur lui reproche d’avoir commis un acte malfaisant. Le fonctionnaire n’aurait donc présenté aucune preuve de comportement coupable sous-jacent de sa part.

[191]  Dernièrement, l’employeur soutient que « les perceptions, impressions ou sentiments du fonctionnaire n’ont pas pour effet de convertir une mesure administrative en mesure disciplinaire ». Selon l’employeur, dans son témoignage, le fonctionnaire a présenté ses perceptions, impressions et sentiments qu’il avait été visé par une mesure disciplinaire. Or, l’employeur a souhaité répondre aux propos tenus par le fonctionnaire, que j’ai regroupé comme suit : 1) le fonctionnaire a dit que ses évaluations et tout le processus établi pour l’aider à améliorer son rendement étaient biaisés; 2) il a dit que l’employeur recherchait la perfection; 3) il a dit que les attentes n’étaient pas claires; 4) il a dit que les relations étaient tendues entre lui et la gestion - toutefois, il a aussi dit qu’il avait une bonne relation avec Mme Morris et pouvait échanger des banalités avec elle dans le corridor; 5) il a dit qu’il avait une bonne relation avec Mme Clark-Larkin, à l’exception des moments où les discussions portaient sur son rendement; 6) il a dit que Mme Vergnhes l’avait harcelé; 7) il a dit que l’employeur avait ignoré les commentaires qu’il avait fournis à la suite de ses évaluations du rendement; 8) il a dit que Mme Clark-Larkin avait mentionné qu’elle pouvait le licencier.

[192]  En réponse à chacun de ces points, l’employeur a présenté chacune de ses positions.

[193]  Premièrement, Mme Clark-Larkin a expliqué qu’elle avait consulté la Section des ressources humaines tout au long du processus. Elle s’est aussi fiée à sa supérieure, Mme Morris, pour avoir une autre opinion et s’assurer que ses observations, ses évaluations et ses rétroactions étaient justes. Mme Morris a aussi demandé à Mme Vergnhes de travailler avec le fonctionnaire sur un projet, et ce, pour recevoir une autre opinion d’une gestionnaire qui était francophone. Cette dernière ne connaissait pas le fonctionnaire, et elle venait tout juste de se joindre au CRSH. Ces trois personnes ont signalé des problèmes de rendements sérieux.

[194]  Deuxièmement, Mme Clark-Larkin et Mme Morris ont témoigné qu’elles ne recherchaient pas la perfection, mais plutôt une amélioration significative et durable qu’elles ont décrite comme suit: [traduction] « amélioration importante et durable » La preuve documentaire fait aussi référence à une amélioration significative et durable requise dans le rendement du fonctionnaire.

[195]  Troisièmement, la preuve documentaire et les témoignages de Mme Clark‑Larkin et de Mme Morris démontrent que l’employeur a communiqué ses attentes au fonctionnaire à de nombreuses reprises par le biais de courriels, dans ses évaluations du rendement, dans le plan d’amélioration du rendement, dans des commentaires inscrits sur ses travaux et verbalement lors de rencontres.

[196]  Quatrièmement, le fonctionnaire a affirmé qu’il avait de bonnes relations avec Mme Morris et Mme Clark-Larkin.

[197]  Cinquièmement, concernant ses échanges avec Mme Clark-Larkin, malgré leur bonne entente, il trouvait difficile de discuter de son rendement avec elle, puisqu’elle était comme le « diable », selon lui. Toutefois, selon l’employeur, le fonctionnaire n’a produit aucun exemple à l’appui de son allégation. Mme Clark-Larkin a aussi affirmé que sa relation avec le fonctionnaire était professionnelle. Ils étaient capables de discuter de problèmes de rendement de manière professionnelle. Il y avait des désaccords, et la rétroaction n’a souvent pas été bien reçue par le fonctionnaire, mais les entretiens demeuraient toujours professionnels.

[198]  Sixièmement, le fonctionnaire n’a jamais déposé une plainte d’allégation de harcèlement contre Mme Vergnhes. Par conséquent, ces allégations de harcèlement ne sont que des allégations. Mme Vergnhes, pour sa part, a expliqué qu’elle tentait de saisir les enjeux de rendement du fonctionnaire. Elle savait que le fonctionnaire était un médecin et qu’il avait dû changer de métier. Elle voulait voir comment il se sentait dans son travail, savoir s’il était à l’aise et satisfait, et s’il avait d’autres intérêts. S’il avait eu d’autres intérêts, elle aurait pu lui offrir de l’aide et du support. Malheureusement, le fonctionnaire a perçu cette initiative comme une menace pour son emploi. Or, selon l’employeur, il s’agissait plutôt d’une tentative de Mme Vergnhes de saisir les enjeux qui pouvaient expliquer les problèmes de rendement du fonctionnaire et de lui offrir de l’aide s’il le désirait.

[199]  Mme Vergnhes a aussi partagé un autre exemple de malentendu. Elle a expliqué que le fonctionnaire l’avait accusé d’avoir téléphoné à sa résidence. Or, le fonctionnaire a reconnu par la suite qu’il s’agissait de quelqu’un d’autre portant le même prénom qui avait téléphoné à sa résidence, soit une connaissance de sa famille.

[200]  Septièmement, Mme Clark-Larkin et Mme Morris ont confirmé avoir révisé et pris en considération les commentaires du fonctionnaire dans le cadre de ses évaluations du rendement. Selon l’employeur, le fonctionnaire avait le droit d’être en désaccord avec ses évaluations du rendement, mais c’est la prérogative de la gestion de gérer, évaluer les activités et prendre des décisions opérationnelles.

[201]  Huitièmement, Mme Clark-Larkin n’a pas dit au fonctionnaire qu’elle pouvait le licencier. Elle l’a informé oralement et par écrit qu’il ne satisfaisait pas aux exigences de son poste d’agent principal d’évaluation de programme, et des conséquences possibles d’un manquement continu à ces exigences. Dans sa lettre du 12 janvier 2015, elle a écrit ce qui suit :

[Traduction]

L’objet de la présente lettre est de vous informer que vous ne respectez pas les exigences de votre poste d’agent principal d’évaluation de programme à la Division de l’évaluation et de vous aviser des conséquences du non-respect continu de ces exigences.

[202]  Ainsi, selon l’employeur, le fonctionnaire a traduit ses perceptions, impressions et sentiments en affirmations non étayées contre ses gestionnaires. Ce n’était pas suffisant. Il devait présenter d’autres éléments de preuve.

[203]  L’employeur ajoute que la Commission, dans les décisions suivantes, a statué que les perceptions, impressions ou sentiments d’un fonctionnaire s’estimant lésé doivent être appuyés par d’autres éléments pour établir l’existence d’une mesure disciplinaire (voir Tudor Price c. Administrateur général (ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire), 2013 CRTFP 57, aux par. 47 et 51 (demande de contrôle judiciaire rejetée - Richard Tudor Price v. Treasury Board (Canada) (Agriculture and Agri-Food Canada), T-1074-13, ordonnance de la Cour fédérale du 31 mars 2014); Ho c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 114, au par. 56; Garcia Marin, au par. 85; Frazee, au par. 21).

[204]  Selon l’employeur, la Commission ne peut, en l’espèce, permettre au fonctionnaire de faire indirectement ce qu’il ne peut pas faire directement, c’est-à‑dire qu’elle ne peut lui permettre de contester sa rétrogradation pour rendement insuffisant. En somme, selon l’employeur, les faits suivants démontrent que le fonctionnaire conteste sa rétrogradation : 1) lors de son interrogatoire en chef, le fonctionnaire a fait valoir que ses objectifs de travail n’étaient pas clairs, que l’employeur ne lui fournissait pas de la rétroaction claire ou qu’il n’était pas d’accord avec ses évaluations du rendement ou du plan d’action; 2) lors de son contre-interrogatoire, le fonctionnaire a indiqué qu’il n’était pas satisfait du résultat du processus mis en place par l’employeur pour évaluer son rendement et qu’il a reçu le conseil de procéder à l’arbitrage au lieu de déposer une demande de contrôle judiciaire; 3) le fonctionnaire a insisté à l’audience qu’il n’était pas satisfait du résultat du plan d’évaluation; il n’ a pas fait valoir qu’il avait écopé d’une mesure disciplinaire.

[205]  L’employeur fait valoir que la Commission a déjà statué, dans une affaire similaire où l’employeur était un organisme distinct non désigné, qu’elle n’avait pas compétence pour décider qui a raison entre les deux parties sur la question du rendement insuffisant. La LRTSPF ne donne pas à la Commission le pouvoir d’examiner la justesse d’une rétrogradation pour rendement insuffisant dans un organisme distinct non désigné. L’employeur se fonde sur les paragraphes 26 à 28 et 30 de Agbodoh-Falschau, à l’appui de sa position.

[206]  Pour terminer, l’employeur soutient qu’il a un intérêt opérationnel légitime de s’assurer que ses employés satisfont aux exigences de rendement de leur poste. Malgré les perceptions, sentiments et impressions du fonctionnaire, l’employeur a agi envers le fonctionnaire de manière franche et de bonne foi. L’employeur n’avait pas l’intention de le punir; il a tenté plutôt de l’aider à satisfaire aux exigences de son poste. L’employeur l’a tenu informé des attentes de la gestion à son égard et des conséquences de ne pas satisfaire aux exigences du poste. La gestion lui a donné la possibilité de s’adapter et de respecter les attentes. Elle a réellement tenté de l’aider : elle a réduit sa charge de travail, lui a offert de la formation, lui a donné de la rétroaction (verbale et écrite) et elle a envisagé d’autres solutions avant de le rétrograder.

[207]  Pour ces raisons, l’employeur soutient que la Commission n’a pas compétence pour évaluer la mesure dans laquelle l’évaluation du rendement du fonctionnaire était juste ou exacte. Selon lui, si le fonctionnaire avait le sentiment que son travail était évalué injustement, son seul recours était de demander un contrôle judiciaire de la décision rendue au dernier palier.

[208]  Ainsi, l’employeur maintient son objection à savoir que le grief du fonctionnaire n’est pas admissible à l’arbitrage, puisqu’il s’agit en réalité d’une contestation de la rétrogradation du fonctionnaire pour rendement insuffisant dont la Commission n’a aucune compétence pour trancher.

[209]  Dans l’alternative, si l’objection est rejetée, l’employeur soutient que la Commission doit déterminer si la mesure disciplinaire imposée au fonctionnaire était justifiée dans les circonstances. L’employeur n’a pas fourni d’arguments supplémentaires à ce sujet.

B.  Position du fonctionnaire s’estimant lésé

[210]  Puisqu’un conflit est survenu entre le fonctionnaire et deux de ses superviseures, soit Mme Clark-Larkin et Mme Vergnhes, et que les évaluations du rendement et le plan d’amélioration du rendement ont été préparés par ces dernières, le fonctionnaire soutient que sa rétrogradation est, dans les faits, une mesure disciplinaire, et non une mesure administrative. Selon lui, le plan d’amélioration du rendement a été établi avec l’intention de le rétrograder.

[211]  Le fonctionnaire fait valoir que, tel qu’il est mentionné dans Frazee, au par. 21, « [l]a jurisprudence indique que la question n’est pas de savoir si la mesure prise par l’employeur est mal fondée ou mal exécutée mais plutôt si elle constitue une mesure disciplinaire visant la suspension […] ». Cette décision précise que l’un des principaux facteurs permettant de déterminer si un employé a fait l’objet de mesures disciplinaires concerne l’intention de l’employeur. Tel qu’il est précisé au par. 22 : « […] Il convient de se demander si l’employeur avait l’intention d’imposer une mesure disciplinaire et si la contestation de sa décision pouvait servir de fondement à une mesure disciplinaire ultérieure […] »

[212]  Le fonctionnaire ajoute que je dois examiner les éléments sous-jacents au motif énoncé par l’employeur, tel qu’il est précisé aux paragraphes 23 à 25 de Frazee :

23 Néanmoins, il est admis que la façon dont l’employeur choisit de qualifier sa décision ne peut pas être en soi un facteur déterminant. Le concept de mesure disciplinaire déguisée est un facteur déterminant bien connu et nécessaire qui permet à un arbitre de grief d’examiner les éléments sous-jacents au motif énoncé par l’employeur afin de déterminer quelle était sa véritable intention. […]

24 Le problème de la mesure disciplinaire déguisée peut aussi être abordé par l’examen des effets de la mesure sur l’employé. Lorsque l’incidence de la décision de l’employeur est grandement disproportionnée par rapport au motif administratif qui est invoqué, la décision peut être considérée comme disciplinaire […] Cependant, cette norme ne sera pas atteinte si la mesure imposée par l’employeur est jugée comme étant une réaction raisonnable (mais pas nécessairement la meilleure) à des considérations opérationnelles honnêtes.

25 Parmi les autres facteurs servant à définir la mesure disciplinaire dans le contexte de l’emploi figurent les répercussions de la décision sur les perspectives de carrière de l’employé et les questions de savoir si l’incident en cause ou le point de vue de l’employeur à cet égard peut sembler être lié à la conduite de l’employé pouvant être rectifiée ou à sa conduite coupable, si la décision prise était de nature corrective et si la mesure de l’employeur a eu un effet préjudiciable immédiat sur l’employé […]

[213]  Le fonctionnaire fait valoir que, en l’espèce, l’incidence de la décision de l’employeur était grandement disproportionnée par rapport au motif administratif qui est invoqué. Ainsi, la décision peut être considérée comme disciplinaire. Il ajoute que cette norme est atteinte puisque la mesure imposée par l’employeur ne peut être jugée comme étant une réaction raisonnable à des considérations opérationnelles honnêtes.

[214]  Le fonctionnaire a aussi porté à mon attention le par. 75 de Gauthier c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2013 CRTFP 94 (« Gauthier »), qui se lit comme suit :

[75] Loin de moi l’idée de conclure que la décision de l’employeur est une imposture. Néanmoins, la preuve prépondérante m’amène à croire que la décision de rétrograder Mme Gauthier pour des motifs de rendement cache des intentions disciplinaires en modifiant les apparences (camouflage) et en utilisant un moyen habile et détourné (subterfuge) pour qualifier d’incompétence ce qui, au départ, était pour l’employeur un comportement déviant volontaire. Je ne veux absolument pas faire un procès d’intention à l’employeur en concluant qu’il y avait ici une intention de tromper, mais en bout du compte, c’est ce qu’on a fait.

[215]  Le paragraphe 66 de Gauthier est assez clair: la décision peut ne pas être considérée comme disciplinaire s’il s’agit d’actions indépendantes de la volonté du fonctionnaire, pour lesquelles il ou elle n’était pas coupable, mais plutôt incompétent.

[216]  Le fonctionnaire fait valoir que l’employeur doit démontrer, en l’espèce, ce qui suit, tel qu’il est précisé au par. 121 de Morissette c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2006 CRTFP 10 :

[121] Dans une situation comme celle-là, l’employeur doit démontrer :

qu’il a agi de bonne foi;

qu’il a fixé des normes de rendement appropriées qui ont été clairement communiquées au fonctionnaire;

qu’il a donné au fonctionnaire les outils, la formation et l’encadrement nécessaires pour qu’il puisse atteindre les normes fixées dans un délai raisonnable;

qu’il a averti le fonctionnaire par écrit que s’il n’atteignait pas les normes fixées dans le délai — qui doit être raisonnable — fixé, il serait licencié;

que le fonctionnaire n’a pas satisfait à ces normes dans le délai fixé.

[217]  Je note que ces obligations sont imposées à l’employeur dans les cas de licenciement pour incompétence. En l’espèce, le fonctionnaire soutient que l’employeur n’a pas satisfait aux trois premiers critères énoncés ci-dessus. Il soutient que la preuve qu’il a présentée démontre ce qui suit : 1) il est hautement éduqué et très travaillant; 2) il détient plusieurs diplômes d’études universitaires; 3) il a travaillé en tant qu’officier de recherche avant de se joindre au CRSH en 2008; 4) il a reçu des évaluations du rendement positives de 2008 à 2012, lorsqu’il se rapportait à Mme Gauthier.

[218]  Il reconnait que ses aptitudes dans tous les domaines n’étaient pas parfaites tel qu’il a été précisé par Mme Gauthier dans son évaluation du rendement pour la période d’avril 2011 à mars 2012. Elle avait précisé ce qui suit : « La définition d’indicateurs du rendement à la portée des programmes du CRSH et représentatif de la recherche en sciences sociale et humaine demeure un défie. » [Sic pour l’ensemble de la citation] Toutefois, son évaluation globale pour l’an 2011-2012 était la suivante :

Dans l’ensemble, Patrick a connu une année productive sur le plan de l’évaluation. Il a travaillé à plusieurs projets, tant pour le CRSH que pour les projets interagences. De plus, il a collaboré avec les collègues de sa division sur plusieurs composantes d’évaluation. L’expérience a été positive pour tous. Patrick demeure un travailleur acharné. Sa contribution aux objectifs de la division a été substantielle avec la préparation d’une étude de faisabilité pour l’évaluation sommative des subventions pour la mobilisation des connaissances. […]

[219]  Il ajoute que, par la suite, à cause de la restructuration, il s’est retrouvé sous la gouverne d’une nouvelle superviseure et d’une nouvelle directrice. Dans sa nouvelle équipe, des tensions sont apparues entre lui et sa nouvelle superviseure. Cette dernière, et Mme Vergnhes plus tard, ont fait, selon lui, un virage à 180 degrés dans l’évaluation de son travail, de sorte qu’elles ont jugé son rendement complètement insuffisant.

[220]  Par la suite, Mme Clark-Larkin lui a imposé un plan d’amélioration du rendement comportant une méthodologie et une approche incorrectes, lesquelles lui ont causé préjudice et lui ont fait perdre son poste, selon lui. Le fonctionnaire soutient qu’il n’y a pas eu un effort pour évaluer son rendement de façon objective, car il était toujours évalué par Mme Clark-Larkin et Mme Vergnhes.

[221]  Il ajoute que les tensions sont apparues, entre autres, lorsque Mme Clark-Larkin a retiré au fonctionnaire, sans lui dire au préalable, son étude de faisabilité pour l’évaluation sommative des subventions pour la mobilisation des connaissances. Mme Clark-Larkin a réassigné ce projet à sa collègue. Cette situation a créé un profond malaise au sein de l’équipe. Par la suite, Mme Clark-Larkin a attribué toutes les difficultés rencontrées au fonctionnaire.

[222]  Plus spécifiquement, le conflit a perduré puisque le fonctionnaire a reçu des instructions contradictoires sur les modalités de collecte des données. Étant donné les instructions contradictoires reçues, il a créé deux tableaux dans son rapport, l’un incluant certains montants, l’autre ne les incluant pas. Or, Mme Clark‑Larkin a critiqué son approche dans son évaluation pour l’année 2012-2013.

[223]  Puis, peu après l’arrivée de Mme Vergnhes dans l’équipe, cette dernière lui a annoncé qu’elle avait pour tâche de l’évaluer. Très peu de temps après, elle lui a annoncé la possibilité qu’il pourrait perdre son poste.

[224]  Le fonctionnaire ajoute que Mme Vergnhes n’a pas reconnu lui avoir dit qu’elle avait la tâche de l’évaluer, mais elle a effectivement évalué son travail dans le cadre de ses nouvelles fonctions. De même, Mme Morris a affirmé avoir demandé à Mme Vergnhes son opinion au sujet de la qualité du travail du fonctionnaire.

[225]  Le fonctionnaire fait valoir que même si l’intention de Mme Vergnhes n’était pas de le menacer de lui enlever son emploi – elle a affirmé qu’elle avait souhaité l’aider à trouver un poste ailleurs –, étant donné le contexte dans lequel elle l’évaluait, il est raisonnable que le fonctionnaire l’ait perçu comme une menace pour son emploi.

[226]  Cette situation a eu un effet dévastateur sur sa santé mentale. Il a consulté son médecin, qui lui a prescrit des médicaments et l’a placé en congé de maladie. Il a donc été absent du 3 mars au 3 mai 2014. Pendant son congé, Mme Clark-Larkin a souhaité compléter son évaluation du rendement avant son retour étant donné que son objectif était de lui imposer le plan d’amélioration du rendement le plus tôt possible, ce qu’elle a fait. Son plan d’amélioration du rendement visait à l’origine la période du 5 mai au 5 novembre 2014; cette période a ensuite été modifiée du 26 mai au 26 novembre 2014.

[227]  Or, le plan d’amélioration du rendement ne contenait aucun barème d’évaluation. Le fonctionnaire soutient qu’en ne contenant aucune cible de rendement minimale, mais seulement les critères « rencontre » (100 %) ou « ne rencontre pas » (0 %), il n’avait aucune chance d’atteindre les objectifs. Il a ajouté qu’il est impossible de rédiger une évaluation de programme qui est parfaite du premier coup. Il a, avec l’aide de son représentant syndical, tenté par tous les moyens de faire adopter une échelle de mesure dans le plan d’amélioration du rendement permettant de mesurer ses progrès. Cependant, l’employeur a catégoriquement refusé cette demande. Ce dernier a retenu les critères tout ou rien – « rencontre » ou « ne rencontre pas ».

[228]  Selon le fonctionnaire, l’employeur a soutenu tout au long du processus d’évaluation que ces critères et cette approche étaient appropriés selon une politique du SCT, mais il ne lui a jamais fourni cette information, ni même à la Commission. Donc, selon le fonctionnaire, au regard du premier critère, l’employeur n’a pas agi de bonne foi. Qui plus est, il n’a pas respecté son obligation de fixer des normes de rendement appropriées. Il n’a ainsi pas répondu, non plus, au deuxième critère.

[229]  Enfin, selon le fonctionnaire, l’employeur n’a pas satisfait au troisième critère puisqu’il ne lui a pas donné non plus les outils, la formation et l’encadrement nécessaires pour qu’il puisse atteindre les normes fixées dans un délai raisonnable. D’une part, la durée du plan, initialement de six mois avec une courte prolongation, ne donnait pas beaucoup de temps au fonctionnaire pour s’améliorer. Mais, surtout, l’employeur ne s’est pas informé auprès du fonctionnaire afin de savoir si les quelques cours offerts l’aidaient et étaient applicables pour son travail. Il n’a pas, finalement, reçu une formation spécifique pendant cette période.

[230]  De plus, selon lui, la rétroaction qu’il a obtenue n’était pas suffisante. Il recevait des commentaires sur ses rapports d’évaluation, à savoir qu’il manquait des renseignements ou que certains passages n’étaient pas clairs. Il a insisté sur le fait que cette aide n’était pas suffisante pour qu’il s’améliore de façon notable. En d’autres mots, il n’a pas reçu de coaching. Aussi, il recevait des commentaires de diverses personnes, soit Mme Clark-Larkin, Mme Morris ou Mme Vergnhes, ce qu’il a décrit comme une cacophonie d’opinions exprimant des idées quelques fois diverses. Il était confus et ne savait plus sur quel pied danser.

[231]  Ensuite, l’employeur a accepté de fournir des évaluations de mi-parcours au fonctionnaire, mais ces évaluations n’ont que confirmé son inquiétude qu’il ne pourrait jamais répondre au critère « rencontre » (100 %) de chaque objectif.

[232]  Malgré son travail ardu, il est devenu impossible pour le fonctionnaire d’atteindre les objectifs énoncés dans le plan d’amélioration du rendement. Il a fait valoir avec insistance qu’il avait été évalué incorrectement. Par exemple, dans son évaluation, il est mentionné que, à une occasion, il avait communiqué avec la mauvaise personne. Or, il avait communiqué avec la gestionnaire du projet pour ces données, et cette dernière lui avait donné des données partielles. De même, il a ajouté que, dans son évaluation, il est mentionné qu’il ne consultait pas suffisamment les autres. Toutefois, selon lui, lorsqu’il a consulté Mme Morris dans le passé pour des conseils, elle lui a reproché par la suite de ne pas comprendre ce qu’elle attendait de lui. Donc, il soutient qu’il n’est pas surprenant que la situation ne se soit pas améliorée au cours de son évaluation, ce qui a mené à sa rétrogradation en mai 2015.

[233]  Il a insisté en disant que l’intention de l’employeur depuis février 2014 – et dévoilée par Mme Vergnhes lors d’une discussion avec le fonctionnaire – était de le rétrograder. Mme Vergnhes lui a spécifiquement dit qu’il devrait songer à se trouver un poste ailleurs.

[234]  Le fonctionnaire fait valoir que l’impact de la rétrogradation sur lui a été important et que sa santé mentale en a été affectée. Il s’agissait d’une mesure démesurée, selon lui, par rapport à son rendement. Toute la procédure l’a rendu malade, et il a dû s’absenter en congé de maladie de mars à mai 2014, et de mai à octobre 2015.

[235]  De plus, il fait valoir qu’il a été rétrogradé de deux niveaux, au lieu d’un seul niveau, ce qui lui a causé un important impact financier. De même, selon lui, l’option de lui offrir une certaine protection salariale n’a pas été considérée alors que cela aurait pu l’être. Il a porté à mon attention que Mme Morris a affirmé qu’elle aurait préféré le rétrograder à un poste classifié au groupe et au niveau GR-07, mais que cela n’était pas possible, car aucun poste de ce niveau pour lequel le fonctionnaire était qualifié n’était disponible.

[236]  En somme, le fonctionnaire fait valoir que sa rétrogradation équivalait à une mesure disciplinaire compte tenu des huit critères suivants : 1) il y avait une tension qui était palpable entre sa gestionnaire et lui – ce conflit a découlé du fait que Mme Clark-Larkin lui a retiré à son insu son projet sur l’évaluation sommative des subventions pour la mobilisation des connaissances; 2) déjà, en février 2014, il a été informé par Mme Vergnhes que son poste n’était pas adapté à son rendement et qu’il devrait envisager de trouver un autre poste; 3) le plan d’amélioration du rendement lui a été imposé immédiatement après son retour de son congé de maladie, alors que les tensions persistaient entre lui et Mmes Clark-Larkin et Vergnhes; 4) le plan ne contenait aucune cible de rendement minimale, mais seulement les critères « rencontre » (100 %) ou « ne rencontre pas » (0 %); 5) dès ses premières évaluations de mi-parcours, il s’est rendu compte qu’il lui était impossible d’atteindre le critère de 100 % exigé pour chaque objectif; 6) une formation minime lui a été offerte, mais seulement vers la fin de la période d’évaluation initiale; 7) il n’a pas reçu de coaching pendant son évaluation, il n’a reçu que des critiques de la part de ses superviseurs; 8) ses évaluations ont été faites par Mme Clark-Larkin alors qu’ils étaient en conflit.

[237]  Selon le fonctionnaire, le plan d’amélioration du rendement lui a été imposé dans l’intention de documenter ses échecs et de le rétrograder. Ainsi, la Commission a compétence pour entendre le grief. Le fonctionnaire demande donc que j’accueille son grief, que j’annule sa rétrogradation et que j’ordonne sa réintégration dans son poste classifié au groupe et au niveau GR-08, avec une indemnisation pour sa perte de salaire. Il demande aussi des dommages pour pallier sa détresse psychologique causée par les actions de l’employeur.

C.  Conclusion

[238]  La LRTESPF m’investit de la compétence de statuer sur la rétrogradation du fonctionnaire uniquement si elle résulte d’une mesure disciplinaire. L’employeur a contesté ma compétence, en alléguant que la rétrogradation du fonctionnaire résultait d’une mesure administrative liée à son rendement. D’autre part, le fonctionnaire fait valoir que sa rétrogradation était une « action disciplinaire déguisée » car, selon lui, elle était réellement fondée sur des considérations disciplinaires.

[239]  En l’espèce, la raison pour laquelle l’employeur a rétrogradé le fonctionnaire est la suivante :

[Traduction]

Au cours des 12 derniers mois, votre gestionnaire vous a soutenu par des discussions, un encadrement et une formation continus afin d’essayer d’améliorer vos compétences en matière de rendement. Malheureusement, il n’y a eu aucune amélioration dans les domaines cernés par votre gestionnaire. J’ai examiné la documentation à l’appui des efforts de votre gestionnaire à cet égard et je suis d’accord pour dire que c’est la meilleure option disponible.

J’ai reconnu les efforts que vous avez déployés et suis convaincue que vous demeurez un membre précieux du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH); mon intention est de vous garder employé à l’Agence là où vos compétences peuvent être mieux utilisées.

[Emphase ajoutée]

[240]  Je dois donc décider si l’action de l’employeur était de nature administrative ou disciplinaire. Ainsi, je dois examiner l’ensemble de la preuve pour établir s’il est plus que probable que la rétrogradation du fonctionnaire était une mesure administrative ou s’il est plus que probable qu’elle était une mesure disciplinaire déguisée.

[241]  Pour s’acquitter de sa charge de me convaincre que la rétrogradation résultait d’une raison administrative, l’employeur doit établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait une raison administrative de rétrograder le fonctionnaire.

[242]  Une fois cette obligation remplie, il incombe au fonctionnaire de contredire la preuve de l’employeur ou, toujours selon la prépondérance des probabilités, d’établir que les raisons avancées par l’employeur sont une imposture ou un subterfuge. Voir le paragraphe 18 de Stevenson c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 89.

[243]  Les parties ont présenté des arguments sur l’intention subjective de punir de l’employeur ou sur l’absence d’une telle intention. Or, je note que dans Bergey c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 30, qui traduit la jurisprudence sur ce point, en particulier Frazee, il est noté que l’intention subjective de l’employeur n’est pas concluante lorsqu’il s’agit de décider s’il a pris ou non une mesure disciplinaire déguisée. Ainsi, l’absence de mauvaise foi ne mène pas nécessairement à une conclusion que la mesure prise n’était pas une mesure disciplinaire déguisée (et qu’elle était plutôt une mesure administrative). En fait, une mesure disciplinaire déguisée peut découler de la mauvaise foi ou d’une iniquité procédurale. Le paragraphe 24 de Frazee énonce ce qui suit :

24 […] Lorsque l’incidence de la décision de l’employeur est grandement disproportionnée par rapport au motif administratif qui est invoqué, la décision peut être considérée comme disciplinaire. […] Cependant, cette norme ne sera pas atteinte si la mesure imposée par l'employeur est jugée comme étant une réaction raisonnable (mais pas nécessairement la meilleure) à des considérations opérationnelles honnêtes. […]

[244]  En l’espèce, je suis d’avis que plusieurs anomalies, qui sont présentes dans la documentation et les témoignages présentés par l’employeur, illustrent des problèmes de communications et une sérieuse fermeture face au fonctionnaire et laissent ainsi douter de l’honnêteté de l’opération. Somme toute, force est de constater que la mesure imposée par l'employeur n’était pas une réaction raisonnable à des considérations opérationnelles honnêtes. De plus, « l’incidence de la décision de l’employeur est grandement disproportionnée par rapport au motif administratif invoqué » (voir Frazee). Ces anomalies ou incohérences sont présentées ci-dessous. En conséquence, j’estime que le motif administratif qui est invoqué est non concluant et s’apparente à un subterfuge. Toutes ces constatations confirment donc que la rétrogradation du fonctionnaire était une mesure disciplinaire déguisée.

[245]  Les faits marquants qui jalonnent cette histoire sont les suivants. La restructuration des Services d’évaluation du CRSH et du CRSNG est survenue en 2012. Avant cette restructuration, le travail du fonctionnaire comportait deux volets, d’une part évaluer les programmes du CRSH et les programmes interagences, d’autre part développer des mesures de rendement. Suivant la restructuration de 2012-2013, les tâches liées aux mesures du rendement ont été retirées du profil du poste et ont été transférées aux Services d’affaires. La nature du travail du fonctionnaire a donc en grande partie changé.

[246]  De plus, avant la restructuration, des consultants étaient chargés d’une grande partie du travail d’évaluation. Or, en raison des ressources plus limitées en 2012 et 2013, il a été décidé que le travail de base et la rédaction des rapports seraient dorénavant faits à l’interne par les agents principaux d’évaluation de programme. Ces derniers devaient dorénavant diriger les projets.

[247]  Dans ses évaluations du rendement pour les périodes de 2008 à 2012, le fonctionnaire a reçu des évaluations entièrement positives. Son rendement était jugé pleinement satisfaisant. En mars 2012, dans la dernière évaluation préparée par Mme Gauthier, cette dernière a abordé chacun des critères examinés et a noté qu’il excellait dans pratiquement tous les domaines, qui étaient les suivants : (1) Connaissance; (2) Planification; (3) Organisation; (4) Mise en œuvre; (5) Contrôle; (6) Création-Innovation; (7) Analyse-évaluation; (8) Communications; et (9) Relations interpersonnelles. La seule nuance qu’elle a apportée était inscrite sous l’objectif, Analyse-évaluation. Elle notait qu’il avait bien rédigé une analyse, mais qu’il avait toutefois eu de la difficulté à définir les indicateurs de rendement. Elle avait écrit ce qui suit :

Patrick a démontré ses capacités d’analyse en évaluation lors de la rédaction de l’étude de faisabilité pour l’évaluation de la mobilisation des connaissances. L’analyse était rigoureuse et exhaustive. La définition d’indicateurs de performance à la portée des programmes du CRSH et représentatif de la recherche en sciences sociale et humaine demeure un défie.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[248]  Après la restructuration, le fonctionnaire s’est retrouvé sous la gouverne d’une nouvelle superviseure et d’une nouvelle directrice. Sa nouvelle gestionnaire, Mme Clark-Larkin, avait la responsabilité d’évaluer ses rapports. Elle a tout de suite jugé que le travail du fonctionnaire n’était pas satisfaisant et qu’il devait améliorer la qualité de son travail. Elle en a discuté avec Mme Morris. Cette dernière a aussi dit avoir des préoccupations quant à la qualité des rapports écrits préparés par le fonctionnaire étant donné que Mme Clark-Larkin devait continuellement les corriger.

[249]  Le fonctionnaire a exprimé son désaccord avec cette position de Mme Clark-Larkin. Une tension est apparue entre eux.

[250]  Mme Morris, Mme Vergnhes et le fonctionnaire ont affirmé (voir les paragraphes 79, 85, 98, 128 et 159) que des problèmes de communications entre la gestion et le fonctionnaire étaient à l’origine d'une partie des problèmes ou de l'animosité rencontrés. Plus précisément, la gestion et le fonctionnaire étaient, à certaines occasions, en désaccord au sujet des normes de qualité des produits livrables préparés par un évaluateur principal. Par conséquent, la communication entre eux était ardue.

[251]  De même, le fonctionnaire a affirmé que Mme Clark-Larkin lui communiquait uniquement de mauvaises nouvelles concernant ses lacunes au travail et ses défauts. Or, il remettait fréquemment en question la justesse des instructions ou commentaires négatifs qu’il recevait d’elle. Il doutait de l’efficacité de ses interventions. Une tension était palpable entre eux lorsqu’ils discutaient de son rendement au travail. Le fonctionnaire se sentait isolé.

[252]  Mme Morris a demandé à Mme Vergnhes, qui venait tout juste de se joindre à la Division de l’évaluation du CRSNG et du CRSH en tant que gestionnaire et qui avait beaucoup d’expérience dans le domaine de l’évaluation, de travailler avec le fonctionnaire sur ses projets. Cette dernière était francophone, tout comme le fonctionnaire. Elle a révisé son projet principal et elle a remis en question la validité des informations dans son rapport. Au cours de ses interactions avec lui, elle lui a posé beaucoup de questions. Elle a constaté, cependant, que le fonctionnaire avait une grande difficulté à répondre à ses questions. Elle a finalement signalé des problèmes de communications et de rendement à Mme Morris et Mme Clark-Larkin.

[253]  Le fonctionnaire a estimé que Mme Verghnes lui communiquait aussi uniquement de mauvaises nouvelles concernant ses lacunes au travail et ses défauts. Il a contesté plusieurs des consignes de Mme Vergnhes. Il a senti que Mme Verghnes ne le croyait pas capable d’exécuter adéquatement son travail. Il a flairé qu’elle avait comme objectif de l’évaluer négativement dans le but de lui faire perdre son emploi. Il s’est senti harcelé par elle.

[254]  Mme Clark-Larkin et Mme Morris ont consulté la Section des ressources humaines et la décision a été prise de créer un plan d’amélioration du rendement pour le fonctionnaire. Mme Clark-Larkin et Mme Morris le lui ont annoncé.

[255]  Cette nouvelle a eu l’effet d’un choc pour lui, étant donné qu’il occupait son emploi depuis 2008, et que ses problèmes de rendements étaient récents et reliés à l’arrivée d’une nouvelle direction. Éprouvé et se sentant malade, il a arrêté de travailler pendant quelques mois en raison du sentiment d’impuissance qui l’habitait face au comportement de ses nouveaux gestionnaires et, en particulier, de Mme Vergnhes, qui le supervisait depuis 3 mois. Le fonctionnaire percevait les maintes critiques de Mme Vergnhes comme étant du harcèlement.

[256]  Au sujet des évaluations de ses projets par Mme Clark-Larkin, qui avait toujours la tâche d’évaluer son travail, le fonctionnaire était d’avis qu’elle lui fournissait une rétroaction au compte-gouttes au lieu de le faire d’un seul coup. Pour sa part, Mme Clark-Larkin a affirmé qu’elle travaillait beaucoup, à chaque révision, pour améliorer la qualité de son travail, y compris en lui fournissant un nombre important de commentaires, dont des conseils, des avis et des instructions.

[257]  Sous la gouverne de ses nouvelles gestionnaires, le fonctionnaire a reçu une évaluation du rendement négative. En réponse à cette évaluation négative, le fonctionnaire a fourni une rétroaction à Mme Clark-Larkin. Il a toutefois observé que ses commentaires n’étaient pas pris en compte, même lorsqu’il soulevait des incohérences dans les interprétations et instructions de Mme Clark-Larkin et de Mme Morris.

[258]  Dès que le plan d’amélioration du rendement a été introduit, le fonctionnaire s’est dit en désaccord avec la méthode d’évaluation choisie; il lui semblait que le plan n’était pas objectif et que les critères d’évaluation n’étaient pas appropriés. Selon lui, cela allait assurément mener à une évaluation injuste et biaisée de son rendement.

[259]  En particulier, il trouvait que la méthode d’évaluation de son travail au regard des objectifs établis dans le plan d’amélioration du rendement n’était pas juste. Il a proposé une évaluation comportant un seuil d’acceptabilité ou une échelle de rendement. Il aurait préféré, par exemple, qu’un pointage soit alloué pour divers critères, tels que la présentation du rapport en temps opportun, la collecte rigoureuse des données, l’analyse approfondie, etc. Le tout avec un seuil de rendement acceptable de 70 %, par exemple. De même, il s’est souvenu que la Section des ressources humaines avait promis de lui fournir un document de référence qui explique les directives concernant les objectifs et les critères d’évaluation utilisés, mais il n’a jamais reçu ce document.

[260]  Malgré tout, l’employeur a conservé les critères d’évaluation « rencontre » ou « ne rencontre pas » pour l’évaluer. Il a toutefois accepté d’évaluer son travail à mi-parcours, afin de lui communiquer sa progression. L’employeur considérait que le plan était un outil destiné à l’aider à comprendre clairement les attentes ainsi que la manière dont il serait évalué. Puisque le plan précisait les objectifs à atteindre, l’employeur trouvait plus approprié d’identifier si les objectifs étaient atteints ou non plutôt que de lui attribuer une note.

[261]  Ainsi, à la suite de la restructuration, et tout au long du processus d’évaluation, des désaccords ont persisté entre les parties au sujet de la meilleure façon ou de la façon appropriée d’effectuer certaines tâches liées à l’évaluation. Les trois témoins de l’employeur ont affirmé que le fonctionnaire produisait parfois des données inexactes dans ses rapports. Par exemple, dans le cadre d’une évaluation portant sur le programme de coûts indirects, lors de sa collecte des données, il avait utilisé des données qui n’étaient pas correctes pour l’exercice 2012-2013. Le fonctionnaire a répondu que ce n’était pas de sa faute, car ces données lui avaient été fournies par la gestionnaire du programme. Cette dernière, lorsqu’elle a vu le projet de rapport à l’automne 2013, a cependant sonné l’alarme au motif que ces données ne s’échelonnaient pas sur une année complète.

[262]  Mon rôle ici n’est pas de déterminer qui avait raison entre l’employeur et le fonctionnaire sur ces questions, puisqu’il ne s’agit pas de la vraie question dont je suis saisie. Je dois plutôt déterminer si la mise en œuvre du plan d’amélioration du rendement et la rétrogradation étaient des mesures disciplinaires déguisées dans le contexte des opérations de l’employeur.

[263]  Je conclus que les anomalies ou spécificités que dévoilent la documentation et les témoignages présentés par l’employeur peuvent être regroupés en cinq catégories distinctes, soit les suivantes : (1) la présence d’écarts dans les délais énoncés pour répondre aux attentes; (2) la présence d’incohérences dans les évaluations de mi-parcours et l’évaluation annuelle et la non reconnaissance des progrès observés chez le fonctionnaire; (3) la présence de lacunes aux niveaux de la formation offerte, des délais pour appliquer les notions reçues dans le cadre des formations offertes et une formation insuffisante dans le domaine de la supervision; (4) l’existence de normes de rendement arbitraires, donc déraisonnables; (5) des changements importants au niveau du travail devant être accompli par le fonctionnaire.

1.  La présence d’écarts dans les délais énoncés pour répondre aux attentes

[264]  Je note que les témoins de l’employeur ont témoigné que le fonctionnaire a été évalué suivant l’implantation du plan d’amélioration du rendement sur une période d’un an. En réalité, la période globale pendant laquelle le fonctionnaire a été évalué pour les fins du plan d’amélioration du rendement s’est véritablement échelonnée sur neuf mois et demi, soit du 26 mai 2014, date du début du plan d’amélioration du rendement, jusqu’au 9 mars 2015, date à laquelle la recommandation de la rétrogradation est survenue. À partir de la date de cette recommandation, je conclus que l’employeur n’entrevoyait plus d’améliorations du rendement possibles chez le fonctionnaire. Plus précisément, entre le 9 mars (la recommandation de la rétrogradation) et le 25 mai 2015 (la rétrogradation), les améliorations du rendement au travail du fonctionnaire n’étaient plus prises en compte. Ainsi, sa progression sur ces 11 semaines n’a pas été prise en considération, et ce, même si les évaluations de travail de mi-parcours avaient pour but de lui communiquer sa progression.

[265]  De plus, pour certaines responsabilités, le fonctionnaire n’a pas bénéficié d’une période de neuf mois et demi pour s’améliorer. Par exemple, c’était le cas pour la responsabilité 2 qui est intitulée: « Élaborer des plans et des programmes à l’appui à la conception et à la mise en œuvre de projets d’évaluation – Déterminer la nécessité de modifier les méthodes et techniques ou de développer des approches uniques ».

[266]  Pour mesurer le rendement du fonctionnaire sous cette responsabilité, le plan précisait deux indicateurs de rendement. Le premier 2.1.1. (Qualité et pertinence des démarches de collecte de données et d’analyse mises en œuvre dans le cadre des projets d’évaluation) se mesurait selon le critère suivant : 100 % des produits livrables utilisent les méthodes et les techniques d'analyse appropriées. Le deuxième 2.1.2 (nombre de produits d’évaluation ne présentant pas d’erreurs d’analyse et/ou d’interprétation des données et/ou rendant compte des résultats d’une manière claire et concise) se mesurait selon le critère suivant : 100% de livrables comprenant une analyse des données sans erreur, une interprétation correcte des résultats et des résultats rapportés de manière claire et concise.

[267]  Dans les évaluations de mi-parcours du 14 juillet, du 25 septembre et du 5 décembre 2014, le fonctionnaire n’a pas du tout été évalué selon ces deux indicateurs de rendement. Ainsi, bien que la période d’évaluation visée par le plan d’amélioration du rendement ait débuté le 26 mai 2014, son évaluation n’a pas débuté à cette date pour cette responsabilité. Elle a plutôt débuté le 6 décembre et s’est terminée lors de l’évaluation du 1er mars 2015. Il a donc été évalué sur une période d’un peu moins de trois mois sur un seul projet pour lequel Mme Clark-Larkin a conclu qu’il avait de la difficulté avec l’analyse de données. Le fonctionnaire n’a donc pas bénéficié d’une période d’un an pour s’améliorer au regard de toutes les responsabilités, contrairement à ce qui a été suggéré.

[268]  Je note aussi que le 18 décembre 2014, le fonctionnaire a reçu le dernier avertissement concernant ses problèmes de rendement. Il a été avisé qu’il avait une dernière chance de démontrer une amélioration significative de son rendement relativement aux quatre responsabilités à l’égard desquelles il avait des difficultés. En ce qui concerne la responsabilité 2, étant donné que son évaluation avait commencé le 6 décembre 2014, Mme Clark- Larkin lui a donc servi un dernier avertissement 12 jours plus tard. Il s’agit ici d’une anomalie du point de vue de l’équité procédurale.

[269]  Il peut être noté, également, que pour l’indicateur de rendement 3.1.2., qui est décrit un plus loin, le fonctionnaire a été évalué sur une période de sept mois et demi et non sur une période de 12 mois. De même, pour l’indicateur de rendement 4.1.1 qui est décrit plus loin, il a été évalué sur une période de sept mois et demi et non sur une période de 12 mois.

2.  La présence d’incohérences dans les évaluations de mi-parcours et l’évaluation annuelle et la non reconnaissance des progrès observés

[270]  La responsabilité 1, qui a été évaluée, s’intitulait « Mener des projets liés à l’évaluation avec un minimum de supervision, en respectant les délais d’exécution et les normes de qualité ». Pour mesurer le rendement du fonctionnaire sous cette responsabilité, le plan précisait deux indicateurs de rendement.

[271]  Dans ses évaluations de mi-parcours du 14 juillet, du 25 septembre, du 5 décembre et du 1er mars, Mme Clark-Larkin a conclu que le fonctionnaire ne satisfaisait pas le premier indicateur 1.1.1. (% d’ébauche de produits d’évaluation ne nécessitant pas de révisions majeures par le superviseur) pour diverses raisons. Dans son évaluation annuelle du 1er avril 2014 au 31 mars 2015, elle a toutefois inscrit que bien que certaines capacités d’analyse n’avaient pas été atteintes, d’autres l’avaient été. Je note que ces évaluations de mi-parcours et annuelle couvraient une période de temps commune, mais que les évaluations sont, somme toute, divergentes. L’évaluation annuelle ne reflète pas les évaluations de mi-parcours. Il s’agit peut-être d’un indice que quelque chose cloche.

[272]  Quant à l’indicateur de rendement 1.1.2. (% de produits d’évaluation livré en respectant les délais), Mme Clark-Larkin a inscrit dans les évaluations du 14 juillet et du 25 septembre 2014, qu’il respectait les échéanciers (elle a écrit : « Les résultats attendus ont été atteints selon des échéanciers préétablis qui ont été discutés avec la superviseure »). Mais il a reçu un échec pour la responsabilité 1. C’est vrai qu’il ne rencontrait pas les exigences énoncées sous l’indicateur 1.1.1., mais il rencontrait les exigences énoncées sous 1.1.2. Il a, malgré tout, reçu un échec pour la responsabilité 1.

[273]  Ensuite, Mme Clark-Larkin a reproché au fonctionnaire, dans ses évaluations du 5 décembre 2014 et du 1er mars 2015 (alors qu’elle notait qu’il livrait ses ébauches dans des délais raisonnables) qu’il ne développait pas des délais concrets ou n’était pas proactif lorsqu’il ne pouvait livrer dans les délais. Elle a donc inscrit, encore une fois, qu’il n’atteignait pas (le 5 décembre) ou atteignait partiellement (le 1er mars) l’indicateur de rendement. Ces divergences de points de vue étaient des sources de confusion et d’incertitudes chez le fonctionnaire. Il a donc formulé son incompréhension face à ces évaluations qui étaient, selon lui, subjectives et qui se contredisaient. Mais Mme Clark-Larkin n’en a pas tenu compte.

[274]  De plus, la responsabilité 3, qui a été évaluée, s’intitulait : « Assurer la direction technique d’équipes de projets composées de spécialistes de l’évaluation de programme, de personnel affecté par le programme et de consultants, en veillant à la qualité du travail, à la validation de l’interprétation des résultats de l’évaluation et la crédibilité de la causalité ». Pour mesurer le rendement du fonctionnaire sous cette responsabilité, le plan précisait deux indicateurs de rendement.

[275]  L’indicateur 3.1.1 précisait qu’il devait démontrer sa capacité « à diriger les équipes de projets en impliquant les parties prenantes au bon moment et à 100% du temps ».

[276]  Dans ses évaluations de mi-parcours du 14 juillet, du 25 septembre et du 5 décembre 2014, Mme Clark-Larkin a inscrit que le fonctionnaire n’avait pas réussi à atteindre cet indicateur puisqu’il avait fait une erreur dans le procès-verbal d’une réunion, qu’il n’avait pas une liste de questions pour discussion avec un groupe, qu’il devait s’assurer de consulter le client approprié pour confirmer l’information dans les rapports qu’il fournissait à sa superviseure, et qu’il devait faire la distinction entre le moment où il pouvait procéder seul et celui où il devait avoir l’autorisation de sa superviseure. Dans l’évaluation du 1er mars 2015, Mme Clark-Larkin a noté qu’il avait atteint cet indicateur. Il a donc progressé.

[277]  Toutefois, le fonctionnaire a été rétrogradé au motif qu’il n’y avait eu aucune amélioration de son rendement, entre autres, en cette matière (voir la lettre de rétrogradation datée du 25 mai 2015). Ainsi, Mme Clark-Larkin a reconnu ses améliorations sous cette responsabilité dans sa dernière évaluation du 1er mars 2015 et, plus tard, dans l’évaluation annuelle. Néanmoins, elle a recommandé qu’il soit rétrogradé à cause de sa supposée lacune dans ce domaine. Il s’agit peut-être d’un autre indice que quelque chose cloche. Ces incohérences sont, somme toute, troublantes.

[278]  D’autre part, selon l’indicateur 3.1.2., le fonctionnaire devait fournir « 100% des produits présentant des enjeux de qualité non soulevés ». Pour cet indicateur, il n’a pas été évalué le 14 juillet 2014. Sa période d’évaluation a donc débuté le 15 juillet 2014. Suite aux évaluations de mi-parcours du 25 septembre, du 5 décembre 2014 et du 1er mars 2015, Mme Clark-Larkin a noté que le fonctionnaire n’avait pas atteint cet indicateur au motif qu’il devait s’assurer de consulter le client approprié pour confirmer l’information dans les rapports qu’il fournissait à sa superviseure et que les données fournies à sa superviseure et au personnel n’étaient parfois pas précises.

[279]  De même, la responsabilité 5, qui a été évaluée, s’intitulait : « Accepter, solliciter et intégrer la rétroaction offerte dans le milieu de travail ». Pour mesurer le rendement du fonctionnaire sous cette responsabilité, le plan précisait un seul indicateur de rendement, soit démontrer « la capacité à solliciter et/ou accepter et/ou intégrer la rétroaction de son superviseur et ses collègues ». Dans l’évaluation du 14 juillet 2014, Mme Clark-Larkin a conclu qu’il n’avait pas atteint cet indicateur malgré qu’elle ait écrit qu’il avait travaillé en collaboration avec elle et les autres. Elle considérait qu’il devait lui demander des clarifications lorsqu’il voulait modifier un rapport fondé sur sa rétroaction.

[280]  Pourtant, dans l’évaluation du 25 septembre 2014, elle a inscrit le même commentaire mais, cette fois, il avait atteint l’indicateur. Mme Clark-Larkin a indiqué également qu’il avait atteint cet indicateur dans ses évaluations du 5 décembre 2014 et du 1er mars 2015. D’ailleurs, dans une note de Mme Clark-Larkin datée du 5 mars 2015, adressée à Mme Morris, Mme Clark-Larkin reconnaît que le fonctionnaire s’est amélioré en ce qui concerne la révision et l’intégration de sa rétroaction dans les versions préliminaires ultérieures de son travail.

[281]  Enfin, je tiens à préciser que bien que l’employeur ait fait grand état dans sa preuve des difficultés du fonctionnaire à recevoir la rétroaction de ses superviseurs, ce n’est pas un des motifs soutenant sa rétrogradation. À partir du 25 septembre 2014, la gestion reconnaissait qu’il répondait aux attentes sur ce point.

[282]  Par contre, il y a une incohérence entre les évaluations de mi-parcours et l’évaluation annuelle à ce sujet. Dans l’évaluation annuelle du 21 mai 2015, l’employeur met encore de l’emphase sur ses supposées difficultés à intégrer la rétroaction offerte alors que les évaluations de mi-parcours démontrent que cette difficulté est réglée depuis le 25 septembre 2014.

[283]  Plus précisément, le 21 mai 2015, dans l’évaluation annuelle, Mme Clark-Larkin note que « Sa superviseure [Mme Clark-Larkin] a remarqué que, même si Patrick est réceptif à ses commentaires et tient compte de sa rétroaction, il n’est pas clair s’il comprend que le travail doit être amélioré. » Cette évaluation négative, selon moi, n’est pas conciliable avec l’évaluation de Mme Clark-Larkin selon laquelle il rencontre, depuis le 25 septembre 2014, « la capacité à solliciter et/ou accepter et/ou intégrer la rétroaction de son superviseur et ses collègues ». En résumé, était-il raisonnable d’évaluer négativement le fonctionnaire sur ce critère dans son évaluation annuelle alors que la difficulté était réglée depuis 8 mois? Il s’agit peut-être encore d’un indice que quelque chose cloche.

[284]  Enfin, rappelons que le fonctionnaire a demandé à plusieurs reprises à Mme Clark-Larkin de clarifier ses commentaires et de corriger les incohérences portées à son attention. Toutefois, cette dernière acceptait difficilement de le faire ou refusait simplement de le faire.

3.  La présence de lacunes au niveau de la formation offerte, des délais pour appliquer les notions reçues dans le cadre des formations offertes et une formation insuffisante dans le domaine de la supervision

[285]  Mme Clark-Larkin a affirmé dans sa lettre du 21 octobre 2014, relativement aux formations suivies par le fonctionnaire à cette date, qu’elle reconnaissait qu’il n’avait eu que peu de temps pour appliquer les compétences acquises dans ses cours de formation, soit entre un à cinq mois. Ces périodes étaient-elles insuffisantes pour intégrer les connaissances acquises? Il est possible que non. Or, je note qu’il a bénéficié de moins de temps encore pour appliquer les compétences qu’il a acquises après le 21 octobre 2014.

[286]  Par exemple, le fonctionnaire a suivi un cours sur l’écriture dans un contexte professionnel en novembre 2014. Or, il n’a bénéficié que de peu de temps pour mettre ces nouvelles notions en application, soit approximativement 4 mois.

[287]  De plus, dans son témoignage, Mme Morris a souligné qu’elle aurait souhaité trouver un autre poste à un niveau comparable à celui du fonctionnaire au lieu de le rétrograder de deux niveaux. Elle a expliqué qu’un poste qui comprenait des fonctions de supervision était disponible, mais a ajouté que le fonctionnaire n’avait aucune expérience ou formation dans le domaine de la supervision. Il est à noter que le fonctionnaire a été rétrogradé en partie parce sa capacité de diriger des équipes de projet n’était pas assez développée.

[288]  Pourtant, l’employeur est à l’origine de la modification des tâches du fonctionnaire. C’est l’employeur qui, en 2013, a ajouté des tâches de supervision (la direction des équipes de projet) à ce groupe et à ce niveau – des tâches auparavant accomplies par des fonctionnaires classifiés au groupe et au niveau GR-10.

[289]  Or, selon les témoignages et la preuve, l’employeur n’a, à aucun moment, offert une formation en supervision au fonctionnaire, même s’il avait des responsabilités de supervision depuis 2013. Le fonctionnaire s’est ainsi retrouvé dans une situation difficile qui ne découlait pas de sa volonté.

[290]  Enfin, je note qu’il a reçu une formation dans un domaine connexe, soit relativement au travail d’équipe et à la communication en décembre 2014, mais il n’a bénéficié que de trois mois pour mettre cette formation en application, avant que Mme Clark-Larkin ne recommande qu’il soit rétrogradé.

4.  L’existence de normes de rendement arbitraires, donc déraisonnables

[291]  Je note que pour la majorité des critères évalués, le fonctionnaire devait présenter un ratio de succès à 100%. Ces normes élevées étaient-elles en partie arbitraires?

[292]  Par exemple, la responsabilité 4, qui a été évaluée, s’intitulait : « Entreprendre et coordonner la production de rapports d’évaluation, d’études spéciales et de présentations variées, les présenter et les défendre devant des comités et des groupes de travail ». Pour mesurer le rendement du fonctionnaire sous cette responsabilité, le plan précisait deux indicateurs de rendement. L’indicateur 4.1.1 concernait la communication écrite et exigeait que « 100% des produits d’évaluation ne présentent pas d’erreurs de langue, rendent compte des démarches et résultats d’une manière claire et concise » et « qu’aucune révision majeure n’est requise ».

[293]  Le fonctionnaire n’a pas été évalué pour cet indicateur le 14 juillet 2014. Sa période d’évaluation a débuté le 15 juillet 2014, et s’est étendue jusqu’au 1er mars 2015, elle s’est donc étalée sur une période de sept mois et demi. Suite aux évaluations de mi-parcours du 25 septembre, du 5 décembre 2014 et du 1er mars 2015, Mme Clark-Larkin a inscrit que le fonctionnaire n’avait pas atteint cet indicateur puisqu’elle avait constaté que des révisions substantielles étaient nécessaires.

[294]  Quant à l’indicateur 4.1.2 (3.1.2 est inscrit par erreur dans le plan) il concernait la communication orale et exigeait que « 100% des communications verbales du fonctionnaire [soient] comprises - la gestionnaire et le personnel ne doivent pas devoir demander de clarifications, lorsqu’il présente [ses études] ou pose des questions ». Ici, toute question ou demande de clarification signifiait, au bout du compte, un échec. Selon moi, il est injuste et contreproductif d’exiger la perfection d’un être humain, surtout lorsque l’autre être humain qui exige cette perfection est lui-même générateur d’anomalies et d’incohérences.

[295]  Enfin, suite aux évaluations de mi-parcours du 14 juillet, du 25 septembre, du 5 décembre 2014 et du 1er mars 2015, Mme Clark-Larkin a noté que le fonctionnaire n’avait pas atteint cet indicateur au motif que le personnel et elle-même avaient de la difficulté à interpréter ses explications et réponses. En même temps, dans une note de Mme Clark-Larkin datée du 5 mars 2015 et adressée à Mme Morris, Mme Clark-Larkin reconnait que la communication entre elle et le fonctionnaire s’est améliorée.

[296]  Il importe de rappeler que, pour mesurer le rendement du fonctionnaire sous la responsabilité 2, le plan précisait deux indicateurs de rendement. Le premier 2.1.1. se mesurait selon le critère suivant : 100 % des produits livrables utilisent les méthodes et les techniques d'analyse appropriées. Le deuxième 2.1.2 se mesurait selon le critère suivant : 100% de livrables comprenant une analyse des données sans erreur, une interprétation correcte des résultats et des résultats rapportés de manière claire et concise.

[297]  De façon semblable, les indicateurs de rendement 3.1.1 et 3.1.2 affichaient aussi des normes de rendement à 100%. De même que les indicateurs de rendement 4.1.1, 4.1.2 et 5.1.1.

[298]  Au bout du compte, ces constantes exigences de perfection m’apparaissent ici comme des normes élevées qui sont, en partie, arbitraires. Mme Clark-Larkin faisait-elle montre d'un certain niveau de fermeture d'esprit lorsqu’elle a évalué le fonctionnaire? Il appert que oui. Cette fermeture était-elle la résultante d’un problème de communications entre elle et le fonctionnaire? Il est possible. Il est vrai que ce dernier contestait fréquemment ses directives et instructions. Mais il le faisait souvent avec raison.

5.  Des changements importants au niveau du travail devant être accompli par le fonctionnaire

[299]  Rappelons que plusieurs décisions qui ont été prises par l’employeur entre 2008 à 2013 ont eu pour effet de changer considérablement le milieu de travail du fonctionnaire. D’abord, souvenons-nous que, en 2008, l’employeur a embauché le fonctionnaire dans un poste classifié au groupe et au niveau GR-07. Puis, en 2009, l’employeur a exercé son autorité et a décidé de reclassifier son poste au groupe et au niveau GR-08. Par la suite, en 2012, l’employeur a de nouveau exercé son autorité et a procédé à une restructuration d’envergure, qui a entraîné la création d’un nouveau milieu de travail pour le fonctionnaire, un milieu de travail chapeauté par une nouvelle directrice et une nouvelle superviseure.

[300]  Comme nous l’avons vu, la restructuration de 2012-2013 a entraîné une évolution des tâches de l’agent principal d’évaluation de programme. Les tâches liées à l’élaboration de mesures de rendement ont été supprimées du profil du poste et ont été transférées à une autre équipe. Le nom du poste a été modifié d’agent principal de l’évaluation et du rendement à agent principal d’évaluation de programme, et l’accent a été mis sur les évaluations. Un nouveau profil du poste (ou description de travail) a été adopté.

[301]  De plus, avant la restructuration de 2012-2013, l’employeur embauchait des consultants qui effectuaient la plus grande partie des études d’évaluation, soit une partie ou l’ensemble des collectes de données, des analyses et de la rédaction des rapports. Compte tenu des changements survenus en 2012-2013, l’employeur a grandement réduit son embauche de consultants.

[302]  Ainsi, en 2013, l’employeur a changé le profil d’emploi du poste du fonctionnaire. Ses tâches ont changé de façon substantielle. Ses nouvelles responsabilités ont par la suite compris des tâches qui étaient auparavant accomplies par des consultants externes et des employés classifiés au groupe et au niveau GR-10, notamment la responsabilité de diriger des équipes de projet. Or, lorsque son poste a changé de façon substantielle en 2012-2013 et par la suite, l’employeur ne l’a pas évalué afin de déterminer s’il avait les compétences requises pour exécuter ses nouvelles responsabilités. Plutôt, il a irrémédiablement décidé, après l’avoir observé dans son travail, que Mme Larkin instaurerait un plan d’amélioration du rendement et qu’une rétrogradation ou un licenciement seraient considérés s’il ne répondait pas aux nouvelles attentes.

[303]  Ainsi, bien que l’employeur soit à l’origine des changements significatifs survenus dans le travail devant être accompli par le fonctionnaire et qu’il a omis de l’évaluer avant de lui attribuer de nouvelles tâches, l’employeur s’est sorti indemne de la situation en le rétrogradant de deux niveaux. Il n’a subi aucune perte ou dommage résultant de ses initiatives ou de ses actions, qui étaient à l’origine des changements survenus dans le travail du fonctionnaire.

[304]  Force est de constater que le soutien et l’encadrement apportés au fonctionnaire dans son poste d’agent principal d’évaluation à la suite de la restructuration n’étaient pas entièrement adéquats. Étant donné les changements importants au niveau de son travail, la rétroaction qui lui a été offerte par Mme Clark-Larkin et Mme Verghnes et les quelques formations reçues n’étaient pas, selon moi, suffisantes pour compenser les changements importants survenus dans la nature de son travail.

[305]  Enfin, je note que le fonctionnaire œuvrait dans une autre section au moment de l’audience, et que son rendement y était jugé plus qu’adéquat. Il était régulièrement invité à occuper des postes de niveau plus élevé sur une base intérimaire.

6.  Les facteurs énoncés dans Stevenson

[306]  En l’espèce, il m’apparait donc à première vue que la rétrogradation imposée par l’employeur n’était pas une réaction raisonnable à des considérations opérationnelles honnêtes. Par souci du détail, cependant, je souhaite tenir compte des facteurs énumérés par l’arbitre de griefs dans Stevenson pour déterminer si la rétrogradation imposée par l’employeur était, somme toute, une réaction raisonnable à des considérations opérationnelles honnêtes.

[307]  Dans cette décision, dont la question de fond était de déterminer s’il s’agissait d’une rétrogradation administrative ou disciplinaire dans un organisme distinct, l’arbitre de griefs a tenu compte de certains facteurs au paragraphe 22 pour en arriver à ses conclusions. Il énonçait ce qui suit:

[22] Compte tenu du dossier, je conclus que, dans les faits, l’employeur a agi avec le fonctionnaire de manière franche en ce qui concerne les questions de rendement […]. Je conclus également que l’employeur a agi de bonne foi, qu’il a tenu le fonctionnaire pleinement informé de ce qu’il attendait de lui et des conséquences qui en découleraient s’il ne satisfaisait pas à ces attentes, qu’il a donné au fonctionnaire la possibilité de s’adapter et de respecter les attentes, qu’il lui a fourni de l’aide et qu’il a envisagé d’autres solutions avant de le rétrograder […]

[308]  J’énumère ici-bas ces facteurs sous forme de questions de la façon suivante:

- L’employeur a-t-il agi avec le fonctionnaire de manière franche et de bonne foi en ce qui concerne son rendement?

- L’employeur a-t-il tenu le fonctionnaire pleinement informé de ce qu’il attendait de lui et des conséquences qui en découleraient s’il ne satisfaisait pas à ces attentes?

- L’employeur a-t-il donné au fonctionnaire la possibilité de s’adapter et de respecter les attentes, lui a-t-il fourni de l’aide?

- L’employeur a-t-il envisagé d’autres solutions avant de le rétrograder?

[309]  J’aborderai chacune de ces questions brièvement en gardant en tête les faits spécifiques de cette affaire.

a.  L’employeur a-t-il agi de manière franche et de bonne foi en ce qui concerne le rendement du fonctionnaire?

[310]  Tel qu’il a été mentionné dans les paragraphes précédents, les éléments de la preuve présentés me portent à croire que Mme Clark-Larkin a fait preuve d'un important niveau de fermeture d'esprit lorsqu’elle a évalué le fonctionnaire et que cette fermeture l’a emporté sur l’intérêt authentique de l’aider et de lui permettre de s’adapter à ses nouvelles fonctions. Selon moi, Mme Clark-Larkin, qui a succédé à Mme Gauthier, percevait les réactions et les désaccords du fonctionnaire comme une inconduite qu’elle désirait corriger. Il est vrai que fréquemment, le fonctionnaire se montrait fondamentalement en désaccord avec sa superviseure au sujet des normes de qualité des produits livrables préparés par un évaluateur principal. Une intention déguisée de discipliner peut prendre racine face un comportement de la sorte.

[311]  Je note que Mme Vergnhes a également fourni un encadrement au fonctionnaire, mais que le fonctionnaire était aussi en désaccord avec ses évaluations de son travail. Plus précisément, Mme Verghnes a évalué le fonctionnaire de la fin décembre 2013 jusqu’au 2 mars 2014. Il faut retenir, toutefois, qu’une supervision sur une période de deux à trois mois ne permet pas d’effectuer une évaluation complète d’un employé. La clause 30.01(b) de la convention collective qui s’applique en l’espèce prévoit que le représentant de l’employeur qui apprécie le rendement du fonctionnaire doit avoir eu l’occasion d’observer son rendement ou de le connaître pendant au moins six mois de la période de référence.

[312]  J’ai décrit dans les paragraphes précédents les incohérences et les faiblesses dans les évaluations de mi-parcours et l’évaluation annuelle et la non reconnaissance des progrès observés que dévoilent la documentation et les témoignages présentés par l’employeur. Par exemple, dans sa lettre du 9 mars 2014, recommandant la rétrogradation, Mme Clark-Larkin indiquait que le fonctionnaire n’avait pas démontré d’améliorations significatives. Toutefois, malgré le degré de perfection de 100% exigé, il avait atteint certains des objectifs, soit les responsabilités 1.1.2, 3.1.1 et 5.

[313]  Enfin, l’employeur a indiqué dans la lettre de rétrogradation du 25 mai 2015, qu’il n’y avait eu aucune amélioration du fonctionnaire à la suite de l’instauration du plan d’amélioration du rendement. Cet énoncé n’était pas vrai puisque Mme Clark-Larkin a reconnu des améliorations dans les évaluations de mi-parcours et l’évaluation annuelle.

[314]  Rappelons également que le 18 décembre 2014, le fonctionnaire a reçu un dernier avertissement concernant ses problèmes de rendement. Il a été avisé qu’il recevait une dernière chance de démontrer une amélioration significative de son rendement en ce qui concerne les quatre responsabilités à l’égard desquelles il avait des difficultés. En ce qui concerne la responsabilité 2, toutefois, étant donné que son évaluation avait commencé le 6 décembre 2014, il a reçu un dernier avertissement 12 jours plus tard. Tel qu’il a été mentionné, il s’agit d’une anomalie du point de vue de l’équité procédurale.

[315]  J’ai déjà mentionné, aussi, que l’évaluation annuelle du 21 mai 2015, qui couvrait le rendement du fonctionnaire pour la période du 1er avril 2014 au 31 mars 2015, est survenue après la recommandation de rétrograder le fonctionnaire. Cette évaluation ne reflète toutefois pas clairement les évaluations de mi-parcours effectuées durant l’année d’évaluation; maintes fois, les évaluations se contredisent.

[316]  En résumé, la somme de ces agissements laisse douter de la bonne foi des gestionnaires et de l’honnêteté de l’opération. Ils démontrent, selon moi, qu’il y avait anguille sous roche. Pour toutes ces raisons, j’estime que l’employeur n’a pas démontré qu’il a agi de manière franche et de bonne foi en ce qui concerne le rendement du fonctionnaire.

b.  L’employeur a-t-il tenu le fonctionnaire pleinement informé de ce qu’il attendait de lui et des conséquences qui en découleraient s’il ne satisfaisait pas à ces attentes?

[317]  Le fonctionnaire a soutenu que l’employeur l’avait en partie informé de ce qu’il attendait de lui, mais qu’il avait fixé des normes de rendement inappropriées. Il n’a pas tort. Nous avons vu que, pour plusieurs des responsabilités évaluées, le fonctionnaire devait présenter au ratio de succès à 100%. J’ai expliqué pourquoi ces normes élevées étaient en partie arbitraires.

[318]  Je conclus que les attentes de l’employeur étaient irréalistes et que, bien que l’employeur ait, dans une certaine mesure, tenu le fonctionnaire informé de ce qu’il attendait de lui et des conséquences qui en découleraient s’il ne satisfaisait pas à ces attentes, il était injuste et contreproductif d’exiger de lui la perfection en tout temps. Mme Clark-Larkin a précisé qu’elle aurait permis une certaine marge d’erreurs de sa part, mais ce n’est pas ce que le plan d’amélioration du rendement prévoyait. Je ne suis donc pas certaine que le fonctionnaire ait bénéficié d’une telle ouverture d’esprit ou d’une telle souplesse, surtout en examinant les nombreux commentaires négatifs, et quelques fois contradictoires, de Mme Clark-Larkin contenus dans le plan d’amélioration.

[319]  De plus, bien que Mme Clark-Larkin et Mme Vergnhes aient fourni une critique exhaustive des rapports préparés par le fonctionnaire, la preuve démontre qu’il n’existait pas nécessairement un esprit d’entraide entre les nouvelles gestionnaires et le fonctionnaire. Ces dernières lui communiquaient surtout quelles étaient les lacunes et les failles observées dans son travail. Mme Morris et Mme Vergnhes ont reconnu que des problèmes de communications et de compréhension étaient à l’origine de la situation.

[320]  Pour ces raisons, je conclus que bien que l’employeur ait en partie tenu le fonctionnaire informé de ce qu’il attendait de lui et des conséquences qui en découleraient s’il ne satisfaisait pas à ces attentes, il n’a pas été complètement transparent et juste avec lui en lui imposant des normes élevées qui étaient en partie arbitraires.

c.  L’employeur a-t-il donné au fonctionnaire la possibilité de s’adapter et de respecter les attentes? L’employeur lui a-t-il fourni de l’aide?

[321]  L’employeur a-t-il donné au fonctionnaire la possibilité de s’adapter et de respecter les attentes?

[322]  En fait, le plan d’amélioration du rendement a débuté le 26 mai 2014, et devait initialement s’échelonner sur une période de six mois, mais il s’est finalement échelonné sur une plus longue période. Malgré tout, pour certaines des responsabilités, en particulier la responsabilité 2, l’employeur n’a donné que peu de temps au fonctionnaire pour s’adapter et respecter les attentes. Il a été évalué pour la première fois le 1er mars 2015, soit après une période de moins de trois mois.

[323]  De plus, son évaluation pour cette responsabilité n’a commencé que le 6 décembre 2014, et Mme Clark- Larkin lui a servi un dernier avertissement 12 jours plus tard (le 18 décembre). Or, une telle pression risque de nuire à l'efficacité d’une opération.

[324]  En résumé, l’employeur n’a pas, pour chaque responsabilité, donné au fonctionnaire un délai suffisant pour qu’il ait la possibilité de s’adapter et de respecter les attentes.

[325]  Maintenant, l’employeur a-t-il fourni de l’aide au fonctionnaire?

[326]  Je note que la formation suivante a été offerte au fonctionnaire (il s’agissait de formations en groupe) :

(1) Pour la responsabilité 1 (Mener des projets liés à l’évaluation avec un minimum de supervision, etc.) et plus particulièrement l’indicateur de rendement 1.1.1, le fonctionnaire a reçu de la formation en pensée analytique en septembre 2014 (avec cinq à six mois pour mettre cette formation en application compte tenu de la période des Fêtes), et en pensée stratégique en octobre 2014 (avec cinq mois pour mettre cette formation en application).

(2) Pour la responsabilité 4 (Entreprendre et coordonner la production de rapports d’évaluation, d’études spéciales et de présentations variées, etc.) et plus particulièrement l’indicateur de rendement 4.1.1 (communication écrite), le fonctionnaire a reçu de la formation sur l’écriture dans un contexte professionnel en novembre 2014 (avec approximativement quatre mois - y compris la période des Fêtes - pour mettre cette formation en application étant donné qu’il a été évalué sur une période de sept mois et demi, du 15 juillet 2014 au 1er mars 2015).

(3) il a reçu les formations « Getting your Way » ([traduction] Obtenir ce que l’on veut) en mai 2014 et « Canadian Evaluation Society Conference » ([traduction] Conférence de la Société canadienne d’évaluation) en juin 2014.

[327]  L’employeur a donc fourni une certaine aide au fonctionnaire. De même, Mmes Clark-Larkin, Vergnhes et Morris ont fourni un nombre élevé de critiques et de commentaires à la suite de leur révision des rapports préparés par le fonctionnaire.

[328]  En même temps, il importe de rappeler que le fonctionnaire a hérité, en 2013, de tâches auparavant accomplies par des consultants externes et qu’il est devenu responsable d’assurer la direction technique d’équipes de projets, laquelle relevait antérieurement des fonctionnaires classifiés au groupe et au niveau GR-10. Il s’agissait, ici, de la responsabilité 3 (Assurer la direction technique d’équipes de projet composées de spécialistes de l’évaluation de programme, de personnel affecté par le programme et de consultants, etc.) évaluée dans le cadre du plan d’amélioration du rendement. Selon la preuve, il appert que le fonctionnaire n’ait reçu aucune formation pour l’exécution de cette nouvelle responsabilité.

[329]  L’employeur a également nommé une nouvelle superviseure et une nouvelle directrice au sein de l’équipe à la suite de la restructuration de la section. Celles-ci ont jugé que le rendement du fonctionnaire n’était pas satisfaisant et elles lui ont offert une rétroaction. Toutefois, cette rétroaction n’était pas équivalente, selon moi, à des sessions de coaching ou de formation sur mesure.

[330]  De plus, l’employeur ne s’est pas informé auprès du fonctionnaire pour voir si la formation qui lui était offerte l’aidait réellement à atteindre ses objectifs.

[331]  Pour toutes ces raisons, je conclus que l’employeur n’a pas donné au fonctionnaire une possibilité suffisante de s’adapter et de respecter les attentes et qu’il ne lui a pas fourni suffisamment d’aide.

d.  L’employeur a-t-il envisagé d’autres solutions avant de rétrograder le fonctionnaire?

[332]   L’employeur a envisagé d’autres alternatives à la rétrogradation de deux niveaux du fonctionnaire et Mme Morris a expliqué quelles étaient ces alternatives. Elle a aussi expliqué qu’elle n’avait pas eu le choix finalement de le rétrograder de deux niveaux. Je note, cependant, que bien qu’elle ait dit avoir voulu l’aider, elle n’a pas exploré l’option de lui offrir une certaine protection salariale. La rétrogradation de deux niveaux du fonctionnaire a donc eu des répercussions importantes sur lui au niveau de son salaire et de sa santé mentale.

[333]  En conclusion, j’estime que bien que l’employeur ait envisagé d’autres solutions avant de rétrograder le fonctionnaire de deux niveaux, il n’a pas examiné la possibilité de lui offrir un soutien plus réfléchi et approfondi. J’estime que la preuve illustre, finalement, une étroitesse d’esprit de la part de l’employeur à l’égard du fonctionnaire.

7.  Constatations finales

[334]  Mme Gauthier, la première gestionnaire du fonctionnaire, a reconnu les nombreuses compétences professionnelles du fonctionnaire, y compris ses compétences analytiques, de 2008 à 2012. Pendant toutes ces années, elle a jugé que son rendement était pleinement satisfaisant. À la suite de la restructuration de 2012-2013, sa nouvelle gestionnaire, Mme Clark-Larkin, appuyée temporairement d’une autre gestionnaire et de la directrice, ont jugé que le fonctionnaire ne détenait pas des compétences suffisantes dans le domaine de l’analyse et de l’évaluation pour effectuer son travail.

[335]  En fait, le fonctionnaire et sa nouvelle superviseure ne partageaient pas le même point de vue sur les objectifs des projets et la façon de présenter les projets. Il existait un désaccord autour des questions substantielles importantes abordées dans les rapports. Il exprimait son désaccord au sujet des commentaires de sa gestionnaire touchant la méthodologie, la validité des données ou la clarté des rapports.

[336]  Des tensions sont apparues entre le fonctionnaire et sa nouvelle gestionnaire, qui ont entraîné des conflits au sein de l’équipe. La relation entre Mme Clark-Larkin et le fonctionnaire en a souffert. Selon Mme Clark-Larkin, le manque de compétence du fonctionnaire était la source de ces problèmes. Elle a donc qualifié d’incompétence ce qui, au départ, était une attitude et un comportement qu’elle jugeait injustifiables.

[337]  Mme Clark-Larkin a donc instauré un plan d’amélioration du rendement pour aider le fonctionnaire à atteindre les objectifs qu’elle a fixés. Toutefois, les normes d’évaluation qu’elle a fixées étaient partiellement arbitraires. La preuve a aussi démontré un important degré de fermeture de la part de Mme Clark-Larkin envers le fonctionnaire. Elle ne lui a pas donné une réelle possibilité de s’adapter et de satisfaire aux exigences de son poste.

[338]  À la suite de la mise en place du plan d’amélioration du rendement, le fonctionnaire a signalé les irrégularités qu’il rencontrait dans la procédure d’évaluation. Puis il a tenté en cours de route de comprendre pourquoi ses progrès étaient difficilement reconnus ou simplement ignorés. Ses signalements ont cependant été ignorés.

[339]  La preuve prépondérante m’amène donc à croire que la décision d’instaurer le plan d’amélioration du rendement et, plus tard, de rétrograder le fonctionnaire pour des motifs de rendement cachait des intentions disciplinaires. L’employeur a utilisé un moyen détourné, le plan d’amélioration du rendement et les évaluations du rendement, pour qualifier les difficultés rencontrées, liées à l’attitude et au comportement du fonctionnaire, comme étant de l’incompétence. Des problèmes de communications étaient, selon moi, à la sa source de toutes ces difficultés.

[340]  La restructuration a en effet entrainé de sérieux problèmes de communications entre les parties impliquées dans cette histoire (voir les paragraphes 79, 85, 98, 128 et 159). Ces problèmes de communications et ces malentendus étaient contreproductifs et ont aggravé la situation.

[341]  Cependant, étant donné l’ampleur des changements dans les activités des agents principaux d’évaluation – voir le recours moins fréquent à des consultants et des tâches nouvelles pour les agents – l’employeur aurait dû s’attendre à des problèmes de fonctionnement au début, tant que les diverses parties ne s’étaient pas familiarisées avec leurs nouveaux rôles.

[342]  Selon moi, un gestionnaire doit accorder une certaine latitude à son subdélégué pour qu’il puisse exprimer librement et dans ses propres mots ses points de vue, ses opinions et ses convictions, et de contribuer aux décisions qui sont reliées à son travail. Or, les principales difficultés que le fonctionnaire a rencontrées relevaient ici de l’absence d’un soutien suffisant de la part de sa nouvelle équipe et d’un manque de formation orientée pour s’assurer qu’il puisse remplir adéquatement son travail, y compris la direction technique d’équipes de projet.

[343]  Il m’apparait donc que l’employeur a traité les désaccords du fonctionnaire comme de l’inconduite qui devait être corrigée. Comme nous l’avons vu, une intention déguisée de discipliner peut prendre racine dans un tel comportement même si elle n’est pas clairement exprimée.

[344]  Ainsi, la rétrogradation n’était pas, selon moi, « une réaction raisonnable à des considérations opérationnelles honnêtes » (voir Bergey).

[345]  Pour toutes ces raisons, bien que je ne doute pas que l’employeur avait un souci opérationnel légitime de s’assurer que le rendement du fonctionnaire soit adéquat, je conclus que la mesure prise par l’employeur était en réalité une mesure disciplinaire déguisée qui relève de la mauvaise foi et qui a enfreint l’équité procédurale, tel qu’il est énoncé dans Bergey.

[346]  Je conclus donc que l’objection préliminaire à ma compétence n’est pas fondée.

[347]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


 

V.  Ordonnance

[348]  L’objection préliminaire est rejetée.

[349]  Le grief est accueilli.

[350]  Le fonctionnaire doit être réintégré à un poste classifié au groupe et au niveau GR-08 convenu mutuellement par les parties dans les 90 jours de la présente décision, sauf si elles parviennent à une autre entente sur une indemnité tenant lieu de réintégration.

[351]  L’employeur versera au fonctionnaire toute la rémunération et les prestations non versées en raison de sa rétrogradation rétroactivement à la date de sa rétrogradation, moins toutes les déductions législatives ou autres exigées par la loi ou une convention collective et la déduction de tout montant réclamé à titre d’impôt sur le revenu pour la même période.

[352]  Le fonctionnaire a demandé des dommages pour pallier la détresse psychologique qu’il a subie. J’invite les parties à s’entendre sur un montant approprié en l’espèce, à défaut de quoi je pourrai trancher la question. Je demeurerai donc saisie de la question de ces dommages, advenant l’absence d’une entente. Dans ce cas, j’inviterai les parties à présenter leurs arguments écrits sur les dommages allégués afin que je puisse trancher cette question.

[353]  Advenant le cas où les parties optaient pour une indemnité tenant lieu de réintégration dans un poste classifié au groupe et au niveau GR-08 et que les parties n’étaient pas en mesure de s’entendre sur la valeur de ce paiement par elles-mêmes, je demeurerai saisie de l’affaire pour déterminer le montant applicable.

[354]  Je demeurerai saisie de l’exécution de toute ordonnance en vertu de la présente décision pour une période de six mois à compter de la date de cette ordonnance.

Le 24 août 2020.

Nathalie Daigle,

 une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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