Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le 3 janvier 2018, le fonctionnaire s’estimant lésé a été renvoyé en cours de stage – il a déposé un grief contre le renvoi le 10 décembre 2018 – l’employeur a soutenu que le grief n’avait pas été déposé dans le délai de 25 jours prévu dans la convention collective – le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé à la Commission une demande de prorogation de délai – il a expliqué qu’il s’attendait à ce que son agent négociateur dépose le grief, mais cela n’a pas été fait – le 8 mars 2018, le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé une plainte à la Commission contre l’agent négociateur pour défaut de représentation – le 16 mars 2018, l’agent négociateur a informé le fonctionnaire s’estimant lésé et son avocate qu’il n’était pas nécessaire d’avoir l’aval de l’agent négociateur pour déposer un grief, et, le 5 avril 2018, l’agent négociateur a fait part à l’avocate du fonctionnaire s’estimant lésé de l’ébauche du grief, pour approbation par le fonctionnaire s’estimant lésé – la Commission a jugé que le défaut de déposer le grief après le 26 mars ou le 5 avril n’avait pas été expliqué – elle a conclu qu’il n’y avait pas de raisons claires et convaincantes pour expliquer le retard et que le fonctionnaire n’avait pas fait preuve de diligence dans cette affaire – il n’était donc pas justifié d’accorder la prorogation de délai.

Objection accueillie.
Demande de prorogation de délai rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20201102

Dossier: 568-02-42105

XR : 566-02-39873

 

Référence: 2020 CRTESPF 94

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

DIMITRI GREKOU

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(ministère de la Défense nationale)

 

défendeur

Répertorié

Grekou c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant une demande visant la prorogation d’un délai en vertu de

l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

 

 

Devant :  Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé :  Aaron Lemkow, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour le défendeur :  Glenn MacDougall et Peter Hooey

Décision rendue sur la base d’arguments écrits

déposés le 3 avril 2019 et les 17 juillet et 11 septembre 2020.


MOTIFS DE DÉCISION

I.  Demande devant la Commission

[1]  Dimitri Grekou, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a été renvoyé en cours de stage alors qu’il travaillait au ministère de la Défense nationale (MDN). Le fonctionnaire faisait partie d’une unité de négociation représentée par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), qui est partie à une convention collective conclue avec l’employeur, le Conseil du Trésor. Pour les fins de la présente décision, l’employeur désigne le MDN, à qui le Conseil du Trésor a délégué ses pouvoirs, à titre d’employeur.

[2]  La lettre de renvoi en cours de stage est datée du 3 janvier 2018. Le fonctionnaire a déposé un grief contre le renvoi en cours de stage le 10 décembre 2018. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») le 20 février 2019. Le 3 avril 2019, l’employeur a adressé une lettre à la Commission pour faire part de deux objections : le retard à déposer le grief, et le fait que le renvoi en cours de stage, effectué sous l’égide de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (LEFP), ne peut faire l’objet d’un renvoi à l’arbitrage en vertu de l’art. 211 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, L.C. 2003. ch. 22, art. 2 (la « Loi »). Le 17 juillet 2020, le fonctionnaire a déposé à la Commission une demande de prorogation de délai en vertu de l’art. 61 du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, DORS/2005-79 (le « Règlement »).

[3]  La présente décision porte uniquement sur l’objection quant au délai et la demande de prorogation du fonctionnaire. Je suis consciente qu’en principe, un grief portant sur le renvoi en cours de stage ne peut être renvoyé à l’arbitrage. En pratique, ce genre de grief est souvent présenté à la Commission, qui décide en fonction de la preuve si elle doit intervenir ou non, suivant les enseignements de la Cour fédérale dans Canada (Procureur général) c. Leonarduzzi, 2001 CFPI 529, et selon sa propre jurisprudence, notamment la décision Tello c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 134. Par conséquent, si je fais droit à la demande de prorogation, j’estime qu’il sera nécessaire de tenir une audience pour trancher l’objection de l’employeur portant sur la compétence de la Commission. Si la demande de prorogation est rejetée, le dossier de grief sera clos.

II.  Contexte

[4]  Le fonctionnaire a été renvoyé en cours de stage le 3 janvier 2018. Il a immédiatement communiqué avec son agent négociateur, selon nombre de courriels en janvier 2018. La convention collective prévoit qu’un grief doit être déposé dans les 25 jours de l’action qui donne lieu au grief. Une communication de l’agent négociateur indique que la date limite serait donc le 28 janvier, l’autre, qu’elle serait le 7 février (en excluant du compte les samedis et dimanches). Il n’est pas nécessaire de décider cette question ici, puisque les parties sont d’accord que le dépôt du grief le 10 décembre 2018 dépasse largement le délai accordé par la convention collective.

[5]  Le fonctionnaire s’attendait à ce que l’agent négociateur dépose le grief; cela n’a pas été fait. Le fonctionnaire a déposé une plainte à la Commission le 8 mars 2018 contre l’AFPC pour défaut de représentation. Le 5 avril 2018, l’AFPC faisait part à l’avocate du fonctionnaire de l’ébauche du grief, pour approbation par le fonctionnaire. L’AFPC avait déjà informé l’avocate et le fonctionnaire le 26 mars qu’il n’était pas nécessaire d’avoir l’aval de l’agent négociateur pour déposer un grief.

[6]  En octobre 2018, l’avocate du fonctionnaire s’est retirée du dossier de plainte. En novembre 2018, la plainte a été entendue partiellement par le commissaire Stephan Bertrand. L’audience a été suspendue parce que les parties ont laissé entendre qu’elles pourraient régler l’affaire. Le commissaire Bertrand, malheureusement décédé depuis, aurait dit aux parties qu’il rejetterait toute objection de l’employeur fondée sur le délai si l’agent négociateur déposait un grief et le renvoyait à l’arbitrage.

[7]  L’agent négociateur et le fonctionnaire ont réglé la plainte de ce dernier le 19 novembre 2018. L’agent négociateur soutient que la promesse du commissaire Bertrand d’écarter toute objection de l’employeur quant au caractère tardif du dépôt du grief a joué dans le règlement de la plainte et le dépôt du grief au nom du fonctionnaire le 10 décembre 2018.

III.  Résumé de l’argumentation

[8]  L’employeur a répondu au renvoi du grief à l’arbitrage devant la Commission le 3 avril 2019, en soulevant deux objections : le retard dans le dépôt du grief, et la compétence de la Commission. Tel que je l’ai énoncé plus haut, je ne traiterai dans la présente décision que de l’objection fondée sur le retard.

A.  Objection du défendeur

[9]  Selon le défendeur, le grief a été déposé bien au-delà des 25 jours prévus à la convention collective, et l’employeur a dûment rejeté le grief en raison de ce retard conformément au par. 95(2) du Règlement.

B.  Demande de prorogation de délai

[10]  Le retard n’est pas contesté. Le fonctionnaire demande une prorogation de délai pour déposer le grief en vertu de l’art. 61 du Règlement, qui se lit comme suit :

61 Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle-ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peut être prorogé avant ou après son expiration:

a) soit par une entente entre les parties;

b) soit par la Commission ou l’arbitre de grief, selon le cas, à la demande d’une partie, par souci d’équité.

[11]  La Commission applique généralement les critères suivants, tirés du par. 75 de la décision Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services Gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, pour trancher les demandes de prorogation de délai :

le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;

la durée du retard;

la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé;

l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;

les chances de succès du grief.

[12]  Le fonctionnaire soutient que ces critères, bien qu’utiles, ne sont pas définitifs. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, par souci d’équité, la Commission devrait accorder la prorogation. Néanmoins, le fonctionnaire passe en revue chacun des critères.

1.  Retard justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes

[13]  Le fonctionnaire avance que, jusqu’au 5 avril 2018, il revenait à l’agent négociateur de déposer un grief en son nom; après cette date, la tâche incombait à l’avocate qu’il avait engagée et dont il a suivi les conseils.

2.  Durée du retard

[14]  Il s’agit d’un retard de 11 mois. Ce délai n’est pas négligeable, mais la Commission a accordé dans d’autres affaires des prorogations pour des délais même plus considérables.

3.  La diligence raisonnable du fonctionnaire

[15]  Pour sa part, le fonctionnaire soutient avoir agi avec diligence. Il a communiqué fréquemment avec l’agent négociateur, il n’a jamais renoncé à son droit de déposer un grief, et il comptait sur son avocate pour agir dans son intérêt.

4.  L’injustice causée au fonctionnaire par un refus de prorogation par rapport au préjudice subi par l’employeur en raison d’une prorogation

[16]  Il est évident, selon le fonctionnaire, qu’il souffrirait davantage des conséquences d’un refus, puisqu’il s’agit de son unique recours pour contester un congédiement qu’il estime injuste. Il n’y a aucune indication du préjudice subi par l’employeur.

5.  Les chances de succès du grief

[17]  En l’absence de preuve, ce critère ne peut être décidé. Toutefois, le fonctionnaire souligne que l’employeur n’a pas qualifié ce grief de frivole ou vexatoire.

[18]  Le fonctionnaire demande donc à la Commission d’accorder la prorogation de délai. L’agent négociateur demande à la Commission, si elle fait droit à l’objection de l’employeur et rejette la demande de prorogation, de préciser le moment à partir duquel le retard devenait excessif.

C.  Réplique du défendeur

[19]  Le défendeur répond à la demande de prorogation de la façon suivante :

[…] Bien que l’agent négociateur soutienne que le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes, l’employé s’estimant lésé était représenté par Me Blanchard-Beauchemin à compter du 5 avril 2018 et un grief aurait pu être déposé à ce moment auprès de l’employeur. Ce n’est pourtant qu’en date du 10 décembre 2018 que le grief fût déposé. Aucune preuve n’a été présentée à l’effet que l’employé était dans l’impossibilité de le faire avant cette date. […]

IV.  Analyse

[20]  Le fonctionnaire a présenté dans sa demande plusieurs décisions qui traitent précisément de l’application du par. 61b) du Règlement pour accorder une prorogation de délai. Toutes ces décisions se distinguent quant aux faits en cause.

[21]  Dans Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 c. Conseil du Trésor, 2013 CRTFP 144 et D’Alessandro c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2019 CRTESPF 79, le grief portait sur l’interprétation ou l’application de la convention collective, de sorte que l’appui du syndicat était essentiel pour déposer ces griefs. Dans les deux cas, on a jugé que le retard était entièrement imputable au syndicat, et qu’il serait injuste pour les fonctionnaires en cause dans ces dossiers de faire les frais du manque de diligence du syndicat.

[22]  En l’espèce, le fonctionnaire s’est fié à son agent négociateur pour présenter un grief, ce qui n’a pas été fait. Toutefois, le fonctionnaire aurait pu déposer le grief lui-même, ce qu’il savait dès le 26 mars 2018, mais il ne l’a pas fait. Il était alors représenté par une avocate, qui n’a pas non plus déposé de grief en son nom, malgré l’envoi le 5 avril du texte du grief par l’agent négociateur à son attention.

[23]  Ce défaut de déposer le grief après le 26 mars ou le 5 avril n’a pas été expliqué. La seule circonstance qui pourrait l’expliquer est le fait qu’une plainte avait été logée contre l’agent négociateur pour défaut de représentation, en lien avec le défaut de déposer le grief. Toutefois, la procédure de grief était indépendante de cette plainte, et encore une fois, le fonctionnaire n’avait pas besoin de l’appui du syndicat pour déposer le grief.

[24]  Dans les autres décisions portées à mon attention, le décideur a jugé que le retard s’expliquait soit par une situation médicale (Richard c. Agence du revenu du Canada, 2005 CRTFP 180), soit par des circonstances particulièrement difficiles (Rabah c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2006 CRTFP 101), soit par un retard imputable au syndicat que la fonctionnaire ne pouvait connaître (Rinke c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2005 CRTFP 23). Dans ces trois cas, le préjudice causé à la personne s’estimant lésée l’emportait de loin sur un tort éventuel causé à l’employeur.

[25]  Je considère qu’il n’y pas de raisons claires et convaincantes pour expliquer le retard de 10 mois. En outre, et cela va de pair avec l’absence de raisons claires et convaincantes, il me semble que le fonctionnaire n’a pas fait preuve de diligence dans cette affaire. Il est vrai qu’au départ il a communiqué avec l’agent négociateur, mais par la suite, rien n’indique qu’il ait pris d’autres actions, sauf en engageant une avocate et en déposant une plainte contre l’agent négociateur.

[26]  Le retard de dix mois est assez considérable. Encore une fois, il n’y a pas d’explication pourquoi le grief n’a pas été déposé en mars ou avril, alors que le fonctionnaire portait plainte contre son agent négociateur. Il aurait été en retard également à ce moment, mais le retard aurait été explicable par l’attente du fonctionnaire que le syndicat déposerait un grief en son nom. L’agent négociateur me demande de préciser à quel moment le retard devenait excessif. La question n’est pas là. La Commission a dans le passé accordé des prorogations pour des retards beaucoup plus considérables; encore faut-il que le retard soit expliqué, ce qui n’est pas le cas ici.

[27]  Je ne retiens pas pour les fins de mon analyse le critère de la décision Schenkman portant sur les chances de succès. Il est impossible de se prononcer sur cette question en l’absence de toute preuve relative au grief lui-même.

[28]  Le seul critère de la décision Schenkman favorable au fonctionnaire est celui qui traite du préjudice causé au fonctionnaire par rapport au tort subi par l’employeur. Il est certain que la perte d’emploi est une situation grave pour le fonctionnaire. Néanmoins, l’employeur est en droit de s’attendre à ce que l’absence de toute contestation pendant 10 mois signifie que le dossier est clos.

[29]  L’agent négociateur avance que M. Bertrand se serait engagé à rejeter toute objection de l’employeur fondée sur le retard du dépôt du grief. Or, l’employeur n’était pas partie à la plainte dans le cadre de laquelle M. Bertrand aurait prononcé ces paroles. Alors que la plainte ne touchait que l’agent négociateur et le fonctionnaire, toute décision quant au délai touchait l’employeur.

[30]  Je trouve improbable que M. Bertrand aurait promis un résultat alors que l’employeur n’était pas l’une des parties au litige qu’il entendait. Il me semble plus probable que M. Bertrand aurait dit que malgré le retard, il est toujours possible de demander une prorogation à la Commission, sans pour autant engager celle-ci à l’avance. La première règle du droit administratif est d’entendre les deux parties de façon impartiale avant de prendre une décision.

[31]  De toute façon, cela n’a aucune pertinence pour la question que je dois décider, à savoir s’il y a des motifs qui justifieraient d’accorder une prorogation de délai. En raison de l’absence d’explications claires et cohérentes pour expliquer le retard de 10 mois, et compte tenu de l’absence de diligence de la part du fonctionnaire, je conclus qu’il ne serait pas justifié d’accorder la prorogation de délai. Je fais droit à l’objection de l’employeur fondée sur le délai et la demande d’extension est rejetée.

[32]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V.  Ordonnance

[33]  L’objection est accueillie.

[34]  La demande de prorogation de délai est rejetée.

[35]  Le dossier de grief portant le numéro 566-02-39873 est clos.

Le 2 novembre 2020.

Marie-Claire Perrault,

 une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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