Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté une demande de prorogation du délai afin de déposer deux griefs – il a allégué dans le premier grief que l’employeur avait commis des actes discriminatoires à son égard en raison de son invalidité lorsqu’il a été déclaré excédentaire à son retour au travail après un congé de maladie non payé – il a déposé son grief six mois après l’expiration du délai prévu par la convention collective – l’employeur a contesté la compétence de la Commission pour statuer sur le grief au motif qu'il n'avait pas été déposé dans les délais – le fonctionnaire a soutenu que, puisqu’il alléguait une violation de la clause relative à l’absence de discrimination de la convention collective et de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; LCDP), il bénéficiait du délai d’un an prévu au par. 41(1) de la LCDP – la Commission a indiqué que la procédure de présentation de plaintes auprès de la Commission canadienne des droits de la personne en vertu de la LCDP est distincte de la procédure de règlement des griefs – par conséquent, le délai applicable au grief a été fixé dans la convention collective et n’est pas celui visé au par. 41(1) de la LCDP – le grief était donc hors délai, et la Commission a rejeté la demande de prorogation du délai du fonctionnaire s’estimant lésé – elle a conclu qu’étant donné le retard dans le dépôt du grief, l’absence de tout motif valable le justifiant, le manque de diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé et l’absence d’indication d’une injustice disproportionnée à son égard, il n’était pas dans l’intérêt de l’équité de proroger le délai – le fonctionnaire s’estimant lésé a aussi déposé un grief relatif au système de paye Phénix qui n’a pas été présenté en temps opportun – cependant, il était couvert par un protocole d’entente qui a été signé par l’agent négociateur du fonctionnaire s’estimant lésé et le Conseil du Trésor – l’entente précisait que l’employeur ne chercherait pas à faire valoir des objections liées au respect des délais et que les griefs relatifs à Phénix seraient retirés – par conséquent, la prorogation du délai pour le dépôt du deuxième grief est devenue théorique – la Commission a rejeté la demande de le tenir en suspens du fonctionnaire s’estimant lésé.

Demande rejetée.

Contenu de la décision

Date : 20201104

Dossier : 568‑32‑41353

XR : 566‑32‑39845 et

566‑32‑39939

 

Référence : 2020 CRTESPF 95

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Nadeem Qasim

demandeur

 

et

 

Agence canadienne d’inspection des aliments

 

employeur

Répertorié

Qasim c. Agence canadienne d’inspection des aliments

Affaire concernant une demande visant la prorogation du délai en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant :  Nancy Rosenberg, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le demandeur :  Crystal Stewart, agente des relations de travail

Pour l’employeur :  Michel Girard, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 20 janvier et les 3 et 11 février 2020.

(Traduction de la CRTESP)


 

MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

 

I.  Demande devant la Commission

[1]  La présente est une demande de prorogation du délai pour présenter deux griefs, l’un portant le numéro de dossier de la Commission 566‑32‑39845 (appelé le « grief concernant Phénix ») et l’autre portant le numéro de dossier de la Commission 566‑32‑39939 (appelé le « grief concernant les droits de la personne »). L’employeur s’est opposé à la compétence de la Commission de se prononcer sur les deux griefs, alléguant qu’ils n’ont pas été présentés en temps opportun. L’agent négociateur du fonctionnaire s’estimant lésé (l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada) a soutenu qu’ils ont été présentés dans les délais prescrits et, subsidiairement, s’il est jugé qu’ils sont hors délai, il a demandé une prorogation du délai.

[2]  Pour les motifs suivants, je conclus que la présentation du grief concernant les droits de la personne était hors délai et qu’une prorogation n’est pas justifiée. La présentation du grief concernant Phénix était également hors délai. Toutefois, l’agent négociateur et l’employeur sont par la suite parvenus à une entente établissant un processus pour traiter les griefs de cette nature, selon laquelle ils doivent être retirés. Par conséquent, la question concernant la prorogation est devenue théorique.

II.  Le grief concernant les droits de la personne

[3]  Dans ce grief, il est allégué que l’employeur a fait preuve de discrimination à l’égard du fonctionnaire s’estimant lésé en raison de sa déficience lorsque ce dernier a été déclaré excédentaire le 2 mai 2016, dès son retour au travail à la suite d’un congé de maladie non payé.

[4]  Le bâtiment 14, l’installation où le fonctionnaire s’estimant lésé travaillait pour l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA ou l’« employeur ») à un poste VM‑01, a fermé le 6 mai 2014.

[5]  Selon les réponses au grief, que l’agent négociateur n’a pas contestées, une lettre a été envoyée à tous les employés touchés le 20 mai 2014, les informant qu’un processus d’évaluation des effectifs serait effectué afin de déterminer quels employés seraient maintenus en poste et lesquels seraient déclarés excédentaires. La lettre indiquait également les attentes dans le cas où un employé n’était pas disponible aux fins du processus d’évaluation. Dans le cas d’un employé en congé de maladie, des documents médicaux attestant son aptitude à participer au processus d’évaluation étaient nécessaires. Si l’employé n’était pas en mesure de participer, son statut d’emploi était examiné lorsque l’employeur recevait des documents médicaux indiquant que l’employé était apte à retourner au travail.

[6]  Le fonctionnaire s’estimant lésé a participé à la première partie du processus d’évaluation le 19 juin 2014, mais il a indiqué qu’il éprouvait des problèmes médicaux. Il a été déterminé qu’il ne devrait pas poursuivre le processus tant qu’il n’aurait pas été jugé apte sur le plan médical. Il a été informé qu’afin de poursuivre le processus d’évaluation, il devrait présenter un certificat médical de son médecin traitant. Aucun certificat n’a été présenté.

[7]  Le 18 août 2014, le fonctionnaire s’estimant lésé a été informé que l’ACIA se préparait à achever le processus d’évaluation et à faire des offres d’emploi raisonnables pour les postes VM‑01 disponibles. Il a également été informé que son statut d’emploi serait examiné de nouveau dès la réception de documents médicaux.

[8]  Le 23 février 2016, à la suite d’une évaluation de l’aptitude au travail, le médecin du fonctionnaire s’estimant lésé a confirmé qu’il était apte à retourner au travail le 2 mai 2016.

[9]  Le 29 mars 2016, en prévision de son retour au travail, l’employeur a cherché un poste VM‑01 vacant et financé dans la région de l’Ontario, mais aucun n’a été trouvé.

[10]  Par conséquent, le fonctionnaire s’estimant lésé a été déclaré excédentaire à compter du 2 mai 2016. Il devait choisir l’une de ses options de transition en matière d’emploi dans un délai de 120 jours, conformément à la Politique sur la transition en matière d’emploi de l’employeur.

[11]  La dernière journée de travail du fonctionnaire s’estimant lésé était le 30 septembre 2016. Par conséquent, l’employeur a soutenu que, pour être opportun, ce grief aurait dû avoir été présenté au plus tard le 4 novembre 2016. Il n’a été présenté que le 1er mai 2017. L’employeur a soulevé cette objection à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs.

A.  Argumentation de l’agent négociateur sur le respect des délais

[12]  L’agent négociateur a soutenu que pendant sa période de réflexion de 120 jours, le fonctionnaire s’estimant lésé a communiqué avec l’employeur pour lui faire part de ses préoccupations au sujet du processus de réaménagement des effectifs et de la décision de le déclarer excédentaire. La réponse de l’employeur n’abordait pas répondu ces préoccupations et lui accordait simplement une courte prorogation de la date limite à laquelle il devait choisir son option. Il a fait son choix. Le 30 septembre 2016 a été confirmé comme étant sa dernière journée de travail, même s’il est resté en congé non payé pendant cette période.

[13]  L’agent négociateur a soutenu que ce grief n’est pas assujetti aux délais prévus dans la convention collective conclue entre l’employeur et l’agent négociateur pour le groupe Médecine vétérinaire (VM) (la « convention collective »), parce qu’il allègue des violations de la clause Élimination de la discrimination de cette convention et de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H‑6; LCDP). Par conséquent, le fonctionnaire s’estimant lésé a bénéficié du délai prolongé prévu dans la LCDP pour déposer le grief, soit un an à compter de la date du dernier acte discriminatoire ou omission visé par le grief. Le grief a été présenté dans les délais prescrits en vertu du par. 41(1) de la LCDP, qui, en l’espèce, prévaut sur la clause de la convention collective.

[14]  Le paragraphe 41(1) de la LCDP est rédigé comme suit :

Irrecevabilité


41 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle‑ci irrecevable pour un des motifs suivants :

a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

 

[15]  L’agent négociateur souligne que le par. 208(2) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; LRTSPF) énonce ce qui suit : « Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale, à l’exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne. »

[16]  Selon l’agent négociateur, ce libellé reconnaît que la LCDP doit être incluse dans la convention collective et en fait partie, et que les fonctionnaires ont accès à des recours en cas de violations de la LCDP dans le cadre de la procédure de règlement des griefs. Les droits substantiels conférés aux fonctionnaires par la LRTSPF sont réputés faire partie de la convention collective. Par conséquent, le délai d’un an pour déposer une plainte en vertu du par. 41(1) de la LCDP est un droit substantiel conféré au fonctionnaire s’estimant lésé par cette loi et fait partie de la convention collective.

[17]  Dans Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42 (« Parry Sound »), la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :

[…]

[…] Le Conseil a eu raison de conclure que les droits et obligations substantiels prévus par le Code des droits de la personne sont incorporés dans toute convention collective à l’égard de laquelle l’arbitre a compétence. En vertu d’une convention collective, le droit général de l’employeur de gérer l’entreprise et de diriger le personnel est subordonné non seulement aux dispositions expresses de la convention collective, mais aussi aux dispositions du Code des droits de la personne et aux autres lois sur l’emploi. L’absence d’une disposition expresse qui interdit la violation d’un droit donné ne permet pas de conclure que la violation de ce droit ne constitue pas une violation de la convention collective. Les lois sur les droits de la personne et les autres lois sur l’emploi fixent plutôt un minimum auquel l’employeur et le syndicat ne peuvent pas se soustraire par contrat. […]

[…]

 

[18]  L’agent négociateur a fait valoir que le délai d’un an pour déposer une plainte prévu au par. 41(1) de la LCDP établit un contexte dans lequel un employeur et un syndicat ne peuvent pas conclure de contrat. Par conséquent, lorsqu’il s’agit d’un grief alléguant une violation en vertu de la LCDP, le délai de 35 jours prévu dans la convention collective ne s’applique pas; l’appliquer dans cette situation porterait atteinte aux droits conférés par la loi au fonctionnaire s’estimant lésé en vertu du par. 41(1).

[19]  Selon l’agent négociateur, l’art. 41 de la LCDP exige que les fonctionnaires s’estimant lésés épuisent leurs procédures de règlement des griefs avant de demander une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) ou du Tribunal canadien des droits de la personne. Ce grief a été déposé le 1er mai 2017 et le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé une plainte auprès de la CCDP le 29 août 2017, à la suite des réponses de l’employeur au grief affirmant que le grief était hors délai. Le 13 décembre 2017, la CCDP a informé le fonctionnaire s’estimant lésé qu’elle pourrait refuser de se prononcer sur sa plainte, à moins qu’il n’ait épuisé la procédure de règlement des griefs, et elle a déclaré ce qui suit : [traduction] « En tant que fonctionnaire de la fonction publique, vous devez d’abord déposer un grief en vertu de la LRTSPF. »

[20]  Le délai de 35 jours pour déposer un grief est énoncé dans la convention collective et dans le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005‑79; RRTSPF), mais non dans la LRTSPF. Le statut quasi constitutionnel de la LCDP signifie qu’elle prévaut non seulement sur la convention collective, mais également sur le RRTSPF. Le législateur a voulu que les questions relatives aux droits de la personne des fonctionnaires fédéraux syndiqués soient traitées dans le cadre de la procédure de règlement des griefs.

[21]  Le rejet de la compétence relative à un grief concernant les droits de la personne parce que la date limite pour déposer un grief prévue dans la convention collective n’a pas été respectée ne serait pas conforme à l’intention qui sous‑tend les directives législatives. La Commission peut interpréter la LCDP et formuler des conclusions sur le grief, conformément à la LCDP. En conséquence, la Commission devrait accepter un grief qui respecte le délai d’un an prévu dans la LCDP afin qu’il puisse faire l’objet d’une décision complète dans le forum approprié pour un fonctionnaire syndiqué.

B.  Argumentation de l’employeur sur le respect des délais

[22]  L’employeur a soutenu que le délai d’un an pour déposer une plainte liée aux droits de la personne en vertu de la LCDP n’est pas le délai qui s’applique au dépôt d’un grief, même si une discrimination est alléguée. Le fonctionnaire s’estimant lésé peut déposer un grief et une plainte liée aux droits de la personne, mais il s’agit de deux voies de recours distinctes, régies par différentes règles prévues par la loi.

[23]  La LCDP ne régit pas les délais pour déposer un grief. L’al. 41(1)a) énonce que la CCDP doit se prononcer sur une plainte à moins qu’« […] elle estime celle‑ci irrecevable pour un des motifs suivants […] la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts […] ». La LCDP reconnaît qu’il existe une procédure de règlement des griefs distincte.

[24]  La procédure de règlement des griefs de la fonction publique fédérale est régie par la LRTSPF, le RRTSPF et toute convention collective propre à un groupe qui est conclue entre un agent négociateur autorisé et un employeur. Dans la convention collective, ces parties ont convenu qu’un grief pourrait être présenté au plus tard le 35e jour civil suivant la date à laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé a été informé oralement ou par écrit, ou la date à laquelle il a pris connaissance pour la première fois de l’acte ou des circonstances à l’origine du grief.

[25]  Il ne fait aucun doute que le grief était hors délai, que l’employeur l’a considéré comme tel et que l’employeur a soulevé la question à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs.

C.  Argumentation de l’agent négociateur sur la prorogation du délai

[26]  L’agent négociateur a soutenu que, subsidiairement, s’il était déterminé que les griefs étaient hors délai, une prorogation du délai pour les présenter serait donc appropriée, étant donné les critères suivants énoncés dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services Gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, au par. 75 :

[…]

le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;

la durée du retard;

la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé;

l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur […];

les chances de succès du grief.

 

[27]  L’agent négociateur a indiqué que l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur constituait le critère le plus important à prendre en considération. Il a fait valoir que l’employeur ne subit aucun préjudice, puisqu’il était au courant des préoccupations du fonctionnaire s’estimant lésé, ayant envoyé une lettre directement au président de l’ACIA pour lui en faire part avant le dépôt des griefs. Les questions sont demeurées réelles et n’ont jamais été abandonnées à aucun moment. Même si l’employeur ne subit aucun préjudice, il serait très préjudiciable que le fonctionnaire s’estimant lésé soit obligé d’entamer à nouveau ce processus auprès de la CCDP, plusieurs années après les événements qui sont à l’origine de ses allégations de discrimination.

[28]  En ce qui concerne le cinquième critère énoncé dans Schenkman, soit les chances de succès du grief, l’agent négociateur a soutenu qu’il est difficile de déterminer si une affaire a de sérieuses chances de succès sans entendre tous les éléments de preuve. Par conséquent, la question de la compétence ne devrait pas être scindée de l’audience sur le fond, mais plutôt débattue à l’audience.

[29]  La raison claire, logique et convaincante du fonctionnaire s’estimant lésé de ne pas déposer son grief dans le délai de 35 jours prévu dans la convention collective est que, selon sa compréhension, la LCDP lui accordait un délai de 12 mois pour en déposer un.

[30]  En outre, le fonctionnaire s’estimant lésé avait été mis dans une situation stressante à la cessation de son emploi. Il n’avait aucun revenu et, en raison de problèmes liés au système de paye Phénix, il n’a pas reçu les sommes qui devaient lui être versées. Il avait également informé l’employeur qu’il s’occupait de l’état de santé critique de son fils.

[31]  L’employeur savait que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas abandonné ses préoccupations concernant le réaménagement des effectifs et les questions relatives aux droits de la personne qui avaient été soulevées en mai 2016, et de nouveau en août 2016, en décembre 2016 et en mars 2017.

D.  Argumentation de l’employeur sur la prorogation du délai

[32]  L’employeur a soutenu que les demandes de prorogation du délai sont présentées en vertu de l’art. 61 du RRTSPF, qui est rédigé comme suit :

61 Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle‑ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peut être prorogé avant ou après son expiration :

a) soit par une entente entre les parties;

b) soit par la Commission ou l’arbitre de grief, selon le cas, à la demande d’une partie, par souci d’équité.

 

[33]  L’employeur a convenu que les critères à prendre en considération aux fins d’une prorogation du délai sont énoncés dans Schenkman et a indiqué en outre que l’ensemble particulier de circonstances qui définissent chaque affaire doit déterminer l’importance qui doit être accordée à l’un ou l’autre des critères par rapport aux autres.

[34]  L’employeur a fait valoir que l’agent négociateur n’avait pas établi de raisons claires, logiques et convaincantes pour justifier le retard. Aucun élément de preuve n’a été présenté pour démontrer que le fonctionnaire s’estimant lésé avait fait preuve de diligence raisonnable. La durée du retard constitue un facteur important qui porterait préjudice à l’employeur, et le préjudice subi par le fonctionnaire s’estimant lésé est beaucoup moins important, étant donné qu’il s’était prévalu d’un autre mécanisme de recours lorsqu’il a déposé une plainte auprès de la CCDP.

III.  Le grief concernant Phénix

[35]  Le grief concernant Phénix a été présenté à l’employeur le 11 janvier 2017. Le fonctionnaire s’estimant lésé a soutenu que la mesure de soutien à la transition et l’indemnité scolaire auxquelles il avait droit après avoir été déclaré excédentaire ne lui avaient pas été versées, manifestement en raison des problèmes liés au système de paye Phénix.

[36]  L’employeur a soutenu que le fonctionnaire s’estimant lésé a depuis reçu le paiement de la mesure de soutien à la transition qu’il a demandé dans le cadre de ce grief, ainsi que la grande partie de l’indemnité d’études. La principale question qui reste à trancher concerne son affirmation selon laquelle il a droit à des dommages en raison du paiement tardif.

[37]  L’employeur et l’agent négociateur conviennent que le grief concernant Phénix est visé par le protocole d’entente (PE) signé par l’agent négociateur et le Conseil du Trésor (le « PE relatif à Phénix », tel qu’il a été adopté par l’ACIA en vertu d’un PE conclu entre l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada et l’ACIA, qui a été signé le 12 juin 2019). En ce qui concerne le respect des délais, l’entente énonce que l’employeur ne cherchera pas à faire valoir une objection à l’égard des griefs liés à Phénix avant deux ans suivant la date de signature du PE (c.‑à‑d. jusqu’en juin 2021).

[38]  Par conséquent, l’employeur ne pouvait pas formuler une objection fondée sur le respect des délais à ce moment-là. Cela dit, étant donné que ce grief est visé par le PE relatif à Phénix, il doit également être traité conformément à ses modalités. Le grief concernant Phénix qui a été renvoyé à l’arbitrage ne devrait donc pas se poursuivre; le fonctionnaire s’estimant lésé peut plutôt présenter une demande de dommages en vertu de l’article 25 du PE relatif à Phénix. Par conséquent, pour ce motif, l’employeur a maintenu son objection préliminaire selon laquelle ce grief ne devrait pas être autorisé à procéder à l’arbitrage.

[39]  Pour sa part, l’agent négociateur a confirmé que le grief concernant Phénix est visé par le PE relatif à Phénix et a déclaré que le fonctionnaire s’estimant lésé présentera une demande en vertu de ce dernier. Toutefois, l’agent négociateur a soutenu que ce grief devrait être suspendu en attendant l’issu du processus de traitement des demandes prévu dans le PE relatif à Phénix.

IV.  Motifs de décision

A.  Le grief concernant les droits de la personne

[40]  L’agent négociateur ne conteste pas le fait que le grief concernant les droits de la personne n’ait pas été présenté en temps opportun, conformément au délai de 35 jours prévu dans la convention collective. Toutefois, il a soutenu que, puisque la Commission a le pouvoir d’entendre des griefs comme celui‑ci qui comportent des allégations de violations de la LCDP, cette dernière prévaut sur la convention collective et le RRTSPF et accorde au fonctionnaire s’estimant lésé un délai d’un an pour présenter un tel grief.

[41]  La procédure de traitement des plaintes en vertu de la LCDP et la procédure de règlement des griefs en vertu de la convention collective sont deux procédures distinctes. L’agent négociateur a cité Parry Sound pour affirmer qu’une convention collective ne permet pas de se soustraire aux droits fondamentaux de la personne prévus par la loi. C’est certainement le cas. Toutefois, le délai dans lequel un grief doit être présenté est une question de procédure. Il ne s’agit pas d’un droit substantiel. Comme l’a souligné à juste titre le défendeur, le par. 41(1) de la LCDP énonce clairement la procédure que la CCDP doit suivre lorsqu’une plainte liée aux droits de la personne est déposée auprès de la CCDP.

[42]  Il est vrai que les parties à une convention collective ne peuvent pas accepter de faire preuve de discrimination en violation des dispositions législatives portant sur les droits de la personne. Elles peuvent toutefois certainement accepter des délais adaptés à leurs activités et à leurs besoins en matière de relations de travail. Le fait qu’un grief allègue une discrimination ne modifie pas ces délais. Le fait que la CCDP soit susceptible d’ordonner aux fonctionnaires s’estimant lésés d’épuiser leurs options prévues dans la convention collective avant de donner suite à leurs plaintes, conformément à l’al. 41(1)b) de la LCDP, ne modifie pas non plus ce délai.

[43]  La LRTSPF ne modifie aucunement les délais relatifs à un grief parce qu’il contient des allégations liées aux droits de la personne. En ce qui concerne un grief individuel, elle prévoit simplement que lorsqu’un grief soulève des questions liées aux droits de la personne, un avis doit être donné à la CCDP, qui a qualité pour présenter des arguments à l’égard de ces questions dans le cadre de l’arbitrage (voir les par. 210(1) et (2)).

[44]  Le délai applicable à ce grief était de 35 jours, tel qu’il est énoncé dans la convention collective. Le fonctionnaire s’estimant lésé l’a présenté six mois après la date limite. Il n’a donc pas été présenté en temps opportun. Étant donné ce qui précède, le délai pour présenter le grief devrait‑il être prorogé?

[45]  Selon l’art. 61b) du RRTSPF, la Commission peut, par souci d’équité, proroger le délai. Pour déterminer si les circonstances justifient une prorogation, la Commission tient compte des critères énoncés dans Schenkman. L’agent négociateur a mentionné un certain nombre de défis que le fonctionnaire s’estimant lésé a dû surmonter à l’époque, comme la réception tardive de ses fonds de transition en raison de Phénix et l’état de santé de son fils. Il s’agissait de circonstances malheureuses, mais elles n’expliquent ni ne justifient le retard de six mois. Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas établi qu’il a fait preuve de diligence raisonnable.

[46]  L’agent négociateur a déclaré que la raison claire, logique et convaincante expliquant le retard du fonctionnaire s’estimant lésé était qu’il croyait qu’il disposait d’un délai de 12 mois pour présenter le grief, conformément à la LCDP. S’il a tardé à le présenter pour cette raison, nonobstant le délai clair de 35 jours prévu dans sa convention collective, soit il n’a pas établi qu’il a fait preuve de diligence raisonnable en vérifiant son hypothèse, soit il s’est appuyé sur de mauvais conseils. Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas d’une raison suffisante.

[47]  En ce qui concerne le quatrième critère, l’injustice que subit le fonctionnaire s’estimant lésé doit être pondérée par rapport au préjudice que subit l’employeur. L’employeur n’a allégué aucun préjudice particulier. Cependant, l’agent négociateur n’a pas allégué non plus que le fonctionnaire s’estimant lésé a subi une injustice particulière, si ce n’est qu’il doit recommencer le processus auprès de la CCDP après plusieurs années. Même si j’estime que cela est malheureux et que l’affaire aurait dû avoir été réglée plus tôt, je n’estime pas qu’une injustice en découle. Le fonctionnaire s’estimant lésé a toujours la possibilité de donner suite à sa plainte devant la CCDP, s’il le souhaite.

[48]  En ce qui concerne les chances de succès du grief, comme l’ont fait remarquer la plupart des décisions de la Commission, il est difficile de formuler des commentaires à ce stade, avant que tout élément de preuve quant au bien‑fondé du grief n’ait été entendu. En outre, étant donné mes conclusions concernant les autres critères, ce facteur a peu d’importance. Étant donné la durée du retard, l’absence de raison valable de ce retard, l’absence de diligence raisonnable de la part du fonctionnaire s’estimant lésé et l’absence d’une indication que celui‑ci a subi une injustice disproportionnée, je ne crois pas qu’il soit dans l’intérêt de l’équité de proroger le délai de dépôt du grief concernant les droits de la personne.

B.  Le grief concernant Phénix

[49]  En ce qui a trait au grief concernant Phénix, les parties conviennent qu’il ne devrait pas procéder, et l’agent négociateur a confirmé que le fonctionnaire s’estimant lésé présentera une demande de dommages en vertu du PE relatif à Phénix. Toutefois, l’agent négociateur a demandé que l’affaire soit mise en suspens, en attendant l’issue de ce processus.

[50]  Je fais remarquer que, selon le PE relatif à Phénix, intitulé [traduction] « Dommages causés par le système de paye Phénix » et signé en juin 2019, l’agent négociateur a accepté de retirer les griefs existants, qui devaient être tranchés conformément aux procédures prévues dans le PE, comme suit :

[…]

31. Les agents de négociation doivent examiner et évaluer, avant qu’un employé soumette une demande, tous les griefs existants soumis par leurs membres d’une manière conforme à leur obligation de juste représentation. Les agents négociateurs déploieront des efforts raisonnables pour compléter cet examen dans les 150 jours suivant la mise en œuvre de la présente entente.

32. Les agents de négociation retireront les griefs dans les 150 jours suivant la mise en œuvre de la présente entente. Les agents de négociation gardent la charge de leurs griefs assujettie seulement à l’obligation législative de juste représentation.

[…]

 

[51]  Étant donné que l’agent négociateur s’est engagé dans le PE relatif à Phénix de retirer ce grief et d’autres griefs semblables, je ne vois aucune raison de suspendre le grief concernant Phénix. La demande de l’agent négociateur est rejetée.

[52]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V.  Ordonnance

[53]  La demande de prorogation du délai pour présenter les griefs 566‑32‑39845 et 566‑32-39939 est rejetée. La clôture des dossiers est ordonnée.

Le 4 novembre 2020.

Traduction de la CRTESPF.

 

Nancy Rosenberg,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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