Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire ») a déposé un grief portant sur le recouvrement d’un trop-payé – le 22 avril 2013, l’employeur l’avait avisée qu’à compter du 1er novembre 2007,elle avait reçu des paiements supérieurs à ceux qu’elle aurait dû recevoir, pour un montant total de 1 480,73 $ – la fonctionnaire a soutenu que l’action de recouvrement était déraisonnable, et subsidiairement, si la Commission devait conclure que le recouvrement était raisonnable, le recouvrement était en large partie prescrit par la prescription applicable dans la province de Québec (3 ans), lieu de travail et de résidence de la fonctionnaire – les parties étaient d’accord que l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif s’appliquait en l’espèce – l’employeur a soutenu que la fonctionnaire n’avait pas établi une contravention de la convention collective – selon l’employeur, il n’y avait pas préclusion en l’espèce, puisque les conditions de la préclusion n’étaient pas satisfaites – pour ce qui est de la question de la compétence, la Commission a conclu qu’elle avait compétence, puisque la convention collective prévoyait de façon exhaustive la rémunération des fonctionnaires – la Commission a également déterminé que le délai de prescription qui s’appliquait en l’espèce était de six ans et non le délai provincial – l’erreur due au calcul d’échelon remontait au 1er novembre 2007, l’employeur avait donc une date limite du 1er novembre 2013 pour recouvrer le trop-payé – ainsi, le recouvrement n’était pas prescrit, sauf pour la somme de 64,07 $ pour un paiement de 4 % auquel la fonctionnaire n’aurait pas eu droit, pour la période du 5 au 21 février 2007 – pour ce qui est de la question de la préclusion, la Commission a conclu qu’il n’y avait pas eu promesse, mais bien erreur, qui est passée inaperçue de novembre 2007 à avril 2013 – surtout, il n’y avait pas eu détriment en raison de l’erreur – la fonctionnaire n’avait subi aucune perte financière – en conclusion, l’employeur n’avait pas le droit de recouvrer la somme de 64,07 $ pour la période du 5 au 21 février 2007, qui était prescrite; cette somme devra être versée à la fonctionnaire – pour le reste, l’employeur avait droit au recouvrement du trop-payé d’un montant de 1 416,66 $ – la Commission ne pouvait conclure au caractère déraisonnable du recouvrement.
Grief partiellement accueilli.

Contenu de la décision

Date:  20201110

Dossier:  566-34-09778

 

Référence:  2020 CRTESPF 100

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

AKUDI DANSOU

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

défenderesse

Répertorié

Dansou c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant :  Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Farhad Shayegh, avocat

Pour la défenderesse :  Marie-France Boyer, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés
les 5, 18 et 25 août 2020.


MOTIFS DE DÉCISION

I.  Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

[1]  Le 13 mai 2014, Akudi Dansou, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), a renvoyé à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique un grief portant sur le recouvrement d’un trop-payé.

[2]  Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 396 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, un arbitre de grief saisi d’un grief avant le 1er novembre 2014 continue d’exercer les pouvoirs prévus à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) dans sa version antérieure à cette date.

[3]  Le 19 juin 2017, en vertu de la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9), la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique est devenue la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), et la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique est devenue la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »).

II.  Résumé de la preuve

[4]  Les parties ont convenu, pour l’audition de ce grief, de procéder par voie d’arguments écrits. Elles se sont entendues sur l’énoncé conjoint des faits suivant :

A. Le contexte

1. La fonctionnaire travaille dans la fonction publique depuis le 5 février 2007.

2. Le 5 février 2007, la fonctionnaire a commencé son emploi à l’Agence du revenu du Canada (ci-après « l’ARC » ou « l’Employeur ») au groupe et niveau CR-02.

3. Le 1er novembre 2007, les postes CR ont été convertis à SP.

4. La fonctionnaire a occupé des postes dans le groupe SP jusqu’au 3 novembre 2013.

5. Depuis le 4 novembre 2013, la fonctionnaire est vérificatrice d’impôt au groupe et niveau AU-01.

6. La fonctionnaire a toujours travaillé à Montréal (Québec) depuis son embauche par l’ARC.

B. La conversion et le trop-payé

7. Le 22 avril 2013, l’Employeur a avisé la fonctionnaire, pour la première fois, qu’elle avait reçu des paiements supérieurs à ceux qu’elle aurait dû recevoir, suivant la conversion de son poste de CR à SP, à compter du 1er novembre 2007.

8. Dans le courriel daté du 22 avril 2013, l’Employeur a expliqué que, en temps normal, les postes CR-02 devaient être convertis à SP-01 mais le poste de la fonctionnaire constituait une exception à cette règle. Son poste a donc été correctement converti de CR-02 à SP-02.

9. Cependant, cette conversion a affecté la date de calcul de la progression des échelons de la fonctionnaire. La fonctionnaire a donc reçu des paiements en trop et les conséquences de cette erreur administrative se sont échelonnées sur plusieurs années. L’Employeur a indiqué que les montants à récupérer, suite à cette erreur, étaient les suivants :

a. 64,07 $ pour la période du 5 au 21 février 2007, car la fonctionnaire n’avait pas droit au paiement de 4 % qu’elle a reçu;

b. 281,05 $ pour la période du 4 février au 21 mai 2008, car la fonctionnaire a reçu le salaire de l’échelon 2, alors qu’elle avait droit au salaire de l’échelon 1 ;

c. 662,76 $ pour la période du 28 février au 31 octobre 2009, car la fonctionnaire a reçu le salaire de l’échelon 3, alors qu’elle avait droit au salaire de l’échelon 2 ; et

d. 472,86 $ pour la période du 1er février au 18 juillet 2010, car la fonctionnaire a reçu le salaire de l’échelon 4, alors qu’elle avait droit au salaire de l’échelon 3.

10. Par conséquent, l’Employeur a indiqué qu’il devait récupérer un montant total de 1 480, 73 $.

11. Dans le courriel daté du 22 avril 2013, l’Employeur a également informé la fonctionnaire qu’il corrigeait des erreurs de paiements liés à son poste au groupe et niveaux SP-04 et SP-05 et qu’elle aurait donc droit au paiement d’un montant total de 2 271,89 $ brut.

12. Plus spécifiquement, l’Employeur a avisé la fonctionnaire qu’elle recevrait deux paiements :

a. un paiement de 2 235,02 $ brut (1 113,44 $ net) le 26 avril 2013 pour les erreurs de paiements au groupe et niveaux SP-04 et SP-05 ; et

b. un paiement de 36,87 $ brut le 1er mai 2013 pour des heures supplémentaires.

13. Puis, l’Employeur a informé la fonctionnaire que le recouvrement du 1 480,73 $ se ferait le 8 mai 2013. L’Employeur a expliqué que le recouvrement se ferait sur une seule paye. En l’occurrence, le paiement du 2 271,89 $ brut prévu pour le 26 avril 2013 était supérieur au montant du recouvrement brut de 1 480,73 $ prévu pour le 8 mai 2013. Qui plus est, l’Employeur a indiqué que le paiement dépassait le recouvrement par 791,15$.

14. Le 2 mai 2013, l’Employeur a avisé la fonctionnaire que sa paye du 8 mai 2013 refléterait le salaire SP-05 corrigé de 54 645 $. De plus, l’Employeur a confirmé que le recouvrement de 1 480,73 $ serait prélevé de la paye du 8 mai 2013 et que sa paye nette serait de 376,94 $.

15. Par conséquent, le 8 mai 2013, la paye nette de la fonctionnaire était de 376,94 $.

C. La contestation

16. Le 13 mai 2013, la fonctionnaire a déposé un grief contestant la décision de l’Employeur de récupérer un montant de 1 480,73 $ suite à une erreur commise lors de la conversion des postes CR à SP le 1er novembre 2007.

17. Les réponses de grief aux trois paliers sont inclues en annexe au présent énoncé [elles ne sont pas incluses dans la présente décision].

18. Le 13 mai 2014, le grief de la fonctionnaire a été référé à la CRTESPF [à l’époque, la CRTFP].

D. Les conventions collectives

19. Le 1er novembre 2007, lors de la conversion des postes de CR à SP, la convention collective applicable à la fonctionnaire était la « Convention entre l’Agence du revenu du Canada et l’Alliance de la fonction publique du Canada : Exécution des programmes et des services administratifs », dont la date d’expiration était le 31 octobre 2007. Cette convention collective est demeurée en vigueur jusqu’au 3 décembre 2007.

20. Le 8 mai 2013, au moment de la récupération du trop-payé, la convention collective applicable à la fonctionnaire était la « Convention entre l’Agence du revenu du Canada et l’Alliance de la fonction publique du Canada : Exécution des programmes et des services administratifs », dont la date d’expiration était le 31 octobre 2012. Cette convention collective est demeurée en vigueur jusqu’à la signature de la nouvelle convention collective le 25 octobre 2016.

III.  Résumé de l’argumentation

A.  Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

[5]  La fonctionnaire s’appuie sur deux arguments pour contester le recouvrement du trop-payé : l’action de recouvrement était déraisonnable, et subsidiairement, si la Commission devait conclure que le recouvrement était raisonnable, le recouvrement était en large partie prescrit par la prescription applicable dans la province de Québec, lieu de travail et de résidence de la fonctionnaire.

[6]  Il n’est pas contesté que l’Agence du revenu du Canada (la « défenderesse » ou ARC) a le pouvoir de recouvrer, au nom du receveur général, des sommes payées en trop à titre de salaire en vertu du par. 155(3) de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), c. F-11; LGFP). Cependant, ce pouvoir discrétionnaire doit s’exercer raisonnablement.

[7]  La fonctionnaire invoque le principe de la préclusion. Après quatre ans, la fonctionnaire était en droit de s’attendre à ce que le salaire versé fût celui auquel elle avait droit. La fonctionnaire invoque à cet égard la décision Lapointe c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 57. Dans cette décision, qui porte sur une situation semblable, l’arbitre de grief a déclaré que l’employeur a une obligation de vigilance pour s’assurer que le salaire qu’il verse à ses employés est bien le montant dû.

[8]  En outre, il n’était pas raisonnable de recouvrer en un seul montant le total de la somme due, causant ainsi des difficultés financières à la fonctionnaire. La défenderesse n’a fait aucun effort pour minimiser les conséquences préjudiciables qui résultaient de sa propre erreur administrative, d’ailleurs admise. La fonctionnaire a présenté dans ses arguments écrits un document qui décrit ses difficultés financières au moment du recouvrement.

[9]  De façon subsidiaire, si la Commission juge que le par. 155(3) de la LGFP s’applique en l’espèce, le recouvrement, selon la fonctionnaire, est largement prescrit. Comme l’indique l’énoncé conjoint des faits, les trop-payés s’échelonnent sur plusieurs années, de 2007 à 2010, alors que le recouvrement n’a lieu qu’en 2013.

[10]  L’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif (L.R.C. (1985), ch. C-50; LRCECA) prévoit l’application des règles de prescription provinciales dans un cas de poursuite où l’État fédéral est une partie. L’article 2925 du Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991 (CcQ), prévoit un délai de prescription de trois ans. Par conséquent, la défenderesse ne peut recouvrer au-delà de 2010, puisque l’action de recouvrement est faite en 2013. La somme à recouvrer, le cas échéant, serait donc de 472,86 $, plutôt que de 1 480,73 $.

[11]  La fonctionnaire réclame le remboursement du montant recouvré, ainsi que les intérêts.

B.  Pour la défenderesse

[12]  La défenderesse fait valoir que la Commission n’a pas compétence pour entendre ce grief à l’arbitrage, puisque la convention collective ne fait pas référence aux trop-payés et remboursements conséquents.

[13]  La défenderesse affirme son droit de procéder au prélèvement du trop-payé en vertu du par. 155(3) de la LGFP, ainsi qu’en vertu des Directives sur le recouvrement des trop-payés en matière de rémunération (les «Directives ») de l’ARC. Or, ces directives ne font pas partie de la convention collective.

[14]  De façon subsidiaire, la défenderesse soutient que la fonctionnaire n’a pas établi une contravention de la convention collective. La défenderesse cite à cet égard plusieurs décisions de la Commission qui confirment le pouvoir de l’employeur de récupérer les trop-payés.

[15]  La défenderesse rejette les arguments avancés par la fonctionnaire.

[16]  Selon la défenderesse, il n’y a pas préclusion en l’espèce, puisque les conditions de la préclusion ne sont pas satisfaites : il n’y a eu aucune promesse de la défenderesse, et la fonctionnaire n’a pas fait la preuve d’un tort causé par le fait qu’elle s’était fiée à la promesse de la défenderesse. L’erreur commise par la défenderesse dans le calcul de la rémunération n’est pas une promesse, et la déception de la fonctionnaire d’avoir à rembourser le trop-payé n’est pas un tort. Il convient de distinguer la décision Lapointe. Je reviendrai sur cette décision dans l’analyse.

[17]  La défenderesse n’a pas agi de façon déraisonnable, bien au contraire. Elle a versé à la fonctionnaire un montant qui lui était dû en raison d’une correction au salaire avant de procéder au recouvrement. Le montant versé était de 2 271,89 $ (brut) alors que le recouvrement était de 1 480,73 $, une différence de 791,15 $ en faveur de la fonctionnaire. Elle n’a donc subi aucune perte financière.

[18]  La fonctionnaire évoque des difficultés financières, mais elle n’en a pas fait part à la défenderesse au moment du recouvrement, et n’a pas demandé une modification aux modalités de remboursement. La défenderesse ne peut donc en être tenue responsable.

[19]  La défenderesse soutient que la prescription prévue au CcQ ne s’applique pas en l’espèce. La défenderesse concède qu’il s’agit d’une poursuite où l’État est une partie, mais conteste que le fait à l’origine du litige se situe au Québec; par conséquent, les règles de prescription québécoises ne s’appliquent pas. La fonctionnaire prétend que, puisque son lieu de travail et sa résidence se situent à Montréal, le fait originaire se situe au Québec. Selon la défenderesse, la paye d’un fonctionnaire fédéral n’est pas située dans une province, mais bien au niveau fédéral. La même rémunération s’applique partout au Canada. La défenderesse s’appuie sur l’arrêt Markevich c. Canada, 2003 CSC 9, ainsi que sur la décision Gardner c. Canada (Agence des services frontaliers), 2009 CF 1156. J’y reviendrai dans l’analyse.

[20]  La défenderesse a le droit de procéder au recouvrement; d’ailleurs, la fonctionnaire ne conteste pas ce droit. Selon la défenderesse, les arguments de la fonctionnaire ne sont pas valables, et par conséquent, le grief devrait être rejeté.

C.  Réplique de la fonctionnaire

[21]  Dans sa réplique, la fonctionnaire répond aux arguments de la défenderesse concernant la compétence, reprend le caractère déraisonnable du recouvrement et commente la jurisprudence de la défenderesse au sujet de la prescription. Je reviendrai à ces questions dans mon analyse.

IV.  Analyse

[22]  J’aborderai tour à tour les différents arguments soulevés par les parties.

A.  Compétence de la Commission

[23]  La défenderesse soutient que la Commission n’a pas compétence puisqu’il n’y a rien dans la convention collective qui touche les trop-payés. Il est entendu que la Commission n’a compétence que si la question en litige est relative à la convention collective, en vertu de l’al. 209 (1)a) de la Loi.

[24]  La position de la défenderesse est quelque peu contradictoire. D’une part, la convention collective ne traite pas de trop-payés. D’autre part, la défenderesse s’appuie sur la clause 64.02 et l’Appendice A-1 de la convention collective pour faire valoir que la fonctionnaire n’a pas droit à un trop-payé, mais seulement droit à sa juste rémunération.

[25]  Il est évident que la convention collective ne donne pas droit à un trop-payé. Cependant, la convention collective prévoit de façon exhaustive la rémunération des fonctionnaires. Le grief de la fonctionnaire s’inscrit au chapitre de la rémunération, et la Commission a donc compétence puisque « l’essence du litige », au sens de l’arrêt Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, est liée aux conditions de la convention collective.

[26]  De plus, autre contradiction, la défenderesse étaye ses arguments à l’aide de la jurisprudence de la Commission, qui n’a jamais hésité à se prononcer sur les questions de trop-payés.

[27]  Par conséquent, j’estime que j’ai compétence pour trancher la question.

B.  Prescription

[28]  Je suis d’accord avec le raisonnement de la défenderesse que le délai de prescription qui s’applique est de six ans. L’erreur due au calcul d’échelon remonte au 1er novembre 2007, l’employeur avait une date limite du 1er novembre 2013 pour recouvrer le trop-payé.

[29]  La fonctionnaire invoque une décision d’un arbitre du travail qui tranche une question de trop-payé à la Société canadienne des postes (Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes c. Société canadienne des postes, 2010 CanLII 46539 (CA SA)) et qui retient le délai de prescription prévu au CcQ, malgré le fait que la Société canadienne des postes soit une entité fédérale et que le litige soit sous l’égide du Code canadien du travail, (L.R.C. (1985), ch. L-2 ; CCT). L’arbitre fait remarquer que ni la convention collective pertinente ni le CCT ne prévoient le délai de prescription et, par conséquent, la loi provinciale s’applique à titre supplétif. L’arbitre ne fait nullement mention de l’art. 32 de la LRCECA, qui se lit comme suit :

32. Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent lors des poursuites auxquelles l’État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province. Lorsque ce dernier survient ailleurs que dans une province, la procédure se prescrit par six ans.

[30]  Les parties sont d’accord que l’article 32 de la LRCECA s’applique en l’espèce. Il s’agit donc de situer le « fait générateur », un problème de paye et de calcul d’échelon. Ce calcul est effectué par l’ARC, dont les opérations se font partout au Canada, et dont l’administration centrale est située à Ottawa. Le calcul de la rémunération se fait en fonction de la convention collective, qui s’applique partout au pays.

[31]  La fonctionnaire soutient que le fait générateur est survenu dans la province de Québec, où elle travaille et réside. À mon sens, le fait générateur en l’espèce, soit le trop-payé, survient ailleurs que dans la province, compte tenu du caractère centralisé du système de paye (le courriel détaillant le recouvrement provient du service de rémunération situé à Ottawa) et de l’application générale de la convention collective à l’échelle du Canada.

[32]  Dans l’arrêt Markevich, la Cour suprême du Canada devait décider quel délai de prescription devait s’appliquer dans le cas d’un remboursement à l’ARC. Le contribuable, un résident de la province de Colombie-Britannique, demandait qu’on reconnaisse le délai de prescription provincial, alors que l’ARC soutenait le délai de prescription fédéral en application de l’art. 32 de la LRCECA. La Cour suprême écrit ce qui suit :

[39] … Il s’agit d’une dette envers le gouvernement fédéral, qui n’est situé dans aucune province et qui ne prend pas de province particulière comme point de repère pour l’établissement de ses cotisations. En conséquence, selon le sens clair de l’art. 32, le fait générateur en l’espèce est survenu « ailleurs que dans une province ».

[40] Une interprétation téléologique de l’art. 32 appuie cette conclusion [que le fait générateur est survenu ailleurs que dans une province]. Si on concluait que le fait générateur est survenu dans une province, le délai de prescription applicable au recouvrement par le gouvernement fédéral de créances fiscales pourrait varier considérablement selon la province dans laquelle le revenu a été gagné et ses délais de prescription. En plus des difficultés administratives qui pourraient survenir à cause de l’obligation de répartir les dettes fiscales selon la province où elles ont été contractées, l’application différente des délais de prescription aux contribuables canadiens pourrait porter atteinte à l’équité en matière de recouvrement des créances fiscales. Des disparités entre les délais de prescription provinciaux pourraient, de façon prévisible, donner lieu à des systèmes de recouvrement fiscal plus sévères dans certaines provinces et moins sévères dans d’autres. La Cour peut seulement présumer que, lorsqu’il a prévu qu’un délai de prescription de six ans s’appliquerait aux procédures relatives à un fait générateur survenu ailleurs que dans une province, le législateur voulait que les dispositions en matière de prescription s’appliquent de manière uniforme partout au pays en ce qui concerne les procédures du type de celle en cause en l’espèce.

[33]  Le raisonnement dans l’arrêt Markevich, qui prévoit l’uniformité dans l’application des créances fiscales, me semble s’appliquer également ici, contrairement à ce que soutient la fonctionnaire. Il paraîtrait inique, et contraire à des relations de travail harmonieuses, que le délai de recouvrement de trop-payés varie d’une province à l’autre. En l’absence d’une stipulation contraire dans la convention collective ou la loi (on pense au régime d’accident de travail qui est expressément délégué à l’autorité provinciale pour les fonctionnaires fédéraux), il me semble préférable d’adopter le raisonnement de Markevich et prévoir une approche uniforme pour le recouvrement de trop-payés.

[34]  La défenderesse cite les décisions Paquet c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (Bureau de la traduction)), 2016 CRTEFP 30, et Gardner c. Canada (Agence des services frontaliers), 2009 CF 1156, pour confirmer cette interprétation de l’art. 32 de la LRCECA., mais je note que ces décisions ne cherchaient pas à interpréter l’article 32 de la LRCECA.

[35]  Je conclus que le recouvrement n’était pas prescrit, sauf pour la somme de 64,07 $, pour un paiement de 4 % auquel la fonctionnaire n’aurait pas eu droit, pour la période du 5 au 21 février 2007. Le courriel du 22 avril 2013, qui fait état du recouvrement, l’explique ainsi :

[Traduction]

Vous avez été payée 4 % par erreur du 5 au 21 février 2007 quand vous avez été engagée à titre (+3) ayant donc droit à un congé annuel et non 4 % pour cette période.

Recouvrement de 4.00 % pour cette période sur 32,142 = 1 601,68 = (64,07 $)

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

[36]  Cette dette est prescrite. Si la paye de février 2007 était erronée, le recouvrement devait se faire au plus tard en février 2013. Il était trop tard en avril 2013 pour recouvrer ce montant. Par conséquent, le montant de 64,07 $ devra être remboursé à la fonctionnaire. Toutefois, je n’ai pas compétence pour accorder des intérêts sur cette somme, puisque la Loi prévoit expressément, à l’al. 226(2)c), les circonstances dans lesquelles la Commission peut accorder des intérêts dans le cadre de l’arbitrage d’un grief : « […] le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire […] ». La situation en l’espèce n’est pas visée.

C.  Préclusion

[37]  La fonctionnaire soutient qu’il y a préclusion, puisqu’elle s’est fiée pendant des années sur les calculs de la défenderesse pour sa paye. Selon elle, la défenderesse ne peut ensuite changer la paye en raison de sa propre erreur.

[38]  Il faudrait beaucoup plus que les faits en l’espèce pour soutenir une thèse de préclusion. La fonctionnaire invoque la décision Lapointe, et la défenderesse distingue avec raison les éléments différents de cette décision.

[39]  Dans l’affaire Lapointe, M. Lapointe a été payé à un taux supérieur à celui auquel il avait droit, pendant 4 ans. Lorsque l’employeur s’est aperçu de l’erreur, il a établi la créance à 9 666 $, que M. Lapointe devait rembourser à même son salaire, à raison de 10 % de son salaire pour 65 périodes de paye.

[40]  M. Lapointe a fait la preuve que le remboursement du trop-payé lui avait causé de graves problèmes financiers. Il a également été établi qu’un collègue de M. Lapointe avait posé des questions au service de rémunération parce qu’il pensait que sa paye était trop élevée; on l’avait rassuré qu’elle était exacte. M. Lapointe et ce collègue étaient les deux seuls employés dans leur secteur qui étaient touchés par l’erreur de calcul.

[41]  L’arbitre de grief a conclu qu’il y avait préclusion : les employés s’étaient fiés à l’employeur, à qui on avait signalé la possibilité d’un trop-payé et qui n’avait fait aucun suivi à cet égard, sauf 4 ans plus tard; et sur la base de cette promesse (de salaire exact), M. Lapointe avait engagé des dépenses qu’il ne pouvait plus soutenir avec la baisse de revenus. Les deux éléments de la préclusion étaient donc réunis : promesse qui entraîne une modification du comportement de celui à qui on fait la promesse, et détriment résultant.

[42]  Ces éléments ne sont pas présents dans la situation de la fonctionnaire. Il n’y a pas eu promesse, mais bien erreur, qui est passée inaperçue de novembre 2007 à avril 2013. Surtout, il n’y a pas eu détriment en raison de l’erreur : la fonctionnaire n’a pas subi de perte, puisque la correction du salaire à la hausse compensait le recouvrement. M. Lapointe a vu son salaire diminué pendant des années; la fonctionnaire a payé en mai 2013 le montant du recouvrement, après avoir reçu un montant supérieur de redressement de salaire.

D.  Caractère raisonnable du remboursement du trop-payé

[43]  La fonctionnaire ne conteste pas la légalité du remboursement du trop-payé en vertu du par. 155(3) de la LGFP. Elle en conteste toutefois le caractère raisonnable.

[44]  La fonctionnaire a soumis un document qui fait état de ses difficultés financières au moment du recouvrement. Il n’y a aucun élément de preuve que l’employeur en a été informé à l’époque. Rien n’indique que la fonctionnaire a tenté de faire modifier les modalités de recouvrement. Elle soutient qu’elle ne savait pas que c’était possible. Elle aurait pu se renseigner auprès de son syndicat.

[45]  En outre, je retiens l’argument de la défenderesse que la fonctionnaire n’a subi aucune perte financière. Il semble que la défenderesse ait recalculé le salaire auquel elle avait droit. Si, d’une part, une erreur quant aux échelons de 2008 à 2010 forçait le recouvrement, une erreur quant au salaire lié aux classifications supérieures entraînait un montant supplémentaire de rémunération. En avril et en mai 2008, malgré une paye fortement diminuée le 8 mai 2008 en raison du recouvrement, la fonctionnaire a tout de même gagné 791$ de plus que ce qu’elle s’attendait à recevoir. Je ne peux conclure au caractère déraisonnable du recouvrement. La défenderesse a corrigé deux erreurs, et le bilan de ces erreurs s’est avéré positif pour la fonctionnaire.

E.  Conclusion

[46]  La LGFP prévoit le recouvrement du trop-payé d’un salaire. Dans la présente situation, le recouvrement était légitime (il n’est d’ailleurs pas contesté), il n’était pas prescrit (sauf le montant de février 2007), et les principes de préclusion ne s’appliquent pas. De plus, compte tenu du fait que le recouvrement coïncidait avec le versement d’une somme additionnelle et supérieure pour corriger le salaire de la fonctionnaire, il n’était pas déraisonnable.

[47]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V.  Ordonnance

[48]  Le grief est partiellement accueilli.

[49]  L’employeur n’avait pas le droit de recouvrer la somme de 64,07 $ pour la période du 5 au 21 février 2007, qui était prescrite.

[50]  Pour le reste, le grief est rejeté. L’employeur avait droit au recouvrement du trop-payé pour un montant de 1 416,66 $.

[51]  L’employeur devra verser la somme de 64,07 $ (montant brut) à la fonctionnaire dans les 30 jours de la présente décision.

Le 10 novembre 2020.

Marie-Claire Perrault,

 une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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