Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La Fédération de la police nationale a présenté une demande d’accréditation afin de représenter les membres réguliers et les réservistes de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) – elle a allégué que l’employeur avait contrevenu à l’article 56 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») lorsqu’il a modifié les conditions d’emploi durant la période de gel qui suit une demande d’accréditation – l’employeur a décidé de créer cinq nouveaux postes d’instructeur/facilitateur et d’y nommer des fonctionnaires – le rôle d’instructeur était anciennement assumé par des membres réguliers de la GRC – l’employeur a soutenu que la décision de créer de nouveaux postes et de les doter ne mettait pas en cause l’article 56 de la Loi, parce que les conventions collectives de la fonction publique fédérale ne peuvent pas comprendre des dispositions qui limitent la capacité de l’employeur à organiser la fonction publique, à attribuer du travail, à classifier des postes ou à y nommer des fonctionnaires – avant que le bien fondé de la plainte ne soit établi, les parties ont demandé à la Commission de déterminer si la Loi les empêche d’ajouter dans une convention collective, à titre de condition d’emploi, une interdiction de nommer ou d’affecter un fonctionnaire pour exercer des fonctions qui étaient exercées autrefois par des membres réguliers de la GRC – plus particulièrement, l’employeur a soutenu que le renvoi à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; la « LEFP »), qui est prévu à l’alinéa 238.19b), devrait inciter la Commission à répondre « oui » à la question préliminaire – l’employeur a soutenu que toute disposition de la convention collective limitant l’exercice des fonctions aux membres réguliers aurait des répercussions pour l’application de la LEFP, parce que l’administrateur général ne pourrait pas demander à la Commission de la fonction publique (CFP) de procéder à une nomination – la Commission a conclu que la Loi n’empêche pas les parties d’ajouter volontairement dans une convention collective une disposition qui réserverait certaines fonctions aux membres réguliers de la GRC – la contrainte d’une telle disposition à l’intention de l’employeur incombe à l’administrateur général, et survient bien avant que la CFP et la LEFP ne soient mises en cause – la CFP ne joue aucun rôle dans l’organisation de la fonction publique, lorsqu’il s’agit de décider quelles tâches seront exécutées par quels fonctionnaires, ou encore dans la classification des postes de fonctionnaires – ces pouvoirs appartiennent au Conseil du Trésor et au législateur, qui établissent clairement la distinction entre les pouvoirs du Conseil du Trésor et ceux de la CFP – la Commission entendra la plainte sur le fond.
Objection préliminaire rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20201119

Dossier: 561‑02‑40874

 

Référence: 2020 CRTESPF 102

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

FÉDÉRATION DE LA POLICE NATIONALE

plaignante

et

Conseil du Trésor

(Gendarmerie royale du Canada)

défendeur

et

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

intervenante

Répertorié

Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada)

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant :  David Orfald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante :  Chris Rootham, avocat

Pour le défendeur :  Stefan Kimpton, avocat

Pour l’intervenante :  Andrew Astritis, avocat

 

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 2 janvier, le 10 mars et les 1er, 15, 22 et 29 mai 2020,

et à la suite d’une audience par vidéoconférence tenue le 23 juillet 2020.

(Traduction de la CRTESPF)


 

MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I.  Plainte devant la Commission

[1]  Cette décision porte sur une question préliminaire soulevée dans une plainte de pratique déloyale de travail déposée par la Fédération de la police nationale (FPN ou la « plaignante ») le 19 août 2019.

[2]  Dans sa plainte, la FPN a allégué que le Conseil du Trésor (l’« employeur » ou le « défendeur ») par l’entremise de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a violé l’article 56 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») lorsqu’il a modifié les conditions de travail pendant la période de gel qui suit une demande d’accréditation. Le 18 avril 2017, la FPN a présenté une demande d’accréditation en vertu de la Loi pour représenter les membres réguliers et les réservistes de la GRC.

[3]  La plainte a été déposée en réponse à une décision de la GRC, annoncée le 23 mai 2019, de créer et de doter cinq nouveaux postes d’instructeur ou animateur par des employés de la fonction publique classifiés au groupe et au niveau AS‑04 à la Division Dépôt de la GRC située à Regina, en Saskatchewan (le « Dépôt »). Le Dépôt est le lieu où le Programme de formation des cadets (PFC) est offert aux nouvelles recrues de la GRC. Les nouveaux employés offriront une partie du cours de Sciences policières appliquées (SPA), qui constitue une partie essentielle du PFC.

[4]  Auparavant, et à la date de l’annonce, le volet des SPA du PFC était offert par des membres réguliers de la GRC. Selon la FPN, l’affectation du rôle d’instructeur des SPA à ces membres réguliers constituait une condition d’emploi. Par conséquent, l’affectation de ces travaux à des postes à l’extérieur de l’unité de négociation proposée par la FPN constituait une modification aux conditions d’emploi effectuée pendant la période de gel, en violation de l’article 56 de la Loi.

[5]  Dans sa réponse à la plainte, le défendeur a estimé que la disposition relative au gel s’applique uniquement aux conditions d’emploi « […] pouvant figurer dans une convention collective […] » (citant l’article 56 de la Loi). Dans cette réponse, il a soutenu que les conventions collectives de la fonction publique fédérale ne peuvent pas contenir des dispositions qui limitent la capacité de l’employeur d’organiser la fonction publique, d’affecter les travaux ou de classifier des postes ou de nommer des employés de la fonction publique à ces postes. Par conséquent, la décision de créer de nouveaux postes AS‑04 et de les doter ne fait pas entrer en jeu l’article 56. Subsidiairement, le défendeur a fait valoir que la décision de recourir à des employés de la fonction publique pour offrir des parties du PFC avait été prise conformément à ses pratiques relatives au principe de la [traduction] « poursuite des activités normales », qui justifierait également le rejet de la plainte.

[6]  À la suite des commentaires des parties et d’un appel de gestion de cas le 14 janvier 2020, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») a accepté d’entendre les arguments écrits et les plaidoiries des parties portant sur la question préliminaire suivante :

[Traduction]

La Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral empêche‑t‑elle la Fédération de la police nationale et le Conseil du Trésor d’inclure dans une convention collective, en tant que « condition d’emploi », une interdiction de nommer ou d’affecter un employé de la fonction publique à l’exercice de fonctions qui étaient accomplies à l’époque par des membres réguliers de la GRC?

[7]  Les parties ont convenu que, si la réponse à cette question était négative, comme l’a demandé la plaignante, la Commission procéderait alors à l’audition de la plainte concernant le gel sur le fond, permettant ainsi aux parties de présenter des éléments de preuve supplémentaires relatifs à la modification alléguée et de présenter des arguments quant à savoir si elle constitue une violation de l’art. 56 de la Loi.

[8]  Toutefois, si la réponse à cette question préliminaire était affirmative, comme l’a demandé le défendeur, l’affaire serait rejetée.

[9]  Après le dépôt de la plainte, les parties ont suggéré d’en informer l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC). L’AFPC est l’agent négociateur accrédité de l’unité de négociation du groupe Services des programmes et de l’administration (PA), qui comprend les employés représentés classifiés en vertu de la norme Services administratifs (AS), y compris le poste classifié au groupe et au niveau AS‑04.

[10]  Le 4 décembre 2019, j’ai ordonné que l’AFPC soit ajoutée en tant que « […] personne pouvant être intéressée », conformément à l’art. 4 du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005‑79; le « Règlement »).

[11]  Par la suite, l’AFPC a demandé d’intervenir à la plainte. Elle a proposé de ne pas présenter d’éléments de preuve au sujet de la question préliminaire, mais elle a demandé de présenter des arguments écrits et les plaidoiries à ce sujet. Si la réponse à la question préliminaire est négative, elle se réservait le droit de demander l’autorisation de présenter des éléments de preuve.

[12]  L’article 14 du Règlement autorise à quiconque qui « […] a un intérêt substantiel dans une affaire dont la Commission est saisie […] » de demander à celle‑ci d’y être ajouté à titre d’intervenant et confère à la Commission le pouvoir d’ajouter un intervenant après avoir donné aux parties la possibilité de présenter des arguments au sujet de la demande. La FPN n’a présenté aucun argument concernant la demande de l’AFPC. Le défendeur ne s’y est pas opposé.

[13]  Le 6 février 2020, j’ai accueilli la demande de statut d’intervenante de l’AFPC.

[14]  L’audition de la question préliminaire s’est déroulée comme suit :

  • 1) Le 2 janvier 2020, la plaignante et le défendeur ont fourni un énoncé conjoint des faits et un recueil conjoint de documents.

  • 2) Le 10 mars 2020, la plaignante a présenté ses arguments écrits.

  • 3) Le 1er mai 2020, le défendeur a présenté ses arguments écrits. 

  • 4) Le 15 mai 2020, l’intervenante a présenté ses arguments écrits.

  • 5) Le 22 mai 2020, le défendeur a présenté sa réponse écrite aux arguments.

  • 6) Le 29 mai 2020, la plaignante a présenté sa réponse écrite aux arguments.

  • 7) Des plaidoiries supplémentaires ont été présentées (à la suite de la même ordonnance qui vient d’être énoncée) lors de l’audience du 23 juillet 2020.

[15]  Je ferai remarquer que la pandémie de la COVID‑19 a entraîné des prolongations des délais établis à l’origine pour les étapes 3 à 6 du processus concernant les arguments écrits. Elle a également entraîné la remise au calendrier de l’audition des plaidoiries et la décision de la tenir au moyen d’un logiciel de vidéoconférence, à la suite de l’adoption des Lignes directrices relatives aux vidéoconférences de la Commission le 8 juillet 2020.

[16]  Dans les motifs qui suivent, je conclus qu’il serait possible pour les parties d’inclure volontairement dans une convention collective une disposition qui réserverait aux membres réguliers les fonctions d’enseignement aux cadets. Je ne suis pas saisi de la question de savoir s’il s’agit d’un résultat probable du processus de négociation collective. La question dont je suis saisi est celle de savoir si la Loi empêche une telle disposition. J’ai examiné attentivement la question préliminaire en fonction des faits sous‑jacents du cas et je conclus qu’il faut répondre par la négative à la question. Au‑delà de cette question préliminaire, je ne me prononce pas sur le fond du cas et j’ordonne qu’il soit mis au calendrier des audiences.

II.  Résumé de la preuve

[17]  Le présent résumé de la preuve est tiré de l’énoncé conjoint des faits présenté par les parties aux fins d’examen de la question préliminaire. Les parties ont fait valoir que les éléments de preuve présentés à une audience ultérieure sur le fond de la plainte ne contrediraient pas ces faits, et elles se sont réservées le droit de présenter d’autres éléments de preuve pour compléter ces faits et pour établir leur contexte.

[18]  Tel que cela a été indiqué, la FPN a présenté sa demande d’accréditation le 18 avril 2017, dans laquelle elle demandait de représenter une unité de négociation composée de tous les membres et les réservistes de la GRC, autre que ceux qui sont des « officiers » de la GRC, au sens de la définition prévue au paragraphe 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (L.R.C. (1985), ch. R‑10; la « Loi sur la GRC ») et les membres civils.

[19]  L’annonce selon laquelle la GRC avait l’intention de recourir à des employés de la fonction publique pour offrir des parties du programme des SPA a été faite le 23 mai 2019 ou vers cette date.

[20]  Lorsque l’annonce a été faite, une décision concernant la demande d’accréditation n’avait pas encore été prise. Toutefois, la FPN a été accréditée en tant qu’agent négociateur le 12 juillet 2019 (voir Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor, 2019 CRTESPF 74). 

[21]  La FPN a déposé cette plainte le 19 août 2019, citant l’art. 56 de la Loi.

[22]  La plainte concerne la façon dont la formation est offerte aux cadets qui cherchent à devenir des membres réguliers futurs de la GRC. Au Dépôt, le PFC est un vaste programme de formation de base de 26 semaines offert dans les deux langues officielles. Les cadets font partie d’une troupe diversifiée de 32 membres. Après avoir réussi tout le PFC, ils peuvent se voir offrir un emploi en tant que membres réguliers et obtenir le statut d’agent de la paix.

[23]  Les SPA sont l’une des composantes du PFC. Il est divisé en 15 modules, qui mettent l’accent sur les problèmes auxquels sont confrontés les policiers et policières sur le terrain. Une formation sur la mission, la vision et les valeurs, sur le modèle de résolution de problèmes de la police communautaire (CAPRA) et le Modèle d’intervention pour la gestion d’incidents (MIGI) de la GRC est intégré dans l’ensemble des modules. Tel qu’il est indiqué dans l’énoncé conjoint des faits, [traduction] « […] [e]n général, cette composante du Programme de formation des cadets appuie les cadets à apprendre les complexités des situations policières, à discuter des solutions de rechange, à élaborer des techniques pour gérer diverses situations et à participer à une résolution de problèmes collaborative ».

[24]  Avant la modification qui a donné lieu à cette plainte, 87 membres réguliers de la GRC étaient affectés à l’unité des SPA au Dépôt. Le titre du poste de ces membres réguliers était « animateur et chef d’équipe de formation des cadets – Division Dépôt ».

[25]  À un moment donné, la GRC a décidé de créer des postes d’instructeurs pour les employés de la fonction publique. À la suite d’un exercice de classification qui s’est terminé au printemps 2019 ou vers cette date, les postes étaient classifiés au groupe et au niveau AS‑04. Le titre de ces postes est « Instructeur ou animateur – Sciences policières appliquées ».

[26]  Le 23 mai 2019, ou vers cette date, le commandant divisionnaire du Dépôt a tenu une discussion ouverte avec le personnel des SPA et a annoncé la mise en œuvre des postes d’employés de la fonction publique (EFP) classifiés au groupe et au niveau AS‑04. Cette nouvelle a été résumée dans un courriel adressé au personnel des SPA du 27 mai 2019. Le résumé se lit comme suit :

[Traduction]

Spécialisation (anciennement appelée Civilarisation) : Cinq postes d’EFP sont annoncés pour des facilitateurs des SPA dans un très proche avenir. Ils seront classifiés au groupe et au niveau AS‑04. Ces postes n’assureront non seulement l’uniformité de l’exécution des programmes, mais ils permettront également de conserver plus de postes RM sur le terrain et d’économiser de l’argent. Cette initiative sera évaluée après une période de 18 à 24 mois. Si l’initiative réussit, nous pouvons nous attendre à ce que le nombre d’EFP soit doublé. Après une période de cinq ans, l’initiative sera évaluée de nouveau et une décision sera prise quant à savoir si elle devrait être élargie ou annulée. En ce qui concerne les cinq premiers postes d’EFP, ils chercheront des anciens RM de la GRC, idéalement possédant une expérience de facilitation au Dépôt.

[27]  Le processus de sélection des cinq postes AS‑04 a débuté en juin 2019. En février 2020, deux personnes avaient commencé à occuper ces postes. À la date de l’audience, les parties ont indiqué qu’une autre personne avait commencé, alors que deux postes bilingues AS‑04 demeuraient vacants.

[28]  Les parties ont également convenu qu’aucun membre régulier n’avait subi de changement de son statut d’emploi à la suite de la décision du défendeur de doter les postes AS‑04.

III.  Résumé de l’argumentation

A.  Pour la plaignante

[29]  La FPN a soutenu que la réponse à la question préliminaire est [traduction] « non ». L’expression « condition d’emploi » est extrêmement large et englobe toutes les questions qui ont un lien réel avec la relation de travail, ce qui peut comprendre des dispositions visant la protection de l’emploi, l’interdiction de sous‑traitance ou la protection du travail de l’unité de négociation.

[30]  La FPN a fait valoir que la décision de la GRC de recourir à des employés de la fonction publique pour enseigner les cadets concerne le principe de la « civilarisation », qu’elle a définie comme [traduction] « […] le recours à des policiers et policières non assermentés pour exécuter les fonctions au nom d’un corps policier ».

[31]  La FPN a présenté trois exemples de conventions collectives dans le secteur des services de police qui fixent des limites quant à la civilarisation. Par exemple, la convention collective conclue entre la ville de Winnipeg et la Winnipeg Police Association (date d’expiration du 31 décembre 2021, à l’article 9 et dans la lettre d’entente no 11) comprend un engagement à négocier la civilarisation et un mécanisme pour résoudre les différends à son sujet par voie d’arbitrage. La convention collective conclue entre le Vancouver Police Board et le Vancouver Police Union (date d’expiration du 31 mars 2010, à l’article 7) contenait une disposition exigeant que certaines fonctions judiciaires ne soient exercées que par des policiers et policières. La convention collective conclue entre la province de l’Ontario et l’Ontario Provincial Police Association (OPPA) (date d’expiration le 31 décembre 2018, à l’article 36) limitait le détachement du personnel civil à l’exécution des travaux normalement accomplis par les membres de l’unité de négociation de la Police provinciale de l’Ontario (PPO).

[32]  Sans préciser les dispositions qu’il pourrait proposer au Conseil du Trésor lors de la négociation pour les membres de la GRC, la FPN a donné ces trois exemples de dispositions de convention collective possibles qui pourraient porter sur le rôle d’enseignement des SPA au Dépôt (le premier dans ses arguments écrits, le deuxième et le troisième dans ses plaidoiries) :

[Traduction]

 

  • 1) que « […] toute la formation des cadets au Dépôt soit offerte par des membres de la GRC […] »;

  • 2) « […] que les fonctions exercées par les membres réguliers en date du XXX continueront d’être exercées par des membres réguliers […] »;

  • 3) après avoir énuméré certaines fonctions, une disposition énonçant que ces fonctions « […] ne seront pas exercées par des employés de la fonction publique, des entrepreneurs ou d’autres employés qui ne sont pas des membres réguliers ».

[33]  La FPN a souligné le fait que, même si elle a soulevé la question de civilarisation, elle n’a pas cherché à soumettre cette question à la Commission. Elle souhaitait uniquement indiquer l’importance de la question pour ses membres. Elle a soutenu que, dans le contexte de la Loi, elle a un intérêt accru à négocier la question pendant la négociation collective parce que la Loi limite la FPN à représenter les membres réguliers de la GRC, contrairement à de nombreuses autres associations ou syndicats policiers au Canada qui ont le droit de représenter les policiers et les policières et le personnel civil.

[34]  En ce qui concerne la question préliminaire, la FPN a fait valoir que la Loi régit trois catégories de dispositions de convention collective possibles. La première catégorie comprend les dispositions qui ne peuvent être négociées parce que le législateur s’est réservé les questions connexes. En ce qui concerne les membres de la FPN, l’interdiction est énoncée à l’art. 238.19 de la Loi, qui se lit comme suit :

238.19 La convention collective qui régit l’unité de négociation définie à l’article 238.14 ne peut pas avoir pour effet direct ou indirect de modifier, de supprimer ou d’établir une condition d’emploi :

a) soit de manière à nécessiter l’adoption ou la modification d’une loi fédérale, exception faite des lois affectant les crédits nécessaires à son application;

b) soit qui a été ou pourrait être établie sous le régime de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, de la Loi sur la continuation des pensions de la Gendarmerie royale du Canada, de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, de la Loi sur la pension de la fonction publique ou de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État.

[35]  La deuxième catégorie, qui comprend les dispositions qui peuvent être négociées, mais qui ne peuvent pas être imposées à l’employeur par un conseil d’arbitrage, figure à l’art. 238.22.

[36]  La troisième catégorie comprend tout autre élément qui peut être négocié ou inclus dans une décision arbitrale.

[37]  Au sujet de la première catégorie, la FPN a indiqué que la liste des lois énoncées à l’al. 238.19b) ne comprend pas la Loi sur la GRC. Le pouvoir de créer un poste pour les membres de la GRC ou de déterminer le travail qui leur sera affecté est régi par l’art. 20.1 de la Loi sur la GRC. Étant donné que la Loi sur la GRC n’est pas énumérée à l’al. 238.19b), cet article n’interdirait aucune disposition d’une convention collective régissant le travail affecté aux membres de la GRC.

[38]  La FPN a également soutenu qu’une telle disposition d’une convention collective n’exigerait pas qu’une modification législative soit apportée à la Loi sur la GRC et ne serait donc pas interdite par l’al. 238.19a).

[39]  En anticipant l’argument du défendeur, la FPN a fait valoir que la question centrale que la Commission doit trancher consiste à savoir si une disposition sur l’affectation des fonctions d’instructeur au personnel civil a été ou pourrait être établie sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; la « LEFP »), qui est énumérée à l’al. 238.19b).

[40]  La FPN a fait valoir que le pouvoir de l’employeur de nommer ou d’affecter un employé de la fonction publique pour accomplir des fonctions que les membres réguliers de la GRC accomplissaient ne découle pas de la LEFP. Il découle plutôt des pouvoirs qui sont conférés par la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F‑11; la « LGFP »). Il faut faire une distinction entre la création d’un poste et la sélection d’un candidat pour ce poste. Le pouvoir de faire le premier découle des alinéas 11.1a) et b) de la LGFP.

[41]  La LEFP ne porte que sur le pouvoir de sélectionner un candidat pour un poste vacant, alors que l’art. 29 confère à la Commission de la fonction publique (CFP) le droit exclusif de procéder à des nominations et de fixer les règles en vertu desquelles ce droit peut être délégué aux administrateurs généraux. À l’art. 30, la LEFP définit le bien‑fondé et confère à la CFP le pouvoir de tenir compte des besoins actuels et futurs de l’organisation lorsqu’une décision doit être prise entre les candidats qualifiés. La plaignante a fait valoir qu’elle ne confère pas à la CFP le droit de déterminer les exigences actuelles ou futures.

[42]  En d’autres termes, la plaignante a soutenu : [traduction] « La FPN ne se soucie pas de la nomination de Mary ou de Joanne au poste; elle se soucie de savoir si un poste a été créé en premier lieu. »

[43]  Afin d’étayer son argument selon lequel il faut faire une distinction entre la création d’un poste et le processus de nomination, la FPN a cité la décision de la Cour suprême du Canada dans Canada (Procureur général) c. Brault, [1987] 2 RCS 489. Selon la FPN, cette décision a établi une distinction entre les pouvoirs qui découlent de la LGFP (création et financement d’un poste) et ceux qui sont régis par la LEFP (nomination d’une personne au poste).

[44]  Lorsqu’elle a répondu à la question préliminaire, la FPN a soutenu que la Commission doit faire preuve de prudence lorsqu’elle fait la distinction entre la première catégorie de dispositions de convention collective (celles interdites par l’article 238.19) et la deuxième catégorie (celles qui peuvent être négociées, mais qui ne peuvent être imposées par un conseil d’arbitrage). Elle a soutenu que la question préliminaire porte uniquement sur la première catégorie. Même si la Loi limite le pouvoir d’un conseil d’arbitrage d’imposer aux parties une condition d’emploi qui touche la capacité de l’employeur de classifier les postes ou d’affecter des fonctions aux personnes employées dans la fonction publique (sous‑alinéa 238.22c)(i)), la restriction n’empêche pas un employeur d’accepter volontairement une telle disposition dans le cadre du processus de négociation collective.

[45]  La FPN a soutenu qu’il y a plus de 30 ans, la Cour d’appel fédérale (CAF) a donné une interprétation large de ce qu’un employeur peut négocier volontairement (voir Public Service Alliance of Canada v. Canada (Treasury Board), [1987] 2 FC 471 (C.A.); « AFPC – Professeurs de langue 1 »). Peu après, la CAF a appliqué ce concept à une plainte liée au gel, à la suite d’un avis de négociation (dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] A.C.F. No 240 : « AFPC – Professeurs de langue 2 »), concluant que « [t]out comme le syndicat, le gouvernement doit accepter les inconvénients de la négociation collective au même titre que ses avantages ».

[46]  En outre, en énonçant expressément les restrictions quant à ce qu’un conseil d’arbitrage peut accorder au sous‑alinéa 238.22c)(i), le législateur a fait une distinction entre la classification d’un poste et l’affectation de fonctions d’une part, et les conditions qui sont ou qui peuvent être établies en vertu de la LEFP, d’autre part. La règle de non‑tautologie prévoit que le législateur est censé éviter les mots superflus ou dénués de sens (voir Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd., au paragraphe 8.23; « Sullivan »). La FPN a soutenu que, si la LEFP régissait ou pouvait régir la classification d’un poste ou l’affectation de fonctions à un employé, il n’aurait pas été nécessaire d’ajouter ces mots au sous‑alinéa 238.22c)(i), car la LEFP est déjà énumérée à l’alinéa 238.22b).

B.  Pour le défendeur

[47]  Selon l’argument principal du défendeur, la LEFP régit la nomination des employés de la fonction publique. Par conséquent, une disposition de la convention collective qui empêche l’employeur de nommer un employé de la fonction publique pour exercer certaines fonctions nuirait à sa capacité d’effectuer une nomination en vertu de la LEFP. Étant donné que l’al. 238.19b) de la Loi interdit qu’une convention collective contienne une disposition qui a été ou qui peut être établie en vertu de la LEFP, la réponse à la question préliminaire est [traduction] « oui » et la plainte doit être rejetée.

[48]  Le défendeur a présenté ces arguments sans admettre ni reconnaître qu’il existait une condition d’emploi consistant à affecter un travail d’instructeur aux membres réguliers ou qu’une telle condition d’emploi a été violée, au sens de l’art. 56 de la Loi. En fait, il a expressément nié ces allégations.

[49]  Le défendeur a soutenu que l’interdiction relative au contenu d’une convention collective à l’al. 238.19b) s’applique à toute condition qui a ou qui peut être établie en vertu de la LEFP, ce qui comprendrait toute condition qui aurait une incidence directe ou indirecte sur une condition qui a été ou qui pourrait être établie sous le régime de la LEFP.

[50]  Les employés de la fonction publique sont nommés en vertu de la LEFP dans le cadre du pouvoir exclusif de la CFP, conformément à l’art. 29 de la LEFP et non en vertu de la Loi sur la GRC. Une condition d’emploi qui élimine la possibilité de nommer un employé de la fonction publique à un poste empêcherait la nomination de cet employé en vertu de la LEFP. La condition d’emploi que la plaignante prétend exister modifierait ou éliminerait le pouvoir conféré par la LEFP de nommer des employés de la fonction publique. Par conséquent, elle ne serait pas autorisée en vertu de l’al. 238.19b) de la Loi.

[51]  La LEFP, à l’art. 29, confère à la CFP le droit exclusif de nommer des employés de la fonction publique, à condition qu’un administrateur général demande que l’on procède à une nomination. À l’art. 30, la LEFP énonce l’exigence selon laquelle la CFP doit faire ce choix en fonction du mérite, de toute exigence actuelle ou future et des besoins organisationnels précisés par l’administrateur général.

[52]  En d’autres termes, une convention collective ne peut pas prévoir que l’employeur [traduction] « ne doit pas nommer » un employé de la fonction publique. Le terme proposé par la FPN a le même effet – il éliminerait la capacité de la CFP de procéder à une nomination à un poste de la fonction publique.

[53]  Le défendeur a soutenu que le fait que la Loi sur la GRC n’est pas énumérée à l’al. 238.19b) n’a aucune incidence sur la détermination de la question dont la Commission est saisie. La Loi sur la GRC reconnaît différentes catégories d’employés, y compris les employés de la fonction publique. L’article 10 de la Loi sur la GRC précise que « [l]a nomination ou l’emploi du personnel civil nécessaire à l’exercice des attributions de la Gendarmerie sont régis par la Loi sur l’emploi dans la fonction publique ».

[54]  En outre, il n’y a aucun lien entre les postes d’instructeur au Dépôt et le processus de transition de la GRC applicable à certains membres qui deviennent des employés de la fonction publique. La Loi visant à accroître la responsabilité de la Gendarmerie royale du Canada (L.C. 2013, ch. 18), à l’art. 86, conférait au Conseil du Trésor le pouvoir de déterminer que certains membres civils étaient réputés avoir été nommés en vertu de la LEFP. Toutefois, ce pouvoir n’a aucune incidence sur les nominations des employés de la fonction publique, qui étaient déjà nommés en vertu de la LEFP.

[55]  Le défendeur a fait valoir que le cas Association des juristes du ministère de la Justice c. Conseil du Trésor, 2009 CRTFP 20 (« AJMJ »), affirme l’interprétation large de l’art. 238.19. J’examinerai ses arguments plus en détail concernant AJMJ plus loin dans la présente décision.

[56]  Le défendeur a conclu que, selon les faits de l’espèce, la GRC a décidé de nommer des employés de la fonction publique pour exercer certaines des fonctions consistant à instruire les cadets. La LEFP régit exclusivement les questions liées à la nomination des employés de la fonction publique. Par conséquent, une interdiction de les nommer déclenche l’application de la LEFP. Une condition prévue dans une convention collective ne peut pas prescrire qui sera nommé à titre d’employé de la fonction publique. Logiquement, elle ne peut pas prescrire non plus qui ne sera pas nommé.

[57]  En réponse aux arguments de la plaignante concernant la distinction entre la création d’un poste et la nomination d’une personne à ce poste, le défendeur a soutenu que la distinction est fausse. Elle va au‑delà de l’organisme. Il s’agit de la capacité de nommer des employés de la fonction publique qui déclenche l’application de la LEFP, et non la Loi sur la GRC.

C.  Pour l’intervenante

[58]  Tout comme la plaignante, l’intervenante a soutenu que la réponse à la question préliminaire devrait être négative.

[59]  L’intervenante a également souligné la distinction entre les articles de la Loi qui limitent ce qui peut figurer dans une convention collective et ceux qui limitent ce qui peut figurer dans une décision arbitrale. Elle a fait remarquer que l’art. 238.19, qui impose des limites sur le contenu d’une convention collective visant les membres de la GRC, est semblable à l’art. 113, qui impose des limites similaires sur ce qui peut figurer dans une convention collective à l’égard des employés de la fonction publique, en général. Même si la Commission n’a pas encore interprété l’art. 238.19, elle a rendu des décisions portant sur l’art. 113 qui sont pertinentes à la présente discussion.

[60]  Par exemple, l’intervenante a souligné que la décision de l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) dans Pelletier c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 117, qui a fourni une analyse historique de la distinction entre les questions de dotation et les relations de travail. Dans Pelletier, l’employeur a fait valoir que la CFP était chargée de procéder à des nominations, conformément à la LEFP, tandis que le Conseil du Trésor avait le pouvoir d’agir concernant toute question liée aux conditions d’emploi qui n’avait aucun lien à la dotation en vertu de la LEFP. Dans Pelletier, il s’agissait de savoir si le grief de l’employé concernant une mesure de dotation pouvait être instruit en vertu de la Loi (appelée alors la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique). En statuant qu’elle n’avait pas compétence, la CRTFP a cité l’art. 113 et a conclu comme suit :

[…]

43 Comme on peut le constater à partir des dispositions ci‑dessus et de l’aperçu historique du régime législatif présenté par l’employeur dans l’exposé de ses arguments et que j’ai reproduit ci‑dessus, le régime législatif a clairement établi deux sphères autonomes et mutuellement exclusives. Comme on interdit expressément au Conseil du Trésor d’agir dans des questions relevant de la dotation, il m’apparaît que le régime législatif n’avait pas prévu autoriser un chevauchement entre les deux sphères. Lorsqu’il a signé la convention collective, le Conseil du Trésor n’avait pas le pouvoir de lier la Commission de la fonction publique ou l’administrateur général à quelque affaire que ce soit en matière de dotation. Ainsi, toutes dispositions de la convention collective se rapportant aux évaluations du rendement ne peuvent s’appliquer qu’à celles réalisées dans le contexte des relations de travail. Je suis donc d’avis que tout libellé de la convention collective utilisé par mégarde et qui pourrait s’appliquer au processus de dotation ne peut, dans les faits, être utilisé pour servir de fondement à un grief qui conteste une action relative à une mesure de dotation.

[…]

[61]  L’AFPC a soutenu que la LEFP a pour objet de conférer à la CFP le pouvoir de procéder à des nominations à la fonction publique ou de déléguer ce pouvoir aux administrateurs généraux, tout en appliquant la définition du mérite énoncée dans la LEFP. Elle traite de l’impartialité politique et d’autres valeurs régissant la dotation. Elle établit les mécanismes de responsabilisation et de plainte. Toutefois, elle ne régit pas l’organisation de la fonction publique, la détermination des besoins en ressources humaines, ou l’affectation et l’utilisation des ressources humaines. Ces pouvoirs sont réservés au Conseil du Trésor, conformément à la LGFP et à l’art. 7 de la Loi. La LEFP ne confère aucun rôle à la CFP pour ce qui est de l’organisation de la fonction publique ou de la classification des postes.

[62]  L’intervenante a soutenu qu’au paragraphe 10, l’énoncé conjoint des faits décrit clairement ce qui s’est produit avant l’annonce de mai 2019 en litige : [traduction] « À la suite d’un exercice de classification qui s’est terminé au printemps 2019 ou vers cette date, une description de travail a été créée pour les postes d’instructeur de la fonction publique. Les postes étaient classifiés au groupe et au niveau AS‑04. » Ni une mesure de dotation ni un processus de nomination n’ont eu lieu. Au contraire, il s’agissait d’un exercice organisationnel, qui découlait de l’al. 11.1(1)b) de la LGFP, et non de la LEFP.

[63]  Pour l’AFPC, la question consistait à savoir si la question en litige relève exclusivement de la LEFP ou si une partie ou la totalité de la question relève du pouvoir du Conseil du Trésor. Dans ce dernier cas, il est possible qu’une disposition puisse être négociée qui ne lie que le Conseil du Trésor en ce qui concerne ses pouvoirs en vertu de la LGFP et de la Loi, qui serait donc admissible en vertu de l’al. 238.19b) de la Loi.

[64]  L’AFPC a fait valoir qu’en répondant à la question préliminaire, la Commission devrait examiner l’objet des dispositions de la Loi relatives au gel. La jurisprudence renforce l’objectif qui consiste à préserver des règles du jeu équitables, permettant de poursuivre les négociations (voir Treasury Board v. Canadian Air Traffic Control Association, [1982] 2 FC 80, au par. 24, et Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2016 CRTEFP 19, aux paragraphes 73 à 75). Le gel vise à préserver le statu quo à l’égard de toutes les questions qui peuvent faire l’objet de négociations collectives entre les parties, ce qui comprend nécessairement les questions liées aux droits qu’un employeur peut céder dans le cadre de la négociation.

[65]  Par conséquent, l’al. 238.19b) ne devrait jouer qu’un rôle très limité dans une plainte de cette nature. Lorsque les parties peuvent négocier une disposition admissible, le gel prévu par la loi devrait être maintenu. Même si parfois, la Commission ou ses prédécesseurs ont conclu que certaines propositions étaient contraires à un article semblable (art. 150) de la Loi, elle n’a conclu ainsi qu’après avoir examiné soigneusement le libellé particulier de la convention collective proposé par les parties (voir, par exemple, AJJ; L’Association professionnelle des agents du service extérieur c. Conseil Trésor, 2018 CRTESPF 16; Association professionnelle des agents du service extérieur c. Conseil du Trésor, 2004 CRTFP 144; Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2008 CRTFP 72). La partie qui s’oppose à l’inclusion d’une proposition dans le mandat d’un conseil d’arbitrage ne peut pas simplement faire des affirmations ou des spéculations; elle doit établir expressément qu’une proposition est visée par un obstacle légal.

[66]  S’il existe une ambiguïté concernant l’application de l’al. 238.19b) de la Loi, l’AFPC a soutenu que la Commission devrait examiner l’al. 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés (partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, adoptée en tant qu’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.); la « Charte ») et la protection qu’elle offre à une négociation collective significative. La Cour suprême du Canada a affirmé à maintes reprises l’importance de l’al. 2d) et son rôle dans l’autorisation des employés de régler les problèmes communs à l’égard de leur employeur dans le cadre du processus de négociation. Si l’al. 238.19b) est ambigu, ce qui, selon l’AFPC, n’est pas le cas, il devrait être interprété conformément aux valeurs de la Charte. (Voir, par exemple, Health Services and Support ‑ Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie‑Britannique, 2007 CSC 27; Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 1; Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4.)

IV.  Motifs

A.  La question préliminaire

[67]  Je commencerai en examinant la question préliminaire en ce qui concerne les dispositions pertinentes de la Loi.

[68]  La disposition relative au gel à la suite d’une demande d’accréditation d’une unité de négociation est énoncée à l’art. 56 de la Loi, comme suit :

Maintien des conditions d’emploi

56 Après notification d’une demande d’accréditation faite en conformité avec la présente partie ou la section 1 de la partie 2.1, l’employeur ne peut modifier les conditions d’emploi applicables aux fonctionnaires de l’unité de négociation proposée et pouvant figurer dans une convention collective, sauf si les modifications se font conformément à une convention collective ou sont approuvées par la Commission. Cette interdiction s’applique, selon le cas :

a) jusqu’au retrait de la demande par l’organisation syndicale ou au rejet de celle‑ci par la Commission;

b) jusqu’à l’expiration du délai de trente jours suivant la date d’accréditation de l’organisation syndicale.

[Je mets en évidence]

[69]  Cette disposition est semblable à la disposition relative au gel à la suite d’un avis de négociation, qui est énoncée à l’art. 107 comme suit :

Obligation de respecter les conditions d’emploi

107 Une fois l’avis de négocier collectivement donné, sauf entente à l’effet contraire entre les parties aux négociations et sous réserve de l’article 132, les parties, y compris les fonctionnaires de l’unité de négociation, sont tenues de respecter chaque condition d’emploi qui peut figurer dans une convention collective et qui est encore en vigueur au moment où l’avis de négocier a été donné, et ce, jusqu’à la conclusion d’une convention collective comportant cette condition ou :

a) dans le cas où le mode de règlement des différends est l’arbitrage, jusqu’à ce que la décision arbitrale soit rendue;

b) dans le cas où le mode de règlement des différends est le renvoi à la conciliation, jusqu’à ce qu’une grève puisse être déclarée ou autorisée, le cas échéant, sans qu’il y ait contravention au paragraphe 194(1).

[Je mets en évidence]

[70]  Dans une décision récente impliquant les mêmes parties, la Commission a établi le cadre pour l’analyse des plaintes déposées en vertu de l’art. 56 de la Loi (Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2020 CRTESPF 71 (« Stationnement Whistler »). Au paragraphe 34, la Commission a reconnu que l’élément essentiel des dispositions relatives à l’accréditation et à la négociation est très semblable, « […] en ce sens qu’il est interdit à un employeur d’apporter des modifications unilatérales aux conditions d’emploi une fois qu’une demande d’accréditation ou un avis de négocier est signifié » [le passage en évidence l’est dans l’original]. La Commission a ensuite analysé la jurisprudence en ce qui concerne les dispositions relatives à l’accréditation et à la période de gel des négociations et a conclu que les plaintes doivent faire l’objet d’une analyse préliminaire, qui consiste à utiliser le critère à quatre volets suivant (au par. 38) :

[…]

1) qu’une condition d’emploi existe le jour du dépôt de la demande d’accréditation (ou à la suite d’un avis de négocier, en cas de gel des négociations);

2) que l’employeur ait modifié la condition d’emploi sans le consentement ou l’approbation de la Commission (ou de l’agent négociateur, en cas de gel des négociations);

3) que la modification ait été apportée au cours de la période de gel;

4) que la condition d’emploi puisse être incluse dans une convention collective.

[71]  Dans Stationnement Whistler, la Commission a conclu qu’une plainte qui franchit ce premier volet de l’analyse est ensuite évaluée à un deuxième volet, ce qui permet de déterminer si le changement apporté par l’employeur est conforme à la poursuite de ses activités normales.

[72]  La question préliminaire tranchée dans la présente décision concerne uniquement le quatrième critère, c.‑à‑d. qu’il s’agit de savoir si la condition d’emploi peut être incluse dans une convention collective. Les trois autres critères à la première étape et l’analyse au deuxième volet, ne seront pris en considération que si la condition d’emploi en litige peut être incluse dans une convention collective et que la présente affaire procède à une audience sur le fond.

[73]  Permettez‑moi de répéter la question préliminaire proposée par les parties et approuvée par la Commission :

[Traduction]

La Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral empêche‑t‑elle la Fédération de la police nationale et le Conseil du Trésor d’inclure dans une convention collective, en tant que « condition d’emploi », une interdiction de nommer ou d’affecter un employé de la fonction publique à l’exercice de fonctions qui étaient accomplies à l’époque par des membres réguliers de la GRC?

[74]  Selon la position du défendeur, la Loi interdit qu’une convention collective conclue entre la FPN et le Conseil du Trésor contienne une condition d’emploi qui limiterait sa capacité de nommer et d’affecter un employé de la fonction publique pour exécuter un travail que les membres réguliers de la GRC avaient accompli. Ses arguments écrits et ses plaidoiries étaient axés sur l’art. 238.19 de la Loi, qui énonce les restrictions sur le contenu des conventions collectives propres aux membres et aux réservistes de la GRC, comme suit :

238.19 La convention collective qui régit l’unité de négociation définie à l’article 238.14 ne peut pas avoir pour effet direct ou indirect de modifier, de supprimer ou d’établir une condition d’emploi :

a) soit de manière à nécessiter l’adoption ou la modification d’une loi fédérale, exception faite des lois affectant les crédits nécessaires à son application;

b) soit qui a été ou pourrait être établie sous le régime de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, de la Loi sur la continuation des pensions de la Gendarmerie royale du Canada, de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, de la Loi sur la pension de la fonction publique ou de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État.

[75]  Plus particulièrement, le défendeur a soutenu que le renvoi à la LEFP à l’al. 238.19b) devrait amener la Commission à répondre [traduction] « oui » à la question préliminaire. Même si sa réponse initiale à la plainte a soulevé des questions liées à divers autres articles de la Loi (notamment, les articles 6 et 7, et ses pouvoirs en matière de droits de la direction prévus dans la LGFP), ses arguments écrits et ses plaidoiries devant moi étaient axés sur la LEFP et l’al. 238.19b) de la Loi.

[76]  Par conséquent, la question préliminaire dans la présente plainte se résume à savoir si une disposition d’une convention collective qui pourrait aborder la situation au Dépôt est une question qui pourrait, directement ou indirectement, modifier, éliminer ou établir une condition d’emploi qui a été ou qui pourrait être établie sous le régime de la LEFP.

[77]  Quel genre de disposition d’une convention collective est en litige?

[78]  Je suis d’accord avec l’intervenante pour dire qu’il est difficile de répondre à la question préliminaire en l’absence d’une disposition ou d’une proposition particulière relative à une convention collective. La Commission et ses prédécesseurs ont souvent dû interpréter une interdiction semblable à l’al. 150(1)b) de la Loi, ce qui limite le contenu des décisions arbitrales, mais elle l’a toujours fait à l’égard de propositions de négociation particulières.

[79]  Dans le présent cas, aucune proposition particulière n’est en jeu; il s’agit plutôt d’un concept plus général que la FPN a appelé [traduction] « civilarisation », qui est mentionné dans l’énoncé conjoint des faits comme une [traduction] « spécialisation ».

[80]  La FPN a offert trois exemples de dispositions qu’elle pourrait vouloir négocier pour aborder la question générale de la civilarisation et les circonstances particulières au Dépôt. Pour récapituler, la première était que [traduction] « […] toute la formation des cadets au Dépôt soit [offerte] par des membres [réguliers] de la GRC […] ». Cet exemple aurait pour effet de réserver une fonction particulière, soit la formation des cadets au Dépôt, aux membres réguliers.

[81]  Le deuxième exemple était [traduction] « […] que les fonctions exercées par les membres réguliers en date du XXX continueront d’être exercées par des membres réguliers ». Il s’agit d’une proposition beaucoup plus large, ce qui pourrait être qualifié de protection du travail de l’unité de négociation.

[82]  Le troisième exemple se situe quelque part entre les deux premiers. La FPN a également laissé entendre que la convention collective pourrait énumérer un certain nombre de fonctions, y compris la formation des cadets, ainsi qu’un énoncé selon lequel ces fonctions seraient accomplies uniquement par des membres réguliers.

[83]  Tel qu’ils sont présentés, je n’estime pas que ces trois exemples visent à empêcher la nomination ou l’affectation de fonctions à des employés de la fonction publique. À première vue, il s’agit de réserver certaines fonctions aux membres réguliers de la GRC; p. ex. réserver expressément la formation de cadets, réserver tout ce que les membres réguliers font pour eux en général, ou réserver un certain juste milieu entre ces ceux‑ci.

[84]  Par conséquent, à mon avis, il ne serait pas juste de mettre entièrement l’accent sur le mot [traduction] « nomination » dans la réponse à la question préliminaire. Si la question ne visait pas d’autres éléments, une analyse entièrement axée sur la LEFP pourrait être relativement simple et permettre de répondre facilement par l’affirmative. Toutefois, la question va au‑delà de la nomination d’un employé de la fonction publique : il s’agit de nommer ou d’affecter des fonctions aux employés de la fonction publique qui étaient exercées par des membres réguliers de la GRC.

[85]  Le cadre approprié de la question préliminaire doit être conforme aux faits qui ont donné lieu au différend qui a entraîné le dépôt de la plainte – un argument qui a été soulevé à maintes reprises dans les arguments du défendeur. Permettez‑moi d’examiner ces faits.

[86]  Cette plainte a été déposée à la suite d’une annonce faite en mai 2019 selon laquelle la GRC avait créé cinq postes d’employés de la fonction publique pour offrir des parties du programme des SPA aux cadets du Dépôt. Tel que cela est indiqué dans l’énoncé conjoint des faits, le processus a débuté par une décision de créer des postes. Ensuite, [traduction] « [à] la suite d’un exercice de classification qui s’est terminé au printemps 2019 ou vers cette date, une description de travail a été créée pour les postes d’instructeur de la fonction publique ». À ce moment‑là, les postes ont été classifiés au groupe et au niveau AS‑04. Peu de temps après, une annonce a été faite lors d’une séance de discussion ouverte avec l’équipe des SPA. Dans son annonce, la GRC a déclaré que l’objectif consistait à améliorer l’uniformité de l’exécution des programmes, mais également à économiser de l’argent et que l’employeur espérait recruter des anciens membres réguliers de la GRC possédant une expérience en établissement au Dépôt.

[87]  Ce n’est que plus tard que le processus de dotation s’est réellement déroulé. En juin 2019, la GRC a lancé le processus de sélection pour le poste. Le 23 septembre 2019, selon les parties, deux candidats ont reçu des lettres de nomination. En février 2020, deux employés avaient commencé à occuper les nouveaux postes. À la date de l’audience, il a été signalé qu’un autre poste avait été doté, pour un total de trois employés.

[88]  En d’autres termes, la présente plainte a été déclenchée par la décision de créer des postes civils pour instruire les cadets et par l’annonce qu’ils seraient classifiés au groupe et au niveau AS‑04. Il s’agit, en fait, de la décision d’affecter des fonctions aux employés de la fonction publique qui étaient exercées auparavant uniquement par des membres réguliers de la GRC. Il ne s’agit pas d’une plainte déclenchée par la mesure de dotation. La mesure corrective demandée obligerait la GRC à continuer d’offrir toute la formation des cadets en recourant aux services des membres réguliers, jusqu’à la fin de la période de gel visant l’accréditation.

[89]  En fait, la plainte a pour but de mettre fin à l’affectation des fonctions et à la nomination subséquente d’employés de la fonction publique jusqu’à ce qu’une convention collective soit conclue, afin que la FPN ait la possibilité de négocier la question à la table de négociation. Tel que cela a été discuté, la FPN envisage de proposer un éventail de propositions de négociation collective qui auraient pour effet de réserver certains types de travaux et de fonctions aux membres de son unité de négociation.

[90]  La question préliminaire porte sur la question de savoir si la Loi empêche la FPN et le Conseil du Trésor d’inclure dans une convention collective une disposition qui aborderait la question dans la présente plainte. Je suis d’accord avec l’intervenante pour dire que je ne devrais rejeter la plainte liée au gel au motif de cette question que si je suis convaincu qu’aucune disposition possible ne pourrait être négociée à l’égard de l’objet soulevé dans celle‑ci, sans contrevenir à l’al. 238.19b) et plus particulièrement son renvoi à la LEFP. Je poursuivrai le reste de mon analyse en fonction de ce qui précède.

B.  Les pouvoirs du Conseil du Trésor en vertu de la LGFP

[91]  La plaignante et l’intervenante ont toutes les deux estimé qu’il fallait établir une distinction claire entre les actions d’un employeur en matière d’organisation de la fonction publique et de création et classification de postes et l’action de nommer une personne particulière à un tel poste. Elles ont soutenu que le pouvoir d’organiser la fonction publique et de créer et classifier des postes relève de la LGFP. La LEFP ne s’applique qu’au processus de nomination.

[92]  L’article pertinent de la LGFP dispose ce qui suit :

[…]

11.1 (1) Le Conseil du Trésor peut, dans l’exercice des attributions en matière de gestion des ressources humaines que lui confère l’alinéa 7(1)e) :

a)   déterminer les effectifs nécessaires à la fonction publique et assurer leur répartition et leur bonne utilisation;

b)   pourvoir à la classification des postes et des personnes employées dans la fonction publique; […].

[…]

[93]  Le droit du Conseil du Trésor d’organiser la fonction publique et de classifier des postes est mentionné à l’art. 7 de la Loi, qui se lit comme suit :

7 La présente loi n’a pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l’autorité du Conseil du Trésor ou d’un organisme distinct quant à l’organisation de tout secteur de l’administration publique fédérale à l’égard duquel il représente Sa Majesté du chef du Canada à titre d’employeur, à l’attribution des fonctions aux postes et aux personnes employées dans un tel secteur et à la classification de ces postes et personnes.

[94]  De plus, elles ont fait valoir qu’aucune contrainte expresse n’est imposée au contenu des conventions collectives, en ce qui concerne l’organisation de la fonction publique ou la classification des postes, ni à l’art. 238.19 de la Loi (qui limite le contenu des conventions collectives à l’égard des membres réguliers de la GRC) ni dans la disposition équivalente de la partie principale de la Loi à l’art. 113 (qui limite le contenu des conventions collectives à l’égard des employés de la fonction publique en général).

[95]  Ces limites se trouvent dans les dispositions de la Loi qui portent sur le contenu d’une décision arbitrale. Pour les employés de la fonction publique en général, ces limites se trouvent au par. 150(1). Dans le contexte des membres de la GRC, les restrictions sur le contenu d’une décision arbitrale se trouvent au par. 238.22(1), qui se lit comme suit :

238.22 (1) La décision arbitrale qui régit l’unité de négociation définie à l’article 238.14 ne peut pas avoir pour effet direct ou indirect de modifier, de supprimer ou d’établir une condition d’emploi :

a) soit de manière à nécessiter ou entraîner l’adoption ou la modification d’une loi fédérale, exception faite des lois affectant les crédits nécessaires à son application;

b) soit qui a été ou pourrait être établie sous le régime de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, de la Loi sur la continuation des pensions de la Gendarmerie royale du Canada, de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, de la Loi sur la pension de la fonction publique ou de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État;

c) soit d’une manière qui, selon le cas:

(i) aurait une incidence sur l’organisation de la fonction publique, les catégories de membres, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, l’attribution de fonctions aux postes et aux personnes employées au sein de la fonction publique et leur classification

(ii) porterait atteinte au droit ou à l’autorité du commissaire de la Gendarmerie royale du Canada qui lui sont conférés sous le régime de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada afin d’assurer des opérations policières efficaces.

[96]  Les dispositions des alinéas 238.22(1)a) et b) tiennent effectivement compte de ce qui est prévu aux alinéas 238.19a) et b). Toutefois, l’al. 238.22(1)c) va au‑delà de l’art. 238.19. Plus particulièrement, au sous‑alinéa 238.22(1)c)(i), la Loi interdit qu’une décision arbitrale touche l’organisation de la fonction publique, l’affectation de fonctions aux postes ou aux personnes employées dans la fonction publique, ou la classification de postes ou de personnes employées dans la fonction publique.

[97]  La FPN et l’AFPC ont toutes les deux soutenu qu’en prévoyant des restrictions supplémentaires à l’al. 238.22(1)c), le législateur avait l’intention d’élargir les restrictions sur ce qu’une décision arbitrale pourrait comprendre au‑delà de celles déjà énoncées à l’al. 238.22(1)b). En d’autres termes, elles ont fait valoir que, si une disposition touchant l’organisation de la fonction publique, l’attribution de fonctions, ou la classification de postes était déjà interdite parce qu’elle était ou pouvait être établie en vertu de la LEFP, le sous‑alinéa 238.22(1)c)(i) serait redondant. La FPN a invoqué Sullivan, au paragraphe 8.23, qui se lit comme suit :

[Traduction]

Le législateur est présumé ne pas utiliser de mots superflus ou dénués de sens, ne pas se répéter inutilement, ni s’exprimer en vain. Chaque mot de la loi est présumé avoir un sens et jouer un rôle précis dans la réalisation de l’objectif du législateur […] Pour cette raison, les tribunaux devraient éviter, dans la mesure du possible, d’adopter des interprétations qui dénueraient de sens une partie d’une loi ou qui la rendrait inutile ou redondante.

[98]  En d’autres termes, les dispositions de l’al. 238.22(1)c) font partie de ce que la FPN appelle la deuxième catégorie de dispositions de conventions collectives, c’est‑à‑dire, celles qu’un employeur et un agent négociateur peuvent négocier volontairement, mais qu’un conseil d’arbitrage ne peut imposer aux parties.

[99]  Cela soulève la question de savoir si les types de dispositions de conventions collectives que la FPN cherche à négocier touchent l’organisation de la fonction publique, les fonctions affectées aux postes au sein de la fonction publique et la classification de postes.

[100]  Même si la question dont je suis saisi ne consiste pas à savoir ce qui est approprié à inclure dans une décision arbitrale, la FPN a soutenu clairement que, au moyen de sa plainte, elle demande un résultat qui empêcherait la GRC d’affecter les fonctions d’instruction des cadets à des employés de la fonction publique. Elle ne souscrit pas du tout à la façon dont la GRC souhaite organiser la fonction publique. Elle n’est pas d’accord avec l’affectation de fonctions traditionnellement exercées par les membres réguliers aux employés de la fonction publique classifiés au groupe et au niveau AS‑04. Autrement dit, elle souhaite négocier les fonctions à affecter aux membres réguliers, plutôt que celles qui sont affectées à d’autres employés de la fonction publique.

[101]  Une condition d’emploi qui limite ou qui empêche la GRC de prendre ces décisions serait très susceptible de déclencher l’application du sous‑alinéa 238.22(1)c)(i). Je dis « très susceptible » par excès de prudence, car ce n’est pas la question dont je suis saisi et un conseil d’arbitrage qui doit se prononcer sur cet article le ferait normalement dans le contexte d’une proposition relative à une convention collective rédigée avec précision. Toutefois, en général, les types de conditions que la FPN a proposés à titre d’exemples toucheraient l’organisation de la fonction publique et l’affectation des fonctions aux employés de la fonction publique.

[102]  Je suis également d’accord avec la FPN et l’AFPC pour dire que le pouvoir de l’employeur de prendre des décisions concernant l’organisation de la fonction publique et l’affectation des fonctions est issu de la LGFP et non de la LEFP. La décision prise par la Cour suprême du Canada en 1987 dans Brault a établi la distinction entre les pouvoirs conférés par les deux lois. La création d’un poste et la nomination d’une personne audit poste suivent une série d’étapes que la Cour a résumée comme suit aux pages 500 et 501 :

[…]

1. Le Ministre ou le sous-chef du Ministère, dans l’exercice de son pouvoir de gestion, détermine les postes qui sont nécessaires dans le Ministère et les qualifications requises pour y être nommé;

2. L’approbation financière d’un poste doit être obtenue du Conseil du Trésor qui, en vertu de l’art. 7 de la Loi sur l’administration financière […] a le pouvoir de classifier les postes de la Fonction publique aux fins notamment de la rémunération;

3. Le sous-chef demande alors à la Commission de la Fonction publique de faire la nomination qui s’impose ou il fait lui-même cette nomination en vertu d’une délégation de pouvoir; et

4. Cette nomination est faite conformément à la méthode de sélection particulière requise par la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique et par son règlement d’application, dont les dispositions pertinentes ont été citées précédemment.

[…]

[103]  J’ai mentionné plus haut le renvoi de l’intervenante à la décision de la CRTFP dans Pelletier, qui a fourni une analyse historique de la distinction entre les questions de dotation et les relations de travail. Afin d’approfondir cet argument, l’AFPC a cité une source secondaire (R. Caron, Employment in the Federal Public Service, au paragraphe 1:200), qui traite de la distinction entre les nominations et d’autres questions qui remontent à l’adoption de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.R.C. (1985), ch. P‑35) en 1967. Caron écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] Le chevauchement qui existait historiquement entre l’ancienne Commission de la fonction publique et le Conseil du Trésor a été éliminé : la nouvelle Commission de la fonction publique se concentrait principalement à veiller à ce que les nominations soient fondées sur le mérite et que les fonctionnaires soient non partisanes. La Loi sur la gestion des finances publiques a été modifiée afin de confirmer le rôle du Conseil du Trésor en tant qu’employeur et a regroupé son pouvoir sur l’organisation de la fonction publique, la classification, la rémunération, la rétrogradation, la suspension et le congédiement. […]

[…]

[104]  L’alinéa 11.1(2)b) de la LGFP renforce la séparation des pouvoirs entre le Conseil du Trésor et la CFP lorsqu’il énonce que les pouvoirs du Conseil du Trésor ne comprennent pas ou ne visent pas à élargir les « […] pouvoirs expressément conférés à la Commission de la fonction publique sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique […] ».

[105]  Cette distinction du pouvoir est importante parce que, lorsqu’il s’agit des pouvoirs du Conseil du Trésor sous le régime de la LGFP, la CAF et la Commission ont reconnu que les parties peuvent accepter volontairement d’inclure des dispositions dans une convention collective touchant ces pouvoirs. J’ai mentionné plus haut que la FPN a cité des décisions de la CAF dans AFPC – Professeurs de langue 1 et AFPC – Professeurs de langue 2. Dans le premier cas, la CAF a conclu que deux propositions de négociation qui portaient sur les droits de la direction énoncés à l’art. 7 de la Loi ne pouvaient pas faire l’objet d’une décision arbitrale, mais que [traduction] « [i]l n’y a aucun doute que les deux propositions pourraient faire légitimement l’objet de négociations » (au paragraphe 5). Dans le dernier cas, la Cour a décidé qu’une disposition limitant les heures d’enseignement qui avait déjà fait l’objet d’une négociation volontaire devait rester en vigueur pendant une période de gel.

[106]  La CRTFP s’est inspirée de la décision de la CAF dans AFPC – Professeurs de langue 2 dans Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil national de recherches du Canada, 2014 CRTFP 57 (« IPFPC »), et a conclu que l’employeur ne pouvait pas se soustraire des dispositions relatives au gel prévues par la Loi parce qu’une disposition de la convention collective était visée par la portée de l’art. 7 de la Loi.

[107]  La capacité d’un employeur à accepter volontairement de telles dispositions a également été renforcée par la décision de la Cour fédérale dans Canada (Attorney General) v. Canada (Public Service Staff Relations Board), [1988] F.C.J. No. 633 (T.D.) (QL). Dans ce cas, la Cour a conclu que certaines dispositions concernant l’organisation de la fonction publique et l’affectation et la classification des fonctions ne pouvaient pas être renvoyées à une procédure de conciliation exécutoire (arbitrage). Lorsqu’elle est parvenue à sa conclusion, la Cour a fait remarquer que ces dispositions pouvaient non pas seulement faire l’objet de négociations volontaires entre les parties, mais également faire l’objet de telles négociations.

[108]  Le paragraphe 11.1(1) de la LGFP énonce le pouvoir du Conseil du Trésor pour déterminer « […] l’exercice des attributions en matière de gestion des ressources humaines […] » et pour classifier les postes. L’article 7 de la Loi établit le droit du Conseil du Trésor et d’autres employeurs de déterminer l’organisation de la fonction publique, l’affectation des fonctionnaires aux postes et la classification des postes. Le sous‑alinéa 238.22(1)c)(i) interdit à un conseil d’arbitrage de rendre toute décision qui touche l’organisation de la fonction publique, l’affectation des fonctions aux postes et la classification des postes. Toutefois, je conclus que rien dans la Loi n’empêche le Conseil du Trésor d’accepter volontairement une telle disposition dans une convention collective.

C.  L’application de la LEFP est‑elle néanmoins déclenchée?

[109]  Selon la réponse de l’employeur à cet argument, toute interdiction de créer un poste dans la fonction publique limiterait néanmoins sa capacité à nommer une personne et déclencherait donc l’interdiction relative à la LEFP énoncée à l’al. 238.19b) de la Loi.

[110]  Il a soutenu que l’al. 238.19b) interdit qu’une convention collective établisse, directement ou indirectement, une condition d’emploi si elle a été ou pourrait être établie sous le régime de la LEFP. Il a soutenu que les expressions « directement ou indirectement » et « a été ou pourrait être établie » exigent une interprétation large.

[111]  Les faits en l’espèce sont tels que la GRC souhaitait nommer des employés de la fonction publique au poste d’instructeur et la FPN a fait valoir qu’une condition d’emploi existe qui empêcherait de le faire pendant la période de gel. La LEFP régit, entre autres, les questions liées à la nomination des employés de la fonction publique. Le défendeur a soutenu qu’aucune convention collective ne peut dicter qui sera nommé à titre d’employé de la fonction publique et que, logiquement, une convention collective ne peut pas non plus dicter qui ne sera pas nommé.

[112]  Le défendeur a souligné les dispositions de la LEFP relatives au processus de nomination des employés de la fonction publique. Il a souligné que le par. 29(1) prévoit que la CFP a le pouvoir exclusif de procéder à des nominations et que le par. 29(2) prévoit qu’il le fait à la demande d’un administrateur général. Les critères pour procéder à des nominations fondées sur le mérite sont énoncés à l’art. 30 et le paragraphe 30(2) permet à la CFP d’inclure dans son évaluation du mérite les exigences opérationnelles actuelles et futures précisées par l’administrateur général. Enfin, l’art. 31 énonce que l’employeur peut fixer des normes de qualification en matière d’instruction, de connaissances, d’expérience et d’autres qualifications en ce qui concerne la nature du travail à accomplir et les besoins actuels et futurs de la fonction publique.

[113]  En résumé, une disposition qui empêcherait un administrateur général de même envisager de nommer un employé de la fonction publique éliminerait la capacité de la CFP de procéder à une nomination, ce qui ne serait pas compatible avec la LEFP. Cela est interdit par l’al. 238.19b) de la Loi.

[114]  Le défendeur s’est appuyé de manière significative sur la décision de la CRTFP dans AJJ, qui établit le mandat d’un conseil d’arbitrage en vertu du par. 150(1) de la Loi. À l’époque, le paragraphe 150(1) se lisait comme suit (tel que cité dans AJJ, au paragraphe 14) :

150 (1) La décision arbitrale ne peut avoir pour effet direct ou indirect de modifier, supprimer ou établir une condition d’emploi

a) soit de manière à nécessiter ou entraîner l’adoption ou la modification d’une loi fédérale, exception faite des lois affectant les crédits nécessaires à son application;

b) une condition d’emploi qui a été ou pourrait être établie sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, la Loi sur la pension de la fonction publique ou la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État;

c) soit qui porte sur des normes, procédures ou méthodes régissant la nomination, l’évaluation, l’avancement, la mutation, le renvoi en cours de stage ou la mise en disponibilité des fonctionnaires;

d) soit, dans le cas d’un organisme distinct, qui porte sur le licenciement, sauf le licenciement imposé pour manquement à la discipline ou inconduite;

e) soit de manière que cela aurait une incidence sur l’organisation de la fonction publique, l’attribution de fonctions aux postes et aux personnes employées au sein de celle‑ci et leur classification.

[115]  Le défendeur a mis particulièrement l’accent sur l’interprétation de la CRTFP de l’al. 150(1)b) de la Loi, qui était sensiblement similaire à l’interdiction énoncée à l’al. 238.19b) limitant le contenu de la convention collective touchant les membres de la GRC.

[116]  Dans AJJ, la CRTFP a souligné que l’utilisation de l’expression « directement ou indirectement » figurant au paragraphe 150(1) exige une interprétation large de la disposition pertinente. Le défendeur a souligné les conclusions suivantes de la CRTFP, au paragraphe 28 :

28 Si le libellé de la loi établit clairement l’intention du législateur, je ne peux faire fi de cette intention. En l’espèce, les dispositions législatives ne sont pas ambiguës. Le paragraphe 150(1) de la Loi établit clairement ce qu’une décision arbitrale peut englober. Tout d’abord, une décision arbitrale ne peut « avoir pour effet direct ou indirect » de modifier, supprimer ou établir une condition d’emploi dans certaines circonstances. Ce libellé est très général et si le législateur avait voulu limiter la portée des exclusions, il n’aurait pas utilisé le terme « indirect ». […] L’alinéa 150(1)b) n’est pas non plus ambigu. La décision arbitrale ne peut avoir pour effet direct ou indirect d’établir une nouvelle condition d’emploi si cette condition « a été ou pourrait être établie » sous le régime de la LEFP ou de la LPFP (la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État n’est pas pertinente en l’espèce). L’agent négociateur prétend qu’une incohérence véritable ou fondamentale entre la condition et la loi pertinente était nécessaire. L’interprétation ordinaire de la disposition établit qu’il suffit de démontrer que la condition a été ou pourrait être établie sous le régime de l’une des lois mentionnées. […]

[Je mets en évidence]

[117]  Je ne remets pas en question la pertinence de la décision de la CRTFP dans AJJ ni sa conclusion selon laquelle le par. 150(1) est interprété largement. Toutefois, il est important de fonder la conclusion de la CRTFP dans AJJ sur les faits de ce cas.

[118]  Les deux premières propositions dans AJJ que la CRTFP a supprimé du mandat d’un conseil d’arbitrage à la suite de son interprétation de l’al. 150(1)b) (au paragraphe 52) sont les suivantes :

52 La proposition est la suivante :

19.01 Chaque employé faisant partie de l’unité de négociation aura le droit de recevoir un avis raisonnable de toute vacance de poste et de participer à tout concours concernant un poste d’employé dans l’unité de négociation.

19.02 L’employeur consulte l’AJJ au sujet des règles applicables aux postes à pourvoir.

[119]  Une autre proposition que la CRTFP a rejetée en application de l’al. 150(1)b) aurait dicté le taux de rémunération et la promotion des employés en fonction des années d’expérience.

[120]  À mon avis, ces dispositions sont très différentes de celles en litige en l’espèce. La première proposition dans AJJ (19.01) aurait touché le processus d’annoncer les postes vacants. Cela relève clairement de la responsabilité de la CFP. La deuxième (19.02) aurait engagé l’agent négociateur dans des discussions sur les règles régissant la dotation des postes vacants et, comme l’a indiqué la CRTFP, nuirait aux processus de consultation déjà prévus dans la LEFP. La proposition concernant la promotion portait directement sur la façon dont les années d’expérience se rapporteraient au processus de nomination.

[121]  Il ne semble pas que, dans AJJ, la CRTFP ait été saisie d’un argument selon lequel ces dispositions étaient visées par les alinéas 150(1)b) et e), dont le deuxième est équivalent au sous‑alinéa 238.22(1)c)(i) en ce qui concerne l’organisation de la fonction publique, l’affectation des fonctions et la classification des postes.

[122]  En résumé, je conclus que la décision AJJ peut être distinguée au motif qu’elle concernait des dispositions de convention collective entièrement différentes.

[123]  Le défendeur a également soutenu que son interprétation large de l’al. 238.19b) est appuyée par la décision de la Cour d’appel du Québec (CAQ) dans Procureur général du Canada c. Union of Canadian Correctional Officers ‑ Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (UCCO‑SACC‑CSN), 2019 QCCA 979 (« UCCO‑SACC‑CSN »). Dans ce cas, l’agent négociateur a contesté la validité constitutionnelle de l’art. 113 de la Loi, qui établit les mêmes restrictions relatives au contenu d’une convention collective (pour les employés de la fonction publique) que celles figurant à l’art. 238.19. Une Cour supérieure du Québec a conclu que l’al. 133b) était inconstitutionnel; la CAQ a annulé cette conclusion.

[124]  Dans le cadre de son analyse, la CAQ a indiqué que, « […] en raison du cadre législatif […] ni la dotation ni le régime de retraite ne peuvent faire l’objet de dispositions dans la convention collective » (au paragraphe 11). Au paragraphe 24, elle a cité une définition générale de la dotation, « […] regroupant l’ensemble des actes administratifs qui sont posés pour combler un poste vacant dans une unité administrative. […] [y compris] la sélection, le placement, le perfectionnement et la mobilité des employés. » Elle a également fait remarquer, au paragraphe 31, que « […] l’interdiction complète de négocier sur la dotation et le régime de retraite est en place depuis 1967 […] » (l’entrée en vigueur de la négociation collective pour la fonction publique fédérale). La CAQ a retenu l’argument du Conseil du Trésor selon lequel la restriction énoncée dans la Loi tient compte d’une réalité constitutionnelle fondamentale selon laquelle, à titre d’employeur, il ne peut pas modifier une loi fédérale au moyen d’une convention collective.

[125]  Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la CAQ a accordé une interprétation large à la définition de « dotation ». Son traitement du principe pourrait mener à la conclusion selon laquelle la question en litige en l’espèce concerne la dotation et, par conséquent, est interdite par l’al. 238.19b). Cependant, la CAQ devait accomplir une tâche très différente. Elle devait décider si l’al. 113b) était constitutionnel, à un niveau général. Elle n’était pas saisie d’un libellé précis de la proposition, comme il en est habituellement ainsi pour la Commission lorsqu’elle établit le mandat d’un conseil d’arbitrage, comme dans AJJ, ou lorsqu’elle détermine si une disposition particulière d’une convention collective est assujettie aux dispositions de la Loi relatives au gel, comme dans AFPC – Professeurs de langue 2 ou dans IPFPC.

[126]  La FPN a fait remarquer que la CAQ a également déclaré (au paragraphe 44) que l’objectif d’exclure la dotation de la négociation collective est « […] d’assurer la pérennité du principe du mérite […] ». Plus loin, au paragraphe 59, elle définit le principe du mérite comme englobant la neutralité politique. Elle a finalement conclu que l’al. 113b), même s’il porte atteinte à la liberté d’association, est justifié en vertu de l’art. 1 de la Charte.

[127]  La FPN a également indiqué que la définition de « dotation » énoncée par la CAQ s’appliquait à des questions comme le perfectionnement, un sujet abordé dans presque toutes les conventions collectives de la fonction publique fédérale, et la mobilité, qui est visée par les dispositions d’une convention collective négociée sous les auspices du Conseil national mixte.

[128]  La question préliminaire en litige en l’espèce est très différente de la question dont était saisie la CAQ. Au lieu d’examiner les objectifs plus généraux de l’art. 238.19 et la dotation dans le secteur public, la question précise en l’espèce, telle qu’elle a été présentée par les parties, consiste à savoir si une interdiction de nommer ou d’affecter un employé de la fonction publique à l’exercice de fonctions qui étaient accomplies à l’époque par des membres réguliers de la GRC constituerait une disposition qui, directement ou indirectement, modifie, élimine ou établit une condition d’emploi qui a été ou pourrait être établie sous le régime de la LEFP.

[129]  Je fais remarquer que la CAQ a déclaré que l’objectif principal de soustraire la LEFP de la négociation collective est de protéger le principe de mérite et le principe associé à la neutralité politique.

[130]  Les questions relatives à la négociation collective soulevées dans la présente plainte concernant le gel n’empiètent pas sur l’application du principe du mérite ou de la neutralité politique, tels qu’ils sont énoncés dans la LEFP. Comme l’a souligné la FPN, elle ne se soucie pas de savoir qui est nommé aux postes de la fonction publique créés par l’employeur; elle a contesté la création des postes en premier lieu.

[131]  Aucune des dispositions de la LEFP invoquées par le défendeur ne m’a convaincu que la CFP a un rôle à jouer dans l’organisation de la fonction publique, dans la décision des employés qui accompliront les tâches ou dans la classification du travail des employés de la fonction publique. La jurisprudence invoquée confirme ma conclusion selon laquelle ces pouvoirs sont conférés au Conseil du Trésor et que le législateur a décidé de séparer clairement les pouvoirs conférés au Conseil du Trésor (dans la LGFP) de ceux conférés à la CFP (dans la LEFP).

D.  Conclusion

[132]  Le défendeur a fait valoir que toute disposition dans la convention collective limitant l’exercice des fonctions d’instruction des cadets aux membres réguliers aurait, en fin de compte, une incidence sur la LEFP parce que, selon l’effet en aval d’une telle disposition, l’administrateur général ne pourrait pas demander à la CFP de procéder à une nomination.

[133]  Il est vrai qu’une disposition qui limite l’instruction des cadets aux membres réguliers signifierait que la CFP ne pourrait pas procéder à une nomination qu’on lui aurait demandé par ailleurs d’effectuer.

[134]  Cela ne signifie pas qu’une telle disposition empiète sur le rôle de la CFP ou qu’elle y nuit, ni qu’une condition d’emploi a été ou pourrait être établie sous le régime de la LEFP.

[135]  La contrainte imposée à l’employeur à l’égard d’une telle disposition est imposée à l’administrateur général, ce qui se produit bien avant que la participation de la CFP et l’application de la LEFP ne soient déclenchées. Je ne peux pas conclure logiquement que l’effet en aval, sous la forme selon laquelle l’administrateur général ne demande pas de procéder à une nomination en vertu de la LEFP, signifie que la disposition va à l’encontre de l’al. 238.19b). De plus, je n’estime pas que la décision de la CRTFP dans AJJ ou la décision de la CAQ dans UCCO‑SACC‑CSN permettent de parvenir à cette conclusion.

[136]  Pour terminer, je conclus que la Loi n’empêche pas les parties d’inclure volontairement dans une convention collective une disposition qui aurait pour effet de s’assurer que seuls les membres réguliers de la GRC exercent certaines fonctions d’instruction à l’égard des cadets.

[137]  En dernier ressort, à la lumière de l’al. 238.22(1)c), la façon dont la FPN pourrait obtenir le genre de clause qu’elle cherche à obtenir, à la lumière du refus de l’employeur d’en accepter une volontairement, n’est pas évidente, étant donné que la seule façon qu’elle peut régler une impasse dans les négociations consiste à présenter la question à un conseil d’arbitrage. Toutefois, mon rôle n’est pas de prédire la façon dont le processus de négociation collective pourrait se dérouler. La question dont je suis saisi consiste à savoir si la Loi empêche les parties d’accepter volontairement une telle condition. Conformément aux motifs exposés plus tôt dans la présente décision, je conclus qu’elle ne l’empêche pas.

[138]  L’intervenante a demandé que j’examine ses arguments fondés sur la Charte si je conclus qu’il existe une ambiguïté dans l’interprétation de l’art. 238.19 dans cette affaire. J’ai conclu que cet examen n’est pas nécessaire. Essentiellement, il n’y a eu aucun débat dans la jurisprudence vers laquelle j’ai été orienté qui a laissé entendre que les parties ne peuvent pas accepter volontairement le genre de libellé dans une convention collective en litige en l’espèce.

[139]  Je tiens à souligner que la présente décision ne signifie pas que la plainte est accueillie. Elle signifie seulement que la Commission instruira la plainte sur le fond, étant entendu que les parties et l’intervenante peuvent présenter d’autres éléments de preuve et d’autres arguments à l’égard de la question de savoir si le défendeur a violé l’art. 56 de la Loi.

[140]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V.  Ordonnance

[141]  La réponse à la question préliminaire est négative.

[142]  L’affaire sera inscrite au calendrier.

Le 19 novembre 2020.

Traduction de la CRTESPF

David Orfald,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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