Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé avait soulevé des allégations de discrimination fondée sur la race et la couleur de la part de son superviseur – l’employeur l’a licencié avec préavis ou paiement tenant lieu de préavis – il a contesté son licenciement au motif qu’il était discriminatoire – il n’a pas maintenu sa prétention voulant que l’employeur n’était pas en droit de le licencier avec préavis ou paiement tenant lieu de préavis – la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas présenté une preuve prima facie que sa race et sa couleur avaient été un facteur dans les échanges que son superviseur a eus avec lui – la Commission a aussi conclu que, même si, dans les circonstances, l’employeur n’était pas tenu d’enquêter sur les allégations du fonctionnaire s’estimant lésé, l’enquête que l’employeur avait menée était suffisamment approfondie et raisonnable – le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que son licenciement constituait des représailles en raison des allégations qu’il avait soulevées concernant son superviseur - la Commission a conclu que le fonctionnaire avait présenté une preuve prima facie à cet égard – cependant, l’employeur a réfuté cette allégation.

Grief rejeté.

Contenu de la décision


MOTIFS DE DÉCISION

TRADUCTION DE LA CRTESPF

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Darshan Singh est membre d’une minorité visible. En 2015, il occupait le poste de directeur de la Direction des ressources humaines du Sénat du Canada (le « Sénat »). Le 3 décembre 2015, le Sénat l’a informé que son emploi avait pris fin. Il a allégué que le Sénat avait agi injustement et qu’il a fait preuve de discrimination à son endroit du fait de sa race. La lettre de congédiement se lit comme suit :

[Traduction]

Le 2 décembre 2015

M. Darshan Singh

Édifice Chambers, 13e étage

EN MAINS PROPRES

Darshan,

Je regrette de vous informer que le Sénat du Canada a décidé de mettre fin à votre emploi, à compter d’aujourd’hui.

La raison de cette décision est la rupture du lien de confiance qui est essentiel à la viabilité de votre relation de travail. La perte de confiance du Sénat à votre égard est principalement le résultat de votre attitude et de votre comportement à l’égard de la dirigeante principale des services corporatifs, dont vous releviez depuis janvier 2015.

Entre autres, vous avez fait de graves allégations d’inconduite à l’endroit de votre supérieure, y compris le fait qu’elle a trompé les sénateurs. Vous avez accusé la DPSC de se livrer à des agissements déplacés envers vous et de faire de la « microgestion » pour ce qui est de votre rendement. Vous êtes même allé jusqu’à remettre en question sa compétence en matière de questions relevant de son autorité, en sa présence et celle d’autres membres du Comité exécutif.

Le Sénat considère que votre attitude et votre comportement témoignent de votre incapacité ou votre refus d’accepter le pouvoir de supervision de la DPSC. Bien que le problème ait été mis en évidence récemment par votre initiative pour faire retirer à la DPSC la Direction des RH, l’examen du Sénat a révélé que vos problèmes d’attitude et de comportement sont de longue date. En fait, il semble que les problèmes aient commencé à l’époque où la DPSC enquêtait sur l’établissement de vos conditions d’emploi au Sénat, ce qui, au bout du compte, a entraîné l’imposition d’une mesure disciplinaire contre vous.

Compte tenu de votre attitude et de votre comportement envers votre supérieure, le Sénat ne peut tout simplement pas garder confiance en vous et ne peut plus maintenir votre emploi.

Si vous croyez que le congédiement est fondé sur de la discrimination ou que vous aviez l’intention de faire valoir cet argument, comme vous l’avez fait récemment en ce qui concerne la DPSC, je vous assure que ce n’est pas le cas. La décision du Sénat est le résultat d’une évaluation de votre comportement et de votre attitude depuis le printemps 2015 et de l’effet cumulatif de vos agissements.

Bien que la décision du Sénat soit fondée sur les motifs susmentionnés, le Sénat a décidé de ne pas s’appuyer sur ces motifs pour mettre fin à votre emploi. Par conséquent, compte tenu de la cessation de votre emploi sans motif valable, le Sénat est disposé à vous fournir les indemnités de congédiement suivantes, sous réserve de la signature d’un procès-verbal de règlement et d’une quittance mutuellement acceptables :

. indemnité tenant lieu d’avis de congédiement, équivalant à trois mois de salaire, moins la déduction exigée par la loi;

. des services de consultation aux fins du replacement, pour une période de trois mois;

. une lettre de recommandation pour vous aider à trouver un autre emploi.

Veuillez obtenir les conseils professionnels que vous jugez nécessaires et me faire savoir au plus tard le 16 décembre 2015 si vous acceptez l’offre du Sénat, en me retournant une copie de la présente lettre dûment signée ci-dessous. Je regrette que cette décision soit devenue nécessaire et je vous souhaite la meilleure des chances dans vos projets.

Charles Robert

Greffier du Sénat et des Parlements.

[...]

 

[2] Le 17 décembre 2015, conformément à l’art. 62 de la Loi sur les relations de travail au Parlement (L.R.C. (1985), ch. 33 (2e suppl.); LRTP), M. Singh a déposé un grief auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (tel était alors son titre) contre la décision du Sénat de mettre fin à son emploi. Le grief se lit comme suit (pièce G-1, onglet 5) :

[Traduction]

Je conteste le congédiement non justifié le 2 décembre 2015 ainsi que d’autres agissements qui ont conduit à mon licenciement, que je considère comme illégal et discriminatoire, contrairement aux articles 7, 10 et 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Plus précisément, j’ai soulevé mon exclusion des réunions, certaines mesures de dotation et le fait d’avoir été soumis à un examen plus approfondi en tant que traitement défavorable fondé sur la race, la couleur, l’origine nationale ou ethnique, étant donné que j’étais le seul directeur à être traité de cette façon et le premier cadre supérieur issu d’une minorité visible au Sénat. L’employeur n’a pas enquêté sur mes allégations de discrimination et a plutôt mis fin à mon emploi peu de temps par la suite.

[3] Dans son grief, M. Singh a demandé ce qui suit à titre de mesure corrective :

1) qu’il soit réintégré dans son poste, rétroactivement à la date du congédiement;

2) qu’il soit indemnisé intégralement;

3) qu’il reçoive une indemnité de 40 000 $ en vertu de l’art. 53 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; LCDP);

4) qu’il reçoive des intérêts sur l’indemnisation accordée en vertu de la LCDP.

 

[4] Par la suite, M. Singh a également fait valoir qu’après le congédiement, le Sénat a divulgué des renseignements ou n’a pas pris les mesures nécessaires pour corriger les faux renseignements et les rumeurs à son sujet. Par conséquent, il demande des dommages-intérêts supplémentaires pour perte de réputation, souffrance morale et atteinte à sa dignité, qui seront détaillés plus loin dans la présente décision.

[5] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 65) pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») et la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral.

[6] À l’origine, cette affaire devait être entendue en 2017 devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »). L’audience initiale s’est terminée en décembre 2017. Malheureusement, le commissaire chargé de l’affaire est décédé en mai 2019, avant qu’une décision ne soit rendue. En juillet 2019, avec l’accord des parties, une audience de novo a été fixée pour les deux premières semaines de février et la première semaine de mars 2020.

[7] L’audience a duré 12 jours. Les parties ont convenu que M. Singh serait le premier à témoigner. Les témoins étaient exclus.

[8] M. Singh a longuement témoigné. Il en est de même du premier témoin du Sénat, Nicole Proulx, qui, au congédiement de M. Singh, était la dirigeante principale des services corporatifs du Sénat et la supérieure immédiate de M. Singh. Jules Pleau; Michel Patrice, légiste et conseiller parlementaire; et le sénateur Leo Housakos ont aussi témoigné pour le Sénat. Tous les témoins ont fait l’objet d’un contre‑interrogatoire rigoureux.

[9] Étant donné que le traitement inéquitable et la discrimination dont aurait fait l’objet M. Singh se sont déroulés dans des situations différentes, j’ai essayé de les couvrir toutes de façon approfondie, comme elles ont été présentées par les témoins, en gardant à l’esprit que, bien que chaque situation ne permette pas d’établir l’existence de discrimination à elle seule, l’accumulation de comportements douteux pourrait certainement démontrer un modèle de pratiques discriminatoires. J’ai également fait état des faits dans l’ordre dans lequel les témoins les ont présentés, ce qui n’est pas nécessairement l’ordre chronologique.

II. Exposé introductif

A. Pour M. Singh

[10] M. Singh est membre d’une minorité visible. Au moment du congédiement, il occupait un poste classifié SEG-02 dans le système de classification du Sénat, ce qui équivaut à la classification EX-02 dans la fonction publique.

[11] En décembre 2015, le Sénat a décidé de mettre fin à l’emploi de M. Singh une semaine seulement après qu’il eut fait part de ses préoccupations à Mme Proulx au sujet des actions de cette dernière. M. Singh a soutenu que dans cette décision, le Sénat a agi de mauvaise foi et a fait preuve de discrimination à son égard, contrairement aux articles 7, 10 et 14 de la LCDP. Les art. 7, 10 et 14.1 de la LCDP se lisent comme suit :

7 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

[...]

10 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.

[...]

14.1 Constitue un acte discriminatoire le fait, pour la personne visée par une plainte déposée au titre de la partie III, ou pour celle qui agit en son nom, d’exercer ou de menacer d’exercer des représailles contre le plaignant ou la victime présumée.

 

[12] M. Singh a également fait remarquer qu’après le congédiement, le Sénat a contribué, par son comportement, à de nombreuses rumeurs et spéculations infondées dans les médias à son sujet, ce qui a sérieusement nui à sa réputation personnelle et professionnelle.

[13] M. Singh a insisté sur le fait qu’il était le premier employé du Sénat membre d’un groupe de minorité visible au niveau de la direction et qu’à l’audience, il était le seul.

[14] M. Singh a déclaré que la preuve montrerait qu’il était une étoile montante et qu’il a obtenu un poste de direction avant l’âge de 40 ans. Malheureusement, les agissements injustes et discriminatoires des représentants du Sénat ont mis fin à ses aspirations après qu’il s’est plaint du comportement discriminatoire de sa superviseure et qu’on lui a dit que l’affaire ferait l’objet d’une enquête. Il a indiqué qu’aucune enquête réelle n’avait eu lieu et que le Sénat avait décidé arbitrairement de mettre fin à son emploi.

[15] M. Singh a également déclaré qu’il ne contestait plus le droit de l’employeur de mettre fin à son emploi sans motif valable, mais a néanmoins soutenu que la décision de l’employeur était manifestement fausse et discriminatoire et qu’elle violait les art. 7, 10 et 14 de la LCDP.

B. Pour le Sénat

[16] Le Sénat a allégué qu’il s’agit essentiellement du cas d’un employé qui n’a pas accepté l’autorité de sa superviseure. Il a déclaré que les employés doivent respecter leurs superviseurs. M. Singh devait accepter l’autorité de Mme Proulx et ne pouvait l’accuser d’avoir commis des actes répréhensibles alors qu’elle n’en avait commis aucun. Le Sénat a indiqué que M. Singh a été congédié parce qu’il refusait de reconnaître l’autorité de Mme Proulx et parce qu’il avait formulé des accusations non fondées contre elle.

[17] Le Sénat a déclaré que M. Singh s’était joint au Sénat à la fin d’octobre 2013 dans le cadre d’une affectation d’Échanges Canada. Il relevait du greffier du Sénat, Gary O’Brien. À l’époque, l’organisation de M. O’Brien était très horizontale. Il avait 12 subordonnés directs, dont Charles Robert, M. Patrice, et Mme Proulx, dirigeante principale des finances et directrice des Finances et de l’approvisionnement à l’époque, ainsi que M. Singh, directeur des Ressources humaines (pièce E-1, onglet 1).

[18] À la fin de 2014, la situation a changé avec l’annonce de la retraite de M. O’Brien. En 2015, le rôle de greffier a été assumé par un comité exécutif composé des dirigeants de chacun des trois secteurs. M. Robert est devenu greffier du Sénat et greffier des Parlements (dirigeant principal des services législatifs), M. Patrice est devenu légiste et conseiller parlementaire, et Mme Proulx est devenue dirigeante principale des services corporatifs. Ces trois membres ont constitué le Comité exécutif. Par conséquent, en février 2015, la Direction des ressources humaines, dont M. Singh était le directeur, relevait de Mme Proulx (pièce E-1, onglets 1 et 2).

[19] Le Sénat a laissé entendre qu’au départ, M. Singh et Mme Proulx entretenaient de bonnes relations. Mais la situation a commencé à se détériorer après sa nomination au poste de directeur des Ressources humaines du Sénat à la fin de son affectation à Échanges Canada.

[20] Le Sénat a indiqué qu’un employé a déposé un grief après qu’un avis d’intention de nommer M. Singh directeur des Ressources humaines a été déposé et que Mme Proulx a dû enquêter sur la question. Tout en recueillant les faits au sujet de ce grief, elle a découvert que M. Singh avait lui-même préparé sa lettre d’offre à titre de directeur des Ressources humaines et que, ce faisant, il avait enfreint les règles et les normes de conduite du Sénat. Il a alors été sanctionné par une lettre de réprimande.

[21] Selon le Sénat, même si Mme Proulx était prête à donner une autre chance à M. Singh, leur relation est devenue plus difficile. Il a soutenu que M. Singh avait commencé à la rabaisser. Il a contesté son autorité en matière de ressources humaines et l’a accusée de l’avoir assujetti à une microgestion, même si elle exerçait simplement son pouvoir de dirigeante principale des services corporatifs.

[22] Le Sénat a indiqué que la preuve montrerait que M. O’Brien et Mme Proulx avaient des styles de gestion différents en ce sens que celui de M. O’Brien était moins interventionniste.

[23] Selon le Sénat, Mme Proulx voulait être plus active que son prédécesseur, ce que M. Singh n’a tout simplement pas accepté. En fin de compte, il lui a envoyé un courriel le 24 novembre 2015 (le « courriel du 24 novembre »). Il y affirmait avoir été victime de discrimination raciale parce qu’il n’était plus invité aux réunions du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration (le « Comité permanent ») et de son Comité directeur (le « Comité directeur »). Entre autres choses, il affirmait également que Mme Proulx avait refusé de fournir des renseignements aux sénateurs. Le Sénat a insisté sur le fait que ces allégations étaient tout simplement sans fondement et que Mme Proulx n’avait même pas pris part à certaines des décisions en cause dans le courriel.

[24] Le Sénat a déclaré qu’à la suite du courriel du 24 novembre, M. Robert et M. Patrice ont rencontré M. Singh. La décision de mettre fin à son emploi a été prise peu après par les trois sénateurs qui composaient le Comité directeur. Mme Proulx n’a pas participé à cette décision.

[25] Le Sénat a nié toute discrimination et a soutenu que les prétentions à cet égard ne suffisaient pas. Il a également déclaré que cette affaire ne porte pas sur les données, mais sur le pouvoir du Sénat de mettre fin à l’emploi de M. Singh pour ses agissements.

III. Résumé de la preuve

A. Pour M. Singh

[26] Dans son témoignage, M. Singh a mentionné des occasions précises où selon lui Mme Proulx avait agi de façon injuste et discriminatoire à son égard en raison de son origine ethnique. Il est important de noter d’emblée que, dans le courriel du 24 novembre, il lui a imputé les actes discriminatoires allégués et a déclaré qu’il ne pensait pas que les deux autres membres du Comité exécutif l’avaient traité différemment (pièce G-1, onglet 1, page 2).

1. Le contexte d’emploi de M. Singh et son arrivée au Sénat

[27] M. Singh a commencé son témoignage en revenant sur ses réalisations professionnelles avant de se joindre au Sénat (pièce G-2, onglet 1).

[28] Il a expliqué qu’il est devenu passionné des ressources humaines après avoir été conseiller en ressources humaines à l’Agence du revenu du Canada et, plus tard, conseiller en dotation classifié PE-05 à la Commission de la fonction publique. M. Singh a fait remarquer qu’il avait participé probablement à 300 processus de dotation visant les cadres. Par la suite, alors qu’il était classifié PE-06 à l’ancienne Agence de la fonction publique du Canada, il a donné des conseils en vue de pourvoir des postes de sous-ministre adjoint classifiés EX-04 et EX-05. Le client était le sous-ministre d’un ministère avec lequel il travaillait en étroite collaboration.

[29] En octobre 2009, le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile l’a approché pour devenir gestionnaire des opérations de ressourcement, toujours au groupe et niveau PE-06. M. Singh a noté qu’il était très heureux de cette affectation puisqu’elle lui donnait plus de responsabilités, comme en matière de rémunération et de classification. Il a expliqué qu’il était ambitieux et qu’il [traduction] « voulait élargir [son] CV ».

[30] En 2011, M. Singh s’est joint à l’École de la fonction publique du Canada (l’« École »), où il est devenu directeur des Stratégies en ressources humaines et du ressourcement ministériel, classifié aux groupe et niveau EX-01. Il a déclaré qu’il avait quitté l’École après un important exercice réaménagement des effectifs de l’organisation. Il a indiqué qu’il avait alors dû laisser partir 250 employés et qu’il avait traité directement avec le président de l’École. M. Singh a déclaré qu’à ce moment-là, il a décidé qu’il était temps de partir.

[31] En juillet 2013, il a présenté une demande d’affectation au Sénat (pièce G-2, onglet 1). Il a fait remarquer qu’à ce moment-là, il croyait que travailler pour un employeur à l’extérieur de l’administration publique centrale de la fonction publique, comme le Sénat, serait un bon ajout à son CV. Il a ajouté qu’à son arrivée au Sénat, il détenait deux diplômes de l’Université d’Ottawa et possédait une vaste expérience en ressources humaines.

[32] M. Singh a déclaré qu’il a passé une entrevue pour le poste de directeur des Ressources humaines au Sénat. Le jury de sélection était alors composé de Marc Audcent, légiste et conseiller parlementaire; de Mme Proulx, directrice des Finances du Sénat à l’époque et de Jane Hardy, une consultante. M. Singh a également dû subir un test de profil de compétence d’une journée administré par le groupe André Filion et Associés (pièce G-2, onglet 2). Les conclusions de l’évaluation dans le rapport du groupe Filion (le « rapport Filion ») d’août 2013 étaient positives.

[33] En septembre 2013, le jury de sélection a décidé que M. Singh avait les compétences nécessaires pour devenir directeur des Ressources humaines au Sénat et a recommandé, à titre d’étape suivante, qu’il rencontre le greffier du Sénat qui était à ce moment-là M. O’Brien, lequel relevait du Président du Sénat de l’époque, le sénateur Pierre-Claude Nolin. Les vérifications des références de M. Singh étaient également positives. Toutefois, je note que dans ses observations, l’ancien superviseur de M. Singh, M. Dorion, a souligné que M. Singh ne devrait pas faire l’objet d’une microgestion; la direction devrait plutôt [traduction] « lui faire confiance et lui donner les moyens d’agir » (pièce G-2, onglet 4).

[34] M. Singh a expliqué que puisqu’il était employé de la fonction publique, il est venu travailler au Sénat au moyen d’une affectation d’Échanges Canada. Cela signifiait que même s’il travaillait au Sénat, il restait employé de l’École. Il a commencé un mandat d’un an au Sénat le 31 octobre 2013, dans un poste classifié SEG-02 (pièce G-2, onglet 6).

[35] M. Singh a expliqué que le système de classification unique au Sénat passe de SEG-01 à SEG-10 et qu’un SEG-02 équivaut à un EX-02 dans la fonction publique, pour ce qui est des fonctions et des responsabilités. Cependant, pendant son affectation au Sénat, l’École a continué de payer son salaire, sa rémunération au rendement et ses avantages sociaux au taux d’un EX-01. L’École a été remboursée au groupe et au niveau EX-01 selon les modalités de l’affectation d’Échanges Canada (pièce G-2, onglet 5).

[36] M. Singh a mentionné qu’en tant que directeur des Ressources humaines du Sénat, il était responsable de l’ensemble des fonctions liées aux ressources humaines. De 20 à 25 employés relevaient de lui, dont trois gestionnaires directs : un pour les questions de gestion des ressources humaines; un pour les activités relatives aux ressources humaines, les langues officielles et la diversité, sous la direction de l’une de ses anciennes clientes, Angela Vanikiotis, et un pour les services aux sénateurs.

[37] M. Singh a dit que lorsqu’il s’est joint au Sénat, il relevait du greffier du Sénat, M. O’Brien, avec qui il entretenait une excellente relation. M. Singh a expliqué que M. O’Brien, qui avait créé une organisation très horizontale, n’a que très peu participé au travail de M. Singh. Selon lui, M. O’Brien lui faisait confiance; ce dernier lui avait dit au début de son affectation de s’occuper de son secteur et de ne le consulter que lorsqu’une question pouvait concerner ou toucher les sénateurs.

[38] À propos de Mme Proulx, qui était directrice des Finances et de l’approvisionnement et dirigeante principale des finances à son arrivée, M. Singh a indiqué qu’elle était une collègue responsable de la Direction des finances et de l’approvisionnement et qu’elle était classée SEG-03, alors qu’il était classé SEG‑02.

[39] Il a expliqué qu’alors, M. O’Brien a désigné Mme Proulx pour qu’elle agisse comme mentor auprès de lui. Elle a exercé ce rôle pendant seulement quelques mois parce que, selon M. Singh, elle était occupée. M. Singh a déclaré que son secteur [traduction] « subissait beaucoup de tension ».

[40] M. Singh a expliqué que lui-même et Mme Proulx assistaient souvent, voire quotidiennement, à de nombreuses réunions ensemble, parce que la Direction des ressources humaines et celle des finances et de l’approvisionnement devaient collaborer. Il a déclaré qu’ils s’entendaient très bien.

[41] M. Singh a expliqué qu’une partie de son travail et de celui de Mme Proulx consistait à assister aux réunions du Comité permanent. La présidence du Comité permanent était assurée par le Président du Sénat, le sénateur Nolin, et 15 sénateurs en faisaient partie à titre de membres. Il se réunissait tous les jeudis lorsque le Sénat siégeait. À l’époque où M. O’Brien était encore greffier du Sénat, tous les directeurs étaient invités à assister à ces réunions.

[42] Le Comité directeur était composé de trois sénateurs. Il se réunissait tous les mardis soirs. Son rôle consistait à effectuer des transactions administratives courantes et à préparer la réunion du Comité permanent qui se tenait le jeudi suivant. Contrairement au Comité permanent, tous les directeurs n’étaient pas invités à assister à ses réunions. Ils ne pouvaient y assister que sur invitation des sénateurs, à l’exception du directeur des Ressources humaines et de la directrice des Finances et du légiste, lesquels devaient assister à toutes les réunions.

[43] M. Singh a expliqué que sa première année au Sénat s’était très bien déroulée. Il a reçu son évaluation du rendement en juillet 2014 pour la période couvrant l’exercice 2013-2014 (pièce G-2, onglet 7).

[44] En août 2014, M. O’Brien a offert de prolonger de six mois l’affectation d’Échanges Canada qui devait se terminer en octobre 2014 (pièce E-1, onglet 3). M. Singh a expliqué qu’il l’avait fait pour permettre à M. O’Brien de gérer un processus de dotation pour une période indéterminée pour le poste de directeur des Ressources humaines.

[45] M. Singh a expliqué que le processus de dotation pour ce poste n’a jamais eu lieu. En novembre 2014, M. O’Brien a annoncé sa retraite, ce qui signifie qu’aucun processus de dotation n’avait été lancé. De plus, de décembre 2014 à février 2015, lorsqu’il a pris sa retraite, M. O’Brien n’était presque jamais au bureau.

[46] M. Singh a déclaré qu’en janvier 2015, il a été appelé au bureau du Président du Sénat, le sénateur Nolin, qui lui a dit qu’avec la retraite de M. O’Brien, il voulait apporter des changements à la structure administrative du Sénat. Entre autres, il voulait qu’une personne dirige l’aspect législatif et qu’une autre personne soit responsable des affaires corporatives et de la sécurité. M. Singh a indiqué que, puisque le Président lui a demandé de garder les choses confidentielles, il a cherché lui-même un modèle approprié.

[47] M. Singh a déclaré qu’en janvier 2015, il a été appelé au bureau de M. Pleau, le chef de cabinet du Président. Selon M. Singh, M. Pleau a clairement parlé au nom du Président Nolin et lui a dit qu’ils avaient décidé d’aller de l’avant avec la nouvelle structure du Comité exécutif, lequel serait composé de trois dirigeants de secteurs : le dirigeant principal des services législatifs, le légiste et conseiller parlementaire, et le dirigeant principal des services corporatifs.

[48] Selon M. Singh, les postes de dirigeant principal des services législatifs et de légiste et conseiller parlementaire étaient déjà classés comme équivalents à EX-05, et M. Pleau a insisté pour que le poste de dirigeant principal des services corporatifs soit au même niveau, même si la norme de classification Hay exigeait un équivalent EX-04. En février 2015, les trois postes principaux ont été classés au niveau équivalant à celui d’EX-05.

2. Lettre d’offre de M. Singh

[49] M. Singh a déclaré que peu de temps après sa rencontre de janvier 2015 avec M. Pleau, il a été de nouveau appelé au bureau de ce dernier. M. Singh a indiqué que M. Pleau avait appris qu’il était toujours en affectation à Échanges Canada et non pas un employé permanent du Sénat. Selon M. Singh, M. Pleau n’était pas satisfait de cette situation puisqu’il jugeait inapproprié qu’un intervenant qui n’était pas un employé permanent du Sénat travaille sur des dossiers de haut niveau.

[50] M. Singh a indiqué que M. Pleau lui a demandé s’il voulait le poste de directeur des Ressources humaines. Après avoir répondu qu’il était intéressé et qu’il n’était rémunéré qu’au groupe et au niveau EX-01, alors que le poste était plus au groupe et au niveau EX-02, M. Singh a déclaré que M. Pleau lui avait demandé de rédiger une lettre d’offre confirmant qu’il était directeur des Ressources humaines et de lui présenter celle-ci avant la fin de la journée. La lettre devait rester confidentielle.

[51] Selon M. Singh, M. Pleau lui a dit de mettre dans la lettre [traduction] « Tout ce que vous voulez ». Dans son témoignage, M. Singh a admis qu’il connaissait l’Énoncé de valeurs et d’éthique du Sénat, le Code de conduite et le Code relatif aux conflits d’intérêts pour les personnes à l’emploi du Sénat. Il a aussi admis qu’on s’attendait à ce qu’il se conforme à ces politiques (pièce E-1, onglets 6, 7 et 8).

[52] M. Singh a déclaré qu’il s’est ensuite rendu à son bureau et a demandé un modèle pour la lettre d’offre. À titre de modèle, il s’est servi d’une formule qui avait été utilisée pour nommer un collègue du Sénat à la Chambre des communes et a inscrit le salaire qu’il jugeait juste, étant donné qu’il exerçait des fonctions de SEG-02 depuis un certain temps, mais qu’il était rémunéré et recevait une rémunération au rendement fondée sur un salaire d’EX-01. Pour ce qui est des pouvoirs de signature, il a ajouté les noms du président Nolin et du greffier O’Brien, puis a envoyé la lettre à M. Pleau, qui n’a eu aucune question à ce sujet (pièce G-2, onglet 9). Toutes les parties l’ont signé le 19 janvier 2015. Comme on le verra plus loin dans la présente décision, la rédaction de la lettre et son contenu sont devenus par la suite un problème pour le Comité exécutif, problème pour lequel M. Singh a fait l’objet d’une mesure disciplinaire.

[53] Lors d’un déjeuner le 22 janvier 2015, le Président Nolin a annoncé la nouvelle structure du Sénat, dirigée par le Comité exécutif et gérée par ses trois dirigeants. M. Robert est devenu greffier du Sénat et greffier des Parlements. M. Patrice, déjà légiste et conseiller parlementaire, est également devenu responsable des Services de la Cité parlementaire. Enfin, Mme Proulx a été nommée dirigeante principale des services corporatifs et est devenue responsable, entre autres, des ressources humaines (pièce G-2, onglet 13). À la même occasion, le Président a également annoncé la nomination de M. Singh au poste de directeur des Ressources humaines. M. Singh relevait de Mme Proulx.

[54] M. Singh a convenu qu’à l’époque, il était satisfait de la nouvelle structure du Sénat et qu’en janvier et février 2015, il avait encore une relation positive avec Mme Proulx (pièce E-1, onglets 14 et 15). Toutefois, il a souligné que son style de gestion différait de celui de M. O’Brien en ce qu’elle intervenait davantage; il a senti qu’il faisait l’objet d’une microgestion.

[55] M. Singh a indiqué qu’il a reçu des félicitations pour sa nomination. M. Robert l’a serré dans ses bras, et M. Patrice était heureux pour lui. Toutefois, la réaction de Mme Proulx n’a pas été aussi agréable. M. Singh a dit qu’elle s’interrogeait sur la façon dont la nomination avait été faite. Selon lui, elle a également dit que le Sénat ne pouvait pas effectuer une nomination de cette façon. Elle n’a jamais fait de déclaration positive sur sa nomination, et sa réaction l’a blessé.

[56] Comme il a été nommé directeur des Ressources humaines le 19 janvier 2015, M. Singh a écrit au président de l’École le 22 janvier 2015 pour lui faire savoir qu’il démissionnait (pièce G-2, onglets 11 et 19). Il a dit qu’à ce moment-là, il avait accumulé un nombre considérable de congés annuels dans la fonction publique, qu’il n’avait jamais eu l’occasion de prendre en raison de sa lourde charge de travail.

3. Avis d’intention de nomination

[57] En janvier 2015, Mme Vanikiotis était directrice des opérations en ressources humaines et des langues officielles et de la diversité à la Direction des ressources humaines. Elle s’occupait précisément des nominations de cadres. M. Singh a déclaré qu’elle lui avait dit que M. Patrice avait dit qu’un avis d’intention de le nommer directeur des Ressources humaines devait être publié.

[58] M. Singh a dit qu’il n’était pas satisfait de l’avis. Selon lui, l’avis n’était pas requis puisque sa nomination avait été effectuée par l’entremise d’un processus externe non annoncé, qui n’est pas sujet à recours (pièce G-1, onglet 14, pages 14 et 15). Il craignait que sa nomination puisse être contestée et que si le grief était accueilli, il ait des ennuis, parce qu’il venait de quitter la fonction publique. Ainsi, il pourrait se retrouver sans emploi.

[59] M. Singh a parlé avec M. Patrice de l’avis, lui a montré la politique connexe et lui a dit que le Sénat devait retirer l’avis. M. Patrice a refusé et a dit que de toute façon, personne n’allait le contester. M. Singh a dit à M. Patrice qu’il ne respectait pas la politique (pièce G-2, onglet 12).

[60] M. Singh a fait remarquer que même si l’avis a été publié en vue de sa nomination, aucun avis n’a été publié pour celle de Mme Proulx, ce qui, à son avis, allait à l’encontre de la politique pertinente du Sénat. Il a de nouveau consulté M. Patrice à ce sujet qui lui a dit qu’il avait décidé de ne pas publier d’avis pour la nomination de Mme Proulx puisqu’il croyait qu’une personne en particulier pourrait le contester. Dans son témoignage, M. Patrice a catégoriquement nié avoir déclaré cela.

[61] Après avoir examiné les courriels connexes (pièce G-2, onglet 10), M. Singh a soutenu que Mme Proulx avait demandé à obtenir l’avis d’intention de le nommer; elle y avait participé.

[62] Comme on le verra plus loin dans la présente décision, l’un des employés de M. Singh a contesté sa nomination.

4. Modifications à la structure administrative du Sénat

[63] M. Singh a déclaré que lorsque le nouveau Comité exécutif a été formé, une série de changements a été annoncée. Par conséquent, certaines personnes ont été mutées. Il s’est plaint du fait que, même s’il était directeur des Ressources humaines, il ne participait pas à ces décisions et n’en prenait connaissance que par la suite. Il a déclaré qu’il avait rencontré les trois membres du Comité exécutif et qu’il avait fait observer que certaines questions relatives aux ressources humaines n’avaient pas été abordées, comme la classification.

[64] Selon M. Singh, les trois membres du Comité exécutif agissaient comme s’ils étaient dans le secteur privé. Il a indiqué que les discussions étaient conflictuelles et qu’il était contrarié par le fait que les processus n’aient pas été suivis lors de la prise de décisions. Il a déclaré que les employés supposaient qu’il participait aux décisions relatives aux ressources humaines. Il a dit qu’il aurait pu embarrasser Mme Proulx, mais qu’il a plutôt décidé de dire aux employés qu’il n’y avait pas participé et de les diriger vers Mme Proulx.

5. Participation aux réunions du Comité permanent et du Comité directeur

[65] M. Singh a déclaré que, le 4 février 2015, tous les directeurs du Sénat ont été informés par courriel qu’ils ne devaient assister aux réunions du Comité permanent et du Comité directeur que si leurs dirigeants respectifs le leur demandaient (pièce G-2, onglet 14). M. Singh a expliqué qu’il s’agissait d’une dérogation à la pratique antérieure, selon laquelle tous les directeurs assistaient aux réunions du Comité permanent et, sur invitation, à celles du Comité directeur. Il a souligné qu’il avait toujours assisté aux réunions du Comité directeur en tant que membre permanent, sans invitation.

[66] M. Singh a indiqué qu’il avait rencontré Mme Proulx à ce sujet et qu’elle lui avait dit qu’il s’agissait de la décision des sénateurs et que celle-ci s’appliquait à lui. Il a dit que toutes les décisions prises par ces comités portent sur les ressources humaines et financières, il se demandait donc qui aborderait ces questions s’il n’était pas présent à leurs réunions. Il a dit qu’elle avait répondu qu’elle s’en chargerait.

[67] M. Singh a demandé à voir le procès-verbal montrant cette décision. Mme Proulx a refusé, ce qui l’a choqué. Il a dit qu’avant le 4 février 2015, il préparait des notes d’information à l’intention de ces comités, devant lesquels il prenait la parole. Il a donné comme exemples trois rapports permanents (sur les langues officielles, la formation et l’équité en matière d’emploi) qu’il a préparés et a présentés chaque année aux comités. Il ne savait pas s’ils avaient été présentés après février 2015.

[68] En contre-interrogatoire, M. Singh a indiqué qu’il a porté cette question à l’attention du Comité exécutif, qui n’a pas expliqué la décision des sénateurs. Il a déclaré qu’il ne se rappelait pas que Mme Proulx avait fourni les motifs de la décision, contrairement à ce qui est consigné dans les notes de cette dernière (pièce G-2, onglet 29, page 2).

[69] À la suite de cette décision, M. Singh a mentionné qu’entre février et juillet 2015, il a probablement assisté à quatre ou cinq réunions du Comité permanent et qu’on lui a demandé d’assister à quatre ou six réunions du Comité directeur. Par la suite, il n’a plus assisté à aucune réunion.

[70] M. Singh a déclaré qu’à la suite de la décision, il n’était pas au courant des questions en matière de ressources humaines qui faisaient l’objet de discussions et a déclaré que Mme Proulx ne l’informait pas de ce qui se passait à ces réunions. Il a dit qu’après le 4 février 2015, il a encore rédigé des notes d’information, par exemple à la demande de M. Pleau, mais il ne savait même pas si elles avaient fait l’objet de discussions. Il a également découvert que son personnel avait préparé des notes d’information sans qu’il en soit informé. M. Singh a déclaré que lorsqu’il a assisté aux réunions de direction présidées par Mme Proulx dans son secteur, il s’est rendu compte que d’autres directeurs continuaient d’assister aux réunions, sur invitation, mais pas lui. Malgré cela, il a dit qu’il ne pensait pas que tout cela était motivé par des considérations raciales.

[71] En contre-interrogatoire, M. Singh a soutenu qu’à deux reprises, Mme Proulx a amené un de ses employés à une réunion du Comité permanent sans l’en informer. Il a déclaré que Gilles Duguay, qui était directeur général des Services de la Cité parlementaire et qui relevait de M. Patrice, était présent plus souvent que lui. Cependant, il a admis que la Cité était un sujet brûlant au Sénat pendant l’été 2015 à cause de la fusillade qui s’est produite à l’automne 2014 sur la Colline du Parlement, mais il a insisté sur le fait que le travail effectué dans le dossier de la Cité portait sur les questions de ressources humaines.

[72] Il a également reconnu que, au cours de l’été 2015, aucune réunion du Comité permanent n’a eu lieu et que le Comité directeur ne s’est réuni que deux ou trois fois. De plus, comme il y a eu des élections fédérales à l’automne 2015, la Chambre des communes et le Sénat n’ont repris leurs fonctions qu’en décembre 2015. Par conséquent, de juin à décembre 2015, aucune réunion régulière du Comité permanent n’a eu lieu, et le Comité directeur ne s’est réuni qu’à deux ou trois reprises.

[73] M. Singh a également déclaré que, toutes les deux semaines, il rencontrait Mme Proulx, dont les méthodes étaient différentes de celles de M. O’Brien, qui le rencontrait rarement et seulement s’il y avait un problème. M. O’Brien ne s’adressait jamais directement aux employés de M. Singh. Toutefois, dans son témoignage, M. Singh a admis avoir tenu des rencontres bilatérales avec son personnel.

6. L’étude du Sénat sur la rémunération

[74] Dans son témoignage, M. Singh a parlé de l’étude du Sénat sur la rémunération. Il s’agissait d’une question de longue date qui consistait à examiner et à comparer la rémunération du personnel de bureau des sénateurs. M. Singh a indiqué qu’en avril 2015, la Direction des ressources humaines était prête à publier son rapport, mais que Mme Proulx s’occupait de plus en plus des détails connexes. Selon lui, elle a relu chaque lettre qui devait être envoyée au personnel des sénateurs et a refait chaque calcul. À l’origine, elle avait voulu signer les lettres, mais comme elle avait changé d’avis, il avait dû les signer. Selon M. Singh, cet incident a beaucoup frustré son personnel. En fin de compte, il s’agissait d’une perte de temps.

[75] Lorsqu’on lui a demandé s’il savait que Mme Proulx avait participé à un processus semblable quelques années auparavant, M. Singh a dit qu’il était au courant et que ce processus n’avait pas été couronné de succès. Lorsqu’on lui a demandé si elle avait vraiment lu les 300 lettres, M. Singh a soutenu qu’elle avait participé à tous les calculs, mais il a convenu qu’en tant que dirigeante principale des services corporatifs, elle avait la prérogative de participer.

7. Programme de perfectionnement pour le poste de dirigeant principal des finances

[76] M. Singh a déclaré qu’une fois que Mme Proulx a été nommée dirigeante principale des services corporatifs, il a fallu doter le poste de directeur des Finances et de l’approvisionnement et de dirigeant principal des finances. Il lui a donné le nom de certains candidats potentiels et lui a suggéré de créer un programme de perfectionnement pour le poste de dirigeant principal des finances pour le recrutement futur. L’objectif du programme serait de former des employés au fil du temps afin de nommer un nouveau directeur. Il a déclaré que le but du programme serait également d’aider à recruter des employés issus des minorités visibles. Mme Proulx a jugé que c’était une bonne idée et le programme a été annoncé en avril 2015 (pièce G-2, onglet 18).

[77] M. Singh a déclaré qu’après le lancement du programme, il ne s’attendait pas à ce que Mme Proulx puisse y participer. Il a fait remarquer qu’il s’agissait d’un programme de perfectionnement auquel participaient des personnes qui n’étaient pas au niveau de la direction; par conséquent, il ne voyait pas la nécessité de faire participer une personne classifiée EX-05. De plus, il n’a pas aimé qu’elle lui dise qui dans sa direction devrait être affecté au projet.

[78] Dans son témoignage, M. Singh a déclaré que l’intervention de Mme Proulx était [traduction] « insensée ». De plus, il n’approuvait pas le fait qu’elle ait désigné Hélène Bouchard, directrice des Services d’information, pour la remplacer au sein du jury de sélection pour le programme. Il a déclaré que selon lui, l’intervention de Mme Proulx signifiait qu’il [traduction] « était mis de côté » et qu’il s’agissait d’une autre expression de sa partialité en faveur des Canadiens français (pièce G-2, onglet 19).

[79] M. Singh a déclaré qu’il n’a pas été consulté au sujet de la composition du jury de sélection pour ce programme. Il n’en a pas non plus fait partie, malgré son expérience considérable de la prestation de conseils. Il a soutenu qu’il aurait fait les choses différemment s’il avait participé. Le jury de sélection était composé de Mme Bouchard, de Bonnie Marga, directrice des Finances et de l’approvisionnement et dirigeante principale des finances par intérim, et d’un consultant, Hugues St. Pierre.

[80] M. Singh a indiqué que le jury de sélection n’avait qualifié aucun des candidats internes, ce qui était très déconcertant, puisque ce choix laissait entendre essentiellement que le Sénat n’était pas disposé à investir dans ses employés.

[81] Bien qu’une personne handicapée ait fait partie du jury, M. Singh a insisté pour dire que malgré le fait que deux des quatre candidats étaient membres de groupes de minorités visibles, aucun membre du jury n’était issu des minorités visibles, ce qui était contraire aux pratiques exemplaires visant à éliminer la partialité. Il a fait référence à la stratégie de dotation et de recrutement du Sénat, qui guide les gestionnaires pour assurer un effectif diversifié et représentatif (pièce G-1, onglet 13, pages 3, 5 et 9). Il a également fait référence à la politique du Sénat sur l’équité en matière d’emploi, dans laquelle le Sénat reconnaît la nécessité d’accroître la représentation dans les groupes désignés de femmes, d’autochtones, de personnes handicapées et de membres des minorités visibles (pièce G-1, onglet 15).

[82] À ce propos, M. Singh s’est plaint du fait que le Sénat n’avait que très peu de stratégies pour améliorer la représentation des minorités visibles. Il a insisté sur le fait que même si le nombre d’employés issus des minorités visibles au Sénat pouvait avoir augmenté, sur 30 gestionnaires, seuls quatre étaient issus des minorités visibles et ils étaient partis peu de temps après lui (pièce G-1, onglet 8, page 12).

[83] En contre-interrogatoire, M. Singh a convenu qu’à l’époque, il n’a jamais soulevé la question selon laquelle aucun membre du jury de sélection n’était issu des minorités visibles, et il n’a pas non plus demandé à Mme Proulx s’il pouvait siéger au jury de sélection. Il a également convenu qu’elle n’avait pas participé au travail du jury. Interrogé au sujet de la raison pour laquelle il a signé la recommandation du jury, il a dit que son rôle n’était que de vérifier si le dossier de dotation était complet.

8. L’audience disciplinaire de M. Singh et la lettre de réprimande

[84] Comme je l’ai mentionné précédemment, l’avis d’intention de nommer M. Singh au poste de directeur des Ressources humaines a été contesté. Il a déclaré que le 2 avril 2015, lors d’une réunion, Mme Proulx lui a dit qu’au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, elle avait rejeté le grief (pièce G‑5). Cependant, elle lui a aussi dit que, pendant l’enquête sur le grief, certaines questions ont été soulevées au sujet de sa lettre d’offre. Elle a pris des notes à la réunion. Michel Bédard, avocat du Sénat, était également présent (pièce G-2, onglet 16).

[85] Le 5 mai 2015, Mme Proulx a écrit à M. Singh et l’a invité à assister à une réunion disciplinaire afin de déterminer s’il avait enfreint les normes de conduite lorsqu’il a rédigé sa lettre d’offre dans laquelle il a établi son salaire, s’est exempté de la période d’essai et transféré environ 300 heures de congé annuel.

[86] Le même jour, lors d’une discussion téléphonique avec Mme Proulx au sujet de l’entrevue, M. Singh lui a dit qu’il ne comprenait pas pourquoi il y avait un problème puisque M. O’Brien et le Président Nolin avaient signé la lettre. En contre‑interrogatoire, il a nié lui avoir dit qu’il s’agissait de [traduction] « conneries » et qu’il avait démontré un manque flagrant de respect à l’égard de M. Patrice (pièce E-1, onglet 11, au-dessus).

[87] La réunion disciplinaire était initialement prévue le 7 mai, mais a eu lieu en fait le 15 mai 2015. Les trois membres du Comité exécutif étaient présents, tout comme M. Bédard. M. Singh était accompagné de Denis Desharnais, pour qui il avait travaillé au ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile.

[88] Lors de la réunion, on a discuté du fait que M. Singh ait rédigé lui-même, à titre de directeur des Ressources humaines, sa lettre d’offre, et on a soulevé les trois points suivants :

[89] La lettre d’offre indiquait que le salaire devait être de 132 500 $. M. Singh a déclaré au Comité exécutif que le 12 janvier 2015, M. Pleau lui avait dit que, puisqu’il avait effectué un travail de niveau SEG-02 ou EX-02, il devrait recevoir ce salaire. Le salaire maximum d’un EX-02 était de 139 300 $. En janvier 2015, étant donné qu’il était encore rémunéré à titre d’EX-01, M. Singh gagnait environ 125 000 $ (pièce E-2, onglet 7). Il a expliqué qu’il avait effectué le rajustement et qu’il considérait que sa rémunération au rendement était limitée selon les modalités de l’affectation d’Échanges Canada. Par conséquent, il a obtenu un salaire de 132 500 $, qui était encore inférieur au maximum de 139 300 $ pour un équivalent EX-02 ou SEG-02 (pièces G-2, onglet 5, G-6 et G-8).

[90] M. Singh a admis qu’il n’avait vérifié auprès de personne, y compris Mme Vanikiotis, qui préparait normalement ces lettres, si le Sénat acceptait le nouveau salaire, l’exemption de la période d’essai et le transfert de congés. De plus, en janvier 2015, il n’a pas dit à M. Pleau que le nouveau salaire ne serait pas au bas de l’échelle salariale EX-02 parce que M. Pleau lui avait dit de mettre ce qu’il voulait dans la lettre. Il a supposé que M. Pleau et le Président Nolin l’avaient lue. Ils l’ont certainement signée et n’ont rien dit. Quant à M. O’Brien, M. Singh a dit qu’il était au Sénat depuis plus de 30 ans et qu’il lisait tout.

[91] Pour ce qui est de ne pas inclure de période d’essai, M. Singh a expliqué au Comité exécutif qu’il occupait ce poste depuis plus de 18 mois, soit au-delà de la période d’essai de 12 mois; par conséquent, il s’est exempté.

[92] En ce qui a trait au transfert de congés, M. Singh a dit au Comité exécutif qu’à titre de modèle pour la lettre d’offre, il a choisi une lettre qui avait été utilisée pour muter un employé du Sénat à la Chambre des communes, y compris les congés annuels. Il a dit que lors d’une réunion, M. Bédard lui a montré la politique sur les conditions d’emploi, selon laquelle un tel transfert ne peut pas être effectué. M. Singh a alors admis qu’il ne connaissait pas ces conditions et s’est excusé pour l’erreur. Il a indiqué qu’il n’avait pas vérifié la politique du Sénat en matière de congés et qu’il avait des remords et qu’il était gêné.

[93] Le 1er juin 2015, M. Singh a de nouveau rencontré le Comité exécutif et M. Bédard. Il a été informé que les congés annuels seraient encaissés. En ce qui concerne le salaire et la période d’essai, les membres du Comité ont dit qu’ils n’étaient pas d’accord avec lui, mais qu’ils étaient prêts à tourner la page. Selon M. Singh, à la fin de la réunion, les deux questions ne posaient pas de difficultés pour le Comité.

[94] Le 12 juin 2015, le Comité exécutif lui a envoyé une lettre de réprimande pour ses actions (pièce G-2, onglet 22). M. Singh a indiqué qu’il n’approuvait pas la lettre, mais comme il ne voulait pas revenir sur l’affaire, il ne l’a pas contestée.

[95] En contre-interrogatoire, M. Singh a admis que la mesure disciplinaire du Comité exécutif aurait pu être plus sévère. Il a également expliqué que deux semaines après la réunion disciplinaire, lui-même et Mme Proulx ont parlé d’être [traduction] « plus polis », de sorte qu’il a été plus poli dans le courriel qu’il lui a envoyé le 25 juin 2015 (pièce E-1, onglet 18), qui se lit comme suit :

[Traduction]

Nicole, merci de m’avoir inclus dans ce courriel. Je ne veux pas défaire les liens d’amitié qui, selon moi, se créent entre nous.

Pour commencer, je m’engage à être plus poli dans mes communications écrites avec vous et j’espère que nous pourrons résoudre tout différend que nous pourrions avoir.

Bonne soirée!

Darshan

 

[96] Plus tard dans son témoignage, M. Singh a parlé d’une situation dans laquelle une plainte de harcèlement a été déposée contre l’un des directeurs généraux de M. Patrice. Après une enquête, M. Singh a déclaré que certaines allégations étaient fondées, mais que le Comité exécutif a décidé de ne pas imposer de mesure disciplinaire, malgré la recommandation de M. Singh et de Diane Blais. Il a déclaré que la personne qui avait déposé la plainte avait été congédiée, contrairement à sa recommandation.

9. Affectation d’Échanges Canada et demandes de congé de maladie de Mme Vanikiotis

[97] M. Singh a déclaré que vers le 5 mai 2015, lorsqu’il a appris qu’il serait convoqué à une réunion disciplinaire, l’une de ses subalternes directes, Mme Vanikiotis, lui a parlé d’une possibilité d’affectation pour elle. Il a indiqué que même si elle relevait de lui et qu’il avait le pouvoir délégué d’accepter une affectation d’Échanges Canada, il en avait parlé à Mme Proulx. Elle avait des réserves à ce sujet. Elle a soulevé la question auprès de M. Patrice et de M. Robert et a parlé en privé avec Mme Vanikiotis (pièce G-2, onglet 20).

[98] M. Singh a dit qu’il n’était à l’aise avec la démarche. Il a soulevé la question lors d’une réunion en mai 2015 avec Mme Proulx et M. Patrice. M. Singh a déclaré qu’il avait préparé des notes en prévision de la réunion (pièce G-2, onglet 21).

[99] M. Singh a affirmé que, lors de la réunion, il a dit à Mme Proulx qu’elle faisait de la microgestion à son égard et qu’elle ne devrait pas avoir directement accès à son personnel. Il lui a aussi dit qu’il croyait qu’elle ne se comporterait pas de cette façon envers Mme Bouchard. Il a indiqué qu’il n’avait pas soulevé tous les points qu’il avait mis dans ses notes préalables à la réunion, mais, assurément, il avait dit à Mme Proulx d’arrêter de faire de la microgestion à son égard et il avait soulevé la question de la confiance.

[100] En contre-interrogatoire, M. Singh a nié qu’il y avait des tensions entre lui et Mme Vanikiotis et il a dit qu’il s’agissait d’une employée compétente et professionnelle. On lui a également demandé d’expliquer pourquoi il avait refusé d’accorder la demande de congé de maladie de Mme Vanikiotis en février 2015. Il a répondu qu’il n’avait fait qu’appliquer les instructions sur l’octroi de congés, avec lesquelles il était en désaccord, que Mme Proulx avait transmis la veille de la demande de congé de Mme Vanikiotis. Il a soutenu que si Mme Proulx ne s’en était pas mêlée, il n’y aurait eu aucun problème (pièce G-2, onglet 15).

10. Programme de développement en leadership pour les greffiers à la procédure et les greffiers législatifs

[101] M. Singh a déclaré que le 12 juin 2015, M. Robert a annoncé un « Programme de perfectionnement en leadership pour les greffiers à la procédure et les greffiers législatifs » dans son secteur. M. Singh a dit qu’il n’en avait pas été informé et que Mme Vanikiotis lui en avait parlé ce jour-là. Selon lui, M. Robert a agi sans le consulter et s’est adressé directement au personnel de la Direction des ressources humaines pour mettre en place ce programme. Par ailleurs, Mme Proulx était au courant du dossier, mais ne lui en a pas parlé (pièce G-2, onglet 23).

11. Modifications proposées à la Direction des ressources humaines

[102] M. Singh a déclaré qu’en juin 2015, Peter Nunan, conseiller principal en relations de travail, s’est vu offrir un détachement de six à neuf mois à l’extérieur de la Direction des ressources humaines; par conséquent des modifications devaient être apportées. Le 17 juin, M. Singh a envoyé un courriel à Mme Proulx pour lui demander de lui faire part de ses commentaires si [traduction] « elle le jugeait nécessaire », pour reprendre ses propres mots. Il lui a envoyé un autre courriel à ce sujet le 19 juin, lui demandant ses commentaires et lui précisant qu’elle devrait laisser les gestionnaires s’acquitter de leurs tâches de gestion. Le 21 juin, elle a transmis le courriel de M. Singh à M. Patrice, ajoutant seulement « Grrr » (pièce G-7). Voici les courriels de M. Singh (pièces G-2, onglet 24, et G-7) :

[Traduction]

[Le courriel du 17 juin :]

Bonjour Nicole,

Comme nous en avons discuté hier, voici les modifications proposées au sein de l’équipe des RH. Veuillez noter que tous les gestionnaires sont sur la même longueur d’onde et d’accord. Comme je ne les ai pas mis en copie conforme, vous avez la possibilité de me répondre directement, si vous en ressentez le besoin.

[...]

[Le courriel du 19 juin :]

Bonjour Nicole,

Voici les modifications proposées et la version provisoire de l’organigramme aux fins de commentaires.

De plus, selon la matrice de délégation de pouvoirs, je suis habilité à apporter ces changements, car il n’y a pas de nomination dans un poste de durée indéterminée et d’affectations de plus de six mois, aucune reclassification, etc. Bien que je vous informe de la situation en signe de respect, je m’attends à pouvoir mettre en pratique les paroles du Président, soit de laisser les gestionnaires s’acquitter de leurs tâches de gestion.

Merci

Darshan

 

[103] Toujours le 21 juin 2015, à 9 h 03, Mme Proulx a indiqué qu’elle n’était pas à l’aise avec les changements proposés. Quelques minutes plus tard, à 9 h 22, elle a de nouveau envoyé un courriel, remettant toujours en question les propositions de réorganisation et faisant remarquer que [traduction] « [...] Les RH doivent faire preuve d’une rigueur exemplaire [...] » (pièce G-2, onglet 25). Elle a déclaré : [traduction] « Bonjour Darshan [...] Comme vous le savez, les RH doivent faire preuve d’une rigueur exemplaire dans leurs activités de RH et, selon moi, certains aspects de la proposition posent problème [...] » (pièce G-2, onglet 25).

[104] M. Singh a répondu qu’il s’agissait là d’un exemple de microgestion et qu’il en ferait part au niveau supérieur. Mme Proulx a indiqué que la question serait discutée au niveau de la direction, ce à quoi il a répondu le 23 juin 2015 (pièce G-2, onglets 24 et 25) par : [traduction] « Nicole, vous êtes, bien sûr, libre de faire ce que vous voulez et puisque les RH sont si peu souvent invitées [...] au Comité exécutif, ce sera une première. Par souci de clarté, cependant, et à titre d’information, vous avez tort quant au niveau suivant ».

[105] M. Singh a admis que sa réponse par courriel à Mme Proulx était sarcastique, mais il a néanmoins soutenu qu’il a énoncé une vérité. Il a également admis que certains des changements proposés concernaient des postes de direction, ce qui nécessiterait la participation de Mme Proulx. L’approbation de cette dernière était aussi requise pour les demandes de mesures de dotation supplémentaires, comme la création d’un poste de réserve pour le système opérationnel (pièce G-1, onglet 17, pages 2 et 3).

[106] M. Singh a également convenu qu’un superviseur a le droit de poser des questions et de soulever des préoccupations même lorsque le pouvoir de dotation a été délégué à un subalterne. Néanmoins, il a dit que dans ce cas, il a fait l’objet d’un examen plus poussé, ce à quoi l’autre directrice, Mme Bouchard, n’était pas soumise. Il a également déclaré que c’était [traduction] une « folie », en ce sens que Mme Proulx est intervenue dans des affaires auxquelles elle n’avait pas à participer.

[107] M. Singh a déclaré que leur relation mettait en opposition ce qu’il voulait et ce qu’elle voulait. À son avis, elle remettait en question son éthique. Elle a pris part à des affaires qui n’exigeaient pas sa participation et par conséquent, il a eu l’impression de faire quelque chose de mal. Il a dit qu’il voulait en parler au sénateur Housakos ou au vice‑président, le sénateur George Furey. Si ce n’était pas possible, il évoquerait la question devant le Comité directeur. Il a indiqué que la microgestion de Mme Proulx correspondait à du harcèlement au sens de la politique applicable du Sénat (pièce G-1, onglet 16, page 12).

12. Deux réunions du Comité exécutif et participation à des conférences

[108] M. Singh a déclaré qu’après avoir envoyé son courriel à Mme Proulx le 23 juin 2015, il a assisté à une réunion du Comité exécutif. Il avait préparé des notes en prévision de la réunion (pièce G-2, onglet 26). En les parcourant, il a dit qu’il avait soulevé le sujet de sa race à la réunion, ainsi que le fait qu’il se sentait ostracisé et isolé et que Mme Proulx le traitait différemment parce qu’il n’était pas Canadien français, contrairement à toute autre personne qui relevait d’elle.

[109] M. Singh a dit qu’il a aussi soulevé le fait que sa participation à la conférence de l’Association canadienne de l’Administration parlementaire n’avait toujours pas été approuvée, mais que la participation de Mme Bouchard l’avait été. Il a dit que Mme Proulx avait pris des notes, mais qu’elle n’avait pas vraiment répondu à ses préoccupations.

[110] M. Singh a ensuite déclaré qu’il avait appris, seulement deux semaines avant la conférence de l’Association canadienne de l’Administration parlementaire, qu’il devait y assister, alors que Mme Bouchard l’avait su quatre mois à l’avance. Mme Proulx était également présente. M. Singh a dit qu’il n’avait jamais entendu parler d’une directive du Sénat limitant le nombre de participants à une conférence externe à deux employés (pièce G-9). M. Singh a déclaré qu’ils étaient finalement allés tous les trois à la conférence et qu’ils s’étaient bien amusés; ils ont même dansé ensemble!

[111] Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il pensait du point 4 de sa note d’avant la réunion, soit : [traduction] « Quand vous êtes toujours en train de vous défendre, la stratégie à utiliser est l’attaque! J’ai hâte d’assister à la séance de réflexion de la direction », M. Singh n’a pas pu expliquer à quoi elle faisait référence et a indiqué qu’il n’avait pas soulevé ce point à la réunion du Comité exécutif (pièce G-2, onglet 26).

[112] M. Singh a indiqué que, lors de cette réunion du Comité exécutif, il avait également été question de savoir qui traiterait une plainte formulée contre un membre du Comité exécutif. Il a dit que M. Patrice a répondu que ce serait l’un des deux autres dirigeants du Comité. M. Singh a déclaré qu’il avait dit à M. Patrice que cette façon de faire n’était pas appropriée et qu’elle ne correspondait pas à la politique applicable.

[113] En ce qui concerne les commentaires, figurant dans les notes de M. Singh, que ce dernier aurait faits au sujet des qualifications de Mme Proulx en matière de ressources humaines, soit que [traduction] « Nicole n’est pas une experte en RH – elle n’est pas qualifiée pour prendre des décisions en RH » (pièce G-2, onglet 29, page 2), M. Singh a répondu qu’il a dit à M. Patrice que Mme Proulx n’était pas qualifiée pour parler aux sénateurs des questions de ressources humaines. Il a indiqué que les trois membres du Comité exécutif étaient agités à la réunion et que lui aussi devait probablement l’être (pièce G-2, onglet 29 – note de Mme Proulx).

[114] M. Singh a indiqué que la discussion s’est poursuivie plus tard cet après-midi-là avec M. Patrice, qui lui a demandé quelle était la question. M. Singh a répondu : [traduction] « Avant, c’était vous trois et moi. Maintenant, c’est vous trois sans moi. » Il a dit qu’auparavant on le consultait, mais que ce n’était plus le cas. Il ne savait pas où ils obtenaient leurs avis et il se sentait exclu.

[115] M. Singh a dit qu’à ce moment-là, M. Patrice lui a demandé s’il était heureux dans son poste. M. Singh a répondu qu’il l’était, mais qu’il n’était pas satisfait de la façon dont les choses se déroulaient.

[116] M. Singh a témoigné au sujet d’une deuxième réunion avec le Comité exécutif, probablement en août 2015, au cours de laquelle, entre autres choses, il a soulevé à nouveau la question de son exclusion des réunions du Comité permanent et du Comité directeur, et il a de nouveau demandé de voir le compte rendu de la décision selon laquelle les directeurs au Sénat assisteraient à ces réunions seulement si leurs dirigeants respectifs leur en avaient fait la demande. Il a dit que sa demande a été rejetée (pièce G-2, onglet 29, page 2 des notes de Mme Proulx).

13. Modifications proposées à la Direction des ressources humaines (suite)

[117] Une fois de plus, sur la question des changements apportés à la Direction des ressources humaines et du détachement de M. Nunan, M. Singh a déclaré qu’après sa discussion de juin avec Mme Proulx à ce sujet, en juillet ou août 2015, il a préparé un document sur les changements proposés à la Direction des ressources humaines et le lui a remis à la fin août ou au début septembre 2015 pour examen (pièce G-2, onglet 28).

[118] Le 10 septembre 2015, M. Singh a rencontré Mme Proulx. Ils ont de nouveau discuté des changements apportés à la Direction des ressources humaines. La question de l’affectation des employés était toujours un point de désaccord. Plus précisément, ils ont discuté de la personne qui remplacerait M. Nunan pendant son détachement. Selon M. Singh, Mme Proulx n’a pas accepté ou a rejeté la proposition à ce sujet. Il a soutenu qu’elle voulait nommer Mme Blais à titre de remplaçante de M. Nunan, et qu’il pensait que Maria-Chantal Eynoux était le meilleur choix, d’autant plus que Mme Blais avait été absente du Sénat pendant quelques années; elle est revenue en 2014. Il a également indiqué que Mme Eynoux est noire.

[119] Les notes de Mme Proulx de cette réunion ont été déposées comme pièce justificative (pièce G-2, onglet 30). M. Singh a déclaré que le 16 septembre 2015, il a reçu, dans une enveloppe scellée, une lettre de Mme Proulx au sujet de la discussion du 10 septembre (pièce G-2, onglet 31). Il a déclaré qu’elle a toujours insisté pour remplacer M. Nunan par Mme Blais. M. Singh a dit que même si la lettre de Mme Proulx n’était pas une lettre de réprimande, elle était très formelle. Il l’a interprétée comme une menace assortie de conséquences s’il ne faisait pas ce qu’elle voulait. Il n’a donc pas contesté sa lettre.

[120] Cependant, il lui a envoyé un courriel le 28 septembre 2015 au sujet d’une stratégie de dotation révisée. Il a souligné qu’il n’était pas obligé de le faire, mais qu’il respectait ses exigences. Elle a répondu le 13 octobre 2015 et il a répondu le 14 octobre (pièce G-2, onglet 32).

[121] M. Singh a déclaré qu’il avait des rencontres bilatérales avec ses employés toutes les deux semaines. Lors d’une réunion du genre avec Mme Blais, il a découvert que Mme Proulx lui avait offert de remplacer M. Nunan pendant le détachement de ce dernier. M. Singh a dit que Mme Blais et Mme Proulx travaillaient ensemble et étaient amies. Plus tard, il a nuancé cette affirmation; il a déclaré qu’il ne savait pas si Mme Proulx et Mme Blais étaient des amies à l’extérieur du travail et que Mme Proulx [traduction] « avait beaucoup d’amis ». Enfin, il a indiqué qu’il n’avait pas eu le choix et qu’il avait affecté Mme Blais au remplacement de M. Nunan (pièce G-2, onglet 33).

14. Examen fonctionnel de la Direction des ressources humaines

[122] M. Singh a déclaré qu’en juin 2015, Mme Proulx l’a informé que la Direction des ressources humaines devait subir un examen fonctionnel. Il a indiqué que la Direction des communications du Sénat venait d’en subir un après une vérification du vérificateur général, et que les sénateurs voulaient un suivi. Un cabinet externe avait été embauché pour examiner les fonctions de la Direction des communications, la façon dont le travail était effectué, etc. Par conséquent, selon M. Singh, toute la Direction des communications a été [traduction] « décimée »; tous les emplois ont été perdus.

[123] M. Singh a déclaré qu’il a remis en question la nécessité d’un examen fonctionnel de la Direction des ressources humaines et a demandé qui avait décidé qu’il en fallait un. À un certain moment, on lui a dit que les sénateurs avaient pris la décision. Il a dit qu’il voulait savoir pourquoi il n’avait pas participé à la discussion connexe avec les sénateurs.

[124] De l’avis de M. Singh, à l’époque, la Direction des ressources humaines fonctionnait bien mieux et son travail était louangé, y compris par le Comité exécutif. Selon lui, la Direction des finances et de l’approvisionnement aurait dû être un choix évident pour un tel examen. Elle n’en avait jamais subi. M. Singh a déclaré que certains consultants ont amorcé l’examen fonctionnel de la Direction des ressources humaines en octobre ou en novembre 2015, soit à peu près l’époque où Mme Proulx a perdu son père et a participé, en tant que témoin, au procès du sénateur Mike Duffy (le « procès Duffy »).

15. Séance de réflexion du secteur législatif

[125] M. Singh a déclaré qu’en novembre 2015, M. Robert lui a demandé d’assister à une séance de réflexion du secteur législatif et de faire une présentation aux employés de ce secteur. M. Singh a dit que la présentation s’était bien déroulée, mais que pendant la séance plénière, un jeune homme noir lui a demandé pourquoi le Sénat n’avait aucune personne de couleur dans un poste de haut niveau. M. Singh a dit qu’il était sur le podium lorsque la question a été posée et qu’il n’avait pas vraiment de réponse, mais qu’il a essayé de faire la lumière sur la question sans embarrasser personne. Il a dit au jeune homme que c’était un problème grave, que le Comité exécutif était très attaché à la diversité et qu’il fallait plus de formation.

16. Budget principal des dépenses du Sénat

[126] M. Singh a expliqué que dans le cadre du processus de budget principal des dépenses du Sénat, les directions, au début de l’été, déterminent leurs besoins financiers en vue du prochain exercice. Leurs demandes sont ensuite transmises au Sous‑comité du budget des dépenses du Sénat du Comité permanent pour approbation en novembre. M. Singh a indiqué que c’est une bonne occasion pour les directeurs d’expliquer leurs programmes au Sous-comité.

[127] M. Singh a effectué l’exercice en 2014, mais comme il était nouveau et qu’il voulait mieux comprendre les besoins de sa direction, il n’a pas demandé de ressources supplémentaires à ce moment-là. Ces demandes sont présentées au moyen de [traduction] « capsules », soit une sorte de modèle ou de note d’information présenté au Sous-comité dans lequel on explique le besoin en ressources supplémentaires, ainsi que le coût associé.

[128] Cependant, en 2015, il avait l’intention de demander un financement destiné à une personne en réserve pour le préposé à l’entrée des données. De plus, il voulait des fonds pour la formation du personnel des sénateurs, laquelle avait été demandée par ces derniers.

[129] M. Singh a déclaré qu’il avait informé Mme Proulx de son plan lors d’une réunion en août 2015 et qu’elle l’appuyait. Il lui en a parlé à nouveau un mois plus tard et a déclaré qu’elle [traduction] « n’avait pas dit non ». Début octobre, il a préparé ses deux capsules.

[130] M. Singh a déclaré que le lundi 16 novembre 2015, Pascale Legault, nouvellement nommée directrice des Finances et de l’approvisionnement et dirigeante principale des finances, et Mme Proulx, qui était revenue au travail deux semaines après le décès de son père, sont venues à son bureau. Elles ont exécuté une danse et se sont tenues la main dans son bureau, puis elles ont commencé à l’attaquer verbalement. Mme Proulx lui a demandé pourquoi les deux capsules qu’il avait préparées étaient toujours là, tandis que Mme Legault lui a dit de les retirer. Il a dit qu’il croyait pouvoir discuter des capsules lors de la réunion de gestion de Mme Proulx.

[131] M. Singh a dit qu’il se sentait humilié et qu’il se demandait comment Mme Legault, qui venait de commencer à travailler pour le Sénat, pouvait lui dire ce qui devait être fait. À son avis, Mme Proulx et elle étaient de bonnes amies et il était évident qu’elles avaient parlé de lui dans son dos (pièce G-2, onglet 34). Dans son témoignage, il a soutenu que Mme Proulx ne lui a jamais dit qu’elle voulait que la Direction des ressources humaines assume le coût d’un poste en réserve ou, en ce qui concerne la formation du personnel des sénateurs, qu’elle voulait attendre l’exercice d’examen de la Direction des ressources humaines. Elle lui a dit de ne pas donner suite aux deux capsules.

[132] En contre-interrogatoire, lorsqu’on l’a interrogé au sujet de la réunion du 16 novembre, M. Singh a nuancé sa réponse et a indiqué qu’il n’y avait pas eu de danse, mais que, néanmoins, Mme Proulx n’avait pas été solennelle; Mme Proulx et Mme Legault étaient de bonne humeur.

17. Le courriel du 24 novembre

[133] M. Singh a déclaré avoir eu une semaine difficile après la réunion du 16 novembre 2015 avec Mme Proulx et Mme Legault. Il ne pouvait pas parler ce qui s’était passé et il a décidé de mettre ses pensées par écrit. Il voulait dire à Mme Proulx ce qu’il ressentait. Il était en colère, humilié et contrarié. Il était à un point de rupture; il n’a pas bien dormi.

[134] M. Singh estimait qu’il n’avait plus aucune responsabilité. Il avait rencontré un sénateur pour la dernière fois en juin et le Comité exécutif n’avait pas le temps de le rencontrer. Mme Proulx s’adressait directement à son personnel. Il a décidé de lui envoyer le courriel du 24 novembre. Il a souligné qu’à ce moment-là, il ne s’agissait pas d’une plainte officielle et qu’il voulait lui écrire sous le coup de l’émotion pour lui faire part de ses préoccupations. Il voulait aussi répondre aux préoccupations des sénateurs quant à l’information reçue sur les ressources humaines. Selon lui, les sénateurs estimaient que l’ancien patron, M. O’Brien, [traduction] « tirait les ficelles », mais pas eux. M. Singh pensait qu’il fallait les informer ce qui se passait. Il a souligné que jamais auparavant il n’avait déposé une telle plainte.

[135] Comme le contenu du courriel du 24 novembre a été souvent mentionné lors de l’audience, et comme il s’agissait d’une partie importante de la décision de mettre fin à l’emploi de M. Singh, je crois qu’il est important de le reproduire intégralement, comme suit (pièce G-1, onglet 1) :

[Traduction]

Expéditeur : Singh, Darshan

Destinataire : Proulx, Nicole

 

Nicole,

Je vous écris cette réponse aujourd’hui, car je ne voulais pas que vous pensiez que j’écrivais sous le coup de l’émotion. Je suis également conscient du fait que vous avez passé à travers beaucoup d’épreuves récemment (procès Duffy et décès de votre père). Sachez que j’ai beaucoup réfléchi à la question et que j’écris parce que je crois devoir mettre mes pensées par écrit pour me protéger et protéger la Direction des RH.

Je suis très préoccupé par le processus décisionnel actuel au sein de l’Administration du Sénat et par la façon dont l’information sur les RH est présentée aux sénateurs. Je suis profondément loyal envers cette organisation et j’ai de graves préoccupations concernant ce qui suit :

1) les sénateurs ne reçoivent pas de renseignements exacts;

2) les options ne sont pas présentées aux sénateurs aux fins de décision;

3) seuls certains renseignements sont fournis aux sénateurs.

Mon principal problème est que selon moi vous ne respectez pas la répartition de nos fonctions. Nous devons fournir tous les renseignements nécessaires aux sénateurs, qu’ils le souhaitent ou non, pour qu’ils puissent prendre des décisions. Il ne nous revient pas de prendre des décisions pour eux. Lorsque vous choisissez de présenter une seule option, vous leur dites essentiellement que la décision est prise par l’Administration du Sénat. Vous ne présentez pas de renseignements complets aux sénateurs pour qu’ils puissent s’acquitter efficacement de leur rôle. Vous prenez les décisions pour eux.

Je ne veux pas donner l’impression que la formation est la source du problème. Le problème existe déjà depuis un bon moment sous la nouvelle direction. Je sais qu’à plusieurs reprises vous avez choisi de ne fournir que certains renseignements aux sénateurs et non des renseignements complets.

Vous avez raison lorsque vous affirmez dans votre courriel que vous êtes la responsable des Services corporatifs. Vous avez également raison lorsque vous mentionnez dans votre lettre du 16 septembre 2015 que le poste que j’occupe relève du dirigeant principal des services corporatifs et non du Comité exécutif. Cependant, selon ma description de travail :

« En tant que responsable des ressources humaines au Sénat, le directeur est chargé d’élaborer, de recommander et d’appliquer tout un éventail de politiques et de programmes touchant la gestion des ressources humaines à l’appui des activités et des questions très délicates dont s’occupent le Sénat et les sénateurs, et d’indiquer la voie à suivre dans l’exécution du rôle du Sénat en tant qu’employeur au sens de la Loi sur les relations de travail au Parlement (LRTP) ».

Comme je n’ai participé à aucune réunion du Comité directeur et que je n’ai pas assisté aux réunions sur la régie interne, je ne suis pas au courant des recommandations formulées concernant les RH. Par conséquent, je demande que, lorsque vous présentez des renseignements relatifs aux RH, vous les désigniez clairement comme votre propre opinion et non comme l’opinion ou l’information que vous ont fournie les RH. J’ai de la difficulté à justifier la situation; j’en veux pour preuve les renseignements que vous avez fournis au sénateur Wells au sujet de règles de rémunération qui n’existent tout simplement pas.

Je voudrais également aborder une autre question qui me préoccupe depuis un bon moment. Dans mon rôle, je dois toujours présenter le Sénat comme un employeur moderne pour qui un milieu de travail sain et respectueux est primordial. La semaine dernière, pendant la séance de réflexion du secteur législatif, j’ai dû répondre à une question d’un employé qui se demandait pourquoi nous n’avions pas un nombre représentatif de personnes de couleur dans les postes de direction. J’ai dit à l’employé que nous travaillons à résoudre ce problème et que je ne me suis jamais senti inférieur à mes collègues. Je veux vous dire aujourd’hui que c’est faux. Je n’ai pas eu l’impression d’être traité différemment par les autres membres du Comité exécutif ou par M. O’Brien (l’ancien greffier). Cependant, à maintes reprises, j’ai senti que vous me traitiez différemment. Vous pouvez ne pas tenir compte de cette affirmation, mais c’est la réalité et il s’agit d’une source de stress et d’inconfort pour moi. Tout comme les femmes sont capables de sentir si un homme les regarde de manière déplacée, les personnes de couleur ressentent aussi les regards inappropriés. Je tiens également à ce que vous sachiez que ce commentaire m’a été fait par d’autres employés qui relèvent de la DPSC. J’ai également remarqué cette attitude lorsque j’ai présenté le nom de Maria-Chantal (SEN-10) comme remplaçante possible de Peter Nunan. Malgré le fait que vous ayez vu le CV de celle-ci et que vous ayez reçu des commentaires positifs de la part de clients, comme vous me l'avez dit vous-même, vous (EX-05) êtes intervenue et avez présenté le nom d’une amie et collègue de longue date avec qui vous vous sentiez plus à l’aise (une employée occupant un poste classé SEN-09). Vous m’avez mentionné ce nom au moins trois fois et vous êtes même allée jusqu’à parler directement à l’employée sans m’en informer.

Pour dire les choses simplement, je n’ai pas l’impression d’être traité de la même façon que les autres et je crains que cette attitude soit motivée par la race plutôt que par mon rendement.

Tous vos subalternes directs sont blancs et Canadiens français. Tous vos subalternes directs ont participé aux réunions du Comité directeur ou du Comité de régie interne, sauf moi. Ce n’est pas qu’une coïncidence. Je voudrais que ce traitement injuste cesse immédiatement. Je suis mis à l’écart, et ce n’est pas seulement parce que je fais connaître mes opinions. D’ailleurs, mes opinions sont la raison pour laquelle j’occupe ce poste. Si vous souhaitiez vous faire obéir au doigt et à l’œil, le sénateur Nolin n’a pas choisi la bonne personne pour occuper le poste.

Je tiens également à souligner que les quatre candidats au Programme de perfectionnement professionnel pour le poste de DPF étaient anglophones et que deux d’entre eux étaient issus des minorités visibles. Pourtant, vous n’en avez qualifié aucun. L’un des quatre candidats occupait déjà un poste EX, et deux autres ont depuis été qualifiés dans les groupes EX.

Autres sujets de préoccupation

Chaque fois que je vous ai fait part de mes préoccupations, vous avez souvent dit qu’il n’y a pas assez de temps pour accomplir une tâche ou que ce n’était pas le bon moment. Je ne sens aucun soutien de votre part et je crois malheureusement que ce ne sera jamais le bon moment et que vous n’aurez jamais assez de temps pour assumer les responsabilités liées aux RH. L’extrait suivant de votre description de travail indique clairement votre responsabilité globale envers les RH et ne porte pas sur le travail effectué sur des dossiers précis :

« Dans cette structure de direction novatrice, les trois membres assurent en commun la direction et la planification de l’Administration afin d’apporter un soutien efficace et efficient au Sénat en général et au Président du Sénat et au CIBA en particulier ».

Comme je l’ai dit à de nombreuses reprises, bien que vous soyez responsable des RH au final, vous croyez que vous êtes aussi responsable de mes tâches précises. Ce n’est pas exact. Votre description de travail indique très précisément que la responsabilité des RH me revient. Je vous demanderais de respecter vos responsabilités et de me permettre de faire mon travail. Je ne ferai pas de commentaires sur votre travail, mais je me permets de remarquer que je suis la personne la plus qualifiée au sein de l’Administration du Sénat pour diriger les RH et que je suis malheureusement exclu de toutes les décisions en matière de RH. Je vous demanderais de me permettre de faire mon travail et d’arrêter de faire de la microgestion à l’égard de mes tâches. Encore une fois, il s’agit d’un traitement injuste et je me demande pourquoi.

Je tiens également à souligner que, sur de nombreuses questions relatives aux RH, je ne suis pas consulté par le Comité exécutif avant qu’une décision soit prise. Lorsque vous-même et le Comité discutez avec la direction et lui dites que vous êtes sur le point de faire un changement, il est sous-entendu que j’ai été consulté. Je vous demanderais de bien vouloir dire aux personnes présentes qu’il s’agit d’une décision du Comité exécutif et que ni moi ni mon équipe n’y avons participé. Cela s’est produit à de nombreuses occasions, par exemple lorsque la nouvelle structure de direction a été présentée ou que l’affiche des AII a été publiée.

Je tiens également à souligner que mon opinion ou mon avis n’est en général pas suivi lorsqu’il s’agit de questions disciplinaires. C’est ce qui s’est produit récemment dans le dossier du harcèlement et de l’évaluation du milieu de travail au sein de l’Administration.

Soit dit en passant, je veux aussi faire remarquer qu’un grand nombre, voire la totalité, de mes collègues ont exprimé des préoccupations majeures au sujet de la façon dont le leadership est exercé en ce moment. Je dois admettre que je suis celui qui me fait le plus entendre à ce sujet, mais mes collègues ne parleront pas puisqu’ils ont peur. J’interviens uniquement par conviction pour l’une de mes valeurs fondamentales : « Si vous ne dénoncez pas un acte répréhensible, vous êtes aussi coupable que celui l’a commis ».

Je tiens à souligner que je n’ai toujours pas reçu de raison légitime pour expliquer pourquoi la Direction des RH doit subir un examen. Compte tenu de la situation à la Direction des finances et de l’approvisionnement durant la dernière année et demie, en particulier les résultats de l’audit, du fait que 15 sénateurs font l’objet d’une enquête de la GRC et des plaintes des sénateurs concernant les règles de la Direction des finances et de l’approvisionnement, la logique voudrait que cette direction soit le point de départ de l’exercice. Pourtant, pour une raison que tout le monde ignore, vous avez déterminé que les RH devaient faire l’objet d’un examen. Il n’y a que deux hypothèses raisonnables qui peuvent être tirées – le favoritisme à l’égard de votre ancienne direction ou les pratiques discriminatoires.

Votre nomination était également une nomination non annoncée, mais votre nomination et celle d’un de vos collègues semblent avoir été assujetties à des règles différentes que celles appliquées à ma nomination. Il n’y a qu’une seule hypothèse raisonnable qui puisse être faite : les pratiques discriminatoires.

Je tiens également à souligner que les règles relatives aux congés lors de l’embauche de la nouvelle DPF ont été modifiées sans que vous les contestiez, mais j’ai dû subir une audience disciplinaire, malgré l’approbation de mon embauche par le greffier et le Comité exécutif. Encore une fois, pourquoi?

Bien que je puisse continuer à soulever de nombreuses autres questions liées au temps que nous avons passé ensemble, je voudrais demander officiellement ce qui suit :

1) Je voudrais demander que la Direction des RH relève temporairement de l’un des autres dirigeants;

2) Si vous ne répondez pas à la demande numéro 1, je voudrais demander que tous les renseignements fournis aux sénateurs, au Comité exécutif ou à tout client soient considérés comme ne provenant pas des RH, sauf si j’ai écrit que les RH acceptent ce qui est présenté;

3) Je demande que le Comité exécutif, ou l’un de ses membres, qui s’occupe de changements, de décisions ou d’initiatives, informe ses collègues que les RH n’ont pas été consultées;

4) Qu’une vision ou un énoncé de mission pour l’Administration soit communiqué par écrit à tous les employés;

5) Que le comportement consistant à me traiter différemment de mes collègues cesse immédiatement;

Je sais que ce courriel vous causera un certain malaise. Je n’ai pas besoin d’en discuter davantage, car j’ai fait part de mes préoccupations par écrit. Je n’ai pas besoin de réponse. Mon seul désir est que des décisions simples soient prises pour donner suite à mes demandes.

Ma principale préoccupation demeure l’engagement à servir les sénateurs. Je crois que tous les renseignements devraient leur être transmis et que les personnes concernées devraient participer à la formulation de conseils.

Merci,

Darshan

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

[136] Au cours de son témoignage, M. Singh a examiné le courriel et a fait des commentaires à son sujet. Certaines des questions qui y figurent ont déjà été abordées dans le récit de son témoignage.

[137] Par exemple, M. Singh est revenu sur le fait qu’il estimait que Mme Proulx le traitait différemment en raison de sa race. Il a dit que si certaines personnes, notamment M. Patrice et M. Robert, lui disaient qu’il était compétent, la seule explication du comportement de Mme Proulx était qu’il était fondé sur sa race. Il a fait remarquer que certains des autres employés de cette dernière étaient d’accord avec lui. Il a également fait remarquer qu’elle voulait nommer Mme Blais, qui, à son avis, était une vieille amie, au lieu de Mme Eynoux, qui est noire, pour remplacer M. Nunan.

[138] M. Singh a insisté sur le fait qu’à ce moment-là, on ne lui avait pas fourni la raison de l’examen fonctionnel de la Direction des ressources humaines. Selon lui, c’était parce que Mme Proulx ne voulait pas que les sénateurs examinent la Direction des finances et de l’approvisionnement du fait qu’elle était directement responsable de ce secteur avant de devenir dirigeante principale des services corporatifs.

[139] Pour revenir au fait que sa nomination était assujettie à un avis d’intention de nomination, ce qui n’était pas le cas pour la nomination de Mme Proulx, M. Singh a soutenu que le Comité exécutif avait contrevenu à la politique de dotation et de nomination de l’Administration du Sénat et à son annexe. Selon ses mots, [traduction] « Pourquoi le processus devrait-il être plus difficile pour un anglophone à la peau foncée que pour une femme blanche? ».

[140] M. Singh a également témoigné au sujet de deux incidents distincts qui n’étaient pas couverts dans son courriel du 24 novembre. Il a déclaré qu’en 2013, un de ses conseillers principaux lui avait dit qu’il y avait un problème avec un sénateur qui n’était pas caucasien. M. O’Brien a convoqué M. Singh et Mme Proulx à une réunion. M. O’Brien a demandé à Mme Proulx son opinion sur la question. Selon M. Singh, elle a répondu : [traduction] « Ces gens-là sont comme ça ».

[141] M. Singh a également mentionné un autre incident dans lequel un autre sénateur qui n’était pas caucasien a fait l’objet d’allégations très graves d’inconduite sexuelle. M. O’Brien a de nouveau invité Mme Proulx à une réunion pour obtenir son point de vue. M. Singh a indiqué qu’encore une fois, elle aurait dit : [traduction] « Ces gens-là sont comme ça ». Il a déclaré qu’il lui a demandé ce qu’elle entendait par là. Elle a répondu : [traduction] « Vous savez, ces sénateurs ont tous de gros égos ».

[142] M. Singh a insisté sur le fait que la demande, dans le courriel du 24 novembre, de faire relever de la Direction des ressources humaines d’un autre dirigeant n’était pas poussée, mais plutôt raisonnable.

18. Événements suivant le courriel du 24 novembre

[143] M. Singh a déclaré que le lendemain de l’envoi du courriel à Mme Proulx, il a été convoqué à une réunion dans le bureau de M. Robert. M. Patrice était déjà là. M. Patrice a parlé et a dit que le courriel serait traité dans le cadre de la Politique du Sénat sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail (la « politique sur le harcèlement ») et qu’une firme extérieure ferait enquête à ce sujet (pièce G-1, onglet 16).

[144] M. Singh a également été informé que lui-même et la Direction des ressources humaines relèveraient de M. Robert jusqu’à ce que l’enquête soit terminée et que M. Robert et M. Patrice informeraient les sénateurs. M. Singh a compris que les allégations qui devaient faire l’objet d’une enquête étaient celles qui portaient sur le harcèlement et la discrimination raciale dont il était victime. Il a souligné que ce n’était pas [traduction] « ce qu’il voulait, mais qu’il ne pouvait rien y changer ».

[145] Le lendemain de cette réunion, M. Singh a envoyé un courriel à M. Robert et à M. Patrice (pièce G-1, onglet 2). M. Singh a déclaré qu’il voulait signaler qu’il était ouvert à d’autres moyens de résolution. Il a déclaré qu’avec son expérience, il voulait régler les choses à l’amiable avec Mme Proulx. Par exemple, un médiateur aurait pu être nommé. Ni M. Robert ni M. Patrice n’ont répondu.

[146] Le mardi 1er décembre 2015, M. Singh a assisté à la réunion du Sous‑comité du budget des dépenses du Sénat du Comité permanent, malgré le retrait de ses deux capsules. Ses collègues directeurs ont présenté leurs demandes de financement supplémentaire. Lorsque son tour est venu, il était assis à côté de M. Patrice. Il a dit au Sous-comité que la Direction des ressources humaines n’avait aucune demande à présenter. Un sénateur l’a interrogé au sujet de la demande de formation du personnel des sénateurs.

[147] M. Singh a dit que Mme Proulx et Mme Legault sont intervenues. Il a dit qu’on lui avait alors demandé son avis à ce sujet. Selon lui, à ce moment-là, M. Patrice a saisi son bras et a dit aux sénateurs que Mme Proulx répondrait, ce qu’elle a fait. Après cela, M. Singh a dit qu’il avait l’impression d’être fini et qu’il était prêt à se faire du mal. Il avait été humilié devant le Sous-comité. Il n’avait jamais vu quelqu’un ne pas répondre à une question.

19. Le congédiement de M. Singh

[148] Le 3 décembre 2015, M. Singh a été convoqué au bureau de M. Patrice. M. Robert était également présent et il est sorti un moment. À son retour, il tenait une lettre. M. Patrice a dit à M. Singh qu’ils avaient parlé avec les sénateurs et que son emploi prenait fin à compter de ce jour-là. M. Patrice lui a remis la lettre de congédiement du 2 décembre 2015. M. Singh l’a lue et est parti sans rien dire. Il a descendu le couloir avec M. Patrice, qui lui a dit de rassembler ses effets personnels et de rendre son laissez-passer du Sénat et son BlackBerry.

[149] M. Singh a dit qu’il a quitté le bâtiment. Il n’allait pas bien. Il s’est rendu à la Chambre des communes pour voir Pierre Parent, le responsable des Ressources humaines. M. Singh lui a montré une copie de la lettre. M. Parent a réagi avec incrédulité.

[150] M. Singh est rentré chez lui vers midi ce jour-là. Il s’est effondré et a pleuré. Il a appelé son père. Il est ensuite allé dans sa chambre, où il est resté de trois à cinq jours. Sa femme était inquiète, surtout parce qu’il est diabétique. Il ne voulait pas en parler à ses trois garçons, d’autant plus que c’était juste avant Noël.

[151] M. Singh a dit que c’était dur pour lui. Il avait alors 43 ans et était membre d’une minorité visible occupant un poste d’EX-02 qui allait être reclassifié EX-03. Il a déclaré que dans le secteur public fédéral, personne n’avait le même profil. Il a insisté sur le fait qu’il faisait toujours tout correctement et qu’il n’a jamais bénéficié d’un traitement de faveur. Il a indiqué qu’à l’époque, son ambition était de devenir sous‑ministre adjoint principal, voire sous-ministre. M. Singh soutient qu’il a tout perdu. En outre, il n’avait fait que suivre la politique pertinente de l’employeur.

[152] M. Singh a déclaré que, deux semaines après le congédiement, le sénateur Furey a été nommé Président du Sénat. Comme M. Singh ne savait pas si le Comité permanent avait été mis au courant de sa situation et du congédiement, le 14 décembre 2015, M. Singh a envoyé une lettre au Président Furey au sujet de la situation et en a envoyé des copies aux 15 autres membres du Comité permanent (pièce G-1, onglet 4). Personne n’a répondu.

20. Grief et couverture médiatique

[153] Le 17 décembre 2015, M. Singh a contesté la décision du Sénat de mettre fin à son emploi.

[154] Le Hill Times et la Presse canadienne ont communiqué avec M. Singh au sujet du congédiement le premier lundi de janvier 2016. Il a dit qu’il ne savait pas comment ils avaient obtenu son numéro de téléphone. Il a déclaré qu’ils lui avaient dit que le Sénat avait affirmé qu’il avait été congédié pour harcèlement, même pour harcèlement sexuel. Il a nié les allégations et les a dirigés vers son avocat (pièce G-3, onglet 2).

[155] Le 6 janvier 2016, la Presse canadienne a publié un article sur M. Singh (pièce G‑3, onglet 1). Il a indiqué qu’il ne voulait pas que son nom soit rendu public, alors il a écrit au Sénat, a demandé qu’il respecte sa vie privée et a soulevé que de nombreux sénateurs n’avaient pas reçu la lettre du 14 décembre 2015. Il a déclaré qu’on lui avait dit que M. Patrice avait intercepté les copies de la lettre avant qu’elle soit remise aux 15 sénateurs.

[156] Le 11 janvier 2016, le Hill Times a également publié un article sur le congédiement de M. Singh. Il a souligné que Jacqui Delaney, qui a été interviewée, travaillait pour le sénateur Housakos et qu’il ne connaissait pas la sénatrice Mobina Jaffer, dont le nom a également été mentionné dans l’article (pièce G-3, onglet 3). Le même jour, M. Singh a demandé au Sénat de publier une déclaration officielle affirmant qu’il avait été congédié sans motif valable. M. Singh a indiqué que la déclaration n’avait pas été publiée (pièce G-3, onglet 4).

[157] Le Hill Times a publié un autre article le 18 janvier 2016, toujours sur le sujet du congédiement de M. Singh. L’article comportait une déclaration que le sénateur Housakos avait envoyée par courriel (pièce G-3, onglet 5).

[158] À la question de savoir si, à ce moment-là, M. Singh avait reçu une rémunération tenant lieu d’avis de congédiement, comme il est mentionné dans la lettre du 21 janvier 2016, écrite par le Sénat, M. Singh a répondu qu’il ne l’a reçue que le 21 juillet 2016 (pièce G-3, onglets 6 et 7).

21. Les efforts de M. Singh pour trouver un emploi après le congédiement

[159] M. Singh a déclaré qu’il n’a pas du tout travaillé en 2016, malgré ses efforts. Avec l’aide de son avocat, il a préparé en vue de l’audience un tableau de ses recherches d’emploi en 2016 et en 2017 (pièce G-3, onglet 15). Dans son témoignage, M. Singh a passé en revue la liste des demandes qu’il a présentées et a fait remarquer qu’il était même prêt à prendre un poste à Calgary, en Alberta, mais cette possibilité ne s’est pas concrétisée. Il a également postulé des postes de niveau supérieur et inférieur au niveau de classification EX-02, notamment des postes aux groupes et niveaux AS-07 et PE‑03.

[160] En février 2017, M. Singh a conclu un contrat avec la société Altis en tant que consultant. Tout en cherchant toujours un emploi, il a alors décidé de constituer une société et a décroché plusieurs contrats de courte durée en mars, avril, mai, juin et juillet 2017 (pièce G-3, onglets 15 et 16).

[161] En septembre 2017, il a été embauché comme employé occasionnel à Service Canada pour une période de moins de quatre mois au groupe et niveau AS-07 (pièce G-3, onglet 21).

[162] Le 1er février 2018, il a été embauché pour une période indéterminée à la Garde côtière canadienne au groupe et niveau AS-07 et il occupe toujours ce poste. Son salaire est au maximum de l’échelle puisqu’il a été embauché à l’extérieur de la fonction publique. M. Singh a déclaré que lorsqu’il a accepté le poste, il était désespéré. Il avait besoin d’argent, surtout avec quatre personnes à charge à la maison. Il avait atteint la limite de ses cartes de crédit. En outre, il avait besoin de l’assurance médicale que lui fournissait cet emploi pour se procurer de l’insuline. Il a fait remarquer que, jusqu’en février 2018, il n’avait pas d’assurance médicale, mais qu’il avait néanmoins des factures médicales à payer (pièce G-3, onglet 13).

[163] M. Singh a déclaré qu’après avoir accepté un emploi à la Garde côtière, il a poursuivi sa recherche d’emploi.

[164] M. Singh a fait part d’une demande d’emploi qu’il a présentée à l’Agence canadienne d’inspection des aliments. Il a dit qu’après avoir été interrogé sur la période passée au Sénat et fait savoir qu’il avait été congédié parce qu’il a déposé une plainte, l’Agence a décidé de ne pas lui offrir le poste. Il a déclaré qu’il a décidé de ne pas présenter sa candidature à des postes de la fonction publique pour l’instant. Il estime que, comme il est surqualifié pour la plupart des postes, il ne serait pas embauché. Il veut donc récupérer son poste au Sénat, ce qui lui permettrait de postuler d’autres postes s’il souhaite quitter le Sénat.

[165] M. Singh a conclu son témoignage en exprimant son point de vue concernant le peu de progrès du Sénat dans l’embauche des minorités visibles. Il a fait mention du rapport sur l’équité en matière d’emploi, publié à son arrivée au Sénat en 2013, et des résultats au moment de son départ en 2015. Il a fait remarquer que seuls quatre ou cinq membres issus des minorités visibles y occupaient des postes de cadre intermédiaire en 2015-2016 (pièce G-1, onglet 11, page 4, et onglet 12, page 3).

B. Pour le Sénat

1. Mme Proulx
a. Les antécédents professionnels de Mme Proulx et l’arrivée de M. Singh au Sénat

[166] Mme Proulx est le premier témoin du Sénat. Elle a pris sa retraite le 30 janvier 2018. Elle occupait alors le poste de greffière du Sénat et des Parlements de juillet 2017 jusqu’au moment de sa retraite. Auparavant, elle occupait le poste de dirigeante principale des services corporatifs au Sénat. Elle avait donc la responsabilité de la Direction des finances et de l’approvisionnement, de la Direction des ressources humaines, de la Direction des communications, de la Direction des services d’information et du Bureau de la vérification interne et de la planification stratégique (pièce G-2, onglet 13). Au moment de sa retraite, elle avait quelque 38 ans et demi d’expérience, dont 9 ans dans des postes de direction dans la fonction publique fédérale.

[167] Dans son curriculum vitae, Mme Proulx a souligné son expérience dans le domaine des ressources humaines, notamment en dotation, en classification et en conception organisationnelle.

[168] Mme Proulx est titulaire d’une maîtrise en administration publique de l’Université d’Ottawa depuis 2005. Sa thèse de maîtrise porte sur le projet de conversion de classification au Sénat. À cet égard, elle a indiqué s’être inspirée de son passage au ministère des Pêches et des Océans, où elle s’occupait de dossiers de classification, et de l’incidence que pourrait avoir la Norme générale de classification, pour entre autres harmoniser les postes administratifs au Sénat et remplacer les descriptions de travail précises par des descriptions de travail génériques. Elle a soutenu avoir travaillé sur des centaines de dossiers de classification de postes au cours de sa carrière.

[169] En ce qui a trait à l’arrivée de M. Singh au Sénat à l’automne 2013 dans le cadre de son affectation d’Échanges Canada, Mme Proulx a indiqué qu’à ce moment-là, elle était directrice des Finances et de l’approvisionnement et dirigeante principale des finances, et qu’elle avait uniquement participé à l’entrevue de M. Singh.

[170] À l’arrivée de M. Singh au Sénat, Mme Proulx et lui étaient collègues; ils travaillaient souvent ensemble et ils s’entendaient très bien. Selon Mme Proulx, au départ, M. Patrice et elle-même tentaient d’aider M. Singh. Tout était très positif.

[171] Mme Proulx a indiqué qu’elle n’a participé en aucune façon au processus de nomination de M. Singh au poste de directeur des Ressources humaines en janvier 2015 (pièce G-2, onglet 9). Elle ne se souvient pas de l’avoir félicité par écrit ni d’avoir posé des questions déplacées à M. Singh au sujet de sa nomination, mais elle a affirmé lui avoir dit : [traduction] « Bravo ».

[172] En contre-interrogatoire, elle a insisté sur le fait qu’elle n’avait pas participé au processus de nomination de M. Singh, qu’elle n’était donc pas en mesure de se prononcer sur les raisons qui avaient motivé le sénateur Nolin à nommer M. Singh. Elle a admis que le Président Nolin et M. Pleau avaient indiqué que M. Singh avait été pénalisé sur le plan de la rémunération compte tenu des restrictions figurant dans l’affectation d’Échanges Canada (pièce G-2, onglet 10, page 1).

b. Avis d’intention de nomination

[173] Mme Proulx a déclaré qu’en consultation avec les Services juridiques, Mme Vanikiotis a recommandé de publier un avis d’intention de nommer M. Singh au poste de directeur des Ressources humaines et qu’elle avait accepté cette recommandation (pièce G-2, onglets 10 à 12). Selon Mme Proulx, cet avis aurait dû être publié avant que la lettre de nomination soit signée par le sénateur Nolin, mais étant donné que la lettre avait déjà été signée, elle ne croyait pas que la lettre devait être refaite.

[174] Quant à sa nomination comme dirigeante principale des services corporatifs, Mme Proulx a déclaré que, bien qu’elle ait été annoncée le 27 janvier 2015, elle n’a reçu sa lettre d’offre que le 27 avril 2015, avec effet rétroactif au 16 février 2015. Par conséquent, elle occupait le poste à titre intérimaire, mais a reçu la délégation de pouvoirs nécessaire à cette fin le 16 février 2015. Mme Proulx a indiqué que sa lettre précisait qu’elle était en période d’essai pendant une année, soit jusqu’en février 2016. Elle a expliqué qu’à son retour de vacances le 13 janvier 2015, M. Pleau l’a abordée pour lui demander si le poste de dirigeante principale des services corporatifs l’intéressait. Elle a dit être intéressée même si elle ne connaissait ni la classification ni le salaire. Elle a affirmé ne pas avoir participé aux discussions ayant mené à la classification du poste au groupe et au niveau SEG-5, ce qui équivaut à un poste EX-05 dans la fonction publique.

[175] Questionnée quant à l’avis d’intention de nommer M. Singh en tant que directeur des Ressources humaines, Mme Proulx a affirmé avoir simplement été d’accord avec ce que M. Patrice et Mme Vanikiotis proposaient, sans pour autant avoir vérifié la politique sur la dotation (pièce G-2, onglet 10, et pièce G-1, onglets 13 et 14). Après avoir passé en revue les lignes directrices sur la dotation, Mme Proulx a maintenu qu’elle approuvait toujours les recommandations de Mme Vanikiotis et de M. Patrice à savoir que l’avis d’intention de nommer M. Singh devait effectivement être publié (pièce G-1, onglet 14, pages 14 et 15).

[176] Elle a expliqué qu’à sa connaissance, aucun avis d’intention de la nommer au poste de dirigeante principale des services corporatifs n’a été publié, mais qu’elle ne le savait pas à ce moment-là, car la personne visée par la nomination n’est pas mise en copie conforme sur l’avis.

[177] En contre-interrogatoire, Mme Proulx a convenu que, dans son cas, un avis d’intention de nomination aurait aussi dû être publié, conformément à la politique de dotation, et qu’il revenait donc à M. Singh d’expliquer pourquoi la politique n’avait pas été suivie, d’autant plus que le sujet était d’actualité, car un avis le visant venait d’être publié.

[178] Quant à l’allégation figurant dans le courriel du 24 novembre selon laquelle elle aurait reçu un traitement préférentiel compte tenu du fait que sa nomination n’avait pas été assujettie à un avis d’intention de nomination, Mme Proulx a insisté sur le fait que, d’une part, l’absence de cet avis dans son cas n’était pas quelque chose de positif et, d’autre part, qu’il revenait à M. Singh, en tant que directeur des Ressources humaines, d’en publier un. Si un traitement préférentiel lui a été accordé, c’est M. Singh qui en était responsable (pièce G-1, onglet 1, p.3).

[179] Quant à la période d’essai, Mme Proulx a convenu que, dans son cas, si elle n’avait pas été nommée dirigeante principale des services corporatifs, elle aurait pu retourner à son ancien poste, qui n’avait pas été doté, mais que M. Singh aurait eu un droit de priorité uniquement puisqu’il avait démissionné de la fonction publique.

c. Modifications à la structure administrative du Sénat

[180] Mme Proulx a déclaré qu’en janvier 2015, le Président du Sénat, le sénateur Nolin, a annoncé la nouvelle structure administrative, supervisée par le Comité exécutif et composé des trois dirigeants de secteur, M. Robert, M. Patrice et elle‑même. Mme Proulx a convenu que M. Singh avait travaillé avec M. Pleau sur la conception de cette nouvelle structure (pièce G-2, onglet 13).

[181] Elle a fait remarquer que, dans ce nouveau contexte, sa relation avec M. Singh était positive au début. Elle a déclaré que M. Singh lui avait dit et écrit qu’il se trouvait chanceux d’avoir eu la meilleure des trois dirigeants du Comité exécutif comme superviseure (pièce E-1, onglet 14). Il est même allé jusqu’à lui dire de prendre la situation avec légèreté, ce qu’elle avait trouvé gentil de sa part (pièce E-1, onglet 15).

[182] Mme Proulx a déclaré qu’en février 2015, le Comité exécutif a décidé de donner suite à une demande des sénateurs, qui avaient indiqué que la façon dont les choses étaient gérées devait changer. Toutefois, selon elle, les instructions du Comité directeur n’étaient pas précises. On avait plutôt dit au Comité exécutif de mettre en place une structure fonctionnelle et bien organisée.

[183] Mme Proulx a indiqué qu’elle-même et ses deux collègues se sont alors entendus sur un modèle de structure. Mme Proulx a affirmé avoir demandé à M. Singh ce qu’il fallait faire sur le plan de la classification des postes pour permettre la création de la nouvelle structure. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi M. Singh n’avait pas participé dès le départ, Mme Proulx a répondu qu’elle-même et ses deux collègues connaissaient très bien le Sénat pour y avoir travaillé pendant plusieurs années et qu’ils voulaient d’abord s’entendre avant de décider des particularités de la nouvelle structure.

[184] En contre-interrogatoire, Mme Proulx a répondu qu’elle avait demandé à M. Singh, une fois le Comité exécutif satisfait de la nouvelle structure, de lui indiquer les prochaines étapes à suivre. Les propositions de M. Singh ont ensuite été revues par le Comité. Mme Proulx a nié que les personnes touchées aient été informées avant M. Singh des décisions du Comité et que M. Singh ait été placé le fait accompli.

[185] Quant à savoir si le Président Nolin a demandé aux trois membres du Comité exécutif de consulter M. Singh sur les questions de réorganisation, Mme Proulx a répondu que le Président Nolin venait de les nommer au niveau de sous-ministre adjoint et qu’il ne leur avait donc pas dit qui consulter. Mme Proulx a insisté sur le fait que le Comité exécutif devait d’abord se faire une idée sur la structure qu’il souhaitait mettre en place avant de consulter M. Singh.

d. Questions au Sénat en 2015

[186] Dans son témoignage, Mme Proulx est revenue sur certaines questions que le Sénat a abordées en 2015. Par exemple, elle a souligné le fait que M. O’Brien était absent à partir de janvier, qu’une nouvelle structure avait été mise en place avec le Comité exécutif et que le procès Duffy, auquel les médias se sont beaucoup intéressés, avait commencé vers le mois de mars 2015. À ce sujet, Mme Proulx a rappelé qu’elle avait été désignée comme témoin à ce procès, compte tenu de ses fonctions antérieures de directrice des Finances et de l’approvisionnement, ce qui lui avait imposé beaucoup de travail de préparation. En fait, elle a d’abord été appelée à témoigner en avril 2015 pendant six jours consécutifs. Pendant cette période, le Président Nolin est décédé. Elle a également dû témoigner de nouveau dans le cadre du procès Duffy plus tard, en novembre 2015.

[187] Mme Proulx a déclaré qu’en juin 2015, le Sénat a reçu les conclusions du rapport du vérificateur général sur les dépenses du Sénat. Ce rapport a imposé une charge de travail à certains comités du Sénat, dont elle devait s’occuper en tant que responsable de la régie interne de ces comités.

[188] Des élections fédérales ont eu lieu en octobre 2015. En mai 2015, le sénateur Housakos est devenu Président du Sénat et président du Comité permanent. Le 3 novembre 2015, le père de Mme Proulx est décédé. Mme Proulx est revenue au travail le 16 novembre 2015. Elle a dû retourner témoigner au procès Duffy le 20 novembre 2015. Un nouveau discours du Trône a été prononcé le 3 décembre 2015, à la suite duquel le sénateur Furey est devenu le nouveau Président du Sénat.

e. Participation aux réunions du Comité permanent et du Comité directeur

[189] Mme Proulx a expliqué que, lorsque la nouvelle structure de gouvernance a été mise en place, les sénateurs ont discuté avec le Comité exécutif de la présence des directeurs, environ une dizaine, aux réunions du Comité permanent et du Comité directeur.

[190] Dans le cas des réunions du Comité permanent, tous les directeurs y assistaient et s’assoyaient le long du mur. Quant aux réunions du Comité directeur, M. Robert, M. Patrice, M. Singh, Gérald Lafrenière, directeur de la Vérification interne et de la planification stratégique, et Mme Proulx y assistaient, pendant que les autres directeurs attendaient dans l’antichambre d’être appelés, ce qui arrivait peu souvent.

[191] Mme Marga était directrice par intérim de la Direction des finances et de l’approvisionnement et, selon Mme Proulx, elle n’a jamais assisté à une réunion du Comité permanent ou du Comité directeur. Mme Proulx a déclaré que les sénateurs trouvaient que les trois membres du Comité exécutif étaient expérimentés et qu’il n’était donc pas nécessaire que les directeurs participent aux réunions. Mme Proulx a déclaré que les sénateurs se préoccupaient aussi de fuites potentielles au sujet des discussions tenues lors des réunions des comités après que le rapport du vérificateur général a été ébruité.

[192] Selon Mme Proulx, les nouvelles règles stipulaient qu’à compter de février 2015, seuls les sénateurs membres et les trois membres du Comité exécutif participeraient aux réunions du Comité permanent et du Comité directeur, sauf ceux qui étaient expressément invités. Pour les réunions du Comité permanent, le président devait accepter toute invitation. Selon elle, si un membre du Comité exécutif ne connaissait pas une réponse à une réunion, il pouvait être accompagné la semaine suivante par un directeur ou un gestionnaire (pièce G-2, onglet 14).

[193] Mme Proulx a expliqué que tous les directeurs étaient visés par cette nouvelle directive et qu’ils en étaient tous déçus. La présence des directeurs à ces réunions étant souvent aussi une façon de socialiser.

[194] Mme Proulx a reconnu que, tout comme les trois membres du Comité exécutif, M. Singh avait déjà assisté à toutes les réunions du Comité directeur, ce qui rendait la décision plus difficile pour lui. Selon Mme Proulx, M. Singh revenait souvent sur le sujet. Elle a déclaré lui avoir souvent expliqué les raisons de la décision des sénateurs. Elle a admis ne pas avoir diffusé de copie, car il s’agissait d’une question de nature délicate. Elle a toutefois maintenu avoir expliqué la décision du Comité. Elle a déclaré que, malgré la décision d’admettre les directeurs, sur invitation seulement, elle rencontrait régulièrement les membres de son équipe afin de les tenir informés des discussions qui avaient lieu lors des réunions du Comité permanent ou lors des réunions du Comité directeur.

[195] Mme Proulx a affirmé avoir assisté à toutes les réunions du Comité permanent et du Comité directeur dans le cadre de ses fonctions. Elle a insisté sur le fait que M. Singh est le directeur de son secteur qui, après la directive du 4 février 2015, a été invité le plus souvent à ces réunions. Mme Proulx a toutefois précisé que d’autres directeurs de son secteur, soit Mme Marga et le directeur des Communications, n’ont jamais participé à ces réunions. En ce qui concerne la directrice des Services d’information, Mme Bouchard, Mme Proulx préférait que celle-ci soit présente, au besoin, compte tenu de la nature technique du dossier dont elle s’occupait.

[196] Mme Proulx a indiqué qu’elle présentait au Comité permanent et au Comité directeur les notes d’information portant sur les ressources humaines, qui étaient préparées selon des modèles préalablement approuvés par les sénateurs. Un secrétariat au sein de l’équipe de Mme Proulx s’occupait, le cas échéant, de demander une note d’information au directeur du secteur concerné. Mme Proulx a indiqué que, même si les notes d’information n’étaient pas signées, elle présumait qu’elles avaient été revues par les directeurs concernés. Ainsi, les notes d’information étaient préparées à l’avance et leur contenu était discuté à l’interne avant qu’elles soient envoyées, par exemple, aux membres du Comité directeur.

[197] Mme Proulx a affirmé n’avoir jamais invité un employé de la Direction des ressources humaines à assister à une de ces réunions sans que M. Singh en soit préalablement informé. Elle a aussi maintenu ne jamais avoir demandé à un employé de M. Singh de préparer une note d’information sans qu’il ne le sache.

[198] En contre-interrogatoire, Mme Proulx a déclaré que non seulement les sénateurs craignaient qu’il y ait des fuites de leurs discussions en raison d’un trop grand nombre de directeurs présents, mais qu’en plus ils se demandaient si les directeurs n’avaient pas mieux à faire. Selon Mme Proulx, cette question était un irritant pour les sénateurs. Elle a indiqué que cette directive avait été communiquée à huis clos au Comité exécutif par les sénateurs et qu’elle faisait partie d’un procès-verbal qui ne pouvait pas être divulgué.

[199] Elle a aussi expliqué que, dans les cas des réunions du Comité directeur, deux ou trois directeurs attendaient souvent dans l’antichambre et qu’ils étaient souvent bruyants, ce qui était irritant.

[200] Selon Mme Proulx, les sénateurs avaient informé le Comité exécutif que si l’un des trois membres du Comité exécutif était absent du Comité permanent ou du Comité directeur, il ne pouvait pas être remplacé. Ainsi, elle-même, qui était pourtant la greffière de ces deux comités, n’était pas remplacée si elle devait s’absenter.

[201] Selon Mme Proulx, le Comité exécutif tenait seulement à mettre en application une décision du Comité permanent et du Comité directeur concernant la participation des directeurs aux comités du Sénat, et ce, même si tous les directeurs étaient déçus. Mme Proulx a soutenu qu’elle a expliqué à M. Singh les raisons données par les sénateurs, mais que ce dernier demeurait mécontent. Elle a convenu que Gerald Lafrenière, directeur de la Vérification interne et de la planification stratégique au Sénat, avait assisté une fois à une réunion du Comité directeur pour expliquer un projet entre le 4 février et l’automne 2015, mais selon elle, c’était à la demande expresse du comité.

[202] Elle a maintenu que M. Singh était le directeur le plus souvent invité aux réunions du Sénat durant cette période et elle a nié que Mme Bouchard avait assisté régulièrement à ces réunions. Elle a de plus déclaré que le Comité permanent et le Comité directeur n’avaient pas siégé pendant l’été et à l’automne 2015 à cause des élections fédérales. Elle a déclaré être celle qui répondait aux questions des sénateurs, entre autres sur les questions en matière de ressources humaines, y compris les divers rapports comme celui sur l’équité en matière d’emploi.

[203] Lorsqu’on lui a demandé si Luc Pressault, qui est devenu le directeur des Ressources humaines après le départ de M. Singh, avait assisté aux réunions du Comité permanent et du comité directeur, Mme Proulx a répondu par l’affirmative et a affirmé que les nouveaux directeurs avaient effectivement été invités aux réunions du Comité pour des fins de formation. Elle a expliqué qu’en 2016 et à la demande du président du Comité permanent, M. Pressault a assisté à une réunion pour expliquer le contenu d’un rapport sur la diversité au sous-comité concerné.

[204] Quant à savoir si M. Pressault a assisté à toutes les réunions du Sénat pendant son mandat à titre de directeur des ressources humaines, Mme Proulx a déclaré qu’en 2017, elle est devenue greffière du Parlement, que la Direction des ressources humaines relevait alors du secteur du légiste et conseiller parlementaire et qu’après le départ de M. Patrice, son remplaçant n’était pas à l’aise avec les questions de ressources humaines, ce qui explique la présence de M. Pressault aux réunions du Comité.

[205] Quant à l’accès aux procès-verbaux des réunions du Comité permanent et du Comité directeur, Mme Proulx a soutenu qu’en 2017, par exemple, ils ne pouvaient toujours pas être transmis, sauf si leur consultation était nécessaire dans le cadre des fonctions d’un employé. Mme Proulx a déclaré avoir toujours donné de la rétroaction aux directeurs concernés sur les notes d’information ou les réunions des comités dans le cadre de ses réunions de gestion ou bilatérales avec chacun de ses directeurs. Elle a soutenu que bien que certaines discussions lors des réunions de comité ne puissent pas être répétées, elle informait toujours le directeur de l’essentiel de ces discussions et de la décision rendue.

[206] Selon elle, les notes d’information étaient revues par le Comité exécutif avant d’être envoyées aux comités du Sénat. Si un changement devait être apporté à la note, le directeur concerné en était informé. Elle a aussi affirmé préparer des tableaux sommaires renfermant les grandes lignes des discussions avec les sénateurs qu’elle transmettait aux directeurs par l’entremise de son secrétariat, qui se chargeait aussi de faire le suivi sur les sujets discutés en comité.

f. Lettre d’offre de M. Singh

[207] Mme Proulx a déclaré que lorsqu’un employé a présenté un grief après la publication de l’avis d’intention de nomination de M. Singh au poste de directeur, elle a dû revoir le dossier avec l’aide de M. Bédard afin de pouvoir répondre au grief. Mme Proulx a indiqué avoir vu dans la lettre d’offre préparée par M. Singh des éléments qui l’ont surprise (pièce G-2, onglet 9). Elle a souligné en contre-interrogatoire que la question du transfert des congés lui « avait sauté aux yeux ».

[208] Mme Proulx a indiqué avoir alors communiqué avec M. Bédard et M. Pleau le 2 avril 2015 afin de connaître la teneur des discussions avec M. Singh avant qu’il ne prépare la lettre (pièce G-2, onglet 17). Elle a déclaré que M. Pleau lui avait alors confié avoir demandé à M. Singh pourquoi il était en affectation d’Échanges Canada et pourquoi M. O’Brien ne l’avait pas nommé directeur de façon permanente. M. Pleau aurait aussi mentionné avoir dit à M. Singh, en parlant de la lettre d’offre, « occupe-toi en ».

[209] Mme Proulx a expliqué que, le même jour, soit le 2 avril 2015, elle a rencontré M. Singh, en présence de M. Bédard. Le but de la rencontre était de recueillir les faits et prendre une décision relativement au grief. Selon elle, M. Singh n’était pas content lors de cette rencontre et il a expliqué les circonstances l’ayant amené à rédiger sa lettre d’offre.

[210] Selon Mme Proulx, M. Singh se serait octroyé une augmentation de salaire supérieure à 5 %, alors que, selon les règles du Secrétariat du Conseil du Trésor, qui sont suivies par le Sénat, elle doit être de 5 %, à moins d’autorisation spéciale. Mme Proulx a soutenu que la seule autre fois où cette situation s’était produite et qu’une augmentation supérieure à 5 % avait été accordée, une demande d’exception avait été faite au Comité permanent, ce qui n’avait pas été le cas en l’occurrence.

[211] En contre-interrogatoire, Mme Proulx a admis que M. Pleau et le Président Nolin, lequel avait quelque 25 ans d’expérience au Sénat, avaient signé la lettre d’offre. Elle a toutefois insisté sur le fait que l’exception à la hausse salariale n’avait pas été expliquée au Président Nolin et à M. Pleau et que ceux-ci se sont fiés à ce que M. Singh leur avait dit. Selon Mme Proulx, M. Singh aurait dû consulter Mme Vanikiotis avant de procéder à la rédaction de la lettre.

[212] Mme Proulx a déclaré ne pas avoir été convaincue que la question de la période d’essai avait réellement été discutée entre M. Pleau et M. Singh; elle a convenu que cette question était à son avis la moins préoccupante des trois allégations. Selon Mme Proulx, la question du transfert de congés était sans contredit l’élément le plus important de cette affaire.

[213] Mme Proulx a affirmé que cette rencontre du 2 avril 2015 avait été tendue. M. Singh avait soutenu qu’il n’avait pas à être mis dans cette situation et que M. Patrice n’avait pas à publier un avis d’intention de nomination.

g. L’audience disciplinaire de M. Singh et la lettre de réprimande

[214] Mme Proulx a déclaré que le 5 mai 2015, elle a convoqué M. Singh à une audience disciplinaire afin d’obtenir des réponses et de connaître sa version des faits quant à certains éléments de sa lettre d’offre qui n’étaient pas conformes aux politiques du Sénat. Mme Proulx a indiqué avoir téléphoné à M. Singh le 5 mai 2015 pour lui lire la lettre de convocation à une audience disciplinaire et qu’elle lui a ensuite remise cette lettre en mains propres. Selon elle, M. Singh lui aurait dit que tout cela n’était que des [traduction] « conneries » et qu’elle ne faisait que répéter ce que M. Patrice lui disait de dire. Selon elle, il aurait ajouté qu’il ne parlait plus à M. Patrice, pour qui il éprouvait un [traduction] « manque total de respect ». Mme Proulx a dit avoir pris des notes de la conversation téléphonique au dos de la lettre du 5 mai (pièce E-1, onglet 11). Selon Mme Proulx, la rencontre disciplinaire a eu lieu le 15 mai 2015; M. Patrice, M. Robert et M. Bédard étaient aussi présents. M. Singh était accompagné de M. Desharnais.

[215] Mme Proulx a expliqué qu’à cette rencontre disciplinaire, il a été question du salaire de M. Singh, de son exemption de la période d’essai et du transfert de congés. Selon Mme Proulx, M. Singh n’aurait pas dû s’octroyer une hausse salariale supérieure à celle permise ni s’exempter de la période d’essai. Elle a insisté sur le fait que le transfert de congés était l’élément le plus préoccupant. Elle a maintenu qu’au Sénat, les employés ont une limite permise d’accumulation de congés chaque année qui doit être respectée, à défaut de quoi, et à moins d’autorisation spéciale, les congés sont liquidés. Selon elle, M. Singh n’a pas démontré de remords lors de cette rencontre et il a maintenu qu’il n’allait pas [traduction] « répondre à ça ». La rencontre s’est terminée de façon tendue, le message de M. Singh étant que le Sénat n’était pas un employeur moderne.

[216] Mme Proulx a déclaré qu’une rencontre a eu lieu le 1er juin 2015 entre le Comité exécutif et M. Singh sur ce même sujet. M. Singh aurait alors admis ne pas connaître la politique sur le transfert des congés, et il a exprimé des remords, indiquant même qu’il aurait imposé une mesure disciplinaire plus sévère qu’une lettre de réprimande que le comité s’apprêtait à lui envoyer.

[217] Selon Mme Proulx, le Comité exécutif a effectivement décidé, le 12 juin 2015, d’envoyer une lettre de réprimande à M. Singh, qui aurait dû informer M. Pleau en janvier 2015 des politiques du Sénat et de leurs exceptions, ce qu’il n’a pas fait (pièce G-2 onglet 22). À cet égard, elle a souligné les exigences de l’« Énoncé de valeurs et d’éthique de l’Administration du Sénat » (pièce E-1, onglet 6). Elle a aussi fait référence au Code relatif aux conflits d’intérêts pour les personnes à l’emploi du Sénat et à son énoncé de politique qui interdisent notamment tout traitement de faveur. Selon Mme Proulx, le fait que M. Singh ait lui-même rédigé sa lettre d’offre en y incluant des conditions d’emploi avantageuses contrevenait aux exigences du Code. Même si M. Pleau lui a demandé de préparer la lettre d’offre, M. Singh aurait dû demander à une autre personne de le faire à sa place (pièce E-1, onglets 7 et 8).

[218] En contre-interrogatoire, Mme Proulx a admis avoir été ébranlée par cette affaire, car le directeur des Ressources humaines doit être son pilier dans des dossiers épineux. Elle a aussi admis que le Comité exécutif avait considéré d’autres mesures disciplinaires, dont le congédiement, mais qu’au bout du compte, tous s’étaient mis d’accord pour imposer une lettre de réprimande à M. Singh.

[219] Mme Proulx a déclaré que compte tenu du fait que M. Singh en était directeur de la Direction des ressources humaines, les employés de ce secteur n’ont pas été mis au courant de cette affaire. Les sénateurs n’ont pas non plus été informés, car, selon Mme Proulx, il aurait été plus difficile par la suite pour M. Singh de travailler avec eux. L’idée était donc de ne pas empirer l’affaire, étant donné que M. Singh avait exprimé des remords.

[220] Mme Proulx a soutenu que l’idée était alors de continuer à travailler ensemble puisque le Comité exécutif voulait garder cette affaire confidentielle. Par conséquent, il a été décidé de conserver la lettre de réprimande dans le bureau de Mme Proulx au lieu de la placer dans le dossier personnel de M. Singh.

h. Programmes de développement en leadership pour les greffiers à la procédure et les greffiers législatifs

[221] Mme Proulx a déclaré que le programme de développement en leadership pour les greffiers à la procédure et les greffiers législatifs relevait du greffier du Sénat, M. Robert, et qu’elle n’avait pas participé à son élaboration et n’était pas au courant de ce programme avant de recevoir un courriel à ce sujet de M. Singh le 13 juin 2015 (pièce G-2, onglet 23). Mme Proulx a indiqué que, visiblement, M. Singh était agacé de ne pas y avoir participé, mais elle ne comprenait pas pourquoi elle était ciblée, car elle n’était pas au courant de ce programme. Mme Proulx a déclaré que, selon elle, cela signifiait qu’il y avait mécontentement entre M. Singh et Mme Vanikiotis, laquelle lui avait parlé du programme la veille, et que c’était à lui de régler ses différends dans sa direction.

i. Demande d’affectation d’Échanges Canada et de congé de maladie de Mme Vanikiotis

[222] Mme Proulx a déclaré avoir été informée le vendredi 1er mai 2015 que Mme Vanikiotis envisageait un détachement à l’extérieur de la Direction des ressources humaines. Mme Proulx a indiqué avoir demandé à M. Singh qui pouvait alors la remplacer. Selon Mme Proulx, M. Singh aurait alors suggéré une personne qui n’avait pas réussi à se qualifier deux mois auparavant dans un poste de SEN-10, poste de deux niveaux plus bas que celui de gestionnaire occupé par Mme Vanikiotis, classifié au niveau MMG-02. Mme Proulx a déclaré avoir alors dit à M. Singh qu’elle allait parler à Mme Vanikiotis, qui était indécise et voulait réfléchir.

[223] En contre-interrogatoire Mme Proulx a affirmé qu’elle n’avait jamais dit à M. Singh qu’elle n’était pas d’accord avec ce détachement, même si elle avait des réserves. Le 3 mai 2015, elle lui a réitéré qu’aucune décision n’avait été prise. Dans les circonstances, elle a dit ne pas comprendre sa réponse ce jour-là (pièce G-2, onglet 20). Mme Proulx a acheminé le courriel de M. Singh à M. Robert et à M. Patrice, qui ont répondu vouloir apporter leur contribution (pièce E-1, onglet 24). Selon Mme Proulx, M. Patrice et M. Robert ont par la suite rencontré Mme Vanikiotis, qui a finalement décidé de rester avec le Sénat.

[224] Dans son témoignage, Mme Proulx a indiqué qu’en février 2015, elle avait demandé à M. Singh d’être précis quant aux types de congés demandés, si par exemple, c’était pour des raisons médicales ou familiales. Mme Proulx a dit avoir précisé à tous ses directeurs qu’il fallait être conforme dans la façon de consigner les congés, dans l’éventualité d’une vérification.

[225] Mme Vanikotis était malade le 17 février 2015 et elle avait quand même travaillé. Elle n’avait toutefois pas fait de demande de congé de maladie pour toutes les heures cette journée-là, car elle avait travaillé pendant trois heures. Mme Proulx a insisté sur le fait qu’elle ne comprenait pas pourquoi M. Singh lui disait dans son courriel qu’elle avait [traduction] « tort sur toute la ligne » et lui rappelait de ne pas parler à ses employés, car d’une part, c’est lui qui avait soulevé cette affaire avec elle et non l’inverse, et d’autre part, selon Mme Proulx, elle n’avait jamais abordé cette affaire avec Mme Vanikiotis (pièce E-1, onglet 16).

[226] Quant à savoir si Mme Proulx a demandé à M. Singh de ne pas parler à M. Patrice, elle a simplement répondu en contre-interrogatoire qu’elle avait demandé à M. Singh de la tenir informée de toutes questions de nature délicate qui concernaient les sénateurs. Elle a soutenu qu’elle n’avait jamais demandé à M. Patrice de ne pas parler à M. Singh et que M. Patrice voulait toujours qu’elle intervienne (pièce G-2, onglet 15, et pièce E-1, onglet 19).

j. Programme de perfectionnement pour le poste de dirigeant principal des finances

[227] Mme Proulx a déclaré que Mme Marga l’avait remplacée de façon intérimaire dans son ancien poste de directrice des Finances et de l’approvisionnement et de dirigeante principale des finances. Cette dernière l’avait informée qu’elle n’était pas intéressée par le poste de façon permanente. Mme Proulx a dit avoir abordé M. Singh, qui lui avait alors proposé d’établir un plan de perfectionnement échelonné sur une période de 30 à 42 mois qui permettrait à un candidat de devenir le prochain directeur, classifié SEG-3 (pièce G-2, onglet 18).

[228] Mme Proulx a expliqué que plusieurs personnes avaient postulé. Dans un courriel du 8 avril 2015, M. Singh lui a proposé que les candidats soient soumis à examen à faire à la maison. Mme Proulx a indiqué qu’elle ne voulait pas d’examen de ce type et elle l’a informé qu’elle préférait laisser à deux de ses agents de dotation le soin de peaufiner les détails relatifs aux questions d’entrevue. Elle a indiqué qu’elle estimait qu’il avait mené le projet là où il était censé le faire et qu’il devait passer à autre chose, d’autant plus que d’autres dossiers ont pris beaucoup de temps pendant cette période, comme l’étude sur la rémunération des employés des sénateurs.

[229] Lorsqu’on lui a demandé pourquoi quelqu’un de son niveau prendrait le temps de déterminer s’il devait y avoir un examen à la maison, alors qu’elle aurait pu le laisser à la discrétion de M. Singh, Mme Proulx a expliqué qu’il s’agissait d’un dossier important pour elle, qu’en tant que cliente, elle estimait qu’il était important de donner son point de vue et que, quoi qu’il en soit, il ne lui a pas fallu beaucoup de temps pour dire qu’elle n’aimait pas les questions de ce genre.

[230] Mme Proulx a aussi dû expliquer pourquoi elle avait demandé à ce que Mme Hubert et Mme Labelle s’occupent des prochaines étapes. Selon Mme Proulx, elle a demandé que seules les spécialistes de la dotation s’occupent de l’aspect technique, étant donné que la stratégie avait été élaborée. Mme Proulx a affirmé que le 22 avril 2015 elle est partie pour se préparer en vue du procès Duffy et qu’elle n’est plus intervenue dans ce dossier par la suite.

[231] Selon elle, M. Singh ne lui a jamais signifié qu'il souhaitait faire partie du jury de sélection. Elle a toutefois admis qu’il aurait été un bon choix, compte tenu du fait que trois candidats étaient issus des minorités visibles. Elle a également déclaré que compte tenu des dossiers problématiques, elle voulait que le jury soit composé d’un dirigeant principal des finances de la fonction publique, ainsi que Mme Marga, qui occupait le poste de directrice des Finances et de l’approvisionnement et de dirigeante principale des finances par intérim.

[232] Mme Proulx a déclaré qu’en temps normal elle aurait elle-même fait partie du jury de sélection, mais qu’en avril 2015, la préparation au procès Duffy la tenait très occupée. Elle a donc demandé à Mme Bouchard de la remplacer. Selon Mme Proulx, Mme Bouchard n’avait pas comme tel d’expérience en finances, mais elle possédait quelque 30 ans d’expérience de travail et, en tant que directrice des Services d’information, elle devait gérer de très gros budgets et elle connaissait avec les principes financiers. Mme Varga et une autre personne ayant de l’expérience en finances provenant de l’extérieur du Sénat étaient les autres membres du jury de sélection. Le jury était composé de deux femmes et d’un homme; une de ces trois personnes avait un handicap physique. Selon Mme Proulx, M. Singh n’a jamais soulevé de préoccupation quant à la composition du jury de sélection.

[233] Mme Proulx a déclaré que les entrevues avaient eu lieu pendant qu’elle témoignait dans l’affaire Duffy. Par conséquent, elle n’avait pas eu de contact avec les membres du jury et ce dernier n’a retenu aucun candidat. Mme Proulx a affirmé avoir été déçue lorsqu’à son retour, après six jours de témoignage au procès Duffy, elle avait appris que le jury de sélection n’avait retenu aucun candidat. Selon elle, le jury était unanime à dire qu’aucun candidat n’avait les compétences essentielles pour participer au programme de perfectionnement pour le poste de dirigeant principal des finances et qu’il aurait fallu aller à l’encontre de sa recommandation unanime de choisir quelqu’un, ce qui n’a pas été fait.

[234] En contre-interrogatoire, Mme Proulx a reconnu ne pas détenir d’accréditation en comptabilité. Toutefois, elle a fait remarquer qu’elle a obtenu une maîtrise en administration publique et qu’elle était dirigeante principale des finances et directrice des Finances et de l’approvisionnement au Sénat avant d’être nommée dirigeante principale des services corporatifs.

[235] Elle a également reconnu qu’elle n’avait supervisé qu’un seul employé du niveau de la direction, un contrôleur, avant d’être nommée dirigeante principale des services corporatifs. Quant à savoir comment on compare la gestion de membres de direction avec celle d’employés n’occupant pas un poste de direction, Mme Proulx a indiqué que les directeurs ont leurs responsabilités et qu’on peut avoir avec eux des discussions plus élaborées au sujet des dossiers problématiques. Selon Mme Proulx, des directives générales peuvent être données en tout temps aux directeurs et elle a souligné qu’elle-même, à son niveau, recevait aussi des directions précises.

k. Modifications proposées à la Direction des ressources humaines

[236] Mme Proulx a déclaré qu’à la suite de la fusillade au Parlement à l’automne 2014, des efforts ont été faits pour accroître la protection au Parlement. Il fallait donc une structure organisationnelle pour soutenir ces efforts, auxquels le Sénat souhaitait collaborer. M. Nunan, conseiller principal en relations de travail à l’époque, a été affecté au projet jusqu’en mars 2016, dans un premier temps. Il a donc dû être remplacé. C’est dans ce contexte que, à l’été 2015, M. Singh a présenté à Mme Proulx une proposition de réorganisation de la Direction des ressources humaines (pièce G-2, onglets 24 à 28).

[237] Mme Proulx a déclaré que M. Singh a proposé de nombreux changements au cours d’une période d’instabilité au Sénat, selon sa description, en raison du rapport du vérificateur général sur les dépenses des sénateurs et du fait que la Direction des ressources humaines devait faire l’objet d’un examen fonctionnel. Elle a indiqué que, compte tenu du contexte, les propositions de réorganisation de la Direction des ressources humaines visaient à apporter de nombreux ajustements pour combler le vide créé par le départ de M. Nunan en détachement. Selon elle, cette situation créait beaucoup d’inquiétude d’un point de vue opérationnel. Le moment n’était pas opportun pour les changements. Elle a d’abord répondu à ses propositions le 21 juin 2015, à 9 h 03 et quelques minutes plus tard à 9 h 22 (pièce G-2, onglets 24 et 25).

[238] Mme Proulx a déclaré que M. Singh lui avait alors répondu qu’elle faisait de la microgestion à son égard et qu’il avait l’autorité pour apporter les changements proposés; comme il s’agissait d’affectations de moins de six mois, il n’avait pas besoin de son autorisation. Mme Proulx a contesté le point de vue de M. Singh, donnant pour exemple le détachement de M. Nunan, qui pouvait durer neuf mois, soit de juin 2015 à la fin mars 2016.

[239] Elle a aussi déclaré qu’elle se sentait piégée, expliquant que M. Singh l’informait de ses intentions, mais qu’il ne voulait pas qu’elle donne ses commentaires. Elle a nié vouloir simplement [traduction] « opposer une résistance » et elle insistait pour poser des questions et obtenir des réponses. Mme Proulx a affirmé avoir fait parvenir le courriel de M. Singh du 19 juin 2015 à M. Patrice et à M. Robert (pièce E-1, onglet 25).

[240] Mme Proulx a maintenu que, malgré la délégation de pouvoirs, elle restait ultimement responsable et continuait de rendre des comptes en tant que dirigeante principale des services corporatifs. Elle a déclaré que, le 21 juin 2015, elle a transmis les courriels de M. Singh des 19 et 21 juin 2015 à M. Patrice et à M. Robert (pièce E-1, onglet 25).

[241] Mme Proulx a déclaré avoir réalisé, après le courriel de M. Singh des 19 et 21 juin 2015, que sa relation avec M. Singh devenait difficile. Elle a expliqué que le courriel avait suivi la lettre de réprimande qui lui avait été envoyée le 12 juin. Or, elle croyait qu’ils avaient tourné la page à ce sujet. Mais étant donné le ton de son courriel, dans lequel il l’accusait d’avoir fait de la microgestion à son égard, elle a vu que la situation devenait de plus en plus difficile et conflictuelle (pièce G-2, onglet 25). Dans son courriel du 23 juin 2015, Mr Singh lui écrivait ceci :

[Traduction]

Nicole,

Vous êtes, bien sûr, libre de faire ce que vous voulez et puisque les RH sont si peu souvent invitées à parler au Comité exécutif, ce sera une première.

Par souci de clarté, cependant, et à titre d’information, vous avez tort quant au niveau suivant [...]

 

[242] Mme Proulx a déclaré qu’elle avait trouvé que le courriel était insultant, sarcastique, déplacé et non professionnel. Elle a indiqué qu’elle l’a transmis à M. Patrice et à M. Robert, puisqu’ils géraient tous les trois l’Administration du Sénat et que ce dossier les concernait tous.

[243] Questionnée quant à la signification de « Grrr » dans son courriel du 21 juin 2015 à M. Patrice, Mme Proulx a nié qu’il s’agissait d’une expression d’irritation envers M. Singh, mais que c’était plutôt en réponse aux incohérences de certaines propositions, comme lorsque M. Singh parlait du détachement de M. Nunan parfois de six mois, et parfois de neuf mois. Elle a fait remarquer qu’elle devait être consultée sur ce type de détachement (pièces G-1, onglet 17, et G-2, onglet 24).

l. Réunion du Comité exécutif en juin 2015

[244] Mme Proulx a déclaré que M. Singh a assisté à la réunion du Comité exécutif après son invitation du 22 juin 2015 et qu’il a pris des notes en préparation (pièce G-2, onglet 25). M. Robert et M. Patrice étaient aussi présents. La rencontre a eu lieu dans le bureau de M. Robert, et Mme Proulx a indiqué avoir pris des notes (pièce G-2, onglet 29). Selon Mme Proulx, la réunion n’était pas cordiale, M. Singh n’était pas content; il était tendu et il est devenu agité.

[245] Mme Proulx a dit que M. Singh a de nouveau demandé pourquoi il n’était plus invité aux réunions du Comité permanent et du Comité directeur et que les raisons ont été réitérées en présence de ses deux collègues. Selon elle, il a déclaré que la Direction des ressources humaines et la Direction des finances et de l’approvisionnement n’étaient plus représentées à ces réunions, même si elle y assistait toujours. Selon Mme Proulx, il a affirmé qu’elle n’était pas une experte et n’était pas qualifiée pour prendre des décisions concernant les ressources humaines. Selon Mme Proulx, ce dernier commentaire de M. Singh s’appliquait de façon générale, et pas seulement dans le cadre des réunions avec les sénateurs. Elle a ajouté qu’il avait insisté pour que ce soit lui qui parle au nom de la Direction des ressources humaines. Selon elle, M. Patrice est intervenu et a dit à M. Singh que Mme Proulx avait de l’expérience en ressources humaines au Sénat.

[246] En contre-interrogatoire, Mme Proulx a convenu qu’à la réunion, M. Singh avait demandé qui devrait s’occuper d’une plainte de harcèlement advenant le cas où une telle plainte était déposée contre un des trois membres du Comité exécutif, mais elle a affirmé ne pas se souvenir que M. Patrice ait répondu que l’un des deux autres dirigeants s’en occuperait. Selon Mme Proulx, dans les circonstances, une telle plainte devait être examinée par le Président du Sénat et le Comité directeur (pièce G-1, onglet 16). Elle a également reconnu qu’à ce moment-là, M. Singh a dit qu’il était traité différemment des autres directeurs, mais il n’a pas dit que ce traitement était la conséquence de son origine raciale.

[247] Selon Mme Proulx, pendant cette rencontre, le Comité exécutif cherchait à savoir si M. Singh avait déposé un grief ou une plainte pour harcèlement. Elle a convenu qu’aucune action n’avait été prise par le Comité à la suite de cette rencontre, soulignant que, habituellement, le Comité aurait consulté la Direction des ressources humaines, mais que, dans ce cas-ci, ce n’était pas possible puisque M. Singh en était le directeur.

m. L’étude du Sénat sur la rémunération

[248] Lors de la même réunion du Comité exécutif de juin 2015, M. Singh aurait mentionné de nouveau l’étude du Sénat sur la rémunération des employés qui avait déjà été soulevée en sa présence en mai 2015. À ce moment-là il s’était excusé du ton qu’il avait utilisé à l’égard de Mme Proulx (pièce E-1, onglet 17).

[249] Mme Proulx a expliqué que la décision de revoir la rémunération des employés des sénateurs avait été prise au moment du départ de M. O’Brien et qu’elle devait être terminée en avril 2015. Elle a déclaré avoir beaucoup participé à un projet de conversion et de classification semblable lorsqu’elle était à la Direction des finances et de l’approvisionnement en 2004, et elle avait alors vu comment un tel dossier pouvait être difficile. Mme Proulx a aussi mentionné un exercice passé qui s’était tenu des années auparavant et qui portait sur des indemnités de départ, auquel elle n’avait pas participé, et qui s’était révélé désastreux.

[250] Selon Mme Proulx, compte tenu du fait qu’il s’agissait de la rémunération des employés des sénateurs, il fallait faire attention en gérant ce genre de projet et ne pas faire d’erreur, car les sénateurs réagissent très vite lorsqu’il s’agit de leurs employés. Selon elle, il s’agissait d’un dossier très important, au point qu’elle y aurait travaillé la nuit s’il avait fallu. Elle a indiqué qu’elle a ensuite demandé à une personne de la Direction des finances et de l’approvisionnement de travailler avec une personne de la Direction des ressources humaines pour s’assurer que tout était conforme.

[251] Mme Proulx a déclaré avoir revu personnellement des lettres destinées aux employés dans le cadre de cet exercice, mais, contrairement à ce qu’elle avait fait en 2004, elle ne les avait pas toutes revues, se contentant de revoir les lettres types. Elle a aussi soutenu ne pas avoir refait le calcul de chaque lettre.

[252] Lorsqu’on lui a demandé si, en mai 2015 et avant qu’il se voit imposer une mesure disciplinaire, M. Singh avait soulevé le fait qu’elle faisait de la microgestion à son égard, Mme Proulx a affirmé ne pas se souvenir qu’il s’agissait d’un problème important (pièce G-2, onglet 21). Elle a convenu que le projet de rémunération des employés des sénateurs était déjà en cours depuis un an et demi lorsqu’elle est devenue dirigeante principale des services corporatifs et que tout allait bien. Elle a toutefois noté que, compte tenu de son expérience en 2004, elle connaissait les risques d’un tel exercice et elle tenait à s’assurer que tout se termine sans problème. Elle a aussi reconnu avoir fait des suggestions pour les lettres à la suite des consultations avec les employés des sénateurs. Elle a déclaré que, selon elle, elle participait au projet à titre de collaboratrice; le fait qu’elle soit classifiée SEG-5 ne devait pas l’empêcher de s’assurer que tout était conforme.

[253] Toujours dans le cadre de la réunion de juin 2015 du Comité exécutif, Mme Proulx a réitéré qu’elle ne s’était jamais attendue à ce que M. Singh acquiesce à toutes ses demandes. Selon elle, c’est plutôt lui qui aurait souhaité qu’elle acquiesce à toutes ses demandes. Mme Proulx a contesté l’allégation selon laquelle elle faisait de la microgestion et elle a insisté sur le fait qu’elle se sentait responsable et devait assurer une saine gestion dans son secteur.

[254] Elle a aussi déclaré qu’il pouvait arriver qu’elle parle aux employés de toutes ses directions et qu’elle leur pose une question si, par exemple, elle les croisait dans le corridor. Elle a toutefois nié s’adresser directement aux employés de M. Singh sur une affaire qui le concernait. Mme Proulx a indiqué avoir eu des rencontres de gestion et des rencontres bilatérales avec chacun de ses directeurs. Quant à savoir si elle avait traité M. Singh différemment de ses autres directeurs, elle a affirmé qu’il n’en était rien.

n. Évaluation du rendement de 2014-2015 de M. Singh et participation à la conférence

[255] Mme Proulx a déclaré avoir néanmoins décidé, de concert avec M. Patrice et M. Robert, d’accorder la prime de rendement maximale de 10 % à M. Singh pour l’ensemble de l’exercice 2014-2015 même si, techniquement, selon l’entente d’échange, la prime aurait dû être calculée au prorata et M. Singh aurait dû recevoir 8 % pour la quasi-totalité de l’exercice, soit d’avril 2014 à janvier 2015 (pièce G-2, onglet 27). Mme Proulx a admis avoir elle aussi obtenu le maximum, soit 10 %, pour la période d’avril 2014 à janvier 2015 et que ces décisions avaient été prises par le Comité directeur (pièce G-8).

[256] Selon Mme Proulx, l’exercice d’évaluation du rendement était aussi l’occasion de confirmer la participation à des conférences. Pour la conférence de l’Association professionnelle des cadres supérieurs de la fonction publique du Canada, M. O’Brien avait approuvé, avant son départ, la demande de M. Singh. Mme Proulx a aussi dit que M. O’Brien avait établi une directive selon laquelle seules deux personnes pouvaient assister à une conférence si des frais de déplacement devaient être engagés. Elle a déclaré que le Comité exécutif a modifié cette directive pour lui permettre, ainsi qu’à M. Singh et à Mme Bouchard, d’assister à la conférence de l’Association canadienne de l’administration parlementaire qui devait se tenir à l’extérieur de la région de la capitale nationale.

[257] Bien que Mme Proulx ait soutenu que M. Singh avait été officiellement informé en même temps que Mme Bouchard qu’il assisterait aussi à la conférence de l’Association canadienne de l’administration parlementaire, Mme Proulx a également expliqué que comme Mme Bouchard devait faire une présentation à cette conférence, on aurait pu lui dire qu’elle assisterait à la conférence avant d’avoir obtenu la confirmation officielle, puisqu’elle devait s’y préparer. En contre-interrogatoire, Mme Proulx a affirmé ne pas être en mesure de dire à quelle date précise Mme Bouchard ou M. Singh ont appris qu’ils assisteraient à la conférence. Il convient de noter que le document intitulé [traduction] « Annexe C – Lignes directrices sur les déplacements aux fins de la formation (cours ou conférences) » (pièce G-9) a été déposé après les témoignages de M. Singh et de Mme Proulx.

o. Modifications proposées à la Direction des ressources humaines (suite)

[258] Mme Proulx a déclaré qu’à la suite des discussions qu’elle a eues avec M. Singh pendant l’été 2015, la question de la réorganisation de la Direction des ressources humaines avait été soulevée de nouveau le 10 septembre 2015 dans le bureau de M. Singh (pièce G-2, onglet 30). Mme Proulx a dit avoir signifié à M. Singh qu’elle n’approuvait toujours pas ses propositions. Par ailleurs, les questions qu’elle avait posées demeuraient toujours sans réponse. Selon Mme Proulx, M. Singh était mécontent. Il a soutenu avoir le niveau requis de délégation de pouvoirs; de toute façon, il relevait du Comité exécutif. Elle lui a alors dit qu’il relevait d’elle.

[259] Selon Mme Proulx, M. Singh est devenu agité pendant la rencontre et il a indiqué qu’il ne procéderait pas aux changements. Selon Mme Proulx, au moment où elle a quitté le bureau, M. Singh lui aurait dit qu’il ne voulait pas lui [traduction] « manquer de respect ». Mme Proulx a déclaré que M. Singh employait souvent cette expression comme [traduction] « protection », après avoir dit ce qu’il voulait dire (pièce G-2, onglet 30). Elle a dit qu’elle avait décidé de consigner par écrit ses préoccupations, puisqu’il avait réagi négativement lorsqu’ils avaient eu leur discussion et qu’il était agité. Elle les lui a envoyées le 16 septembre 2015 (pièce G-2, onglet 31). Mme Proulx a indiqué que ce jour-là, ils ont lu la lettre ensemble.

[260] Dans son témoignage, Mme Proulx a passé en revue les éléments de cette lettre et a souligné que la lettre mentionnait qu’ils avaient eu des [traduction] « échanges difficiles ». En particulier, elle a déclaré que depuis la réorganisation du Sénat, la délégation de pouvoirs du Comité permanent, exercée par le greffier O’Brien , était maintenant conférée au Comité exécutif. Donc, même si, par exemple, la politique du Sénat en ce qui concerne la délégation de pouvoirs n’avait pas encore été modifiée pour tenir compte du fait que le poste de M. O’Brien avait été scindé en trois en 2015, il fallait comprendre que le terme [traduction] « greffier » dans cette politique renvoyait aux trois dirigeants du Comité exécutif (pièce G-1, onglet 17).

[261] Elle a aussi mentionné que M. Singh avait insisté sur le fait qu’il avait la délégation de pouvoirs requise pour effectuer les changements, même si dans le cas de M. Nunan, ce détachement pouvait aller jusqu’à neuf mois, ce qui dépassait l’autorité de M. Singh.

[262] Mme Proulx a déclaré avoir été tentée d’acquiescer aux demandes de réorganisation de la Direction des ressources humaines de M. Singh, mais comme elle était responsable du dossier au final, à titre de dirigeante principale des services corporatifs, elle n’avait pu se résoudre à le faire. Selon elle, plusieurs propositions devaient être clarifiées, c’est pourquoi elle avait choisi d’ajouter une [traduction] « Annexe A » à sa lettre du 16 septembre 2015 dont le but était de déterminer clairement les problèmes et les réponses.

[263] En contre-interrogatoire, Mme Proulx a admis qu’une fois la délégation de pouvoirs accordée, il était rare que le délégant la retire. Elle a toutefois précisé qu’il n’était cependant pas rare que le délégant continue d’intervenir. Elle a aussi soutenu qu’elle voulait obtenir des réponses à ses questions.

[264] Questionnée quant à savoir pourquoi elle trouvait que Mme Blais était un meilleur choix que Mme Eynoux pour remplacer M. Nunan pendant son détachement, Mme Proulx a expliqué que Mme Eynoux venait de se joindre au Sénat alors que Mme Blais jouissait d’une expérience significative en matière de relations de travail et que le Sénat était en période de négociation collective. En outre, lorsque M. Nunan s’absentait, Mme Blais le remplaçait habituellement. De plus, selon Mme Proulx, Mme Eynoux venait d’être affectée aux Services aux sénateurs et il n’était pas souhaitable de recommencer à faire des changements qui auraient touché ce secteur.

[265] Questionnée quant à savoir si elle était plus à l’aise avec Mme Blais que Mme Eynoux, qui était classifiée à un niveau plus élevé que Mme Blais, Mme Proulx a convenu que Mme Eynoux était classifiée à un niveau plus élevé, mais que Mme Blais s’était déjà qualifiée au niveau MMG-02, soit le niveau du poste de M. Nunan, et qu’elle avait passé plus d’années au Sénat que Mme Eynoux, qui venait d’arriver. Mme Proulx voulait assurer une continuité.

[266] Elle a également admis ne pas avoir consulté les curriculum vitae de ces deux personnes et avoir parlé à Mme Blais du remplacement de M. Nunan pendant son détachement, mais elle a nié l’avoir informée qu’elle remplacerait M. Nunan par intérim.

[267] Mme Proulx est revenue sur le fait qu’elle jugeait que le moment n’était peut‑être pas propice pour faire des changements de cet ordre à la Direction des ressources humaines, compte tenu du fait qu’un examen fonctionnel de cette direction devait être fait et qu’il était donc préférable d’attendre les résultats de cet exercice.

[268] Mme Proulx a déclaré que M. Singh avait répondu à la lettre du 16 septembre 2015 en soumettant, dans un courriel du 28 septembre 2015, de nouvelles propositions sur la réorganisation de la Direction des ressources humaines. Dans ce courriel, il a fait état du fait qu’elle n’avait pas approuvé sa [traduction] « tentative de réorganiser la Direction des RH pour répondre aux besoins de manière efficace » (pièce G-2, onglet 32).

[269] Selon Mme Proulx, une rencontre avec M. Singh, toujours sur la question de la réorganisation de la Direction des ressources humaines, a eu lieu le 1er octobre 2015, après quoi elle lui a envoyé un courriel le 13 octobre 2015 (pièce G-2, onglet 32). Elle a déclaré qu’elle était encore préoccupée par le fait que, compte tenu du détachement de M. Nunan, si Mme Blais décidait de partir, le Sénat perdrait une partie de sa mémoire organisationnelle puisque Mme Blais avait toujours remplacé M. Nunan dans le passé. Mme Proulx a déclaré ne pas savoir pourquoi M. Singh ne voulait pas à tout le moins envisager la candidature de Mme Blais. Selon Mme Proulx, il n’a jamais expliqué pourquoi.

[270] Lorsqu’on lui a demandé si Mme Blais était une amie, Mme Proulx a répondu qu’elle était une ancienne collègue et qu’elles avaient eu l’occasion de travailler ensemble sur des dossiers de nature délicate, et que Mme Blais avait fait un bon travail, mais sans plus. Dans le passé, à la demande de M. O’Brien, Mme Proulx avait aussi dû collaborer avec elle à un dossier de médiation. Mme Proulx a déclaré que Mme Blais n’est pas une amie; elles n’ont jamais eu de contact social.

[271] Mme Proulx a déclaré qu’en novembre 2015, M. Singh avait décidé de nommer de façon intérimaire Mme Blais en remplacement de M. Nunan (pièce G-2, onglet 33).

[272] Questionnée sur l’examen fonctionnel de la Direction des ressources humaines, Mme Proulx a répondu que cet examen avait été fait à la demande du Sous-comité du budget des dépenses du Sénat du Comité permanent et que ce n’était donc pas sa décision. Les sénateurs, dont plusieurs proviennent du secteur privé, se sont demandé pourquoi il y avait autant d’employés à la Direction des ressources humaines. Elle a indiqué que la Direction des finances et de l’approvisionnement avait fait l’objet d’un examen fonctionnel alors qu’elle était directrice des Finances et de l’approvisionnement et dirigeante principale des finances.

[273] Selon Mme Proulx, le Sous-comité a décidé de demander l’examen fonctionnel de la Direction des ressources humaines au printemps 2015 et il a eu lieu cet automne-là. Mme Proulx a dit en avoir informé M. Singh en juin 2015. Elle a déclaré que c’est plus tard qu’il a commencé à remettre en question la raison d’un tel examen.

p. L’embauche de Mme Legault comme directrice des Finances et de l’approvisionnement et dirigeante principale des finances

[274] Mme Proulx a déclaré que lorsqu’elle a été nommée dirigeante principale des services corporatifs, elle a travaillé avec Mme Vanikiotis en vue de trouver une nouvelle personne pour le poste de directeur des Finances et de l’approvisionnement et de dirigeant principal des finances. Mme Proulx s’est entretenue avec le contrôleur général de la Chambre des communes, qui a désigné Mme Legault comme candidate possible. Mme Legault avait certaines questions, dont elle a discuté avec Mme Vanikiotis.

[275] Mme Proulx a raconté avoir ensuite rencontré Mme Legault. Elle ne l’avait jamais rencontrée auparavant. Selon Mme Proulx, c’est le Comité exécutif qui a choisi Mme Legault à la suite d’un processus mené par un cabinet indépendant.

[276] À la suite de la décision du Comité directeur, Mme Proulx a déclaré avoir parlé avec Mme Legault le 7 octobre 2015 des questions relatives à son embauche. La question des congés de vacances de Mme Legault posait problème, car cette dernière avait droit à six semaines par année selon les critères de son employeur, alors que la limite au Sénat était de cinq semaines. De plus, comme il s’agissait d’une mutation latérale, le salaire restait le même que celui offert par son employeur.

[277] Selon Mme Proulx, M. Singh lui aurait proposé d’offrir à Mme Legault une semaine de congé de gestion par année pour combler la différence entre les cinq et six semaines. Mme Proulx a déclaré qu’elle n’était pas d’accord pour faire une telle promesse, surtout parce que si elle quittait son poste de dirigeante principale des services corporatifs, l’entente deviendrait difficile à maintenir. Elle a indiqué avoir préféré une approche [traduction] « nette » et a finalement convaincu Mme Legault d’accepter les cinq semaines de congé sans promesse (pièce E-7).

q. Budget principal des dépenses du Sénat

[278] Mme Proulx a expliqué que le Comité permanent avait délégué à son Sous‑comité du budget des dépenses du Sénat la tâche de réviser les demandes de ressources de l’administration du Sénat. Selon Mme Proulx, le Sous-comité est un comité officiel et formel, auquel un greffier est attitré et à qui les demandes doivent être présentées selon un échéancier précis dans les deux langues officielles. Le Sous-comité est dirigé par un président qui décide qui peut intervenir pendant une séance et quand cela peut être fait.

[279] Les demandes de ressources sont élaborées dans chaque direction et le Comité exécutif doit décider ce qui sera présenté au Sous-comité. Chaque demande est présentée au moyen d’une capsule. Le Comité exécutif responsable du secteur dont la demande est présentée doit être présent au moment de la présentation de celle-ci.

[280] Mme Proulx a indiqué qu’elle devait participer à toutes les rencontres du Sous-comité puisque les finances relevaient de son secteur. À titre de nouvelle personne au poste de directrice des Finances et de l’approvisionnement et de dirigeante principale des finances, Mme Legault y a également assisté, même si elle a rejoint le Sénat en novembre 2015 et que le processus était déjà bien engagé.

[281] Mme Proulx a expliqué que, à partir du mois d’août, la Direction des finances et de l’approvisionnement compilait les capsules avant leur envoi au Sous-comité. Elle a déclaré qu’en août 2015, dans le hall de l’édifice du Centre, elle a dit à M. Singh qu’elle n’approuvait pas la demande de ressources supplémentaires pour un [traduction] « poste en réserve » à la Direction des services d’information, car même si elle reconnaissait le besoin, elle croyait que cette dépense pouvait être absorbée à l’interne. Quant à la demande de formation, un poste budgétaire couvrait déjà cet élément et les fonds auraient pu être prélevés sur un autre budget.

[282] Mme Proulx a déclaré avoir rappelé sa décision à M. Singh à la suite de son courriel du 30 octobre 2015, dans lequel il lui disait travailler sur les deux capsules (pièce E-1, onglet 21). Elle a affirmé lui avoir aussi dit que de toute façon, compte tenu de l’examen fonctionnel à venir de la Direction des ressources humaines, il valait mieux attendre les résultats de cet examen avant de demander des ressources supplémentaires. Mme Proulx a donc soutenu n’avoir jamais dit à M. Singh que ces demandes étaient approuvées.

[283] Mme Proulx a indiqué avoir vu les courriels du 4 et du 5 novembre 2015 de l’adjoint de M. Singh une journée avant son retour au bureau, le 16 novembre, car elle s’était absentée du 3 au 16 novembre à la suite du décès de son père (pièce G-2, onglet 34). Elle a déclaré qu’elle avait été surprise de voir les demandes de la Direction des ressources humaines.

[284] Mme Proulx a déclaré s’être rendue au bureau de M. Singh le 16 novembre 2015 accompagnée de Mme Legault. Elle a indiqué qu’il y avait peu de temps pour retirer les deux capsules, puisque le Sous-comité du budget des dépenses du Sénat du Comité permanent devait se réunir le 1er décembre 2015, et elle voulait les retirer avant que les membres du Sous-comité n’aient à les examiner. Elle ne pouvait donc pas attendre d’avoir une autre discussion avec le Comité exécutif. De plus, Mme Proulx s’attendait à être rappelée à tout moment pour continuer son témoignage dans le cadre du procès Duffy.

[285] Questionnée quant à savoir pourquoi elle n’avait pas simplement envoyé un courriel à M. Singh plutôt que de se rendre au bureau de ce dernier en compagnie de Mme Legault, Mme Proulx a répondu qu’elle jugeait qu’un courriel n’était pas approprié et qu’il était plus efficace d’aller le lui dire en personne. Elle a affirmé ne pas se souvenir si elle l’avait informé de sa visite. Elle a dit qu’elle s’est rendue ce jour-là à l’édifice où se trouvait le bureau de M. Singh, car elle voulait en profiter pour rencontrer deux de ses nouveaux employés, dont Mme Legault. Le bureau de Mme Proulx et celui de M. Singh étaient situés dans des édifices différents.

[286] Elle a affirmé ne pas avoir craint de [traduction] « résistance » de la part de M. Singh, mais elle voulait plutôt que les choses soient claires, et elle a soutenu qu’un courriel de sa part aurait engendré d’autres courriels en réponse, ce qu’elle voulait éviter. Quant à savoir si M. O’Brien lui a déjà demandé de retirer une de ses capsules lorsqu’elle était dirigeante principale des finances, Mme Proulx a répondu : « Oh oui. »

[287] Mme Proulx a nié s’être présentée au bureau de M. Singh en dansant et en tenant Mme Legault par la main. Elle a rappelé que, d’une part, elle revenait d’un congé de deuil et, d’autre part, elle ne connaissait pas Mme Legault. Elle ne l’avait rencontrée qu’une seule fois auparavant. Selon Mme Proulx, il ne s’agissait pas d’une période joyeuse de sa vie.

[288] Mme Proulx a déclaré avoir demandé à M. Singh pourquoi les deux capsules n’avaient pas été retirées puisqu’elle lui avait déjà dit qu’elle n’approuvait pas les demandes et que, de toute façon, des ressources permettaient de couvrir les besoins. Mme Proulx a indiqué que M. Singh n’était pas content de devoir retirer les capsules.

[289] Mme Proulx a indiqué que M. Singh était présent lors de la réunion du 1er décembre 2015 du Sous-comité du budget des dépenses du Sénat du Comité permanent. Elle a déclaré que, sans aucun doute, on lui a posé des questions, comme aux autres directeurs, auxquelles il peut avoir répondu. Elle a déclaré qu’elle ne répondait pas à sa place, à moins qu’un membre du Sous-comité ne lui pose une question directement, et qu’elle n’avait jamais interrompu M. Singh. Mme Proulx a fait remarquer que, compte tenu du caractère formel du Sous-comité, le président doit donner la parole à un participant avant que celui-ci puisse intervenir. Elle a affirmé ne pas se souvenir que M. Patrice ait empêché M. Singh de répondre à une question.

r. Demande d’heures supplémentaires

[290] Dans son témoignage, Mme Proulx a fait référence à une situation passée dans laquelle un employé avait fait un grand nombre d’heures supplémentaires, lesquelles avaient été autorisées. Selon elle, tout le monde savait que cette personne travaillait de longues heures. En août 2015, le Comité exécutif a décidé de demander au Sous-comité du budget des dépenses du Sénat du Comité permanent d’embaucher une personne pour contribuer au travail et réduire les heures supplémentaires.

[291] Mme Proulx a indiqué qu’à l’automne 2015, un vérificateur de la firme KPMG avait aussi relevé le nombre important d’heures supplémentaires effectuées par cet employé. Mme Proulx a déclaré avoir informé le vérificateur à ce moment-là qu’une mesure avait été prise, à savoir la demande d’embauche d’une personne présentée au Sous-comité du budget des dépenses du Sénat du Comité permanent, qui devait se réunir en décembre. Selon elle, cette situation a été portée à l’attention du Sous‑comité et il n’y a jamais été question de cacher quoi que ce soit à celui-ci.

s. Financement de la formation en français pour le personnel des sénateurs

[292] Dans son témoignage, Mme Proulx est revenue sur un incident survenu en juin 2015 où une note d’information venant de la Direction des ressources humaines présentait deux options quant au financement d’une formation linguistique à Saint‑Jean pour le personnel des sénateurs. Elle a expliqué qu’elle ne comprenait pas pourquoi M. Singh était irrité que l’une des options ait été choisie puisque celle-ci était présentée dans la note d’information et qu’il avait reçu une copie de la note. De plus, Mme Proulx a dit s’être demandé pourquoi son courriel avait été envoyé en copie conforme à M. Lafrenière, directeur de la Vérification interne et de la planification stratégique. Selon elle, en envoyant une copie à M. Lafrenière, M. Singh voulait laisser entendre que l’option choisie était incorrecte. La note d’information n’a pas été déposée en preuve.

t. Commentaires à l’encontre de sénateurs

[293] Questionnée au sujet de commentaires qu’elle aurait formulés à deux occasions différentes à l’encontre de sénateurs issus de minorités visibles, Mme Proulx a nié avoir déjà employé des mots comme : [traduction] « Ces gens ». Selon elle, elle n’utilise pas cette expression, qui ne fait pas partie de son vocabulaire; ce n’est pas dans sa nature de faire de tels commentaires au sujet de l’origine ethnique d’une personne. Elle a soutenu que si elle avait fait une observation, elle était liée aux actions des personnes en question et au fait que les sénateurs en général ont de gros égos. Il n’était pas question de leur origine ethnique.

u. Le courriel du 24 novembre

[294] Mme Proulx a déclaré qu’elle avait trouvé le courriel du 24 novembre décourageant et troublant (pièce G-1, onglet 1). Elle a déclaré ce qui suit au sujet de sa lecture : « les deux bras me sont tombés ».

[295] Selon Mme Proulx, contrairement aux allégations formulées dans le courriel, rien n’a jamais été caché au Comité permanent et au Comité directeur. Elle a soutenu que son approche était de présenter toute l’information aux membres et d’observer leur réaction. Selon elle, tout n’était pas parfait au Comité directeur, car les membres n’étaient pas toujours contents des réponses; il fallait être crédible et, au fil du temps, elle avait réussi à établir sa crédibilité auprès d’eux. Contrairement à ce qui est allégué dans le courriel, elle a aussi nié vigoureusement ne pas avoir présenté toutes les options aux comités pour examen.

[296] Mme Proulx a affirmé avoir comme principe de présenter toute l’information et les options pertinentes dans les notes d’information soumises aux réunions du Comité permanent et du Comité directeur. Selon elle, si les membres écartaient ou choisissaient une approche, ce n’était pas faute d’information. Elle a ajouté que cette façon de faire, qui consistait à donner toute l’information, lui procurait une sécurité.

[297] Dans son examen du courriel, Mme Proulx a entre autres soutenu que, parmi ses directeurs, M. Singh était celui qui avait le plus souvent participé aux réunions du Comité permanent et du Comité directeur. Mme Proulx a aussi indiqué ne pas comprendre pourquoi M. Singh avait écrit que les règles d’embauche de Mme Legault avaient été modifiées alors que c’est lui qui voulait écarter les règles applicables aux vacances annuelles en offrant à la candidate une semaine de congé supplémentaire.

[298] Mme Proulx a déclaré qu’elle avait ensuite transmis le courriel du 24 novembre à ses deux collègues, soit M. Robert et M. Patrice, en leur disant qu’elle était à bout de patience.

[299] Il a été décidé immédiatement que la Direction des ressources humaines relèverait temporairement de M. Robert. Mme Proulx a dit que les accusations étaient très graves et que, puisqu’elle était visée, elle ne devait pas faire partie des échanges touchant ce dossier. Elle a affirmé ne pas être intervenue par la suite.

[300] Lorsqu’on lui a demandé si elle voulait que M. Singh soit congédié, Mme Proulx a répondu par la négative. Elle aurait voulu qu’ils travaillent ensemble. Quant à l’allégation de discrimination, elle a affirmé avoir eu beaucoup de difficulté à l’accepter et qu’elle en avait été blessée. Elle a dit l’avoir vue comme une attaque personnelle; cette accusation était contraire à ses valeurs et ce genre d’attitude n’était tout simplement pas dans sa nature. Elle a soutenu n’avoir jamais eu de comportement discriminatoire envers quiconque. Elle a réitéré le fait que, lorsqu’elle était directrice des Finances et de l’approvisionnement et dirigeante principale des finances, sa direction était celle où il y avait le plus d’employés issus des groupes visés par l’équité en matière d’emploi, dont des membres des minorités visibles.

[301] Mme Proulx a confirmé que vers le 25 novembre 2015 elle a parlé brièvement avec le sénateur Housakos qui lui a dit : [traduction] « Votre calvaire est terminé, nous nous en occupons ». Il lui a aussi demandé s’il y avait quelque chose qu’il devrait savoir. Elle lui a alors dit qu’il n’y avait rien à dire, si ce n’est qu’elle-même et M. Singh avaient eu des échanges difficiles.

[302] Le sénateur Housakos ne lui a pas dit que M. Singh serait congédié. Mme Proulx a affirmé n’avoir remis aucun document au sénateur Housakos ni à M. Robert et à M. Patrice. Elle n’a pas non plus commenté les allégations contenues dans le courriel du 24 novembre 2015. Selon elle, le sénateur n’a jamais dit qu’il y aurait une enquête.

[303] Mme Proulx a également déclaré qu’il lui était difficile d’être soupçonnée d’exercer de la discrimination et qu’elle avait du mal à exprimer comment elle se sentait. Lorsqu’on l’a interrogée sur les mesures que le Sénat avait prises contre la discrimination, elle a répondu que plusieurs efforts avaient été faits, comme la promotion de la déclaration volontaire auprès des employés, la création d’un sous-comité du Comité permanent chargé d’examiner la question de l’équité en matière d’emploi et l’exécution de processus de dotation en se fondant sur les chiffres pour s’assurer que les candidats étaient évalués de façon anonyme.

[304] Mme Proulx a aussi indiqué que la pratique de recrutement consistait à aller dans d’autres organisations en vue de recruter des candidats des quatre groupes visés par l’équité en matière d’emploi. Elle a également souligné qu’en fin de compte, le Sénat est une petite organisation; souvent, souvent il n’est pas possible de procéder à une embauche à moins que quelqu’un parte.

2. M. Pleau
a. Modifications à la structure administrative du Sénat et lettre d’offre de M. Singh

[305] M. Pleau travaille à temps partiel pour le sénateur Claude Carignan depuis le 1er janvier 2020. En 2014-2015, il était chef de cabinet du Président du Sénat, soit, dans un premier temps, le sénateur Nolin, puis le sénateur Housakos.

[306] M. Pleau a indiqué qu’au début de 2015, le sénateur Nolin, alors président du Comité permanent et du Comité directeur, lui avait demandé de mettre en place une nouvelle structure administrative au Sénat, laquelle serait composée de trois secteurs : un secteur responsable de tout ce qui relevait du domaine parlementaire, un autre secteur responsable des activités de l’administration comme les ressources humaines, les finances et les services d’information, et un dernier secteur responsable des questions juridiques au Sénat.

[307] M. Pleau a déclaré que, après avoir dressé les grandes lignes de la nouvelle structure, il a fait appel à M. Singh pour lui suggérer des options liées à cette nouvelle structure. À ce chapitre, M. Pleau a indiqué qu’il revenait au Bureau du Conseil privé de décider du niveau des postes des dirigeants des secteurs parlementaire et juridique, et que, dans le cas de l’administration, après avoir fait appel à des consultants, le Président du Sénat avait décidé du niveau SG-05. Aucun des trois membres du Comité exécutif n’a participé aux décisions relatives à la classification.

[308] M. Pleau a dit qu’il ne se rappelait pas si M. Singh avait suggéré de publier un avis d’intention de nommer Mme Proulx à titre de dirigeante principale des services corporatifs, mais que, quoi qu’il en soit, la décision était prise et il voulait agir rapidement.

[309] M. Pleau a dit qu’il connaissait quelque peu M. Singh. Il a déclaré qu’il l’avait rencontré en janvier 2015. M. Singh lui a révélé qu’il n’était pas un employé régulier du Sénat. En effet, il était un employé de l’École de la fonction publique et était en affectation au Sénat depuis plus de 18 mois dans le cadre du programme Échanges Canada.

[310] M. Pleau a déclaré avoir dit à M. Singh qu’il allait le titulariser dans son poste au Sénat et qu’il lui avait demandé de préparer une lettre d’offre conformément aux politiques applicables du Sénat. Quant au salaire, M. Pleau a indiqué que M. Singh lui avait dit qu’il n’avait pas eu droit à une prime au rendement compte tenu des modalités de l’affectation dans le cadre du programme d’Échanges Canada. M. Pleau a déclaré qu’il n’était pas au courant des détails de l’entente d’affectation, mais que, quoi qu’il en soit, le salaire aurait dû être conforme aux politiques du Sénat.

[311] M. Pleau a indiqué ne pas se souvenir d’avoir demandé à M. Singh de préparer la lettre pour la fin de la journée, mais il a reconnu qu’il voulait en janvier 2015 que la nouvelle structure soit en place rapidement.

[312] Quant à l’affirmation de M. Singh selon laquelle M. Pleau lui aurait dit de mettre ce qu’il voulait dans la lettre d’offre, M. Pleau a affirmé avoir dit que « néanmoins, le salaire devait être conforme aux politiques du Sénat ». À cet égard, M. Pleau a insisté sur le fait qu’il n’était pas du genre à dire [traduction] « tout ce que vous voulez », mais plutôt [traduction] « ce que je veux [...] ».

[313] En ce qui a trait précisément à la période d’essai, M. Pleau a déclaré que le Président Nolin et le Comité directeur étaient d’avis que, compte tenu du fait que M. Singh était au Sénat depuis 18 mois, il n’avait pas à être soumis à une autre période d’essai.

[314] Quant au transfert de congés, M. Pleau a affirmé que ce sujet n’avait pas fait l’objet de discussions et que, selon lui, c’était précisément l’un des éléments qui devait respecter les politiques du Sénat.

[315] Selon M. Pleau, bien que le Président Nolin ait signé la lettre d’offre, il ne l’avait pas lu attentivement et il revenait à M. Singh de s’assurer que le contenu de sa lettre d’offre était conforme aux politiques du Sénat.

[316] En ce qui a trait au fait que M. Singh ait été sanctionné pour avoir préparé sa lettre d’offre et son contenu, M. Pleau a indiqué qu’il en avait été informé après l’envoi de la lettre de réprimande. Il a indiqué qu’il n’était pas content d’apprendre les problèmes concernant la lettre d’offre, mais qu’en même temps, le problème était « véniel et n’était pas la fin du monde ».

b. Participation aux réunions du Comité permanent et du Comité directeur

[317] M. Pleau a déclaré qu’il savait qu’on ne permettait plus aux directeurs d’assister aux réunions du Comité permanent et du Comité directeur, sauf sur invitation (pièce G-2, onglet 14). Selon M. Pleau, il était totalement inutile que les directeurs soient présents. Au besoin, ils pouvaient être invités. Il a déclaré de façon résolue que la décision provenait directement du Président Nolin et que lui‑même et les membres du Comité permanent l’appuyaient pleinement. M. Pleau a déclaré que la décision s’appliquait à tous les directeurs des trois secteurs.

[318] M. Pleau a déclaré que lui-même et les trois membres du Comité exécutif s’entendaient sur l’ordre du jour à présenter au Comité permanent ou au Comité directeur et qu’ils décidaient qui devrait être invité. Il a déclaré avoir assisté à toutes les réunions du Comité permanent et du Comité directeur durant la première moitié de 2015. Selon lui, M. Singh est le directeur qui avait assisté le plus souvent aux réunions du Comité directeur pendant cette période. En ce qui concerne les réunions du Comité permanent, M. Pleau a affirmé qu’il n’y avait pas eu beaucoup de réunions et que, de toute façon, les trois membres du Comité exécutif étaient toujours présents et pouvaient répondre aux questions.

c. Le congédiement de M. Singh

[319] M. Pleau a soutenu qu’après l’envoi du courriel du 24 novembre, il a assisté à une réunion avec M. Patrice et M. Robert. M. Pleau a indiqué qu’il était mécontent de la décision de M. Robert et de M. Patrice, à savoir que la Direction des ressources humaines relève de M. Robert. Selon lui, cette décision revenait au Comité permanent, car la structure administrative avait été modifiée et cette modification devait obtenir le consentement du Comité.

[320] Selon M. Pleau, M. Patrice a parlé du lancement d’une enquête sur les allégations contenues dans le courriel. M. Pleau a déclaré que le sénateur Housakos et lui-même étaient d’avis qu’une enquête ne changerait rien, en ce sens qu’il était clair à la lecture du courriel que Mme Proulx et M. Singh ne pouvaient plus continuer de travailler ensemble.

[321] Quant aux allégations de M. Singh dans son courriel à l’endroit de Mme Proulx, M. Pleau a révélé avoir été estomaqué, choqué et étonné de voir les faussetés contenues dans ce courriel, de même que la charge émotive dirigée contre Mme Proulx. M. Pleau a réitéré que Mme Proulx n’avait pas pris la décision de ne plus permettre aux directeurs d’assister aux réunions du Comité permanent et du Comité directeur. De plus, M. Pleau a insisté sur le fait que la décision de demander la tenue d’un examen fonctionnel de la Direction des ressources humaines avait été prise aussi par le Président du Sénat et le Comité directeur, et non par Mme Proulx, comme il était allégué. Selon M. Pleau, tout le monde était au courant de cette décision.

[322] Quant aux considérations raciales soulevées dans le courriel du 24 novembre, M. Pleau a affirmé que personne n’avait jamais fait de distinction fondée sur la race. Il a également déclaré qu’il n’a jamais eu connaissance que Mme Proulx ne communiquait pas de renseignements à ses subalternes.

[323] Selon M. Pleau, le sénateur Housakos a lu le courriel du 24 novembre. En consultation avec deux collègues, le sénateur Furey et le sénateur Wells, il ne faisait aucun doute au sénateur Housakos que Mme Proulx et M. Singh ne pouvaient plus travailler ensemble. Selon M. Pleau, le sénateur Housakos a téléphoné à ses deux collègues. Tous trois ont conclu que l’emploi de M. Singh devait prendre fin sans motif valable. M. Pleau a déclaré qu’il approuvait cette décision, compte tenu du fait que M. Singh et Mme Proulx ne pouvaient plus travailler ensemble et que celui-ci déformait la réalité dans son courriel du 24 novembre.

3. M. Patrice

[324] M. Patrice a également témoigné pour le Sénat. Il est sous-greffier de la Chambre des communes. Il est responsable de tous les services corporatifs depuis 2017. Auparavant, il a été légiste et conseiller parlementaire au Sénat pendant de nombreuses années et il occupait déjà ce poste lorsque, en janvier 2015, la nouvelle structure administrative a été mise en place (pièces E-1, onglet 2, et G-2, onglet 13).

a. Nomination de M. Singh au poste de directeur des Ressources humaines

[325] M. Patrice a déclaré avoir eu une très bonne relation avec M. Singh, qu’il était un bon collègue, et que puisque tous les deux étaient dans le même édifice et sur le même étage, ils se voyaient plusieurs fois par jour. M. Patrice a indiqué avoir été content pour M. Singh lorsque ce dernier a été nommé directeur des Ressources humaines, bien qu’il n’ait pas participé au processus de nomination.

[326] Quant à la décision de publier un avis d’intention de nomination, M. Patrice a dit s’en être remis à la recommandation de Mme Vanikiotis, et que M. Singh n’était pas content qu’un avis soit publié (pièce G-2, onglets 10 à 12). M. Patrice a déclaré ne pas avoir participé à la décision de ne pas publier un avis d’intention de nommer Mme Proulx comme dirigeante principale des services corporatifs. Il a aussi catégoriquement nié avoir demandé à Mme Vanikiotis de ne pas en publier un, de peur que quelqu’un conteste par grief la nomination anticipée de Mme Proulx.

b. Participation aux réunions du Comité permanent et du Comité directeur

[327] Quant à décision de ne plus permettre la présence des directeurs aux réunions du Comité permanent et du Comité directeur à moins d’être invités, M. Patrice a indiqué que ces comités ont pris cette décision parce qu’ils trouvaient qu’il y avait trop de participants et que la participation aux réunions constituait une perte de temps pour ces directeurs (pièce G-2, onglet 14). Selon lui, la décision des comités avait été expliquée à tous les directeurs, y compris M. Singh.

[328] M. Patrice a déclaré avoir assisté à ces réunions de janvier à juin 2015. Selon lui, M. Singh a été invité autant que les autres à ces réunions, mais il n’avait jamais tenu le compte des participants.

c. L’audience disciplinaire de M. Singh et la lettre de réprimande

[329] Patrice a indiqué avoir rencontré M. Singh en présence de Mme Proulx, de M. Robert et de M. Bédard en mai 2015 afin que M. Singh puisse donner sa version des faits entourant la rédaction de sa lettre d’offre. M. Patrice a expliqué que, bien qu’il n’était pas d’accord quant au salaire que s’était octroyé M. Singh et le fait que ce dernier avait décidé de s’exempter de la période d’essai, selon lui, le véritable enjeu était que M. Singh n’avait pas informé M. Pleau des options possibles.

[330] Quant au transfert de congés, M. Patrice était d’avis qu’il s’agissait d’une question plus grave, car M. Singh avait ainsi transféré des obligations financières de la fonction publique au Sénat, ce qui était contraire à la politique pertinente du Sénat. Selon M. Patrice, lors de la rencontre en mai 2015, M. Singh aurait dit ne pas être au courant de cette politique.

[331] Quant à la lettre de réprimande envoyée le 12 juin 2015 comme mesure disciplinaire, M. Patrice a indiqué qu’il approuvait son contenu et il a soutenu que la faute de M. Singh avait été de ne pas avoir eu de discussion avec ses supérieurs quant au contenu de la lettre d’offre. Selon M. Patrice, quand on rédige sa propre lettre d’offre, on se doit de discuter des modalités avec son supérieur (pièce G-2, onglet 22).

[332] M. Patrice a indiqué que M. Singh avait exprimé des remords et reconnu qu’il n’était pas au courant de la politique sur le transfert de congés. M. Patrice a déclaré que M. Singh était content de voir que la sanction n’était qu’une lettre de réprimande et qu’il a même dit : [traduction] « Je me serais congédié moi-même ».

d. La relation entre M. Singh et Mme Proulx

[333] M. Patrice a déclaré que la relation entre M. Singh et Mme Proulx n’était pas très bonne et qu’il arrivait que M. Singh vienne le voir pour discuter d’un sujet, sans passer d’abord par Mme Proulx, de sorte que cette dernière n’était parfois pas au courant de certains problèmes. M. Patrice a déclaré qu’il devait régulièrement rappeler à M. Singh d’informer d’abord Mme Proulx (pièce E-1, onglets 15 et 19). Selon M. Patrice, même si M. Singh pouvait toujours lui parler, il devait s’adresser d’abord à Mme Proulx, surtout sur les dossiers en matière de ressources humaines qui pouvaient avoir des conséquences. M. Patrice a déclaré qu’étant de nature patiente, il devait souvent rappeler à M. Singh de passer par Mme Proulx sur un sujet donné.

e. Affectation d’Échanges Canada de Mme Vanikiotis

[334] M. Patrice a déclaré que lorsque lui-même et M. Robert ont su que Mme Vanikiotis considérait une affectation à l’extérieur du Sénat dans le cadre du programme Échanges Canada, ils ont voulu lui parler pour la convaincre de rester au Sénat. Selon lui, Mme Vanikiotis avait de l’expérience et connaissait bien l’historique des activités au Sénat; il aurait été dommage de la voir partir. Après discussion avec elle et M. Robert, Mme Vanikiotis a décidé de rester au Sénat. Selon M. Patrice, il y avait de la tension entre Mme Vanikiotis et M. Singh (pièce G-2, onglet 20).

f. Modifications proposées à la Direction des ressources humaines

[335] M. Patrice a déclaré qu’il était au courant que M. Singh voulait réorganiser la Direction des ressources humaines, et que ce dernier et Mme Proulx avaient des divergences d’opinions (pièce E-1, onglet 25). M. Patrice a indiqué qu’il comprenait certaines préoccupations de Mme Proulx au sujet des propositions de M. Singh. Il a aussi indiqué qu’il y avait de la tension entre M. Singh et Mme Proulx, et qu’il leur avait conseillé de se parler. M. Patrice a expliqué que M. Singh devait prendre ses décisions dans l’intérêt supérieur de l’organisation. En ce qui concerne l’expression [traduction] « regagner la confiance » dans le courriel du 21 juin 2015 envoyé par M. Patrice à Mme Proulx et à M. Robert, il a expliqué que ces discussions avec M. Singh ont eu lieu en juin 2015, juste après que M. Singh a reçu la lettre de réprimande (pièce E-1, onglet 25).

g. Microgestion

[336] Questionné quant à savoir si Mme Proulx faisait de la microgestion vis-à-vis de M. Singh, M. Patrice a indiqué qu’il s’agissait d’une question de style et de point de vue. Selon lui, Mme Proulx voulait être informée. Il a déclaré que le style de gestion de Mme Proulx était différent de celui de M. O’Brien et, qu’effectivement, elle intervenait davantage dans les dossiers des secteurs qui relevaient d’elle. Selon la structure organisationnelle à l’époque de M. O’Brien, plusieurs secteurs relevaient de lui, il participait donc moins.

[337] Quant à la discussion qui aurait eu lieu entre le Comité exécutif et M. Singh en août 2015, au cours de laquelle la question de savoir qui devait s’occuper d’une plainte de harcèlement visant un membre du Comité, M. Patrice était catégorique : il avait affirmé lors de cette discussion que ce serait le Comité directeur et non pas l’un des deux autres membres du Comité exécutif qui serait saisi d’une telle plainte.

[338] M. Patrice a dit qu’au cours de cette même rencontre, il a réagi à l’affirmation de M. Singh selon laquelle Mme Proulx n’était pas qualifiée pour parler au nom de la Direction des ressources humaines. M. Patrice a déclaré avoir dit à M. Singh que Mme Proulx avait fait carrière en ressources humaines, et qu’il ne pouvait donc pas affirmer qu’elle n’était pas qualifiée. Selon M. Patrice, l’affirmation de M. Singh était générale et ne visait pas les situations qui concernaient seulement le Comité permanent et le Comité directeur (pièce G-2, onglet 29).

h. Budget principal des dépenses du Sénat

[339] M. Patrice a déclaré qu’il est toujours présent et accompagné de ses directeurs aux réunions du Sous-comité du budget des dépenses du Sénat du Comité permanent, où les secteurs font leurs demandes de ressources supplémentaires pour l’année à venir. Il a précisé avoir participé à la rencontre de décembre 2015, tout comme M. Singh.

[340] Selon M. Patrice, un sénateur a posé une question à M. Singh, qui a répondu. M. Patrice a nié avoir empêché M. Singh de répondre ou de lui avoir touché le bras pour l’empêcher de répondre. M. Patrice a aussi affirmé ne pas se souvenir si Mme Proulx avait répondu à la place de M. Singh ou elle l'avait interrompu. Selon M. Patrice, M. Singh et Mme Proulx ont répondu aux questions posées.

[341] Quant à savoir s’il avait déjà entendu Mme Proulx faire allusion aux sénateurs non caucasiens en disant [traduction] « Ces gens », M. Patrice a affirmé n’avoir jamais entendu rien de tel.

[342] Revenant sur un incident où une employée de son secteur aurait été congédiée, M. Patrice a expliqué qu’il avait eu vent de certains problèmes dans une de ses directions et qu’il avait demandé à M. Singh de faire une [traduction] « évaluation du lieu de travail » relativement à la situation.

[343] Selon M. Patrice, l’employée visée avait aussi fait une plainte contre son superviseur et avait fait l’objet d’allégations beaucoup plus graves. Bien que des éléments de la plainte se soient avérés fondés contre le superviseur, les faits étaient quand même beaucoup moins graves que ce que l’employée avait prétendu. Dans les circonstances, M. Patrice a dit que la décision avait été prise de mettre fin à l’emploi de l’employée et de donner une réprimande verbale au superviseur.

[344] Selon M. Patrice, M. Singh a été consulté dans toute cette affaire, et il était d’accord avec la décision de mettre fin à l’emploi de l’employée, mais il lui aurait plutôt accordé un montant forfaitaire. M. Patrice a insisté sur le fait que les infractions de l’employée étaient graves et ne se comparaient pas du tout à celle commise par le superviseur qui l’avait invectivée, ce qui expliquait la différence entre les deux réactions.

i. Le courriel du 24 novembre

[345] M. Patrice a déclaré que Mme Proulx lui avait fait parvenir le courriel du 24 novembre. Il a déclaré avoir été surpris et choqué par les allégations qui y figuraient. Selon lui, c’était la première fois que M. Singh alléguait être victime de racisme.

[346] M. Patrice a indiqué avoir alors décidé, avec M. Robert, que la Direction des ressources humaines relèverait de M. Robert dans l’immédiat, et qu’ils allaient informer le Comité directeur de la situation.

[347] M. Patrice a déclaré que contrairement à l’allégation de M. Singh, le Comité exécutif a toujours consulté la Direction des ressources humaines avant de prendre des décisions. Quant à [traduction] « l’évaluation du lieu de travail » relativement à la situation mentionnée à la page 3 du courriel, M. Patrice a indiqué qu’il s’agissait de l’affaire mentionnée précédemment où une employée avait été congédiée. Selon M. Patrice, la décision avait été prise par le Comité exécutif. Il s’est déclaré surpris de voir que M. Singh y avait fait référence dans son courriel. Bref, M. Patrice a dit qu’il ne comprenait pas pourquoi M. Singh a déclaré que la Direction des ressources humaines n’avait pas été consultée.

[348] M. Patrice a indiqué avoir rencontré M. Singh le lendemain avec M. Robert. Ils lui ont alors dit que la Direction des ressources humaines relèverait temporairement de M. Robert et qu’ils recommanderaient au Comité directeur le lancement d’une enquête conformément à la politique sur le harcèlement.

[349] M. Patrice a insisté sur le fait que, contrairement à ce qui est affirmé dans le courriel de M. Singh du 26 novembre 2015, lui-même et M. Robert avaient bien dit qu’ils recommanderaient au Comité directeur une enquête et non pas qu’il y en aurait une (pièce G-1, onglet 2). Selon M. Patrice, il revenait au Comité directeur de décider de lancer une enquête. M. Patrice a fait remarquer que M. Singh était surpris que Mme Proulx ait transmis le courriel du 24 novembre à ses deux collègues du Comité exécutif. Selon M. Singh, il s’agissait d’un courriel privé.

j. Le congédiement de M. Singh

[350] M. Patrice a déclaré que lui-même et M. Robert ont fait rapport au Comité directeur et ont recommandé qu’il y ait une enquête conformément à la politique sur le harcèlement. Selon lui, les sénateurs Housakos, Wells et Furey avaient examiné le courriel du 24 novembre et ils avaient conclu que certains éléments reprochés à Mme Proulx étaient le fruit de leurs propres décisions et non celles de Mme Proulx. Ils ont alors donné instruction à M. Patrice et à M. Robert de procéder au congédiement de M. Singh.

[351] M. Patrice a indiqué que la lettre de congédiement avait été signée par M. Robert, car il était à ce moment-là le superviseur de M. Singh (pièce G-1, onglet 3). M. Patrice a déclaré avoir remis, en compagnie de M. Robert, la lettre de congédiement à M. Singh et que, compte tenu des circonstances, les choses s’étaient relativement bien passées. M. Patrice a affirmé que, selon lui, il n’y avait pas de possibilité de réconciliation entre M. Singh et Mme Proulx en raison du courriel du 24 novembre.

[352] Quant aux lettres adressées aux autres membres du Comité permanent par l’avocat de M. Singh, M. Patrice a indiqué avoir été appelé par le sénateur Furey, qui était devenu Président du Sénat et président du Comité permanent le 4 décembre 2015. Le Président Furey lui a remis les lettres en demandant que l’avocat de M. Singh communique avec l’avocat du Sénat à ce sujet, ce que M. Patrice a fait (pièce G-1, onglet 4).

[353] Pour ce qui est des articles de journaux commentant le congédiement de M. Singh, M. Patrice a affirmé que la politique du Sénat était de ne pas formuler de commentaire sur les affaires personnelles (pièce G-3, onglet 6). Il a maintenu ne pas être au courant que qui que ce soit au Sénat ait commenté le congédiement de M. Singh aux médias.

4. Sénateur Housakos

[354] Le sénateur Housakos était le dernier témoin du Sénat. Il a été nommé au Sénat en 2009. Il était vice-président du Sénat lorsque le sénateur Nolin était Président. À la suite du décès du Président Nolin, le sénateur Housakos a été nommé Président du mois de mai au 3 décembre 2015. Il a également été président du Comité permanent et du Comité directeur.

a. Modifications à la structure administrative du Sénat

[355] Le sénateur Housakos a expliqué qu’en 2015, sous la direction et à l’initiative du Président Nolin, le Sénat a subi d’importants changements structurels parce que, selon le sénateur Housakos, les sénateurs s’inquiétaient de ce qui se passait et que les employés du Sénat prenaient des décisions sans que les sénateurs en soient informés.

[356] C’est pourquoi, au début de 2015, on a décidé de créer le Comité exécutif, composé des cadres responsables des trois secteurs : le secteur du greffier du Sénat et greffier des parlements, relevant de M. Robert, le secteur du légiste et conseiller parlementaire, relevant de M. Patrice, et le bureau de la dirigeante principale des services corporatifs, sous la supervision de Mme Proulx.

[357] Le sénateur Housakos a expliqué que, comme les sénateurs sont responsables de l’administration du Sénat, il s’est montré très actif dans des domaines comme les ressources humaines et les finances lorsqu’il a été nommé Président du Sénat. Il a déclaré qu’il n’avait pas d’autre choix que d’intervenir davantage puisque le Sénat traversait des moments difficiles comme le scandale lié aux dépenses. C’est la raison pour laquelle il a décidé de mettre en œuvre une gestion minutieuse de l’administration du Sénat, ce qui signifie qu’il avait des contacts réguliers avec le Comité exécutif.

[358] Selon son approche, il comptait aussi poursuivre ce que le Président Nolin avait entrepris, soit rencontrer tous les secteurs et rendre visite à tous les employés du Sénat pour leur dire que les sénateurs voulaient participer davantage à l’administration du Sénat et que sa porte leur était toujours ouverte. Le sénateur Housakos a indiqué qu’il voulait que le Sénat soit ouvert et transparent. Il a insisté sur le fait que, si les sénateurs devaient être tenus responsables des erreurs commises dans l’administration du Sénat, ils devaient être au courant de ce qui se passait. Pour ce faire, il devait collaborer avec le personnel.

[359] Le sénateur Housakos a déclaré qu’à de nombreuses reprises, il a aussi eu des contacts parfois formels et parfois non formels avec M. Singh, qui lui a rendu visite lorsqu’il a été nommé Président du Sénat. Le sénateur Housakos a dit qu’il comptait sur M. Singh. Il a déclaré qu’il a demandé l’avis de M. Singh sur certaines questions, notamment lorsqu’un dirigeant principal des finances devait être embauché pour remplacer Mme Proulx ou lorsque le Sénat cherchait un nouveau directeur des Communications. Le sénateur Housakos a fait remarquer qu’il a probablement passé environ dix heures avec M. Singh pendant ces deux processus. Les collègues du sénateur Housakos, les sénateurs Wells et Furey, qui étaient également membres du Comité directeur, ont également traité avec M. Singh. Le sénateur Housakos a décrit sa relation avec M. Singh comme cordiale et professionnelle. Il n’y avait aucun problème.

b. Le congédiement de M. Singh

[360] Le sénateur Housakos a déclaré que le 24 ou le 25 novembre 2015, M. Patrice et M. Robert sont venus le voir pour lui montrer le courriel du 24 novembre (pièce G-1, onglet 1). Le sénateur Housakos a dit qu’il était [traduction] « sidéré » lorsqu’il l’a lu. Il a expliqué que quatre éléments de la lettre posaient des problèmes.

[361] Tout d’abord, le sénateur Housakos a dit qu’il était troublé par l’allégation selon laquelle M. Singh n’avait aucun accès au Comité directeur, ce qui était faux selon lui.

[362] Deuxièmement, M. Singh a déclaré que le Comité permanent et le Comité directeur étaient privés de renseignements. Le sénateur Housakos a déclaré que pour lui, cette affirmation était troublante et préoccupante. Il a fait remarquer que si c’était le cas, c’est-à-dire que si M. Singh était au courant de renseignements qui auraient dû être portés à l’attention du Comité permanent et du Comité directeur et qu’il n’en a pas parlé au sénateur Housakos, cela aurait été en soi une [traduction] « raison de le renvoyer ».

[363] Troisièmement, le sénateur Housakos s’en est aussi pris au fait que M. Singh a remis en question l’examen fonctionnel de la Direction des ressources humaines et sa supervision par Mme Proulx. Le sénateur Housakos a qualifié l’allégation de M. Singh d’absurde et a insisté sur le fait que le Comité directeur avait pris cette décision. Il a souligné que le Sénat avait déjà procédé à un examen de la Direction des communications et qu’il voulait faire de même pour la Direction des ressources humaines. Le sénateur Housakos a insisté pour dire que l’allégation de M. Singh n’était pas vraie et il a soutenu que c’était les sénateurs qui avaient pris la décision, et non Mme Proulx.

[364] Quatrièmement, le sénateur Housakos a expliqué qu’il avait enquêté sur l’allégation selon laquelle Mme Proulx était raciste, allégation qui, selon lui, n’était tout simplement pas fondée. Il a indiqué qu’il avait examiné le courriel du 24 novembre et a conclu que M. Singh avait donné un ultimatum au Sénat; il avait établi une limite claire. Le Sénat a donc dû agir.

[365] Commentant toujours les allégations formulées dans le courriel, le sénateur Housakos a déclaré que rien n’indiquait que les sénateurs ne recevaient pas tous les renseignements de la part des membres du Comité exécutif ou que les renseignements qu’ils recevaient n’étaient pas exacts. Il a insisté sur le fait qu’il était clair pour tout le monde que les sénateurs ne toléreraient pas que les renseignements fournis soient inexacts.

[366] Quant au fait que M. Singh n’a pas été invité aux réunions du Comité permanent ou du Comité directeur, le sénateur Housakos a insisté pour dire que ce sont les sénateurs et non Mme Proulx qui avaient décidé que les directeurs ne participeraient pas à toutes les réunions. Il a expliqué que le fait d’avoir tous les directeurs présents était un gaspillage de l’argent des contribuables. Il a précisé que les directeurs pouvaient encore y assister, mais seulement s’ils étaient invités, au besoin. Le sénateur Housakos a rappelé que M. Singh a participé aux réunions à deux reprises après février 2015. Le sénateur Housakos a insisté sur le fait qu’il n’y avait aucun fondement à l’insinuation de M. Singh selon laquelle Mme Proulx tentait de créer une barrière entre lui et les sénateurs.

[367] Quant à la demande de M. Singh de faire relever la Direction des ressources humaines d’une autre personne que Mme Proulx, le sénateur Housakos a fait remarquer que ce transfert de responsabilités aurait été inacceptable. Selon lui, M. Singh [traduction] « voulait être privilégié par rapport à elle ».

[368] Pour ce qui est des allégations de discrimination formulées par M. Singh à l’encontre de Mme Proulx, le sénateur Housakos a souligné qu’il fait également partie d’un groupe minoritaire, étant le fils d’immigrants, et qu’il est sensible aux questions de discrimination. Il a indiqué qu’il avait porté l’allégation à l’attention des sénateurs Wells et Furey et à une dizaine d’autres sénateurs caucasiens qui connaissaient Mme Proulx. Le sénateur Housakos a souligné que certains de ces sénateurs n’aimaient guère Mme Proulx. Toutefois, les sénateurs ont tous conclu que les allégations de discrimination à l’égard de celle-ci ne reposaient sur aucun fondement. Le sénateur Housakos a insisté sur le fait qu’il était important pour lui de parler aux sénateurs qui connaissaient Mme Proulx et qui pouvaient commenter les allégations. Il a également téléphoné à certains cadres intermédiaires, dont un cadre supérieur de la Direction des ressources humaines. Le sénateur Housakos a insisté sur le fait que tous ceux à qui il a parlé ont déclaré que les allégations de discrimination à l’égard de Mme Proulx ne reposaient sur aucun fondement.

[369] Le sénateur Housakos a déclaré qu’à son avis, M. Singh n’a pas accepté le fait que les sénateurs aient apporté des changements à la structure hiérarchique de la Direction des ressources humaines. Le sénateur Housakos a déclaré que, dans ce contexte, il a dit à M. Patrice et à M. Robert que compte tenu du contenu du courriel du 24 novembre, il ne voyait pas de quelle façon un médiateur pourrait améliorer la situation. À son avis, M. Singh n’était pas disposé à relever de Mme Proulx.

[370] Le sénateur Housakos a indiqué que lui-même et ses collègues, les sénateurs Wells et Furey, avaient aussi du mal à comprendre que M. Singh n’ait jamais rien dit à ce sujet. Il a déclaré que s’il y avait un problème, M. Singh aurait dû le soulever auprès d’un des sénateurs, car après tout, il était directeur des Ressources humaines. Or, il n’en a rien fait.

[371] Le sénateur Housakos a déclaré que, pour lui, la seule question qui devait faire l’objet d’une enquête était l’allégation de discrimination visant Mme Proulx. Le sénateur Housakos a déclaré qu’il avait examiné la question et qu’après avoir discuté avec une douzaine de sénateurs et de gestionnaires, il était convaincu que l’allégation n’avait aucun fondement. Il a soutenu que s’il y avait eu un doute concernant un comportement discriminatoire ou raciste, il aurait ordonné une enquête approfondie. Mais ce n’était pas le cas.

[372] Le sénateur Housakos a soutenu que M. Singh n’a pas été embauché ni congédié en raison de sa race.

[373] Le sénateur Housakos a déclaré que deux jours après avoir rencontré M. Patrice et M. Robert, et après s’être entretenu avec les sénateurs Wells et Furey ainsi que d’autres sénateurs et gestionnaires du Sénat, il a rencontré de nouveau M. Patrice et M. Robert. Il leur a parlé de la décision de mettre fin à l’emploi de M. Singh.

[374] Le sénateur Housakos a indiqué qu’il n’avait pas parlé de la décision à Mme Proulx. Il a dit qu’elle avait été communiquée en privé aux membres du Comité permanent une semaine plus tard.

[375] Dans son témoignage, le sénateur Housakos a reconnu que chaque fois qu’il interagissait avec M. Singh, ils avaient des rapports cordiaux; il n’a pas fait l’objet de plaintes et M. Singh faisait du bon travail. Cependant, il a souligné qu’après le courriel du 24 novembre, il avait des préoccupations.

[376] Lorsqu’on lui a demandé si Mme Proulx avait fait part aux sénateurs de problèmes sur le plan des ressources humaines sans que M. Singh soit au courant, le sénateur Housakos a répondu qu’il ne se rappelait pas que Mme Proulx l’ait fait. Il a également fait remarquer que pendant son mandat de six mois comme Président du Sénat, les ressources humaines n’étaient pas vraiment un [traduction] « sujet brûlant ». Il s’agissait surtout d’opérations courantes qui ne prenaient pas beaucoup de temps aux comités.

[377] Le sénateur Housakos a indiqué que si M. Singh avait des problèmes, il n’a jamais demandé à voir les sénateurs pour en discuter; il ne leur a pas non plus écrit. Le sénateur Housakos est d’avis que M. Singh avait eu 18 mois pour soulever toute question qu’il estimait être problématique, mais qu’il ne l’a pas fait, malgré que les sénateurs aient clairement indiqué aux employés de l’administration qu’ils voulaient apporter leur contribution. Après tout, M. Singh était directeur des RH.

[378] Le sénateur Housakos a déclaré que même si le Sénat n’avait pas de politique de dénonciation, les sénateurs recevaient des enveloppes sous leurs portes sur toutes sortes de questions. Il a déclaré que de nombreux employés l’ont fait, y compris certains employés des RH. Il a insisté sur le fait que, parce que M. Singh était directeur des RH et avait des responsabilités, s’il y avait un problème, c’était à lui de le soulever.

[379] Lorsqu’on l’a interrogé au sujet de la réunion du 25 novembre 2015, et sur la question de savoir si M. Patrice et M. Robert souhaitent la tenue d’une enquête pour faire la lumière sur le courriel du 24 novembre, le sénateur Housakos a dit qu’ils suggéraient qu’un médiateur ou un arbitre soit nommé pour examiner la question. Il a soutenu qu’une seule allégation importante avait été faite, étant donné que les autres étaient manifestement dénuées de fondement. Selon cette allégation, Mme Proulx avait fait preuve de discrimination fondée sur la race à l’égard de M. Singh.

[380] Selon le sénateur Housakos, les trois autres allégations étaient [traduction] « absurdes » et [traduction] « stupides ». Il a indiqué qu’une enquête était une option. Toutefois, comme il ne voulait pas perdre de temps avec les trois allégations, il a dit à M. Patrice et à M. Robert qu’il étudierait la question du racisme.

[381] Le sénateur Housakos a déclaré qu’à son avis, M. Singh posait un ultimatum dans le courriel du 24 novembre. Ils devaient choisir entre lui et Mme Proulx. À son avis, M. Singh n’était pas disposé à relever de Mme Proulx. Le sénateur Housakos a admis que les partis pris inconscients existent et que le moyen de s’en sortir est de suivre une formation et de revoir les pratiques en place. À son avis, il n’y a pas de discrimination au Sénat, mais il a admis qu’il pouvait faire plus.

[382] Le sénateur Housakos a déclaré que lui-même et les sénateurs Wells et Furey ont pris la décision de mettre fin à l’emploi de M. Singh environ quatre jours après le courriel du 24 novembre. Le sénateur Housakos a convenu que le congédiement de M. Singh était non justifié et qu’il n’avait pas été congédié pour insubordination ou harcèlement. Il a également reconnu que huit mois plus tard, M. Singh a reçu une indemnité tenant lieu d’avis de congédiement équivalant à trois mois de salaire, dont faisait mention la lettre de congédiement (pièces G-10 et G-1, onglet 3).

[383] Le sénateur Housakos a soutenu qu’une fois que M. Singh a reçu la lettre de congédiement, l’affaire était entre les mains des avocats, que le Sénat n’a pas communiqué avec les médias à ce sujet et que, selon sa politique, le Sénat n’a pas fait de commentaires aux médias sur les questions liées aux ressources humaines. Le sénateur Housakos a indiqué que, comme il est mentionné au dernier paragraphe du courriel du 6 janvier 2016 envoyé par M. Patrice aux sénateurs, ces questions devraient être traitées par un tribunal et non par les médias (pièce G-3, onglet 6).

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour M. Singh

[384] M. Singh a souligné qu’il s’agit d’un régime unique dans lequel il peut contester le congédiement en vertu de la LRTP et être visé par la protection de la LCDP.

[385] M. Singh a réitéré qu’il ne contestait pas le droit du Sénat de mettre fin à son emploi sur avis ou paiement tenant lieu d’avis. M. Singh a indiqué qu’il invoquait plutôt les dispositions de la LCDP qui lui offrent toute la protection et tous les recours nécessaires, notamment le droit de réintégrer son ancien poste et de recevoir des dommages-intérêts.

1. Aperçu

[386] M. Singh a passé en revue les faits ayant trait à son emploi au Sénat et à son congédiement. Il a déclaré qu’il avait 43 ans lorsqu’il a été congédié. Il était cadre supérieur de niveau 2, il est parfaitement bilingue, il est membre d’une minorité visible et il était sur une trajectoire ascendante constante. M. Singh a fait remarquer qu’au congédiement, il était le premier et le seul membre de minorité visible parmi douze autres directeurs. Il a également souligné le fait qu’à ce jour, aucun autre directeur issu des minorités visibles n’a été nommé à l’administration du Sénat.

[387] M. Singh a soutenu qu’au cours de son emploi au Sénat, sa supérieure, Mme Proulx, l’avait traité de façon différente et défavorable et qu’on lui avait promis, lorsqu’il a soulevé la question, que sa plainte ferait l’objet d’une enquête, conformément à la politique sur le harcèlement. Au lieu de cela, le Sénat l’a brusquement congédié et ce n’est que huit mois plus tard qu’il a reçu son indemnité tenant lieu d’avis de congédiement. Selon M. Singh, même si le Sénat a manifestement mis fin à son emploi sans motif valable, il a choisi de donner l’impression que son congédiement était justifié.

[388] M. Singh a déclaré que dans le rapport Filion, préparé avant qu’il soit embauché, des commentaires très favorables étaient formulés au sujet de ses capacités. La preuve a également démontré que M. Singh a fait un bon travail en tant que directeur des Ressources humaines. Son rendement était bon de l’avis du Président Nolin et de tous les témoins. Il a reçu la prime de rendement maximale.

[389] Malheureusement, sa carrière est maintenant diminuée à cause des actions préjudiciables du Sénat, qui ont été posées de mauvaise foi. M. Singh a maintenant presque 50 ans et il a diminué de trois niveaux d’emploi par rapport à son entrée au Sénat à la fin de 2013. M. Singh soutient que, pendant sa période d’emploi au Sénat, il a subi un traitement de mauvaise foi et ses droits protégés par la LCDP ont été violés.

[390] En ce qui a trait aux mesures correctives, M. Singh a soutenu qu’il devrait être réintégré dans son poste, avec traitement rétroactif. En outre, sur le fondement de la LCDP et de la common law, M. Singh réclame des dommages-intérêts en guise de réparation pour la violation de ses droits fondamentaux et le traitement de mauvaise foi qu’il a subi, ainsi que des dommages-intérêts majorés pour atteinte à sa réputation, souffrance morale supplémentaire et atteinte à sa dignité.

2. Compétence et pouvoir de redressement

[391] M. Singh a insisté sur le fait que la LCDP est une loi quasi constitutionnelle et que le Sénat n’est pas au-dessus de la loi. En ce qui a trait à la compétence et aux mesures correctives, M. Singh m’a renvoyée aux par. 68(2) et (4) de la LRTP ainsi qu’à l’art. 53 de la LCDP, qui prévoit la réintégration d’une personne qui a été congédiée en violation de cette loi.

[392] Il m’a également renvoyée à Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30, aux par. 82 et 88, où la Cour suprême du Canada a confirmé que la LCDP s’applique au Sénat et qu’en vertu de la LRTP un arbitre de grief peut ordonner la réintégration. Les détails des mesures correctives demandées seront traités ci-après.

3. Discrimination

[393] Dans son argumentation, M. Singh a soutenu que les trois actes de discrimination distincts suivants sont en cause :

1) traitement différentiel et harcèlement de la part de Mme Proulx et du Sénat, contrairement aux art. 7 et 14 de la LCDP;

2) absence d’enquête sur les allégations de discrimination raciale, contrairement aux art. 7 et 10 de la LCDP;

3) congédiement pour avoir soulevé des allégations de discrimination raciale, contrairement aux art. 7 et 14 de la LCDP.

a. Traitement différentiel et harcèlement de M. Singh par Mme Proulx et le Sénat

[394] M. Singh a passé en revue les faits liés à son arrivée au Sénat en 2013. Il était alors classé EX-01. M. Singh a insisté sur le fait que le rapport Filion indiquait qu’il possédait de solides compétences en leadership et qu’il dépassait les attentes en tant que leader éthique (pièce G-2, onglet 2). M. Singh a fait remarquer que, bien qu’il soit un EX-01 à l’École de la fonction publique, le poste au Sénat était aux groupe et niveau SEG-02 ou EX-02.

[395] M. Singh a également mentionné que le jury de sélection du Sénat, dont était membre Mme Proulx, a souligné le fait qu’il possédait des connaissances approfondies en ressources humaines (pièce G-2, onglet 3). M. Singh a déclaré qu’il était sans conteste un cadre supérieur ayant un rendement élevé lorsqu’il s’est joint au Sénat. M. Singh a déclaré que tous ces éléments sont importants, d’autant plus que, lorsqu’on considère le traitement d’une personne ayant un rendement élevé comme lui, on ne peut tirer qu’une seule conclusion, soit que la discrimination a joué un rôle dans la façon dont Mme Proulx l’a traité.

[396] M. Singh a ajouté que pendant sa recherche d’emploi, après son congédiement, il a éprouvé des problèmes, qui n’étaient certainement pas attribuables à son beau parcours professionnel, mais plutôt à la couverture médiatique et aux rumeurs entourant le congédiement.

[397] M. Singh a également souligné que la relation aurait pu s’améliorer entre lui et Mme Proulx si le Sénat avait simplement eu recours à un tiers, comme un médiateur, pour tenter de résoudre leur conflit. Au lieu de cela, il a choisi de mettre fin à son emploi sans envisager d’autres moyens de régler le conflit.

[398] Selon M. Singh, il s’est continuellement efforcé de convaincre Mme Proulx que quelque chose devrait être fait. Malheureusement, il a essuyé des refus de sa part.

[399] En repensant à son arrivée au Sénat, lorsqu’il s’est présenté pour la première fois à M. O’Brien, M. Singh a dit qu’il s’adaptait bien à son nouvel environnement. M. Singh avait de bonnes relations avec tout le monde. Il était responsable de 20 à 25 employés. Les rencontres bilatérales avec M. O’Brien étaient rares; M. O’Brien lui laissait faire son travail. M. Singh a également reçu un bon examen du rendement et des commentaires favorables de M. O’Brien pour la période d’avril à octobre 2014 ainsi que la prime de rendement maximale à laquelle il avait droit (pièce G-2, onglet 8).

[400] M. Singh a fait remarquer qu’au cours de sa première année au Sénat, il a assisté aux réunions du Comité permanent et du Comité directeur, au cours desquelles il a eu l’occasion de discuter des questions de ressources humaines directement avec les membres de ces comités.

[401] M. Singh a indiqué que le Président du Sénat, à l’époque le sénateur Nolin, avait invité M. Singh à discuter de la nouvelle structure administrative qui serait mise en place. M. Singh a déclaré que le Président Nolin lui faisait confiance de toute évidence.

[402] M. Singh a passé en revue les faits entourant la rédaction de sa lettre d’offre. M. Singh a déclaré qu’en janvier 2015, il a rencontré M. Pleau, qui était surpris que M. Singh ne soit pas un employé permanent du Sénat. M. Pleau voulait que M. Singh rédige une lettre d’offre ce jour-là. M. Singh a dit qu’ils n’avaient pas discuté de congés annuels ou de la période d’essai, mais qu’ils avaient parlé de salaire. M. Singh a insisté sur le fait qu’il a simplement suivi les instructions. Le Comité directeur a approuvé la lettre le 14 janvier 2015. Le Président Nolin l’a signée (pièce G-2, onglet 9).

[403] Lorsqu’il a abordé la question de la lettre de réprimande qui lui avait été envoyée pour la lettre d’offre, M. Singh a soutenu que la mesure disciplinaire imposée était disproportionnée et sévère. M. Singh a insisté sur le fait qu’il s’agissait manifestement d’une erreur et que lorsqu’il a vu la politique de congé, il l’a admise. Ainsi, M. Singh s’est demandé pourquoi après cela, il a été traité avec une profonde méfiance et comme s’il était malhonnête. Pour M. Singh, le libellé du courriel de M. Pleau du 20 janvier 2015 est la preuve de ce qu’avait à l’esprit le Président Nolin lorsqu’il a signé la lettre (pièce G-2, onglet 10).

[404] M. Singh est revenu sur le fait que Mme Proulx ne l’a pas félicité après l’annonce de sa nomination et qu’elle croyait qu’il aurait dû y avoir un concours pour son poste. Pour M. Singh, les choses ont commencé à empirer après ce moment-là, ce qui montre non seulement qu’elle avait des doutes, mais aussi que, bien qu’il n’y ait souvent aucune preuve directe de discrimination, il y a néanmoins une discrimination inconsciente, en ce sens que les stéréotypes se perpétuent. Elle s’est méfiée immédiatement de son directeur des Ressources humaines, malgré le fait qu’il avait des antécédents exceptionnels.

[405] Dans le cas de M. Singh, le processus de nomination était raisonnable. Mme Proulx aurait dû prendre le temps, sans partialité, de reconnaître ce fait. M. Singh a déclaré qu’il avait été blessé par son attitude; il pouvait le ressentir. M. Singh a indiqué que les gens de couleur peuvent sentir lorsqu’il y a anguille sous roche.

[406] Quant à savoir si l’avis d’intention de nommer M. Singh aurait dû être publié, il a insisté sur le fait que toute la question est troublante. Tout d’abord, M. Singh a dit qu’un avis n’avait pas à être publié (pièce G-1, onglet 14). De plus, il a fait remarquer qu’il est curieux que, 20 minutes environ après sa démission de la fonction publique, l’avis a été publié (pièce G-2, onglets 11 et 12). Par conséquent, si le grief contre la nomination de M. Singh avait été accueilli, il aurait perdu son emploi puisqu’il avait démissionné de la fonction publique.

[407] M. Singh a souligné le fait que, même un avis devait être publié dans son cas, il n’y en avait pas eu lorsque Mme Proulx a été nommée dirigeante principale des services corporatifs. M. Singh a indiqué qu’il a été convenu qu’un avis aurait dû être publié pour la nomination de Mme Proulx. Par conséquent, de toute évidence, ils ont bénéficié d’un traitement différent. Même si Mme Proulx a déclaré qu’elle ne savait pas si un avis avait été publié dans son cas, ce dont M. Singh doute, et que M. Patrice a nié avoir dit à M. Singh de ne pas en publier un, M. Singh m’a invitée à conclure qu’après cinq ans, M. Patrice aurait pu oublier qu’il avait demandé à M. Singh de ne pas en publier un pour la nomination de Mme Proulx.

[408] Commentant la décision d’exclure les directeurs des réunions du Comité permanent et du Comité directeur, M. Singh a déclaré qu’étant donné la preuve, on sait maintenant que cette décision a été prise par les comités. Néanmoins, M. Singh s’est demandé pourquoi cette décision ne lui avait pas été clairement communiquée et il a continué de demander une explication. M. Singh a déclaré que Mme Proulx avait choisi d’agir comme gardienne, ce qui signifie qu’il n’a été invité à ces réunions que quelques fois jusqu’en juin 2015. C’était humiliant pour lui; il se sentait dévalorisé. Après juin, il n’a plus jamais été invité.

[409] M. Singh a indiqué qu’il est surprenant qu’aucune question relative aux ressources humaines n’ait été discutée au cours des réunions du Comité permanent ou du Comité directeur pendant cinq mois (pièce G-2, onglet 26). Quant à la fréquence à laquelle il a comparu à ces réunions comparativement à Mme Bouchard ou à M. Lafrenière, M. Singh m’a renvoyée à son témoignage, où il a déclaré que tout le monde semblait y aller, sauf lui.

[410] M. Singh a indiqué qu’il s’inquiétait du fait que certaines questions de ressources humaines n’aient pas été abordées et qu’au lieu d’en discuter, Mme Proulx a choisi de le garder dans l’ignorance. Elle aurait pu le laisser présenter des rapports sur les ressources humaines aux comités. Elle préférait le faire elle-même ou les faire présenter par les gestionnaires de M. Singh, à son insu (pièce G-2, onglet 21).

[411] Selon M. Singh, Mme Proulx ne voulait faire aucun compromis sur cette question. Il a demandé ce qu’un membre d’une minorité visible penserait, surtout dans son contexte, puisqu’il était le seul membre issu d’une minorité visible au niveau de la direction au Sénat. À titre de cadre supérieur, Mme Proulx aurait dû le comprendre. D’après M. Singh, il a perçu qu’il était traité différemment. Bien qu’il n’ait pas alors dit qu’il s’agissait de discrimination, il s’est néanmoins demandé pourquoi Mme Bouchard avait été autorisée à assister à ces réunions et non pas lui. Il a été traité différemment. Il a également écrit dans ses notes préalables à la réunion de juin 2015 qu’il était traité différemment. Il a mentionné le fait que Mme Proulx embauchait des Canadiens français, comme elle (pièce G-2, onglets 21 et 26).

[412] M. Singh a également demandé pourquoi, en 2016, M. Pressault a été autorisé à faire une présentation aux comités après le départ de M. Singh. Pourquoi Mme Proulx a-t-elle modifié les règles pour M. Pressault? M. Singh conteste la déclaration du sénateur Housakos selon laquelle le Sénat voulait être transparent et ouvert. M. Singh a fait valoir que si tel avait été le cas, le Sénat aurait alors précisé clairement qui avait décidé de ne plus autoriser les directeurs à assister aux réunions du Comité permanent et du Comité directeur, ainsi que les raisons qui ont motivé la décision.

[413] M. Singh a fait valoir que le Comité exécutif a décidé de discuter de ce à quoi ressemblerait leur organisation, sans inclure M. Singh. Auparavant, il avait toujours été inclus. M. Singh a rejeté le témoignage de Mme Proulx selon lequel elle l’avait toujours consulté. À son avis, elle ne le faisait qu’après coup.

[414] M. Singh a soutenu que le comportement de Mme Proulx en tant que gestionnaire constituait un problème. M. Singh a dit qu’avant la nomination de Mme Proulx à titre de dirigeante principale des services corporatifs, M. O’Brien laissait M. Singh gérer et tenait des réunions bilatérales seulement lorsqu’une question touchait le Comité permanent et le Comité directeur. Mme Proulx elle faisait tout simplement de la microgestion à l’égard du travail de M. Singh.

[415] À titre d’exemple, M. Singh a mentionné l’étude du Sénat sur la rémunération, dans laquelle Mme Proulx est intervenue sans relâche; elle n’a pas nié l’avoir fait. M. Singh a soutenu que, de toute évidence, un cadre de direction classifié EX-05 qui passe son temps à examiner les lettres fait de la microgestion (pièce E-1, onglet 17).

[416] Un autre exemple est le programme de perfectionnement pour le poste de dirigeant principal des finances, dont Mme Proulx s’est encore mêlée. Elle a aussi demandé à M. Singh de se retirer de l’initiative. Il se sentait exclu. M. Singh a insisté une fois de plus sur le fait que ce type d’intervention ne fait pas partie du travail d’un EX-05; le fait qu’elle ait choisi les membres du jury de sélection et qu’elle n’ait pas inclus un membre d’une minorité visible était également très inhabituel et révélateur. Bien que M. Singh ait admis qu’il n’avait jamais demandé à faire partie de ce jury, il a déclaré que, néanmoins, Mme Proulx aurait dû être au courant de la politique pertinente et qu’elle aurait dû demander qu’un membre d’une minorité visible en fasse partie.

[417] Selon M. Singh, il est également très révélateur qu’aucun membre d’une minorité visible n’ait été sélectionné dans le processus (pièce G-1, onglet 15, page 6, section 2.6). M. Singh a également fait remarquer que Mme Proulx n'a pas fait montre d’autant de rigueur quand le temps est venu de retenir les deux candidats appartenant à une minorité visible pour le poste de dirigeant principal des finances dans le cadre du programme de perfectionnement que lorsque Mme Vanikiotis a voulu partir pour une affectation d’Échanges Canada.

[418] M. Singh a mentionné l’intérêt de Mme Vanikiotis pour une affectation d’Échanges Canada comme un autre exemple de microgestion dont faisait preuve Mme Proulx. Une fois de plus, rien ne justifiait son intervention ou celle de M. Patrice. M. Singh était le gestionnaire délégué. Il voulait soutenir Mme Vanikiotis. C’était son rôle de gestionnaire de prendre la décision, et non celui de Mme Proulx (pièce G-2, onglet 21).

[419] En ce qui a trait à la question de sa lettre de réprimande, M. Singh a fait remarquer qu’il croyait que l’objet de la réunion du 2 avril 2015 était de discuter du grief déposé contre sa nomination. À sa surprise, Mme Proulx et M. Bédard l’ont bombardé de questions au sujet de sa lettre d’offre. Bien que le grief ait été rejeté, le Comité exécutif a décidé de tenir une audience disciplinaire le 15 mai 2015 au sujet de la lettre d’offre (pièces G-5 et E-1, onglet 11).

[420] M. Singh a indiqué que, bien qu’il ait pu être sur la défensive en ce qui concerne le salaire et la période d’essai, il était néanmoins embarrassé et pris de remords au sujet du transfert de congés annuels. M. Singh a souligné que Mme Proulx et M. Patrice ont déclaré que le salaire et la période d’essai n’étaient pas un problème grave. M. Singh a soutenu que la question du montant du salaire était discutable et que, en ce qui concerne la période d’essai, M. Singh était déjà au Sénat depuis 18 mois lorsqu’il a été nommé directeur des Ressources humaines. Tout le monde a convenu qu’il avait passé la période d’essai. Par conséquent, de l’avis de M. Singh, il n’y avait aucun motif de discipline en ce qui concerne le salaire et la période d’essai.

[421] En ce qui concerne le transfert de congés annuels, M. Singh a soutenu que c’était une erreur. Il a simplement utilisé un modèle de lettre dont il s’est servi pour muter un employé du Sénat à la Chambre des communes. M. Singh a fait valoir que Mme Proulx en a fait tout un plat, malgré le fait que, encore une fois, il s’agissait d’une simple erreur (pièce G-2, onglet 22, page 2). Selon M. Singh, la discrimination peut être détectée lorsqu’une situation comme le transfert de congés annuels, sans inconduite intentionnelle, devient un problème grave.

[422] En outre, une mesure disciplinaire disproportionnée est un signe de discrimination. M. Singh a soutenu que Mme Proulx avait vu l’incident sous un certain angle, alors que M. Patrice n’aurait peut-être pas considéré l’incident comme une infraction grave, comme elle l’a fait. M. Singh a également indiqué que le libellé du dernier paragraphe de la lettre de réprimande est si fort qu’il équivaut à du harcèlement à son égard. Il n’y avait aucune raison d’inclure ce paragraphe, surtout qu’il avait dit à M. Pleau que le fait de lui faire rédiger sa lettre d’offre était inhabituel (pièce G-2, onglet 22, page 2, troisième dernier paragraphe).

[423] M. Singh a mentionné le fait que, immédiatement après la publication de la lettre de réprimande, il avait moins de latitude; M. Patrice a dit que M. Singh n’était pas digne de confiance (pièce E-1, onglet 25). M. Singh a insisté sur le fait que la mesure disciplinaire imposée à M. Patrice pour une erreur honnête était disproportionnée et plus sévère que celle imposée au directeur de M. Patrice, qui n’avait reçu qu’une réprimande verbale pour avoir crié contre employée. M. Singh a également souligné le fait que les sénateurs n’avaient pas été informés de la question.

[424] En ce qui a trait aux changements proposés à la Direction des ressources humaines, M. Singh a soutenu que, dès le début, Mme Proulx se méfiait des décisions de M. Singh, ce qui pouvait être inconscient (pièce G-2, onglet 24). M. Singh s’est demandé si, lorsque Mme Proulx lui a fait remarquer que la Direction des ressources humaines devait [traduction] « faire preuve d’une rigueur exemplaire », elle a de nouveau laissé entendre qu’il était malhonnête. Si ce n’est pas le cas, pourquoi a-t-elle choisi ces mots? Elle se méfiait de lui (pièce G-2, onglet 25).

[425] M. Singh a fait valoir que lorsqu’il a commencé à déclarer qu’il était traité différemment, cette affirmation aurait dû alerter le Sénat; la haute direction aurait dû examiner la question et essayer de la régler. Bien que M. Singh ait admis qu’il n’aurait peut-être pas dû dire que Mme Proulx n’était pas une experte en ressources humaines, M. Patrice et M. Robert auraient dû se rendre compte que M. Singh et Mme Proulx avaient des problèmes et ils auraient dû faire quelque chose à ce sujet. Or, ils ne l’ont pas fait (pièce G-2, onglet 29, page 2).

[426] M. Singh a fait valoir que la lettre très officielle qui lui a été envoyée le 16 septembre 2015 est un autre exemple de la microgestion pratiquée par Mme Proulx. Elle a de nouveau soulevé la question de son éthique (pièce G-2, onglet 31, page 5).

[427] M. Singh a souligné que la lettre faisait également référence au remplaçant de M. Nunan. Selon M. Singh, Mme Eynoux, qui était le choix de M. Singh, était plus expérimentée et plus âgée que Mme Blais, qui était le choix de Mme Proulx. M. Singh s’est demandé s’il faut conclure que Mme Proulx est plus à l’aise avec Mme Blais, qui a les mêmes origines ethniques de Mme Proulx.

[428] Selon M. Singh, il s’agit là d’un bon exemple parti pris inconscient. Le Sénat aurait dû faire les choses différemment et ne pas choisir la candidate la moins expérimentée pour remplacer M. Nunan. M. Singh a indiqué que Mme Eynoux aurait dû être choisie; c’est ainsi que fonctionne l’équité en matière d’emploi dans une institution. Après tout, Mme Eynoux possédait plus d’expérience et était classée à un niveau supérieur à celui de Mme Blais.

[429] M. Singh a soutenu que la représentation des minorités visibles n’était pas le seul problème selon lui. Il a parlé de la réunion du personnel du Sénat au cours de laquelle il a dû désamorcer une situation lorsqu’un participant a posé une question sur l’absence de représentation des minorités visibles au niveau supérieur. M. Singh a fait valoir que cette anecdote, prise avec d’autres exemples de traitement différentiel, mène à la conclusion qu’il y a eu discrimination.

[430] En ce qui concerne les événements concernant les capsules à présenter à la réunion du Sous-comité du budget du Sénat qui devait avoir lieu en décembre 2015, M. Singh a soutenu qu’il ne se souvenait pas qu’on lui ait dit, dans le lobby du Sénat en août 2015, de laisser tomber l’idée de les présenter à la réunion (pièce E-1, onglet 24).

[431] M. Singh s’est penché sur la réunion du 16 novembre 2015 à laquelle il a participé avec Mme Proulx et Mme Legault et il a indiqué qu’il s’agissait du début de la fin pour lui. Il a dit que Mme Proulx et Mme Legault l’ont [traduction] « rabroué » à cette réunion; elles l’ont embarrassé. Mme Proulx a fait preuve d’un manque de respect envers lui. Il s’est senti muselé et humilié.

[432] En ce qui concerne le courriel du 24 novembre, M. Singh a indiqué que même s’il ne s’agissait pas d’une plainte officielle, il a néanmoins soulevé des questions importantes auprès de Mme Proulx. Il a soutenu que dans le courriel, il lui a dit qu’ils devraient essayer de régler les choses.

[433] Pour ce qui est de la question des allégations formulées dans son courriel du 24 novembre, M. Singh s’est appuyé sur son témoignage, dans lequel il a affirmé que le lendemain, M. Patrice et M. Robert lui ont dit que les déclarations dans son courriel feraient l’objet d’une enquête (pièce G-1, onglet 2). M. Singh conteste l’affirmation de M. Patrice selon laquelle lui et M. Robert ont dit qu’ils ne feraient que recommander une enquête et non qu’ils en mèneraient une. M. Singh a déclaré que le souvenir de M. Patrice n’était peut‑être pas exact, puisque M. Patrice et M. Robert ont décidé de modifier le système hiérarchique afin que la Direction des ressources humaines relève temporairement de M. Robert. Cette décision va de pair avec l’idée qu’il y aurait une enquête.

b. Absence d’enquête sur les allégations de discrimination raciale

[434] M. Singh a rejeté l’allégation du sénateur Housakos selon laquelle il avait enquêté sur les allégations de M. Singh. En effet, le sénateur Housakos n’a même pas parlé à M. Singh pour obtenir les détails des allégations; il n’a pas suivi le processus. De plus, M. Singh a soutenu que le sénateur Housakos a limité son enquête aux sénateurs caucasiens et à un employé caucasien. Pour M. Singh, le fait de sélectionner seulement ces derniers pour déterminer si Mme Proulx était raciste ne peut pas être considéré comme une enquête. En fait, dans les circonstances, c’était offensant.

[435] M. Singh a soutenu que l’enquête du sénateur Housakos était fondamentalement discriminatoire. Selon M. Singh, l’approche du sénateur Housakos était tout à fait simpliste, ce qui constituait une violation de la politique sur le harcèlement.

[436] À l’appui de ses arguments, M. Singh m’a renvoyée aux décisions suivantes : Nelson v. Lakehead University, 2008 HRTO 41, aux paragraphes 90 à 93, 101 et 102; Brar c. B.C. Veterinary Medical Association, 2015 BCHRT 151, aux paragraphes 732 et 743; Turner c. Agence des services frontaliers du Canada, 2020 TCDP 1, au par. 130; Hinds c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), (1989), 10 CHRR D/5683, aux paragraphes 41611 et 41617 à 41619; Islam v. Big Inc., 2013 HRTO 2009; Ananda c. Humber College Institute of Technology & Advanced Learning, 2017 HRTO 611, au par. 121.

[437] M. Singh a fait valoir que le fait de ne pas enquêter, comme dans le présent cas, équivaut à de la discrimination, même s’il n’y a pas de pistes d’enquête, et il m’a renvoyée à Hinds, aux paragraphes 41611 et 41617 à 41619.

[438] M. Singh a soutenu que l’absence d’une enquête sur ses allégations a envoyé le mauvais message aux employés, à savoir qu’un membre d’une minorité visible sera congédié pour avoir signalé des problèmes, et qu’aucune enquête n’aura lieu. Pour M. Singh, le Sénat savait comment seraient interprétées ses actions; c’est pourquoi M. Patrice et M. Robert ont été voir Mme Eynoux après le congédiement de M. Singh.

[439] Sur la question de l’obligation d’enquêter, M. Singh m’a renvoyée à Islam, au par. 269. Il a également fait valoir que, en soi, le fait de ne pas avoir enquêté sur ses allégations constituait un élément de discrimination, même si la plainte n’avait pas été accueillie, comme l’a fait observer Ananda, au par. 121.

[440] M. Singh a soutenu que le sénateur Housakos aurait dû lui parler des allégations. La déclaration du sénateur Housakos selon laquelle Mme Proulx n’a [traduction] « aucune once de racisme » en elle n’était tout simplement pas suffisante; une décision ne doit pas se fonder uniquement sur une impression. Voir Nelson, aux paragraphes 90 à 93, 101 et 102; et Payette c. Alarm Guard Security Service, 2011 HRTO 109, au par. 36.

c. Congédiement pour avoir soulevé des allégations de discrimination raciale

[441] M. Singh a demandé pourquoi son allégation précise selon laquelle Mme Proulx ne communiquait pas les renseignements aux sénateurs n’a pas alerté le sénateur Housakos ni ne l’a incité à faire enquête à ce sujet. M. Singh a fait remarquer que le fait d’être informé de ce qui se passait dans l’administration du Sénat était l’une des principales préoccupations exprimées par le sénateur Housakos dans le cadre de son témoignage. De l’avis de M. Singh, il n’y a qu’une seule explication : le sénateur Housakos n’a pas donné suite à l’allégation pour des motifs racistes.

[442] Bien que M. Singh ait déclaré qu’il ne croyait pas que le sénateur Housakos soit raciste, il a néanmoins déclaré qu’il a été aveuglé par sa partialité et que, puisqu’il ne fait pas partie d’un groupe de minorité raciale, il n’a jamais subi un tel traitement. C’est pourquoi il aurait été important pour le sénateur Housakos de parler à des gens de couleur lorsqu’il a tenu des discussions pour lui permettre de déterminer si Mme Proulx était raciste. M. Singh a déclaré qu’une organisation comme le Sénat peut avoir toutes les politiques possibles en équité en matière d’emploi, celles-ci ne changeront rien si on ne comprend pas que les gens de couleur subissent de la discrimination.

[443] M. Singh a soutenu que le sénateur Housakos pensait que M. Singh jouait la carte de la race et qu’il avait décidé de le congédier, même si le sénateur Housakos ignorait la situation entre M. Singh et Mme Proulx. M. Singh a soutenu que le fait que le sénateur Housakos ait pensé que Mme Proulx n’aurait pas pu faire preuve de discrimination à l’égard de M. Singh parce qu’elle l’avait engagé au Sénat montre que le sénateur Housakos pense toujours comme les gens le faisaient en 1950.

[444] M. Singh a également soutenu que l’allégation de discrimination a offensé le Sénat. Pour ce qui est de l’inquiétude du sénateur Housakos selon laquelle M. Singh et Mme Proulx ne pourraient plus travailler ensemble, M. Singh a fait valoir qu’elle était probablement motivée par l’opinion du sénateur Housakos selon laquelle un employé ne peut jamais continuer de travailler pour un supérieur une fois que l’employé soulève un problème de discrimination. Pour M. Singh, il s’agit d’un mythe ou d’une idée fausse qui démontre que le sénateur Housakos a des idées erronées sur la discrimination raciale. M. Singh m’a renvoyée à Brar, au par. 724.

[445] M. Singh a déclaré que la seule chose que le sénateur Housakos connaissait au sujet de la lettre de réprimande et du congédiement de M. Singh était le fait que M. Singh avait allégué être victime de discrimination.

[446] M. Singh a soutenu que M. Patrice et M. Robert ne voulaient pas mettre fin à son emploi; ils voulaient plutôt qu’une enquête soit lancée. Les raisons que le sénateur Housakos a maintenant données pour mettre fin à l’emploi de M. Singh ne sont pas les mêmes que celles qui figuraient dans la lettre du 2 décembre 2015. Selon M. Singh, M. Robert savait que [traduction] « la situation ne paraissait pas bonne ». Ainsi, il a tenté de tout mettre dans la lettre de congédiement. M. Singh m’a demandé de tirer une conclusion défavorable du fait que M. Robert n’a pas témoigné et il m’a renvoyée à Morgan c. Herman Miller Canada Inc., 2013 HRTO 650, au par. 108.

4. Critère relatif à la preuve prima facie de discrimination

[447] M. Singh a passé en revue les trois points suivants, qui doivent être respectés pour établir une preuve prima facie de discrimination dans le présent cas :

• la personne est membre d’un groupe visé au par. 3(1) de la LCDP;

• la personne a fait l’objet d’un traitement préjudiciable;

• la race, la couleur ou l’origine nationale ou ethnique de la personne a influé sur le traitement préjudiciable.

 

[448] M. Singh m’a renvoyée à Shaw c. Phipps, 2012 ONCA 155, au par. 14; à Turner, au par. 45; et à Brar, au par. 697.

[449] M. Singh a soutenu que, dans le présent cas, il existe un lien entre la conduite de Mme Proulx et un motif de distinction illicite. En outre, pour conclure qu’il y a eu discrimination, il n’y a pas lieu de prouver que la discrimination est la cause, mais seulement qu’elle a entaché le comportement. M. Singh m’a renvoyée à Turner, aux paragraphes 45 et 54; et à Brar, au par. 700.

[450] En ce qui concerne la question de prouver que M. Singh a fait l’objet d’un traitement préjudiciable, M. Singh a déclaré que la discrimination est rarement affichée ouvertement. Elle est souvent fondée sur des inférences. M. Singh a soutenu que, compte tenu de tous les faits entourant son traitement par Mme Proulx, il faut conclure qu’elle l’a traité de façon défavorable, même si ce comportement n’a pas été intentionnel.

[451] Le racisme est souvent inconscient, comme l’indique Shaw, au par. 34; Turner, aux par. 48 et 49; et Brar, au par. 699. La multitude des faits dans le présent cas doit être examinée. M. Singh a indiqué que je dois examiner toutes les circonstances et rechercher la « subtile odeur de discrimination », comme il est indiqué dans Turner, aux paragraphes 48, 54 et 107.

[452] M. Singh m’a également demandé de conclure que la preuve selon laquelle les minorités visibles sont sous-représentées au niveau de la direction du Sénat pourrait aussi appuyer l’idée que la race était un facteur dans le traitement de M. Singh. Il m’a renvoyée à Turner, aux paragraphes 54 et 106, et à Khiamal c. Canada (Commission des droits de la personne), 2009 CF 495, aux paragraphes 80 à 84.

[453] M. Singh a souligné que la preuve démontre qu’il accomplissait bien son travail. Compte tenu de ce fait, il a demandé pourquoi Mme Proulx ne lui faisait pas confiance. En outre, pourquoi le Comité exécutif a-t-il imposé une mesure disciplinaire aussi disproportionnée à l’encontre de son erreur à l’égard de sa lettre d’offre? Pourquoi cette erreur est-elle devenue un problème éthique? Selon M. Singh, je ne peux que déduire que la discrimination était en cause dans toutes ces actions, même si elle n’était pas intentionnelle.

[454] M. Singh a également insisté pour dire que le fait que le niveau de la direction du Sénat ne comprend pas de minorités visibles est également une preuve permettant de conclure qu’il y a eu discrimination. M. Singh a soutenu que les mesures qui, selon le sénateur Housakos et Mme Proulx, étaient en place en ce qui concerne l’équité en matière d’emploi au Sénat n’étaient pas suffisantes et que les données permettent de conclure qu’il flotte une « odeur de discrimination » (voir Turner).

[455] M. Singh a établi un parallèle entre la présente affaire et Khiamal, où l’employé avait également des difficultés avec son superviseur. La Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire de M. Khiamal et a conclu que le Tribunal canadien des droits de la personne n’avait pas examiné la question de savoir si la discrimination était un des facteurs qui avaient joué dans la décision de la défenderesse et qu’il n’avait pas expliqué pourquoi il n’avait pas tenu compte des éléments de preuve d’ordre statistique.

[456] M. Singh a fait valoir qu’une fois que la preuve prima facie de discrimination est établie, le fardeau de preuve retombe sur le Sénat, qui doit fournir une explication raisonnable. M. Singh a déclaré que si le Sénat ne peut pas s’acquitter du fardeau de preuve en établissant qu’il n’y a pas eu de discrimination, que la preuve n’est pas fiable ou qu’une explication plus probable peut être fournie, la discrimination sera alors établie, comme il a été décidé dans Turner, au par. 53.

5. Mesures correctives pour violation de la LCDP

[457] M. Singh a demandé sa réintégration au poste de directeur des Ressources humaines, selon l’alinéa 53(2)b) de la LCDP. Il a également demandé un traitement rétroactif complet et les cotisations de retraite, y compris les primes, les avantages sociaux et les augmentations de salaire pour la reclassification, selon l’alinéa 53(2)c) de la LCDP, moins le revenu qu’il a gagné après le congédiement. M. Singh a demandé que je fixe les primes à 10 % et que je laisse aux parties le soin de calculer le traitement rétroactif, mais que je demeure saisie de l’affaire si les parties ne peuvent s’entendre sur le montant. L’alinéa 53(2)c) de la LCDP est rédigé comme suit :

53 (2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

[...]

a) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte; [...]

 

[458] Selon l’alinéa 53(2)e) de la LCDP, M. Singh a également demandé 15 000 $ pour chaque violation des art. 7, 10 et 14 et une somme additionnelle de 20 000 $ en vertu du par. 53(3) pour chaque violation inconsidérée, à savoir l’absence d’enquête sur ses allégations et le congédiement pour avoir soulevé des allégations de discrimination raciale. Tout montant devrait être accordé avec intérêt, selon le par. 53(4) de la LCDP. L’alinéa 53(2)e) et les par. 53(3) et 53(4) de la LCDP se lisent comme suit :

53 (2)(e) [...] d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

(4) Sous réserve des règles visées à l’article 48.9, le membre instructeur peut accorder des intérêts sur l’indemnité au taux et pour la période qu’il estime justifiés.

6. Dommages-intérêts

[459] M. Singh a fait valoir qu’en plus des dommages-intérêts prévus par la LCDP, il a également droit à des dommages-intérêts pour atteinte à sa réputation et des dommages-intérêts majorés pour atteinte à sa dignité, humiliation et souffrance morale, puisque le congédiement a été fait de mauvaise foi et injustement. Il m’a renvoyée à Tipple c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2010 CRTFP 83 (« Tipple CRTFP »); Tipple c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 158 (« Tipple CAF »); et Doyle c. Zochem Inc., 2017 ONCA 130, au par. 49.

a. Dommages-intérêts pour atteinte à sa réputation

[460] M. Singh a soutenu qu’il avait droit à des dommages-intérêts pour le préjudice causé à sa réputation, conformément à Tipple CAF.

[461] M. Singh a soutenu que, comme dans Tipple CRTFP et Tipple CAF, il a été congédié brusquement, sans explication, ce qui a entraîné des rumeurs et des fuites dans les médias. Cette façon de faire a donné l’impression que son congédiement était justifié, comme s’il s’agissait de harcèlement ou d’insubordination. Par conséquent, sa réputation a été entachée de fausses allégations connues du public.

[462] Le Sénat a également refusé de confirmer que M. Singh avait été congédié sans motif valable, bien qu’on l’ait demandé. M. Singh a fait valoir que lorsque le sénateur Housakos a fait des commentaires à la presse, il a semblé donner foi à la rumeur selon laquelle son congédiement était justifié. Pour M. Singh, le Sénat n’a donc pas pris de mesures correctives raisonnables, comme il est indiqué dans Tipple CRTFP et Tipple CAF.

[463] Enfin, M. Singh a fait valoir que, de toute évidence, les dommages à sa réputation ont eu une incidence négative sur ses efforts pour trouver un nouvel emploi. Il a soutenu que ce préjudice à sa réputation lui nuira pour le reste de sa carrière. Il a dit qu’étant donné que le Sénat est un employeur de premier plan, où tout ce sait, il a été encore plus difficile pour lui de trouver un emploi.

[464] Par conséquent, en son nom, M. Singh a demandé 150 000 $ pour le préjudice causé à sa réputation et m’a renvoyée à Tipple CAF, au par. 19, et à Lalonde c. Sena Solid Waste Holdings Inc., 2017 ABQB 374, au par. 75.

b. Dommages-intérêts majorés pour atteinte à sa dignité, humiliation et souffrance morale

[465] M. Singh demande également des dommages-intérêts majorés pour un congédiement injuste qui a été fait de mauvaise foi. À l’appui de son affirmation, il a déclaré que le Sénat l’avait induit en erreur en lui disant que ses allégations feraient l’objet d’une enquête; au lieu de cela, il a décidé de mettre fin à son emploi sans préavis. Selon M. Singh, ce n’était pas seulement trompeur et mensonger, mais aussi, ce faisant, le Sénat a écarté sa politique selon laquelle les allégations devaient faire l’objet d’une enquête. M. Singh a fait valoir que c’était de la mauvaise foi du Sénat et il a invoqué Avalon Ford Sales (1996) Limited c. Evans, 2017 NLCA 9, aux par. 45 à 49.

[466] M. Singh a fait valoir qu’en outre, le Sénat n’a jamais pris le temps de lui parler de ses prétentions, ce qui constituait un manquement à l’équité fondamentale envers lui. M. Singh a invoqué Lalonde, aux paragraphes 66 à 68.

[467] M. Singh a également soutenu que les motifs détaillés dans la lettre de congédiement ne sont pas compatibles avec ceux que le sénateur Housakos a énoncés lors de son témoignage. De plus, M. Singh a prétendu qu’il a fallu huit mois avant que le paiement tenant lieu d’avis indiqué dans la lettre de congédiement ne soit remis à M. Singh. Le Sénat s’en est servi pour faire signer à M. Singh une quittance.

[468] Par conséquent, M. Singh a réclamé un montant supplémentaire de 100 000 $ en dommages-intérêts majorés pour la souffrance morale causée par le traitement de mauvaise foi qu’il a subi. M. Singh m’a renvoyée à Boucher c. Wal-Mart Canada Corp., 2014 ONCA 419, au par. 77; Tipple CRTFP, au par. 328; et Doyle, au par. 1. M. Singh a souligné qu’aucune preuve médicale n’avait été présentée dans ces décisions.

B. Pour le Sénat

1. Aperçu

[469] Le Sénat a d’abord déclaré que toute cette affaire se rapporte à des désaccords entre M. Singh, directeur des Ressources humaines, et sa superviseure directe, Mme Proulx, dirigeante principale des services corporatifs. Elle porte aussi sur son désaccord par rapport à son style de gestion, tout au long de la période où il a relevé d’elle, et aux décisions du Sénat concernant la gestion de ses activités.

[470] Le Sénat a indiqué que la relation de M. Singh et de Mme Proulx a commencé sur une note positive. Ils étaient collègues; Mme Proulx a même agi comme mentor de M. Singh. Cependant, les choses ont changé quand elle est devenue sa superviseure. Par la suite, chaque fois qu’elle lui posait une question ou signalait un problème, il réagissait en déclarant qu’elle faisait de la microgestion à son égard.

[471] Pour le Sénat, il est clair que M. Singh a éprouvé du ressentiment envers Mme Proulx et a remis en question son autorité. Le Sénat a soutenu que M. Singh était habitué au style de gestion caractérisée par le laissez-faire du prédécesseur de Mme Proulx, M. O’Brien. Pour le Sénat, Mme Proulx avait le droit de poser des questions à M. Singh puisqu’au bout du compte, c’était elle qui était responsable devant le Comité permanent et le Comité directeur de toutes les questions relatives aux ressources humaines; elle voulait être tenue informée afin de pouvoir répondre aux comités.

[472] M. Singh a également désapprouvé avec véhémence certaines des décisions du Sénat, y compris celle de ne plus admettre les directeurs aux réunions du Sénat. Il n’a jamais accepté cette décision et il l’a attribuée à tort à Mme Proulx.

[473] Le Sénat a déclaré que les désaccords entre M. Singh et Mme Proulx se sont accentués lors de l’envoi du courriel du 24 novembre, dans lequel M. Singh a accusé Mme Proulx d’inconduite et a affirmé que certaines décisions, qu’il lui attribuait à tort, étaient discriminatoires. Le Sénat a déclaré que, par ailleurs, il a établi une limite claire dans le courriel lorsqu’il a demandé à ne plus relever d’elle.

[474] Le Sénat a soutenu qu’après avoir examiné les allégations du courriel du 24 novembre, les sénateurs ont conclu qu’elles n’étaient pas fondées. Ils ont décidé de mettre fin à l’emploi de M. Singh, car la situation n’était plus viable; leur lien de confiance avec lui avait été rompu. L’avocat a soutenu que, puisque M. Singh n’approuvait pas les décisions des sénateurs en tant que telles, il ne pouvait plus continuer à travailler pour le Sénat.

[475] Le Sénat a indiqué que les sénateurs ont choisi de ne pas invoquer un congédiement motivé, ils ont plutôt décidé de congédier M. Singh sans motif valable, de sorte qu’ils lui ont offert une indemnité de trois mois tenant lieu d’avis. Le Sénat a soutenu qu’il avait le droit de mettre fin à l’emploi de M. Singh sans motif valable puisqu’il lui a fourni l’indemnité tenant lieu d’avis. En ce qui a trait au pouvoir du Sénat de mettre fin à son emploi sans motif valable, le Sénat m’a renvoyée à l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, de la Cour suprême du Canada.

[476] Le Sénat a insisté sur le fait que M. Singh n’était pas victime de discrimination et que le congédiement n’était nullement discriminatoire. Le Sénat a fait remarquer que M. Singh avait renoncé à la position selon laquelle le Sénat ne pouvait pas mettre fin à son emploi sans motif valable. Le Sénat a soutenu que, dans les circonstances, étant donné qu’aucune discrimination ou violation de la LCDP n’a été prouvée, M. Singh ne devrait pas être réintégré et il n’a pas droit à des dommages-intérêts en vertu de la LCDP ni pour la perte de sa réputation.

2. Crédibilité des témoins

[477] Le Sénat a fait valoir que tout au long de l’année où M. Singh a relevé de Mme Proulx, son comportement à son égard est allé bien au-delà du simple désaccord avec elle. Le Sénat a dit que M. Singh avait constamment fait des déclarations désobligeantes à son sujet et qu’il avait essayé de la dénigrer. Le Sénat a fait référence au témoignage de M. Singh dans lequel il a déclaré qu’il ne voulait pas [traduction] « l’embarrasser » lors d’une réunion du Sénat. Il l’a ridiculisée pour son travail au sujet de l’étude sur la rémunération en déclarant qu’une personne classifiée EX-05 n’aurait pas dû y participer. Il l’a ridiculisée pour avoir participé au programme de perfectionnement pour le poste de dirigeant principal des finances en déclarant que sa participation était [traduction] « insensée », alors qu’elle a simplement répondu à son courriel.

[478] Le Sénat a également fait remarquer que M. Singh a dit qu’il était déplorable que Mme Proulx ne l’ait pas consulté au sujet du Programme de développement en leadership pour les greffiers à la procédure et les greffiers législatifs relevant de M. Robert. Le Sénat a fait remarquer que le programme ne relevait pas du secteur de Mme Proulx et qu’elle n’était même pas au courant de ce programme (pièce G-2, onglet 23).

[479] Pour le Sénat, M. Singh n’a cessé d’insinuer que les décisions de Mme Proulx relevaient d’intentions malveillantes. Par exemple, le Sénat a fait référence à la demande de M. Singh d’assister à la conférence de l’Association canadienne de l’Administration parlementaire et à l’explication de Mme Proulx selon laquelle une directive limitait le nombre de participants aux conférences à deux personnes. Le Sénat a soutenu que la directive était très claire et qu’il fallait obtenir une approbation préalable pour assister à une conférence; en aucun cas la simple application d’une directive ne constituait de la discrimination (pièce G-9).

[480] Pour ce qui est de la question de la participation des directeurs aux réunions du Comité permanent et du Comité directeur, le Sénat a contesté le témoignage de M. Singh au sujet du fait que d’autres gestionnaires relevant de lui y ont assisté après que l’avis du 4 février 2015 a été envoyé. Le Sénat a soutenu que M. Singh n’a fourni aucun exemple d’employés qui auraient assisté aux réunions. De plus, Mme Proulx a réfuté cette déclaration. Selon Mme Proulx, cette situation ne s’est produite qu’une seule fois; Mme Vanikiotis était présente à la réunion lorsque le Sénat a embauché une nouvelle dirigeante principale des finances et que M. Singh était en vacances.

[481] Le Sénat a également fait référence à l’affirmation de M. Singh lors de son témoignage selon laquelle, le 16 novembre 2015, Mme Proulx et Mme Legault sont arrivées à son bureau en dansant et en se tenant la main. Mme Proulx l’a nié et a dit qu’elle ne connaissait pas vraiment Mme Legault à l’époque, car elle ne l’avait rencontrée qu’une fois auparavant. Il en va de même pour ce qui est de l’affirmation de M. Singh selon laquelle Mme Proulx et Mme Blais étaient des amies. Encore une fois, le Sénat a soutenu que cette preuve n’a pas été étayée et que Mme Proulx l’a niée.

3. Questions juridiques en litige

[482] Le Sénat a soutenu que les seules questions à trancher sont celles de savoir si le Sénat a violé les droits de M. Singh garantis par la LCDP et, le cas échéant, quelles mesures correctives il convient d’accorder.

a. Le congédiement de M. Singh n’était pas discriminatoire, et ce dernier n’a pas établi de preuve prima facie de discrimination

[483] Le Sénat a nié avoir agi de façon discriminatoire à l’égard de M. Singh et a soutenu que ce dernier n’avait pas établi de preuve suffisante jusqu’à preuve contraire de l’existence de discrimination.

[484] Le Sénat m’a renvoyée aux décisions de la Cour suprême du Canada dans Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61; et Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, où il a été décidé qu’un plaignant doit d’abord établir une preuve de discrimination et que ce n’est qu’alors que le fardeau incombe à l’intimé de justifier la conduite ou la pratique; voir A. B. c. Eazy Express Inc., 2014 TCDP 35; Kirby c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTFP 41; Khiamal.

[485] Le Sénat a soutenu que M. Singh n’avait pas établi de preuve prima facie de discrimination et que les éléments de preuve du Sénat expliquaient de façon raisonnable toutes ses actions, de même que celles de Mme Proulx.

[486] En réponse à l’argument selon lequel Mme Proulx avait un parti pris inconscient contre M. Singh en raison de sa race, le Sénat a soutenu qu’il n’y a tout simplement aucune preuve à cet égard. Le Sénat a soutenu que le fait d’invoquer la discrimination parce que le demandeur estime qu’elle s’est produite ne suffit pas; une preuve est nécessaire. Pour le Sénat, la conviction de M. Singh selon laquelle il a été victime de discrimination ne suffit pas à établir une preuve prima facie de discrimination, comme il a été décidé dans Filgueira c. Garfield Container Transport Inc., 2006 CF 785 (« Filgueira CF ») aux paragraphes 30 et 31; Le Page c. Agence du revenu du Canada, 2015 CRTEFP 13; LaBranche c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2010 CRTFP 65.

[487] Dans le présent cas, il n’y a tout simplement aucune preuve directe ou circonstancielle que Mme Proulx ait fait montre de partialité, consciemment ou inconsciemment. En ce qui concerne le Sénat, exception faite de la conviction personnelle de M. Singh, il n’y a tout simplement aucune preuve que Mme Proulx l’a traité différemment des autres employés. Ses allégations reposaient sur la conviction de M. Singh; il a perçu à tort qu’il avait reçu un traitement différent de celui des autres employés. Aucune preuve n’a été présentée selon laquelle les autres directeurs étaient traités différemment. Il doit y avoir quelque chose de plus; il faut des éléments de preuve indépendants, autres que les croyances subjectives de M. Singh, qui confirment ses impressions. Le Sénat m’a renvoyée à Filgueira CF, aux paragraphes 30 et 31.

[488] Le Sénat a fait référence au témoignage de Mme Proulx selon lequel elle avait travaillé avec des gens de couleur dans le passé sans aucun problème et qu’elle croit que tout le monde devrait être traité de la même façon. Le Sénat a insisté sur le fait qu’elle a fourni des explications raisonnables aux questions soulevées par M. Singh. Pour le Sénat, il s’agit d’une tentative de rendre la portée de la présente affaire plus large qu’un conflit entre deux personnes en ajoutant le concept de parti pris inconscient.

[489] Le Sénat a soutenu que ses témoins ont présenté des éléments de preuve détaillés et fourni des explications raisonnables dans leurs réponses à toutes les allégations de M. Singh. Ils ont également exposé les raisons pour lesquelles il a été mis fin à l’emploi de M. Singh. Selon le Sénat, la preuve démontre que la relation entre M. Singh et Mme Proulx a été rompue en raison du comportement rancunier de M. Singh envers l’autorité de gestion de Mme Proulx.

[490] Pour le Sénat, une relation difficile entre un employé et son superviseur ne suffit pas à établir la discrimination, comme il a été décidé dans Baptiste c. Canada (Service correctionnel), 2001 CanLII 5801 (TCDP), au par. 100; Hill c. Air Canada, 2003 TCDP 9, au par. 165. Le Sénat a soutenu que M. Singh était exaspéré par Mme Proulx et que son insatisfaction a entaché son point de vue. Le Sénat m’a renvoyée à Hill, aux paragraphes 164 et 165, et à Baptiste, aux paragraphes 1, 96, 97 et 100.

[491] Le Sénat est revenu à l’époque où M. Singh venait tout juste d’être nommé directeur des Ressources humaines et où Mme Proulx, à titre de nouvelle dirigeante principale des services corporatifs, était devenue sa superviseure. Le Sénat a indiqué qu’au début leur relation était positive. Le Sénat conteste la proposition selon laquelle Mme Proulx n’a pas félicité M. Singh pour sa nomination. Le Sénat a fait valoir que, selon la preuve, elle l’avait déjà fait en disant [traduction] « Bravo » et qu’elle n’avait rien fait de différent de ce qu’elle avait fait avec d’autres. Elle était heureuse pour lui. Par conséquent, pour le Sénat, le comportement de Mme Proulx en l’espèce n’a rien de suspect.

[492] Le Sénat a fait valoir que la relation entre M. Singh et Mme Proulx a commencé à changer après qu’il eut été sanctionné en lien avec sa lettre d’offre. Le Sénat a indiqué que, pendant son enquête sur le grief déposé contre l’intention de nommer M. Singh, Mme Proulx s’est rendu compte que la lettre d’offre était problématique.

[493] Le Sénat est revenu sur le témoignage de Mme Proulx au sujet de son enquête et de son inquiétude du fait que M. Singh avait préparé sa lettre d’offre, ce qui, pour elle, constituait un conflit d’intérêts. Le Sénat a également fait remarquer que le Président Nolin et M. Pleau n’ont pas été mis au courant des détails de la politique pertinente, malgré le fait que M. Pleau ait demandé à M. Singh de préparer une lettre conformément à la politique. Le Sénat a fait valoir que selon la preuve, même si l’exemption de la période d’essai pouvait ne pas présenter un problème important, le fait que M. Singh se soit accordé un salaire supérieur à la norme et qu’il ait transféré ses congés annuels étaient très problématiques pour Mme Proulx.

[494] Le Sénat a insisté sur le fait que la rédaction de la lettre d’offre par M. Singh n’était pas simplement une erreur. Selon le Sénat, M. Singh a pris soin d’inclure dans sa la lettre des renvois à certaines politiques du Sénat, sans toutefois s’y conformer (pièces E-1, onglet 5, et G-2, onglet 9). Le Sénat a fait valoir que M. Singh avait réagi de façon agressive lorsque Mme Proulx l’a confronté pour la première fois sur la question, par téléphone. Il a fait des commentaires désobligeants, disant qu’il s’agissait de [traduction] « conneries », comme il est indiqué dans la note de Mme Proulx (pièce E-1, onglet 11). Le Sénat a dit que ce n’est que plus tard que M. Singh a exprimé des remords au sujet de la préparation de la lettre.

[495] Le Sénat a soutenu que la lettre de réprimande n’était pas disproportionnée dans les circonstances et il a insisté sur le fait qu’en préparant sa lettre d’offre, M. Singh a commis un abus de confiance, ce qui explique pourquoi la mesure disciplinaire était appropriée. Le Sénat a insisté sur le fait que le Comité exécutif a choisi de remettre à M. Singh une lettre de réprimande que parce qu’il voulait lui donner une autre chance de rebâtir la relation. De plus, Mme Proulx a gardé la lettre dans son bureau afin que personne ne puisse la voir, y compris les sénateurs qui en auraient été contrariés.

[496] Le Sénat a laissé entendre que si Mme Proulx avait voulu se débarrasser de M. Singh, elle aurait pu en parler aux sénateurs. Elle a choisi de ne pas le faire. Pour le Sénat, de toute évidence, il ne s’agissait pas d’un exemple de parti pris inconscient de la part de Mme Proulx. Le Sénat a également fait remarquer que M. Singh aurait pu contester la lettre de réprimande; il a décidé de ne pas le faire.

[497] Dans son argumentation, le Sénat a insisté sur le ton de M. Singh dans ses nombreux courriels envoyés à Mme Proulx (pièce G-2, onglets 20, 23, 25, 26, pages 4, 29 et 30). Le Sénat a fait remarquer que dans son témoignage, M. Singh a essayé de nuancer son affirmation sans équivoque au sujet de Mme Proulx lors d’une réunion du Comité exécutif où il a dit : [traduction] « Nicole n’est pas une experte en RH – elle n’est pas qualifiée pour prendre des décisions en RH ». Le Sénat a dit que malgré cela, Mme Proulx a accordé à M. Singh la pleine rémunération au rendement de 10 %, même si elle avait pu simplement lui accorder une rémunération au rendement de 8 %, au prorata de la période passée dans son poste. Pour le Sénat, c’est un signe qu’elle a essayé de maintenir une relation positive (pièce G-2, onglet 27).

[498] Pour revenir à la remarque de Mme Proulx selon laquelle la Direction des ressources humaines devait [traduction] « faire preuve d’une rigueur exemplaire », le Sénat a soutenu que la preuve indiquait que cette remarque concernait la Direction des ressources humaines et non l’éthique de M. Singh (pièce G-2, onglet 25). Le Sénat a insisté sur le fait qu’en ce qui a trait au concept de parti pris inconscient, je ne devrais pas tenir compte des éléments de preuve circonstanciels lorsqu’il y a une explication réelle, comme il a été établi dans Hill, à la page 131.

b. Les allégations de M. Singh n’étaient pas étayées

[499] Le Sénat soutient non seulement que M. Singh n’a pas été traité différemment en raison de sa race ou de son origine ethnique, mais qu’il y a également une explication légitime pour chacune de ses allégations.

[500] Le Sénat a d'abord déclaré que l’approche utilisée au début, en janvier 2015, par le Comité exécutif, qui consistait à discuter et à décider de la façon dont il fonctionnerait en tant que comité et comment il voyait la nouvelle structure, était une façon très normale de procéder. Pour le Sénat, il était logique que le Comité exécutif ait d’abord accepté la nouvelle structure avant de faire participer d’autres personnes.

[501] Le Sénat a insisté sur le fait que les trois membres du Comité exécutif étaient pressés d’agir rapidement, avaient une expérience considérable du Sénat, connaissaient tous les employés et savaient comment la nouvelle administration du Sénat devait fonctionner. Par conséquent, il est logique que M. Singh ait été mis à contribution et qu’on lui ait demandé de mettre en œuvre le nouveau modèle seulement lorsque le Comité a décidé de la direction à prendre. Par conséquent, pour le Sénat, rien ne permet de dire que, comme l’affirme M. Singh, que ce dernier ait été exclu. Il a été consulté au moment opportun.

[502] Commentant la décision d’exclure tous les directeurs des réunions du Sénat, à moins d’une invitation expresse, le Sénat a soutenu que M. Singh l’a attribué à tort à Mme Proulx. De toute évidence, il s’agissait d’une décision prise par les sénateurs. De l’avis du Sénat, tous ses témoins ont déclaré que les sénateurs s’inquiétaient des fuites et qu’ils pensaient que la présence de tous les directeurs était un gaspillage de ressources.

[503] De plus, le Sénat a soutenu que l’affirmation de M. Singh selon laquelle Mme Proulx a refusé de lui fournir une explication ne reposait sur aucun fondement. Elle a déclaré lui en avoir fourni une. De plus, elle l’a fait par écrit (pièce G-2, onglet 29, page 2). Le Sénat a également fait remarquer que la décision s’appliquait à tous les directeurs et pas seulement à M. Singh. Tous les directeurs ont été déçus. Encore une fois, M. Singh n’a pas été traité différemment de ses collègues.

[504] Le Sénat a également indiqué qu’entre juin 2015 et le départ de M. Singh, il y a eu très peu de réunions du Comité permanent ou du Comité directeur, compte tenu de l’arrivée de l’été et de la tenue d’une élection en octobre, avant laquelle le Sénat n’a pas siégé.

[505] Toujours sur la question de la participation aux réunions des comités sénatoriaux, le Sénat a souligné le fait que, bien que Mme Bouchard ait pu assister à certaines réunions, Mme Proulx, M. Patrice et M. Pleau ont tous déclaré que durant la période allant de février 2015 à juin 2015, M. Singh était probablement le directeur qui y a assisté le plus souvent.

[506] Commentant la plainte de M. Singh selon laquelle il n’était pas mis au courant des questions relatives aux ressources humaines présentées lors des réunions du Comité permanent et du Comité directeur, le Sénat m’a renvoyée au témoignage de Mme Proulx, dans lequel elle a indiqué que toutes les notes d’information présentées aux sénateurs étaient préparées par chaque direction. Toute modification apportée à ces notes était retournée aux directeurs. Par conséquent, M. Singh ne peut pas prétendre qu’il n’était pas au courant de ce qui s’est passé ou qu’il n’a pas été inclus.

[507] En ce qui a trait à l’examen fonctionnel de la Direction des ressources humaines, le Sénat a soutenu que contrairement à l’affirmation de M. Singh selon laquelle il avait eu lieu à la demande de Mme Proulx, la preuve démontrait clairement qu’il s’agissait d’une décision des sénateurs. Le Sénat a souligné que les sénateurs s’inquiétaient de la gestion de la Direction des ressources humaines avant même l’arrivée de M. Singh; c’est pourquoi ils ont demandé la tenue d’un examen. Le Sénat a insisté sur le fait que, encore une fois, ce n’était pas la décision de Mme Proulx. Pour le Sénat, cet exemple montre aussi qu’il n’y avait pas de discrimination.

[508] Le Sénat a également examiné l’allégation de M. Singh au sujet de l’ingérence de Mme Proulx dans la demande d’affectation d’Échanges Canada de Mme Vanikiotis. Le Sénat a indiqué que M. Singh en a informé Mme Proulx; elle a ensuite donné son point de vue. Selon le Sénat, elle n’a jamais refusé l’affectation d’Échanges Canada de Mme Vanikiotis. Mme Proulx ne s’y opposait pas tant que les besoins opérationnels du Sénat étaient satisfaits.

[509] Le Sénat a soutenu que Mme Proulx voulait s’assurer que la personne qui remplacerait Mme Vanikiotis soit la bonne. Selon le Sénat, Mme Proulx craignait que la personne proposée par M. Singh ne soit pas la bonne, car cette personne ne s’est pas qualifiée à un processus de dotation qui se situait à un niveau de classification inférieur au poste occupé par Mme Vanikiotis.

[510] Le Sénat a également soutenu que M. Patrice et M. Robert ont parlé à Mme Vanikiotis pendant que Mme Proulx participait au procès Duffy (pièce G-2, onglet 24). Le Sénat a souligné que les éléments de preuve montraient qu’il y avait des tensions entre Mme Vanikiotis et M. Singh, ce qui pourrait expliquer en partie les frustrations. Encore une fois, rien n’indique que Mme Proulx ait agi sans consulter M. Singh et qu’elle se soit adressée directement à son personnel. De plus, il s’agit également d’une explication très légitime de l’allégation de M. Singh (pièce G-2, onglet 20).

[511] En ce qui a trait à la réorganisation de la Direction des ressources humaines après le détachement de M. Nunan à l’extérieur de celle-ci, le Sénat soutenu que M. Singh a encore une fois présenté des propositions à Mme Proulx. Elle n’est pas intervenue dans le processus; elle a donné son point de vue après qu’on lui a demandé de le faire. Elle avait des préoccupations parce qu’elle pensait qu’un nombre aussi important de changements apporteraient de l’instabilité.

[512] Le Sénat a indiqué qu’à ce moment-là, il se préparait à une ronde de négociations collectives et qu’il avait donc besoin de stabilité. De plus, la Direction des ressources humaines devait subir un examen fonctionnel. Ainsi, le Sénat a soutenu que, pour Mme Proulx, le moment n’était pas opportun en vue d’apporter les changements de fond proposés, d’autant plus que le détachement de M. Nunan ne devait pas être permanent (pièce G-2, onglet 25, page 1). Le Sénat soutient que M. Singh ne répondait jamais aux questions de Mme Proulx et qu’en même temps, il est devenu de plus en plus irrespectueux.

[513] Le Sénat a cité la réunion du 10 septembre 2015 comme un autre exemple où Mme Proulx a tenté d’expliquer ses préoccupations au sujet des propositions de M. Singh, et la réaction de ce dernier a été hostile; il était agité (pièce G-2, onglet 30, page 3).

[514] Le Sénat a réitéré que Mme Proulx n’a jamais insisté pour que Mme Blais, et non Mme Eynoux, remplace M. Nunan. Selon le Sénat, Mme Proulx a simplement dit que Mme Blais remplaçait M. Nunan à l’habitude et que, comme des négociations collectives étaient en cours au Sénat, Mme Blais était un meilleur choix que Mme Eynoux, qui venait d’arriver. Le Sénat soutient que contrairement à ce que M. Singh a allégué, Mme Proulx ne faisait pas de microgestion à son égard. Il l’a consultée et elle a répondu (pièce G-2, onglet 31).

[515] Le Sénat a insisté sur le fait qu’il n’y a aucune raison de prétendre que Mme Proulx a harcelé M. Singh ou qu’il a été soumis à un traitement différent de celui des autres. Le Sénat a insisté sur le fait que la délégation de pouvoirs n’est pas absolue; en tant que dirigeante principale des services corporatifs, Mme Proulx était responsable. Le Sénat a donné des exemples dans lesquels, selon le contexte des changements apportés à la Direction des ressources humaines, les propositions concernant les postes de gestion ne relevaient pas seulement de sa compétence, et Mme Proulx, en tant que dirigeante principale des services corporatifs, devait être consultée (pièce G-1, onglet 31, page 2). Il en va de même pour les propositions touchant la classification d’un poste ou le budget de l’organisation en ce sens que la dirigeante principale des services corporatifs devait intervenir (pièce G-1, onglet 31, page 3).

[516] En ce qui concerne l’avis d’intention de nomination, lequel posait problème dans le cas de M. Singh et non dans celui de Mme Proulx, et qui a donné lieu au traitement différent dont a fait l’objet M. Singh, le Sénat a soutenu que l’avis découlait de la recommandation de Mme Vanikiotis, et que M. Patrice et Mme Proulx ont décidé de publier l’avis pour la nomination de M. Singh. Mme Vanikiotis a envoyé sa recommandation à M. Patrice et à Mme Proulx, qui y ont tous deux consenti, sans revoir la politique pertinente.

[517] Le Sénat a soutenu que, même si aucun avis n’a été publié pour la nomination de Mme Proulx, il convient de noter qu’elle n’a pas participé à sa propre nomination et qu’elle n’a pas été informée qu’une nomination ne serait pas publiée. M. Pleau et le Comité directeur ont pris cette décision en se fondant sur l’avis de M. Singh.

[518] Le Sénat a fait valoir qu’il était ironique que M. Singh ait soulevé cette situation pour établir l'existence d’un traitement différentiel alors qu’il avait informé les sénateurs qu’il n’était pas nécessaire de publier un avis pour nommer Mme Proulx. Le Sénat a insisté sur le fait que M. Singh avait eu amplement le temps de soulever cette question s’il s’agissait d’un problème. Il ne l’a pas fait.

[519] En ce qui concerne le programme de perfectionnement pour le poste de dirigeant principal des finances, le Sénat reconnaît qu’il a été élaboré par M. Singh. Toutefois, le Sénat soutient que Mme Proulx a indiqué que d’autres employés devaient s’en occuper pour la seule et unique raison que le programme avait atteint une étape administrative et technique. Le Sénat a insisté sur le fait que Mme Proulx a formulé des observations après que M. Singh les a expressément demandées (pièce G-2, onglet 19, pages 2 et 3).

[520] Quant à l’argument de M. Singh selon lequel le jury de sélection n’était composé d’aucun membre issu d’une minorité visible, le Sénat a souligné que M. Singh n’avait jamais soulevé cette question ni déclaré qu’il aurait dû faire partie du jury. En outre, il se composait de deux femmes et d’une personne de l’extérieur du Sénat. Par ailleurs, l’un des jurés avait un handicap physique.

[521] Enfin, le Sénat rejette l’argument de M. Singh selon lequel Mme Proulx a influencé le jury de sélection. Le Sénat a soutenu qu’il n’y a tout simplement aucune preuve de la participation de Mme Proulx. À l’époque, elle était occupée par le procès Duffy et elle n’est pas intervenue dans les conclusions, auxquelles les membres du jury sont parvenus à l’unanimité. Le Sénat a conclu qu’encore une fois, aucune preuve ne corroborait l’allégation selon laquelle Mme Proulx a participé et qu’elle est intervenue dans le processus qui a mené aux résultats.

[522] En ce qui concerne le processus de dotation du poste de dirigeant principal des finances, le Sénat a déclaré qu’il s’agissait d’un autre exemple qui permet d’établir que ce sont les sénateurs qui ont pris la décision de nommer Mme Legault comme nouvelle dirigeante principale des finances. Mme Proulx n’a pas participé au processus. Le Sénat a également fait remarquer que la nomination de Mme Legault démontre que c’était M. Singh, et non Mme Proulx, qui voulait modifier les règles en suggérant que, contrairement à la politique pertinente, Mme Legault reçoive une semaine supplémentaire de vacances par année.

[523] En ce qui concerne la réprimande verbale imposée à un directeur du groupe de M. Patrice après qu’une employée a déposé une plainte de harcèlement, le Sénat a fait remarquer que le directeur relevait de M. Patrice et non de Mme Proulx. Par conséquent, encore une fois, elle n’est pas intervenue.

[524] De plus, le Sénat a soutenu que M. Singh a de nouveau suggéré le versement d’une somme forfaitaire à l’employée qui avait été congédiée pour un motif valable. Le Sénat a fait remarquer que selon M. Patrice, aucun paiement n’était approprié puisque le congédiement de l’employée était justifié.

[525] Quant à la raison pour laquelle le directeur du secteur de M. Patrice a reçu une réprimande verbale, alors que M. Singh a reçu une lettre de réprimande, le Sénat a expliqué que, pour le directeur, il s’agissait d’un incident ponctuel, ce dernier ayant fait un commentaire malavisé. Quant à M. Singh, des préoccupations avaient été soulevées quant à la rédaction par le directeur des Ressources humaines de sa propre lettre d’offre.

[526] Le Sénat a également répondu à l’allégation selon laquelle Mme Proulx n’avait pas informé le Sous-comité du budget des dépenses du Sénat du Comité permanent qu’un employé avait réclamé un nombre important d’heures supplémentaires. Le Sénat a fait valoir que, selon les éléments de preuve, il n’y avait eu aucune fraude et que Mme Proulx a déclaré que le Sous-comité était au courant de la question. Ainsi, pour le Sénat, il s’agit d’un autre exemple d’explication raisonnable en réponse à l’allégation de M. Singh selon laquelle Mme Proulx a caché des questions aux sénateurs.

[527] Le Sénat a également rejeté l’allégation de M. Singh selon laquelle Mme Proulx aurait dit [traduction] « Ces gens » lorsqu’elle a parlé de deux sénateurs qui n’étaient pas caucasiens. Le Sénat a soutenu que M. Singh n’avait pas formulé cette allégation dans le courriel du 24 novembre, mais qu’il l’avait fait pour la première fois à l’audience. Le Sénat m’a renvoyée au témoignage de Mme Proulx, dans lequel elle a nié avoir fait des commentaires désobligeants au sujet des deux sénateurs; elle aurait peut-être dit que les sénateurs ont de gros égos. Pour le Sénat, cette allégation n’a jamais été corroborée, et Mme Proulx l’a niée.

[528] En ce qui concerne la question des capsules du budget principal des dépenses, le Sénat a soutenu que M. Singh avait insisté pour présenter ses deux capsules, bien que Mme Proulx lui ait clairement dit de ne pas le faire. Le Sénat a examiné la preuve et a soutenu que Mme Proulx avait expliqué à M. Singh pourquoi les capsules n’étaient pas nécessaires (pièce G-2, onglet 34, les deux dernières pages). Le Sénat a fait valoir qu’à l’audience, M. Singh a tenté d’interpréter erronément ce que Mme Proulx avait dit lorsqu’il a déclaré qu’elle [traduction] « n’a jamais dit de ne pas l’envoyer ».

[529] Pour ce qui est de sa déclaration selon laquelle Mme Proulx et Mme Legault dansaient et se tenaient la main alors qu’elles se dirigeaient vers son bureau le matin du 16 novembre 2015, le Sénat a soutenu que ce n’était qu’un embellissement de la preuve. Le Sénat a insisté sur le fait qu’aucun des événements [traduction] « où elles se seraient tenu la main ou auraient dansé » n’a eu lieu. Le Sénat a fait remarquer que ce matin-là, Mme Proulx venait de revenir au travail après qu’elle a récemment perdu son père.

[530] Quant à la réunion du budget principal des dépenses de décembre 2015, le Sénat a soutenu que M. Singh n’a jamais été empêché de répondre aux questions des sénateurs; M. Patrice ne l’a pas non plus touché pour l’empêcher de répondre. Le Sénat a indiqué que M. Patrice a déclaré qu’il n’avait jamais empêché M. Singh de répondre aux questions posées par les sous-comités des sénateurs. Le Sénat a également souligné le témoignage de Mme Proulx dans lequel elle a dit que les réunions du Sénat sont très formelles et que si une question est posée, la personne à laquelle on pose une question doit répondre. Elle a dit qu’elle n’avait jamais répondu aux sénateurs à la place de M. Singh.

c. Le Sénat a enquêté sur les allégations de M. Singh

[531] Le Sénat m’a renvoyée au témoignage du sénateur Housakos, qui a dit qu’à première vue, les allégations étaient fausses. M. Singh a reproché à Mme Proulx des décisions prises par les sénateurs. Selon le Sénat, M. Singh ne voulait plus travailler avec Mme Proulx; la relation de travail n’était plus viable.

[532] Le Sénat a toutefois fait remarquer que le sénateur Housakos était troublé par l’allégation de racisme à l’encontre de Mme Proulx. Il a décidé d’examiner la question et il a expliqué le processus suivi. Le Sénat a soutenu que, puisque le courriel du 24 novembre n’était pas une plainte officielle conformément à la politique sur le harcèlement, il n’y avait aucune obligation de traiter les allégations comme telles. De plus, le Sénat a soutenu que, même si une plainte officielle avait été déposée, la politique ne prévoit aucune obligation de mener une enquête approfondie (pièce G-1, onglet 16, 4.5.1).

[533] Le Sénat a également fait valoir qu’il n’y a aucune obligation indépendante d’enquêter dans le présent cas, étant donné que les éléments de preuve n’appuient manifestement pas les allégations de discrimination de M. Singh; il n’y a eu aucune violation de la loi. Étant donné que ces allégations n’ont pas été prouvées, l’absence présumée d’enquête ne peut à elle seule constituer une mesure discriminatoire.

[534] À l’appui de son argument, le Sénat m’a renvoyée à Stanger c. Société canadienne des postes, 2017 TCDP 8, aux par. 213 et 214; à Walton Enterprises c. Lombardi, 2013 ONSC 4218; à Scaduto c. Insurance Search Bureau, 2014 HRTO 250, au par. 75.

[535] Le Sénat a également soutenu qu’il y a différents degrés d’enquête. Ce qui importe est qu’un processus raisonnable ait lieu, comme il a été établi dans Stanger, à la p. 62.

[536] Le Sénat a insisté sur le fait que, dans la présente affaire, le sénateur Housakos, qui n’est pas avocat, a raisonnablement pris le temps d’enquêter sur l’allégation de discrimination de M. Singh. Le sénateur Housakos a parlé à une douzaine de sénateurs et de gestionnaires. Même s’ils étaient tous caucasiens, ils connaissaient très bien Mme Proulx et ils ont attesté qu’elle n’avait jamais manifesté un comportement raciste. Le Sénat a soutenu qu’il était important que les personnes auxquelles le sénateur Housakos a parlé aient déjà interagi avec Mme Proulx; elles ont toutes affirmé qu’elles n’avaient jamais été témoins d’un comportement entaché de racisme de sa part. Le Sénat a fait remarquer que le sénateur est fils d’immigrants et qu’il a déclaré avoir lui-même été victime de discrimination. Il est sensible à ces questions.

[537] Le Sénat a soutenu que le sénateur Housakos était convaincu que l’allégation de harcèlement ou de discrimination ne reposait sur aucun fondement. Le processus qu’il a suivi était raisonnable, même en partant du principe qu'une plainte formelle a été déposée, ce que ne reconnaît pas le Sénat. Le Sénat a déclaré que le sénateur Housakos, après avoir discuté avec d’autres sénateurs et certains gestionnaires, a conclu que les allégations n’étaient pas fondées. Par conséquent, avec ses collègues, les sénateurs Wells et Furey, il a décidé de mettre fin à l’emploi de M. Singh (pièce G-1, onglet 3).

d. La raison pour laquelle M. Singh a été congédié

[538] Le Sénat m’a renvoyée au témoignage du sénateur Housakos concernant les raisons pour lesquelles le Comité directeur a décidé de mettre fin à l’emploi de M. Singh. Le Sénat a fait valoir que les raisons étaient liées à la position catégorique adoptée par M. Singh dans le courriel du 24 novembre. Le Sénat a soutenu qu’essentiellement, M. Singh a écrit qu’il ne voulait plus travailler avec Mme Proulx, qu’il voulait imposer aux sénateurs le modèle de structure administrative du Sénat et que Mme Proulx n’était pas en mesure de présenter des renseignements sur les ressources humaines aux sénateurs. En outre, le Sénat a soutenu que M. Singh n’était pas prêt à discuter de ces questions.

[539] Le Sénat a fait remarquer que les sénateurs considéraient que la position catégorique de M. Singh revenait à désapprouver les décisions qu’ils avaient prises. Comme l’a dit le sénateur Housakos, M. Singh a établi une limite claire et ses exigences n’étaient pas raisonnables. Par conséquent, il ne pouvait plus continuer à travailler pour le Sénat.

[540] Pour le Sénat, la lettre de congédiement présentait explicitement les motifs du congédiement de M. Singh. Le Sénat a indiqué qu’il avait choisi de le licencier sans motif valable et qu’il lui avait offert une indemnité de trois mois tenant lieu d’avis. Le Sénat a soutenu que contrairement à d’autres situations, aucun montant précis n’est prévu pour un congédiement sans motif valable. Toutefois, selon la common law, le Sénat pouvait soit donner à M. Singh un avis raisonnable de congédiement, soit lui verser une indemnité tenant lieu d’avis. Le Sénat a choisi de lui verser les trois mois de salaire.

[541] Le Sénat a souligné le fait que M. Singh a été employé du Sénat pendant moins d’un an au moment du congédiement. Par conséquent, dans les circonstances, une indemnité de trois mois était raisonnable. Le Sénat a soutenu que M. Singh n’avait accepté l’indemnité qu’en juillet 2016.

e. Le congédiement n’était pas une mesure de représailles

[542] Le Sénat a soutenu que le congédiement de M. Singh était une confirmation du Sénat que son emploi n’était plus viable. Il n’y a tout simplement aucune preuve que la décision était une mesure de représailles en riposte au courriel du 24 novembre. Le Sénat a réitéré que M. Singh avait le fardeau de prouver que l’atteinte alléguée aux droits de la personne avait joué un rôle dans le congédiement. De plus, le Sénat a soutenu que le courriel de M. Singh n’était pas une plainte de harcèlement, mais plutôt une liste d’exigences et d’allégations non fondées à l’intention de Mme Proulx, laquelle n’a même pas participé au congédiement; voir Tabor c. La Première nation Millbrook, 2015 TCDP 18.

[543] S’agissant des données statistiques présentées par M. Singh, le Sénat a soutenu que ce genre de preuve peut être utile dans certains cas pour établir l’existence d’une discrimination, mais seulement s’il est lié aux circonstances particulières d’un cas. Pour le Sénat, ce genre de preuve est souvent utilisé lorsque l’on invoque une discrimination systémique, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. La discrimination systémique doit être liée à une question précise; voir Abi-Mansour c. Président de la Commission de la fonction publique, 2016 CRTEFP 53, au par. 13.

[544] Le Sénat a déclaré que, de toute façon, son rapport sur la diversité pour 2018 indiquait une amélioration, puisque le nombre de gestionnaires issus des minorités visibles était supérieur à la disponibilité au sein de la population active (pièce G-1, onglet 10, page 6). Bien qu’il ait admis que M. Singh était le seul membre de la direction issu d’une minorité visible, le Sénat a soutenu qu’en soi, ce n’est pas une preuve de discrimination et que les minorités visibles sont bien représentées au sein de la direction.

f. Le cadre juridique et le fait que M. Singh n’a pas droit aux réparations qu’il a demandées

[545] Le Sénat a fait remarquer qu’au début de l’audience, M. Singh a indiqué qu’il ne contestait plus la position du Sénat selon laquelle il pouvait mettre fin à son emploi sans motif valable.

[546] Le Sénat a déclaré que, bien que M. Singh ait pu déposer un grief contre le congédiement, sa relation de travail avec le Sénat était régie par le droit les contrats sous le régime de la common law, qui ne peut pas être modifié par la procédure de règlement des griefs, comme il a été décidé dans Dunsmuir, aux paragraphes 74 à 76, 95 et 96. Le droit de déposer un grief ne donne qu’une tribune à un employé; il ne change rien à la common law. Par conséquent, il pourrait y avoir un droit de présenter un grief en cas de licenciement sans motif; voir Wells c. Terre-Neuve, [1999] 3 R.C.S. 199.

[547] Le Sénat a fait valoir que puisque M. Singh n’a pas prouvé la discrimination, le Sénat avait le droit de mettre fin à son emploi sans motif valable en lui fournissant un salaire de trois mois tenant lieu d’avis. Le Sénat m’a renvoyée à Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39, aux par. 28, 50 et 56; à Dunsmuir, au par. 108; et à Bardal c. Globe and Mail Ltd., [1960] O.J. No 149 (QL), en ce qui concerne les facteurs à prendre en considération pour déterminer ce qui constitue un avis de congédiement raisonnable. Le Sénat a réitéré que dans le présent cas, trois mois de rémunération étaient raisonnables, compte tenu du fait que M. Singh a été un employé du Sénat pendant moins d’un an.

[548] En ce qui concerne les dommages-intérêts demandés par M. Singh, le Sénat a soutenu que, puisqu’il n’y a aucune preuve de discrimination, il n’a pas droit à des dommages-intérêts sur le fondement de la LCDP.

[549] De plus, le Sénat a soutenu que, subsidiairement, même si je conclus qu’il y a eu discrimination, l’art. 2 de la LRTP exclut la réparation prévue par la LCDP, y compris celle prévue à l’art. 53, comme il a été établi dans Canada (Chambre des communes), au par. 95. Pour le Sénat, les mécanismes d’application de la LCDP ne s’appliquent pas dans le présent cas.

[550] Le Sénat a soutenu que, dans une affaire de discrimination, les réparations applicables sont prévues par la LRTP et la common law, et qu’ils n’incluent pas la réintégration en cas de rupture de contrat. Le Sénat m’a renvoyée à Dunsmuir, au par. 108.

[551] Subsidiairement, le Sénat a soutenu que même si je conclus que j’ai compétence pour accorder des dommages-intérêts en vertu de l’art. 53 de la LCDP, la réintégration ne serait pas appropriée, puisqu’il y a eu rupture complète de la relation de travail. De plus, bien que certaines des parties en cause ne soient peut-être plus au Sénat, le sénateur Housakos est toujours là.

[552] Le Sénat a également soutenu qu’il n’y a aucune preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle le Sénat a agi de façon inconsidérée ou délibérée. Par conséquent, il n’y a aucun motif de dommages-intérêts fondé sur le par. 53(3) de la LCDP, comme il a été établi dans Lafrenière c. VIA Rail Canada Inc., 2019 TCDP 16, aux paragraphes 28 et 162 à 165.

[553] Plus précisément, encore une fois, si je détermine qu’il y a eu discrimination et que j’ai compétence pour accorder des dommages-intérêts en vertu de l’art. 53 de la LCDP, le Sénat a soutenu que même dans ce cas, M. Singh n’aurait pas droit à des dommages-intérêts pour souffrance morale ou pour atteinte à sa réputation. Le Sénat a fait valoir que les dommages-intérêts pour souffrance morale ne peuvent être accordés que si un employeur a agi de mauvaise foi ou de façon injuste, ce qui n’a pas été le cas dans le présent cas. Le Sénat m’a renvoyée à Honda Canada Inc., aux paragraphes 28, 50, 56 et 57; et à Kurtz c. Carquest Canada Ltd., 2015 ONSC 7997, aux paragraphes 109 à 117.

[554] En ce qui a trait au préjudice causé à la réputation de M. Singh, le Sénat a déclaré que les faits dans Tipple CRTFP et Tipple CAF diffèrent des faits de l’espèce. Dans Tipple CRTFP et Tipple CAF, après avoir dit à M. Tipple de ne pas parler aux médias, l’employeur a divulgué des renseignements qu’il savait faux. Dans le présent cas, le Sénat n’a jamais dit à M. Singh de ne pas parler aux médias. En fait, son avocat a déclaré aux médias que M. Singh avait été congédié sans motif valable. De plus, le Sénat ne s’est pas adressé aux médias, n’a pas fait de commentaires publics sur la conduite de M. Singh et n’a pas laissé entendre qu’il avait fait preuve d’un comportement déplacé. Le sénateur Jaffer n’a fait qu’une seule citation au sujet de M. Singh, et elle était positive (pièce G-3, onglet 3).

[555] Par conséquent, le Sénat a conclu qu’il n’y a aucune preuve que la réputation de M. Singh avait été entachée par la conduite délibérée du Sénat. Il n’a donc pas droit à des dommages-intérêts. En ce qui a trait à sa demande d’intérêt sur les dommages‑intérêts, le Sénat a soutenu que la LRTP ne permet pas d’accorder des intérêts et m’a renvoyée à Matthews c. Service canadien du renseignement de sécurité, CRTFP dossier no 166-20-27336 (19990218), [1999] C.R.T.F.P.C. no 31 (QL) aux par. 100 et 101.

C. Contre-preuve

[556] M. Singh conteste la position du Sénat selon laquelle la LCDP s’applique à la présente affaire, mais que ce n’est pas le cas pour les réparations qui y sont prévues. M. Singh a soutenu non seulement qu’il avait le droit de contester le congédiement, mais aussi qu’il pouvait invoquer les réparations prévues à l’art. 53 de la LCDP. M. Singh m’a renvoyée à Dunsmuir, au par. 111.

[557] M. Singh a également fait une distinction entre la présente affaire et Canada (Chambre des communes), où la question était de savoir si l’affaire devait être portée devant la Commission canadienne des droits de la personne. Dans Canada (Chambre des communes), la question des réparations n’a pas été tranchée. Rien dans cette décision n’indique que la LCDP n’accorde pas un pouvoir de réparation. Pour M. Singh, l’art. 62 de la LRTP doit être interprété comme s’il englobait la réparation prévue dans la LCDP (voir Canada (Chambre des communes), aux par. 86 à 88).

[558] M. Singh a fait remarquer que dans le courriel du 24 novembre, il a exposé ce qui s’est passé au cours de l’année. Toutefois, le sénateur Housakos n’a pas examiné les allégations; il a procédé à un examen très sommaire avant de rejeter la discrimination du revers de la main. M. Singh a indiqué que dans les circonstances, je devrai examiner une grande quantité d’éléments de preuve.

[559] Pour M. Singh, le sénateur Housakos a pris sa décision après avoir rencontré M. Pleau et M. Patrice. Il s’est entretenu avec les deux autres sénateurs uniquement pour qu’ils approuvent la décision de mettre fin à l’emploi de M. Singh. M. Singh a fait valoir que ses allégations étaient suffisamment graves; elles justifiaient une enquête. Il a soutenu que si je devais conclure qu’aucun harcèlement n’a été commis en raison de sa race, je pourrais encore conclure qu’il y a eu discrimination en raison de faits simples selon lesquels les allégations n’ont pas fait l’objet d’une enquête et que M. Singh a été congédié par la suite.

[560] En ce qui concerne la question des dommages-intérêts, M. Singh a soutenu qu’ils peuvent être accordés en vertu de la LCDP. S’il est vrai que dans Tipple CRTFP et Tipple CAF, l’employé a été muselé par son employeur, M. Singh a soutenu que dans la présente affaire, même si le Sénat connaissait les fuites des médias et les rumeurs sur M. Singh, il a décidé de ne rien faire à leur sujet. Le Sénat aurait pu faire une simple déclaration selon laquelle M. Singh avait été congédié sans motif valable, mais il a choisi de ne pas le faire.

[561] Bien que M. Singh ait affirmé avoir pu employer un ton sarcastique dans certains courriels envoyés à Mme Proulx, il dit qu’il réagissait peut-être au fait qu’il avait été traité de façon injuste en raison de son appartenance à une minorité visible.

[562] Pour M. Singh, la relation entre lui-même et Mme Proulx n’était pas normale. Bien que deux cadres supérieurs puissent parfois avoir des discussions houleuses, dans ce cas, Mme Proulx est allée plus loin. Elle est constamment passée outre M. Singh, ce qui était inacceptable. M. Singh a également donné l’exemple du Comité exécutif qui ne l’a pas consulté lorsqu’il a pris des décisions au sujet de la nouvelle structure administrative du Sénat. M. Singh a soutenu que même le Président du Sénat consultait M. Singh; pourquoi pas le Comité exécutif, si ce n’est pour l’exclure?

[563] M. Singh est revenu à d’autres exemples de traitement préjudiciable, y compris la conférence de l’Association canadienne de l’Administration parlementaire. En mai 2015, Mme Bouchard savait qu’elle y assisterait, mais M. Singh ne l’a découvert qu’en août. Un autre exemple est la question de la participation des directeurs aux réunions du Comité permanent et du Comité directeur. M. Singh soutient que le Sénat n’a produit en preuve aucun document confirmant le nom des participants à ces réunions après le courriel du 4 février 2015. M. Singh a déclaré qu’il existe une preuve orale permettant d’établir que d’autres personnes étaient présentes plus souvent que M. Singh, en particulier Mme Bouchard.

[564] Quant au fait qu’aucun avis d’intention de nomination n’ait été publié pour la nomination de Mme Proulx à titre de dirigeante principale des services corporatifs, M. Singh a soutenu que, même s’il était directeur des Ressources humaines, il a simplement suivi les instructions de M. Patrice de ne pas en publier un.

[565] M. Singh s’est opposé à la proposition selon laquelle Mme Proulx n’aurait pas pu exercer de discrimination à l’égard de M. Singh parce que c’est elle qui l’avait embauché. M. Singh a déclaré que ce n’est pas parce qu’une personne embauche employé qu’elle n’exercera pas de discrimination à l’égard ce celui-ci.

[566] S’agissant de la crédibilité de Mme Proulx, M. Singh a indiqué qu’elle était évasive et qu’il avait du mal à comprendre ses réponses, qui étaient souvent longues. Il a soutenu que cela montrait son style de communication, il n’était donc pas étonnant que des problèmes de communication se posent entre eux. M. Singh a déclaré que le style de communication de Mme Proulx n’est certainement pas son point fort.

[567] M. Singh a insisté sur le fait que le Sénat avait l’obligation d’enquêter sur ses allégations; il ne l’a pas fait. Il n’aurait pas dû mettre fin à son emploi; il s’est plaint et a ensuite été renvoyé. Il s’est interrogé sur le genre de message qu’il a envoyé aux autres employés. En outre, le Sénat a continué d’agir injustement en insistant pour qu’il renonce à ses droits de la personne avant de lui donner le salaire de trois mois. Il n’a été payé qu’en juillet 2016.

[568] Pour M. Singh, le Sénat devrait être tenu aux normes les plus élevées. Il ne peut mettre fin à l’emploi des employés parce qu’ils soulèvent des questions de droits de la personne. Ce comportement était répréhensible.

V. Motifs

A. Congédiement au moyen d’un avis ou d’un paiement tenant lieu d’avis

[569] Avant d’examiner la preuve portant sur la question de savoir si M. Singh a été victime de discrimination ou si le traitement qu’il a subi était fondé sur sa race et sa couleur, je voudrais d’abord me pencher sur la question de la position du Sénat selon laquelle il pouvait mettre fin à l’emploi de M. Singh au moyen d’un avis ou d’une indemnité tenant lieu d’avis. Dans la lettre de congédiement, le Sénat a indiqué qu’il avait mis fin à l’emploi de M. Singh sans motif valable et qu’il lui avait offert, à titre d’avis, un salaire de trois mois.

[570] Comme je l’ai mentionné plus haut dans la présente décision, au début de l’audience qui s’est déroulée devant moi, M. Singh a indiqué qu’il ne contestait pas le fait que le Sénat a le droit de mettre fin à son emploi sur présentation d’un avis ou d’une indemnité tenant lieu d’avis. M. Singh a indiqué qu’il renonçait à la possibilité de contester ce droit du Sénat. Par conséquent, aucune discussion n’a eu lieu sur cette question.

[571] M. Singh a déclaré qu’il voulait mettre l’accent sur la LCDP, qui, selon lui, interdit non seulement la discrimination, mais prévoit également des réparations comme des dommages-intérêts et la réintégration.

[572] Pour sa part, le Sénat a essentiellement soutenu qu’il avait le droit de renvoyer M. Singh sur présentation d’un avis ou d’une indemnité tenant lieu d’avis. Le Sénat m’a renvoyée à Wells et à Dunsmuir.

[573] La question de savoir si le Sénat avait le droit de mettre fin à l’emploi de M. Singh au moyen d’un avis ou d’une indemnité tenant lieu d’avis pourrait faire l’objet d’une discussion juridique intéressante. Toutefois, comme M. Singh a décidé de ne pas contester la position du Sénat, et comme il n’y a eu aucune discussion à ce sujet, je ne me prononcerai pas sur la question. Par conséquent, dans la présente décision, il faut déterminer si M. Singh a été victime de discrimination, conformément à la LCDP et, dans l’affirmative, quelles sont les réparations qu’il convient d’accorder.

B. La question de savoir si les droits de M. Singh protégés par la LCDP ont été violés et, dans l’affirmative, les réparations qu’il convient d’accorder

[574] M. Singh a soutenu avoir été victime des trois actes de discrimination distincts qui suivent :

1) traitement différentiel et harcèlement de la part de Mme Proulx et du Sénat, contrairement aux art. 7 et 14 de la LCDP;

2) absence d’enquête sur les allégations de discrimination raciale, contrairement aux art. 7 et 10 de la LCDP;

3) congédiement pour avoir soulevé des allégations de discrimination raciale, contrairement aux art. 7 et 14 de la LCDP.

 

1. Traitement différentiel et harcèlement de M. Singh de la part de Mme Proulx et du Sénat, contrairement aux art. 7 et 14 de la LCDP

[575] Comme je l’ai mentionné plus tôt dans la présente décision, une grande partie de la preuve portait sur des événements et des questions concernant M. Singh et Mme Proulx, au cours desquels ils avaient manifestement de profonds malentendus ou désaccords au sujet de leur travail et de leur relation hiérarchique. Je ne peux m’empêcher de constater qu’il est très triste que cette situation ait dégénéré au point où le Sénat a décidé de mettre fin à l’emploi de M. Singh et que personne n’a agi avant que les choses ne soient de toute évidence devenues incontrôlables.

[576] Il est de jurisprudence constante que, pour démontrer l’existence d’une discrimination, la personne qui allègue un traitement préjudiciable doit d’abord démontrer qu’il existe une preuve prima facie de discrimination. Le critère applicable pour établir cet argument est énoncé comme suit dans la décision Moore de la Cour suprême, au par. 33 :

[33] Comme l’a à juste titre reconnu le Tribunal, pour établir à première vue l’existence de discrimination, les plaignants doivent démontrer qu’ils possèdent une caractéristique protégée par le Code contre la discrimination, qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. Une fois la discrimination établie à première vue, l’intimé a alors le fardeau de justifier la conduite ou la pratique suivant le régime d’exemptions prévu par les lois sur les droits de la personne. Si la conduite ou pratique ne peut être justifiée, le tribunal conclura à l’existence de la discrimination.

 

[577] Dans Nelson, au par. 32, le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a écrit ceci :

[32] Je reconnais que le critère juridique pour établir une preuve prima facie de discrimination est énoncé par la Cour suprême du Canada dans [Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536]. Dans l’arrêt O’Malley, au paragraphe [28], la Cour suprême du Canada a conclu qu’une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire « est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé ».

 

[578] Dans le présent cas, il n’y a aucun doute que la race et la couleur de M. Singh sont des caractéristiques protégées par la LCDP et qu’il a subi des conséquences défavorables au moment du congédiement. La seule question en cause dans la présente affaire est celle de savoir si sa race et sa couleur ont été prises en compte dans la décision du Sénat de mettre fin à son emploi.

[579] Après avoir examiné chacune des allégations de M. Singh formulées à l’encontre de Mme Proulx, j’estime qu’il n’est pas parvenu à démontrer l’existence d’une preuve prima facie de discrimination pour ce qui est du congédiement. En revanche, pour chaque allégation, une justification raisonnable a été fournie.

[580] Bien qu’il soit indiscutable que M. Singh et Mme Proulx aient eu de graves conflits et que leur relation de travail ait été acrimonieuse, je ne suis pas convaincue que la race et la couleur de M. Singh aient joué un rôle dans l’une ou l’autre des situations malencontreuses, quand bien même y aurait-il eu un parti pris, conscient ou non. Je dois également souligner qu’à l’exception peut-être de l’allégation selon laquelle le Sénat a décidé d’exercer des représailles contre M. Singh, les allégations visaient Mme Proulx. Dans le courriel du 24 novembre, M. Singh a indiqué qu’il n’avait pas l’impression que les autres membres du Comité exécutif le traitaient différemment de ses collègues (pièce G-1, onglet 1, page 2).

[581] Avant de me pencher sur ces allégations précises, je crois qu’il est important de souligner certaines conclusions générales que j’ai tirées après avoir étudié la preuve et examiné attentivement la correspondance et les arguments des parties.

[582] Je tiens également à souligner que, même si, plus loin dans la présente décision, j’examinerai essentiellement toutes les particularités des allégations contre Mme Proulx, je suis consciente que, même s’il est possible de conclure à l’existence de discrimination en fonction d’un seul incident, il faut garder à l’esprit qu’il est aussi important de considérer tous les événements comme une combinaison ou un modèle : ces évènements, lorsqu’ils sont pris ensemble, peuvent mener à la conclusion qu’ils ont été motivés par des considérations raciales. Comme il a été établi dans Turner, au par. 48 :

[48] Pour établir une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire, un plaignant n’est pas tenu de prouver que l’intimé avait l’intention d’agir de manière discriminatoire, car certains actes discriminatoires mettent en cause de multiples facteurs et sont inconscients. En fait, on dit souvent qu’un acte discriminatoire n’est pas une pratique qui, d’ordinaire, se manifesterait ouvertement ou même s’exercerait intentionnellement. De ce fait, le Tribunal se doit d’examiner l’ensemble des circonstances de l’affaire – ce qui, bien souvent, suppose des éléments de preuve circonstancielle qui tantôt étayent tantôt minent l’allégation de discrimination – pour pouvoir décider s’il existe ce que le Tribunal a déjà qualifié de « subtile odeur de discrimination ». [...]

 

[583] À mon avis, il est très important de comprendre et de garder à l’esprit le contexte dans lequel ce conflit a commencé à se développer lorsque l’on examine l’évolution de la situation et le congédiement de M. Singh. Je crois qu’un examen attentif des premières étapes de la relation de travail de ce dernier avec Mme Proulx expliquera certaines des actions et réactions.

[584] Les deux ont admis que, tout au début de la relation de travail, lorsque M. Singh et Mme Proulx étaient des collègues qui relevaient de M. O’Brien, ils avaient une relation positive. Tout allait bien; il n’y avait pas le moindre signe de harcèlement ou de discrimination.

[585] Bien que la discrimination soit sans limites, elle n’est pas statique dans le sens où parfois, des événements ou des situations mettent en lumière des aspects d’une personne jusque-là inconnus. En d’autres termes, il est certainement possible qu’une personne qui avait une bonne relation de travail avec un collègue puisse devenir abusive ou agir de manière discriminatoire lorsqu’elle commence à superviser les employés. Il est également possible que le nouveau gestionnaire et l’employé aient du mal à s’adapter à la nouvelle relation hiérarchique, même si la race ou l’origine ethnique n’entre pas en ligne de compte dans le nouvel environnement.

[586] De toute évidence, dans le présent cas, les choses ont commencé à se détériorer un mois environ après le départ de M. O’Brien et la mise en place de modifications à la structure administrative du Sénat en janvier 2015. Sur ce point, M. Singh s’est plaint qu’il aurait dû participer aux discussions initiales des trois membres du Comité exécutif sur la façon dont la nouvelle structure fonctionnerait. Mme Proulx a expliqué que puisqu’il s’agissait d’une nouvelle structure, elle-même et ses deux collègues voulaient d’abord avoir une idée de la structure et discuter en termes généraux de la façon dont les choses se dérouleraient et les responsabilités seraient réparties.

[587] À mon avis, il était parfaitement normal de le faire. Les sénateurs venaient de donner au Comité exécutif le mandat de gérer les activités quotidiennes du Sénat. À eux trois, ils avaient une vaste expérience du Sénat. Il était tout à fait logique qu’ils aient d’abord discuté de la façon dont les choses fonctionneraient avant de faire intervenir M. Singh. C’est ainsi que les organisations fonctionnent, et rien ne prouve que la race et la couleur de M. Singh aient eu quoi que ce soit à voir avec cette décision.

[588] La décision du Sénat de ne plus permettre aux administrateurs d'assister à leurs réunions, le 4 février 2015, est la première occurrence où peuvent être observés les effets de ces changements. Les premiers signes de l’insatisfaction et de frustration de la part M. Singh à l’égard de la nouvelle structure administrative et du style de gestion de Mme Proulx sont alors apparus.

[589] Même si, à mon avis, il ne fait aucun doute que le racisme et la discrimination existent dans toutes sortes de milieux de travail au Canada, il est important de ne pas les confondre avec des désaccords, même importants, entre un superviseur et son employé. Je suis convaincue que le vrai problème est le fait que, dès le départ, M. Singh n’a jamais accepté les changements apportés à la relation hiérarchique, encore moins le style de gestion interventionniste de Mme Proulx. Le refus d’accepter cette nouvelle relation a dégénéré au point où la relation de travail a été définitivement rompue.

[590] La conviction de M. Singh d’avoir été victime de discrimination en raison de sa race et de sa couleur ne suffit pas à conclure qu’il existe une preuve prima facie de discrimination. Une telle affaire doit être étayée par des éléments de preuve indiquant que la race et la couleur ont influé sur le comportement discriminatoire, ce qui n’est pas le cas dans le présent cas. Comme il a été établi dans Filgueira CF, au par. 30, citant Filgueira c. Garfield Container Transport Inc., 2005 TCDP 32, au par. 41 :

41. La question qui demeure est la suivante : Le fait qu’un employé croit qu’une personne d’un groupe ethnique différent fait le même travail et reçoit un salaire plus élevé est-il suffisant pour établir une preuve prima facie de discrimination? Je pense qu’il doit y avoir quelque chose de plus. Il doit y avoir quelque chose dans la preuve, indépendamment de ce que le plaignant croit, qui confirme ses soupçons. Je ne dis pas que ce que croit un plaignant n’a aucune force probante. Cela dépend des circonstances. Toutefois, le fait de croire abstraitement qu’une personne fait l’objet de discrimination, sans qu’il existe un certain fait qui le confirme, n’est pas suffisant.

 

[591] Même si, pour certains, le style de gestion de Mme Proulx peut paraître discutable dans certaines situations, il faut garder à l’esprit que, parfois, les décisions d’un gestionnaire peuvent être discutables du point de vue d’un employé. Cette réalité fait partie de la relation de travail entre un superviseur et son employé. La plupart du temps, le superviseur et son employé peuvent trouver un moyen de faire fonctionner la relation de travail.

[592] Bien que les désaccords entre les gestionnaires et les employés ne soient pas rares, certaines organisations et leurs employés sont mieux à même d’y faire face de manière saine; d’autres ne le sont pas. De toute évidence, les parties dans le présent cas n’étaient pas les meilleures à cet égard puisque chacune d’elles est restée sur ses positions. S’il est évident que cette situation n’est pas le fait d’un milieu de travail sain et que des mesures auraient dû être prises pour y remédier, elle n’est pas nécessairement une indication que la race et la couleur de M. Singh ont contribué à la relation de travail acrimonieuse.

[593] Les allégations de M. Singh portent sur des infractions particulières à la LCDP, qui constituent le fond de la présente affaire. Elles ne portaient pas sur les capacités de gestion de Mme Proulx, à moins qu’il n’y ait des éléments de preuve indiquant que la race et la couleur de M. Singh ont influencé le style de gestion et l’approche de celle-ci à l’égard de ce dernier. Dans la présente affaire, il ne faut pas déterminer qui était la personne la plus qualifiée en matière de ressources humaines et la mieux placée pour en discuter avec le Comité permanent et le Comité directeur. Comme l’a dit M. Patrice, le style de gestion de Mme Proulx est une question de point de vue. Par contre, la question de savoir si la race et la couleur de M. Singh ont influé sur la façon dont elle l’a traité n’est pas une question de perspective. Comme je l’ai dit, la preuve ne confirme pas cette allégation.

[594] La preuve a clairement montré que M. Singh et Mme Proulx étaient tous deux des membres de la haute direction et qu’ils étaient des cadres très compétents qui ne semblaient pas se sentir intimidés l’un par l’autre; il est clair qu’ils ont eu une lutte de pouvoir.

[595] La question de la microgestion est omniprésente. La race et la couleur de M. Singh auraient pu être des facteurs, mais ce n’est pas nécessairement le cas. La microgestion a été mentionnée régulièrement dans les courriels de M. Singh ou lors de réunions avec Mme Proulx et parfois avec le Comité exécutif (pièce G-2, onglets 20; 21; 25, pages 1 et 2; 29, page 3; et 30, page 2).

[596] Le courriel envoyé par M. Singh le 17 février 2015 au sujet de l’approbation de congé de Mme Vanikiotis est un autre signe qu’il n’acceptait pas l’autorité de Mme Proulx. Bien qu’il ait pu mal comprendre la communication de Mme Proulx, le ton du courriel qui suit (pièce G-2, onglet 15) est très conflictuel :

[Traduction]

Nicole,

Je pense que vous avez raison, nous devons nous parler. Je regrette, mais je suis en désaccord à 100 % avec votre note ci-après.

Ce qui y est écrit est tout le contraire de ce dont nous avons discuté hier.

Si l’un de mes employés vient vous parler, je vous prie de bien vouloir le diriger vers moi, à moins qu’il s’agisse d’une question pour laquelle vous devez intervenir. Je crois que c’est ce que vous avez convenu avec vos collègues. Je sais pertinemment que vous êtes responsable des RH, mais il arrive trop souvent que mes employés s’adressent à la haute direction quand ils ne sont pas satisfaits d’une décision.

Je ne suis pas satisfait de chaque décision non plus, mais je m’y fais et ils doivent faire de même.

Je vous remercie de votre collaboration.

Darshan

 

[597] M. Singh n’était pas satisfait de Mme Proulx et l’a informée de façon très directe. À ce stade-ci, je dois également mentionner que, bien qu’il ait accusé celle-ci à plusieurs reprises de communiquer directement avec ses employés, à l’exception de la preuve selon laquelle elle a parlé à Mme Blais du remplacement de M. Nunan, dont il sera question plus loin dans la présente décision, cette allégation n’a tout simplement pas été étayée.

[598] À titre d’exemple du comportement discriminatoire présumé de Mme Proulx, M. Singh a mentionné plusieurs incidents, situations et décisions qui ont eu lieu au cours de l’année où il a travaillé sous la supervision de celle-ci. Ces allégations figuraient pour la plupart dans le courriel du 24 novembre et sont détaillées dans les rubriques qui suivent.

a. Intervention de Mme Proulx dans les dossiers en ressources humaines

[599] Il n’est pas contesté que la délégation de pouvoirs ne signifie pas que la personne qui les délègue perd son autorité. Dans le présent cas, Mme Proulx est demeurée l’autorité ultime devant le Sénat pour des questions comme les ressources humaines. M. Singh l’a admis à l’audience. Je ne pense pas qu’elle aurait pu ou dû s’abstenir d’intervenir dans les dossiers en ressources humaines, car elle était ultimement responsable devant les comités en sa qualité de dirigeante principale des services corporatifs.

[600] En outre, comme le montre le tableau de délégation de pouvoirs, Mme Proulx devait s’occuper des questions qui portaient sur la nomination de gestionnaires ou sur des mesures de dotation dont la durée était supérieure à six mois comme le remplacement de M. Nunan, qui aurait pu durer neuf mois. De plus, lorsqu’une mesure de dotation touchait la classification et le budget, il fallait consulter la dirigeante principale des services corporatifs (pièce G-1, onglet 17, pages 2 et 3).

[601] Il n’y a aucune preuve que Mme Proulx a participé indûment aux dossiers en ressources humaines ou que la race et la couleur de M. Singh ont influencé la participation de celle-ci. En plus du fait que, selon la délégation de pouvoirs, elle devait intervenir, M. Singh lui a souvent demandé son avis sur des questions comme les changements proposés à la Direction des ressources humaines, par exemple dans ce courriel du 19 juin 2015 (pièce G-2, onglet 25, page 2) :

[Traduction]

Bonjour Nicole,

Voici les modifications proposées et la version provisoire de l’organigramme aux fins de commentaires.

De plus, selon la matrice de délégation de pouvoirs, je suis habilité à apporter ces changements, car il n’y a pas de nomination dans un poste de durée indéterminée et d’affectations de plus de six mois, aucune reclassification, etc. Bien que je vous informe de la situation en signe de respect, je m’attends à pouvoir mettre en pratique les paroles du Président, soit de laisser les gestionnaires s’acquitter de leurs tâches de gestion.

Merci

Darshan

 

[602] Mme Proulx a transmis ce courriel à ses collègues, M. Patrice et M. Robert. Elle a ajouté « Grrr » (pièce G-7).

[603] L’explication de Mme Proulx à l’audience selon laquelle la mention « Grrr » était simplement un soupir parce qu’il y avait des divergences au sujet de la durée de l’affectation de M. Nunan ne me convainc pas. Je pense plutôt qu’elle était exaspérée par l’insistance de M. Singh et par le ton de ses courriels, et qu’elle voulait le faire savoir à ses collègues, M. Patrice et M. Robert. Bien sûr, cette approche n’a pas contribué à créer une relation de travail saine. Bien qu’il s’agisse de toute évidence d’une expression de frustration de sa part, je ne peux tout simplement pas conclure que, dans de telles circonstances, la race et la couleur de M. Singh ont contribué à la frustration qu’elle ressentait. De nombreux gestionnaires se seraient sentis menacés par un tel courriel et auraient réagi de la même façon sans que la race entre en ligne de compte.

[604] De plus, Mme Proulx a expliqué qu’une partie du problème était que M. Singh l’a souvent informée de ce qu’il avait l’intention de faire, mais en même temps, il ne voulait pas qu’elle fasse de commentaires ou qu’elle soit en désaccord avec lui. Elle a indiqué que cette attitude la mettait dans une position difficile. Je suis d’accord. Je ne crois pas qu'il ait agi correctement en informant Mme Proulx de ses propositions, tout en lui demandant de ne pas intervenir, d’autant plus qu’elle était au bout du compte responsable devant le Sénat et qu’elle était informée des plans et des situations en cours. À mon avis, il ne pouvait pas lui demander de ne pas commenter ou de ne pas réagir lorsqu’il l’informait de questions importantes comme les changements organisationnels. Ce contexte confirme la conclusion que j’ai tirée au paragraphe précédent, à savoir que la race et la couleur de M. Singh n’ont pas influencé les actions de Mme Proulx, qu’elles aient été conscientes ou non.

[605] Je dois également souligner que M. Singh a de nouveau adopté cette approche dans le courriel du 24 novembre, où, après avoir soulevé ses allégations importantes, il lui a dit qu’il n’avait [traduction] « pas besoin de discuter » et qu’il n’avait [traduction] « pas besoin de réponse » (pièce G-1, onglet 1, page 3).

[606] Je dois également ajouter qu’il est bien connu que, dans toute organisation, il est très normal et même approprié qu’un directeur discute avec ses supérieurs des changements à apporter à l’organisation. Comme les témoignages l’ont démontré, les changements proposés à la Direction des ressources humaines faisaient partie d’une discussion continue entre M. Singh et Mme Proulx. Elle a débuté en juin 2015 et s’est poursuivie jusqu’en novembre (pièce G-2, onglets 24, 25, 26, 28 à 31 et 33).

[607] Compte tenu des changements proposés par M. Singh à la Direction des ressources humaines, il était normal qu’il les soumette à Mme Proulx. À mon avis, la question n’est pas tant qu’il devait la consulter; en fait, il a demandé ses commentaires. Le problème est qu’elle n’approuvait pas les changements qu’il proposait (pièce G‑2, onglet 24, page 3). Comme je viens de le dire, en toute honnêteté, on ne peut informer une personne d’une initiative qui relève de son autorité et lui dire ensuite qu’elle n’a pas le droit de discuter de l’initiative davantage ou d’être en désaccord avec celle-ci. Il doit y avoir une réciprocité. Encore une fois, je ne vois rien d’incorrect ou d’anormal dans les décisions de Mme Proulx, lesquelles étaient raisonnables. Je ne peux tout simplement pas déduire que la race et la couleur de M. Singh ont influé sur les actions de celle-ci. En outre, rien n’indique qu’elle agissait différemment lorsque d’autres directions de son secteur étaient concernées. Il s’agit d’une autre allégation non fondée.

[608] Mme Proulx a expliqué qu’elle croyait que des changements importants avaient été proposés en réponse au détachement de M. Nunan. De plus, elle a précisé que l’examen fonctionnel de la Direction des ressources humaines devait avoir lieu. Ces explications confirment ma conclusion du paragraphe précédent, à savoir que la race et la couleur de M. Singh n’ont pas influencé les décisions de Mme Proulx.

[609] Le 17 juin 2015, M. Singh a transmis à Mme Proulx les modifications qu’il proposait à la Direction des ressources humaines. Le 21 juin, elle lui a répondu, affirmant essentiellement qu’elle n’était pas à l’aise avec les changements et qu’elle voulait discuter des prochaines étapes. Elle a également déclaré que [traduction] « [...] les RH doivent faire preuve d’une rigueur exemplaire dans leurs activités de RH [...] » (pièce G-2, onglet 24, page 1, et onglet 25, page 1). Le même jour, M. Singh a répondu : [traduction] « Je suis désolé Nicole, mais c’est la définition même de microgestion. Je ne peux pas continuer et je vais porter cette question à un autre niveau » (pièce G-2, onglet 25, page 1).

[610] Après avoir appris qu’il serait invité à la réunion du Comité exécutif, M. Singh a répondu ce qui suit le 23 juin 2015 (pièce G-2, onglet 25, page 1) :

[Traduction]

Vous êtes, bien sûr, libre de faire ce que vous voulez et puisque les RH sont si peu souvent invitées à parler au Comité exécutif, ce sera une première.

Par souci de clarté, cependant, et à titre d’information, vous avez tort quant au niveau suivant. Selon notre politique :

« Si une plainte est déposée contre le greffier/la greffière du Sénat, le directeur/la directrice des ressources humaines devra en informer le président/la présidente, le vice-président/la vice-présidente du [Comité permanent] et devra par la suite suivre les instructions du président/de la présidente en ce qui a trait à l’exclusion du greffier/de la greffière ».

[...]

Quand vous transférerez ce message, vous pouvez lui dire qu’il peut venir me rendre visite à tout moment pour en discuter. Je suis juste au bout du couloir.

Darshan

 

[611] En ce qui concerne cette dernière phrase, la preuve a montré que M. Singh faisait allusion à M. Patrice.

[612] La preuve a aussi démontré qu’effectivement, le Comité exécutif a rencontré M. Singh peu de temps après; ce dernier avait pris des notes en vue de se préparer à cette réunion. Dans son témoignage, il n’a pas pu expliquer ce qu’il entendait dans ses notes par : [traduction] « Quand vous êtes toujours en train de vous défendre, la stratégie à utiliser est l’attaque! J’ai hâte d’assister à la séance de réflexion de la direction » (pièce G-2, onglet 26).

[613] Dans son argumentation, M. Singh a admis que le ton de certains de ses courriels pouvait être perçu comme sarcastique, mais qu’il était traité injustement et qu’il était issu d’une minorité visible, de sorte qu’il n’avait d’autre choix que de réagir.

[614] Je ne suis pas d’accord. Les courriels de M. Singh des 21 et 23 juin 2015 sont des exemples de ses réponses sarcastiques aux demandes de Mme Proulx. Même si je comprends qu’il n’ait pas été satisfait des réponses qu’il avait reçues, ce n’était pas une excuse pour employer ce ton. Il manquait de respect envers sa superviseure. Jamais, au cours de ces épisodes, il n’a pas soulevé la question qu’il se sentait écarté ou discriminé à cause de sa race et de sa couleur. Il a plutôt adopté une approche plus conflictuelle avec elle.

[615] Bien que je n’approuve pas l’approche de M. Singh, puisqu’il était directeur des Ressources humaines, je ne cautionne certainement pas les réactions de Mme Proulx. Comme il l’a fait, elle a affirmé être bien informée et qualifiée en matière de ressources humaines; par conséquent, elle connaissait très certainement les outils et les ressources à sa disposition permettant de traverser une situation de conflit comme la leur. Bien que je pense qu’il incombait également à Mme Proulx de demander de l’aide professionnelle, je ne trouve toujours aucun indice que la race et la couleur de M. Singh aient influencé ses actions.

[616] M. Singh a déclaré qu’il estimait que le commentaire de Mme Proulx selon lequel la Direction des ressources humaines devait faire preuve d’une rigueur exemplaire était dirigé contre lui personnellement et que son éthique était toujours remise en question, puisque cela s’est produit peu après qu’il eut reçu la lettre de réprimande. Je ne peux pas conclure que sa race et sa couleur ont influé sur le commentaire de Mme Proulx. De plus, je comprends, d’après le témoignage de Mme Proulx, que le commentaire signifiait que la Direction des ressources humaines devait être très prudente dans son traitement interne des questions en matière de ressources humaines et que ce commentaire ne le visait pas personnellement.

[617] Bien que M. Singh se soit senti frustré, la preuve indique-t-elle que la race et la couleur de M. Singh ont influencé les interactions générales entre Mme Proulx et lui? Encore une fois, je ne peux tirer cette conclusion, bien que les éléments de preuve aient clairement montré qu’ils n’étaient pas d’accord sur un certain nombre de questions et que le ton de leurs échanges est devenu de plus en plus négatif en juin 2015.

[618] Comme je l’ai dit, Mme Proulx avait le droit de répondre aux demandes de M. Singh; elle avait le droit de ne pas être d’accord avec lui, à moins que ses motivations ne soient déplacées. Il ne suffit pas d’affirmer que la race et la couleur de M. Singh ont influencé le comportement et les actions de Mme Proulx. Il faut étayer une telle affirmation par une preuve. Ce n’était pas le cas à l’audience.

[619] En examinant l’allégation précise selon laquelle Mme Proulx a préféré Mme Blais à Mme Eynoux, laquelle est issue d’une minorité visible, comme remplaçante de M. Nunan, on ne m’a présenté aucune preuve que la race et la couleur, que ce soit celles de M. Singh ou de Mme Eynoux, ont influencé la décision de Mme Proulx. M. Singh n’a pas présenté une preuve facie de discrimination à cet égard. Toutefois, je suis convaincue que, par le passé, Mme Blais a toujours remplacé M. Nunan et, même si Mme Blais était classée à un niveau moins élevé que celui de Mme Eynoux, elle possédait de l’expérience dans la négociation collective, un exercice qui devait avoir lieu sous peu au Sénat. De plus, la preuve démontre que Mme Blais s’était récemment qualifiée pour un poste au même niveau que celui occupé par M. Nunan.

[620] Par ailleurs, Mme Eynoux avait moins d’expérience au Sénat et venait d’être nommée à un poste d’appui pour les sénateurs, ce que Mme Proulx ne voulait pas changer, d’autant plus que M. Nunan ne serait absent que temporairement. Ces précisions confirment la conclusion que j’ai tirée aux paragraphes précédents selon laquelle la race et la couleur de M. Singh n’ont pas influencé la décision de Mme Proulx, qu’elle soit consciente ou non.

[621] Avant de clore ce segment, je ferai également remarquer que Mme Eynoux n’a pas été citée comme témoin par M. Singh. De plus, à l’exception de son allégation selon laquelle Mme Proulx voulait affecter Mme Blais dans un poste parce qu’elles étaient amies, il n’y a tout simplement aucune preuve de ce fait. Mme Proulx a indiqué qu’elle connaissait Mme Blais en raison d’affectations antérieures, mais qu’elles n’étaient pas amies. L’affirmation de Mme Proulx n’a pas été contredite.

[622] M. Singh a également allégué que Mme Proulx avait communiqué directement avec ses employés, à son insu. Il n’a présenté aucune preuve prima facie permettant de conclure que sa race et sa couleur ont influencé le comportement de Mme Proulx. D’autre part, il ressort de la preuve que toutes les notes d’information qui ont été adressées aux sénateurs provenaient des bureaux des directeurs concernés. Dans le cas de la Direction des ressources humaines, cela signifie le bureau de M. Singh. Il faut donc conclure qu’aucune note d’information n’a été envoyée sans que M. Singh les ait vues en premier, sauf s’il était absent. En outre, à l’exception de certains travaux que Mme Vanikiotis a effectués ouvertement sur certains dossiers spéciaux, comme le recrutement d’un directeur des ressources humaines, il n’y a pas l’ombre d’une preuve que Mme Proulx ait interagi directement avec les employés de M. Singh sans le consulter. Encore une fois, M. Singh n’a fait témoigner aucun membre de l’équipe de la Direction des ressources humaines pour étayer son allégation.

[623] Un exemple que M. Singh a fourni pour illustrer le style de microgestion de Mme Proulx est qu’elle a participé au plan d’affectation de Mme Vanikiotis dans le cadre du programme Échanges Canada (pièce G-2, onglet 20). Là encore, M. Singh ne m’a présenté aucune preuve suffisante permettant de conclure, prima facie, que sa race et sa couleur étaient des facteurs à cet égard. Je note que tout au long de l’audience le nom de Mme Vanikiotis, en tant que gestionnaire, a été cité comme celui d’une personne‑ressource importante de la Direction des ressources humaines. Pour moi, le fait que non seulement Mme Proulx, mais aussi M. Patrice et M. Robert voulaient qu’elle reste dans l’organisation et lui ont donc parlé pour la convaincre de rester n’était pas une situation hors de l’ordinaire au sein d’une organisation. Souvent, les cadres supérieurs vont intervenir pour convaincre un employé apprécié de rester dans l’organisation. Dans le présent cas, la correspondance démontre que M. Singh a porté le sujet à l’attention de Mme Proulx, qui l’a mentionnée à ses deux collègues, qui à leur tour ont indiqué qu’ils voulaient participer à la discussion et à la décision (pièce G-2, onglet 20).

[624] Un gestionnaire peut-il en être offusqué? Peut-être, selon la relation hiérarchique du gestionnaire avec le superviseur. Toutefois, la question dans le présent cas n’est pas celle de savoir si un gestionnaire est satisfait de l’intervention de ses superviseurs dans une situation de gestion. Je crois que dans une organisation qui est relativement petite en nombre d’employés, comme le Sénat, surtout quand les intervenants sont présents depuis de nombreuses années, de telles discussions et rencontres se produisent.

[625] Toutefois, cela signifie-t-il que la race et la couleur de M. Singh ont influencé le traitement de la question par Mme Proulx et le souhait de M. Patrice et de M. Robert de s’adresser à Mme Vanikiotis? J’ai conclu, au paragraphe 623 de la présente décision, que M. Singh n’avait pas présenté de preuve prima facie à cet égard. De plus, dans le présent cas, M. Patrice a déclaré qu’il y avait des tensions entre Mme Vanikiotis et M. Singh, ce qui explique pourquoi lui-même et M. Robert ont voulu parler à Mme Vanikiotis.

[626] M. Singh a allégué qu’il n’était plus autorisé à assister aux réunions du Comité permanent et du Comité directeur, mais que d’autres directeurs étaient autorisés à y assister. Je dois souligner que, en ce qui concerne cette allégation, M. Singh a toujours soutenu que la décision communiquée par courriel le 4 février 2015 à tous les directeurs a été prise par Mme Proulx et qu’il s’agissait d’une autre preuve de la discrimination exercée à son égard puisqu’il ne pouvait plus assister aux réunions, tandis que d’autres directeurs continuaient à y assister. Toutefois, il n’a présenté aucune preuve à l’appui de son allégation selon laquelle sa race et sa couleur ont influencé la décision de Mme Proulx et, par conséquent, cette allégation n’a pas été établie prima facie.

[627] Au contraire, les témoins du Sénat ont tous affirmé que les comités avaient pris cette décision. Au fond, ils s’inquiétaient des fuites et du temps perdu par les directeurs. Les témoins étaient également unanimes pour dire que tous les directeurs ont été informés de ces motifs; ils les connaissaient tous.

[628] Comme je l’ai dit, à mon avis, la décision du Sénat d’exclure les directeurs marque le moment où la relation de travail entre M. Singh et Mme Proulx a commencé à se détériorer. En février 2015, la nouvelle structure administrative venait d’être mise en place. Jusqu’à ce jour, M. Singh avait assisté d’office à toutes les réunions du Comité permanent et du Comité directeur avec ses collègues, M. Robert, M. Patrice et Mme Proulx.

[629] M. Singh n’a jamais accepté cette décision et s’est senti écarté à la suite de celle-ci. Il a accusé Mme Proulx de l’avoir prise, malgré que, dans les faits, ce n’était manifestement pas le cas et que les raisons qui ont motivé cette décision lui avaient été expliquées. Encore une fois, M. Patrice, M. Pleau et le sénateur Housakos ont tous déclaré que tout le monde savait que les sénateurs avaient pris la décision et connaissaient les motifs derrière celle-ci. Pour M. Singh, c’était une nouvelle réalité; il n’avait plus l’autonomie et l’accès dont il avait bénéficié sous M. O’Brien. Il a devait maintenant passer par Mme Proulx, ce qu’il n’a jamais accepté.

[630] M. Singh s’est senti exclu, ce qu’il a reproché à tort à Mme Proulx. La preuve indique qu’il a continué de soulever cette question auprès d’elle. Il l’a soulevé à nouveau lors d’une réunion du Comité exécutif, au cours de laquelle il a déclaré que, puisqu’il n’était plus présent, la Direction des ressources humaines n’était plus représentée et que [traduction] « Nicole n’est pas une experte en RH – elle n’est pas qualifiée pour prendre des décisions en RH » (pièce G-2, onglet 29).

[631] M. Singh a essentiellement répété la même allégation dans le courriel du 24 novembre, dont un extrait suit, dans lequel il a écrit à Mme Proulx qu’en fait, elle n’était pas autorisée à discuter de questions de ressources humaines avec le Comité permanent et le Comité directeur et qu’elle devrait préciser qu’elle ne s’exprimait pas au nom de la Direction des ressources humaines (pièce G-1, onglet 1, page 2) :

[Traduction]

[...]

Je tiens également à souligner que, sur de nombreuses questions relatives aux RH, je ne suis pas consulté par le Comité exécutif avant qu’une décision soit prise. Lorsque vous-même et le Comité discutez avec la direction et lui dites que vous êtes sur le point de faire un changement, il est sous-entendu que j’ai été consulté. Je vous demanderais de bien vouloir dire aux personnes présentes qu’il s’agit d’une décision du Comité exécutif et que ni moi ni mon équipe n’y avons participé. Cela s’est produit à de nombreuses occasions, par exemple lorsque la nouvelle structure de direction a été présentée ou que l’affiche des AII a été publiée.

[...]

 

[632] À l’audience, M. Singh a insisté sur le fait que le procès-verbal de la décision des sénateurs d’exclure les directeurs des réunions aurait dû lui être remis.

[633] En ce qui concerne les commentaires de M. Singh sur les compétences de Mme Proulx en matière de ressources humaines, je dirai seulement que, bien entendu, ils étaient complètement irrespectueux et déplacés, mais, plus important encore, ils ont montré que M. Singh refusait tout simplement de respecter son autorité et qu’il lui a même reproché une décision qu’il aurait dû savoir qu’elle n’avait pas prise. Le sentiment de M. Singh à l’égard de Mme Proulx, à savoir qu’elle n’était pas compétente en matière de ressources humaines et qu’elle n’avait pas à intervenir dans les questions de ressources humaines, malgré le fait qu’elle en soit ultimement responsable, n’a jamais disparu; il est demeuré présent jusqu’à la fin. M. Singh a simplement refusé toute participation et toute autorité de sa part.

[634] Quant à l’argument de M. Singh selon lequel Mme Proulx aurait dû lui permettre de consulter le procès-verbal du Sénat confirmant la décision prise, je considère qu’il s’agit d’un argument subsidiaire à la lumière de la preuve établissant clairement qu’elle n’a pas pris cette décision. Il ressort à l’évidence de la preuve que tout le monde connaissait les raisons de la décision. À mon avis, il s’agit là d’une preuve supplémentaire que M. Singh n’était pas prêt à accepter quoi que ce soit de la part de Mme Proulx. Il a continué d’insister sur ce point et a soulevé la question avec elle, bien qu’on lui ait expliqué les motifs de la décision.

[635] Pour ce qui est de l’affirmation de M. Singh selon laquelle d’autres directeurs ont continué d’assister à ces réunions après le courriel du 4 février 2015, encore une fois, elle n’a pas été corroborée (pièce G-2, onglet 14). M. Singh n’a appelé aucun témoin pour étayer une conclusion prima facie de traitement différentiel de la part de Mme Proulx, que sa race et sa couleur aient ou non entrés en ligne de compte. D’autre part, Mme Proulx a expliqué que la participation des réunions du Sénat s’inscrivait dans un cadre très officiel et que les sénateurs l’avaient réglementée. Elle a indiqué que d’autres directeurs, comme M. Duguay, directeur général des Services de la Cité parlementaire, pouvaient avoir été invités parce que la sécurité était une question très importante au Sénat à la suite de la fusillade d’octobre 2014 sur la Colline du Parlement. Elle a également indiqué que Mme Bouchard, qui était responsable de la Direction des services d’information, pouvait également avoir comparu en raison de l’aspect technique de son travail, mais seulement quand sa présence était réclamée.

[636] Dans leurs témoignages, M. Pleau et M. Patrice ont également déclaré qu’en réalité, en gardant à l’esprit que le Sénat a tenu très peu de réunions entre juin 2015 et 2016 compte tenu de la saison estivale et de l’élection, M. Singh était tout de même le directeur qui a assisté au plus grand nombre de réunions. Pour sa part, le sénateur Housakos a dit que pendant son mandat de leader du gouvernement au Sénat, les ressources humaines n’étaient pas un [traduction] « sujet brûlant » au Sénat. Tous ces éléments confirment la conclusion que j’ai tirée au paragraphe 626 de la présente décision, à savoir que la décision de limiter la participation de M. Singh aux réunions des comités n’a pas été prise par Mme Proulx. De plus, M. Singh n’a présenté aucune preuve que sa race et sa couleur ont influencé cette décision.

b. Avis d’intention de nommer

[637] Dans son témoignage et dans le courriel du 24 novembre, M. Singh a fait valoir que sa nomination a été assujettie à un avis d’intention de nomination au groupe et niveau SEG-02, tandis qu’il n’y a eu aucun avis pour la nomination de Mme Proulx à titre de dirigeante principale des services corporatifs au groupe et niveau EX-05. Il a déclaré qu’il s’agissait d’un autre exemple de traitement différentiel à l’appui de son allégation de discrimination.

[638] Il est vrai que dans le présent cas, l’avis d’intention a été publié après la démission de M. Singh de la fonction publique. Par conséquent, l’avis a posé problème lorsqu’un grief a été déposé pour contester la nomination de M. Singh. Il est également vrai que dans le cas de Mme Proulx, aucun avis n’a été publié.

[639] À l’audience, les parties ont discuté de la question de savoir s’il était nécessaire de publier un tel avis dans le cas de M. Singh. Mme Proulx a soutenu qu’un avis avait été publié à juste titre dans le cas de la nomination de M. Singh, mais elle a ajouté qu’un avis aurait aussi dû être publié concernant la sienne.

[640] Je n’aborderai pas la question de savoir si l’avis aurait dû être publié dans le cas de M. Singh, car il n’y a tout simplement rien qui indique que la race et la couleur de M. Singh ont influencé la décision de publier un avis. Toutefois, je dois admettre qu’il est regrettable que l’avis, si nécessaire, ait été publié après la démission de M. Singh de la fonction publique. Je peux certainement comprendre que la publication de l’avis ait causé des problèmes à M. Singh lorsque celui-ci a découvert qu’un grief a été déposé pour contester sa nomination, après sa démission.

[641] De même, je n’ai pas besoin d’examiner la question de savoir si un avis aurait dû être publié dans le cas de Mme Proulx, puisque M. Singh n’a fourni aucune preuve que sa race et sa couleur ont influencé cette décision. Toutefois, M. Singh a déclaré qu’il n’a pas publié d’avis concernant la nomination de Mme Proulx parce que M. Patrice ne voulait pas donner à un employé la possibilité de contester la nomination de celle-ci. Dans son témoignage, M. Patrice a catégoriquement nié ce fait. Il a insisté pour dire qu’il n’a jamais demandé à M. Singh de ne pas publier d’avis de nomination pour Mme Proulx. Je dois dire que, selon la prépondérance des probabilités, j’accepte la version de M. Patrice. Tout au long de son témoignage, M. Patrice a paru très solide et crédible dans ses réponses.

[642] De plus, M. Singh était directeur des Ressources humaines lorsque le moment est venu de publier l’avis de nomination de Mme Proulx. Il n’en a pas publié un.

c. Programme de perfectionnement pour le poste de dirigeant principal des finances

[643] M. Singh a soutenu que la création du programme de perfectionnement pour le poste de dirigeant principal des finances était un autre exemple de la microgestion et de la discrimination exercées par Mme Proulx et des efforts déployés par cette dernière pour le dénigrer. Je tiens à souligner qu’il s’est d’abord adressé à elle pour obtenir des commentaires sur le programme et les détails de son processus, comme il est indiqué dans son courriel du 8 avril 2015 (pièce G-2, onglet 19, pages 2 et 3).

[644] Quant au fait que Mme Proulx a proposé à M. Singh que deux de ses employés s'occupent de la partie plus technique du travail, bien que je convienne que Mme Proulx n’avait peut-être pas à s'en mêler, j’accepte que, d’abord, il lui a demandé ses commentaires et que, puisqu’elle avait été la dernière dirigeante principale des finances, elle ait conservé un intérêt pour son ancien poste. Encore une fois, même s’il n’était pas nécessaire que Mme Proulx propose que deux de ses employés prennent la relève, je ne considère pas que cette approche soit la preuve qu’elle voulait écarter M. Singh et que la race et la couleur de M. Singh ont influencé la pensée de Mme Proulx.

[645] Quant au fait qu’il n’y avait aucun membre issu des minorités visibles au sein du jury de sélection, composé de deux femmes et d’un homme, dont une personne handicapée, il ne fait aucun doute, à mon avis, que des efforts auraient dû être faits pour inclure une personne issue des minorités visibles. Après tout, deux candidats étaient issus des minorités visibles. Cela dit, encore une fois, je ne peux conclure que la race et la couleur de M. Singh ont influencé la décision de Mme Proulx. Même si elle avait pu essayer d’inclure un membre d’une minorité visible au sein du jury, je fais remarquer que dans son contre-interrogatoire, M. Singh, directeur des Ressources humaines et intervenant dans le dossier, a convenu qu’à l’époque, il n’a jamais soulevé la question selon laquelle le jury de sélection n’incluait pas un membre issu des minorités visibles. Il semblait satisfait de la composition du jury de sélection (pièce G‑2, onglet 19, courriels du 20 avril 2015). Interrogé sur sa participation au processus, il a répondu qu’il n’avait fait que signer le dossier de dotation et confirmer qu’il était complet. En tant que directeur des Ressources humaines, il n’a jamais soulevé la question avec Mme Proulx.

[646] M. Singh a également soutenu que Mme Proulx était responsable de l’échec du processus de perfectionnement pour le poste de dirigeant principal des finances, et en particulier du fait que deux candidats appartenant à une minorité visible et qui ont présenté leur candidature au processus, entre autres, n’ont pas été sélectionnés. M. Singh a fait valoir qu’il s’agissait d’un autre exemple où la race et la couleur ont influé sur les actions de Mme Proulx. Toutefois, il n’a fourni aucune preuve que cette dernière est intervenue dans le processus décisionnel du jury de sélection ou qu’elle a outrepassé sa décision. Son allégation n’a pas été établie prima facie.

[647] En fait, la preuve non contestée révèle que, à l’époque, Mme Proulx participait au procès Duffy et qu’elle n’est pas du tout intervenue dans la décision unanime du jury de sélection de ne sélectionner aucun candidat.

d. L’étude du Sénat sur la rémunération

[648] Selon M. Singh, l’étude sur la rémunération était un autre exemple de l’intervention de Mme Proulx dans des dossiers dont il était responsable. M. Singh a soutenu qu’elle avait examiné toutes les lettres, ce qui a causé des retards et exacerbé les sentiments de son personnel. Cet élément, en soi, ne suffit pas pour constituer une preuve prima facie que la race et la couleur de M. Singh ont influencé le comportement de Mme Proulx.

[649] D’autre part, Mme Proulx a soutenu qu’elle n’a examiné que les catégories des lettres. Elle a admis avoir participé à cette initiative, ce qui s’expliquait, selon elle, du fait de la nature délicate du dossier et au risque que, si quelque chose allait mal, les sénateurs réagiraient fortement.

[650] Mme Proulx a déclaré que l’étude était extrêmement importante pour les sénateurs puisqu’elle concernait leur personnel. Elle a expliqué que lorsque des problèmes affectent la rémunération du personnel des sénateurs, ils réagissent rapidement et demandent une explication. Elle a déclaré qu’elle aurait travaillé jour et nuit si cela avait fait une différence pour éviter toute crise au sujet de la question de la rémunération.

[651] Encore une fois, il s’agit d’une situation dans laquelle, étant donné la nature du dossier, le gestionnaire qui est le principal responsable du dossier a décidé d’intervenir. Mme Proulx a déclaré que, dans le passé, un examen semblable, même si elle n’en était pas responsable, a fini par être un désastre. En 2015, en tant que dirigeante principale des services corporatifs, elle ne voulait pas que les choses tournent mal sous son mandat.

[652] Ces éléments confirment la conclusion que j’ai tirée au paragraphe 648 de la présente décision, à savoir que M. Singh n’a pas présenté de preuve prima facie à l’appui de son allégation. Encore une fois, je ne vois rien qui sort de l’ordinaire. Bien que d’autres dirigeants principaux des services corporatifs seraient intervenus à différents degrés dans le dossier, et même si je comprends qu’un directeur puisse ne pas apprécier la participation de son superviseur, je pense tout de même que Mme Proulx avait un motif légitime d’intervenir. Les enjeux étaient élevés pour les sénateurs, et elle voulait réussir. Après tout, elle était ultimement responsable.

[653] Encore une fois, pour moi, il s’agit d’un exemple classique de profond désaccord entre un directeur et son supérieur. Je constate que M. Singh était frustré par la situation.

[654] Cet épisode et d’autres entre M. Singh et Mme Proulx illustrent tous un profond manque de compréhension et de communication. Tous deux sont restés sur leurs positions et ont refusé de faire des compromis, ce qui était certainement regrettable.

e. Modifications proposées à la Direction des ressources humaines

[655] La nécessité de procéder à un examen fonctionnel de la Direction des ressources humaines est un autre exemple utilisé par M. Singh pour démontrer que Mme Proulx a tenté de contrôler sa direction et de l’écarter. Il a expliqué que, à son avis, il n’était pas nécessaire de procéder à un examen de la Direction des ressources humaines, mais que c’était plutôt l’ancienne direction de Mme Proulx, chargée des finances et de l’approvisionnement, qui aurait dû faire l’objet d’un examen. Il a soutenu qu’en se concentrant sur la Direction des ressources humaines, Mme Proulx voulait éviter toute remise en question de son ancienne direction. Encore une fois, M. Singh n’a présenté aucune preuve prima facie permettant d’établir que sa race et sa couleur ont influencé les actions de Mme Proulx.

[656] Au contraire, il est très clair que le Sous-comité du budget des dépenses du Sénat du Comité permanent a demandé la tenue d’un examen fonctionnel de la Direction des ressources humaines. Il a remis en question la gestion de la Direction des ressources humaines avant même que M. Singh ne soit nommé directeur. Tous les témoins du Sénat ont déclaré que cette décision avait été prise par le Sénat et que Mme Proulx n’avait fait que suivre les instructions. Ces éléments confirment la décision que j’ai tirée au paragraphe précédent, à savoir que la race et la couleur de M. Singh n’ont pas influencé les actions de Mme Proulx. Elle s’est contentée de mettre en œuvre des instructions concernant l’examen fonctionnel de la Direction des ressources humaines.

f. Lettre de réprimande de M. Singh

[657] M. Singh soutient qu’en premier lieu, en mai 2015, Mme Proulx l’a harcelé et l’a traité injustement lorsqu’elle l’a interrogé au sujet de sa lettre d’offre (pièce E-1, onglet 11). Les circonstances entourant la rédaction de la lettre ont été expliquées dans les témoignages.

[658] M. Singh a essentiellement soutenu que, à l’exception de la question du transfert des congés annuels, une démarche dont la politique pertinente lui était inconnue et pour laquelle il s’est excusé, il n’y avait pas de problème. Le salaire et la période d’essai ne posaient aucun problème. De plus, le Président Nolin a signé la lettre d’offre. Par conséquent, la question était réglée et il n’était pas nécessaire que Mme Proulx et ses collègues du Comité exécutif interviennent.

[659] Selon M. Singh, la lettre de réprimande était trop sévère et disproportionnée, surtout lorsque sa situation est comparée à celle du directeur de M. Patrice, qui n’a reçu qu’une réprimande verbale pour avoir invectivé une subalterne. Pour M. Singh, Mme Proulx et M. Patrice ont perdu confiance en lui, mais ils n’ont pas perdu confiance en ce directeur. Par conséquent, il croit que sa race et sa couleur ont influencé ce traitement différentiel.

[660] Je souligne que la lettre de réprimande a été imposée à M. Singh par le Comité exécutif, et pas seulement par Mme Proulx. De plus, il ne m’appartient pas de décider si M. Singh avait droit à un salaire précis et s’il avait le droit de renoncer à la période d’essai. Les parties ont convenu que M. Singh n’avait jamais contesté la lettre de réprimande reçue en juin 2015 à la suite de ses actions et que cette mesure disciplinaire n’avait pas été renvoyée à l’arbitrage en vertu de la LRTP. Par conséquent, M. Singh ne peut pas présenter de nouveau ces questions dans le cadre du grief, le seul que j’aie à trancher, où il allègue que son congédiement, six mois plus tard, était discriminatoire. Cela dit, le contexte entourant la lettre de réprimande peut sans doute éclairer la question de savoir si la race et la couleur de M. Singh ont influencé la façon dont Mme Proulx a interagi avec lui.

[661] La preuve a révélé que, comme il est mentionné précédemment, M. Singh n’a pas contesté la question. Il s’est excusé pour la partie sur le transfert des congés et a déclaré à l’époque qu’il se serait [traduction] « congédié » lui-même. Néanmoins, il a fait valoir à l’audience que la sanction qu’il a reçue, la lettre de réprimande, était plus sévère que la réprimande verbale reçue par le directeur de M. Patrice. Ainsi, M. Singh a conclu que sa race et sa couleur ont influencé le traitement différentiel. M. Singh m’a renvoyée à Brar, au par. 732, où il a été établi, comme le mentionne l’extrait suivant, que la différence réside dans le fait que la discipline peut permettre de démontrer l’existence d’un traitement différentiel : [traduction] « De plus, le Tribunal a conclu qu’un examen et une mesure disciplinaire plus rigoureux et disproportionnés par rapport à la conduite en cause peuvent également démontrer l’existence d’un traitement différentiel préjudiciable : [Kalyn c. Vancouver Island Health Authority, 2008 BCHRT 377], aux paragraphes 428 à 478 ».

[662] Comme je l’ai dit, il ne m’appartient pas de me prononcer sur la lettre de réprimande envoyée à M. Singh. Toutefois, je ferai seulement remarquer qu’il a admis avoir préparé la lettre d’offre et que, bien que la question du salaire et de la période d’essai ne préoccupe guère les parties, il a admis qu’il n’aurait pas dû transférer les congés annuels. Compte tenu de ces éléments et du fait qu’il a déclaré : [traduction] « Je me serais congédié moi-même », il est difficile de soutenir que la lettre de réprimande était une mesure disciplinaire disproportionnée.

[663] Quant à l’allégation de M. Singh selon laquelle le directeur de M. Patrice a été traité avec plus de clémence, car il n’a reçu qu’une réprimande verbale, ce qui permettrait de démontrer que M. Singh a subi un préjudice, le seul élément qui ressort de la preuve est le témoignage de M. Patrice selon lequel les faits entourant cet incident étaient complètement différents de ceux concernant M. Singh.

[664] Dans les circonstances, je conclus qu’il n’y a tout simplement pas l’ombre d’une preuve me permettant de conclure que la race et la couleur de Mme Singh ont influencé la décision de lui imposer une réprimande écrite plutôt qu’une réprimande verbale pour la rédaction de sa lettre d’offre.

[665] De plus, à l’audience, Mme Proulx et M. Patrice ont exprimé leur préoccupation quant au fait que M. Singh, en tant que directeur des Ressources humaines, ait rédigé sa lettre d’offre sans signaler à M. Pleau que cette pratique était inhabituelle. Ils considéraient qu’il s’agissait d’un conflit d’intérêts et d’une violation du code de conduite du Sénat (pièce G-2, onglet 22). Ils ont également dit que même s’ils avaient des préoccupations au sujet de la partie de la lettre qui traitait du salaire et de la période d’essai, ces éléments n’étaient pas les plus importants. Ils ont déclaré que le transfert de congés annuels était différent. Tous deux ont affirmé qu’il s’agissait d’un élément important puisqu’il imposait un fardeau financier au Sénat. Selon tous les témoins, y compris M. Singh, il ne fait aucun doute qu’il n’avait pas le droit de transférer les congés. De plus, M. Patrice a déclaré que les faits entourant un incident similaire concernant l’un de ses directeurs étaient complètement différents de ceux dans le cas de M. Singh. Ces éléments confirment la conclusion que j’ai tirée au paragraphe précédent, à savoir que M. Singh n’a pas présenté une preuve prima facie que sa race et sa couleur ont influencé la décision de lui remettre une lettre de réprimande.

g. Programmes de développement en leadership pour les greffiers à la procédure et les greffiers législatifs

[666] Le 12 juin 2015, soit la même journée où M. Singh a reçu sa lettre de réprimande, il a appris, dans un courriel de Mme Vanikiotis, l’existence du programme de développement en leadership pour les greffiers à la procédure et les greffiers législatifs, lequel relevait de M. Robert. M. Singh a déclaré que M. Robert ne l’avait pas consulté et que Mme Proulx était au courant du programme et ne l’en avait pas informé.

[667] Dans son témoignage, M. Singh n’a pas fourni beaucoup plus d’éléments de preuve sur l’affirmation selon laquelle Mme Proulx connaissait le programme. Par conséquent, il est difficile d’en tirer une conclusion. M. Singh n’a appelé ni M. Robert ni Mme Vanikiotis à témoigner au sujet de son allégation. La preuve dont je dispose ne me permet pas de tirer une conclusion prima facie que Mme Proulx n’a pas informé M. Singh du programme de développement en leadership pour les greffiers à la procédure et les greffiers législatifs ou que sa race et sa couleur ont eu quoi que ce soit à voir avec le fait qu’il n’a pas été informé de ce programme avant le 12 juin 2015.

[668] Toutefois, dans son témoignage, Mme Proulx a dit que le programme ne la concernait pas et qu’elle ne comprenait pas pourquoi M. Singh l’avait soulevé auprès d’elle, puisqu’elle n’avait rien à voir avec ce dernier. Elle a indiqué qu’elle croyait que M. Singh avait un problème de communication avec Mme Vanikiotis, qui pourrait ne pas l’avoir informé du programme.

h. Participation à une conférence

[669] M. Singh a également invoqué que le fait qu’on lui ait dit qu’il pouvait assister à la conférence de l’Association canadienne de l’Administration parlementaire en août 2015, tandis que Mme Bouchard avait déjà été informée de sa participation, est un autre signe de traitement différentiel. Comme M. Singh n’a présenté aucune preuve à l’appui de son allégation, je ne peux conclure qu’il s’est acquitté de son fardeau de présenter une preuve prima facie permettant d’établir que sa race et sa couleur ont influé sur le délai pour obtenir la confirmation de sa participation.

[670] Toutefois, dans son témoignage, Mme Proulx a indiqué que, pendant le mandat de M. O’Brien, une directive était en place selon laquelle, pour des raisons financières, seulement deux personnes pouvaient assister à une conférence à l’extérieur de la région de la capitale nationale en même temps. Or, Mme Bouchard devait faire un exposé à la conférence de l’Association canadienne de l’Administration parlementaire (pièce G‑9).

[671] Dans son témoignage, Mme Proulx a affirmé avoir présenté la directive de M. O’Brien au Comité exécutif afin qu’elle puisse être modifiée pour permettre à une troisième personne, en l’espèce M. Singh, d’assister à la conférence. Selon elle, Mme Bouchard et M. Singh ont reçu la lettre confirmant leur participation à la conférence de l’Association canadienne de l’Administration parlementaire en même temps.

[672] Bien que Mme Bouchard et M. Singh aient reçu leurs lettres en même temps, je crois comprendre, d’après le témoignage de Mme Proulx, que Mme Bouchard aurait pu être informée de sa participation avant d’avoir reçu la lettre de confirmation puisqu’elle devait être présente à la conférence et qu’elle devait se préparer. Mme Proulx devait également faire un exposé à la conférence.

[673] Je ne vois rien qui laisse entendre que la race et la couleur de M. Singh ont influé sur le traitement différent qu’il a subi par rapport à Mme Bouchard. Encore une fois, M. O’Brien a dit très clairement qu’avant de modifier la directive, il fallait l’approbation du greffier du Sénat (qui a été remplacé par le Comité exécutif) pour permettre à une personne supplémentaire d’assister à une conférence à l’extérieur de la région de la capitale nationale.

[674] À mon avis, le fait que Mme Bouchard ait reçu un préavis pour préparer un exposé qu’elle devait présenter à la conférence confirme que la race et la couleur de M. Singh n’ont rien à voir avec le fait que ce dernier n’a pas été informé en même temps que sa collège de sa participation à la conférence, d’autant plus que Mme Proulx a décidé de porter l’affaire devant le Comité exécutif pour que la directive de M. O’Brien soit modifiée afin de permettre à M. Singh d’être présent. Au contraire, la preuve démontre que Mme Proulx avait besoin de temps pour permettre à M. Singh de participer à la conférence.

i. Commentaires contre les sénateurs

[675] À l’appui de ses allégations selon lesquelles Mme Proulx avait fait preuve de discrimination à son égard en raison de sa race et de sa couleur et qu’elle était partiale à l’égard des minorités raciales en général, M. Singh a dit dans son témoignage qu’à deux occasions M. O’Brien, Mme Proulx et lui ont discuté de la conduite déplacée de deux sénateurs qui n’étaient pas caucasiens. Selon M. Singh, chaque fois, Mme Proulx a utilisé l’expression [traduction] « Ces gens » lorsqu’elle parlait des deux sénateurs. M. Singh a déclaré qu’elle a utilisé cette expression chaque fois, faisant référence au fait que les deux sénateurs n’étaient pas caucasiens. M. Singh a dit que Mme Proulx avait répondu : [traduction] « Vous savez, ces sénateurs ont tous de gros égos », lorsqu’il lui a demandé ce qu’elle voulait dire.

[676] M. Singh n’a pas appelé M. O’Brien à témoigner, alors qu’il aurait pu préciser si Mme Proulx avait utilisé cette expression et, dans l’affirmative, dans quel contexte. Il n’a pas expliqué pourquoi il en était ainsi.

[677] Il incombait à M. Singh d’établir que la race et la couleur des deux sénateurs ont influé sur les commentaires de Mme Proulx à leur sujet. En raison du témoignage de M. Singh selon lequel Mme Proulx a apporté les précisions suivantes : [traduction] « Vous savez, ces sénateurs ont tous de gros égos » et en l’absence d’éléments de preuve crédibles et déterminants de la seule personne neutre qui était présente à chaque occasion, je conclus que M. Singh ne s’est pas acquitté de son fardeau de présenter une preuve prima facie à l’appui de son allégation.

[678] Je souligne que Mme Proulx a nié avoir formulé des commentaires sur la race et la couleur des deux sénateurs. Elle a soutenu que de tels mots ne font pas partie de son langage et que ce n’est pas dans sa nature de faire de tels commentaires. Elle a déclaré qu’en réalité, elle pouvait les avoir formulés au sujet du fait que les sénateurs ont de gros égos, ce qui a été confirmé par le témoignage de M. Singh.

j. Budget principal des dépenses du Sénat

[679] M. Singh a allégué que quelques jours avant qu’il ait écrit le courriel du 24 novembre, Mme Proulx l’a humilié devant Mme Legault concernant son intention de présenter au Sous-comité du budget des dépenses du Sénat du Comité permanent deux capsules pour obtenir des ressources supplémentaires. Dans son témoignage, il a dit que Mme Proulx ne lui avait jamais dit de ne pas préparer les capsules; il a insisté sur le fait qu’elle ne lui avait jamais dit [traduction] « non ». Il a déclaré qu’elle est venue à son bureau le matin du 16 novembre 2015, en dansant et en tenant la main de Mme Legault, et qu’elle lui a dit de retirer les capsules. M. Singh a indiqué qu’il s’était senti humilié par Mme Proulx devant une nouvelle employée, Mme Legault. Je dois dire qu’un tel comportement en milieu de travail serait surprenant de la part de la dirigeante principale des services corporatifs du Sénat, surtout devant une nouvelle employée et avec la participation de celle-ci. En contre-interrogatoire, M. Singh a nuancé sa description des événements et admis qu’il n’y avait pas eu de danse. Il a plutôt déclaré que Mme Proulx et Mme Legault avaient l’air heureuses et non solennelles.

[680] Par conséquent, rien ne me permet pas de tirer une conclusion prima facie que la race et la couleur de M. Singh ont influé sur la façon dont Mme Proulx a traité cette question.

[681] Toutefois, Mme Proulx a catégoriquement nié la version de M. Singh et a indiqué qu’en août 2015, dans le hall de l’édifice du Centre, et en octobre 2015, elle a dit à M. Singh que son secteur n’avait pas besoin de fonds supplémentaires, puisque la Direction des services corporatifs pouvait assumer le coût d’un poste en réserve et qu’ils devraient attendre les résultats de l’examen fonctionnel de la Direction des ressources humaines.

[682] Mme Proulx a affirmé sans ambages qu’elle avait été claire avec M. Singh et qu’il a profité de son absence pendant la première partie de novembre 2015, à cause de la mort de son père, pour faire avancer ses propositions.

[683] De plus, Mme Proulx a catégoriquement nié être entrée dans le bureau de M. Singh le matin du 16 novembre 2015 en tenant la main de Mme Legault et en dansant avec elle. Mme Proulx a expliqué que ce matin-là, elle revenait au bureau après s’être absentée pour les funérailles de son père. De plus, elle connaissait à peine Mme Legault; Mme Proulx l’avait rencontrée une seule fois auparavant. Je note que M. Singh n’a pas appelé Mme Legault pour témoigner à l’audience devant moi.

[684] Ces éléments confirment la conclusion que j’ai tirée au paragraphe 680 de la présente décision, selon laquelle M. Singh n’a pas établi une preuve prima facie que sa race et sa couleur ont influencé les décisions et le comportement de Mme Proulx. Bien qu’il soit clair que M. Singh souhaitait obtenir un financement supplémentaire, je pense qu’en novembre 2015, il devait savoir que Mme Proulx était contre cette idée et qu’elle lui avait déjà dit qu’il ne pouvait pas l’obtenir, pour les raisons susmentionnées. A-t-il essayé de profiter du fait qu’elle était absente pendant les deux premières semaines de novembre? Je ne peux pas le dire. Toutefois, sa version des événements à l’audience était peu convaincante; il a déclaré qu’elle [traduction] « n’avait jamais dit non ».

[685] Même si je comprends que M. Singh ait été déçu de ne pas pouvoir présenter ses capsules, je ne vois cependant rien qui sort de l’ordinaire dans le fait qu’un superviseur, qui est en fin de compte responsable de l’administration d’un secteur donné, décide de ne pas présenter de demandes de ressources supplémentaires. Il incombe au superviseur de maintenir sa crédibilité au sein de l’organisation.

k. Mme Proulx n’a pas fourni de renseignements exacts aux sénateurs

[686] Je ne vois pas comment, même si elle était prouvée, l’allégation, ou un élément de celle-ci, selon laquelle Mme Proulx n’a pas fourni de renseignements exacts aux sénateurs pourrait permettre d’appuyer l’allégation de M. Singh selon laquelle sa race et sa couleur ont influé les actions de Mme Proulx. Je conclus que cette allégation est complètement dénuée de fondement.

[687] Cette question n’est mentionnée qu’à deux reprises dans la preuve.

[688] La première mention a trait au fait qu’un employé faisait beaucoup trop d’heures supplémentaires, ce qui devait être rectifié. Les parties s’entendent pour dire qu’il n’y a pas eu de fraude, mais qu’il fallait simplement obtenir une ressource supplémentaire. Mme Proulx et M. Patrice ont tous deux déclaré que tout le monde était au courant de la situation, y compris les sénateurs.

[689] La deuxième mention concerne la lettre de réprimande de M. Singh. Mme Proulx a déclaré que les sénateurs n’ont pas été informés de la lettre pour ne pas influencer leur perception de M. Singh. Au contraire, l’information a été retenue pour protéger M.  Singh.

2. Absence d’enquête sur l’allégation de discrimination raciale, contrairement aux art. 7 et 10 de la LCDP

[690] Dans son argumentation, M. Singh a soutenu que le Sénat n’avait pas enquêté sur ses allégations de discrimination et que les enquêtes du sénateur Housakos ne pouvaient même pas être qualifiées [traduction] « d’enquête superficielle ». M. Singh a soutenu que l’absence d’enquête constitue une violation des art. 7 et 10 de la LCDP, qui sont rédigés comme suit :

7 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

[...]

10 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.

 

[691] M. Singh a soutenu que la politique sur le harcèlement n’a pas été respectée. Le sénateur Housakos ne lui a pas parlé de ses allégations. Le sénateur Housakos n’a parlé qu’avec les sénateurs caucasiens au cours de son enquête pour savoir si la race et la couleur de M. Singh ont influencé la façon dont Mme Proulx a interagi avec M. Singh.

[692] La politique sur le harcèlement décrit toutes les étapes à suivre dans une situation de harcèlement présumé. Si le mode informel de règlement des différends échoue, une plainte officielle peut être déposée conformément au paragraphe 4.3 de la politique.

[693] Une fois qu’une plainte officielle est déposée, la politique sur le harcèlement décrit ensuite les étapes à suivre, comme l’examen de la plainte. La politique décrit également en détail l’examen de la plainte et l’enquête sur cette dernière. Il est intéressant de noter que tout au long du processus, la politique fait référence à une plainte « formelle » (pièce G-1, onglet 16, paragraphes 4.3, 4.4 et 4.5).

[694] Bien que le grief renvoyé à l’arbitrage ne conteste pas directement l’interprétation et l’application de la politique sur le harcèlement par le Sénat, il soulève néanmoins le fait que le Sénat [traduction] « [...] n’a pas enquêté sur les allégations de discrimination [de M. Singh] ». À mon avis, la question devrait être examinée avec ouverture d’esprit et en tenant compte du fait que si des gestes répréhensibles ont été commis, il faudrait privilégier une solution juste et raisonnable.

[695] Dans son courriel du 26 novembre 2015 à M. Patrice et à M. Robert, M. Singh affirme [traduction] « [...] très bien connaître le fonctionnement de ce processus » (pièce G-1, onglet 2, page 2). De plus, lorsqu’il a rencontré M. Patrice et M. Robert le 25 novembre, la preuve a démontré qu’il a été surpris que Mme Proulx leur ait communiqué le courriel du 24 novembre. M. Singh n’avait pas l’intention de porter plainte contre Mme Proulx. Au contraire, il souhaitait que le courriel du 24 novembre demeure [traduction] « privé » entre lui et Mme Proulx.

[696] Dans les circonstances, je ne crois pas que M. Singh ait eu l’intention de déposer une plainte de harcèlement formelle ou informelle à l’égard de Mme Proulx. De plus, le libellé du courriel du 24 novembre indique clairement ses exigences, mais il ne voulait pas non plus qu’elle y réponde. Il a écrit : [traduction] « Je n’ai pas besoin d’en discuter davantage, car j’ai fait part de mes préoccupations par écrit. Je n’ai pas besoin de réponse. Mon seul désir est que des décisions simples soient prises pour donner suite à mes demandes. »

[697] Dans son courriel du 26 novembre 2015 envoyé à M. Patrice et à M. Robert, M. Singh a également réitéré qu’il n’avait pas demandé d’enquête, déclarant (pièce G-1, onglet 2, page 2) : [traduction] « Enfin, étant donné ma loyauté envers le Sénat et le fait que je n’ai pas de vendetta personnelle contre la DPSO, je tiens à dire par écrit que je n’ai pas demandé d’enquête. »

[698] Dans les circonstances, M. Singh n’a pas établi de preuve prima facie qu’il avait déposé une plainte officielle contre Mme Proulx; en fait, son témoignage prouve tout le contraire. Dans ces circonstances, le Sénat a-t-il l’obligation d’ouvrir une enquête officielle sur les allégations de M. Singh? Je ne crois pas. Comme je l’ai mentionné, le cadre officiel prévu pour le traitement des plaintes ne devrait pas être un obstacle à un traitement juste et équitable; quoi qu’il en soit, la situation a fait l’objet d’une enquête.

[699] Dans les circonstances, l’enquête du sénateur Housakos sur les allégations de M. Singh a-t-elle été un manquement aux obligations du Sénat prévues par la LCDP? M. Singh m’a renvoyée à Brar, au par. 732, où il est énoncé que : [traduction] « [...] L’absence de procédure équitable peut être une preuve de traitement préjudiciable ». J’ai déjà conclu que M. Singh n’avait pas établi une preuve suffisante que sa race et sa couleur avaient influencé les interactions de Mme Proulx avec lui. Je conclus en outre que le sénateur Housakos n’avait aucune obligation au titre de la LCDP d’enquêter sur ces interactions et que, pour les motifs exposés comme suit par le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario au paragraphe 78 de Scaduto, une lacune dans l’enquête du sénateur Housakos ne constituait pas une violation de la LCDP :

[Traduction]

[78] Le refus de l’employeur d’enquêter sur une plainte de discrimination peut contrevenir au Code si ce refus contribue à la discrimination en milieu de travail ou qu’il la cause. La violation du Code n’est pas le refus d’enquêter en soi, mais le fait de ne pas fournir un lieu de travail exempt de discrimination, notamment la discrimination qui est causée ou aggravée par le refus d’enquêter sur les violations du Code. À mon avis, il faut conclure à l’existence d’une discrimination pour prouver une violation du Code. Il n’y a pas de contravention au Code simplement parce que l’on a refusé d’enquêter sur une plainte de discrimination sans la conclusion de l’existence d’une discrimination. En d’autres termes, le Code n’est pas enfreint par le refus d’enquêter sur une discrimination qui n’existe pas. Cette conclusion est étayée par la décision récente de la Cour divisionnaire dans Walton Enterprises c. Lombardi, 2013 ONSC 248 aux par. 51 et 54.

 

[700] Néanmoins, comme je l’expliquerai plus loin dans la présente décision, dans le présent cas, le sénateur Housakos a pris des mesures raisonnables pour vérifier les allégations de M. Singh. Le sénateur Housakos a examiné toutes les allégations. Il a rejeté celles contre Mme Proulx au sujet des directeurs qui assistent aux réunions du Sénat. Comme tous les autres témoins du Sénat, il a indiqué très clairement que ce sont les sénateurs qui ont pris cette décision et non Mme Proulx. Il connaissait ces décisions et savait qui les avait prises. Il n’était pas nécessaire d’aller plus loin. À première vue, l’allégation était sans fondement.

[701] Pour la même raison, le sénateur Housakos a également rejeté l’allégation selon laquelle Mme Proulx voulait qu’un examen fonctionnel de la Direction des ressources humaines ait lieu. Encore une fois, comme tous les autres témoins, le sénateur Housakos a expliqué que lui-même et ses collègues sénateurs ont pris cette décision, et non Mme Proulx. À mon avis, il n’a pas eu besoin d’approfondir cette question. À titre de décideur, de concert avec ses collègues sénateurs, le sénateur Housakos savait que Mme Proulx n’avait pas pris ces décisions.

[702] Le sénateur Housakos a également considéré comme dénuée de fondement l’allégation de M. Singh selon laquelle Mme Proulx donnait aux sénateurs des renseignements incomplets ou elle cachait la vérité. Il a souligné que s’il y avait eu un problème concernant le manque de transparence de la part de Mme Proulx à l’égard des sénateurs, il aurait été de la responsabilité de M. Singh de le soulever directement auprès de lui. M. Singh ne l’a jamais fait.

[703] Cette situation diffère de celle de Payette, que M. Singh a citée, dans laquelle la raison invoquée pour ne pas avoir enquêté était simplement que le défendeur n’était pas le type de personne qui ferait ce qui avait été allégué.

[704] Le sénateur Housakos a déclaré qu’il était troublé par l’allégation selon laquelle Mme Proulx avait fait preuve de discrimination à l’égard de M. Singh en raison de sa race et de son origine ethnique. Il a décidé de parler à 12 autres sénateurs qui connaissaient Mme Proulx et avait travaillé avec elle, aux employés de la Direction des ressources humaines et à un gestionnaire qui relevait de M. Singh. Après ces discussions, le sénateur Housakos a conclu également que cette allégation n’était pas fondée.

[705] M. Singh m’a également renvoyée à Nelson, où le doyen de l’Université Lakehead a rejeté sommairement une plainte concernant la discrimination fondée sur l’âge formulée par un professeur. Toutefois, dans cette affaire, le doyen a admis ne pas avoir connaissance de certaines allégations. Comme il est indiqué au paragraphe 101 :

[Traduction]

[101] [...] Je ne suis pas convaincue que la réponse du doyen était raisonnable dans les circonstances. [...] Quoi qu’il en soit, j’ai de la difficulté à accepter qu’il s’agisse d’une explication légitime de la réponse du doyen dans la présente affaire, parce que, comme le reconnaît le doyen, il n’avait « aucune idée » de certaines allégations qui ont été formulées. [...]

 

[706] La vice-présidente du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a conclu qu’il n’y avait pas eu de discrimination, mais que le doyen n’avait pas enquêté sur les allégations, contrairement aux dispositions précises du Code des droits de la personne de l’Ontario (L.R.O. 1990, C. H. 19). Elle ne s’est pas prononcée sur la réparation demandée puisque les parties devaient tenter de régler la question.

[707] Comme M. Singh a formulé ses allégations autrement que dans le cadre d’une plainte officielle, pourrait-on simplement ne pas en tenir compte? Absolument pas. Comme je l’ai mentionné plus tôt, dans le présent cas et contrairement aux faits de Nelson, le sénateur Housakos connaissait certainement l’objet des allégations puisque lui-même et ses collègues sénateurs avaient pris les décisions en cause, et non Mme Proulx.

[708] En ce qui concerne l’allégation de discrimination, le sénateur Housakos s’est renseigné à ce sujet en s’entretenant avec 12 sénateurs et certains employés des Ressources humaines, dont un gestionnaire qui connaissait Mme Proulx et qui avait travaillé avec elle. À mon avis, il faut garder à l’esprit que M. Singh n’avait pas prévu que ses allégations seraient communiquées à quelqu’un d’autre que Mme Proulx. Il n’a pas choisi de porter plainte officiellement parce que, en tant que directeur des Ressources humaines, il savait très bien qu’une plainte formelle déclenche le mécanisme et le processus prévus par la politique sur le harcèlement, notamment la tenue d’une enquête. Il n’a pas choisi de suivre cette voie.

[709] Je pense que le sénateur Housakos a fait preuve de diligence raisonnable. Il a examiné certaines allégations et s’est immédiatement rendu compte qu’elles étaient sans fondement, et il les a rejetées. En ce qui a trait à la discrimination, il a pris le temps de parler non seulement à un ou deux sénateurs, mais à une douzaine d’entre eux et à un gestionnaire des Ressources humaines, afin de recueillir des éléments de preuve sur l’allégation selon laquelle la race et la couleur de M. Singh ont influencé la façon dont Mme Proulx a interagi avec lui. D’après son témoignage, aucune preuve n’a étayé l’allégation.

[710] Je ne peux pas dire que l’approche du sénateur Housakos était cavalière ou qu’il a été négligent. Il a été troublé par l’allégation de discrimination et a décidé d’enquêter à ce sujet. À mon avis, son approche était suffisamment rigoureuse et raisonnable. Le fait qu’il n’ait pas parlé à des sénateurs issus des minorités visibles n’est pas concluant, car l’important était d’obtenir l’opinion de ceux qui connaissaient Mme Proulx et avaient observé son comportement. Il aurait été répréhensible que la preuve révèle que le sénateur Housakos a choisi d’exclure de son interpellation les sénateurs qui étaient issus des minorités visibles qui connaissaient également Mme Proulx. Comme je l’ai mentionné, cet argument n’a pas été invoqué. Comme je l’ai déjà affirmé, je souscris à la décision rendue dans Scaduto et, compte tenu de mes conclusions antérieures selon lesquelles M. Singh n’a pas établi devant moi que sa race et sa couleur ont influencé la façon dont Mme Proulx s’est comportée à son égard, j’ai conclu au paragraphe 699 de la présente décision que si le sénateur Housakos avait manqué à l’obligation d’enquêter sur les allégations de discrimination formulées par M. Singh, ce manquement en soi ne se serait pas soldé par un acte discriminatoire. Toutefois, les éléments de preuve dont je dispose ont confirmé que le sénateur Housakos avait néanmoins mené une enquête et que son enquête était suffisamment approfondie et raisonnable dans les circonstances.

3. Congédiement pour avoir soulevé des allégations de discrimination raciale, contrairement aux art. 7 et 14 de la LCDP

[711] M. Singh a allégué que le congédiement était essentiellement des représailles pour avoir soulevé des allégations de discrimination. Comme je l’ai mentionné précédemment, la preuve démontre que M. Singh n’avait pas l’intention de porter plainte contre Mme Proulx et qu’il souhaitait que le courriel du 24 novembre demeure [traduction] « privé » entre lui et elle. Tout bien considéré, je conclus que la preuve démontre que, selon la prépondérance des probabilités, la décision des sénateurs de mettre fin à l’emploi de M. Singh n’a pas été prise en représailles aux allégations qu’il a formulées contre elle. Il ne fait aucun doute que M. Singh a établi une preuve prima facie qu’il a été congédié en raison de ses allégations contre Mme Proulx; toutefois, la preuve a aussi montré que le sénateur Housakos et ses deux collègues étaient d’avis que M. Singh et Mme Proulx ne pouvaient plus travailler ensemble.

[712] J’accepte l’explication du sénateur Housakos selon laquelle, lorsque lui-même et ses collègues, les sénateurs Furey et Wells, ont examiné le courriel du 24 novembre, ils ont conclu que M. Singh ne souhaitait plus travailler pour Mme Proulx. Je conviens avec le sénateur Housakos que M. Singh n’a jamais accepté la nouvelle structure administrative du Sénat. De plus, il n’a jamais accepté non plus d’autres décisions, qu’il a attribuées à tort à Mme Proulx, comme la décision d’exclure les directeurs des réunions du Comité permanent et du Comité directeur, laquelle a été prise par ces comités, ou la décision de procéder à un examen fonctionnel de la Direction des ressources humaines, laquelle a été prise par le Sous-comité du budget des dépenses du Sénat du Comité permanent.

[713] Dans le courriel du 24 novembre, M. Singh a essentiellement demandé qu’un choix soit fait entre lui et Mme Proulx. Comme il l’a dit dans le courriel, il n’était pas prêt à discuter de son contenu. Il a noté qu’il fallait tout simplement consentir à ses demandes : [traduction] « Je n’ai pas besoin d’en discuter davantage, car j’ai fait part de mes préoccupations par écrit. Je n’ai pas besoin de réponse. Mon seul désir est que des décisions simples soient prises pour donner suite à mes demandes. »

[714] Dans les circonstances, rien dans les actions ou les décisions des sénateurs ne m’a amenée à conclure qu’en fait, ils ont mis fin à l’emploi de M. Singh en représailles pour avoir soulevé des allégations au sujet de Mme Proulx. Le sénateur Housakos et ses deux collègues ont conclu que l’autorité de Mme Proulx à l’égard de M. Singh n’était pas la seule question; les décisions du Sénat ont également été mentionnées. Les sénateurs estimaient aussi que leurs décisions étaient contestées. Encore une fois, il incombait à M. Singh de prouver que la décision des sénateurs de mettre fin à son emploi était une mesure de représailles pour avoir soulevé des allégations au sujet de Mme Proulx. Il ne s’est pas acquitté de ce fardeau. La preuve non contredite dont je dispose a clairement démontré que la décision des sénateurs était fondée sur la réticence de M. Singh à continuer de travailler pour Mme Proulx et sur les contraintes administratives en vigueur au Sénat.

[715] Comme je l’ai mentionné plus tôt, cette affaire porte sur des allégations très précises selon lesquelles la race et la couleur de M. Singh ont influencé la façon dont Mme Proulx a interagi avec lui. Comme on le sait, il a décidé de ne pas contester le droit du Sénat de mettre fin à son emploi sur présentation d’un avis ou d’une indemnité tenant lieu d’avis, et par conséquent, je n’ai pas à dire si les sénateurs avaient raison de penser que M. Singh ne voulait pas continuer à travailler pour Mme Proulx et dans les limites des contraintes administratives en vigueur au Sénat.

[716] Dans ses observations, M. Singh a soutenu qu’il était le seul membre de la direction issu des minorités visibles et, qu’au moment de l’audience, aucun membre de la direction n’appartenait à une minorité visible. Pour M. Singh, cela montre aussi que le Sénat, en tant qu’organisation, avait un préjugé racial.

[717] Bien que M. Singh ait mentionné indirectement de temps à autre la question d’une possible discrimination systémique, il s’agissait surtout de spéculations. Le fait que M. Singh était le seul membre de la direction du Sénat issu des minorités visibles et qu’il n’y a plus aucun membre de la direction appartenant à une minorité visible ne prouve pas que sa race et sa couleur ont influencé le comportement de Mme Proulx à son égard. Comme il est indiqué dans Abi-Mansour, aux paragraphes 12 et 13 :

[12] À l’audience, je n’ai pas accepté les éléments de preuve portant sur l’équité en matière d’emploi, hormis un document général [...]

[13] Je ne crois pas que des données sur l’équité en matière d’emploi puissent m’aider à déterminer s’il y a eu discrimination dans cette affaire. Comme je l’ai expliqué au plaignant, cette preuve n’est pas pertinente pour la question en cause, qui consiste à déterminer si la décision de l’intimé de l’éliminer à l’étape de la présélection, au motif qu’il ne répondait pas à l’exigence liée aux études, était entachée de discrimination. [...] J’ai conclu que la preuve liée à l’équité en matière d’emploi n’était pas pertinente pour étudier la question devant moi.

 

[718] Dans son exposé final, M. Singh a soutenu que M. Robert, qui n’a pas témoigné, ne voulait pas mettre fin à l’emploi de M. Singh. Je dois dire qu’il n’y a eu absolument aucune preuve à cet égard pendant toute l’audience. La preuve démontre que M. Robert a signé la lettre de congédiement puisque le 2 décembre 2015, la Direction des ressources humaines relevait de lui. M. Robert, tout comme M. O’Brien, Mme Vanikiotis et d’autres, n’a pas été appelé à témoigner par M. Singh pour appuyer ses allégations. Comme il est mentionné dans Filgueira CF, au par. 13 :

[...]

[...] Aucune des parties, en particulier la partie défenderesse, n’est obligée de présenter des éléments de preuve. Le plaignant doit établir le bien fondé de sa cause au moyen de ses propres éléments de preuve, en recourant au besoin à un bref d’assignation. Le plaignant ne peut tenir pour acquis que le défendeur présentera des éléments de preuve, ni même espérer qu’il le fasse.

 

[719] M. Singh a également déclaré que dans son témoignage, les réponses de Mme Proulx n’étaient pas toujours claires, ce qui pourrait indiquer qu’elle avait des problèmes de communication. Je ne suis pas d’accord. Mme Proulx a été très claire et précise dans ses réponses. Elle a pris le temps d’expliquer très clairement ses raisons ou ses décisions.

C. L’effet combiné des faits

[720] Dans son examen de la preuve, M. Singh a mis en garde contre la tentation de regarder la preuve en vase clos et d’oublier que la discrimination n’est souvent pas fondée sur un seul événement et que l’effet combiné doit être pris en compte dans toutes les situations que M. Singh a relevées. En d’autres termes, il faut chercher un modèle d’actions et de comportements qui, pris individuellement, pourraient être sans importance, mais, lorsqu’ils sont examinés ensemble avec soin, permettent de conclure qu’il existe une preuve prima facie de discrimination. Comme l’a indiqué Turner au par. 48 :

[48] Pour établir une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire, un plaignant n’est pas tenu de prouver que l’intimé avait l’intention d’agir de manière discriminatoire, car certains actes discriminatoires mettent en cause de multiples facteurs et sont inconscients. En fait, on dit souvent qu’un acte discriminatoire n’est pas une pratique qui, d’ordinaire, se manifesterait ouvertement ou même s’exercerait intentionnellement. De ce fait, le Tribunal se doit d’examiner l’ensemble des circonstances de l’affaire – ce qui, bien souvent, suppose des éléments de preuve circonstancielle qui tantôt étayent tantôt minent l’allégation de discrimination – pour pouvoir décider s’il existe ce que le Tribunal a déjà qualifié de « subtile odeur de discrimination ». [...]

 

[721] Je suis tout à fait d’accord pour dire que l’ensemble des éléments de preuve circonstancielle doivent être examinés et qu’il faut aller au-delà des faits ou des situations simples et se demander s’il est raisonnable de conclure que la multitude de ces faits rend plausible l’allégation de discrimination ou l’allégation de traitement préjudiciable. Comme on l’a dit, il est rare qu’il y ait une seule situation déterminante qui mène à la conclusion qu’un acte discriminatoire a eu lieu. Un examen approfondi et conscient de tous les faits dans leur ensemble doit être effectué avant de pouvoir conclure que les situations ou les décisions en cause étaient ou n’étaient pas entachées de discrimination.

[722] Il ne fait aucun doute dans mon esprit que le racisme et la discrimination existent dans nos milieux de travail et que des mesures devraient être prises rapidement pour en éliminer tout signe. Cela dit, bien qu’il soit très important d’enquêter sérieusement et de rechercher cette « odeur de discrimination », comme il a été mentionné dans Turner, il faut veiller à ne pas confondre une relation de travail acrimonieuse entre deux personnes avec une situation dans laquelle les actions et les décisions, sont motivées ou entachées, consciemment ou non, par le racisme ou la discrimination.

[723] Comme je l’ai indiqué, après avoir examiné le contexte, les faits pertinents, les allégations et les témoignages des témoins, et encore une fois en gardant à l’esprit que la preuve circonstancielle doit être appréciée dans son ensemble, la preuve ne me permet pas de conclure à première vue que la race et la couleur de M. Singh ont influencé la façon dont Mme Proulx a interagi avec lui.

[724] Toutefois, j’ai conclu que M. Singh avait établi à première vue que la décision du Comité directeur de mettre fin à son emploi avait été prise en représailles contre lui pour avoir soulevé des allégations à l’encontre de Mme Proulx. Toutefois, j’ai aussi conclu que le Sénat avait réfuté cette preuve prima facie.

D. Conclusion

[725] Le présent cas porte sur un employé qui n’a jamais accepté une nouvelle structure hiérarchique et une nouvelle autorité.

[726] Lorsque M. O’Brien était greffier du Sénat, M. Singh, Mme Proulx, M. Patrice et M. Robert relevaient tous directement de lui. C’était une organisation horizontale. M. O’Brien n’avait pas beaucoup de temps pour tous ses subalternes directs. M. Singh était sur un pied d’égalité avec Mme Proulx, M. Patrice et M. Robert. En outre, il discutait directement avec le Comité permanent et le Comité directeur.

[727] Au début, les choses allaient bien entre M. Singh et Mme Proulx. La situation a changé en février 2015. M. Singh a commencé à relever de son ancienne collègue, Mme Proulx, qui était beaucoup plus interventionniste; elle voulait intervenir dans les dossiers, ce qu’il n’a jamais accepté. À mon avis, l’aveu de M. Singh à M. Patrice selon lequel [traduction] « Avant, c’était vous trois et moi. Maintenant, c’est vous trois sans moi » est encore une fois très révélateur de la nature problématique de la présente affaire. La nouvelle structure administrative mise en place au Sénat a modifié la relation de travail entre les quatre intervenants, et M. Singh ne l’a pas accepté.

[728] Selon moi, cette situation est un cas classique d’un changement à une relation hiérarchique qui a eu des répercussions néfastes sur le superviseur et son employé, et la race et la couleur de M. Singh n’entraient pas en ligne de compte.

[729] M. Singh et Mme Proulx étaient tous deux des cadres supérieurs, et ils semblaient très articulés, déterminés et confiants. Je ne crois pas que chacun se soit senti intimidé par l’autre. Il est tout simplement malheureux qu’ils n’aient pas réalisé que les choses se détérioraient au point de non-retour et qu’ils n’ont pas utilisé leur expérience et leurs talents en ressources humaines pour chercher de l’aide pour leur relation. Bien qu’il y ait eu une relation acrimonieuse, cela ne voulait pas dire ou ne me permettait pas de conclure que la race et la couleur de M. Singh ont influencé l’attitude de Mme Proulx à son égard. Encore une fois, ces allégations n’ont pas été étayées par les éléments de preuve.

[730] Il incombait à M. Singh d’établir, selon la prépondérance des probabilités, une preuve prima facie de discrimination. Il s’est acquitté de ce fardeau uniquement pour ce qui est de la décision du Sénat de mettre fin à son emploi; cependant, le Sénat est parvenu à réfuter cette allégation. Je conclus donc que le Sénat n’a pas enfreint les articles 7, 10 et 14 de la LCDP.

[731] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[732] Le grief est rejeté.

Le 7 janvier 2021.

(Traduction de la CRTESPF)

Linda Gobeil,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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