Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté son licenciement disciplinaire par le Service correctionnel du Canada (l’« employeur »), alléguant qu’il était sans motif valable – il a été licencié de son poste de gestionnaire correctionnel à la suite d’une évaluation du milieu de travail – l’évaluation a mis au jour des allégations selon lesquelles le fonctionnaire s’estimant lésé avait été mêlé à des incidents d’agression physique et sexuelle sur des employés, de harcèlement personnel et sexuel sur des employés, de conduite inappropriée auprès de détenus, de conduite inappropriée auprès d’employés, notamment en les intimidant, et de mauvais usage des biens de l’employeur – en outre, des employés ont affirmé que le fonctionnaire s’estimant lésé avait apparemment enfreint les politiques, procédures et directives de l’employeur – l’employeur a mené une enquête disciplinaire sur les allégations – il a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait enfreint les différentes normes de conduite professionnelle et les directives de l’employeur – il a été déterminé que le fonctionnaire s’estimant lésé, dans sa conduite, n’avait pas agi avec l’intégrité et le professionnalisme attendus, ce qui a donné lieu à son licenciement – la Commission a conclu que le licenciement ne pouvait pas être confirmé, puisque l’employeur n’est pas parvenu à établir, selon la prépondérance des probabilités, les allégations à l’encontre du fonctionnaire s’estimant lésé, sur lesquelles le licenciement se fondait – les éléments de preuve qui ont été présentés à la Commission portaient sur trois incidents : le fonctionnaire s’estimant lésé aurait agressé un détenu; il aurait transporté un détenu sans caméra; et il aurait crié sur le détenu – le seul motif de discipline établi était l’altercation verbale entre le fonctionnaire s’estimant lésé et le détenu – compte tenu de la franchise dont le fonctionnaire s’estimant lésé a fait preuve en avouant son comportement, de ses années de service, de ses antécédents en matière de discipline et de rendement, la Commission a conclu qu’une réprimande verbale aurait suffi et qu’il n’était pas nécessaire de prendre d’autres mesures – la Commission a également conclu que, lorsque l’employeur a pris sa décision disciplinaire, il n’a pris en considération aucune des circonstances atténuantes, notamment le fait qu’au moment de l’audience disciplinaire, le fonctionnaire s’estimant lésé suivait un traitement pour un trouble de stress post-traumatique – par conséquent, la Commission a conclu que le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé était clairement excessif et injustifié, et qu’il devait être annulé – de plus, selon la Commission, l’audience disciplinaire n’a eu lieu que pour la forme – la Commission a conclu que l’employeur avait agi de mauvaise foi en se fondant sur un processus d’enquête vicié et un rapport d’enquête vicié – l’employeur a sérieusement porté atteinte aux droits du fonctionnaire s’estimant lésé à un point tel que l’on ne pouvait pas y remédier uniquement en tenant une audience de novo.



Grief accueilli.

Contenu de la décision


MOTIFS DE DÉCISION

TRADUCTION DE LA CRTESPF

I.  Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1]  Le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), Eric Gagné, a allégué que son licenciement par le Service correctionnel du Canada (SCC ou l’« employeur ») était sans motif valable. Il a été licencié de son poste de gestionnaire correctionnel (GC) à l’Établissement d’Edmonton (EE) du SCC le 8 janvier 2018, à la suite d’une évaluation du milieu de travail de l’EE. Cette évaluation a mis au jour des allégations selon lesquelles le fonctionnaire avait été mêlé à des incidents d’agression physique et sexuelle sur des employés de l’EE, de harcèlement personnel et sexuel sur des employés de l’EE, de conduite inappropriée auprès de détenus de l’EE, de conduite inappropriée auprès d’employés de l’EE, notamment en les intimidant, et de mauvais usage des biens du SCC. En outre, des employés ont appelé la ligne de signalement de l’employeur et ont affirmé que le fonctionnaire avait apparemment enfreint les politiques, procédures et directives de l’employeur ainsi que d’autres lois.

[2]  L’employeur a mené une enquête disciplinaire sur les allégations et s’est fondé sur celle-ci pour conclure que le fonctionnaire avait enfreint la « Règle 1 » (« Responsabilité dans l’exécution des tâches ») des Règles de conduite professionnelles que l’on trouve dans la Directive du commissaire 060, Code de discipline (la « DC-060 ») et la Directive du commissaire 001, Cadre de la mission, des valeurs et de l’éthique du Service correctionnel du Canada. Il a été déterminé que le fonctionnaire, dans sa conduite, n’avait pas agi avec l’intégrité et avec le professionnalisme attendus d’un employé du SCC, ce qui a donné lieu à son licenciement.

II.  Résumé de la preuve

[3]  En mars 2017, l’employeur a mené une évaluation du milieu de travail à l’EE à la suite d’allégations selon lesquelles le milieu de travail était toxique. À la lumière des résultats, l’employeur a conclu qu’il fallait agir pour changer la culture à cet endroit. Une série de séances de discussions ouvertes ont eu lieu et une ligne de signalement a été mise sur pied afin de permettre aux employés de signaler à l’employeur tout élément qui devait être corrigé à l’automne 2017; l’EE reprenait pour son compte l’expression populaire « si vous voyez quelque chose, dites quelque chose ». L’enquête sur le fonctionnaire a été lancée à la suite d’une dénonciation à la ligne de signalement.

[4]  Le fonctionnaire travaillait le quart du soir à l’EE le 25 août 2017 en tant que GC quand un détenu, « JB », a dû être immobilisé et envoyé à l’unité d’isolement. Dans un rapport de signalement, on indiquait que le fonctionnaire avait frappé JB pendant que celui faisait l’objet d’une fouille à nu sous la douche. Les agents correctionnels (CX) qui ont indiqué avoir été témoins de l’incident l’ont signalé à la suite d’une séance de discussion ouverte avec l’employeur et après en avoir parlé au syndicat (le syndicat s’entend du Syndicat des agents correctionnels du Canada-Union of Canadian Correctional Officers-CSN). Ils l’on fait, même s’ils ne l’avaient pas mentionné dans leurs rapports d’observation ou déclaration d’un agent (RODA), qu’ils avaient remplis en même temps au moment de l’incident. Le signalement a fait suite à la séance de discussion ouverte, pendant laquelle on avait encouragé les employés à signaler tout événement dont ils avaient été témoins et dont l’employeur devrait être au courant. Le fait de ne pas signaler un incident aurait pu mettre en péril leur emploi au SCC.

[5]  Les CX qui ont signalé la présumée agression commise à l’endroit de JB s’inquiétaient pour leur emploi, étant donné que certains membres du personnel de l’EE avaient été congédiés en raison du rôle qu’ils avaient joué dans des événements dont la direction avait été mise au fait grâce au rapport d’évaluation du milieu de travail. Les CX ont affirmé ne pas avoir signalé l’incident mettant en cause le fonctionnaire lorsqu’il s’est produit. Ils ont affirmé que, comme ils avaient contrevenu aux exigences de rendre compte des incidents avec honnêteté et de présenter des RODA exactes, ils craignaient pour leur emploi. C’est pourquoi ils ont demandé l’aide du syndicat afin de faire connaître leur version des événements auxquels le fonctionnaire aurait soi-disant été mêlé.

[6]  Tyler McNay a occupé un poste de niveau CX-01 à l’EE de 2015 à novembre 2017. Il était l’un des agents en cause dans l’incident survenu le 25 août 2017, au cours duquel JB a été retiré de l’unité H à la suite d’une fouille dans sa cellule. M. McNay a indiqué qu’il a répondu à un appel à l’aide du personnel à l’unité H. À son arrivée, JB se trouvait dans la salle de téléphones de l’étage supérieur. JB était agressif et agité quand M. McNay a reçu l’ordre d’entrer dans la salle de téléphones et de le menotter. Une fois que JB a été menotté, le GC Mikalski a ordonné aux agents présents d’amener JB au secteur d’admission et de libération (A et L), qui était le portail menant à l’unité d’isolement à l’EE, afin qu’il fasse l’objet d’une fouille à nu avant d’être admis dans l’unité d’isolement. M. McNay s’est exécuté avec l’aide du CX Jesse Perry, du GC Todd French et du fonctionnaire au moyen de contrôles deux par deux. Le fonctionnaire et le GC French ont répondu au même appel que M. McNay.

[7]  Selon M. McNay, il a reçu l’ordre de démenotter JB une fois que ce dernier est arrivé dans les douches à l’A et L. Le fonctionnaire se tenait debout devant JB. Une fois JB démenotté, toujours selon M. McNay, le fonctionnaire a frappé cinq fois JB au ventre. Une lutte a éclaté par la suite, au cours de laquelle M. McNay s’est efforcé de retirer le deuxième bracelet des menottes du détenu; le bras de ce dernier, auquel étaient attachées les menottes, s’agitait dans tous les sens, posant une menace imminente à ceux qui se trouvaient dans le secteur. La lutte pour retirer le deuxième bracelet des menottes s’est poursuivie jusqu’à l’arrivée du directeur, Clovis Lapointe.

[8]  La situation s’est calmée à l’arrivée du directeur Lapointe, selon M. McNay, qui a ensuite été en mesure de démenotter le détenu. M. McNay et le CX Perry
ont soumis le détenu à une fouille à nu. On l’a ensuite placé dans une cellule de détention provisoire à l’A et L, mais il n’a jamais été envoyé à l’unité d’isolement.

[9]  À la suite de l’incident, M. McNay a rédigé son RODA comme il était tenu de le faire (pièce 1, onglet 10). Il a avoué que le RODA ne correspondait pas à son témoignage lors de l’audience. Selon ses explications, l’un des GC présents, le GC French ou le GC Gagné, lui avait ordonné d’écrire ce qui était consigné dans le RODA, mais il a indiqué ne plus savoir lequel avait donné la consigne. On lui a ordonné d’exclure de son RODA tous les renseignements qu’il a donnés pendant son témoignage.

[10]  À la suite de la séance de discussion ouverte, M. McNay savait qu’il devait parler au syndicat à propos de l’incident afin d’obtenir des conseils. Il a parlé à Mike Inkpen, un représentant syndical, et à Shawn Whalen, le président de la section locale du syndicat à l’EE. Ils ont ensuite parlé au directeur Lapointe. Le lendemain, M. Whalen a informé M. McNay que le directeur voulait lui parler. M. McNay a indiqué qu’il savait qu’il allait avoir des problèmes, étant donné qu’il avait rédigé un RODA erroné, et il devait le corriger avant de perdre son emploi, comme il l’avait entendu à la séance de discussion ouverte.

[11]  M. McNay a ensuite rencontré M. Lapointe et M. Whalen. Il a affirmé qu’il avait dit à M. Lapointe la vérité à propos de ce qui s’était produit dans les douches ce jour-là. M. Lapointe lui a dit que les enquêteurs du comité d’enquête communiqueraient plus tard avec lui. Par la suite, deux enquêteurs l’ont interrogé à un endroit secret. M. Whalen l’accompagnait.

[12]  Quand on lui a demandé pourquoi il avait signalé l’incident à son syndicat, puis à la ligne de signalement, M. McNay a affirmé qu’il n’était pas à l’aise avec la façon dont la situation était gérée. Dans cette situation, il fallait employer la force, comme il est prévu dans le modèle du recours à la force, mais M. McNay ne serait pas intervenu de la même manière que le fonctionnaire.

[13]  Selon le témoignage de M. McNay, l’environnement de travail était extrêmement négatif à l’EE. L’EE est un établissement à sécurité maximale. Les membres du personnel de l’établissement n’aidaient personne sauf les membres de leur camp ou de leur faction. Un CX appartenait à un camp selon l’équipe dans laquelle il travaillait. Les équipes étaient définies en fonction des quarts de travail. Il y avait quatre quart de travail à l’EE. Deux équipes travaillaient le quart de 7 h à 15 h, une équipe travaillait un quart de 7 h à 16 h et une équipe travaillait un quart de 12 heures. M. McNay travaillait avec le CX Graham Spilsbury, qui était considéré comme le chef de l’équipe affectée aux unités G et H. M. Whalen était le responsable du syndicat et le chef de l’équipe du quart de travail de 12 heures. Les GC, comme le fonctionnaire, n’appartenaient à aucune équipe. Aucune des équipes n’aimait les GC; les GC étaient censés avoir le contrôle de l’EE, mais, en réalité, selon M. McNay, ce sont les équipes qui en avaient le contrôle.

[14]  Le 25 août 2017, M. McNay a vu le fonctionnaire pour la première fois à l’étage supérieur de l’unité H, au moment où il répondait à l’appel à l’aide. L’agression alléguée serait survenue dans les douches du secteur de l’A et L. Cet espace est formé d’une entrée d’une largeur de 4 pieds et d’une salle de 8 pieds sur 8 pieds, qui s’élargit à 8 pieds sur 12 pieds. Aucun agent n’était présent hormis les quatre qu’il a décrits dans son témoignage. Aucune pièce ne donnait sur les douches, ce qui aurait permis à un agent de voir ce qui s’y passait. M. McNay se trouvait dans la portion étroite du couloir de la pièce, à côté du CX Perry. M. McNay ignorait où se trouvait le GC French, mais il était certain que le fonctionnaire se trouvait dans la partie la plus large de la salle, devant le détenu.

[15]  M. McNay s’est souvenu que le détenu jurait, mais ne se souvenait pas d’avoir entendu quelqu’un d’autre parler ou jurer dans la pièce. Il ne se souvenait pas avec quelle main le fonctionnaire avait frappé le détenu, mais il se souvenait que ce dernier avait reçu plusieurs coups. Il se souvenait du son des coups et se souvenait que le détenu n’avait rien dit quand il avait été frappé. Selon le témoignage de M. McNay, il était occupé à saisir la main du détenu pour enlever le deuxième bracelet des menottes. Il ne se souvenait pas où se trouvait le CX Perry ou le GC French ou s’ils s’étaient trouvés là à tout moment pendant l’incident. Aucun autre agent n’était présent à l’A et L, selon M. McNay, jusqu’à ce que le directeur Lapointe finisse par arriver avec Mme Mikalski.

[16]  M. McNay a affirmé qu’il avait préparé son RODA à 21 h 46 le 25 août 2017, pendant que les [traduction] « événements étaient encore frais à [s]a mémoire ». Il a ensuite mentionné qu’un GC, qu’il n’arrivait pas à identifier, lui avait ordonné de ne pas consigner certains détails de l’incident. Il n’a pas précisé ces détails. Il a indiqué ne pas se souvenir de l’identité de la personne qui lui avait donné cette consigne, qui était pourtant inhabituelle. Après avoir réfléchi à ce qui avait été dit lors de la séance de discussion ouverte et après avoir parlé à sa famille, M. McNay a consulté son syndicat. Le lendemain, il a signalé le recours excessif à la force lors de la réunion que le syndicat avait organisée avec le directeur Lapointe.

[17]  Dans son témoignage, Piotr Oszczygiel a affirmé qu’il était employé au niveau CX-01 à l’EE depuis 2008. Il travaillait des heures supplémentaires à l’unité H le 25 août 2017 et était en train de rédiger un RODA quand il a reçu un appel à l’aide. Il a répondu et, à son arrivée, environ 20 membres du personnel se trouvaient déjà là. Le détenu se trouvait dans la salle de téléphones. Une fois qu’il a été menotté, M. Oszczygiel a suivi le CX Perry et le CX McNay, qui escortaient JB à l’A et L.

[18]  M. Oszczygiel a affirmé que le CX Perry et le CX McNay ont conduit JB aux douches afin de le soumettre à une fouille à nu et que le fonctionnaire était aussi présent. Le GC French bloquait la porte. Il ne pouvait pas voir ce qui s’était passé dans les douches, qui s’y trouvait ou où ils se trouvaient dans la salle. M. Oszczygiel est resté à l’extérieur, dans le couloir, et n’a rien vu d’autres que les mouvements des bras du fonctionnaire à quelques reprises. Il n’a vu aucun coup n’être donné. Il a entendu beaucoup de cris jusqu’à ce que M. Lapointe arrive et entre dans la salle des douches.

[19]  Selon M. Oszczygiel, M. Lapointe a calmé la situation et tout le monde a quitté les douches. Selon M. Oszczygiel, quand le CX Perry est passé à côté de lui, il lui a dit [traduction] « Il ne s’est rien passé ici ». En entendant cette phrase, M. Oszczygiel s’est senti intimidé, selon son témoignage. Il est retourné au bureau de l’unité et a rédigé son RODA. Il a affirmé qu’il n’arrivait pas à croire ce dont il venait d’être témoin, mais son RODA ne reflétait toutefois pas ce qu’il avait vu ou ce qui s’était passé en réalité. Il croyait que les choses iraient mal pour lui s’il écrivait ce qu’il avait vu et le remettait au GC en cause.

[20]  M. Oszczygiel a remis son RODA au GC French, qui s’occupait de la situation. Il avait peur d’être victime de représailles s’il disait la vérité, étant donné le commentaire de M. Perry et l’environnement à l’EE. Il craignait qu’on le traite de « traître » s’il disait quoi que ce soit, comme cela avait été le cas pour d’autres qui avaient fait des signalements à la direction. À l’exemple d’autres employés qui ont fait des signalements à la suite de la séance de discussion ouverte, M. Oszczygiel a approché M. Whalen, qui l’a accompagné afin de s’entretenir avec M. Lapointe. Après cet entretien, il a parlé aux enquêteurs et au service de police d’Edmonton (SPE). Il a affirmé que la version des événements indiquée dans le rapport de la commission d’enquête (pièce 1, onglet 10, à la page 10) relatait exactement ce qui s’était passé.

[21]  En septembre 2017, après les séances de discussion ouverte, M. Perry a convoqué M. Oszczygiel au bureau de l’unité afin de lui demander s’il avait parlé des événements survenus le 25 août à qui que ce soit. Dans son témoignage, M. Oszczygiel, a affirmé que cette question l’avait aussi effrayé. Il ne voulait pas qu’il lui arrive quoi que ce soit parce qu’il avait parlé à la direction, ce qu’il avait fait de son propre chef après les séances de discussion ouverte, après que M. McNay a eu un entretien. Il ne l’avait pas fait à cause de pressions exercées par le syndicat ou par la direction. Il ignorait qui d’autres avait signalé l’incident, mais, selon les rumeurs qui couraient, quelqu’un l’avait fait. Il avait peur de perdre son emploi s’il ne disait pas ce qu’il savait parce qu’il savait qu’il serait sans doute nommé.

[22]  Le détenu JB a affirmé avoir été transféré à l’EE, car son comportement s’était détérioré durant son incarcération à un autre pénitencier, l’Établissement de Bowden du SCC. En raison de ce transfert, ses biens ne lui avaient pas encore été tous acheminés. JB a mentionné que, compte tenu de ce fait, il était en possession d’articles empruntés à d’autres détenus, ce qui était interdit. Selon JB, le 25 août 2017, le CX Spilsbury lui a ordonné de quitter sa cellule afin qu’elle puisse être fouillée pour trouver des articles de contrebande ou des biens qui ne lui appartenaient pas. JB a indiqué avoir dit au CX Spilsbury d’aller [traduction] « se faire foutre », ce qui a donné lieu à un échange animé, à la suite duquel JB a été embarré dans la salle de téléphones.

[23]  Selon JB, M. Spilsbury a ordonné de le conduire à l’unité d’isolement. Il a été menotté et escorté à l’A et L afin de subir une fouille à nu par deux CX, le fonctionnaire et le GC French. Selon JB [traduction] « le GC French [l’]a étouffé pendant que [ses] mains étaient menottés dans [son] dos », ce qui, dans le langage courant, signifie qu’il a été étranglé au point de s’évanouir. Le fonctionnaire l’a ensuite frappé au ventre. Les CX l’ont ensuite allongé par terre et il a eu un répit du tabassage. Selon JB, ce n’est qu’une fois que le directeur Lapointe est arrivé sur les lieux et que ce dernier lui a demandé si tout allait bien que JB a été démenotté et retourné à son unité.

[24]  En contre-interrogatoire, le récit des événements fait par JB était différent de ce qu’il avait dit lors de son interrogatoire principal. Selon JB, le fonctionnaire et lui ont des antécédents; ils se sont rencontrés à plusieurs reprises au cours des 10 années d’incarcération de JB. JB a affirmé en contre-interrogatoire avoir été démenotté par le même agent qui l’avait menotté avant qu’il quitte l’unité et que cela s’était produit avant qu’il n’entre dans la douche. Le fonctionnaire ne l’avait pas frappé; il avait plutôt utilisé ses avant-bras pour le frapper au ventre. Le GC French ne se trouvait pas dans les douches dans cette version des événements. JB n’a pas signalé l’agression au directeur Lapointe au moment de son arrivée; il n’a pas signalé de blessure au personnel infirmier de l’EE, même s’il a affirmé avoir eu des ecchymoses et des douleurs au ventre et aux côtes pendant une semaine. Il n’a pas demandé d’obtenir de soins médicaux après le recours à la force. Il n’a pas déposé de plainte à l’égard du fonctionnaire ou du SCC en passant par les processus internes ou en intentant une poursuite civile.

[25]  M. Whalen était le président de la section locale du syndicat à l’EE durant la période en question. Il a participé à l’évaluation du milieu de travail, qui a donné au rapport de TLS. Il a affirmé qu’il avait fait tout ce que le commissaire et le sous-commissaire lui demandaient afin de créer un milieu de travail plus sécuritaire et plus positif à l’EE. Après la présentation du rapport de TLS, en mars 2017, qui faisait état de rumeurs d’agressions à l’égard de détenus et de membres du personnel, ainsi que de l’environnement de travail toxique à l’EE, l’employeur a commencé à se pencher sur des incidents précis. Selon M. Whalen, après les séances de discussion ouverte, de nombreuses personnes faisaient la file pour lui parler d’incidents après que le commissaire a mis en place la règle du « si vous voyez quelque chose, dites quelque chose ».

[26]  Selon son témoignage, M. Whalen triait les signalements et les transmettait au directeur Lapointe et au commissaire du SCC aux fins d’enquête. Il avait un nombre considérable d’entretiens à mener avec des CX en tant que représentant syndical, étant donné que l’employeur voulait limiter le nombre d’intervenants. Mike Inkpen, un autre membre du conseil exécutif du syndicat, et lui-même envoyaient des messages textes au commissaire afin d’organiser des réunions avec les membres.

[27]  Les séances de discussion ouverte étaient particulièrement importantes pour les employés de l’EE, étant donné que c’est le jour où elles ont eu lieu que les départs ont commencé. Après l’une de ces séances, cinq employés ont été escortés publiquement à l’extérieur de l’EE sans explication et ne sont jamais revenus. Selon les rumeurs qui circulaient, ils avaient été renvoyés à cause d’agressions qu’ils avaient commises. Toutefois, bon nombre de CX croyaient que si un CX ne signalait pas un incident, ils seraient ajoutés à ce groupe et escortés de l’EE sans jamais revenir.

[28]  Après une séance de discussion ouverte, M. Oszczygiel a approché M. Whalen dans un couloir et lui a dit qu’il avait peut-être été témoin d’un incident à l’A et L. Il a ensuite demandé à M. Whalen ce qu’il devrait faire à propos d’une agression survenue à l’A et L. M. Whalen lui a dit de parler à M. Lapointe, puis il a organisé une rencontre entre M. Oszczygiel et le commissaire. Plus tard, un membre de l’équipe d’intervention d’urgence a demandé à parler à M. Whalen. Il s’agissait de M. McNay. Il a indiqué à M. Whalen qu’il avait été témoin d’une agression à l’A et L. Il ne l’avait pas signalée et, à ce moment, il avait peur de perdre son emploi. M. Whalen a suivi le même processus que celui qu’il a suivi avec M. Oszczygiel et a organisé une réunion avec le commissaire.

[29]  M. Whalen travaille maintenant au Centre Pê Sâkâstêw, un pavillon de ressourcement en Alberta où il était GC intérimaire au moment de l’audience. Selon son témoignage, il ne pouvait plus continuer de travailler à l’EE étant donné le rôle qu’il avait joué dans les enquêtes ayant suivi les départs en 2017. Selon lui, 84 des témoins interrogés par le commissaire avaient demandé d’être transférés à d’autres établissements. De plus, M. Inkpen, un collègue du conseil exécutif du syndicat, et lui-même avaient organisé 90 % des entretiens des 84 témoins.

[30]  Selon M. Whalen, le fonctionnaire était bien aimé à l’EE. Il était connu comme une personne honnête et jouissait d’une bonne réputation. Il faisait avancer les dossiers grâce à un style direct qui, selon M. Whalen, était rafraîchissant. Son nom a été mentionné à quelques reprises au syndicat relativement à un incident à l’A et L où on avait eu recours à la force et à l’extraction de détenus des cellules par l’équipe d’intervention d’urgence dans l’unité A quand il était directeur adjoint des Opération par intérim. Le témoignage ne permettait pas de savoir clairement si ces incidents avaient été mentionnés par l’intermédiaire de la ligne de signalement ou dans le cadre des activités menées par M. Whalen en tant que président de la section locale du syndicat.

[31]  M. Whalen a rencontré le comité d’enquête à six ou sept reprises. Il était chargé d’assurer la liaison entre les CX et la direction, dans l’espoir de trouver des façons de rendre le milieu de travail à l’EE moins toxique. Il a nié avoir rencontré le CX Donnie Roussel afin de discuter du fonctionnaire. M. Whalen a également nié avoir dit à M. Roussel qu’il devait fournir de l’information contre le fonctionnaire, et ce, même s’il devait l’inventer. Selon M. Whalen, tous les entretiens qu’il a eus avec M. Roussel auraient porté sur des membres de son équipe, dont le fonctionnaire ne faisait pas partie. M. Whalen avait tenté d’organiser une rencontre entre le commissaire et M. Roussel par message texte (pièce 4, onglet 44), mais ce dernier n’a pas répondu et la réunion a été annulée.

[32]  M. Lapointe était directeur de l’EE à l’époque et est maintenant directeur général au Centre Pê Sâkâstêw, où M. Whalen travaille aussi en ce moment. C’est lui qui a signé l’ordre de convocation générique qui a lancé l’enquête disciplinaire. Il l’a éventuellement modifiée afin d’inclure les motifs ajoutés à l’encontre du fonctionnaire. L’enquête portait au départ sur des allégations selon lesquelles plusieurs employés avaient fait du harcèlement, et avaient commis des agressions sexuelles et des actes d’intimidation, comme l’indiquait le rapport de TLS. L’ordre a été modifié plus tard, une fois que les enquêtes initiales ont été lancées et que l’on a déterminé que les allégations étaient antérieures à la période visée au départ. La majorité des renseignements utilisés pour lancer les enquêtes avaient été fournis directement au commissaire, dont la présence sur place avait été assurée par M. Whalen. M. Lapointe était mis au courant des allégations au fur et à mesure qu’elles étaient présentées à la commission d’enquête (la « commission »).

[33]  Une grande quantité de renseignements sur le fonctionnaire ont été présentés directement au commissaire. Selon M. Lapointe, deux agents, MM. McNay et Oszczygiel, sont venus le voir directement, avec M. Whalen, et ont indiqué avoir vu le fonctionnaire agresser JB. M. Lapointe était bien au courant de l’incident parce qu’il y était. M. Oszczygiel avait été le premier à se présenter. Il a dit à M. Lapointe avoir été témoin de l’agression à l’encontre de JB et qu’il était prêt à rencontrer le commissaire et les enquêteurs afin de leur dire ce qu’il avait vu. M. McNay est entré en contact avec lui plus tard, après une séance de formation. M. Lapointe était certain de l’ordre dans laquelle les différents intervenants sont entrés en contact avec lui. C’est la seule façon dont il a participé à l’enquête. Il a quitté l’EE en novembre 2017.

[34]  M. Lapointe a indiqué dans son témoignage qu’il n’était pas au courant des allégations précises déposées contre le fonctionnaire. Il se souvenait de s’être rendu à l’A et L ce jour-là, car on lui avait dit que JB était transféré à l’unité d’isolement sans sa permission. JB aurait soi-disant eu un désaccord avec le CX Spilsbury à propos d’une radio dans sa cellule, ce qui avait mené à une fouille de la cellule, en plus de déclencher une réaction violente chez JB. Le CX Spilsbury a ordonné que JB soit conduit à l’unité d’isolement. Quand M. Lapointe a été mis au courant de cet ordre, il s’est rendu à l’A et L afin de dire aux personnes présentes qu’il n’autorisait pas ce transfert. Pendant les heures de travail, seul le directeur peut autoriser un transfert à l’unité d’isolement. Selon la culture établie à l’EE, le directeur autorisait ce genre de transfert après coup, mais M. Lapointe avait mis fin à cette pratique.

[35]  Quand M. Lapointe est entré à l’A et L, deux GC et un certain nombre de CX s’y trouvaient déjà. Le détenu était agité, mais hormis cela, tout était normal. M. Lapointe a parlé au détenu et a dit aux personnes qui se trouvaient sur les lieux de trouver une solution parce que le détenu ne serait pas transféré à la cellule d’isolement. Il a été décidé que le détenu retournerait à et que le CX Spilsbury et lui devrait régler la situation. M. Lapointe ignorait que les GC présents avaient déjà pris cette décision avant son arrivée. Ils ne lui en avaient pas parlé. Il ne s’est trouvé là que pendant une minute ou deux.

[36]  Il n’y avait aucune raison de parler au détenu à la suite de cette rencontre, selon M. Lapointe. Il n’y avait aucune indication évidente selon laquelle on avait eu recours à la force et personne, y compris le détenu, n’en avait fait état. Le détenu ne montrait aucun signe de contrôle physique qui aurait indiqué qu’il avait été victime d’une agression. Aucun rapport sur le recours à la force n’avait été rédigé et aucune aide médicale n’a été demandée.

[37]  M. Lapointe a indiqué dans son témoignage que le milieu de travail à l’EE posait des difficultés. Il entretenait de bonnes relations avec tous les membres du personnel, mais avait du mal à composer avec le syndicat. Les CX, leur syndicat et les GC étaient constamment en conflit. Il s’est employé à régler ce conflit et il faisait des progrès à cet égard quand la commission a commencé ses travaux. Un comité directeur avait été mis sur pied. Il y siégeait avec des représentants des différents syndicats à l’EE et le sous-commissaire adjoint afin d’instaurer un changement à l’EE. Le comité a recommandé des changements, notamment des changements à l’infrastructure, que l’employeur a apportés.

[38]  Denise D’Astous a témoigné en tant que représentante de la commission. Elle est employée de Presidia Services-conseils en sécurité, la société retenue par l’employeur pour l’aider à enquêter sur les allégations d’actes répréhensibles à l’EE qui avaient fait surface à la suite de l’évaluation du milieu de travail. Elle et Brian Weatherbee se sont joints à deux enquêteurs du SCC afin de former la commission. Ils se sont rencontrés pour la première fois à Ottawa (Ontario), le 20 septembre 2017, afin d’examiner les signalements d’actes répréhensibles que le commissaire avait reçus. On a remis à la commission l’ordre de convocation (pièce 1, onglet 5), qui a été modifié et auquel des éléments ont été ajoutés plus tard (pièce 1, onglet 7).

[39]  La commission avait le mandat d’enquêter sur les allégations d’agression physique et sexuelle, de harcèlement et de conduite inappropriée, comme l’intimidation des employés. Les CX à l’EE étaient visés par l’enquête. Les renseignements reçus par l’intermédiaire de la ligne de signalement que le commissaire avait mis sur pied après les séances de discussion ouvertes étaient transmis à la commission aux fins d’enquête.

[40]  Étant donné que la commission avait un mandat de nature disciplinaire, le SPE a participé à l’enquête dès le début. Les enquêteurs ont déterminé qu’ils n’interrogeraient pas les victimes, les témoins, les sujets et les personnes d’intérêt sans l’approbation de la Couronne et du SPE. Dans le cas du fonctionnaire, l’affaire a été portée à l’attention de la commission après que MM. Oszczygiel et McNay ont dit au commissaire avoir rédigé de faux RODA sur le même incident. La commission a entrepris d’enquêter sur deux allégations à l’encontre du fonctionnaire, selon lesquelles ce dernier avait consommé et distribué des stéroïdes à l’EE et il avait recouru à la force à l’égard de JB. Avant que l’enquête puisse s’amorcer, la commission devait d’abord obtenir la permission du SPE pour interroger les témoins.

[41]  Selon Mme D’Astous, il y a eu beaucoup de bavardage sur la consommation de stéroïdes par le fonctionnaire, mais aucun fait n’a été présenté. On a fait part à la commission de rumeurs et d‘hypothèses basées sur la taille et la carrure du fonctionnaire. Les enquêteurs ont conclu que les allégations étaient infondées. Le fonctionnaire prenait effectivement de la testostérone, mais il avait une ordonnance et l’avait présentée à la commission.

[42]  En ce qui concerne l’incident mettant en cause JB, les enquêteurs ont parlé à treize personnes, y compris le fonctionnaire et les deux agents qui ont signalé l’incident. Mme D’Astous a indiqué que pendant son entrevue, M. McNay avait dit aux enquêteurs qu’il voulait modifier son RODA parce qu’il avait peur de ce qui pourrait lui arriver étant donné qu’il en avait présenté un faux. Le premier RODA avait été rédigé selon la directive précise du GC French ou du fonctionnaire, M. McNay n’arrivait pas à se souvenir qui des deux lui avait donné l’ordre direct de ne pas signaler ce qui s’était produit à l’A et L, en particulier l’agression commise par le fonctionnaire à l’égard de JB. M. McNay a dit aux enquêteurs qu’il avait rédigé le RODA le plus exactement possible, en faisant abstraction de l’agression, comme on le lui avait ordonné.

[43]  Selon Mme D’Astous, M. Oszczygiel a dit aux enquêteurs qu’il était demeuré dans le couloir et qu’il n’était pas entré dans les douches. Il avait entendu le fonctionnaire crier, mais ne pouvait rien voir parce que le GC French lui bloquait la vue des douches. Le fonctionnaire a ordonné de démenotter JB et, par la suite, M. Oszczygiel a entendu le bruit des coups. M. Oszczygiel a dit aux enquêteurs qu’il n’avait rien dit à ce sujet dans son RODA à cause d’un avertissement que le CX Perry lui avait donné quand il quittait les douches, selon lequel son RODA ne devait pas faire mention de ce qui s’était produit.

[44]  D’autres CX qui se trouvaient dans le secteur de l’A et L ont indiqué qu’environ 10 CX ont escorté JB jusque-là. La GC Carmen Ings, une des CX interrogés à l’époque, a dit aux enquêteurs qu’elle avait entendu le fonctionnaire se vanter d’avoir battu un détenu à l’A et L. Le CX Lohrentz était en service à l’A et L ce jour-là et s’est souvenu que le GC French et le fonctionnaire avaient amené un détenu très résistant aux douches afin de le soumettre à une fouille à nu. Elle avait entendu dire que quelqu’un avait été frappé, mais elle n’a pas rédigé de RODA parce qu’au moins six autres CX ayant pris part à l’incident auraient dû le faire. Elle a indiqué aux enquêteurs avoir appelé la ligne de signalement pour faire part de l’incident.

[45]  Le CX Purtell travaillait aussi à l’A et L ce jour-là. Selon Mme D’Astous, il a dit aux enquêteurs que le GC French, le fonctionnaire et 10 CX sont entrés avec le détenu. Le CX Purtell a déclaré aux enquêteurs qu’il avait entendu une dispute, qu’il avait regardé dans le couloir, où il avait vu M. Oszczygiel, debout, et le regard fixé sur le plancher. Il a entendu le fonctionnaire dire au détenu de cesser de résister et a entendu des bruits de coups assenés à une personne. Une fois la situation terminée, le CX Purtell a parlé au fonctionnaire, qui lui a dit de parler au directeur Lapointe de ce qui s’était passé et de rédiger un RODA, ce que le CX Purtell n’a pas fait.

[46]  Les enquêteurs ont parlé au fonctionnaire à deux reprises : la première, deux membres de la commission l’ont rencontré, la deuxième, les quatre membres étaient présents. Il a décrit ce qui s’est passé le 25 août 2017. Il répondait à un appel à l’aide de l’unité H avec le GC French. À leur arrivée, JB était enfermé dans la salle de téléphones. Le fonctionnaire ne se souvenait plus qui avait décidé de conduire le détenu à l’A et L afin de le soumettre à une fouille à nu. Étant donné que le détenu ne respectait pas les directives, il a dû être menotté.

[47]  À son arrivée à l’A et L, le fonctionnaire a ordonné de démenotter JB. Le fonctionnaire a dit au détenu de se calmer, mais ce dernier n’a pas obtempéré. Après avoir démenotté une des mains du détenu, ce dernier a commencé à se débattre et a refusé de respecter les ordres qui auraient permis de lui retirer le deuxième bracelet des menottes. Le fonctionnaire lui a dit de changer d’attitude. Le fonctionnaire a avoué avoir haussé le ton et injurié le détenu. Il a avoué que sa conduite n’était pas professionnelle, mais a nié avoir frappé le détenu. Selon le fonctionnaire, M. French est parvenu à calmer le détenu. Quand le directeur Lapointe est arrivé, il avait été décidé de retourner le détenu dans sa cellule. Selon le témoignage livré par le fonctionnaire pendant les entrevues, le syndicat complotait contre lui. Il n’aimait pas son style de gestion direct.

[48]  M. French a corroboré la version des événements présentée par le fonctionnaire. Le fonctionnaire avait haussé le ton à l’égard du détenu, et le GC French est entré en jeu et a réussi à calmer la situation. Le GC French se trouvait avec le fonctionnaire pendant tout ce temps et le fonctionnaire n’a jamais frappé le détenu.

[49]  Selon Mme D’Astous, quand le CX Perry a été interrogé, il a d’abord indiqué ne pas se souvenir de l’incident. Après quelques questions incitatives, il s’est souvenu d’avoir escorté JB à l’A et L avec M. French et le fonctionnaire afin de soumettre JB à une fouille à nu. Le détenu était très agressif et il se débattait pendant que M. Perry lui a retiré un des bracelets des menottes et que le fonctionnaire tentait de retirer l’autre. Le fonctionnaire a ordonné au détenu de collaborer, mais celui-ci a continué de se débattre jusqu’à ce que le GC French intervienne et apaise la situation. Même s’il se débattait, le détenu n’a pas été frappé. Il a été retourné dans sa cellule après l’arrivée du directeur Lapointe.

[50]  Mme D’Astous a expliqué l’analyse menée par la commission pour arriver à ses conclusions. L’analyse se fondait sur les témoignages de quatre témoins indépendants, qui se sont exposés à un risque en se manifestant. La GC Ings a entendu le fonctionnaire se vanter d’avoir agi à l’abri des caméras, mais ce commentaire n’indiquait pas précisément quand ces gestes avaient été posés ou dans quel contexte ils l’avaient été. Aucune caméra n’avait été utilisée et les GC n’avaient pas rédigé de rapports sur le recours à la force ou de RODA, même si, pendant son entrevue, le fonctionnaire a insisté sur le fait qu’il en avait rédigé un, comme il le devait. Quand il a été question des coups, seulement un témoin indiquait les avoir véritablement vus, tandis que les deux autres ont indiqué les avoir entendus. Ces renseignements étaient suffisants pour permettre à la commission de conclure que les coups avaient été donnés, comme il en a été fait mention dans le signalement. Le fonctionnaire était reconnu pour être un GC très actif sur le terrain, selon les renseignements que Mme D’Astous avait reçus du GC MacPherson, tandis que d’autres GC à l’EE ne l’étaient pas. Ces derniers laissaient volontiers leurs collègues s’occuper des détenus. Ainsi, selon cette description du fonctionnaire faite par un collègue, la commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait fait ce qu’on lui reprochait.

[51]  Le fonctionnaire a affirmé avoir pris sa retraite des Forces armées canadiennes après 22 ans et s’être joint au SCC par la suite. Au moment de son licenciement, il travaillait à l’EE depuis 10 ans. Pendant ce temps, il avait participé aux programmes de gestion des talents et de mentorat. Il avait occupé les postes de CX-01, de CX-02, de GC, de GC, Opérations, de directeur adjoint des Opérations par intérim, et avait été membre de l’équipe d’intervention d’urgence pendant cinq ans, et, en tant que GC, commandant de l’équipe d’intervention d’urgence. À titre de GC et de directeur adjoint des Opérations par intérim, il avait participé à l’élaboration de politiques et de procédures à l’EE. Son dossier disciplinaire était vierge.

[52]  En août 2017, le GC French était le partenaire du fonctionnaire. Le 25 août, ils ont reçu un appel selon lequel un détenu menaçait le personnel à l’unité H. Étant donné que le GC French était le responsable ce jour-là, il devait répondre à l’appel; le fonctionnaire l’a accompagné. Quand ils sont arrivés, JB était enfermé dans la salle de téléphones pendant qu’environ 15 CX se trouvaient à l’extérieur de celle-ci. Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’il avait parlé à JB à travers la porte verrouillée, étant donné qu’il le connaissait depuis qu’il avait travaillé dans l’unité d’isolement, où JB avait été gardé. Selon le fonctionnaire, JB était extrêmement agressif. Il a dit au fonctionnaire d’aller [traduction] « se faire foutre » et a crié que quiconque se trouvait devant lui quand la porte s’ouvrirait allait [traduction] « y goûter ». La GC Mikalski, qui était aussi présente à l’unité, a dit au fonctionnaire et au GC French que JB allait être transféré à l’unité d’isolement. Elle s’en allait informer le directeur Lapointe à propos du transfert et obtenir son approbation au moment où ils sont arrivés.

[53]  Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage avoir dit à JB de faire face au mur. Chaque ordre donnait lieu à de nouvelles menaces de la part de JB; chaque ordre devait être répété. JB a fini par être menotté les bras en arrière du dos. M. French a demandé une caméra, mais aucune n’était libre, ce qui n’était pas rare à l’EE. À l’aide de M. Perry et M. McNay, le fonctionnaire et M. French ont escorté JB à l’A et L. Aucune caméra n’était permise dans les douches ou pendant une fouille à nu, par respect pour l’intimé des détenus.

[54]  Une fois dans la salle des douches, le fonctionnaire a ordonné à M. McNay de démenotter le détenu. Selon son témoignage, le fonctionnaire dirigeait et essayait de désamorcer la situation, mais JB résistait physiquement et était violent verbalement. Le fonctionnaire a avoué que, à un certain moment, il a crié après JB; c’est là que M. French est entré en jeu, a apaisé la situation et a convaincu JB de les écouter. JB a ensuite expliqué aux CM pourquoi il était aussi furieux. JB ne voulait pas être transféré à l’unité d’isolement, car, compte tenu de son comportement en établissement, cette mesure entraînerait son transfert vers un autre établissement, où sa famille ne pourrait pas lui rendre visite. Une fois que la situation s’est apaisée et que JB a expliqué pourquoi il était aussi fâché, le GC French et le fonctionnaire ont déterminé avec JB qu’il pouvait retourner à l’unité, où la situation serait réglée, si le personnel de l’unité était d’accord.

[55]  C’est à ce moment-là que le directeur Lapointe et la GC Mikalski sont arrivés, selon le fonctionnaire. JB a dit au directeur qu’il voulait retourner à l’unité. Le directeur a accepté le plan et a dit à JB qu’il retournerait dans son unité. Il a ensuite dit au GC French d’effectuer la fouille à nu et l’a félicité pour être parvenu à désamorcer la situation, puis il est parti. M. McNay a effectué la fouille. Il n’a pas été nécessaire de menotter JB pour le retourner à son unité.

[56]  À l’arrivée de JB à l’unité H, la situation a été réglée et il est retourné dans sa cellule. Tous les CX ont reçu la directive de rédiger des RODA, comme il s’agissait de la pratique du fonctionnaire dans toutes les situations, selon son témoignage. Des RODA devaient être rédigés quand un événement digne de mention s’était produit pendant le quart de travail de l’agent. Le GC French a dit au CX Spilsbury de rédiger un rapport sur le recours à la force à la lumière des événements entourant l’extraction de JB de la salle de téléphones. Le fonctionnaire a spécifiquement nié avoir dit à quiconque ce qui devait être inscrit dans le RODA, car une telle consigne contreviendrait à la politique qu’il était responsable de faire appliquer en tant que GC.

[57]  Le fonctionnaire est parti en vacances après l’incident du 25 août et n’est jamais retourné à l’EE. On l’a mis au courant de l’enquête sur l’incident à son retour de vacances, le 16 septembre 2017. Il était en congé de maladie quand on lui a présenté son avis d’enquête disciplinaire, car il avait reçu un diagnostic de trouble de stress post-traumatique (TSPT). Sa femme insistait pour qu’il demande de l’aide pour gérer sa maladie depuis juin 2017, mais les choses avaient atteint un point critique pendant qu’ils étaient en vacances.

[58]  Le fonctionnaire a commencé à remplir une demande d’indemnisation pour accident du travail à son retour de vacances en communiquant avec le directeur adjoint par intérim et il a par la suite reçu un courriel contenant l’ordre de convocation, le 22 septembre 2017 (pièce 3, onglet 12). Selon son témoignage, il ne se souvient pas de l’avoir reçu. Il était sous médication à ce moment-là. Quand il a lu la lettre, il n’arrivait pas à croire qu’on lui reprochait d’avoir agressé sexuellement un détenu et d’intimider les membres du personnel. Les détenus l’aimaient, selon son témoignage, et l’appelaient « Frenchie ».

[59]  Cette enquête a porté un dur coup au fonctionnaire. Elle a blessé son orgueil. Il avait pris sa retraite du Régiment aéroporté du Canada afin de se joindre au SCC. Il était extrêmement fier de son service auprès des Forces armées canadiennes et du SCC et n’aurait jamais fait quoi que ce soit pour embarrasser l’une ou l’autre de ces organisations.

[60]  Le processus d’enquête a été mené entièrement par courriel, hormis les deux entrevues. La première entrevue portait sur des allégations selon lesquelles il avait donné des stéroïdes aux membres du personnel. Selon son témoignage, cette rumeur était née après qu’il a affiché une photo de lui soulevant 600 livres au développé couché. Il a avoué aux enquêteurs qu’il prenait de la testostérone et leur a remis une copie de l’ordonnance.

[61]  Lors de la première entrevue, il n’a pas été question d’allégations liées à un événement concernant JB. Il croyait que l’affaire était close, jusqu’à ce qu’on communique de nouveau avec lui, deux semaines plus tard, pour une autre entrevue. Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage que la deuxième entrevue était un suivi de la première. Il était accompagné du CX-02 Luke Fournier la deuxième fois. Au moment de leur arrivée, on leur a dit que la discussion porterait sur un incident au cours duquel JB avait été agressé. Le fonctionnaire n’a jamais été interrogé par le SPE à propos de l’agression.

[62]  Le fonctionnaire a épuisé tous ses congés de maladie à la fin du mois d’octobre ou au début du mois de novembre. Par la suite, il a pris des congés de maladie non payé en attendant la fin de l’enquête. Selon lui, il croyait qu’il retournerait au travail une fois les enquêtes terminées. Il ignorait que les enquêtes étaient terminées jusqu’à ce que la directrice Blasko communique avec lui afin de fixer la date de son audience disciplinaire au 3 janvier 2018. Il a ensuite reçu une copie caviardée du rapport d’enquête disciplinaire, dont il ne pouvait pas confirmer l’exactitude parce que le rapport était caviardé en grande partie. Il a préparé une réponse au rapport au meilleur de ses capacités et l’a envoyée à Mme Blasko en vue de l’audience disciplinaire. Deux rencontres ont eu lieu avec Mme Blasko au début du mois de janvier 2018. Lors de la deuxième rencontre, elle a informé le fonctionnaire qu’il avait été licencié rétroactivement au 24 novembre 2017.

[63]  Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage que la culture à l’EE était divisée, toxique et très difficile à gérer. Le personnel était frustré et la direction était à court d’idées quant à la façon de gérer cet environnement toxique. Il existait deux factions connues au sein du personnel : la faction Spilsbury et la faction Whalen (aussi appelée la faction du syndicat). Par conséquent, selon le fonctionnaire, deux traitements différents étaient appliqués aux employés par la haute direction. La faction Spilsbury était principalement formée d’ex-militaires qui s’étaient joints à l’effectif du SCC, comme le fonctionnaire. Selon le fonctionnaire, comme bon nombre de ces employés avaient fait partie de son régiment, les membres de la faction Whalen croyaient qu’il appartenait à l’autre faction.

[64]  Selon le fonctionnaire, M. Whalen et lui ne voyaient pas les choses du même œil. Ils avaient les mêmes objectifs, mais il y avait toujours un certain point sur lequel il ne parvenait pas à s’entendre. Par exemple, il a indiqué que M. Whalen insistait pour que les fouilles de cellules soient prévues, afin de donner à ses membres des occasions de travailler des heures supplémentaires. Le fonctionnaire n’était pas d’accord avec le fait d’effectuer des fouilles seulement pour créer des possibilités d’heures supplémentaires, car cette pratique ferait en sorte que les détenus seraient enfermés sans raison légitime. Selon lui, M. Whalen et le conseil exécutif du syndicat était plus préoccupé par le revenu de ses membres que par le bien-être et les droits des détenus.

[65]  Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’on le respectait à l’EE parce qu’il était direct. Il avait appris ce style de leadership dans l’armée et l’avait mis en pratique au SCC. Il a nié avoir eu des conversations avec la GC Ings hormis celles requises pour se tenir au fait de la situation au moment de leur changement de quart. Il n’aurait jamais discuté du fait qu’il avait tabassé un détenu à l’A et L étant donné que cela ne s’est jamais produit au cours de sa carrière. Il a été très surpris par l’allégation selon laquelle il avait frappé JB, car ce dernier était le premier détenu avec qui le fonctionnaire avait eu des difficultés au cours de sa carrière. Au fil du temps, il était parvenu à forgé des liens avec JB. Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage qu’il avait même aidé JB à produire ses déclarations de revenus et d’autres documents pour le gouvernement.

[66]  M. French a affirmé que le fonctionnaire et lui ont répondu à un appel à l’unité H, où JB était agressif. À leur arrivée, la GC Mikalski les a informés que JB avait dû être transféré à l’unité d’isolement. Avant d’approcher JB, M. French a demandé aux agents qui se trouvaient dans le poste de commandement de lui fournir une caméra, et ceux-ci lui ont répondu qu’aucune caméra n’était libre. On a ensuite envoyé un agent en chercher une. Cet agent a disparu et n’est jamais revenu avec la caméra demandée.

[67]  M. French a corroboré que JB a été retiré de la salle de téléphones, comme le fonctionnaire l’a décrit, et que le fonctionnaire, le CX Perry et lui-même ont escorté JB à l’A et L. Il ne se souvenait pas que M. McNay ait été présent. Dans les douches, le fonctionnaire a ordonné de démenotter le détenu. Il essayait de parler plus fort que JB, qui était extrêmement agressif verbalement, proférait des menaces à l’égard du fonctionnaire et opposait une résistance physique si quelqu’un tentait de le démenotter, en vain. M. French se tenait dans le couloir et regardait dans la pièce. Il ne se souvenait pas que M. McNay se trouvait dans la pièce, mais se souvenait d’avoir vu le derrière de la tête d’une personne et il savait, à la lumière du rapport, qu’il s’agissait de M. McNay.

[68]  M. French a affirmé qu’il a ensuite placé JB contre le mur, lui a parlé seul à seul et a désamorcé la situation. Quand il a regardé par-dessus son épaule, il a vu le directeur Lapointe et la GC Mikalski approcher. M. French a demandé à JB s’il voulait retourner à l’unité, et celui-ci a répondu par l’affirmative. Le directeur a convenu qu’il était préférable que JB retourne à l’unité; M. French est donc parti appeler l’unité pour annoncer le retour de JB.

[69]  Le fonctionnaire et M. French ont ramené JB à l’unité, où il a rencontré le CX Spilsbury pendant quelques minutes dans la dépense. Les deux GC ont regardé JB et le CX Spilsbury à la caméra et, quand ils ont terminé, le détenu a été renvoyé dans sa cellule. Entretemps, les biens manquants, qui rendaient le détenu si fâché, avaient été récupérés et placés dans sa cellule. M. French a confirmé que le fonctionnaire avait ordonné à tous les employés qui avaient directement participé à l’incident de rédiger des RODA, comme il le faisait toujours après un incident du genre, avec son commentaire habituel [traduction] « des RODA partout ». M. French lisait attentivement les RODA, mais n’avaient aucun contrôle sur leur contenu. On a dit au CX Spilsbury de rédiger un rapport de recours à la force, ce qu’il n’ pas fait sur le champ, mais plus tard.

[70]  Selon M. French, le fonctionnaire et lui ont réglé une situation courante de façon immédiate. Il s’agissait d’une situation où « rien » ne devait être signalé. M. French n’a pas rédigé de RODA parce qu’il n’avait pas joué un rôle assez important ou direct dans la situation. Par ailleurs, il a indiqué dans son témoignage qu’à aucun moment il n’a vu le fonctionnaire ou personne d’autre frapper le détenu.

[71]  M. French a décrit que le personnel de l’EE, dont le travail devait être accompli dans un environnement où le stress était très élevé, était hostile à l’égard des membres des autres équipes et de la direction. Il comprenait que le détenu était fâché d’avoir du mal à obtenir ses affaires et sa nourriture. Le personnel de l’unité H ne faisait rien pour l’aider. L’EE était un endroit horrible où travailler, mais M. French était chanceux parce qu’il avait un bon partenaire. M. French a aussi indiqué qu’il a perdu son emploi de GC au SCC en janvier 2018, à cause du rôle qu’il avait joué dans cet incident et pour avoir tenu des propos injurieux et commis des actes de harcèlement sexuel, soit les mêmes allégations que celles formulées à l’encontre du fonctionnaire au moyen de la ligne de signalement.

[72]  MM. Spilsbury et Roussel ont témoigné au sujet de leur participation à l’enquête de la commission et du milieu de travail à l’EE. Selon M. Spilsbury, l’EE était un endroit très difficile où travailler et les deux groupes d’employés étaient constamment à couteaux tirés. Bon nombre des agents étaient fâchés contre les avantages que les membres du conseil exécutif du syndicat recevaient, comme des congés non autorisés ou spéciaux, ce qui imposait un fardeau inhabituel sur les autres afin de couvrir leurs quarts. Les agents étaient d’avis que les membres du conseil exécutif du syndicat auraient leur peau s’ils se plaignaient des activités du syndicat de quelle que façon que soit. M. Spilsbury, qui avait été membre du conseil exécutif du syndicat de 2004 à 2015, a indiqué dans son témoignage qu’il avait au départ tenté d’agir à titre de médiateur entre les deux factions, mais qu’il avait ensuite abandonné quand il a constaté qu’il ne pouvait pas calmer le jeu. M. Spilsbury a affirmé que le conseil exécutif du syndicat voulait que tous les GC qui n’étaient pas de son avis quittent l’EE, coûte que coûte.

[73]  En ce qui concerne l’incident, M. Spilsbury a témoigné au sujet de ce qui s’était produit lors de son dernier jour de travail à l’EE. Il a lui aussi été licencié en janvier 2018 à la suite du rapport de TLS et des enquêtes subséquentes. Il se souvenait que le détenu avait fait tout un spectacle ce jour-là et que JB avait été enfermé dans la salle de téléphones. Pendant qu’il s’y trouvait, le détenu frappait la vitre avec ses pieds et ses poings, tenait des propos injurieux et menaçait M. Spilsbury et un autre agent, le CX Ranta.

[74]  Selon M. Spilsbury, la situation s’est détériorée au point où il a dû appeler la GC Mikalski afin de lui demander de venir à l’unité. Le GC Pauley est venu avec elle et a ordonné de transférer le détenu à l’unité d’isolement. Le GC Pauley a ordonné à M. Spilsbury de menotter le détenu. Le CX Ranta et M. Spilsbury sont parvenus à menotter le détenu, qui opposait une résistance physique. Le détenu était ensuite prêt à être transféré à l’unité d’isolement. M. Spilsbury s’est souvenu que M. French avait demandé au CX Ranta d’aller chercher une caméra.

[75]  Plus tard ce jour-là, quand le détenu est retourné à l’unité, M. Spilsbury a discuté avec JB. Pendant leurs discussions, le détenu semblait bien et n’a pas fait part de blessures ou d’inquiétudes relativement aux événements survenus pendant qu’il se trouvait à l’A et L. Il se plaignait de ne pas avoir reçu ses effets personnels, même s’il ne se trouvait à l’EE que depuis cinq jours, mais il n’a rien dit à propos d’une agression ou d’un mauvais traitement dont il aurait été victime pendant qu’il se trouvait dans les douches ou à l’A et L.

[76]  M. Roussel a affirmé qu’il a été coordonnateur des griefs et délégué syndical de 2012 à 2015. Il a indiqué dans son témoignage qu’il avait travaillé avec le fonctionnaire pendant qu’il était CX et qu’il rendait compte à celui-ci, qui était devenu son GC.

[77]  M. Roussel a affirmé qu’il avait aussi fait partie de l’équipe d’intervention d’urgence avec le fonctionnaire. En août 2017, M. Whalen a appelé M. Roussel pour le convoquer à une réunion. Aux dires de M. Roussel, M. Whalen avait demandé lors de la réunion d’obtenir de l’information sur le personnel de l’unité G/H et sur le fonctionnaire en particulier. M. Whalen voulait transmettre cette information au commissaire et à la commission. Quand M. Roussel a demandé à M. Whalen ce qu’il voulait, ce dernier lui a dit [traduction] « Tout, même si vous devez l’inventer », selon son témoignage. M. Roussel a dit à M. Whalen qu’il n’avait aucune information sur une activité illégale quelconque et il a refusé de collaborer avec le syndicat. On lui a répondu que s’il refusait de fournir l’information, il serait licencié.

[78]  M. Whalen a dit à M. Roussel que [traduction] « [n]ous [le syndicat] vous lançons une bouée de sauvetage ». À ce moment-là, selon M. Roussel, il a donné son numéro de téléphone à M. Whalen et a accepté de participer à une réunion secrète que M. Whalen organiserait avec le commissaire. Selon son témoignage, il aurait accepté n’importe quoi à ce moment-là, simplement pour sortir de la pièce. M. Whalen a par la suite envoyé un message texte à M. Roussel afin de confirmer l’heure et le lieu de la réunion secrète, ainsi que sa présence (pièce 4, onglet 44). M. Roussel n’a pas répondu au message texte et n’a pas participé à la réunion. Dans le cadre de l’enquête, M. Roussel a confirmé les souvenirs du fonctionnaire sur les événements survenus le jour en question. Par conséquent, il a indiqué que ses pairs lui ont délibérément caché qu’il avait reçu un appel d’urgence pendant qu’il était en service à l’EE. M. Roussel n’est plus employé à l’EE; on lui a donné le choix de remettre sa démission plutôt que d’être licencié.

[79]  Mme Blasko, directrice de l’EE à l’époque, a déterminé que le fonctionnaire devait être licencié. Elle était censée rester en poste à l’EE de novembre 2017 à février 2018 seulement, mais elle est finalement restée plus longtemps, à la demande du commissaire. À son arrivée, plusieurs employés de longue date, y compris le fonctionnaire, avaient été suspendus. Mme Blasko a rencontré le fonctionnaire pour la première fois à l’audience disciplinaire. Toutefois, le commissaire et les Relations de travail lui avaient parlé du fonctionnaire avant qu’elle assume le rôle de directrice.

[80]  Mme Blasko était au courant du contenu du rapport de TLS et avait participé, avec le syndicat, à des réunions présidées par le sous-commissaire adjoint des Opérations afin de discuter des améliorations à apporter avant de devenir directrice de l’EE. Selon elle, le fonctionnaire avait été suspendu à cause du rapport de TLS et la mesure disciplinaire imposée découlait du rapport du comité d’enquête présenté par M. Weatherbee.

[81]  Mme Blasko a affirmé que, à titre de directrice, elle avait reçu le rapport de la commission, l’avait examiné, avait suggéré des modifications à y apporter, puis a accepté les conclusions du rapport. Par la suite, elle l’a transmis aux Relations de travail et a lancé la procédure disciplinaire à l’encontre du fonctionnaire. Elle s’est assurée qu’il avait reçu une copie approuvée du rapport avec son avis d’audience disciplinaire. L’audience devait se dérouler le 5 janvier 2018.

[82]  Le fonctionnaire a présenté une contestation écrite, dans laquelle il niait tous les événements décrits dans le rapport. Mme Blasko a affirmé qu’elle avait examiné sa contestation dans le cadre de son processus décisionnel. Elle ne lui a pas posé de questions à ce sujet pendant l’audience disciplinaire. Elle s’est fondée sur l’information dont elle disposait, ainsi que sur le rapport d’enquête, la contestation et les renseignements recueillis lors de l’audience disciplinaire pour déterminer, en consultation avec les Relations de travail, que le licenciement était approprié. Selon son témoignage, elle a envisagé une rétrogradation, un transfert à un établissement différent et des sanctions moins graves, mais elle a conclu que ces options n’étaient pas justifiées, parce que le fonctionnaire n’assumait pas la responsabilité de ses actes. Selon son témoignage et son opinion, rien de moins qu’un licenciement ne pouvait corriger le comportement répréhensible que le fonctionnaire avait eu. Elle avait devant elle des preuves de plusieurs manquements graves aux politiques de l’employeur, que le fonctionnaire avait nié.

[83]  Selon Mme Blasko, le fonctionnaire ne pouvait pas être un bon modèle pour les détenus et n’incarnait pas les valeurs et l’éthique du SCC. À titre de GC, il devait faire preuve de leadership et être un modèle pour ce qui est de la gestion des situations difficiles. Or, il avait mis des CX dans une situation délicate, car il avait approuvé leur RODA, dans lequel ils signalaient sa participation à l’agression d’un détenu. Étant donné la situation difficile à l’EE, il aurait dû être un modèle à suivre. Il a contribué au milieu de travail toxique à l’EE. Le lien de confiance avec lui avait été rompu.

[84]  Mme Blasko a affirmé qu’à l’époque, elle savait qu’elle n’occuperait le poste de directrice de l’EE que pendant une courte période de temps. Elle n’avait jamais rencontré le fonctionnaire avant, mais avait entendu des choses à son sujet et avait été informée des allégations déposées à son encontre avant d’occuper le poste à l’EE. Elle avait été affectée à l’EE entre autres pour gérer les processus disciplinaires découlant de l’enquête menée par la commission. Elle savait aussi que le milieu de travail là-bas était toxique et qu’elle était là pour gérer cette situation. Il fallait montrer au personnel de l’EE que la direction du SCC prenait le rapport de TLS au sérieux. Elle était au courant que la commission avait enquêté sur plusieurs employés. Elle savait que l’employeur entendait s’occuper des dossiers avec sérieux et montrer aux employés toujours en poste à l’EE que le genre de comportement décrit dans le rapport de TLS ne serait pas toléré.

[85]  Elle ne se souvenait pas que le fonctionnaire ait présenté quelque élément de valeur lors de l’audience disciplinaire. Elle ne se souvenait pas qu’il avait offert d’imprimer le RODA qu’il avait rédigé le jour en question, selon ce qu’il alléguait. Elle n’a pas examiné les notes sur l’audience disciplinaire avant de prendre sa décision de le licencier. Les mesures disciplinaires doivent être prises rapidement, et c’est ce qu’elle a fait. L’audience disciplinaire a eu lieu le 5 janvier 2018 et elle a pris sa décision le lendemain.

[86]  En novembre 2017, afin de se préparer à assumer le rôle de directrice de l’EE, Mme Blasko a demandé d’obtenir les examens de rendement du fonctionnaire et ses dossiers disciplinaires. Elle les a examinés. Quand elle a déterminé qu’il devait être licencié, elle était au courant qu’il était un employé de longue date dont le dossier d’emploi était vierge et qui avait occupé des postes de haute direction par intérim, notamment à titre de directeur adjoint des Opérations. Elle n’a accordé aucun crédit à ces documents, car d’après elle, tout élément négatif consigné dans ces documents devait avoir trait à un problème très grave. Elle ne croyait pas qu’ils reflétaient avec exactitude le rendement du fonctionnaire ou son dossier disciplinaire.

[87]  À la lumière des conclusions indiquées dans le rapport d’enquête et de ce qu’elle avait entendu à la réunion disciplinaire, Mme Blasko avait conclu que le licenciement était approprié. Dans sa lettre de licenciement datée du 8 janvier 2018, Mme Blasko renvoie à l’enquête qui a eu lieu à la suite de l’ordre de convocation présenté le 27 octobre 2017 afin d’enquêter sur les allégations de conduite inappropriée à l’EE. Elle a décrit l’inconduite du fonctionnaire de la manière suivante :

[Traduction]

Dans l’enquête susmentionnée, il a été conclu que vous aviez commis les actes d’inconduite suivants : (i) vous vous êtes conduit de manière inappropriée à l’égard d’un détenu à l’Établissement d’Edmonton; (ii) vous avez enfreint les politiques, procédures et directives de l’employeur, ainsi que lois connexes, en particulier, vous avez agressé le détenu [JB] dans la douche de l’aire d’admission et de libération à l’Établissement d’Edmonton le 25 août 2017. De plus, il a été prouvé que vous n’avez pas signalé cet incident.

Lors de votre entrevue aux fins de l’enquête et de votre audience disciplinaire, vous avez avoué ne pas avoir déclaré cet incident; vous avez toutefois nié avoir agressé le détenu. Par ailleurs, lors de l’audience disciplinaire, vous n’avez pas mentionné le rôle que vous avez joué et vous n’avez manifesté aucun remords à l’égard de l’inconduite susmentionnée. Après avoir examiné attentivement les faits dans cette affaire, y compris vos commentaires, je suis d’accord avec les conclusions de l’enquête.

À la suite de ce processus, j’ai conclu que les gestes que vous avez posés ont enfreint les Règles 1 – Responsabilité dans l’exécution des tâches, 2 – Conduite et apparence, 3 – Relations avec les autres employés, et 4 – Relations avec les délinquants des Règles de conduite professionnelles et du Code de discipline, la Directive du commissaire (DC) 001, Cadre de la mission, des valeurs et de l’éthique du Service correctionnel du Canada, la DC 060 – Code de discipline, la DC 567 – Gestion des incidents, et la DC 568 – Gestion de l’information et des renseignements de sécurité.

Afin de déterminer une mesure disciplinaire appropriée, j’ai pris en considération tous les facteurs atténuants et aggravants, y compris vos années de service, votre dossier d’emploi et vos déclarations personnelles. J’ai longuement réfléchi aux commentaires que vous avez formulés lors de votre audience disciplinaire et à la contestation du rapport d’enquête que vous avez présentée. Toutefois, je ne crois pas que cela vous décharge entièrement de votre culpabilité, étant donné la gravité de vos actes. Votre inconduite comportait des actes prémédités qui contreviennent aux politiques et aux normes de conduite fondamentales du SCC et de la fonction publique. À la lumière de ce qui précède, et vu la gravité de votre inconduite, j’ai conclu que le lien de confiance essentiel à votre emploi dans la fonction publique du Canada a été irrémédiablement rompu.

 

[88]   À la lumière de ces conclusions, le fonctionnaire a été licencié rétroactivement au 24 novembre 2017.

III.  Résumé de l’argumentation

A.  Pour l’employeur

[89]  Le rôle de l’arbitre de grief dans une affaire disciplinaire est établi comme suit dans Wm. Scott & Company Ltd. c. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1977] 1 CLRBR 1 (l’« analyse William Scott ») :

[…]

Pour trancher des questions portant sur des mesures disciplinaires, on examine habituellement les trois critères suivants : (1) L’employé a-t-il donné un motif raisonnable pour une forme de mesure disciplinaire de la part de l’employeur (c’est-à-dire, y a-t-il eu une inconduite de la part du fonctionnaire)? (2) Le cas échéant, la mesure disciplinaire que l’employeur a imposée était-elle une sanction excessive dans les circonstances? (3) Si elle était excessive, quelle autre mesure, qui serait juste et équitable, devrait-elle y être substituée dans les circonstances?

[…]

 

[90]  Le fonctionnaire a indiqué que l’incident ne s’est pas produit et qu’il est victime d’une conspiration entre le syndicat et la direction de l’EE. Des doutes existent à l’égard des éléments de preuve. Le contexte est très important en l’espèce. En raison de la nature des emplois correctionnels, les CX et les GC sont assujettis à une norme plus élevée que la plupart des fonctionnaires. En tant qu’agents de la paix, ils devraient agir dans le respect de la loi. En tant que gestionnaire, le fonctionnaire était tenu de prêcher par l’exemple. Dans tous les cas, il a échoué.

[91]  Pour que l’arbitre de grief puisse croire le témoignage, il doit apprécier la crédibilité des témoins (voir Stene c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 36, et Faryna c. Chorney, [1952] 2 D.L.R. 354). MM. McNay, Oszczygiel et le détenu en cause ont tous été témoins de l’incident et ont tous présenté un témoignage. M. Whalen a mis en contexte le milieu de travail à ce moment-là. M. McNay n’a tiré aucun avantage au fait de s’être manifesté; il s’est attiré des ennuis parce qu’il n’avait pas rédigé un RODA honnête. M. Oszczygiel n’a pas vu l’incident, mais il a bel et bien vu du mouvement dans les douches. Il s’est manifesté, ce qui lui a valu d’être considéré comme un traître. Pourquoi le détenu aurait-il menti? Il n’avait rien à gagner. Il avait purgé sa peine et était passé à autre chose. M. Lapointe était bien au courant de l’incident. Il a ordonné de renvoyer le détenu dans sa cellule.

[92]  Le fonctionnaire était un agent chevronné, qui savait que le transfert sous escorte d’un détenu vers l’unité d’isolement devait être filmé. Pourquoi n’avait-il pas de caméra? Il a indiqué dans son témoignage que M. French a demandé d’en obtenir une, mais que le CX qui est parti la chercher n’est jamais revenu. Il a aussi affirmé qu’il aurait dû attendre et qu’il avait le temps d’attendre, car il n’y avait pas d’urgence étant donné que le détenu était enfermé dans la salle de téléphones. Comme la scène n’a pas été filmée, il n’y a aucune certitude quant aux éléments de preuve. Le fonctionnaire est responsable de cette incertitude.

[93]  Les douches sont l’endroit parfait pour agresser un détenu. Le fonctionnaire savait qu’il n’y avait aucune caméra à cet endroit. Il s’agissait de l’occasion parfaite et il en a profité, ce qui permet de tirer certaines conclusions. La crédibilité de ses témoins doit être examinée. Comme le cas de M. Spilsbury et celui de M. French sont liés à l’issue de l’affaire en l’espèce, ceux-ci ont tout intérêt à ce que leur témoignage soit favorable au fonctionnaire. Selon le rapport de TLS, M. Spilsbury était l’un des éléments toxiques à l’EE.

[94]  Si la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (CRTESPF) conclut que personne n’est crédible, des questions subsistent quant au lien de confiance, notamment l’absence de caméra, que le fonctionnaire aurait dû avoir, comme il l’a avoué à Mme Blasko. En outre, il n’a pas rédigé de RODA. Il n’a jamais assumé la responsabilité de ses actes, y compris à l’audience. Il n’a pas exercé un leadership approprié ce soir-là et son leadership a contribué au milieu de travail toxique dont il se plaignait.

[95]  Les gestes qu’il a posés vont à l’encontre des fondements de la mission du SCC, soit de protéger les détenus et de leur donner des modèles positifs. Bon nombre des décisions prises ce soir-là ont exposé l’EE, les agents et le détenu à un risque. Dès le moment où il est arrivé dans l’unité, le fonctionnaire a pris la situation en main. Il doit répondre de ses actes.

[96]  Les employés du SCC sont assujettis à une norme plus élevée et la seule existence d’un doute sérieux quant à l’intégrité d’un employé dans le milieu carcéral est suffisante pour ne pas réintégrer un employé tant la confiance est un facteur important lorsque la vie et la sécurité des individus sont en danger (voir Simoneau c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel), 2003 CRTFP 57, au par. 62). L’employeur doit être convaincu que les agents agiront correctement.

[97]  Tout abus de confiance du fonctionnaire nuit au service correctionnel et a des répercussions négatives sur la capacité de l’employeur de fonctionner. Il est bien connu en droit que la confiance et l’honnêteté sont les bases d’une relation employeur-employé solide, surtout lorsque l’employé occupe un poste de confiance. Les CX sont garants de l’intégrité et de la protection des lois du Canada, de l’établissement correctionnel, des détenus et du personnel (voir McKenzie c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 26, aux paragraphes 79 à 81).

[98]  Le fonctionnaire était un agent de la paix et devait agir dans le respect de la loi et des politiques de l’employeur. Il devait servir de modèle aux détenus pour les aider à se réinsérer dans la société. Par ses actions, il a perdu la confiance de l’employeur, qui le considère comme une menace pour la sécurité de l’établissement. Le recours à la force n’était pas justifié ce jour-là. La vulnérabilité des détenus sous la responsabilité du fonctionnaire l’emporte sur tout facteur atténuant. Son absence de remords et son refus d’assumer la responsabilité montrent son incapacité à se réadapter (voir Richer c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 10; Roberts c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 28; Shaw c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2019 CRTESPF 101).

[99]  Comme il est indiqué dans Walker c. Administrateur général (ministère de l’Environnement et du Changement climatique), 2018 CRTESPF 78, aux paragraphes 627, 630 et 631, toute mesure disciplinaire imposée par l’employeur contre un employé doit être justifiée dans les circonstances, doit tenir compte de tous les facteurs aggravants et atténuants et doit être raisonnable. Une sanction raisonnable n’est pas excessive. En l’espèce, l’employeur s’est acquitté de ses obligations et a imposé une sanction raisonnable, qu’il n’y a pas lieu de modifier.

[100]  Ce processus de novo a remédié à toute question d’équité procédurale. Les questions liées à la crédibilité sont tranchées au moyen du critère énoncé dans Faryna. Il faut examiner la cohérence de la preuve à la lumière des probabilités se rapportant aux conditions existantes. La véracité de ce que raconte un témoin réside dans la compatibilité de ses dires avec la prépondérance des probabilités qu’une personne éclairée et douée de sens pratique peut d’emblée reconnaître comme raisonnable dans telle situation et telles circonstances (voir Stene, au par. 191).

[101]  Dans Rose c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 17, où il est question du recours à la force, le licenciement du fonctionnaire a été annulé et a été remplacé par une suspension d’un an. Dans cette affaire, contrairement à celle qui nous occupe, le fonctionnaire a reconnu qu’un événement qui ne devait pas se produire avait eu lieu. Ses gestes étaient fondamentalement opposés à ceux que l’on peut poser dans un rôle de GC, pour lequel un lien de confiance est nécessaire. Sa conduite malhonnête a donné lieu à une perte de confiance de l’employeur, ce qui touche au cœur même de la relation employeur-employé et de l’intégrité du système correctionnel. Son licenciement était la seule solution qui convenait.

B.  Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[102]  Le contexte est essentiel dans la présente affaire. Le rapport de TLS fait état d’un environnement d’intimidation et de harcèlement à l’EE. Par conséquent, l’employeur s’est lancé dans une série d’enquêtes fondées sur des mandats génériques et vagues afin de se pencher sur la conduite de certains de ses employés, y compris le fonctionnaire. Dans ce contexte, Mme Blasko s’est rendue à l’EE afin de gérer les mesures disciplinaires à prendre à l’encontre du fonctionnaire et d’autres employés.

[103]  À la suite du rapport de TLS, qui a découvert que l’intimidation et le harcèlement étaient répandus à l’EE, M. Lapointe a confié des mandats génériques à la commission afin qu’elle enquête sur certaines personnes déjà désignées, y compris le fonctionnaire. Les enquêteurs ont rencontré différents témoins, ont rédigé leur rapport et l’ont envoyé à Mme Blasko. Elle a examiné la version provisoire, a formulé des commentaires et leur a renvoyé afin qu’ils l’achèvent. À la lumière de ce rapport, elle a déterminé que le fonctionnaire devait être licencié.

[104]  Les témoins interrogés par le comité d’enquête ont comparu à l’audience. M. McNay a affirmé que lui et d’autres membres du personnel étaient entrés dans l’unité et avaient menotté le détenu. M. Perry et lui ont ensuite escorté le détenu à l’A et L. Il n’a pas mentionné que le fonctionnaire avait frappé de trois à cinq fois le détenu à l’abdomen ou qu’il avait retiré l’un des bracelets des menottes. Il s’est souvenu que le détenu était agité et que des cris avaient été entendus. Il ne se souvenait pas non plus de l’identité du GC qui lui avait ordonné de ne pas consigner certains événements dans son RODA.

[105]  Le détenu a affirmé avoir dit au directeur Lapointe que tout allait bien et il n’a jamais mentionné avoir été agressé, et ce, même s’il soutenait qu’un GC l’avait étranglé jusqu’à ce qu’il perde connaissance et que le fonctionnaire l’avait frappé à répétition. Il a affirmé qu’il a été démenotté après avoir été frappé et qu’il avait des ecchymoses sur le ventre. Toutefois, il n’a jamais demandé d’obtenir des soins médicaux, comme l’exige la politique du SCC dans les incidents de recours à la force. M. Lapointe a indiqué dans son témoignage qu’il ne se passait rien d’extraordinaire à son arrivée. Il n’y avait pas d’agression, aucune consultation pour obtenir des soins santé n’était nécessaire et aucun recours à la force n’avait eu lieu. M. Oszczygiel a affirmé qu’il n’avait rien entendu pendant qu’il se tenait dans le couloir, mais qu’il avait vu les bras du fonctionnaire s’agiter. Il a ensuite dit que sa vision était obstruée par M. French, qui se tenait dans l’embrasure de la porte.

[106]  On peut oublier le témoignage de Mme D’Astous. Comme il s’agissait d’une audience de novo, le témoignage de l’enquêteur n’est pas pertinent. Elle n’a pas participé au processus d’enquête en entier. Elle a affirmé que l’enquête avait un mandat de nature majoritairement disciplinaire et que de nombreuses discussions avaient eu lieu avec les instances supérieures au SCC et au SPE sur le mandat et sur les attentes à l’égard du SPE. Comme les enquêteurs devaient choisir soigneusement avec qui ils s’entretenaient, parce que le SPE enquêtait aussi sur des personnes que la commission avait désignées, les entrevues ne suivaient pas nécessairement un ordre particulier. Elles devaient être menées par étape. En tout, les enquêteurs ont interrogé 13 personnes au sujet du fonctionnaire.

[107]  Selon Mme D’Astous, on a accordé une grande importance aux témoignages d’opinion, comme celui de Mme MacPherson, qui avait dit à l’enquêteur que, selon elle, le fonctionnaire avait été mêlé à un grand nombre d’incidents de recours à la force, et qu’en tant que GC, il devrait gérer la situation plutôt que participer directement à l’intervention en cas d’incident. Ces énoncés ont revêtu une importance considérable dans les considérations du comité. On a accordé la même importance au commentaire de Mme Ings selon lequel elle avait entendu le fonctionnaire se vanter d’avoir frappé un détenu à l’A et L, ainsi qu’au témoignage de Mme Lohrentz selon lequel elle avait entendu des bruits de coups en provenance de la salle de fouille à nu. Ces deux commentaires, qui n’indiquaient aucune date et aucun lieu, ne pouvaient pas être associés à l’événement pour lequel le fonctionnaire faisait l’objet d’une enquête.

[108]  Le fonctionnaire a indiqué dans son témoignage que le GC French était le responsable désigné le soir en question et qu’il avait répondu à l’appel de l’unité G/H en tant que partenaire de M. French. Il était l’un des GC qui avaient participé au transfert du détenu à l’unité d’isolement. La GC Mikalski a décidé de le transférer à l’unité d’isolement sans obtenir l’approbation du directeur au préalable, comme c’était la pratique à l’EE. Le fonctionnaire a avoué qu’il savait qu’il fallait obtenir l’approbation du directeur, conformément à la politique, et qu’une caméra était requise pour filmer le transfert. Selon le fonctionnaire et d’autres témoins, les caméras étaient rarement libres à l’EE.

[109]  Le fonctionnaire a avoué avoir eu une altercation verbale avec le détenu dans les douches, mais a nié toute altercation physique. Il était convaincu d’avoir rédigé un RODA. Le témoignage de M. French était conforme à celui du fonctionnaire et aux RODA rédigés ce soir-là. Il y a des contradictions dans les éléments de preuve et dans le rapport d’enquête.

[110]  Le processus d’enquête en entier soulève des inquiétudes en ce qui concerne l’équité procédurale. Si un processus d’enquête est inéquitable sur le plan procédural, une audience de novo doit permettre d’établir les motifs pour l’imposition d’une mesure disciplinaire. Mme D’Astous a affirmé qu’elle était frustrée par le processus d’enquête. Elle ne pouvait pas interroger des témoins à cause du SPE et de la Gendarmerie royale du Canada.

[111]  Les facteurs atténuants n’ont pas été pris en considération. Rien n’indique de quelle façon les éléments ont été pondérés, notamment la durée de service du fonctionnaire, sa réputation, son dossier disciplinaire vierge et ses excellents examens de rendement, entre autres. Mme Blasko s’est montrée très peu disposée à prendre en considération tout élément de preuve qui allait à l’encontre du rapport d’enquête. Elle est arrivée à l’EE avec un objectif précis, dont elle n’était pas prête à s’écarter.

[112]  L’employeur a le fardeau de prouver que la conduite du fonctionnaire justifiait l’imposition d’une mesure disciplinaire, selon la prépondérance de la preuve (voir Pelletier c. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 117). Un décideur peut tirer une conclusion défavorable du fait que l’employeur a omis de communiquer des documents, comme les notes de Mme Blasko. Les conclusions défavorables se fondent sur la logique et le bon sens, à savoir que les éléments de preuve qu’une partie possède et choisit de ne pas présenter ne sont sûrement pas favorables à celle-ci (voir Ma c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 509; Stassis c. Amicus Bank, 2014 NLCA 38).

[113]  En l’espèce, l’employeur n’a pas déposé en preuve les notes de Mme Blasko, les enregistrements des entrevues menées par le comité d’enquête, les notes du comité remises à l’employeur et plusieurs autres documents. On peut logiquement conclure qu’ils n’appuient pas le licenciement du fonctionnaire par l’employeur.

[114]  Le fonctionnaire soutient que l’employeur n’a pas agi de manière équitable dans l’enquête qu’il a menée à son égard et, par conséquent, qu’il porte atteinte à son droit à l’équité procédurale. Le rapport sur lequel Mme Blasko s’est fondée était partial, ou il fait à tout le moins naître une crainte raisonnable de partialité. Dans l’évaluation des facteurs indiqués dans Wm. Scott, le fonctionnaire soutient que l’employeur n’a pas prouvé qu’il y avait eu inconduite de sa part, que la mesure disciplinaire imposée était excessive et qu’une courte suspension aurait été appropriée, si une mesure disciplinaire devait être imposée.

[115]  L’audience d’arbitrage est une audience de novo qui permet de remédier à toute erreur procédurale rencontrée dans le processus d’enquête. À cette audience, l’employeur est tenu de s’acquitter de son fardeau de la preuve et d’établir les faits sur lesquels la mesure disciplinaire se fondait au départ, ce qui se révèle encore plus crucial quand l’enquête et le rapport sont viciés et partiaux (voir Legere et Derksen c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 65; Tipple c. Sa Majesté la Reine (Conseil du Trésor), [1985] ACF no 818 (CA) (QL)).

[116]  Un arbitre de grief devrait réduire une sanction disciplinaire quand celle-ci était manifestement déraisonnable ou erronée (voir Cooper c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 119, aux paragraphes 13 et 14). Dans Pelletier, on a ordonné la réintégration du fonctionnaire à son poste à la date de la suspension (même si l’arbitre de grief n’était pas saisi de la suspension, car le licenciement était rétroactif à la date de la suspension) et on a ordonné à l’employeur de rembourser au fonctionnaire son salaire, ses avantages sociaux et toute perte de pension, sous réserve des déductions habituelles. De même, dans Legere, le fonctionnaire a réintégré son poste, en plus d’être rémunéré pour toutes ses primes de quart et de fin de semaine, ses heures supplémentaires et ses augmentations salariales.

[117]  La Cour suprême du Canada a établi que la rémunération tenant lieu de réintégration devrait se produire uniquement si les conclusions du conseil d’arbitrage permettent de douter de la viabilité de la relation employeur-employé. Au moment de prendre cette décision, l’arbitre de grief a le pouvoir de prendre en considération l’ensemble des circonstances pertinentes afin de trouver une solution durable et définitive au litige (voir Gill c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2019 CRTESPF 102, au par. 143; Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, 2004 CSC 28).

[118]  Un arbitre de grief a le pouvoir d’accorder une indemnisation tenant lieu de réintégration dans les circonstances appropriées. La réintégration n’est pas un droit, même après qu’une conclusion de congédiement injustifié a été tirée (voir Gill, au par. 143; Lâm c. Administrateur général (Agence de la santé publique du Canada), 2011 CRTFP 137; Bahniuk c. Agence du revenu du Canada, 2014 CRTFP 73 (infirmé dans 2016 CAF 127)).

[119]  Le critère le plus communément accepté pour déterminer si la relation d’emploi a été minée ou s’est détériorée jusqu’au point de devenir insoutenable a été établi dans DeHavilland Inc. v. CAW Canada, Local 112 (1999), 83 L.A.C. (4e) 157. Les facteurs à prendre en considération sont la disposition des collègues à travailler avec le fonctionnaire, l’absence de confiance entre le fonctionnaire et l’employeur, l’incapacité du fonctionnaire à assumer la responsabilité de tout acte répréhensible, ou son refus de le faire, le comportement et l’attitude du fonctionnaire à l’audience, l’animosité du fonctionnaire à l’égard de la direction ou de ses collègues, et le risque d’empoisonnement du milieu de travail si l’employé y retourne.

[120]  En l’espèce, l’employeur n’a présenté aucun élément de preuve objectif pour l’un ou l’autre de ces facteurs. Les employés qui ont témoigné ont indiqué qu’ils pouvaient travailler avec le fonctionnaire. Étant donné que Mme Blasko n’a jamais travaillé avec lui, comment pouvait-elle savoir si elle pouvait lui faire confiance? Il n’a montré aucune animosité à l’égard de l’employeur ou de l’un des témoins. Il a assumé la responsabilité des actes répréhensibles qu’il avait posés, soit de ne pas avoir la caméra requise et d’avoir enfreint la politique de l’employeur sur l’admission d’un détenu à l’unité d’isolement sans l’approbation du directeur. Il n’a toutefois pas assumé la responsabilité pour des actes qu’il n’avait pas commis, comme d’autres témoins l’ont corroboré.

[121]  L’employeur a remis au fonctionnaire un ordre de convocation fourre-tout, qui contenait de nombreuses allégations d’inconduite qui ne s’appliquaient même pas à lui. Il ne l’a pas mis au courant de l’objet de l’enquête à son égard. Quand il s’est présenté à sa première entrevue avec les enquêteurs, on ne lui a pas demandé s’il avait agressé le détenu. Les enquêteurs ont plutôt mis l’accent sur sa possession de stéroïdes et sur d’autres allégations d’inconduite. C’est seulement quand il a été rappelé pour une deuxième entrevue que les allégations d’agression à l’égard d’un détenu ont été soulevées.

[122]  Dans Pelletier, comme c’est le cas en l’espèce, le rapport d’enquête revêtait une importance cruciale dans la décision de l’employeur. Contrairement à Pelletier, l’arbitre de grief en l’espèce ne peut pas examiner les comptes-rendus des entrevues menées avec les témoins, car l’employeur ne les a pas produites, même si elles lui ont été remises, selon Mme D’Astous. Malgré la demande de production de documents, on a seulement remis au fonctionnaire les résumés des entrevues contenus dans le rapport d’enquête, dont on lui a initialement présenté une version caviardée. Il a reçu le rapport complet seulement après que l’arbitre de grief a ordonné de le lui remettre.

[123]  Même si neuf RODA ont été déposés en preuve, à titre de pièces jointes du rapport d’enquête, seulement huit RODA étaient joints à la copie remise au fonctionnaire (pièce 1, onglet 10). Le RODA de M. Perry n’est pas inclus, même si les enquêteurs ont indiqué que celui-ci avait pu l’examiner. Qui plus est, le rapport d’enquête contenait le témoignage de seulement trois des témoins qui ont rédigé des RODA, soit messieurs Perry, Oszczygiel et McNay. Deux d’entre eux avaient soi-disant été témoins de la présumée agression. Les enquêteurs n’ont pas interrogé les six autres employés qui ont rempli un RODA, soit Mme Mikalski et MM Ranta, Spilsbury, Pye, Barrette et Fraser, et ils n’ont pas inclus les éléments de preuve de ceux-ci.

[124]  Mme Blasko a accepté les conclusions du rapport d’enquête et a indiqué dans son témoignage que le fonctionnaire avait refusé de s’excuser pour son inconduite. Elle a cependant omis de reconnaître qu’il avait nié les conclusions du rapport d’enquête et nié avoir agressé le détenu à quelque moment que ce soit. Il a reconnu ses manquements ce soir-là; il n’aurait pas dû se livrer à une surenchère d’éclats de voix avec le détenu et il aurait dû avoir une caméra. Ce qu’il aurait dit à l’audience disciplinaire n’aurait eu aucune importance. Mme Blasko avait déjà déterminé qu’il serait licencié avant même d’avoir fait sa connaissance, à plus forte raison avant de le rencontrer.

[125]  Mme Blasko et l’employeur avaient l’obligation d’agir équitablement à l’égard du fonctionnaire et de lui donner l’occasion de présenter une réponse de fond aux conclusions du rapport d’enquête. L’employeur est tenu de s’assurer que les enquêtes sont menées conformément aux principes de la justice naturelle (voir Legere). Il est bien reconnu que le droit de répondre à des éléments de preuve ou à des allégations déposées à l’encontre d’un fonctionnaire est au cœur même des principes de justice naturelle. Le fait de ne pas informer le fonctionnaire de l’identité de l’auteur des allégations déposées contre lui, ainsi que de la nature et de l’ampleur de celles-ci, et de ne pas présenter au fonctionnaire un rapport d’enquête non épuré avant l’audience disciplinaire a rendu l’enquête et le processus disciplinaire inéquitables sur le plan procédural.

[126]  Comme l’enquête était inéquitable sur le plan procédural, il était encore plus crucial que l’employeur s’acquitte de son fardeau de preuve et qu’il établisse les faits requis pour étayer sa décision disciplinaire (voir Legere). Il avait le fardeau de montrer comment le processus auquel il avait eu recours pour tirer sa conclusion ainsi que le résultat qu’il a obtenu étaient équitables et justifiés. Comme les documents n’ont pas été communiqués, comme les notes de Mme D’Astous et de Mme Blasko, on doit tirer la conclusion défavorable selon laquelle les renseignements qu’elles contiennent ne soutiennent pas la thèse de l’employeur.

[127]  L’employeur avait le fardeau de montrer que le fonctionnaire avait agressé le détenu, selon la prépondérance des probabilités. Il est important de faire ressortir qu’il faut plus que de simples possibilités pour conclure qu’un acte répréhensible a été commis (voir Legere). L’employeur ne s’est pas acquitté de ce fardeau. Le fonctionnaire a toujours nié fermement avoir agressé le détenu, ce que M. French et M. Spilsbury ont corroboré pendant leur interrogatoire direct à l’audience, tout comme M. Perry, selon les notes du comité d’enquête. Aucun des RODA préparés et présentés immédiatement après l’incident allégué avec le détenu n’indiquait qu’une agression avait été commise. Si l’on avait recouru à la force physique à l’égard du détenu, le processus strict énoncé dans les politiques de l’employeur prévoit d’assurer un suivi auprès du détenu et de rendre visite au personnel infirmier de l’EE, qui remet un rapport. Rien de tout cela n’a été fait. Tous ces éléments indiquent clairement qu’aucune agression n’a été commise.

[128]  Mme D’Astous a indiqué dans son témoignage que les enquêteurs avaient tout simplement accepté le témoignage de Mme MacPherson selon lequel le fonctionnaire était fréquemment lié à des incidents de recours à la force. Aucune enquête n’a été menée à l’égard des dossiers et aucun suivi n’a été effectué, et pourtant, il s’agissait d’un aspect crucial de leur processus décisionnel. Le rapport d’enquête ne mentionne pas que le fonctionnaire a déjà fait l’objet de mesures disciplinaires. Mme D’Astous a affirmé que le SPE empêchait les enquêteurs de mener une enquête adéquate et rigoureuse. Pourtant, Mme Blasko a tout simplement accepté le rapport, dont elle s’est servie pour mettre fin à l’emploi du fonctionnaire, sans aucune question.

[129]  Le fonctionnaire et M. Spilsbury ont indiqué dans leur témoignage qu’il existait une tension entre le conseil exécutif du syndicat et ses membres à l’EE. M. Whalen a indiqué dans son témoignage qu’il participait directement à la planification des entrevues avec le commissaire du SCC, avec qui il communiquait directement. MM. Whalen et Inkpen, le président et le vice-président du syndicat, organisaient les entrevues pour les agents et les accompagnaient à celles-ci. Dans le rapport d’enquête, on indique que M. Oszczygiel a changé son témoignage après s’être trouvé dans le bureau de M. Lapointe avec M. Whalen. Ce dernier a communiqué avec M. Roussel le 11 août 2017 et a tenté de le convaincre de témoigner contre le fonctionnaire et d’autres employés. Dans une réunion à huis clos, MM. Inkpen et Whalen ont dit à M. Roussel qu’il leur importait peu que ce dernier invente quelque chose, mais il devait témoigner contre les autres agents, particulièrement les GC, ou son emploi serait en péril. Quand M. Roussel a refusé, on lui a dit qu’il avait le choix de démissionner ou d’être licencié. Il a choisi de démissionner.

[130]  L’employeur n’a pas prouvé les motifs sur lesquels il s’est fondé pour licencier le fonctionnaire. Dans Seamark c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTESPF 56, un agent qui a asséné des coups de genou à un détenu docile à la suite d’une fouille injustifiée de sa cellule a été condamné à une amende équivalant à une journée de salaire seulement. Dans Hicks c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 99, un recours à la force excessive à la tête du détenu, même après que celui-ci était menotté et sur le sol, ainsi que la présentation d’un faux RODA, a valu à l’agent une suspension de 20 jours sans salaire. Dans Rose, l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « CRTFP ») a déterminé que le licenciement en litige dans ce cas était excessif, car il se fondait sur un recours excessif à la force et un effort concerté pour le cacher. La CRTFP a remplacé le licenciement par une suspension d’un an.

[131]  À la lumière des résultats dans toutes ces affaires, il est évident que le licenciement du fonctionnaire était excessif en l’espèce. Il a maintenu qu’il n’avait pas agressé le détenu. L’employeur a présenté des éléments de preuve et des témoins inadéquats, qui se contredisaient et qui n’étaient pas crédibles, et il n’a pas pu montrer que le fonctionnaire avait bel et bien commis le geste qu’on l’accusait d’avoir posé. Même si la CRTESPF juge que la preuve est suffisante pour permettre de croire que le fonctionnaire a effectivement recouru à une force excessive à l’égard du détenu, ce licenciement demeurait tout de même une sanction excessive, selon la jurisprudence. Inversement, si le recours excessif à la force est prouvé, une suspension constituerait une sanction adéquate. En outre, le fonctionnaire cherche à obtenir toute autre réparation que la CRTESPF juge appropriée.

IV.  Motifs

[132]  Ce licenciement ne saurait être confirmé. Comme l’employeur n’est pas parvenu à établir les allégations à l’encontre du fonctionnaire sur lesquelles le licenciement se fondait, le licenciement doit être annulé.

[133]  Dans la lettre de licenciement, on invoquait la violation de plusieurs normes et directives différentes. Les éléments de preuve qui m’ont été présentés portaient sur trois incidents : on reprochait au fonctionnaire d’avoir agressé un détenu, d’avoir transporté un détenu sans caméra et d’avoir crié après le détenu.

[134]  L’arbitre de grief a entre autres rôles clés d’apprécier la crédibilité des témoins afin de déterminer si l’employeur s’est acquitté de son fardeau de la preuve. Dans une affaire disciplinaire, l’employeur doit montrer, selon une preuve claire, solide et convaincante, que le fonctionnaire a commis les actes qui lui sont reprochés. En l’espèce, l’employeur m’a présenté de nombreux témoins, dont les témoignages permettaient à l’employeur de s’acquitter du fardeau de la preuve, selon son avocat. Je ne suis pas d’accord. Les témoignages que j’ai entendus des témoins de l’employeur comportaient de nombreux problèmes et de nombreuses incohérences.

[135]  J’estime non crédible le témoignage de M. McNay. Il s’est souvenu des éléments que l’on trouve dans un scénario de recours excessif à la force, ce qui l’exonérait de toute culpabilité. Sa mémoire était sélective quand il était question de tout le monde sauf le fonctionnaire. Afin d’évaluer la crédibilité d’un témoin, je dois aussi prendre note du comportement du témoin à la barre (voir Faryna). Le dédain que ce témoin entretenait à l’égard du fonctionnaire pendant qu’il se trouvait à la barre était palpable, et il était évident à mes yeux que son témoignage visait à causer la perte du fonctionnaire.

[136]  M. McNay a affirmé qu’il avait préparé son RODA à 21 h 46 le 25 août 2017, pendant que les [traduction] « événements étaient encore frais à [s]a mémoire ». Il a ensuite mentionné qu’un GC, qu’il n’arrivait pas à identifier, lui avait ordonné d’omettre des détails sur ce qui s’était produit. Il a indiqué ne pas se souvenir de l’identité de la personne qui lui avait donné cette consigne, qui était pourtant inhabituelle. Un événement aussi extraordinaire resterait gravé dans la mémoire d’un agent de la paix dûment formé, qui a l’obligation de prendre en note ce genre de chose, particulièrement quand il a été allégué que le RODA visait à cacher les gestes posés par ce GC.

[137]  Je ne crois pas non plus M. McNay quand il affirme que, après avoir réfléchi et parlé à sa famille, il a consulté son syndicat afin de lui parler d’un autre sujet que sa propre protection. Le lendemain de son signalement au syndicat du présumé recours excessif à la force, il avait organisé une réunion avec le directeur Lapointe. Je crois que M. McNay a dénoncé le fonctionnaire afin de se protéger contre la découverte de sa participation à l’escorte d’un détenu à l’unité d’isolement sans autorisation adéquate, au cas où quelqu’un d’autre le signalerait. La façon dont il a fait son signalement ne correspond pas au témoignage livré par M. Whalen. Le doute concernant l’identité de la personne qui lui a dit de ne rien signaler est aussi une incohérence.

[138]  M. Oszczygiel n’a rien vu, selon la preuve qu’il a présentée. Dans son avis de convocation, l’employeur a indiqué que M. Oszczygiel n’avait pas été témoin de l’incident dans les douches; il avait seulement vu des bras s’agiter. Cela fait perdre presque toute crédibilité au témoignage de M. Oszczygiel, qui affirmait [traduction] « ne pas croire ce dont [il] venai[t] d’être témoin » après avoir quitté l’aire d’A et L. D’après moi, son véritable grief devrait être déposé à l’encontre de M. Perry pour l’intimidation alléguée, si l’on parvient à croire que celui-ci a dit quoi que ce soit à M. Oszczygiel. J’hésite à accepter que ce qu’a vu M. McNay, à savoir des mains s’agitant dans les airs pendant qu’on luttait pour démenotter le détenu, corresponde aux actes pour lesquels le fonctionnaire a été licencié. D’autant plus que, comme M. Oszczygiel l’a lui-même indiqué dans son témoignage, il se trouvait dans le couloir et M. French lui bloquait la vue. Il n’a présenté aucune preuve selon laquelle il connaissait l’identité de la personne dont les mains s’agitaient. Les mains du fonctionnaire sont très faciles à reconnaître, parce qu’elles sont très tatouées et qu’elles sont très grandes, étant donné qu’il est un très grand homme. Ces caractéristiques auraient permis de l’identifier facilement, mais il n’en a fait aucunement mention.

[139]  Peut-être a-t-il vu des mains s’agiter, mais comme on luttait pour démenotter le détenu, tel que l’a décrit M. McNay, je ne puis être certaine de ce que M. Oszczygiel a vu et, en fait, j’ignore s’il a réellement vu quelque chose. Je doute que M. Oszczygiel ait vu quoi ce que soit ce jour-là pendant qu’il se trouvait à l’extérieur des douches, étant donné que M. French se tenait dans l’embrasure de la porte, selon son témoignage. Par ailleurs, selon le témoignage de Mme D’Astous, M. Purtell a vu M. Oszczygiel fixer le plancher et ne pas porter attention à ce qui se passait dans les douches. D’après moi, en ce qui concerne le « mouvement des mains » l’explication la plus plausible est que M. Oszczygiel a peut-être vu les mains du détenu, pendant qu’on tentait de démenotter ce dernier. Enfin, je fais remarquer que le moment où il a présenté son rapport, soit seulement après que M. McNay s’est manifesté, selon ce qu’il affirme, ne concorde pas avec ce que racontent MM. Whalen et Lapointe.

[140]  En ce qui concerne la version des événements décrite par le détenu, JB, elle était complètement incohérente avec celle de toutes les autres personnes en cause et avec le scénario de l’employeur. Personne d’autre que JB n’a mentionné que M. French l’avait étranglé jusqu’à ce qu’il perde connaissance, ce qui l’aurait rendu inerte; il aurait donc été hautement improbable que le fonctionnaire le frappe au torse pendant que JB se trouvait dans cet état. Ensuite, en contre-interrogatoire, il a présenté un récit différent des faits. Je ne puis accepter sa preuve à cause de ses incohérences avec son propre témoignage et de celles qu’il avait avec les témoignages des autres témoins. Qui plus est, si une telle agression avait été commise, pourquoi ne l’avait-on pas signalée à M. Lapointe à la première occasion, à son arrivée dans les douches? Pourquoi n’avait-on pas consulté l’unité des soins de santé de l’EE? Pourquoi personne, y compris le directeur Lapointe, n’avait relevé de marques sur le cou de JB, des marques qui auraient sans doute été visibles, s’il avait été étranglé au point de perdre connaissance?

[141]  Il est possible qu’une lutte ait éclaté; toutefois, il m’est impossible de le confirmer sans preuve claire, solide et convaincante. La meilleure preuve présentée sur les événements survenus ce jour-là provient du témoignage de M. Lapointe, selon lequel il n’y avait aucune preuve de recours à la force et que le détenu n’avait pas signalé de recours à la force ou d’agression à son égard. M. Lapointe indiqué dans son témoignage qu’il ne se passait rien d’extraordinaire à son arrivée, hormis le fait que le détenu semblait agité. Au vu du témoignage de M. Lapointe, je peux seulement conclure que ce qui a été signalé à la commission d’enquête ne s’est pas produit ainsi. Je crois le témoignage de M. Lapointe plutôt que celui des CX, qui craignaient de perdre leur emploi s’ils ne servaient pas quelqu’un pour satisfaire la chasse aux sorcières menée par M. Whalen, comme l’a décrit M. Roussel, et ses demandes, une version du maccarthysme propre à l’EE, en ayant recours à des allégations et à une enquête injustes. Je tiens pour avérer que le fonctionnaire n’a pas agressé le détenu JB dans les douches de l’aire d’A et L le jour en question.

[142]  Qui plus est, après avoir pris en considération l’ensemble des circonstances entourant le transfert du détenu à l’A et L, la preuve qui m’est présentée me porte à tirer les conclusions suivantes. Le fonctionnaire a été appelé afin de prêter main forte, car la situation se détériorait avec JB. À son arrivée, on l’a informé que l’on avait donné l’ordre (dans certains récits, il s’agit du CX Spilsbury, dans d’autres, de la GC Mikalski, et dans d’autres encore, du GC Pauley) de transférer le détenu à l’unité d’isolement. On a demandé au poste de commandement de l’unité de fournir une caméra pour le transfert, mais aucune n’était libre. On a envoyé un CX chercher une caméra, mais il n’est jamais revenu. Selon la preuve incontestée, les caméras étaient rarement libres à l’EE. Une fois rendus à l’aire d’A et L, avant l’arrivée du directeur Lapointe, JB était agressif verbalement à l’égard du fonctionnaire et il résistait au retrait des menottes. Le fonctionnaire a réagi en criant. Le GC French a pu intervenir et calmer JB. Le GC French a parlé à JB afin de déterminer la cause de l’incident et a trouvé une façon de remédier à la situation qui n’exigeait pas de transférer le détenu à l’unité d’isolement. Cet exposé des faits est aussi conforme au témoignage du directeur Lapointe, qui a indiqué avoir trouvé le détenu agité à son arrivée, mais rien d’anormal. Je mentionne que le témoignage du directeur Lapointe ne soutient pas la version des événements de M. Oszczygiel ou de M. McNay, selon laquelle ils avaient affirmé que la lutte pour démenotter le détenu s’était poursuivie jusqu’à l’arrivée du directeur Lapointe.

[143]  La manière dont l’employeur a donné suite aux allégations à l’encontre du fonctionnaire et les mandats ouverts donnés aux enquêteurs, qui ont été élargis dans le cadre du processus, étaient en fait une chasse aux sorcières dans le cas du fonctionnaire. Il ne fait aucun doute qu’il fallait régler les problèmes à l’EE cernés dans le rapport de TLS. Toutefois, la mise en œuvre de la ligne de signalement, combinée à la menace faite aux employés selon laquelle ils devaient signaler les actes répréhensibles, sans quoi ils seraient escortés à l’extérieur de l’établissement, n’était rien de moins que du maccarthysme. Par conséquent, toute preuve recueillie à propos du fonctionnaire dans le cadre des signalements est mise en doute, à moins qu’elle ne soit autrement corroborée de façon objective, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[144]  La preuve présentée par M. Lapointe n’aide pas l’argumentation de l’employeur. Elle a corroboré que les CX ne respectaient pas l’autorité des GC à l’EE. Cela donne de la crédibilité aux allégations du fonctionnaire selon lesquelles il était la cible de l’une des factions ou équipes de l’EE. On ne saurait passer sous silence le fait que l’employeur lance un processus de licenciement d’un GC ou de tout autre employé en fonction de signalements, sans les corroborer adéquatement et sans examiner convenablement tous les facteurs atténuants et aggravants. Dans son ardeur à gérer une situation insoutenable à l’EE et à mettre fin au règne de terreur que certains employés exerçaient, l’employeur a taillé une brèche considérable dans sa population d’employés. En l’espèce, il l’a fait sans porter une attention adéquate aux exigences relatives à la détermination du motif valable et aux principes de justice naturelle. Plutôt que de se défaire d’un employé qui n’agit pas conformément à ses normes, l’employeur a plutôt permis à des membres du personnel de cibler cet employé, tout simplement parce qu’il n’était pas d’accord avec lui ou avec son style de gestion. Les employés dont les opinions étaient favorables au fonctionnaire ont également été pris pour cible, comme l’a prouvé le témoignage de M. Roussel.

[145]  Il n’y avait aucun enregistrement de l’extraction du détenu de la cellule ou de l’escorte à l’A et L, comme il était exigé, et aucun enregistrement vidéo sur lequel je puis m’appuyer. Il est interdit d’enregistrer une fouille à nu, mais les caméras dans les couloirs auraient pu fournir à tout le moins un enregistrement sonore des événements survenus dans la douche; aucun ne m’a été remis. On ne m’a présenté que la preuve orale des témoins, qui ont indiqué qu’ils avaient tous menti dans leur RODA. Il me faut donc déterminer à quel moment ils ont menti. Est-ce quand ils ont présenté les premiers RODA ou quand ils ont craint d’être escortés à l’extérieur?

[146]  Le degré d’analyse décrit par Mme D’Astous ne suffisait aucunement à conclure, selon la prépondérance des probabilités, que les faits allégués s’étaient réellement produits, particulièrement à la lumière du témoignage de M. Lapointe. Le fait que le fonctionnaire ait été reconnu comme un GC au style direct et qui faisait avancer les choses a été utilisé contre lui alors qu’à mon avis, il a une incidence positive sur lui, car cela signifiait qu’il était prêt à faire son travail, malgré l’environnement à l’EE, dans lequel d’autres GC ne se seraient pas manifestés. Le fait que la commission ait accordé une grande importance au commentaire selon lequel le fonctionnaire était un gestionnaire actif sur le terrain pour déterminer qu’il avait la réputation d’agresser les détenus, n’était pas justifié, extrêmement préjudiciable et perturbant. Cette interprétation n’était pas étayée par la preuve ou par son dossier d’emploi au SCC. Le fardeau de la preuve dans ce genre d’affaire n’est pas la norme de preuve criminelle hors de tout doute raisonnable, mais plutôt la prépondérance des probabilités, selon une preuve claire, solide et convaincante, ce que le témoignage de Mme D’Astous n’a pas mis en lumière.

[147]  Il faut une preuve claire, solide et convaincante s pour s’acquitter du fardeau de la preuve quand les allégations et les conséquences sont graves. La meilleure façon de prouver une allégation est le témoignage direct d’une personne qui a assisté à l’événement, pourvu que cette personne soit un témoin crédible. La force probante du témoignage direct repose sur l’exactitude du témoin qui la présente. S’il n’y a aucun témoignage direct ou que le témoignage n’est pas fiable, l’arbitre de grief doit se fonder sur la preuve circonstancielle, qui est assujettie à des erreurs étant donné les conclusions tirées à partir de celle-ci (voir Gorsky et. coll., Evidence and Procedure in Canadian Labour Arbitration, de 13-4 à 13-5). Dans les deux cas, la force probante de la preuve circonstancielle ou le témoignage direct dépend de sa source et de son lien particulier avec les questions en litige dans une affaire. En l’espèce, comme la plupart des témoins de l’employeur pouvaient tirer avantage de leur témoignage et de leur participation au processus d’enquête, je conclus que le témoignage qu’ils ont livré n’est ni convaincant ni solide, étant donné les incohérences et l’avantage perçu que les témoins obtenaient en échange de leurs récits. Dans le rapport d’enquête, on indique que d’autres CX affirment avoir « entendu » l’agression. L’employeur n’a toutefois pas appelé ces personnes en tant que témoins à l’audience.

[148]  En outre, étant donné que l’employeur n’a pas produit certains documents, comme les notes de Mme Blasko et des enquêteurs, qui auraient été couvertes par l’ordonnance de communication rendue lors de la conférence préparatoire, je ne puis faire autrement que tirer une conclusion défavorable, comme l’avocat du fonctionnaire l’a soutenu. Par conséquent, je conclus que ces documents n’auraient peut-être pas étayé les actes de l’employeur et qu’ils n’ont pas été communiqués en raison du préjudice qu’ils auraient pu porter à son argument.

[149]  L’avocat de l’employeur a blâmé le fonctionnaire pour l’absence de preuve sur ce qui s’était passé ce jour-là. Le fonctionnaire a avoué avoir enfreint la politique de l’employeur sur l’enregistrement vidéo d’une escorte vers l’unité d’isolement, qui, même s’il n’avait pas montré ce qui s’était passé dans les douches, aurait pu donner un enregistrement sonore de ce qui se passait et un enregistrement vidéo de ce que d’autres auraient pu voir. Toutefois, cela n’explique pas non plus pourquoi l’employeur n’a pas présenté la vidéo des événements survenus à l’unité jusqu’au moment où le fonctionnaire est parti avec le détenu. Il faut de nouveau tirer une conclusion défavorable, car cet élément aurait assurément permis d’obtenir de nombreuses précisions sur les événements survenus ce jour-là, y compris les rôles de Mme Mikalski et de M. French, la demande en vue d’obtenir une caméra et l’identité de la personne qui a présenté cette demande, ainsi que l’identité de la personne qui a réellement menotté le détenu.

[150]  Comme je l’ai dit à maintes reprises, il est bien établi en droit que l’audience d’arbitrage des griefs est une audition de novo et que l’arbitrage permet de remédier à tout préjudice ou à toute injustice qui pourrait découler d’un vice de procédure (voir Maas et Turner c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 123, au par. 118; Pajic c. Opérations des enquêtes statistiques, 2012 CRTFP 70; Tipple, au par. 2; Patanguli c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 291). Je ne suis pas liée par les décisions de la commission ou par ses conclusions. En l’espèce, je conclus que la preuve est insuffisante et qu’elle ne permet pas d’étayer les conclusions selon lesquelles la mesure disciplinaire a été imposée.

[151]  Quand la preuve est insuffisante ou non concluante, je dois donner au fonctionnaire le bénéfice du doute. Je ne suis pas liée par les conclusions tirées par Mme D’Astous, qui se fondaient sur une analyse et une logique fautives. Elle et la commission dont elle était membre ont rejeté la preuve présentée par le fonctionnaire et par d’autres témoins oculaires qui appuyaient sa version des événements sans me fournir d’explication, probablement parce que les témoins avaient eux aussi fait l’objet de dénonciations à la ligne de signalement. Ils ont plutôt choisi de privilégier les rumeurs non corroborées d’un témoin, la GC Ings, qui avaient peut-être entendu quelque chose, mais qui ne savait plus où et quand, ainsi que la preuve de deux CX, qui n’étaient manifestement pas fiables pour les motifs énoncés plus tôt dans cette décision. Je suis particulièrement préoccupée par le fait qu’elle n’ait pas mentionné la participation de la directrice, Mme Blasko, à la mise au point du rapport avant de le présenter à l’employeur.

[152]  Je conclus que la preuve présentée par les témoins du fonctionnaire est claire, convaincante et étayée par celle présentée par M. Lapointe. L’employeur a été incapable de la contester en contre-interrogatoire. Inversement, la preuve présentée par les témoins de l’employeur n’était ni claire ni convaincante, hormis celle présentée par M. Lapointe.

[153]  Comme l’employeur est tenu de s’acquitter de son fardeau de preuve, la preuve présentée doit mener une personne raisonnable ou moi-même à conclure, selon la prépondérance des probabilités, que les événements sont survenus de la façon décrite par l’employeur. Ce n’est pas le fonctionnaire qui avait le fardeau de prouver que ce que l’employeur alléguait était faux. Il est inapproprié pour l’une ou l’autre des parties de fabriquer une preuve, comme cela semble le cas en ce qui concerne le rôle joué par M. Whalen dans ce processus, lequel a d’ailleurs cherché à obtenir des preuves contre le fonctionnaire, comme l’a décrit M. Roussel, dont le témoignage, selon moi, est honnête et corroboré par les pièces au dossier.

[154]  Dans la lettre disciplinaire, Mme Blasko a indiqué que l’inconduite du fonctionnaire comportait des « gestes prémédités ». L’avocat de l’employeur a soutenu que le fonctionnaire savait que les douches étaient l’endroit parfait pour agresser un détenu parce qu’il n’y avait aucune caméra à cet endroit. Il s’agissait de l’occasion parfaite, et il en a profité. Essentiellement, l’avocat m’a demandé de tirer une conclusion défavorable à l’encontre du fonctionnaire en fonction d’un scénario que la preuve ne soutient pas. Dans ce scénario, le fonctionnaire a décidé de conduire le détenu à l’A et L afin de l’agresser et a délibérément échoué à obtenir une caméra afin que l’agression ne soit pas enregistrée. Si je peux me permettre, il s’agit d’une pure fabrication, qui ne reflète pas la preuve qui m’a été présentée, selon laquelle le fonctionnaire et M. French répondaient à un appel à l’unité G/H et ont rencontré la GC Mikalski, qui s’en allait dire au directeur Lapointe que le détenu était transféré à l’unité d’isolement. Contrairement à ce qui était écrit dans la lettre disciplinaire et à la théorie présentée par l’employeur, ce transfert à l’A et L n’avait pas été prémédité par le fonctionnaire; ce plan d’action avait été déterminé avant son arrivée sur les lieux. Le détenu, qui était confiné dans la salle de téléphones, a été sorti de la salle, menotté et escorté à l’unité d’isolement sans que le transfert puisse être filmé. À un moment donné, M. French a envoyé l’un des agents à la recherche d’une caméra, en vain. Il ne s’agissait pas d’une conspiration élaborée par le fonctionnaire.

[155]  J’accepte que JB ait été escorté à l’A et L afin d’être soumis à une fouille à nu dans les douches parce qu’il s’agit d’un fil conducteur de la preuve directe dans son ensemble. J’accepte également que JB et le fonctionnaire aient eu une altercation verbale, comme le fonctionnaire l’a avoué lui-même. J’accepte aussi que JB ait résisté physiquement aux tentatives déployées par M. McNay et par les autres personnes présentes afin de le démenotter. Je n’accepte toutefois pas que le fonctionnaire ait, de façon délibérée et préméditée, asséné des coups à JB, parce que je me serais attendue à ce qu’un détenu se trouvant dans un état aussi agité profite de la présence du directeur pour signaler une telle agression à la première occasion.

[156]  Même si je devais accepter que des coups aient été échangés, d’autres explications sont possibles, étant donné la difficulté à le démenotter. Quand il existe d’autres explications tout aussi possibles, il faut donner le bénéfice du doute au fonctionnaire. Par conséquent, l’employeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver qu’une agression avait été commise en présentant une preuve claire, solide et convaincante.

[157]  Je me penche maintenant sur la question du transport de JB sans l’utilisation d’une caméra. Comme il est indiqué précédemment, la preuve établit que l’unité des opérations ne possédait pas de caméra. On a envoyé un CX en chercher une, mais il n’est jamais revenu. Le fonctionnaire aurait-il dû attendre? Selon la preuve incontestée, les caméras étaient en fait rarement libres à l’EE. Étant donné toutes ces circonstances, le fonctionnaire ne peut pas être tenu responsable d’avoir transporté le détenu sans utiliser une caméra; l’employeur ne peut pas imposer une politique sans doter l’établissement d’un nombre suffisant de caméras ou sans les rendre facilement accessibles afin de permettre aux employés de respecter la directive.

[158]   Même si le fonctionnaire a reçu l’ordre de conduire JB à l’unité d’isolement, je conclus qu’une fois le détenu sorti de la situation animée dans la salle de téléphones (où il était entouré d’environ 20 membres du personnel), le GC French et lui ont trouvé une solution de rechange, avant même l’arrivée du directeur Lapointe, pour éviter de transférer le détenu à l’unité d’isolement. Comme il est indiqué précédemment, je conclus que l’employeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver que le fonctionnaire avait agressé physiquement le détenu. Enfin, je mentionne que le fonctionnaire a avoué avoir crié après le détenu, ce qui n’était pas professionnel, mais qui ne mérite toutefois pas un licenciement.

[159]  Mme Blasko a affirmé qu’elle avait perdu confiance à l’égard d’une personne qu’elle avait rencontrée seulement à l’audience disciplinaire selon les conclusions d’un rapport qui s’est avéré biaisé. Dans son témoignage, elle a indiqué que le fonctionnaire avait mis des CX en péril et qu’il les avait exposés à une situation difficile, car il avait approuvé leur RODA, dans lequel ils signalaient sa participation à l’agression d’un détenu. Ce témoignage n’est pas conforme aux événements qui se sont produits : les RODA ne contenaient aucun renseignement sur la participation du fonctionnaire à une agression; qui plus est, les RODA n’avaient pas été signés par le fonctionnaire, mais bien par le GC French, qui était l’agent responsable ce jour-là. Enfin, je mentionne qu’il a été allégué que le fonctionnaire avait omis de rédiger un RODA. Les témoins ont clairement indiqué que le fonctionnaire leur avait ordonné de rédiger des RODA. Dans le cadre de l’enquête, il a demandé d’avoir la possibilité d’imprimer le RODA qu’il avait présenté, selon ce qu’il affirmait, mais on le lui a refusé. Je n’ai aucune raison de douter que, fidèle à son habitude, le fonctionnaire a rédigé un RODA dans lequel il consignait les événements survenus ce jour-là.

[160]  Comme il a été dit dans Walker, toute mesure disciplinaire imposée par l’employeur contre un employé doit être justifiée dans les circonstances, doit tenir compte de tous les facteurs aggravants et atténuants et doit être raisonnable. Une sanction raisonnable n’est pas excessive. En l’espèce, l’employeur n’a pris en considération aucune des circonstances atténuantes, y compris le fait que le fonctionnaire suivait un traitement pour un TSPT au moment de l’audience disciplinaire. Mme Blasko s’est rendue à l’EE afin de gérer les retombées du rapport de TLS et de montrer que l’employeur prenait les choses au sérieux. Je suis d’avis que le fonctionnaire a été le bouc émissaire de cette entreprise. L’employeur n’a pas établi une argumentation convaincante selon laquelle Mme Blasko avait perdu confiance à l’égard du fonctionnaire, étant donné qu’elle ne l’avait jamais rencontré avant la réunion disciplinaire. Elle n’a jamais travaillé avec lui. Je suis d’avis qu’il lui est impossible de dire que le lien de confiance a été irrémédiablement rompu, étant donné toutes les erreurs dans le processus d’enquête, qu’elle a accepté sans aucune question. La façon dont elle a écarté son dossier disciplinaire et ses examens de rendement était offensante. Le fait de dire qu’ils n’étaient pas exacts donne une bien mauvaise image du SCC et de son système de gestion du rendement. Aucune preuve objective ne m’a été présentée selon laquelle le fonctionnaire ne peut pas être réintégré, comme l’exige le critère établi dans DeHavilland.

[161]  En résumé, je conclurai en répondant aux critères de l’analyse William Scott. Le seul motif de discipline établi en l’espèce est l’altercation verbale entre le fonctionnaire et le détenu. Le licenciement du fonctionnaire était clairement excessif et injustifié, et doit être annulé. Compte tenu de la franchise dont le fonctionnaire a fait preuve en avouant son comportement, de ses années de service, de ses antécédents en matière de discipline et de rendement, je suis d’avis qu’une réprimande verbale aurait suffi. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de prendre d’autres mesures.

[162]  L’employeur avait raison de déterminer qu’il devait régler le problème que constituait l’environnement de travail toxique à l’EE. Toutefois, il n’avait pas le droit de poursuivre cette initiative tout en faisant abstraction du droit du fonctionnaire au respect des principes de justice naturelle. Il n’a pas fait l’objet d’une enquête sur sa contribution à l’environnement de travail toxique de l’EE, mais plutôt sur un incident de recours à la force et sur des allégations de possession de stéroïdes. Toutefois, l’objectif de l’employeur d’améliorer l’environnement de travail toxique était l’un des aspects insidieux du processus d’enquête.

[163]  En temps normal, une audience de novo règle toute atteinte aux principes de justice naturelle dans le processus d’enquête. Comme il est indiqué dans Legere, l’employeur est tenu de s’assurer que les enquêtes sur l’inconduite sont menées rapidement, de façon impartiale ou sans crainte de partialité, et conformément aux principes de justice naturelle. En l’espèce, cela n’a pas été fait.

[164]  La décideuse en l’espèce a donné des consignes aux enquêteurs sur la version définitive du rapport d’enquête, mais elle n’a pas précisé en quoi ces consignes consistaient. La version des événements du fonctionnaire, son rendement antérieur ou son dossier disciplinaire n’ont jamais été pris en considération. Qui plus est, la raison fondamentale de la mesure disciplinaire était sa présumée contribution à l’environnement de travail toxique, qui n’a pas été prouvée devant moi ou qui n’a fait l’objet d’aucune enquête, mais qui faisait clairement partie du processus décisionnel de Mme Blasko. La décision a été prise avant même qu’elle ne rencontre le fonctionnaire. À mon avis, l’audience disciplinaire n’a eu lieu que pour la forme. Le fait de lui imposer une mesure disciplinaire à la lumière d’un rapport et d’un processus viciés sur le plan procédural et d’allégations qui ne lui ont jamais été présentées sérieusement portait atteinte aux droits du fonctionnaire dans une mesure telle que l’on ne pouvait pas y remédier uniquement en tenant une audience de novo.

[165]  En outre, il est troublant de constater que Mme Blasko n’accordait que peu de valeur aux dossiers de rendement du fonctionnaire. L’employeur avait reconnu la valeur du travail du fonctionnaire. Il avait reçu des promotions et avait été directeur adjoint des Opérations par intérim. Tout au long de sa carrière, son dossier disciplinaire est demeuré sans taches. Mme Blasko a indiqué que ce fait importait peu et que ces facteurs ne méritaient pas d’être pris en considération.

[166]  Les employeurs ont une obligation de bonne foi et de traitement équitable quand ils congédient des employés. En se fondant sur un processus d’enquête vicié et sur un rapport d’enquête vicié, l’employeur a agi de mauvaise foi. En l’espèce, comme l’employeur ne s’est pas acquitté correctement de ses obligations, il était prévisible que le licenciement du fonctionnaire causerait à ce dernier de la détresse mentale. L’audience n’a pu remédier à des tactiques aussi évidentes, aussi abusives et aussi offensantes. Dans ce genre de cas, des dommages conformes à la jurisprudence établie dans les arrêts Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39 et Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701 auraient été appropriés. Toutefois, ces dommages n’ont pas été demandés en l’espèce.

[167]  Les parties m’ont fourni de nombreux cas pour soutenir leurs arguments. Bien que j’aie lu chacun d’eux, je n’ai renvoyé qu’à ceux qui revêtaient une importance primordiale.

[168]  Pour ces motifs, la CRTESPF rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V.  Ordonnance

[169]  Le grief est accueilli.

[170]  Le fonctionnaire doit être réintégré à son poste de GC à un établissement mutuellement convenu par les parties dans les 90 jours suivant cette décision, rétroactivement au 24 novembre 2017, sans perte d’ancienneté ou d’autres avantages sociaux, y compris les congés annuels, les congés de maladie et les heures supplémentaires, calculés selon la moyenne de toutes les heures supplémentaires accumulées par les GC à l’EE à partir du 24 novembre 2017 jusqu’à la date de sa réintégration.

[171]  Le fonctionnaire devra également recevoir toute augmentation de salaire à laquelle il aurait eu droit s’il n’avait pas été licencié le 24 novembre 2017.

[172]  Le fonctionnaire devra recevoir, dans les 90 jours suivant la présente décision, l’ensemble de son salaire et de ses primes rétroactifs, y compris les arrérages d’heures supplémentaires qui lui sont dus, conformément aux paragraphes 170 et 171 de la présente décision, moins toutes les déductions obligatoires et autres, prévues par une loi ou une convention collective.

[173]  Le fonctionnaire aura le droit à des intérêts sur le montant net qui lui est dû selon les paragraphes 170 et 171 de la présente décision au taux d’intérêt approprié, conformément aux lois de l’Alberta, comme il est prévu au paragraphe 36(1) de la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C. (1985), ch. F-7). Les intérêts d’avant le jugement doivent être calculés à compter de la date du licenciement jusqu’à la date de la présente décision et après cela, à compter de la date du présent jugement jusqu’à la date de paiement, au taux en vigueur après le jugement.

[174]  J’ordonne de retirer du dossier disciplinaire, ainsi que du dossier de relations de travail et de tout autre dossier personnels du fonctionnaire tous les documents – outre la présente décision – liés à son licenciement.

[175]  Je demeurerai saisie de cette affaire pendant une période de 90 jours à compter de la date de cette décision afin de traiter toute question issue de la mise en œuvre de cette ordonnance.

 

Le 15 décembre 2020.

Traduction de la CRTESPF  

 

Margaret T.A. Shannon,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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