Décisions de la CRTESPF

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Résumé :

L’agent négociateur a déposé un grief de principe dans lequel il contestait l’interprétation par l’employeur du libellé de la convention collective qui établit le calcul des heures supplémentaires payées pendant les essais en mer – la Commission a conclu qu’elle n’était pas liée par l’interprétation qu’elle a donnée à la même convention collective dans des instances avec d’autres parties – elle a également conclu que la version anglaise et la version française de la convention collective préconisaient l’inclusion de toutes les heures travaillées, qu’elles soient régulières ou non, dans le calcul des 12 heures requises pour toucher une rémunération au taux double des heures supplémentaires – la Commission a conclu que la convention collective est muette quant au taux de rémunération après une période d’heures supplémentaires à taux triple suivie d’une période de repos de 10 heures, et que l’employeur est en droit de déterminer le taux de rémunération qui s’applique après cette période de repos.

Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I.  Grief de principe renvoyé à l’arbitrage

[1]  La Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 (l’« agent négociateur »), représente des techniciens civils spécialistes en électronique travaillant au ministère de la Défense nationale (l’« employeur »), au service machine des installations de maintenance de la flotte. Les employés touchés en l’espèce travaillent des quarts de travail de jour ordinaires en semaine à Cape Scott, en Nouvelle‑Écosse. Ils effectuent de temps à autre des essais en mer à bord de sous-marins ou d’autres navires militaires des Forces armées canadiennes afin de recueillir des données, ainsi que de mettre à l’essai et d’étalonner de l’équipement électronique. Les employés sont « coincés » à bord pendant cette période et doivent travailler des heures irrégulières.

[2]  L’agent négociateur a déposé un grief de principe le 23 mai 2017, dans lequel il contestait l’interprétation par l’employeur du libellé de la convention collective, qui établit le calcul des heures supplémentaires payées pendant les essais en mer. L’agent négociateur soulevait d’autres questions dans le grief, mais il ne les a pas poursuivies à l’arbitrage de grief.

[3]  La Commission est saisie des deux questions suivantes :

[4]  En ce qui concerne la première question, je conclus que les heures régulières travaillées sont comprises dans le calcul des 12 heures requises pour toucher une rémunération au taux double et au taux triple des heures supplémentaires.

[5]  En ce qui concerne la deuxième question, je conclus que la convention collective est muette quant au taux de rémunération après une période d’heures supplémentaires à taux triple suivie d’une période de repos de 10 heures. Par conséquent, l’employeur est en droit de déterminer le taux de rémunération qui s’applique après cette période de repos.

II.  Libellé de la convention collective

[6]  Quand ce grief a été déposé, l’unité de négociation du groupe Électronique était couverte par la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’agent négociateur, qui est arrivée à échéance le 31 août 2014 (la « convention collective »). Les dispositions pertinentes sont celles de l’article 32 (Indemnité d’essais en mer).

[7]  La clause 32.04 indique la façon dont les employés doivent être rémunérés pendant qu’ils effectuent des essais en mer. La version anglaise se lit comme suit :

32.04

(a) He or she shall be paid at the employee’s straight-time rate for all hours during his or her regularly scheduled hours of work and for all unworked hours aboard the vessel or at the shore-based work site.

(b) He or she shall be paid overtime at time and one-half (1 1/2) the employee’s straight-time hourly rate for all hours worked in excess of the regularly scheduled hours of work up to twelve (12) hours.

(c) After this period of work, the employee shall be paid twice (2X) his or her straight-time hourly rate for all hours worked in excess of twelve (12) hours.

(d) After this period of work, the employee shall be paid three (3) times his or her straight-time hourly rate for all hours worked in excess of sixteen (16) hours.

(e) Where an employee is entitled to triple (3) time in accordance with paragraph (d) above, the employee shall continue to be compensated for all hours worked at triple (3) time until he or she is given a period of rest of at least ten (10) consecutive hours.

(f) Upon return from the sea trial, an employee who qualified under paragraph 32.03(d) shall not be required to report for work on his or her regularly scheduled shift until a period of ten (10) hours has elapsed from the end of the period of work that exceeded fifteen (15) hours.

[Je mets en évidence]

 

[8]  La version française se lit comme suit :

32.04

(a) L’employé-e est rémunéré-e au taux des heures normales pour toutes les heures prévues à son horaire de travail et pour toutes les heures non travaillées à bord du navire ou au lieu de travail sur terre.

(b) L’employé-e touche une fois et demie (1 1/2) son taux horaire normal pour toutes les heures travaillées en sus de son horaire normal de travail jusqu’à ce qu’il ou elle ait travaillé douze (12) heures.

(c) Après cette période de travail, l’employé-e touche le double (2) de son taux horaire normal pour toutes les heures effectuées en sus de douze (12) heures.

(d) Après cette période de travail, l’employé-e touche trois (3) fois son taux horaire normal pour toutes les heures effectuées en sus de seize (16) heures.

(e) L’employé-e qui a droit au taux triple (3) prévu à l’alinéa d) précédent continue d’être rémunéré-e à ce taux pour toutes les heures travaillées jusqu’à ce qu’il se voit accorder une période de repos d’au moins dix (10) heures consécutives.

(f) À son retour de l’essai en mer, l’employé-e ayant droit à la rémunération prévue à l’alinéa 32.03d) n’est pas tenu-e de se présenter au travail pour son poste d’horaire normal tant qu’une période de dix (10) heures ne s’est pas écoulée depuis la fin de la période de travail qui a dépassé quinze (15) heures.

[Je mets en évidence]

 

III.  Question 1 – Les heures de travail régulières sont-elles comprises dans le calcul des 12 heures requises pour toucher une rémunération à taux double et triple des heures supplémentaires?

A.  Argumentation des parties

[9]  La première question vise à savoir si l’exclusion des heures régulières de « toutes les heures travaillées » afin d’être rémunéré à taux double et triple pour les heures supplémentaires en vertu des clauses 32.04 c) et d) va à l’encontre de la convention collective.

[10]  L’agent négociateur est d’avis que les 12 heures auxquelles il est fait renvoi à la clause 32.04b) comprennent les heures régulières. Autrement dit,  un employé travaille ses heures régulières et est ensuite rémunéré à taux et demi. Quand le nombre total des heures travaillées (les heures régulières et les heures supplémentaires à taux et demi) atteint 12, l’employé commence à être rémunéré à temps double. Quand le total de ces heures (les heures régulières, les heures supplémentaires à temps et demi et les heures supplémentaires à taux double) atteint 16, l’employé commence à être rémunéré à temps triple.

[11]  L’agent négociateur a fait valoir qu’en donnant aux mots utilisés leur sens naturel et ordinaire, un employé a le droit d’être rémunéré à taux double pour toutes les heures supplémentaires travaillées au-delà de 12 heures dans une journée et que « toutes les heures travaillées » comprennent les heures régulières. De même, une rémunération des heures supplémentaires à taux triple s’appliquerait à toute les heures travaillées au-delà de 16 heures dans une journée, comprenant les heures régulières.

[12]  L’employeur est d’avis que les 12 heures auxquelles il est fait renvoi à la clause 32.04b) ne comprennent pas les heures régulières, ce qui signifie que l’employé doit travailler 12 heures supplémentaires à taux et demi avant de commencer à être rémunéré à taux double. Il n’est pas nécessaire de travailler ces heures dans la même journée; il s’agit d’un taux mobile qui s’accumule habituellement pendant les nombreux jours que dure un essai en mer.

[13]  L’employeur a fait valoir que cette question avait déjà été tranchée dans Ducey c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2016 CRTEFP 114. Il a soutenu que la formation de la Commission qui avait entendu l’affaire avait été d’accord avec l’interprétation de ce libellé par l’employeur et que cette question était déjà tranchée. L’employeur a soutenu que les trois critères préalables à l’application du principe de la question déjà tranchée établi par la Cour suprême du Canada dans Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44 avaient été remplis en l’espèce. Ces critères sont les suivants :

 

[14]  L’employeur a soutenu que la question dont la Commission est saisie est la même que celle indiquée dans Ducey. Il a avancé que la Commission doit se demander si les faits et les arguments présentés dans les deux affaires sont les mêmes ou fondamentalement les mêmes. L’employeur a reconnu que la question en litige dans Ducey était décrite comme une clarification de ce qui constitue des « heures de travail régulières ». L’analyse s’est toutefois penchée sur le calcul des heures supplémentaires. L’agent négociateur a indiqué que la question à trancher dans Ducey était différente, en ce sens où cette affaire portait sur la définition de ce qui constitue des heures de travail régulières. Les conditions préalables à l’application du principe de la question déjà tranchée n’avaient pas été remplies selon lui.

[15]  L’employeur a également fait valoir que les parties dans Ducey étaient effectivement les mêmes. En fait, les fonctionnaires s’estimant lésés et l’agent négociateur étaient représentés par le même avocat et avaient déposé les mêmes éléments de preuve. John Ducey était l’un des fonctionnaires s’estimant lésés dans l’affaire précédente. M. Ducey et Steven Watters, qui avait témoigné pour l’employeur, ont déposé des éléments de preuve dans les deux affaires. La seule différence est que Ducey portait sur deux griefs individuels, tandis que l’agent négociateur a amorcé la présente affaire en tant que grief de principe. Selon l’employeur, cette différence ne change rien au fond de la question dont la Commission est saisie.

[16]  L’employeur a soutenu que, même si la question n’était pas déjà tranchée, la remise en litige de ce qui est essentiellement la même question constitue un abus de procédure, comme il est indiqué dans International Association of Heat and Frost Insulators and Allied Workers, Local 95, qui cite Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63. Dans Toronto (Ville), la Cour suprême du Canada a invoqué l’abus de procédure afin d’empêcher un plaignant de remettre en litige des événements devant une commission d’arbitrage pour lesquels il avait déjà été reconnu coupable d’une infraction en vertu du Code criminel (L.R.C. (1985), ch. C-46), tel que modifié. La Cour a affirmé que la remise en litige dans ce genre de situation ne devrait pas être permise. Elle a conclu que la doctrine de l’abus de procédure serait appliquée, même quand les exigences strictes du principe de la question déjà tranchée n’étaient pas remplies, si la réouverture du litige porterait atteinte aux principes d’économie judiciaire, de cohérence, de caractère définitif des instances et d’intégrité de l’administration de la justice.

[17]  En ce qui concerne le caractère définitif de la décision antérieure, la formation de la Commission dans Ducey est demeurée saisie de l’affaire pendant 60 jours suivant la publication de la décision afin de régler toute question découlant de la mise en œuvre. L’employeur a fait valoir que l’agent négociateur n’était pas retourné devant la Commission afin de soulever cette question et qu’il n’avait pas non plus lancé une procédure de contrôle judiciaire.

[18]  En ce qui concerne la troisième condition préalable, les parties s’entendaient sur le fait que la décision dans Ducey était finale.

B.  Motifs de décision

[19]  Je conclus que la question n’est pas une question déjà tranchée en vertu de Ducey.

[20]   Je souscris à l’opinion de l’employeur selon laquelle la question est essentiellement la même. Même si elle est décrite différemment en tant que clarification de ce qui constitue des « heures de travail régulières », cette question a été présentée à la formation de la Commission dans Ducey afin de déterminer la façon dont la rémunération des heures supplémentaires serait calculée. Afin de déterminer les heures supplémentaires dans une situation de travail quelconque, il faut d’abord définir quelles sont les heures régulières. Elles ne sont pas des questions distinctes, mais plutôt les deux aspects opposés d’une même question.

[21]  De plus, Ducey elle-même indique clairement que le litige concernait les heures supplémentaires. Le premier paragraphe de cette décision se lit comme suit : « Le présent arbitrage découle d’un litige au sujet des heures supplémentaires qui auraient dû être payées à John Ducey et Andrew Malloy, les fonctionnaires s’estimant lésés (les “fonctionnaires”), lors d’essais en mer qui ont eu lieu dans le sous-marin NCSM Windsor et dans la frégate NCSM Halifax ». Dans le cadre de son examen de cette question, la formation de la Commission dans Ducey a interprété plusieurs sous-clauses de la clause 32.04. Elle a conclu que les heures régulières travaillées n’étaient pas comprises dans le calcul des 12 heures requises pour toucher une rémunération à taux double des heures supplémentaires.

[22]  Les parties sont-elles les mêmes? Non, elles ne le sont pas. Dans Ducey, il était question de deux fonctionnaires s’estimant lésés individuels, soit John Ducey et Andrew Malloy (voir le par. 208(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « LRTSPF »)). La présente affaire est un grief de principe déposé par l’agent négociateur, soit la Fraternité internationale des ouvriers en électricité (la « FIOE »). Même si la FIOE représentait les fonctionnaires s’estimant lésés dans Ducey, elle n’était pas en soi une partie (voir le paragraphe 208(4) de la LRTSPF). Le fait que l’avocat et les témoins sont les mêmes, comme l’a soutenu l’employeur, n’est pas pertinent. Je souligne aussi que l’on ne peut pas rendre l’agent négociateur coupable de ne pas s’être présenté devant la Commission afin de lui demander d’épuiser sa compétence ou de ne pas avoir présenté une demande de contrôle judiciaire alors qu’il n’était pas l’une des parties dans cette affaire.

[23]  Étant donné que les parties dans la présente affaire et celles dans Ducey sont différentes, les conditions préalables à l’établissement du principe de la question déjà tranchée ne sont pas réunies.

[24]  Même si cela n’était pas le cas, toutefois, il n’est pas du tout évident que le principe de la question déjà tranchée devrait être appliqué dans des affaires de relations de travail. La jurisprudence indique clairement que la Commission n’est pas liée par le principe de la question déjà tranchée.

[25]  Il a été indiqué dans la jurisprudence que les arbitres et les commissions réglementaires doivent tenter d’éviter de présenter des interprétations différentes du même libellé d’une convention collective sans motif valable. Voir, par exemple, les commentaires de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Bétournay, 2018 CAF 230, qui se lisent comme suit :

51 Il est vrai qu’un décideur administratif n’est pas tenu de se conformer ou d’adhérer à un consensus arbitral et n’est pas lié par les décisions qui peuvent émaner de ses collègues. Bien qu’une certaine uniformité soit souhaitable, il est loisible de déroger à un courant arbitral à la condition de s’en expliquer de façon convaincante. Comme l’a noté la Cour suprême dans l’arrêt Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 R.C.S. 458, les précédents en matière d’arbitrage constituent une « référence utile » pour évaluer la raisonnabilité d’une décision administrative (au para. 6 (juge Abella )). L’exigence de la prévisibilité veut qu’ils soient généralement suivis, à moins d’une explication permettant de comprendre pourquoi un arbitre a choisi de s’en écarter.

 

[26]  Dans la présente affaire, je dois m’écarter de l’interprétation de la clause 32.04b) qu’a faite la Commission dans Ducey pour les motifs qui suivent.

[27]  Selon ma lecture de la version anglaise de la clause 32.04b), le sens ordinaire des mots joue en faveur de l’interprétation faite par l’agent négociateur et je ne peux pas, même si je prends en considération la version anglaise seulement, l’interpréter de la même manière que la Commission l’a fait dans Ducey. Néanmoins, je comprends comment le libellé a pu être interprété comme il l’a été dans Ducey. Il est possible que les mots utilisés aient les deux sens.

[28]  Je crois cependant que l’examen de la version française du libellé de la convention collective donne la bonne interprétation. Les deux versions sont officielles (voir l’article 4 de la convention collective) et ont un statut égal.

[29]  La version anglaise de la clause 32.04b) se lit comme suit :

(b) He or she shall be paid overtime at time and one-half (1 1/2) the employee’s straight-time hourly rate for all hours worked in excess of the regularly scheduled hours of work up to twelve (12) hours.

 

[30]  La version française de la clause 32.04b) se lit comme suit :

(b) L’employé-e touche une fois et demie (1 1/2) son taux horaire normal pour toutes les heures travaillées en sus de son horaire normal de travail jusqu’à ce qu’il ou elle ait travaillé douze (12) heures.

 

[31]   Il est concevable, comme le voudrait l’employeur, que la phrase « all hours worked in excess of the regularly scheduled hours of work up to twelve hours » dans la version anglaise signifie le nombre total d’heures travaillées au-delà des heures régulières, jusqu’à ce que leur total s’élève à douze heures supplémentaires après quelques jours. Toutefois, la version française, avec les mots qu’elle utilise, clarifie le sens en faveur de l’interprétation de l’agent négociateur. La phrase « toutes les heures travaillées en sus de son horaire normal de travail jusqu’à ce qu’il ou elle ait travaillé douze (12) heures » transmet le sens plus clairement.

[32]   Dans la version française, il est clair que la rémunération au taux double commence quand  un employé a « travaillé 12 heures ». Cela signifie qu’il ou elle a travaillé ses heures régulières au taux normal, puis des heures supplémentaires à taux et demi et, après avoir travaillé 12 heures en tout, commence à être rémunéré au taux double. Les heures de travail régulières de l’employé sont comprises dans les 12 heures requises pour toucher une rémunération des heures supplémentaires au taux double et, de même, dans les 16 heures requises pour toucher une rémunération au taux triple.

[33]  Le sens de la version française ne contredit pas celui de la version anglaise, étant donné que cette dernière peut être comprise de deux façons différentes. Je conclus que la version française clarifie en fait le sens de la version anglaise. Je mentionne que la formation de la Commission dans Ducey n’a pas pris en compte le libellé de la version française dans son interprétation de la clause 32.04b).

IV.  Question 2 – La rémunération au taux triple revient-elle au taux et demi ou au taux double après une période de repos obligatoire de 10 heures?

A.  Argumentation des parties

[34]  La deuxième question vise à déterminer si la rémunération des heures supplémentaires au taux triple revient au taux et demi ou au taux double après une période de repos obligatoire de 10 heures.

[35]  La clause 32.04e) se lit comme suit : « L’employé-e qui a droit au taux triple (3) prévu à l’alinéa d) précédent continue d’être rémunéré-e à ce taux pour toutes les heures travaillées jusqu’à ce qu’il se voit accorder une période de repos d’au moins dix (10) heures consécutives ».

[36]  L’agent négociateur a fait valoir qu’après une période de repos, la rémunération au taux triple devrait revenir au taux double, et non au taux et demi. Il a fait valoir que l’employeur, dans son interprétation de la clause 32.04e), s’était fondé sur Ducey, qui n’aborde pas le taux auquel les heures supplémentaires doivent être payées après une période de repos de 10 heures. Ni cette décision ni la clause elle-même ne disent quoi que ce soit sur le taux auquel la rémunération doit être rétablie à la suite d’une période de repos obligatoire.

[37]  Selon l’agent négociateur, cela rend le libellé de la clause 32.04e) « ambigu, au mieux » en ce qui concerne la façon dont un employé doit être rémunéré dans ces circonstances. Il soutient que dans les cas où le libellé est ambigu, la Commission peut utiliser la conduite ou la pratique antérieure des parties afin de dissiper l’ambiguïté (voir Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 5e édition, au chapitre 3:4430; Maple Leaf Consumer Foods, Inc. v. Schneiders Employees' Assn. (2008), 170 L.A.C. (4th) 73; et District School Board Ontario Northeast v. Canadian Office and Professional Employees Union, Local 429 (2017), 282 L.A.C. (4th) 296).

[38]  L’employeur a soutenu que la Commission avait aussi tranché cette question dans Ducey. Le taux de rémunération des heures supplémentaires augmente au fur et à mesure que l’employé travaille des heures supplémentaires et n’est réinitialisé que si l’employé obtient une période de repos obligatoire de 10 heures après avoir travaillé des heures supplémentaires au taux triple. L’interprétation de l’agent négociateur est en contradiction avec la progression séquentielle de la clause 32.04.

[39]  En outre, un avantage qui comporte un coût monétaire pour l’employeur doit avoir été clairement et expressément accordé et une interprétation produisant un résultat non équivoque est généralement préférée à une interprétation qui produirait un résultat équivoque ou incertain (voir Wamboldt c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 55, aux par. 25 à 28). L’interprétation de l’agent négociateur défie l’interprétation simple de la disposition et donne des résultats absurdes, tandis que l’interprétation de l’employeur est logique et donne des résultats clairs.

[40]  Subsidiairement, l’employeur a soutenu que c’est à lui qu’il appartient de déterminer la rémunération appropriée après la réinitialisation à la suite de la période de repos obligatoire de 10 heures en vertu de la clause 7.01 (droits de la direction) de la convention collective, tant que cette détermination respecte la logique appliquée par la Commission dans Ducey et qu’elle n’est pas expressément interdite par la convention collecte.

B.  Motifs de décision

[41]  Je souscris à l’opinion de l’agent négociateur selon laquelle ni la clause 32.04e) elle-même ni Ducey ne disent quoi que ce soit sur le taux de rémunération des heures supplémentaires après réinitialisation à la suite d’une période de repos obligatoire de 10 heures. Dans Ducey, les fonctionnaires s’estimant lésés ont indiqué que selon eux, l’employeur ne devrait pas exiger des périodes de repos pour les employés pendant qu’ils sont à bord d’un navire. Toutefois, aucune question sur le taux de rémunération des heures supplémentaires après une période de repos n’a été invoquée ou tranchée.

[42]  Je ne peux toutefois pas être d’accord avec l’agent négociateur quand il affirme que le silence de la convention collective sur cette question rend le libellé ambigu, au mieux, ce qui ouvre la porte à s’appuyer sur la conduite ou sur la pratique antérieure des parties. Le silence ne soulève habituellement pas à lui seul  une ambiguïté; il indique plutôt que les parties ne sont pas penchées sur cette question. Voir, par exemple, Wilson’s Truck Lines Ltd. and Industrial Wood and Allied Workers of Canada, Local 700 (1999), 80 L.A.C. (4th) 1, où l’on indique ce qui suit :

[Traduction]

[…]

27 Ce n’est que lorsque la convention peut être considérée comme ambiguë que des « éléments de preuve extrinsèques » peuvent être invoqués pour faciliter l’interprétation. Le fait qu’il y ait des interprétations différentes n’établit pas qu’il y a ambiguïté. De même, le fait qu’une convention collective soit muette sur une question en particulier ne signifie pas pour autant qu’elle est ambiguë. C’est précisément le cas dans le grief en l’espèce, où la convention collective est muette sur le nombre de postes déplacés. En ce qui concerne la question du silence de la convention collective, voir Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 3e éd., feuilles mobiles (Aurora : Canada Law Book), au paragraphe 3:4400 de la page 3-64-65, qui indique ce qui suit :

Les arbitres, toutefois, ne semblent pas s’être mis d’accord sur le fait que le silence en soi ne peut être assimilé à une ambiguïté, étant donné que le silence peut signifier que les parties n’ont rien convenu sur cette question.

28 L’une des affaires auxquelles il est fait renvoi à la note de bas de page 21 du paragraphe 3:4400 est Canteen of Canada Ltd. v. Retail, Commercial & Industrial Union, Local 206, qui a été précitée, où l’arbitre Gorsky a présenté l’explication suivante à la page 367 :

Nous sommes ici en présence d’une convention collective qui ne dit rien sur le droit de la compagnie de désigner un jour de congé comme un jour férié mobile et il a été conclu dans bon nombre de décisions que le silence d’une convention collective ne constitue pas une ambiguïté : […] Comme il a été indiqué dans Re U.S.W. and Uddeholm Steels Ltd. (1971), 22 L.A.C. 419 (Weiler), à la page 421 :

[…] une convention collective entièrement silencieuse indique habituellement que les parties n’entendaient pas donner un sens précis à une question, parce qu’elles ne se sont pas mises d’accord sur la façon dont elle doit être régie.

 

[43]  Voir aussi SGS Canada Inc. v. Unifor, Local 672, 2020 CanLII 55416 (ON LA), qui indique ce suit :

[Traduction]

57 Si les parties avaient souhaité ce résultat, comme le syndicat m’a exhorté de conclure, elles auraient pu prévoir clairement une telle limite dans le libellé. La question est plutôt demeurée silencieuse et a permis l’application par défaut des dispositions relatives aux droits de la direction prévues à l’article 5, ce qui permet à la compagnie d’exercer son pouvoir discrétionnaire de bonne foi afin d’établir les heures supplémentaires à des fins commerciales légitimes. […]

 

[44]  Si les parties avaient eu une intention mutuelle en ce qui concerne la question du taux de rémunération des heures supplémentaires après une période de repos obligatoire de 10 heures, elles n’ont pas tenté de le mettre par écrit.

[45]  Je souscris aussi à l’opinion de l’employeur selon laquelle une disposition qui comporte un coût financier doit être clairement indiquée. Je ne suis pas disposée à le conclure de son silence. Voir la décision Wamboldt, au par. 27, qui indique ce qui suit :

[27] […] un avantage qui comporte un coût financier pour l’employeur doit avoir été clairement et expressément stipulé dans la convention collective; voir notamment : Cardinal Transportation B.C. Inc. v. Canadian Union of Public Employees, Local 561 (1997), 62 L.A.C. (4e) 230, au paragr. 27; Greater Sudbury (City) v. Ontario Nurses' Association, [2011] O.L.A.A., no 471 (QL), au paragr. 23; Essex (County) v. Canadian Union of Public Employees, Local 2974.1 [2006] O.L.A.A., no 689 (QL), au paragr. 23.

[46]  Les droits résiduels de la direction sont établis en partie à la clause 7.01 de la convention collective, comme suit :

7.01 […] les droits et responsabilités de ce genre qui ne sont ni précisés ni modifiés d’une façon particulière par la présente convention appartiennent en exclusivité à l’Employeur. L’exercice de tels droits ne doit pas être incompatible avec les dispositions explicites de la présente convention.

 

[47]  Étant donné le silence de la convention collective sur cette question et le fait que l’interprétation de l’employeur n’est pas incompatible avec le libellé de la convention collective ou avec Ducey, l’employeur peut exercer ses droits de la direction résiduels afin de déterminer le taux de rémunération des heures supplémentaires après une réinitialisation à la suite d’une période de repos obligatoire de 10 heures.

[48]  La Commission peut seulement interpréter les mots utilisés par les parties et ne peut ajouter des éléments à la convention collective ou la modifier (voir l’art. 229 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art.2)). Tout désaccord persistant entre les parties sur cette question devra être réglé à la table de négociation.

[49]  Pour tous ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


 

V.  Ordonnance

[50]  Je déclare que les heures de travail régulières sont comprises dans les 12 heures de travail requises en vertu de la clause 32.04b) de la convention collective de l’unité de négociation du groupe Électronique afin d’atteindre une rémunération des heures supplémentaires au taux double et triple.

[51]  Je déclare aussi que la convention collective est muette en ce qui concerne le taux de rémunération après une période d’heures supplémentaires au taux triple suivie de la période de repos de 10 heures prévue à la clause 32.04e) et que l’employeur est en droit de déterminer le taux de rémunération qui s’applique après une telle période de repos.

Le 18 décembre 2020.

Traduction de la CRTESPF.   

Nancy Rosenberg,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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