Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a allégué que la défenderesse avait porté atteinte à ses droits en tant qu’organisation syndicale lorsqu’elle lui a refusé le droit d’afficher un communiqué sur la rupture des négociations sur les tableaux d’affichage des lieux de travail de la défenderesse – la Commission n’a pas trouvé de motifs légitimes justifiant le refus de la défenderesse d’approuver le communiqué – le contenu du communiqué n’était ni illégal, ni abusif, ni diffamatoire et il respectait les normes sur les relations de travail – la Commission ne disposait d’aucune preuve d’une quelconque incidence négative que la défenderesse aurait subie si le communiqué avait été affiché – il était arbitraire et déraisonnable de la part de la défenderesse de refuser à la plaignante le droit d’afficher son communiqué sur le lieu de travail – la seule raison pour laquelle la défenderesse voulait contrôler l’affichage était qu’elle voulait empêcher la plaignante de mobiliser ses membres sur le lieu de travail – la défenderesse ne doit pas être un examinateur à la censure et ne doit pas refuser son approbation simplement parce que des questions sensibles peuvent être soulevées, ni empêcher la plaignante d’exercer ses droits pendant les négociations – l’employeur a utilisé la convention collective comme un outil pour intervenir dans la représentation par la plaignante de ses membres – l’employeur a contrevenu au droit de la plaignante d’afficher des communiqués sur les tableaux d’affichage des lieux de travail et il a contrevenu aux dispositions de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, article 2).

Plainte accueillie.

Contenu de la décision


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I.  Plainte devant la Commission

[1]  La plaignante, soit l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), au nom de son élément membre, le Syndicat des employé-e-s de l’impôt (SEI ou le « syndicat »), a allégué que la défenderesse, soit l’Agence du revenu du Canada (ARC ou l’« employeur ») s’est immiscée dans ses droits en tant qu’organisation syndicale quand elle a refusé au SEI le droit d’afficher un communiqué concernant la rupture des négociations sur les tableaux d’affichage des sites de travail de l’ARC en mai 2019. Le syndicat a allégué qu’il s’agissait d’une violation de la convention collective conclue entre l’Agence du revenu du Canada et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Services des programmes et de l’administration, qui est arrivée à échéance le 31 octobre 2016 ainsi que des articles 5 et 190 et de l’alinéa 186(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, article 2, la « Loi »).

II.  Résumé de la preuve

[2]  La présente plainte découle d’une ronde tumultueuse de négociation collective entre les parties, pendant laquelle les négociations ont échoué à au moins deux reprises. À l’une de ces occasions, le SEI a cherché à afficher un communiqué concernant l’état de la négociation sur les tableaux d’affichage de certains sites de travail de l’ARC. Dans ce communiqué, il exposait sa version de ce qui s’était passé à la table de négociation et expliquait pourquoi les pourparlers avaient échoué. L’ARC avait une version différente des événements, comme cela se produit habituellement, et a refusé au SEI le droit d’afficher la mise à jour sur la négociation, en invoquant ses droits de la direction, comme le prévoit l’article 12 de la convention collective pertinente.

[3]  De son côté, l’ARC a avancé qu’elle était en droit de refuser au SEI le droit d’afficher sa mise à jour sur la négociation parce que le communiqué ne respectait pas les dispositions de la convention collective. Il contenait des énoncés faux et erronés sur les événements survenus à la table de négociation, selon l’évaluation de Marc Bellevance, le négociateur de l’ARC. Par conséquent, il était défavorable aux intérêts de l’ARC.

[4]  La clause 12.01 de la convention collective est rédigée comme suit :

**ARTICLE 12

UTILISATION DES LOCAUX DE L’EMPLOYEUR

**

12.01 Un espace raisonnable sur les tableaux d’affichage, dans des endroits accessibles, y compris les babillards électroniques s’ils sont disponibles, est mis à la disposition de l’Alliance pour y apposer des avis officiels de l’Alliance. L’Alliance s’efforcera d’éviter de présenter des demandes d’affichage d’avis que l’Employeur pourrait raisonnablement considérer comme préjudiciables à ses intérêts ou à ceux de ses représentants. L’Employeur doit donner son approbation avant l’affichage d’avis ou d’autres communications, à l’exception des avis concernant les affaires syndicales de l’Alliance, y compris des listes des représentants de l’Alliance et des annonces d’activités sociales et récréatives. Cette approbation ne doit pas être refusée sans motif valable.

 

[5]  M. Bellevance a affirmé que le communiqué du SEI présenté le 10 mai 2019 contenait des énoncés faux et erronés, selon lesquels l’ARC était revenue sur sa promesse de présenter des propositions salariales et qu’elle avait cherché à maintes reprises à discuter de l’augmentation des quarts de travail de soir, ce qui allait à l’encontre du [traduction] « Rapport du groupe de travail mixte » sur l’administration des horaires de travail dans les centres d’appels, dans les centres fiscaux et dans les bureaux des services fiscaux. Dans ce rapport, on avait conclu à l’existence de favoritisme et de pratiques incohérentes dans l’administration des quarts.

[6]  Selon M. Bellevance, voici ce qui s’est passé réellement à la table et qui a mené à la rupture des négociations en mai 2019 : dans le communiqué affiché par l’ARC dans « InfoZone », son tableau d’affichage électronique, l’ARC indiquait que le SEI n’avait montré aucun intérêt à négocier et qu’elle avait déployé tous les efforts raisonnables pour répondre aux priorités du SEI (voir le communiqué, pièce 1, onglet 8).

[7]  Morgan Gay était le négociateur national de l’AFPC et le négociateur en chef du SEI pendant cette ronde de négociations. Il a témoigné que le SEI est la deuxième unité de négociation en importance de l’AFPC. Selon l’énoncé conjoint des faits, le SEI compte environ 29 000 membres, qui travaillent principalement aux centres d’appels, aux bureaux des services fiscaux et aux centres fiscaux de l’ARC. Les membres de l’unité de négociation ont été consultés afin de préparer les négociations, en vue de cerner les principales questions à soulever à la table de négociation, à savoir les salaires, l’établissement de l’horaire, les questions liées au travail dans les centres d’appels, l’emploi pour une période déterminée, la conciliation entre travail et vie privée et les droits syndicaux dans le lieu de travail. Ces priorités ont été présentées à l’employeur dès le début de la négociation, selon M. Gay.

[8]  Le SEI a présenté sa proposition salariale en décembre 2018. L’employeur n’a pas présenté de contre-proposition, comme l’on s’y attendait, quand les deux parties se sont rencontrées en janvier 2019. Cette absence de proposition était très déroutante selon M. Gay, étant donné que d’autres employeurs du Conseil du Trésor avaient présenté leurs propositions salariales. À ce moment-là, le SEI a fait part de son mécontentement et a déclaré une impasse. Une demande de conciliation a été présentée auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») le 12 février 2019, à la suite de laquelle un médiateur a été nommé.

[9]  Les deux parties ont rencontré le médiateur du 2 au 4 avril 2019. Elles n’ont fait que des progrès limités, selon M. Gay. Les questions principales du SEI n’ont pas été abordées. La séance tenue avec le médiateur du 7 au 9 mai 2019 ne s’est pas bien déroulée non plus. L’équipe de négociation du SEI était frustrée, car elle n’avait toujours pas reçu de réponse de l’employeur sur la proposition salariale qu’elle avait présentée en décembre 2018.

[10]  Lors de la première séance, en mai, l’employeur a indiqué qu’il présenterait une proposition salariale au cours de cette même semaine. À la lumière de cette déclaration, l’équipe de négociation du SEI a fait des concessions importantes, selon M. Gay; l’employeur n’a toutefois pas présenté de proposition salariale, mais plutôt une proposition entièrement différente, et il a demandé au SEI d’y répondre. L’équipe de négociation du SEI l’a rejetée, car elle était d’avis que l’employeur tentait de dicter au syndicat ce qui était raisonnable et ce qui ne l’était pas. Tous les membres de l’équipe du SEI présents à la séance de mai avaient compris que l’employeur présenterait sa proposition salariale pendant cette séance. Rien ne laissait entendre que ce qui était présenté faisait partie d’une proposition salariale ou que la proposition salariale serait conditionnelle à l’acceptation, par le SEI, d’une proposition différente.

[11]  M. Gay a témoigné qu’il avait été transmis très clairement à l’équipe de négociation de l’employeur que le syndicat devait voir quelque chose concernant l’argent cette semaine-là. L’équipe de négociation de l’employeur a confirmé qu’elle allait présenter une proposition salariale, mais elle n’a pas indiqué que celle-ci serait conditionnelle à l’acceptation, par le syndicat, de toute autre proposition de l’employeur. Quand il a reçu la proposition de l’employeur, le SEI l’a rejetée. Ce soir-là, l’AFPC a informé la Commission que les parties avaient de nouveau abouti à une impasse.

[12]  En réponse à la demande présentée par l’employeur à la Commission, la présidente de la Commission a nommé une commission d’intérêt public (CIP) afin d’intervenir dans cette affaire. Une mise à jour sur la négociation a été préparée à l’intention des membres du SEI et a été envoyée après que l’impasse de mai ait été déclarée. Les communiqués de cette nature sont cruciaux au rôle d’un négociateur, selon M. Gay. Ils sont les principaux moyens de communication avec les membres afin de les tenir à jour sur la progression des négociations. Les communiqués font partie du processus démocratique. Les membres veulent être informés, savoir ce qui se passe et avoir leur mot à dire sur ce qui est fait. Sans ces mises à jour, ils reçoivent des mises à jour sur les négociations seulement de la part de l’employeur.

[13]   Les questions dont l’employeur a refusé de discuter, soit les salaires et l’emploi pour une durée déterminée, ont été présentées dans le communiqué du 10 mai 2019. Il a aussi été question du refus de l’employeur d’accepter les propositions du SEI liées à l’emploi pour une durée déterminée, à la conciliation travail-vie privée, aux conditions dans les centres d’appels et au favoritisme dans l’établissement de l’horaire des quarts de soir et de fin de semaine, et ce, malgré le fait qu’un comité mixte ait relevé un problème dans ce domaine, selon M. Gay. Le communiqué indiquait aussi que l’employeur était revenu sur sa promesse de présenter des conditions salariales pendant la séance. Ce communiqué a été envoyé aux membres et aux délégués syndicaux locaux afin de l’afficher sur les tableaux d’affichage du SEI dans les lieux de travail. Il a également été affiché dans le site Web de l’AFPC, dans la section des mises à jour sur la négociation collective. Toutefois, selon M. Gay, le lieu de travail était la meilleure façon de joindre les membres du SEI.

[14]  L’employeur a rédigé une mise à jour similaire sur la négociation, qu’il a affichée dans InfoZone. Cette mise à jour indiquait que le SEI n’avait montré aucun intérêt à négocier et qu’il n’avait pas répondu à la plus récente proposition de l’employeur. M. Gay a indiqué dans son témoignage que cela était faux. L’équipe de négociation du SEI a bel et bien répondu. Elle a rejeté la proposition. Le problème résidait dans le fait que l’employeur n’avait pas aimé la réponse du syndicat et qu’il avait refusé de l’accepter.

[15]  La mise à jour indiquait aussi que le syndicat s’était retiré de la table, ce qui a empêché d’autres discussions, y compris celles sur les conditions salariales. Selon M. Bellevance, le négociateur de l’ARC qui a rédigé la mise à jour de l’employeur, l’ARC avait déployé tous les efforts raisonnables pour répondre aux priorités du SEI. M. Gay n’était pas d’accord avec cette description des efforts déployés par l’employeur et des événements qui ont mené à la déclaration de la deuxième impasse des négociations.

[16]  En indiquant au début de la semaine que l’employeur présenterait une contre‑offre salariale au SEI au cours de la semaine, le négociateur en chef de l’ARC a pris un engagement à l’égard de l’autre partie qu’il devait honorer, selon M. Gay. L’ensemble du processus de négociation collective repose sur la bonne foi des parties. Quand l’employeur a demandé au SEI de limiter les questions, son négociateur en chef a dit au SEI [traduction] « […] faites-le et nous présenterons les conditions salariales ». En fin de compte, quand l’employeur n’a pas obtenu la réponse voulue pour l’une de ses propositions, il est revenu sur son engagement à présenter la proposition salariale, selon M. Gay. L’employeur était frustré contre le SEI, c’est pourquoi il a décidé de ne pas présenter de proposition salariale; en fait, il ne l’a fait que des mois plus tard, après la nomination de la CIP.

[17]  Shane O’Brien a témoigné qu’il avait rédigé ou approuvés tous les communiqués du SEI, sauf les communiqués sur la négociation, qui étaient rédigés par le négociateur et ensuite approuvés par le vice-président national du SEI et lui‑même. Les communiqués visaient à tenir les membres au courant et motivés à soutenir leur équipe de négociation. Les communiqués ont été envoyés aux sections locales afin d’être affichés sur les tableaux d’affichage aux lieux de travail et d’être envoyés aux adresses de courriel personnelles, le cas échéant, en plus d’être affichés dans les sites Web de médias sociaux Facebook et Twitter.

[18]  L’endroit où l’on affiche habituellement ce genre de renseignement est le tableau d’affichage au lieu de travail, puisque c’est encore celui-ci que les membres consultent pour obtenir des mises à jour, selon M. O’Brien. L’AFPC possède moins de 50 % des adresses électroniques personnelles de ses membres, et le SEI n’a pas accès à InfoZone pour afficher ses mises à jour. Quand l’employeur a publié sa mise à jour, les membres du SEI ont reçu un courriel de l’employeur leur indiquant qu’ils pouvaient la consulter dans InfoZone.

[19]  Les tableaux d’affichage dans les lieux de travail sont le principal moyen de communication de l’AFPC avec ses membres, particulièrement pendant les négociations. L’article 12 de la convention collective régit ce qui peut être affiché sur ces tableaux d’affichage, mais il y a longtemps que l’on n’a pas demandé l’approbation de l’employeur pour afficher des communiqués sur la négociation. Depuis 1989, la pratique en vigueur est la suivante : si l’employeur considère toute information indiquée dans un bulletin comme allant à l’encontre de ses intérêts, son représentant appelle le président national du SEI. En temps normal, si l’employeur n’est pas d’accord avec le contenu d’un bulletin affiché sur un tableau d’affichage, selon M. O’Brien, un représentant de l’employeur communique avec lui et indique le contenu qui pose un problème, et ils conviennent d’une correction.

[20]  Cette pratique n’a pas été suivie cette fois-ci. Personne n’a communiqué avec M. O’Brien ou avec le président national du SEI. L’employeur a ordonné le retrait du communiqué et a refusé son affichage sans consulter le SEI ou l’AFPC. M. O’Brien a appris que l’employeur avait déterminé que le contenu du communiqué allait à l’encontre de ses intérêts seulement quand il a reçu des courriels de l’employeur, dans lesquels il exigeait le retrait du bulletin dans 5 des 60 bureaux régionaux de l’ARC.

[21]  À cause de ce refus, le SEI n’a pas pu tenir ses membres au courant de l’état de la négociation. Les centres fiscaux et les centres d’appels n’ont aucun accès public. Les bureaux des services fiscaux n’ont aucun accès public direct. Les tableaux d’affichage se trouvent dans les salles de repas ou de repos. Si l’employeur refuse au SEI le droit d’afficher ses communiqués, le syndicat ne sera donc pas en mesure de tenir les membres dans ces régions au courant. Sans cette capacité, les membres reçoivent seulement la version de l’employeur des événements survenus à la table de négociation. Cela augmente la charge de travail des bureaux locaux et nationaux du syndicat, en plus d’exposer celui-ci à des critiques. L’équipe de négociation perd l’appui de ses membres et il est difficile de mener des négociations fructueuses.

[22]  Sans la capacité de communiquer efficacement avec ses membres pendant le processus de négociation, il est difficile pour le SEI de mobiliser ses membres quand des moyens de pression sont requis. Il n’est pas nécessairement question du déclenchement d’une grève, mais plutôt de tout ce qui peut y mener, ce qui indique à l’employeur que les membres de l’unité de négociation sont solidaires envers leur équipe de négociation.

[23]  M. O’Brien a participé aux séances de négociation. Il était d’accord avec M. Gay que les salaires revêtaient une importance extrême aux yeux des employés, étant donné qu’ils n’avaient pas reçu d’augmentation salariale depuis quatre ans. Les salaires étaient une priorité pour le syndicat à la table. Lorsque l’employeur n’a présenté aucune contre-offre à la proposition salariale du syndicat lors de la séance tenue au début du mois de mai, l’espoir qu’une entente soit conclue était faible.

[24]  Dès le début, le représentant de l’employeur a dit que le Conseil du Trésor ne lui avait confié aucun mandat concernant les salaires, mais que ceux-ci seraient probablement liés à ce que le groupe Administration des programmes de l’administration publique centrale recevrait si les parties concluaient une entente. Le 7 mai, le négociateur de l’employeur a indiqué que l’équipe du syndicat recevrait une proposition salariale. Il a toutefois été dit à cette équipe plus tard qu’aucune proposition ne serait présentée, à moins que le syndicat réponde d’abord à une proposition complète que l’employeur avait présentée. Si le syndicat l’acceptait, une proposition salariale serait présentée le 8 mai. Cette tactique a frustré et mis en colère l’équipe, qui la considérait comme un acte de négociation de mauvaise foi. L’employeur ne souhaitait pas conclure une entente. Il savait que les salaires étaient l’un des éléments cruciaux à la conclusion d’une entente avec le SEI.

[25]  M. O’Brien a témoigné qu’il a été membre du comité syndical-patronal mixte formé lors de la dernière ronde de négociation collective afin d’examiner l’emploi dans les centres d’appels. Les parties ont estimé que la convention collective n’était pas adéquate pour le type de travail qui y était effectué. Le groupe de travail a distribué des questionnaires aux membres de la direction et du syndicat. Les réponses comprennent un excédent d’emplois pour une durée déterminée, des pratiques incohérentes en ce qui concerne l’approbation des congés, des périodes d’interdiction de congés qui contrevenaient à la convention collective, l’utilisation non systématique des années de service en tant que facteurs au moment d’approuver des congés et la non-application des dispositions de la convention collective sur l’approbation des congés. Il ressort de ces réponses que certains chefs d’équipes étaient favorisés au détriment d’autres employés de leurs unités. Les employés à temps plein étaient privilégiés par rapport aux employés nommés pour une période déterminée. Selon M. O’Brien, il y avait un manque de cohérence et d’uniformité dans l’application des dispositions sur les congés, ce qui donnait lieu à du favoritisme.

[26]  Le comité ne visait pas à étiqueter quoi que ce soit, mais à déterminer ce qui se passait dans les centres d’appels et à recommander des façons de corriger le tir. Ces recommandations sont devenues des propositions de négociation. C’est ce dont il était question dans le communiqué et ce que l’employeur a affirmé être faux quand il a dit aux présidents des sections locales de le retirer des tableaux d’affichage. Il l’a fait sans consulter de quelque façon que ce soit le président national du SEI ou M. O’Brien. Si l’employeur avait un problème avec le communiqué, M. O’Brien se serait attendu à ce qu’il consulte l’un ou l’autre d’entre eux avant d’exiger son retrait.

[27]  Le SEI avait un vif intérêt à poursuivre les négociations. Il avait accepté d’aller en médiation, dans l’espoir qu’un médiateur aide les parties à progresser. Quand le SEI a rejeté la proposition de l’employeur en mai, ce n’était pas ce que ce l’employeur souhaitait entendre. Le SEI avait clairement indiqué ses priorités et aucun progrès n’avait été réalisé. L’employeur n’a pas déployé d’efforts de bonne foi afin de répondre aux préoccupations du syndicat, notamment celles liées aux salaires.

[28]  M. Bellevance était le négociateur de l’ARC pendant cette ronde de négociation. Six ou sept gestionnaires locaux ont communiqué avec lui afin de lui demander si le communiqué du SEI était approprié pour être affiché sur les tableaux d’affichage dans les lieux de travail. Il a examiné le communiqué et a déterminé qu’il était faux, à son avis. Il a témoigné qu’il n’avait jamais promis au nom de l’employeur qu’il présenterait une proposition salariale en mai 2019. Par conséquent, les allégations du SEI étaient fausses. Il a témoigné que le syndicat s’était fait dire qu’il pourrait parler d’augmentations salariales s’il réduisait ses propositions, ce qui était le but de la proposition présentée en mai. Il a catégoriquement nié avoir promis de présenter des conditions salariales de son propre chef.

[29]  L’allégation selon laquelle l’employeur a reconnu qu’il y avait du favoritisme dans l’établissement de l’horaire des employés des centres d’appels était également fausse. M. Bellevance a témoigné qu’il avait examiné le rapport du groupe de travail et que, selon la lecture qu’il en avait faite, rien n’indiquait que les parties s’étaient mises d’accord sur quoi que ce soit.

[30]  M. Bellevance a témoigné qu’il a mis en application la clause 12.01 de la convention collective et qu’il a analysé le contenu du communiqué afin de s’assurer qu’il était exact et vrai et qu’il n’était pas défavorable aux intérêts de l’employeur. Il a examiné le communiqué mot par mot afin de déterminer s’il contenait quoi que ce soit qui pourrait porter préjudice aux intérêts de l’employeur à la table de négociation. Entre-temps, il a également participé à la rédaction du communiqué de l’employeur sur la négociation, qui était entièrement vrai. Il a reconnu que les parties étaient parfois en désaccord dans leur description des événements et que le syndicat aurait pu juger que le communiqué de l’employeur était malhonnête, même s’il n’a jamais exprimé d’inquiétudes à ce sujet. Le communiqué qu’il a rédigé était très factuel selon M. Bellevance; le syndicat ne montrait aucun intérêt à négocier. Il n’avait pas répondu à la proposition présentée par l’employeur en mai, d’après ses souvenirs. Si le syndicat l’a rejetée, il ne se souvenait pas qu’il l’ait fait avant de déclarer une impasse. Étant donné qu’il ne faisait pas partie du comité mixte qui avait étudié les conditions de travail dans les centres d’appels, comme M. O’Brien, M. Bellevance pouvait seulement se fier à sa lecture du rapport du comité pour se prononcer sur son contenu.

[31]  Le règlement final sur les salaires a été présenté lors des négociations de juillet 2020, après la présentation du rapport de la CIP. Tout au long du processus de médiation, M. Bellevance n’a jamais promis à M. Gay qu’il présenterait une proposition salariale au SEI avant que celui-ci ne restreigne ses propositions. Il a témoigné qu’il l’avait indiqué clairement; peut-être que M. Gay a compris autre chose.

[32]  À deux reprises auparavant, quand l’employeur avait eu des problèmes avec les communiqués du SEI à afficher sur les tableaux d’affichage des lieux de travail, M. Bellevance avait communiqué avec le SEI. Chaque fois, le SEI avait apporté des changements afin de répondre aux préoccupations de l’employeur. Cette fois-ci, il n’a pas communiqué avec le SEI ou suivi la pratique établie, parce que l’employeur sentait qu’il fallait retirer de toute urgence les renseignements erronés des lieux de travail. Les renseignements erronés auraient porté les employés à se mobiliser contre l’employeur. L’affichage du communiqué aurait aussi porté préjudice à la position de négociation de l’employeur. De l’avis de M. Bellevance, il était parfaitement acceptable pour l’employeur de dire aux membres de l’unité de négociation que leur syndicat ne souhaitait pas négocier. Toutefois, il était inacceptable pour le syndicat de formuler des commentaires similaires à propos de l’employeur.

[33]  Étant donné tous ces faits, M. Bellevance a recommandé aux gestionnaires locaux de retirer le communiqué des tableaux d’affichage. Il n’était pas nécessaire d’obtenir des précisions auprès du syndicat. L’employeur ne devait qu’agir, ce qu’il a fait afin d’empêcher le syndicat de mobiliser ses membres aux lieux de travail.

III.  Résumé de l’argumentation

A.  Pour la plaignante

[34]  Une pratique déloyale de travail en vertu de l’article 190 contrevient à l’article 5 et à l’alinéa 186(1)a) de la Loi, qui sont rédigés comme suit :

Liberté du fonctionnaire

5 Le fonctionnaire est libre d’adhérer à l’organisation syndicale de son choix et de participer à toute activité licite de celle-ci.

[…]

Pratiques déloyales par l’employeur

186 (1) Il est interdit à l’employeur ainsi qu’au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, à l’officier, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, ou à la personne qui occupe un poste détenu par un tel officier, qu’ils agissent ou non pour le compte de l’employeur :

a) de participer à la formation ou à l’administration d’une organisation syndicale ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des fonctionnaires par celle-ci; […]

 

[35]  La jurisprudence est claire. L’employeur peut limiter le droit du syndicat d’afficher des communiqués sur le tableau d’affichage d’un lieu de travail dans des circonstances extrêmement limitées seulement, quand ce droit a été établi dans la convention collective. Ces circonstances comprennent les déclarations illégales, abusives, diffamatoires ou frauduleuses, ou qui ne respectent pas les normes des relations de travail.

[36]  Si l’employeur allègue que le communiqué du syndicat limite sa capacité de fonctionner ou de demeurer exempt de mesures disciplinaires, il doit démontrer le préjudice subi. Ni la spéculation ni les déclarations inexactes ne suffisent. Il faut s’attendre à ce que le discours des deux côtés reflète la position de chacun dans le contexte de la négociation. Les déclarations de l’employeur étaient défavorables aux intérêts du syndicat et plus ou moins subjectives, de l’aveu de l’employeur.

[37]  Le syndicat a réussi à avoir accès aux tableaux d’affichage des lieux de travail par l’intermédiaire de la négociation collective. L’employeur n’a pas atteint le seuil requis pour refuser au syndicat le droit d’afficher le communiqué sur la négociation. Il n’y a aucune restriction sur ce que l’employeur peut publier aux fins de lecture par ses employés. En vertu de la convention collective, l’employeur, agissant raisonnablement, peut examiner un communiqué et refuser au syndicat l’accès au lieu de travail en vertu d’une norme judiciaire et arbitraire établie il y a plus de 40 ans.

[38]  Dans Syndicat des postiers du Canada c. Conseil du Trésor (ministère des Postes), dossiers de la CRTFP 169-02-159 et 160 (19781221), [1978] C.R.T.F.P. No. 19 (QL), l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) a conclu qu’il était impossible de définir de façon positive ce qui constitue un motif valable pour lequel un employeur pourrait refuser d’approuver le contenu d’un document syndical proposé aux fins d’affichage quand la convention collective contient un article qui permet au syndicat d’accéder aux tableaux d’affichage des lieux de travail. Les critères pour déterminer s’il existe un motif valable de refuser d’approuver sont l’illégalité du contenu du document, sa nature abusive, comme le prouvent des déclarations abusives, diffamatoires ou frauduleuses, et sa non-conformité aux normes qui régissent le régime actuel des relations de travail.

[39]  L’employeur ne peut pas limiter indûment le rôle ou les intérêts professionnels du syndicat. Il ne suffit pas que des connotations soient négatives pour être jugées diffamatoires ou abusives. La véracité est une défense contre la diffamation et la défenderesse a à peine présenté à ses membres la véracité des événements survenus à la table de négociation.

[40]  Aucune des parties n’a un droit complet et illimité en ce qui concerne la question de l’affichage d’avis sur les tableaux d’affichage des lieux de travail. L’employeur a des intérêts légitimes à faire valoir ses droits plutôt que ceux du syndicat quand il cherche à protéger son droit de contrôler et de diriger son effectif en ce qui concerne la productivité et à maintenir un effectif exempt de mesures disciplinaires. Il a le droit à un effectif clair, intègre et ordonné. Toutefois, le syndicat a lui aussi des intérêts légitimes à l’égard du lieu de travail afin de promouvoir des sujets comme les négociations, la santé et la sécurité, ainsi que d’autres questions relatives à l’emploi. L’employeur doit approuver de façon objective les messages liés à ces questions. L’employeur n’a pas à être un censeur qui refuse d’approuver du contenu simplement parce qu’il peut soulever des éléments de nature délicate. Toute répercussion négative qui découlerait de l’affichage d’un avis du syndicat, selon ce qu’il affirme, doit être concrète, et pas simplement imaginaire ou conjecturale. Elle doit aussi être démontrée (voir Casco Inc. v. United Food Processors Union, Local 483, [2002] O.L.A.A. No. 151 (QL)).

[41]  On ne peut pas interdire l’affichage d’un avis parce qu’il contient des exagérations et qu’il est de nature partisane (voir Quality Meat Packers Ltd. v. U.F.C.W., Locals 175 and 633, [2003] O.L.A.A. No. 790 (QL)). L’employeur ne devrait pas être indûment sensible aux déclarations faites pendant les négociations qui sont exagérées en ce qui concerne l’état des négociations. Les arbitres de grief sont très réticents à interférer avec le droit négocié des syndicats de communiquer avec leurs membres par l’intermédiaire des tableaux d’affichage aux lieux de travail. L’étendue du contenu qu’il est possible d’afficher est interprétée de façon générale et il n’existe aucune restriction particulière limitant les messages qui vont à l’encontre de la position de l’employeur.

[42]  Ce n’est pas la première fois que la Commission ou l’un de ses prédécesseurs se penche sur la clause 12.01 de la convention collective. Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2001 CRTFP 103, l’employeur a refusé au syndicat le droit d’afficher des documents sur les tableaux d’affichage à son lieu de travail après avoir allégué qu’ils contenaient de fausses déclarations. La CRTFP a conclu que le critère pour déterminer si l’employeur avait agi raisonnablement en refusant au syndicat son droit d’afficher des documents n’était pas la véracité des critiques exposés dans lesdits documents, mais la question de savoir s’il était raisonnable pour l’employeur de les considérer comme contraires à ses intérêts.

[43]  La plaignante ne dispose d’aucun mécanisme pour contester les déclarations affichées dans InfoZone par l’employeur, hormis en vertu de l’article 190 de la Loi, si l’employeur a le pouvoir unilatéral de contrôler le discours interne au lieu de travail. Les restrictions imposées sur ce qui peut être affiché sur les tableaux d’affichage aux lieux de travail ne visent pas à empêcher le syndicat d’exercer son droit légitime de promouvoir ses intérêts professionnels et ceux des employés qu’il représente légalement.

[44]  En vertu de l’alinéa 186(1)a) de la Loi, l’intervention, par un employeur ou par un gestionnaire à son service, dans l’administration d’une organisation syndicale ou dans la capacité de celle-ci à représenter ses membres constitue une pratique déloyale de travail. Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2011 CRTFP 106, l’arbitre de grief a conclu que la directive de l’employeur de refuser catégoriquement que les pétitions sur les pensions soient affichées sur les tableaux d’affichage, sans explication ou démonstration des raisons pour lesquelles cet affichage serait concrètement préjudiciable à ses intérêts constituait une violation de l’alinéa 186(1)a).

[45]  Dans la présente affaire, la violation de la clause 12.01 constituait une violation de la Loi et une pratique déloyale de travail en vertu de l’article 190. Le motif invoqué par l’employeur pour refuser le droit d’afficher le communiqué n’a pas satisfait au critère établi dans la jurisprudence. Le communiqué n’était pas abusif, diffamatoire ou frauduleux; en outre, il était conforme aux normes des relations de travail. Si l’employeur ne satisfait pas au critère, il commet de facto une pratique déloyale de travail.

[46]  Rien dans le communiqué rédigé par la plaignante n’était abusif ou diffamatoire. Il s’agissait d’une explication raisonnable de la raison pour laquelle le syndicat s’était retiré de la table de négociation une deuxième fois. Peut-être l’employeur a-t-il été choqué par une déclaration sur le favoritisme contenue dans le rapport sur les conditions de travail dans les centres d’appels; quoiqu’il en soit, même si cette déclaration l’a hérissé ou a heurté sa sensibilité, cela ne suffit pas à satisfaire aux exigences du critère. Les actes accomplis par l’employeur n’étaient pas justifiés. Le syndicat a exposé des motifs de bonne foi à ses déclarations, qui n’ont pas été contestées en contre-interrogatoire. Il n’y avait aucune raison de refuser au syndicat le droit d’afficher le communiqué.

[47]  Subsidiairement, les déclarations indiquées dans le communiqué ont été faites de bonne foi, et ce, peu importe leur niveau d’exactitude. Même s’il y avait un malentendu quant au contenu du rapport du comité mixte, cela ne suffisait pas à satisfaire aux exigences du critère. Il n’est pas nécessaire d’analyser le communiqué mot par mot. C’est le contexte général qui importe.

[48]  Le communiqué de l’employeur contenait aussi des déclarations erronées similaires. M. Bellevance a dit qu’il aurait retiré le document affiché par l’employeur si le syndicat s’en était plaint. Dans le contexte général des relations de travail, le message libre de l’employeur mitraillait le syndicat, tout en empêchant ce dernier de se prononcer sur le comportement de l’employeur à la table de négociation.

[49]  L’employeur a censuré la communication du syndicat avec ses membres. M. Bellevance a reconnu qu’il savait que le syndicat tentait de mobiliser ses membres et qu’il ne voulait pas qu’une telle chose se produise. Il n’aurait pas permis au syndicat d’afficher des communiqués dans les lieux de travail afin de l’aider à atteindre son but.

[50]  En résumé, les actes accomplis par l’employeur n’ont pas satisfait au critère établi dans Quality Meat Packers Ltd. Il n’a pas agi de manière raisonnable quand il a refusé de donner la permission d’afficher le communiqué sur la négociation aux lieux de travail, contrevenant à l’article 12 de la convention collective; ensemble, tous ces éléments constituent une violation de l’alinéa 186(1)a) et de l’article 190 de la Loi. La plaignante souhaite obtenir une déclaration selon laquelle l’employeur a contrevenu à l’article 190 et que cette déclaration soit affichée aux lieux de travail et dans InfoZone pendant au moins 90 jours.

B.  Pour la défenderesse

[51]  La Loi ne confère aucun droit à un syndicat de communiquer avec ses employés au lieu de travail. Ce droit doit être prévu dans la convention collective. L’employeur peut limiter les communications au lieu de travail; l’agent négociateur n’a aucun droit indépendant de communiquer avec les employés au lieu de travail (voir Bernard c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 13). La Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11) accorde à l’employeur le droit de gérer et de limiter le lieu de travail. Les seuls droits que l’employeur a accordés au syndicat sont prévus dans la convention collective et sont limités, afin de ne pas nuire à ses activités.

[52]  L’employeur n’a pas empêché le syndicat de communiquer avec ses membres. Il a limité ce qui pouvait être affiché dans un lieu de travail sous son contrôle (voir Merriman et Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada (UCCO-SACC-CSN) c. MacNeil et Justason, 2011 CRTFP 87). Les messages affichés par l’employeur dans InfoZone ne sont pas visés par la convention collective, ce qui lui donne le droit d’informer ses employés comme il le juge approprié. La présente plainte devrait être rejetée, car le syndicat aurait dû déposer un grief plutôt qu’une plainte de pratique déloyale de travail. Quoi qu’il en soit, l’employeur a agi de manière raisonnable parce que le communiqué en question était préjudiciable à ses intérêts.

[53]  M. Bellevance a témoigné qu’il n’avait jamais promis de présenter une proposition salariale, ce qui signifie que l’allégation selon laquelle il est revenu sur sa promesse était fausse. Le syndicat a utilisé un langage très fort et abusif. Il a attaqué le caractère et l’intégrité de l’employeur, ce qui était manifestement préjudiciable aux intérêts de l’employeur. Les renvois au favoritisme dans le rapport mixte constituaient l’interprétation de l’étude faite par le syndicat. Le fait que M. Bellevance n’a pas respecté la pratique antérieure est aussi superflu, étant donné qu’il a appliqué la convention collective. Le communiqué aurait eu un effet négatif sur les activités de l’employeur. Selon son témoignage, il aurait entraîné des perturbations. Ses recommandations étaient justifiées.

[54]  Il faut faire une distinction entre l’interférence avec les activités du syndicat et l’interprétation de la convention collective. L’employeur n’a pas refusé au syndicat son droit de communiquer avec ses membres. Il lui a simplement refusé le droit d’afficher sa propagande sur les tableaux d’affichage de l’employeur, conformément à la convention collective. La formulation du contenu était préjudiciable aux intérêts de l’employeur, selon l’évaluation faite par celui-ci.

IV.  Motifs

[55]  Il ne m’appartient pas de déterminer la véracité et l’exactitude de la version des événements présentés dans le communiqué de la plaignante ou dans celui de l’employeur. Chacune des parties a présenté sa version et a rejeté la responsabilité de la rupture des négociations sur l’autre, comme on le voit couramment dans le domaine des relations de travail et comme on peut s’y attendre quand il y a de l’animosité entre les parties à la table. Chacun des communiqués que j’ai lus utilisait des termes aussi peu flatteurs à l’égard de la partie adverse que l’autre, et chacun contenait des exagérations et utilisait un ton accusateur.

[56]  Chacune des parties voulait que les membres de l’unité de négociation lisent son communiqué dans l’espoir d’obtenir leur soutien dans le processus de négociation. Le problème en l’espèce réside dans le fait que la défenderesse a exercé ses droits de la direction afin d’empêcher la plaignante d’exercer son droit, négocié collectivement, d’afficher sa version au lieu de travail, à l’endroit où il était le plus probable qu’elle soit vue par les travailleurs de quarts et par d’autres membres de l’unité de négociation. De son propre aveu, la défenderesse a agi de la sorte afin de faire échouer les tentatives de la plaignante de mobiliser les membres.

[57]  Il est bien reconnu en droit que la direction a le droit de gérer son lieu de travail, à moins que ce droit n’ait été restreint par la convention collective, comme c’est le cas en l’espèce, en vertu de l’article 12. La direction a accepté que la plaignante puisse afficher des communiqués à ses lieux de travail, sous réserve de certaines conditions, et qu’elle ne lui refuserait pas de manière déraisonnable cette permission. Étant donné la nature de ce communiqué, de la similitude de son contenu avec celui de la défenderesse, et de l’étape à laquelle les négociations étaient rendues, je conclus que la défenderesse a agi de manière arbitraire et déraisonnable en refusant à la plaignante le droit d’afficher son communiqué au lieu de travail, pour les motifs qui suivent. La défenderesse est intervenue dans le processus de négociation et dans la capacité de la plaignante de représenter ses membres à la suite des actes déraisonnables et arbitraires accomplis par le négociateur en chef.

[58]  En appliquant les critères établis dans Canadian Union of Postal Workers et Quality Meat Packers Ltd., je ne vois aucune raison légitime pour laquelle l’employeur a refusé d’approuver le communiqué en question. Il n’y avait rien d’illégal dans son contenu, et il ne s’agissait pas d’une déclaration abusive, diffamatoire ou frauduleuse, particulièrement quand on le compare à celui affiché par l’employeur dans InfoZone. Les deux parties ont fait des exagérations et se sont exprimées en termes peu flatteurs pour décrire la conduite de l’autre. Le langage, le ton et le contenu du message du syndicat étaient pratiquement à l’image de ce que l’employeur avait affiché et ils respectaient manifestement les normes régissant le régime de relations de travail actuel des parties, sans quoi le communiqué de l’employeur aurait été aussi offensant pour la plaignante. Le contrôle de l’affichage visait seulement à faire ce que M. Bellevance a indiqué dans son témoignage, soit empêcher le syndicat de mobiliser ses membres aux lieux de travail.

[59]  L’employeur a des intérêts légitimes à faire valoir ses droits plutôt que ceux du syndicat quand il cherche à protéger son droit de contrôler et de diriger son effectif en ce qui concerne la productivité et à maintenir un effectif exempt de mesures disciplinaires. Il a le droit de diriger un effectif ordonné et productif. Toutefois, le syndicat a lui aussi un intérêt légitime à promouvoir les négociations sur le lieu de travail. L’employeur doit approuver de façon objective les messages liés à ces questions.

[60]  L’employeur ne doit pas être un censeur et il ne doit pas refuser son approbation simplement parce que des sujets de nature délicate peuvent être soulevés ou pour empêcher le syndicat d’exercer ses droits pendant les négociations. L’employeur doit démontrer toute répercussion négative qui, selon lui, découlerait de l’affichage de l’avis du syndicat. Ces répercussions doivent être concrètes, et pas simplement imaginaires ou conjecturales (voir Casco Inc.). Je ne dispose d’aucune preuve d’une quelconque répercussion négative que l’employeur aurait subie si le communiqué en question avait été affiché. Je dispose plutôt d’éléments de preuve selon lesquels M. Bellevance ne voulait pas que la plaignante ait la possibilité de rallier ses membres afin d’exercer des moyens de pression.

[61]  Je suis particulièrement préoccupée par le témoignage de M. Bellevance, notamment son témoignage selon lequel auparavant, quand l’employeur n’approuvait pas les communiqués que le SEI allait afficher sur les tableaux d’affichage aux lieux de travail, lui ou un représentant de l’employeur avait communiqué avec le syndicat. Chaque fois, le SEI avait apporté des changements afin de répondre aux préoccupations de l’employeur. Cette fois-ci, il n’a pas communiqué avec le SEI ou suivi la pratique établie, parce que l’employeur sentait qu’il fallait retirer de toute urgence les renseignements erronés des lieux de travail. Il voulait contrôler les renseignements erronés allégués afin d’empêcher les employés de se mobiliser contre l’employeur.

[62]  L’affichage du communiqué aurait aussi porté préjudice à la position de négociation de l’employeur, selon M. Bellevance, et son rôle principal était de protéger cette position. À son avis, il était parfaitement acceptable pour l’employeur de dire aux membres de l’unité de négociation que leur syndicat ne souhaitait pas négocier. Toutefois, il était inacceptable pour le syndicat de formuler des commentaires similaires à propos de l’employeur.

[63]  L’employeur a soutenu qu’il faut faire une distinction entre l’interférence dans les activités du syndicat et l’interprétation de la convention collective. Cela est vrai, mais lorsque le but de refuser au syndicat un droit qui lui est garanti en vertu de la convention collective est de l’empêcher de mobiliser ses membres, la distinction n’existe plus. L’employeur a utilisé la convention collective en tant qu’outil pour intervenir dans la représentation du syndicat de ses membres.

[64]  Il était inapproprié pour l’employeur, par l’entremise de son négociateur en chef, de tenter de contrôler le processus de négociation et le discours l’entourant en censurant le syndicat. Comme il a été affirmé dans Casco Inc., l’employeur n’est pas un censeur. On ne peut pas lui permettre de déterminer ce que les membres de l’unité de négociation entendent sur la négociation afin de les empêcher de se mobiliser et d’exercer des moyens de pression au lieu de travail. En agissant de la sorte, il aurait un avantage injuste et contrôlerait le processus de négociation. Les moyens de pression sont l’un des meilleurs outils dont dispose un syndicat dans le processus de négociation. En l’espèce, M. Bellevance a cherché, de son propre aveu, à dépouiller le syndicat de cet outil.

[65]  Chaque histoire comporte au moins trois versions : celle du narrateur, celle de l’auditeur et la vérité. Il ne fait aucun doute que chaque partie apporte ses propres couleurs à une histoire afin de promouvoir ses intérêts et de présenter l’autre partie sous un jour moins favorable, particulièrement dans un processus contradictoire, ce que la ronde de négociation en litige était devenue. Selon mon évaluation, il était déraisonnable pour le négociateur en chef de l’employeur de ne pas permettre au syndicat de s’employer à rallier ses membres par l’intermédiaire de communiqués informatifs, ce qui fait assurément partie des activités du syndicat. En vertu de la convention collective, il avait le droit de les afficher dans les lieux de travail.

[66]  Selon l’employeur, le syndicat a utilisé un langage très fort et abusif. Il a attaqué le caractère et l’intégrité de l’employeur, ce qui était manifestement préjudiciable aux intérêts de celui-ci. Il ne s’est pas prononcé sur l’utilisation par l’employeur d’un langage aussi fort ou sur ce que le syndicat alléguait être des renseignements faux et trompeurs. Il ne s’est pas prononcé non plus sur le véritable motif de l’employeur pour refuser au syndicat le droit d’afficher le communiqué, motif qui, selon M. Bellevance, était de nuire à la capacité du syndicat de mobiliser ses membres.

[67]  M. Bellevance n’a pas cherché à faire modifier le communiqué afin de répondre aux objections soulevées par l’employeur, comme cela a été fait par le passé, parce qu’il ne s’agissait pas du véritable problème. Dans son témoignage, il a clairement indiqué que son intention était de prévenir la mobilisation des employés au lieu de travail, ce qui constituait manifestement une intervention dans la représentation du syndicat dans le processus de négociation et une violation de l’article 185 et de l’alinéa 190(1)g) de la Loi.

[68]  L’employeur a affirmé à juste titre que la Loi ne confère aucun droit à un syndicat de communiquer avec ses employés au lieu de travail. Ce droit doit être prévu dans la convention collective, ce qui est en fait le cas en l’espèce, sous la forme d’un accès aux tableaux d’affichage. Là où l’employeur s’est trompé dans son argumentation, c’est qu’il n’avait plus le droit unilatéral de déterminer ce qui pouvait et ne pouvait pas être affiché sur ses tableaux d’affichage, parce qu’il avait cédé ce droit dans la convention collective. Il ne pouvait plus limiter les communications affichées au lieu de travail sans devoir déterminer si les actes qu’il accomplissait dans une telle situation étaient raisonnables et de bonne foi, et qu’ils étaient étayés par une preuve de préjudice. Aucun de ces éléments n’existait en l’espèce.

[69]  Par ses actions, M. Bellevance a clairement contrevenu à l’alinéa 186(1)a) de la Loi, comme je le fais ressortir ici :

Pratiques déloyales par l’employeur

186 (1) Il est interdit à l’employeur ainsi qu’au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, à l’officier, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, ou à la personne qui occupe un poste détenu par un tel officier, qu’ils agissent ou non pour le compte de l’employeur :

a) de participer à la formation ou à l’administration d’une organisation syndicale ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des fonctionnaires par celle-ci; […]

[Je mets en évidence]

 

[70]  Les déclarations du syndicat n’étaient pas illégales, abusives ou diffamatoires et elles n’outrepassaient pas les normes des relations de travail, étant donné que les parties étaient arrivées à une deuxième impasse. Il n’y avait aucune preuve de l’incapacité de l’employeur à mener ses activités ou de demeurer exempt de mesures disciplinaires, ou d’un préjudice qu’il aurait subi si le communiqué avait été affiché. Il n’avait aucun motif raisonnable de refuser au syndicat ses droits prévus à l’article 12 de la convention collective. Le fait que le communiqué aurait pu être affiché dans le site Web du syndicat n’est pas pertinent. Les parties ont négocié le droit du syndicat d’afficher des communiqués aux lieux de travail sur les tableaux d’affichage, sous réserve de certaines restrictions. L’employeur a contrevenu à ce droit et, ce faisant, par l’intermédiaire des actes accomplis par son négociateur en chef, il a contrevenu aux dispositions relatives aux pratiques déloyales de travail prévues dans la Loi.

[71]  Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V.  Ordonnance

[72]  La plainte est accueillie.

[73]  Je déclare que la défenderesse s’est adonnée à une pratique déloyale de travail en refusant d’accorder à la plaignante le droit d’afficher sa mise à jour sur la négociation du 10 mai 2019 sur les tableaux d’affichage aux lieux de travail de la défenderesse, conformément à la clause 12.01 de la convention collective, et ce, sans motif valable.

[74]  Je déclare aussi que la défenderesse a contrevenu à l’article 5 et à l’alinéa 186(1)a) de la Loi, ainsi qu’aux clauses 12.01 et 19.01 de la convention collective.

[75]  J’ordonne que la présente décision soit affichée dans un endroit bien en vue pendant une période de 90 jours, commençant au plus tard dans les cinq jours suivant la date de la présente décision, et ce, à tous les lieux de travail de l’employeur, et qu’elle soit aussi affichée dans InfoZone pendant la même période.

Le 6 janvier 2021.

Traduction de la CRTESPF  

Margaret T.A. Shannon,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

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