Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée, une agente correctionnelle, a contesté la cessation de son emploi à la suite d’allégations formulées par un informateur détenu selon lesquelles elle apportait de la drogue à l’établissement et des images vidéo la montrant transmettre des articles entre les cellules – la fonctionnaire s’estimant lésée a admis avoir transmis des articles personnels entre les cellules comme on le voit sur la vidéo, mais elle a nié avoir apporté de la drogue à l’établissement – la Commission a conclu que les actes de la fonctionnaire s’estimant lésée consistant à transmettre des articles entre les cellules étaient contraires aux politiques et aux procédures établies et qu’ils justifiaient l’imposition d’une mesure disciplinaire – cependant, bien que l’employeur ait accepté que les allégations de l’informateur étaient entièrement véridiques, il n’a apporté aucune preuve directe à l’audience pour étayer la véracité des allégations de l’informateur – la fonctionnaire s’estimant lésée a présenté des éléments de preuve qui mettaient en doute l’informateur et ses allégations – la Commission a conclu que l’employeur n’avait pas établi qu’elle entretenait des relations inappropriées avec les détenus en apportant et en distribuant de la drogue dans l’établissement – les mauvaises décisions qui ont été captées dans les séquences vidéo, examinées individuellement, séparément des allégations de l’informateur, ne justifiaient pas le renvoi d’une employée de 16 ans de service qui avait établi un excellent dossier de service – à ce titre, la Commission a conclu que la cessation d’emploi était excessive – toutefois, le fait de transférer des éléments entre les détenus constituait une grave erreur de jugement qui présentait de graves risques pour les détenus et le personnel de l’établissement – il fallait dénoncer fermement ces erreurs pour dissuader d’autres agents correctionnels de se livrer à un tel comportement et faire comprendre à la fonctionnaire s’estimant lésée la gravité de ses erreurs – la Commission a conclu que la cessation devrait être remplacée par une suspension d'un mois sans solde – la fonctionnaire s’estimant lésée a demandé une indemnisation pour préjudice psychologique et dommages punitifs – la Commission convoquera une audience pour permettre aux parties de présenter des observations orales sur ces demandes.

Grief accueilli.

Contenu de la décision

Date: 20201231

Dossier: 566-02-13909

 

Référence: 2020 CRTESPF 122

 

Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

enTRE

 

LOUISE LYONS

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Service correctionnel du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Lyons c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Corinne Blanchette, Syndicat des agents correctionnels du Canada-CSN

Pour le défendeur : Nour Rashid, avocate

 

 

Affaire entendue à Abbotsford (Colombie‑Britannique),

du 30 octobre au 2 novembre 2018, du 8 au 11 janvier et du 6 au 9 août 2019.

(Arguments écrits déposés le 19 août, les 12, 20 et 30 septembre,

les 21 et 31 octobre 2019, et le 20 avril 2020.)

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉcision (TRADUCTION DE LA CRTESPF)

Table des matières

MOTIFS DE DÉcision (TRADUCTION DE LA CRTESPF) 1

I. Résumé 3

II. Contexte 5

A. Fentanyl et Établissement de Kent 5

B. Le comité d’enquête et les allégations à l’encontre de la fonctionnaire s’estimant lésée 8

C. Article 53 : fouille exceptionnelle d’urgence 14

D. Formation de CX 15

E. L’isolement cellulaire à l’établissement 18

III. Analyse 21

A. Y avait-il un motif raisonnable d’imposer la mesure disciplinaire? 22

B. La décision de licencier la fonctionnaire s’estimant lésée était-elle excessive dans les circonstances? 23

1. La vidéo 26

a. Le 23 août à 15 h 52 min 39 s : unité Écho, secteur inférieur, cellules 1 à 6 27

b. Le 23 août à 15 h 53 min 49 s (une minute plus tard) : unité Écho, secteur inférieur, cellules 7 à 12 28

c. Le 24 août à 15 h 21 min 6 s (un jour plus tard) : unité Écho, secteur inférieur, cellules 1 à 6 28

d. Le 24 août à 15 h 22 min 3 s (une minute plus tard) : unité Écho, secteur inférieur, cellules 7 à 12 28

e. Le 24 août à 15 h 20 min 5 s (deux minutes plus tôt) : unité Écho, niveau de la mezzanine 28

2. Précipitation à juger présumée 29

3. Transmission d’articles pour les détenus entre leurs cellules 31

4. Le grand sac contenant des effets personnels pris dans la cellule du Détenu W 37

5. L’affirmation de la fonctionnaire s’estimant lésée selon laquelle elle a distribué des rasoirs aux détenus 44

6. Les relations inappropriées présumées de la fonctionnaire s’estimant lésée avec les détenus 47

7. L’allégation selon laquelle la fonctionnaire s’estimant lésée a sciemment compromis la fouille en vertu de l’article 53 51

8. Crédibilité des témoins 53

a. La crédibilité des témoignages de la directrice de l’établissement et du directeur de l’établissement par intérim 55

b. La crédibilité du témoignage de la fonctionnaire s’estimant lésée 58

c. L’informateur 65

9. La jurisprudence 67

C. Les mesures disciplinaires qui devraient être substituées, comme étant justes et équitables 72

IV. La demande de l’employeur de compléter ses motifs de licenciement et sa requête 75

A. La demande de l’employeur 75

B. La requête de l’employeur 76

C. Les arguments de la fonctionnaire s’estimant lésée présentés en réponse 78

V. Ordonnance 82

 


I. Résumé

[1] Louise Lyons, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), occupait un poste d’agente correctionnelle (CX, classifié CX-02) à l’Établissement de Kent à sécurité maximale (l’« établissement ») du Service correctionnel du Canada (SCC ou l’« employeur »), situé près d’Abbotsford, en Colombie‑Britannique. La fonctionnaire a maintenu un dossier de rendement sans tache pendant sa carrière de près de 16 ans et elle a reçu plusieurs mentions élogieuses par écrit pour son bon travail.

[2] L’employeur a appris qu’un détenu avait fait des allégations très graves contre la fonctionnaire. Le détenu était gardé en isolement pendant qu’il faisait l’objet d’accusations de possession de drogue en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (L.C. 1992, ch. 20); LSCMLC). Il craignait que son transfèrement en suspens de l’établissement à un établissement à sécurité moyenne ne fût annulé, parce qu’il s’était fait prendre en possession de drogue, et il voulait offrir des renseignements afin de s’assurer que son transfèrement serait effectué comme prévu.

[3] Les allégations à l’encontre de la fonctionnaire concernaient des actes qui auraient pu constituer le fondement d’au moins une infraction criminelle grave, si l’affaire avait été renvoyée aux autorités chargées de l’application des lois. Les renseignements fournis par l’informateur ont mené à la découverte d’une grande quantité de drogue illicite, du fentanyl, qui était caché dans la cellule d’un détenu à l’établissement, ainsi qu’à la saisie d’un téléphone cellulaire crypté et d’un tournevis de sécurité que les détenus utilisaient pour avoir accès à des secteurs autrement inaccessibles de leur cellule, afin de cacher des objets interdits, comme des stupéfiants.

[4] Les renseignements divulgués par l’informateur ont mené à l’examen de la vidéo enregistrée par les caméras de sécurité (la « vidéo »), qui assurent constamment la surveillance des corridors (la rangée) à l’extérieur des cellules. La vidéo a montré la fonctionnaire en train de transmettre des articles entre des cellules. La vidéo a aussi montré la fonctionnaire saisir un grand sac rempli d’effets personnels dans une cellule appartenant à un détenu connu sous le nom de « Détenu W », puis le placer dans une salle à l’intention des CX durant un isolement cellulaire en vertu de l’article 53 de la LSCMLC (la « fouille en vertu de l’article 53 »; les précisions seront présentées plus loin dans la présente décision) aux fins d’une fouille de drogue.

[5] L’employeur a utilisé la vidéo pour souligner le fait que la fonctionnaire se tenait debout près de la fente pour plateau-repas ouverte de la porte d’une cellule, où le détenu qui s’y trouvait pouvait éventuellement l’atteindre. L’employeur a laissé entendre que la fonctionnaire s’était inutilement exposée au risque de subir un préjudice de la part du détenu en agissant ainsi. La fonctionnaire regarde ensuite par‑dessus son épaule de manière suspecte, en direction de l’endroit où sa partenaire s’était trouvée, puis elle s’arrête un instant, éventuellement afin de s’assurer que sa partenaire CX ne s’y trouve pas encore et puisse la voir interagir avec le détenu. Ensuite, la fonctionnaire retire son gant de sécurité, saisit des articles par la fente ouverte, puis parle brièvement avec le détenu qui se trouve dans la cellule. Tout cela a incité l’employeur à conclure que la fonctionnaire faisait confiance aux détenus, ce qui démontrait qu’elle avait des relations inacceptables avec eux.

[6] L’employeur a aussi conclu que ces actes de la fonctionnaire avaient compromis la fouille en vertu de l’article 53 de son unité E (« Écho »), en raison du risque que ces stupéfiants ou d’autres objets interdits, tels que des armes, aient été cachés dans ces articles transmis entre des détenus. L’employeur a déterminé que ces actes constituaient des violations graves de son code de déontologie et qu’ils violaient ses Directives du commissaire (DC) 566-9 et 12.

[7] L’employeur a conclu que les actes de la fonctionnaire avaient été délibérés et graves, et que dans leur ensemble ils avaient rompu de façon irrémédiable son lien de confiance avec celle‑ci. Ces actes exigeaient la suspension avec solde immédiate de la fonctionnaire et, ultérieurement, à la suite d’une enquête, son licenciement.

[8] En réalité, la preuve a établi que l’employeur s’était fondé principalement sur les renseignements fournis par l’informateur, et qu’il avait décidé précocement, pendant l’enquête, que la fonctionnaire avait été compromise.

[9] Cependant, à l’audience, l’employeur n’a produit pratiquement aucun élément de preuve ayant trait à ces allégations très graves que l’informateur avait faites. Il est devenu évident que l’employeur avait agi en fonction de ces allégations sans jamais les avoir présentées exhaustivement à la fonctionnaire, ni lui avoir donné la possibilité de réfuter la preuve présentée contre elle.

[10] Ces actes ont violé le principe le plus fondamental du droit administratif canadien, à savoir que, selon les règles de la justice naturelle, la fonctionnaire doit connaître les arguments avancés contre elle et être en mesure de rétorquer aux allégations, ce que rend l’adage latin audi alteram partem, ce qui veut dire [traduction] « entends l’autre partie ».

[11] D’après la preuve dont j’ai été saisi, toutefois, je conclus que la vidéo a montré la fonctionnaire en train de transmettre des articles entre des cellules durant un isolement cellulaire sans les avoir fouillés, puis saisir un grand sac rempli d’articles dans une cellule et le placer dans le bureau des CX à l’extérieur du secteur fouillé, en contravention des politiques et procédures établies, ce qui constituait des actes inacceptables, qui justifiaient la prise d’une mesure disciplinaire.

[12] Compte tenu de toutes les circonstances pertinentes, notamment l’excellent dossier de service de la fonctionnaire et le fait que l’employeur s’est fié à des renseignements non démontrés, en fonction desquels il a pris des mesures au mépris des principes de la justice naturelle, je conclus que le licenciement de la fonctionnaire était excessif. J’y substitue une suspension d’un mois sans solde.

[13] Par vidéoconférence, le 16 décembre 2020, j’ai informé les parties de ma décision d’accueillir le présent grief, les motifs écrits fournis ci‑dessous devant suivre.

II. Contexte

[14] Le 22 mars 2017, le grief a été renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2), dont le titre a depuis été changé pour Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, la Commission étant connue sous ce nom à l’époque. Cette disposition prévoit le renvoi à l’arbitrage des griefs portant sur une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire. En pareil cas, à l’arbitrage, le fardeau de la preuve incombe à l’employeur, qui doit défendre ses mesures.

A. Fentanyl et Établissement de Kent

[15] L’employeur a produit des éléments de preuve selon lesquels, au printemps 2016, durant les mois précédant les incidents en cause à l’audience, les décès et les souffrances causés par le fentanyl avaient atteint des proportions critiques à Vancouver et dans le Lower Mainland de la C.‑B.

[16] Des bulletins de nouvelles exposant en détail cette crise sanitaire publique ont été présentés en preuve. Le fentanyl est dangereux à un point tel que même une infime quantité peut rendre une personne malade, et que de très petites doses peuvent causer la mort. Bobbi Sandhu (la « directrice de l’établissement ») a témoigné que, malgré le fait que l’établissement soit à sécurité maximale et qu’il héberge certains des criminels les plus dangereux du pays, il n’était pas à l’abri des ravages causés par le fentanyl.

[17] L’établissement est un pénitencier pour hommes à sécurité maximale, qui se trouve dans une région située à l’est de la vallée du Fraser et qui est séparé de toute collectivité. La directrice de l’établissement a témoigné que l’établissement avait été conçu et construit durant les années 1970, et qu’on avait pris soin d’éviter le risque d’un grand rassemblement de détenus en un seul endroit. Les incidents passés en revue à l’audience touchaient la population carcérale générale, par opposition aux détenus placés dans des unités d’isolement.

[18] La preuve a établi que les détenus pertinents à l’audience étaient les plus hauts placés dans les échelons de la vie à Kent, par exemple, parce qu’ils appartenaient à des groupes du crime organisé et à des bandes de motards criminels.

[19] La Commission apprécie les efforts de l’employeur et la collaboration de l’agent négociateur de la fonctionnaire, puisqu’un représentant de chacune des parties s’est joint à moi pour donner une idée de l’établissement, et plus particulièrement de la rangée de cellules où les incidents en cause sont survenus. La visite a été très utile, dans la mesure où elle a fourni une meilleure perspective de la proximité physique des incidents figurant dans la vidéo, sur lesquels l’employeur s’est fondé dans la preuve.

[20] Bien que les incidents précis soient analysés en détail plus loin dans la présente décision, pour l’instant je tiens à souligner les observations que j’ai faites durant la visite de l’établissement et après avoir examiné un plan d’étage présenté en tant que pièce. Les cellules de chaque unité sont disposées en rangées de six, et il y a deux corridors en forme de L par étage. Par conséquent, les deux corridors donnent 4 x 6, soit 24 cellules en tout.

[21] Chacun des corridors en forme de L est séparé par une structure de contrôle de sécurité à l’angle du L, ce qui laisse jusqu’à 12 détenus dans une aile dotée d’une salle commune et d’une douche commune. Cette structure est reproduite au deuxième étage. Au centre du coude des rangées en forme de L se trouve un grand poste de garde.

[22] J’ai observé le poste de garde et j’ai constaté qu’il bénéficie de lignes de visibilité claire sur chacune des quatre rangées (deux supérieures et deux inférieures) dont il assure la surveillance. Le poste est doté de grands moniteurs vidéo procurant une vue en direct tout le long de chacun des corridors. Il est fabriqué en verre de sécurité épais et est doté de tourelles procurant une ligne de visibilité dans chaque direction. Il ne comporte ni accès ni sortie vers l’une ou l’autre rangée de cellules, afin d’empêcher les détenus d’y avoir accès et de l’emprunter pour pénétrer dans d’autres secteurs de l’établissement.

[23] Une caméra placée près du plafond à chaque extrémité du corridor séparant les rangées, ainsi qu’une caméra placée dans la direction opposée le long de chacune des rangées, près du plafond du poste de garde, enregistrent une vidéo. Des séquences vidéo présentées en preuve ont montré comment les caméras saisissent les deux angles de chacune des rangées, de sorte qu’un CX se trouvant dans une rangée peut être vu des deux côtés.

[24] La preuve a établi qu’aux cours des jours et des semaines qui ont précédé la fouille en vertu de l’article 53, que j’examinerai plus loin dans la présente décision, les détenus possédaient du fentanyl, qu’au moins un détenu avait été victime d’une surdose, et que deux CX avaient demandé un traitement médical après avoir été exposés à des vapeurs de fentanyl dans une cellule pendant leur service.

[25] Malgré le fait qu’à l’établissement on utilise des détecteurs ioniques de drogue, et que toutes les personnes et les marchandises soient fouillées à leur arrivée, de petites quantités de drogues illicites, notamment du cannabis, de la cocaïne et des stéroïdes servant à stimuler le rendement, ont été découvertes en la possession des détenus. On en a trouvé dans le courrier des détenus et sur les visiteurs. En ce qui concerne le Détenu W, qui a participé aux allégations à l’encontre de la fonctionnaire, sa mère et son épouse se sont toutes deux fait prendre en train d’essayer de transmettre clandestinement dans l’établissement des drogues illicites cachées sur elles.

[26] L’établissement disposait d’un personnel infirmier de jour, afin de fournir une aide médicale, mais aucune de ces personnes ne travaillait de nuit. Les problèmes médicaux graves touchant les détenus et le personnel exigeaient un transport, ce qui demandait beaucoup de temps pour aller chercher la personne requérant de l’aide afin de la conduire à l’hôpital, puisque l’établissement est situé dans un site rural en bordure de la vallée du Fraser.

[27] La preuve établit que, le 22 août 2016, la direction de l’établissement a envoyé une note de service au personnel, afin de l’informer que des drogues illicites, y compris du fentanyl, se trouvaient au sein de la population carcérale. Le personnel a été informé des répercussions sur la santé et la sécurité, et il a été averti des risques graves que le fentanyl présentait.

[28] La preuve a aussi établi que les CX devaient porter et portaient pratiquement toujours au moins une paire de gants de protection lorsqu’ils avaient affaire aux détenus, à leurs biens personnels ou à leurs cellules. La preuve a aussi établi que beaucoup de CX portaient des gants doubles lorsqu’il y avait un risque de contact avec les détenus et d’exposition à des stupéfiants.

[29] La preuve a établi que les CX risquaient d’être agressés en tout temps lorsqu’ils étaient en contact avec les détenus. Les cellules avaient été piégées au moyen d’objets tranchants qui étaient dissimulés dans le but de blesser les CX durant les fouilles.

[30] Lorsque les CX intervenaient dans des situations où il y avait présence ou présence présumée de stupéfiants, ils pouvaient porter des vêtements de protection et un appareil respiratoire afin d’éviter l’exposition au fentanyl ou à d’autres stupéfiants. Il était connu que les détenus les consommaient sous forme de vapeurs en chauffant la drogue en poudre au moyen des batteries des radios ou des jeux vidéo, ou encore au moyen des prises électriques de 110 volts.

B. Le comité d’enquête et les allégations à l’encontre de la fonctionnaire s’estimant lésée

[31] Le 30 août 2016, l’employeur a convoqué une enquête disciplinaire. Le comité d’enquête (CE) était présidé par un directeur adjoint d’un établissement du SCC situé dans la région du Pacifique. Le rapport final du CE (le « rapport du CE ») du 21 octobre 2016 cite les allégations suivantes à l’encontre de la fonctionnaire :

[Traduction]

Attendu que l’agente correctionnelle II (CX II) Lyons aurait :

  • - Eu une relation inappropriée avec un ou des détenus;

  • - Introduit des objets interdits et des articles non autorisés dans l’Établissement de Kent à des fins de distribution au sein de la population carcérale;

  • - Accepté un paiement monétaire pour introduire des objets interdits et des articles non autorisés dans l’Établissement de Kent.

Le 13 septembre 2016, l’ordre de procéder a été modifié afin d’ajouter l’allégation supplémentaire suivante :

  • - Compromis une fouille exceptionnelle d’urgence en vertu du RSCMLC et/ou de la LSCMLC en aidant les détenus à dissimuler des articles non autorisés et/ou des objets interdits.

 

[32] Même si le CE a conclu que les quatre allégations étaient corroborées, l’employeur a tenu compte uniquement des allégations de relations inappropriées et de compromission d’une fouille lorsqu’il a licencié la fonctionnaire.

[33] Il était allégué dans l’ordre de procéder visant à créer le CE disciplinaire que la directrice de l’établissement a signé, que les trois premières allégations avaient été faites entre le 2 avril et le 26 août 2016. Je souligne aussi que l’ordre accordait au CE l’autorisation de [traduction] « […] fouiller tous les bâtiments, réceptacles ou objets se trouvant dans la propriété et en la possession du SCC, et de saisir les livres, documents ou objets que le comité pourrait, pour des motifs raisonnables, juger nécessaires à la bonne exécution de son mandat ».

[34] Le rapport du CE souligne que la fonctionnaire a entamé sa carrière de CX I à l’établissement le 26 août 2000, et que ses rapports de rendement les plus récents indiquaient qu’elle effectuait son travail avec compétence. Le rapport souligne aussi qu’en 2005, en 2008 et en 2011, elle avait reçu des notes de service [traduction] « en remerciement pour son travail ».

[35] Le rapport du CE souligne que, le 12 novembre 2014, la fonctionnaire a reçu par écrit une mention élogieuse pour les efforts qu’elle avait déployés afin de gérer un détenu problématique. Et en dernier lieu, le rapport souligne qu’aucune mesure disciplinaire ne figure à son dossier.

[36] En guise de contexte, le rapport du CE souligne que le personnel de l’établissement avait interrompu la surdose de fentanyl d’un détenu le 1er juin 2016, dans l’unité Delta, et que plusieurs autres cellules de détenus avaient obtenu un résultat positif aux tests de dépistage du fentanyl vers cette époque. La fouille en vertu de l’article 53 et l’isolement cellulaire ont été ordonnés pour tous les détenus, mais malgré cela, la présence de fentanyl parmi les détenus a persisté. Les 20 et 21 août 2016, plusieurs cellules ont été nettoyées. Elles ont obtenu un résultat positif aux tests de dépistage du fentanyl. Deux CX ont été conduits à l’hôpital après avoir été exposés à une drogue dont on a cru qu’il s’agissait de fentanyl.

[37] Le 22 août, le directeur de l’établissement par intérim, M. Noon-Ward, a ordonné la fouille en vertu de l’article 53 et l’isolement cellulaire des unités Delta, Écho et Golf. L’unité Delta a été fouillée ce jour‑là, et le CE a conclu qu’elle avait été fouillée [traduction] « de manière incorrecte » et qu’elle devait être fouillée de nouveau. Le CE a souligné qu’un détenu avait été autorisé à quitter sa cellule et l’unité aux fins d’une visite familiale sans avoir été fouillé. Cela s’est produit malgré le fait que les visites familiales étaient suspendues durant la fouille. La deuxième fouille fera l’objet d’une analyse détaillée plus loin dans la présente décision.

[38] Le rapport du CE indique que, le 23 août, le CE a souligné qu’un informateur avait fourni des renseignements concernant la présence de fentanyl dans l’établissement. Ultérieurement, le 25 août, les unités Golf et Écho ont été fouillées. Un téléphone cellulaire et une arme artisanale y ont été découverts, respectivement. Aucun autre objet interdit ou article non autorisé n’a été découvert dans l’unité Écho.

[39] Le rapport du CE indique que, le 25 août 2016, des signalements ont été reçus d’autres CX, qui affirmaient que la fonctionnaire s’était comportée de manière inhabituelle lorsqu’elle avait été réaffectée de l’unité Écho à l’entrée principale de l’établissement.

[40] Le rapport du CE donne ensuite le nom d’un détenu qui, le 8 septembre 2016, a demandé que ses effets personnels lui soient remis. Ils se trouvaient dans un sac de plastique transparent. D’autres détenus ont fait la même chose ce jour‑là à l’égard de leurs effets personnels qui avaient été confisqués durant la fouille en vertu de l’article 53.

[41] Le rapport du CE cite ensuite plusieurs « Rapports d’observation ou de déclaration » (ROD), que des membres du personnel ont créés pour saisir et communiquer les renseignements qu’ils jugeaient éventuellement pertinents à un égard ou un autre aux fins du fonctionnement sécuritaire et amélioré de l’établissement :

[Traduction]

Le 17 août 2016, dans une cellule de l’unité G, deux CX ont découvert et confisqué une note concernant la sous-culture de la drogue. Cette note a été mentionnée au cours de la séance d’information matinale qui était présentée quotidiennement au début de chaque quart. L’auteur du ROD indique que la fonctionnaire était présente à la séance d’information lorsque la note avait fait l’objet d’une discussion, et que, subséquemment, elle avait questionné de manière agressive les deux CX qui avaient découvert la note au sujet de son contenu et des circonstances entourant la découverte. Les deux CX ont jugé cela bizarre et, le lendemain, l’un d’eux a vu la fonctionnaire consulter la note et le rapport la concernant.

 

[42] Lorsque j’ai examiné le ROD, qui s’intitule [traduction] « Activité de lecture suspecte de la part de l’agente Lyons » et est signé par un CX II, j’ai remarqué que l’original indique aussi ce qui suit :

[Traduction]

Peu de temps après mon arrivée à mon bureau (après la fin de la séance d’information matinale), mon téléphone a sonné. C’était l’agente Lyons [la fonctionnaire], et elle a commencé à me questionner au sujet du contenu de la note que j’avais présentée. Ses questions étaient posées de manière agressive; elle semblait légèrement essoufflée ou paniquée. Je me suis immédiatement senti mal à l’aise en raison de sa façon d’exiger des réponses de moi et, par conséquent, je lui ai répondu seulement de façon vague. Puis j’ai mis fin à l’appel téléphonique dès que possible […] En résumé, le comportement affiché par [la fonctionnaire] était bizarre. Même si elle est autorisée à lire des renseignements Protégé B, elle n’avait pas besoin de me questionner de façon agressive […] Son attitude m’a semblé paniquée lorsqu’elle m’a parlé au téléphone.

 

[43] Le CE aurait probablement examiné ce texte supplémentaire, mais celui‑ci n’était pas joint au résumé du rapport du CE. Il y a aussi ce qui suit :

[Traduction]

- Le 24 août 2016, la source a été interrogée et elle a fourni des renseignements au sujet du trafic de stupéfiants à l’établissement et du lieu où se trouvaient du fentanyl et d’autres stupéfiants, des armes, des cachettes ainsi qu’un téléphone cellulaire, et concernant le moyen par lequel ces articles étaient introduits à Kent, à avoir un membre du personnel. La source a précisé que l’introduction d’articles se faisait par l’intermédiaire d’une CX. La source a décrit celle‑ci en disant qu’elle avait les cheveux noirs, des tatouages couvrant les bras et des ongles manucurés de façon professionnelle. On lui a montré une photo de la CX, et la source a affirmé qu’il s’agissait d’elle, qu’elle s’appelait Louise et qu’elle travaillait dans l’unité Écho.

  • - Le 25 août 2016, une deuxième fouille de l’unité D a été menée après la compromission de la première. Les lieux désignés par la source ont été fouillés. Des objets interdits et des articles non autorisés y ont été découverts, notamment un téléphone cellulaire caché derrière un crochet à vêtements. La source souligne que les vis de sécurité spéciales inviolables (utilisées pour fixer les luminaires et d’autres choses à la portée des détenus) ne peuvent être posées qu’au moyen d’un tournevis de sécurité spécial, qui n’est pas à la disposition des CX.

 

[44] Compte tenu de ces renseignements figurant dans le rapport du CE, la directrice de l’établissement a suspendu la fonctionnaire avec solde, à partir du 26 août 2016. Cela lui interdisait de se trouver dans une propriété appartenant au SCC. L’avis écrit de la suspension indiquait ce qui suit : [traduction] « L’employeur a été avisé du comportement que vous [la fonctionnaire] avez prétendument affiché, qui constitue un risque potentiel pour la santé et la sécurité à l’Établissement de Kent. »

[45] Le 25 octobre 2016, la directrice de l’établissement a accepté les conclusions présentées dans le rapport du CE, selon lesquelles il était déterminé que toutes les allégations à l’encontre de la fonctionnaire étaient fondées. Le 29 novembre 2016, une audience disciplinaire a été tenue, à laquelle ont assisté la fonctionnaire et sa représentante syndicale. Dans la lettre l’avisant de son licenciement, du 23 janvier 2017, entre autres choses les points suivants, qui avaient été soulevés durant l’audience disciplinaire, sont soulignés :

· La fonctionnaire a indiqué qu’elle assumait la pleine responsabilité de ses actes liés à la compromission de la fouille en vertu de l’article 53.

· Elle a déclaré qu’elle n’avait eu aucune mauvaise intention lorsqu’elle avait pris des articles appartenant aux détenus, et qu’à ce moment‑là, elle n’avait pas vu que cela posait un problème.

· Elle pouvait regarder en arrière et voir que des erreurs avaient été commises, et qu’on pouvait la voir déplacer des objets interdits dans l’établissement; cependant, elle tenait à assurer la directrice de l’établissement qu’elle ne commettrait plus les mêmes erreurs.

· Elle a déclaré qu’elle était gênée et qu’elle éprouvait des remords pour avoir agi ainsi.

· Elle n’était pas d’accord avec les allégations supplémentaires, même si elle a affirmé qu’elle pouvait comprendre pourquoi la directrice de l’établissement avait le sentiment qu’il y avait des questions relatives aux limites avec les détenus.

 

[46] Entre autres choses, le rapport du CE concluait également ce qui suit :

· La fonctionnaire n’a pas démontré qu’elle comprenait la gravité de ses actes. Elle n’a pas non plus expliqué raisonnablement ses actes qui revêtaient une certaine importance.

· Ses actes auraient pu entraîner des conséquences graves.

· Durant la fouille en vertu de l’article 53, il a été souligné que la DC 566-12 du SCC [traduction] « autorise la fouille des effets des détenus au regard de leur fiche de biens personnels afin de s’assurer que les articles qui se trouvent dans leurs cellules sont autorisés ».

· Cette DC indique que les détenus ne sont pas autorisés à donner, à échanger, à prêter, à louer ou à vendre, directement ou indirectement, leurs effets personnels à d’autres détenus. Les actes de la fonctionnaire (transmettre des marchandises entre des cellules durant la fouille en vertu de l’article 53) allaient directement à l’encontre de la nature de cette DC.

· [Traduction] « La directrice de l’établissement avait autorisé la fouille en vertu de l’article 53 afin de chercher de la drogue […] », et la fonctionnaire n’a pris aucune mesure afin de s’assurer que les articles qu’elle avait reçus des détenus, puis placés en entreposage, n’étaient pas utilisés pour dissimuler des objets interdits.

· La fonctionnaire a reconnu qu’elle ne s’était pas assurée que les boîtiers de disques compacts qu’elle avait distribués aux détenus ne contenaient pas d’objets interdits. Selon la DC 566-9, on s’attendait à ce qu’elle les saisisse et à ce qu’elle remplisse les documents de saisie appropriés.

· En qualité de CX II chevronnée, possédant 16 années de service, elle aurait dû savoir que ses actes entraînaient le risque que la directrice de l’établissement s’efforçait d’atténuer. En omettant de suivre la politique dans l’exercice de ses fonctions, elle a exposé à un risque la santé et la sécurité des personnes qui l’entouraient. Compte tenu de l’urgence liée à la santé publique, qui était attribuable à l’utilisation du fentanyl, y compris l’exposition pour des raisons professionnelles, les conséquences des actes de la fonctionnaire auraient pu être fatales.

· En nouant des relations non professionnelles avec les détenus et en autorisant ceux‑ci à participer à des activités qui allaient à l’encontre de la politique, la fonctionnaire a compromis la sûreté et la sécurité de l’établissement et celles de son personnel et des détenus qui y sont hébergés.

· La fonctionnaire n’a pas établi les limites professionnelles auprès des détenus qui seraient escomptées d’une agente de la paix ou d’une CX.

· Malgré ses 16 années de service et d’un [traduction] « dossier d’emploi exempt de mesures disciplinaires », la fonctionnaire a délibérément fait fi des politiques et des procédures du SCC, et sa conduite a miné sa crédibilité et a démontré un manque de jugement. Il était conclu qu’une mesure corrective ne permettrait pas de modifier l’attitude de la fonctionnaire, de rétablir la confiance, ou d’assurer son respect de la politique. On avait perdu confiance en sa capacité à exercer ses fonctions.

 

[47] La lettre a avisé la fonctionnaire de son licenciement, à compter du 23 janvier 2017. Le présent grief, dans lequel la fonctionnaire a demandé que le licenciement soit annulé, a été déposé à cette date. L’affaire a été rejetée au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, le 24 janvier 2017, et elle a été renvoyée à l’arbitrage le 30 mars 2017.

C. Article 53 : fouille exceptionnelle d’urgence

[48] L’article 53 (la note marginale qui le précède indique : « Pouvoir exceptionnel ») de la LSCMLC se lit comme suit :

53 (1) Le directeur peut, par écrit, autoriser la fouille par palpation ou à nu de tous les détenus de tout ou partie du pénitencier s’il est convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire, d’une part, que la présence d’un objet interdit menace sérieusement la vie ou la sécurité de quiconque, ou celle du pénitencier, d’autre part, que la fouille est nécessaire afin de saisir l’objet et d’enrayer la menace.

 

[49] Dans une note de service adressée à tout le personnel, le 22 août 2016, le directeur adjoint de l’établissement, Donald Labossiere, informait le personnel que l’unité 1 (blocs D, E et G) avait été placée en isolement cellulaire et que la directrice de l’établissement en avait autorisé la fouille en vertu de l’article 53, parce qu’on avait découvert du fentanyl dans les cellules des détenus. Chacun des paragraphes de cette note de deux pages et demie se concentrait sur le « fentanyl » et renfermait ce mot.

[50] La note précisait en détail quelles cellules avaient obtenu un résultat positif aux tests de dépistage du fentanyl, et qu’un détenu avait été victime d’une surdose. Il était mentionné que des batteries étaient utilisées pour chauffer et vaporiser le fentanyl, et qu’au moins une fois, un boîtier de disque compact avait servi à dissimuler du fentanyl. La note comprenait des consignes de sécurité indiquant, entre autres choses, de [traduction] « porter toujours des gants en nitrile; porter deux paires de gants pour assurer une meilleure protection en cas de déchirure ».

[51] Le 22 août 2016, le directeur adjoint de l’établissement, M. Labossiere, a aussi émis un bulletin de [traduction] « Communication avec le personnel ». Ce bulletin résumait en grande partie la teneur de l’autre note de service transmise ce jour‑là. Je souligne que la note mettait uniquement l’accent sur [traduction] « une fouille en vertu de l’article 53 effectuée en raison de la présence de fentanyl dans les unités de la PG ».

[52] La communication indiquait qu’une fouille complète de toutes les unités de la population générale (PG) serait menée. La note exposait l’horaire des détenus pour la durée de la fouille, qui prévoyait que l’accès à la cour, les activités organisées, l’école, les programmes et les visites étaient suspendus. Il était aussi indiqué que les CX devaient livrer les repas aux cellules.

[53] Un [traduction] « Rapport d’incident en établissement » déposé à la fin de la fouille en vertu de l’article 53, ou autour de ce moment‑là, le 31 août 2016, mettait aussi l’accent sur le fentanyl, d’autres drogues illicites et les accessoires de consommation de stupéfiants. Le rapport faisait aussi allusion à un petit nombre d’armes tranchantes en métal et à une carte SIM découverte pendant la fouille.

[54] La fonctionnaire a produit des éléments de preuve en contre‑interrogatoire, et elle a soutenu qu’aucun de ces documents ne faisait mention d’une directive de fouiller, ou d’un résultat de la fouille des biens personnels des détenus effectuée en fonction de leurs fiches de biens personnels. Ces fiches répertorient l’ensemble des biens personnels d’un détenu. Cela fera l’objet d’une analyse plus loin dans la présente décision.

D. Formation de CX

[55] L’employeur a appelé Steven Loeb à témoigner des nombreux domaines visés dans la formation que la fonctionnaire devait avoir reçue. M. Loeb est gestionnaire correctionnel. Actuellement, il travaille dans un établissement situé près de Kent, et il était agent de formation à l’époque en cause dans la présente affaire. Il a été agent de formation pendant 10 ans. M. Loeb a livré un témoignage non contredit au sujet des nombreux aspects de la formation que tous les CX doivent suivre avant de commencer à travailler comme CX et du perfectionnement continu qui leur est offert au cours de chaque année durant laquelle ils poursuivent cette carrière.

[56] L’exactitude du témoignage de M. Loeb, ou le fait que la fonctionnaire devait avoir reçu toute la formation mentionnée durant sa carrière, n’ont pas été contestés.

[57] Le témoignage de M. Loeb faisait mention de ce qui suit, qui a été confirmé par des documents écrits, tels que des manuels de formation déposés comme pièces :

  • Les CX reçoivent une demi‑journée de formation sur la sous-culture en établissement, au cours de laquelle on leur enseigne comment les détenus essaient de se procurer de la drogue et comment fonctionne l’économie en établissement avec une trésorerie faible ou nulle. Les détenus échangent leurs biens personnels très limités, par exemple, pour obtenir de la drogue ou des services. L’importance des signalements effectués par le personnel est soulignée, afin que ces renseignements puissent être recueillis afin de soutenir l’application de la loi et de mettre fin aux comportements dangereux ou de les éviter.

  • Les CX reçoivent une demi‑journée de formation sur le recours des détenus à un comportement manipulateur afin de gagner de l’influence sur le personnel correctionnel. Dans le cadre de la formation et d’un jeu de rôles, on enseigne aux CX comment ils sont exposés au risque d’être conditionnés par les détenus. Une fois que même une très petite faveur est accordée, cela peut être utilisé ultérieurement pour menacer le CX afin d’obtenir de plus grandes faveurs. On présente aux CX des exemples de réactions escomptées. On leur enseigne à être fermes, mais équitables, et à respecter en tout temps les politiques, les lois et les DC.

  • Les CX reçoivent un module de formation complète qui traite plus particulièrement de la fouille et de la saisie. M. Loeb a souligné dans les documents d’accompagnement (pièce E-9, page 65) que lors d’une fouille exceptionnelle en vertu de l’article 53, dans laquelle les circonstances englobent la présence d’objets interdits qui représentent un danger évident et important pour la vie humaine ou la sécurité de l’établissement, la directrice de l’établissement doit l’autoriser, le consentement des détenus n’est pas requis, et les documents suivants sont mentionnés en vertu de l’article 58 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (DORS/92-620), qui se lit comme suit :

58 (1) La personne qui procède à une fouille conformément à l’un des articles 47 à 64 de la Loi dresse un rapport, dès que possible et conformément au paragraphe (4), puis le remet au directeur du pénitencier ou à l’agent désigné par lui, s’il s’agit :

  • a) d’une fouille à nu exceptionnelle faite conformément à l’une des dispositions suivantes de la Loi : les paragraphes 49(3) et (4), 60(2) et (3) et l’alinéa 64(1)b;

 

  • b) d’une fouille faite conformément aux articles 51 ou 52 de la Loi;

 

  • c) d’une fouille à nu ordinaire faite en vertu de l’article 48 de la Loi et qui a nécessité l’usage de la force;

 

  • d) d’une fouille d’urgence d’un détenu, d’un véhicule ou d’une cellule;

 

  • e) d’une fouille au cours de laquelle l’agent ou la personne autorisée a effectué une saisie.

(2) L’employé d’un établissement résidentiel communautaire qui procède à une fouille conformément à l’article 66 de la Loi dresse un rapport, dès que possible et conformément au paragraphe (4), puis le remet au responsable de l’établissement.

(3) Le directeur du pénitencier qui a autorisé une fouille de tous les détenus en vertu de l’article 53 de la Loi dresse un rapport, dès que possible et conformément au paragraphe (4), puis le remet au responsable de la région.

(4) Le rapport de la fouille doit être fait par écrit et doit contenir les renseignements suivants :

  • a) les date, heure et lieu de la fouille;

 

  • b) la description de chaque objet saisi;

 

  • c) selon le cas, le nom de la personne fouillée, le numéro de plaque d’immatriculation du véhicule ou le numéro de la chambre ou de la cellule fouillée;

 

  • d) le nom de chaque personne qui a procédé à la fouille et, le cas échéant, celui de chaque personne présente pendant la fouille;

 

  • e) les motifs de la fouille;

 

  • f) une description de la manière dont la fouille a été faite;

 

  • g) dans le cas du rapport visé au paragraphe (3), un exposé des faits qui ont convaincu le directeur du pénitencier que la présence d’un objet interdit menaçant sérieusement la vie ou la sécurité de quiconque ou la sécurité du pénitencier et une mention indiquant si la menace a été évitée.

(5) La personne visée par une fouille ou à qui un objet a été saisi lors d’une fouille visée aux paragraphes (1) ou (2) doit, sur demande, avoir accès au rapport de la fouille.

(6) Chaque rapport de fouille doit être conservé pendant au moins deux ans après la date de la fouille.

[Je mets en évidence]

 

[58] Même s’ils ont été utiles, les témoignages et les nombreuses pièces traitant de la formation de la fonctionnaire n’ont guère été concluants à l’audience.

[59] Je reconnais les aspects les plus pertinents de cette partie de l’audience afin d’accueillir l’argument de l’employeur, selon lequel les actes de la fonctionnaire ayant consisté à enlever ses gants de protection pour saisir des articles auprès d’un détenu dans sa cellule, à transmettre des biens personnels entre des détenus, ainsi qu’à prendre le sac du détenu, allaient tous à l’encontre de sa formation de CX.

[60] Cela dit, les arguments de l’employeur concernant l’importance de rédiger obligatoirement un rapport auraient eu plus d’impact si l’employeur avait produit en preuve le rapport final de la fouille en vertu de l’article 53, qui devait être présenté au bureau régional après la fin de la fouille.

[61] Le fait que l’employeur n’ait pas observé mon ordonnance et qu’il ait prétendu que la version finale du rapport était introuvable, malgré la gravité évidente de toute la présente affaire lorsque ces incidents sont survenus, invalide le niveau d’importance que l’établissement accordait à l’observation des règles en matière de rédaction de rapports au moment de ces incidents.

E. L’isolement cellulaire à l’établissement

[62] Lorsqu’il a étayé sa preuve, l’employeur a beaucoup insisté sur la nécessité de contrôler totalement les détenus en tout temps, afin d’assurer la sécurité de tous dans l’établissement, et sur les actes de la fonctionnaire qui ont contrecarré ce contrôle.

[63] Dans son témoignage, la directrice de l’établissement a insisté sur le fait qu’un grand nombre des détenus les plus dangereux du pays sont hébergés à l’établissement. Elle a expliqué que les détenus de la population générale, comme ceux des unités en cause à l’audience, sont principalement des criminels endurcis de longue date, qui, dans bien des cas, appartiennent à des bandes criminelles ou à la mafia et refusent de participer aux programmes de traitement visant à améliorer leur vie, parce qu’ils souhaitent demeurer purs et se vouer à leurs activités criminelles. La directrice de l’établissement a affirmé que le personnel doit être [traduction] « hyper vigilant », ce qui demande un [traduction] « autre genre d’intensité ».

[64] La directrice de l’établissement a témoigné que la fouille en vertu de l’article 53 et l’isolement cellulaire [traduction] « gèlent l’établissement », et qu’ils donnent à son personnel le [traduction] « contrôle total » de tous les détenus. Elle a affirmé que les déplacements de l’ensemble des détenus sont interdits ou restreints, afin d’éliminer toute possibilité de déplacement ou de communication des détenus, ainsi que la circulation des objets interdits, de sorte qu’il est possible de fouiller en toute confiance tout l’espace que les détenus peuvent occuper.

[65] Par ailleurs, lorsqu’elle a observé la fonctionnaire dans la vidéo, la directrice de l’établissement a témoigné que la transmission d’articles entre des détenus a empêché la fonctionnaire de maintenir la sécurité de son installation. Elle a ajouté que les actes de la fonctionnaire avaient montré que celle‑ci n’en comprenait pas la gravité, car elle‑même exige l’intégrité totale afin de garantir la sécurité de la fouille à 100 %.

[66] Le directeur de l’établissement par intérim, M. Labossiere, a aussi souligné cela, en affirmant à maintes reprises que l’établissement était placé en isolement cellulaire total et que rien ne devait être déplacé pendant que chaque détenu et chaque cellule étaient fouillés.

[67] La directrice de l’établissement a témoigné qu’en aucun cas rien ne devait être transmis entre les détenus et les cellules durant la fouille en vertu de l’article 53 et l’isolement cellulaire et que le personnel devait être au courant de l’importance de cette interdiction.

[68] La directrice de l’établissement a expliqué que la population générale des unités D, E et G, qui comptent chacune 24 cellules, était placée en isolement cellulaire total, afin que le personnel puisse fouiller toutes les cellules et toutes les salles communes des détenus, afin de trouver du fentanyl, d’autres drogues illicites, des armes et des objets interdits.

[69] La directrice de l’établissement a aussi affirmé que le personnel devait aussi procéder à des fouilles au regard des fiches des biens, afin de vérifier le contenu de chaque cellule en fonction de l’inventaire déclaré sur la fiche d’un détenu, qui était dressé à l’arrivée du détenu à l’établissement.

[70] Malgré les propos énergiques que la directrice de l’établissement a tenus pour décrire l’isolement cellulaire total des détenus, la fonctionnaire a témoigné qu’en réalité, les jours en cause dans la présente affaire, l’unité Écho, où elle était affectée, n’était pas placée en isolement cellulaire total. Elle a fait allusion au statut de cette unité en disant qu’il était [traduction] « à la hausse et à la baisse ».

[71] La fonctionnaire a souligné ce fait en expliquant que son unité Écho n’était pas vraiment placée en isolement cellulaire total.

[72] J’ai passé en revue les enregistrements sonores de l’audience disciplinaire de la fonctionnaire, qui avaient été présentés comme pièce. J’ai entendu un représentant de l’employeur affirmer que, dans une vidéo de sécurité, on pouvait voir un détenu non escorté, en chemin vers la douche de l’unité Écho, ramasser sur le plancher un disque compact qu’on venait de faire glisser sous la porte d’une cellule jusque dans le corridor.

[73] Mon examen de cette vidéo de sécurité captée dans l’unité Écho le 24 août 2016, à partir de 15 h 58 min 53 s, qui a été présentée comme pièce, permet clairement de voir un détenu en short, nu pied dans ses [traduction] « sandales », qui marche seul dans la rangée de cellules, en chemin vers la douche. Deux secondes avant son passage devant la porte d’une cellule, un article est glissé sous la porte, sur le plancher du corridor, devant le détenu non escorté.

[74] Le détenu non escorté regarde l’article, mais continue à marcher. Il tourne le coin et sort du champ de la caméra, mais ensuite, 26 secondes plus tard, il revient sur ses pas. Il s’arrête pour ramasser l’article provenant de la cellule et l’emporte hors du champ de la caméra. On peut clairement voir un petit sourire sur le visage du détenu après qu’il a ramassé l’article et qu’il marche dans la rangée en sortant du champ de la caméra. Il réapparaît 35 secondes plus tard, marchant dans la rangée sans escorte, une serviette dans une main et quelque chose dans l’autre.

[75] Bien que je n’accorde pas une très grande valeur probante à cette vidéo, je souligne sa compatibilité avec l’affirmation de la fonctionnaire selon laquelle l’unité Écho n’était pas placée en isolement cellulaire complet le jour où la vidéo a été captée.

[76] Ce témoignage de la fonctionnaire concordait aussi avec la note de service adressée au personnel le 22 août, qui exposait des plans aux fins de la fouille en vertu de l’article 53. Dans ses observations finales, la fonctionnaire a souligné que la note de service indique clairement qu’un programme concernant les douches des détenus de l’unité 1 devait être mis en vigueur à compter du 24 août, ce qui visait l’unité Écho.

[77] Cette vidéo concorde aussi avec ma conclusion selon laquelle les témoins de l’employeur ont témoigné de certains aspects de la fouille en vertu de l’article 53 qui semblaient quelque peu surestimés, puisqu’ils ne concordaient pas toujours avec l’ensemble de la preuve.

[78] La directrice de l’établissement a témoigné à maintes reprises qu’il était important que les détenus soient totalement soumis à son contrôle, afin d’assurer l’efficacité de la fouille en vertu de l’article 53. Les arguments soulevés à l’encontre de la fonctionnaire visaient à montrer qu’elle était l’unique responsable de la compromission de la fouille. La vidéo concorde avec les conclusions que j’expose en détail plus loin dans la présente décision, selon lesquelles les assertions faites par la directrice de l’établissement et le directeur de l’établissement par intérim, M. Labossiere, n’étaient pas entièrement corroborées par la preuve.

III. Analyse

[79] Les parties ont soutenu conjointement que la jurisprudence dont la Commission est saisie qui régit le licenciement motivé est bien établie, et qu’elle remonte à Wm. Scott.

[80] Il est également bien établi qu’il incombe à l’employeur de démontrer les faits sous‑jacents invoqués pour justifier la mesure disciplinaire, ainsi que le caractère approprié de la mesure disciplinaire (voir Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24, au par. 26).

[81] J’ai résumé ce pouvoir dans la décision que j’ai rendue dans Braich c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTESPF 47, comme suit :

[…]

15 Pour décider s’il y avait un motif de licenciement juste et raisonnable, la Commission cite souvent Wm. Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1976] B.C.L.R.B.D. No. 98 (QL) (« Scott »). Selon Scott, pour qu’un licenciement soit considéré comme étant juste, l’employeur doit d’abord se demander si l’employé lui a fourni un motif juste et raisonnable d’imposer une mesure disciplinaire quelconque. En deuxième lieu, l’employeur doit établir si la décision de licencier l’employé était une réaction excessive au vu des circonstances. En troisième lieu, si l’arbitre de grief estime que le licenciement était une mesure excessive, il ou elle doit décider quelles mesures justes et équitables doivent y être substituées (voir Scott, au paragraphe 13).

16 En ce qui concerne les deux premiers volets, Scott évalue la gravité de l’infraction, détermine si elle était préméditée ou spontanée, si l’employé avait de bons états de service de longue date, si une mesure disciplinaire progressive avait été mise à l’essai et, en dernier lieu, si le licenciement était conforme aux politiques établies de l’employeur ou si l’employé a été traité différemment en raison d’une sanction très sévère (voir le paragraphe 14).

[…]

A. Y avait-il un motif raisonnable d’imposer la mesure disciplinaire?

[82] Pour ce qui est des deux allégations présentées contre elle avant l’audience, la fonctionnaire a nié avoir eu des relations inappropriées.

[83] Dans son témoignage, la fonctionnaire a admis qu’elle avait commis une erreur lorsqu’elle avait accepté de transmettre des articles entre des détenus placés en isolement cellulaire durant la fouille en vertu de l’article 53, parce que cela risquait de permettre la transmission d’objets interdits. Cela a aussi été reconnu dans les observations finales de la représentante de la fonctionnaire.

[84] La fonctionnaire a témoigné qu’elle avait assumé la responsabilité de son erreur et qu’elle était disposée à accepter une mesure disciplinaire appropriée, ce qui, à son avis, ne comprend manifestement pas son licenciement.

[85] Dans l’argumentation finale, la représentante de la fonctionnaire a parlé de cela. En invoquant des motifs à l’appui qui seront examinés en détail plus loin dans la présente décision, la représentante a laissé entendre qu’une réprimande adressée de vive voix par le gestionnaire de la fonctionnaire serait appropriée, compte tenu du fait qu’un autre CX avait commis une erreur et avait compromis une autre fouille en vertu de l’article 53 dans une autre unité de l’établissement au cours de la même semaine, et qu’il n’avait reçu aucune mesure disciplinaire.

[86] Je conviens qu’il existait un motif raisonnable d’imposer une mesure disciplinaire à la fonctionnaire pour avoir transmis des articles entre des détenus durant la fouille en vertu de l’article 53. Ses actes à cet égard constituaient une violation de la DC 566-9, qui traite de la saisie d’objets interdits, comme il en a été conclu lors du CE et comme il y est fait allusion dans la lettre de licenciement.

[87] Je ne conclus pas à la violation de la DC 566-12, qui porte sur le rapprochement facultatif mais non obligatoire des biens personnels des détenus en fonction de leur fiche de biens. Cette DC ne prévoit aucune obligation incombant aux CX, et l’employeur n’a pas été en mesure de présenter avant l’audience des éléments de preuve documentaire qui auraient établi que la fonctionnaire devait mener une fouille liée aux fiches.

[88] Je conclus que l’employeur ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve à l’égard de la deuxième allégation à l’encontre de la fonctionnaire, selon laquelle elle avait noué des relations inappropriées. Il n’existe aucune preuve claire, logique et convaincante à l’appui de cette allégation.

B. La décision de licencier la fonctionnaire s’estimant lésée était-elle excessive dans les circonstances?

[89] Dans la présente affaire concernant un licenciement disciplinaire, il incombait à l’employeur de démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, ses mesures étaient justifiées.

[90] Après avoir examiné avec soin l’ensemble de la preuve qui m’a été présentée à l’audience, je conclus que l’employeur n’a pas démontré qu’il est plus probable qu’improbable que sa décision de licencier la fonctionnaire n’ait pas été excessive, au vu de l’ensemble des circonstances.

[91] Je tire cette conclusion en me fondant sur ma constatation selon laquelle la preuve de l’employeur ne satisfaisait pas à la norme exigée, qui est d’être claire, logique et convaincante.

[92] Dans la même veine, je ne suis pas convaincu par la preuve présentée à l’audience que je devrais mettre en doute la crédibilité du témoignage de la fonctionnaire, comme l’avocate de l’employeur l’a demandé.

[93] Même si l’intention malicieuse très grave que l’employeur a maintes fois essayé d’attribuer aux actes de la fonctionnaire pouvait être fondée, aucune preuve claire, logique et convaincante, qui m’aurait permis de rendre une décision aussi grave, ne m’a été présentée à l’audience, ce qui condamnerait sa nature.

[94] La preuve a montré que le présent cas reposait sur la conviction de l’employeur que la fonctionnaire agissait à titre de passeuse de drogue pour le crime organisé, exposant ainsi les détenus et le personnel de l’établissement à un risque élevé de préjudice très grave ou de mort.

[95] Même s’il est possible que la conviction de l’employeur ait été fondée, aucune preuve ne m’a été présentée pour appuyer une pareille conclusion.

[96] En réalité, lorsque l’employeur a eu des possibilités de chercher des éléments de preuve associant la fonctionnaire à ces allégations graves, il n’a fait pratiquement aucun effort en ce sens.

[97] Même si les actes de la fonctionnaire consistant à transmettre des articles entre des détenus étaient inacceptables, ce qu’elle a admis lorsqu’elle a été appelée à rendre des comptes par ses supérieurs et après un examen à l’audience, la preuve n’étaye pas son licenciement.

[98] Une fouille en vertu de l’article 53 d’une unité distincte au cours de la même semaine a été compromise et a dû être effectuée à nouveau, en raison de l’acte erroné d’un CX. Une visite familiale privée a été autorisée durant l’isolement cellulaire des unités malgré le fait que le directeur de l’établissement par intérim avait suspendu toutes les visites lorsqu’il avait lancé la fouille.

[99] La fouille compromise n’a entraîné aucune mesure disciplinaire à l’égard du CX qui avait commis l’erreur, la directrice de l’établissement ayant témoigné qu’il s’agissait d’une [traduction] « erreur honnête ». Le directeur de l’établissement par intérim, M. Labossiere, a témoigné que cette fouille compromise était attribuable à une [traduction] « simple erreur ».

[100] Je conclus également que la preuve a démontré que la fonctionnaire avait commis une erreur en acceptant de déplacer des effets personnels d’une cellule à une autre, ainsi qu’en saisissant le grand sac dans une cellule et en le plaçant dans une salle de travail des CX à l’extérieur du secteur fouillé.

[101] Mais les rapports, la confiscation et l’inculpation des détenus en question qui étaient exigés en vertu des politiques et des directives du SCC n’ont pas été mis en vigueur de façon systématique dans l’établissement.

[102] Compte tenu de ce que je peux qualifier au mieux d’approche incohérente de la part de l’employeur à l’égard de ces articles, je n’ai aucun doute que sa décision de licencier la fonctionnaire a été influencée par les allégations que l’informateur a faites contre elle.

[103] Dans les enregistrements sonores de l’audience disciplinaire, la directrice de l’établissement a admis que l’employeur n’avait eu aucune preuve directe confirmant la véracité des allégations de l’informateur. Cela n’a jamais changé tout au long de l’enquête, du mandat du CE et de l’audience.

[104] Le manque de jugement reconnu par la fonctionnaire, que l’on constate dans la vidéo, justifiait la prise d’une mesure corrective puisque ses actes étaient inacceptables. Mais son licenciement n’était pas justifié.

[105] Au vu de l’ensemble des circonstances qui entourent la fonctionnaire et les faits litigieux, Wm. Scott fournit des directives quant aux facteurs qui peuvent s’avérer pertinents lorsqu’il s’agit de voir si un licenciement était excessif.

[106] Au paragraphe 14, Wm. Scott traite de la gravité de l’infraction et des questions de savoir si elle était préméditée ou spontanée, si le fonctionnaire comptait de longs et bons états de service, si une mesure disciplinaire progressive avait été tentée et, en dernier lieu, si le congédiement était conforme aux politiques établies de l’employeur ou si le fonctionnaire avait été ciblé aux fins d’un traitement sévère.

[107] Ce qui est primordial pour cet aspect de l’analyse, c’est le fait que l’employeur ait livré un témoignage sur des questions qui indiquaient directement que la fonctionnaire avait une intention coupable lorsqu’elle avait sciemment violé la DC concernant les fouilles des détenus et qu’elle avait noué des relations inappropriées avec eux.

[108] La directrice de l’établissement a témoigné que, même si elle avait accepté toutes les conclusions du CE selon lesquelles les quatre allégations étaient corroborées, elle s’était fondée uniquement sur les allégations de relations inappropriées et de compromission de la fouille en vertu de l’article 53.

[109] La fonctionnaire a nié avoir eu des relations inappropriées, et elle a soutenu que la directrice de l’établissement avait commis une erreur et qu’elle avait ignoré ou mal compris les conclusions de son enquête sur cette allégation.

[110] La preuve présentée pour étayer ces questions était axée principalement sur la vidéo qui montrait la fonctionnaire en train de prendre des articles des détenus dans les cellules de ceux‑ci, et sur des témoignages qui visaient à attribuer des motivations douteuses aux actes accomplis par la fonctionnaire et à souligner les risques graves que ces risques présentaient pour les détenus et le personnel.

[111] D’un autre côté, la fonctionnaire a témoigné qu’elle avait avoué, la première fois qu’elle avait été convoquée au bureau de la directrice de l’établissement au sujet de cette affaire, qu’elle avait transmis des disques compacts entre des détenus. Elle a témoigné qu’elle avait dit également à la directrice de l’établissement qu’il s’agissait effectivement d’une erreur de sa part, qui découlait du fait qu’elle avait travaillé deux quarts de 16 heures deux jours de suite. Ces quarts avaient précédé les incidents en cause.

[112] La fonctionnaire a aussi témoigné qu’elle avait estimé faible le risque que le détenu la trompe, ou qu’elle subisse un préjudice, si elle acceptait de saisir à main nue un article de lui pendant qu’il était debout à côté de sa fente pour plateau-repas ouverte.

[113] La fonctionnaire a expliqué que le détenu occupait un poste de confiance auprès du personnel, puisqu’il était autorisé à effectuer certaines tâches telles que la peinture des couloirs, un privilège qui devait être gagné à la suite d’un bon comportement. Cela n’était pas accordé à tous les détenus.

[114] Les pages qui suivent exposeront les témoignages pertinents à l’appui de la preuve et des allégations de l’employeur, ainsi que des explications exonératoires de la fonctionnaire.

[115] Je soulignerai aussi plusieurs actions ou inactions de l’employeur que la fonctionnaire a fait valoir, et à l’égard desquelles je conviens qu’elles étaient incompatibles avec le niveau de préoccupation et le risque invoqués dans l’argumentation pour justifier la décision de l’employeur de licencier la fonctionnaire.

1. La vidéo

[116] L’employeur a présenté des fichiers vidéo comme pièces, et en grande partie, il a fondé sa preuve sur les actes de la fonctionnaire qui y ont été captés, lesquels étaient très suspects selon lui. Il a affirmé qu’un ou une CX ne devrait jamais accomplir ces actes durant la fouille en vertu de l’article 53.

[117] Malgré la protestation de la fonctionnaire selon laquelle une séquence vidéo, qui sera mentionnée ultérieurement, ne lui avait pas été montrée lors du processus disciplinaire, sa représentante n’a contesté aucun élément de preuve vidéo.

[118] J’examinerai toutes les séquences vidéo présentées en preuve avant l’audience, puisqu’elles englobent tout ce qui a été utilisé par le CE et l’employeur pour mener l’enquête sur les incidents en cause.

[119] La fonctionnaire a témoigné pour dire que, lorsqu’elle avait été convoquée au bureau de la directrice de l’établissement, elle avait admis avoir transmis les disques compacts et avoir sorti le grand sac du secteur fouillé. Dans son témoignage, elle a fourni des explications qui dépeignaient certains des actes vus dans la vidéo sous un jour plutôt inoffensif, en comparaison des accusations de l’employeur.

[120] La représentante de la fonctionnaire a présenté un point de vue utile sur le rôle de la vidéo à une audience d’arbitrage. Elle a souligné la décision que la Commission a rendue dans King c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 84, aux paragraphes 103 et 104. Il y était conclu que sans l’audio, la séquence vidéo ne constitue qu’une simple série d’images pouvant faire l’objet de différentes interprétations, selon la personne qui la visionne.

[121] J’ai passé un grand nombre d’heures à l’audience et de nombreuses autres par la suite à examiner de près les vidéos présentées en preuve. Je peux souscrire en toute confiance aux conclusions de la Commission dans King.

[122] Une vidéo dépourvue de l’audio peut parfois raconter une partie d’une histoire, mais elle risque aussi d’être mal interprétée. C’est un outil vague lorsqu’il s’agit de découvrir la vérité s’il est allégué qu’une intention coupable a motivé les actes que l’on y observe, comme celle qui constitue le fondement des allégations dont je suis saisi.

[123] Les paragraphes suivants, qui se rapportent tous à l’année 2016, traitent de la vidéo montrant la fonctionnaire et la rangée qui se trouve à l’extérieur des cellules, qui a été présentée comme pièce à l’audience.

a. Le 23 août à 15 h 52 min 39 s : unité Écho, secteur inférieur, cellules 1 à 6

[124] Nous voyons la fonctionnaire recueillir des plateaux‑repas par les petites fentes dans les portes des cellules, en compagnie de sa partenaire, la CX I Cindy Grasby. Au début de la vidéo, la CX I Grasby marche dans la rangée à distance de la fonctionnaire et tourne le coin, hors du champ de la caméra. Elle est alors hors de vue pour la fonctionnaire. Cette dernière se penche alors vers l’arrière, puis regarde en direction de l’endroit où sa partenaire vient de sortir de la rangée. Elle retire son gant et reçoit un boîtier de disque compact par la fente pour plateau-repas de la part du détenu qui se trouve dans la cellule. Elle place le boîtier dans la grande poche de son pantalon de style cargo.

b. Le 23 août à 15 h 53 min 49 s (une minute plus tard) : unité Écho, secteur inférieur, cellules 7 à 12

[125] La fonctionnaire marche dans la rangée, s’arrête à une cellule, ouvre la fente pour plateau-repas, sort le disque compact de sa poche, puis le remet au détenu par la fente.

c. Le 24 août à 15 h 21 min 6 s (un jour plus tard) : unité Écho, secteur inférieur, cellules 1 à 6

[126] La fonctionnaire reçoit quelque chose du détenu par la fente servant à passer la nourriture.

d. Le 24 août à 15 h 22 min 3 s (une minute plus tard) : unité Écho, secteur inférieur, cellules 7 à 12

[127] La fonctionnaire ouvre la fente pour plateau-repas, se tient à proximité, puis y place un petit objet identifiable, que le détenu prend dans sa main pour l’introduire dans la cellule. Ensuite, la fonctionnaire se déplace, s’arrête brièvement à deux cellules situées tout près dans la même rangée, puis place à nouveau quelque chose dans chacune des fentes pour plateau-repas ouvertes. Les détenus qui se trouvent à l’intérieur de chacune des cellules saisissent les articles pour les introduire dans leur cellule. Dans cette vidéo, rien n’indique qu’une distribution de repas est en cours pendant que la fonctionnaire accomplit ces actes.

e. Le 24 août à 15 h 20 min 5 s (deux minutes plus tôt) : unité Écho, niveau de la mezzanine

[128] La fonctionnaire se rend à la porte de la cellule du Détenu W. La fente pour plateau-repas est ouverte. La fonctionnaire recueille un plateau-repas utilisé, jette un coup d’œil dans la rangée, puis se dirige vers le bureau des CX. Elle en ressort avec un grand sac à ordures transparent à la main, qu’elle emporte dans l’escalier, avec quelques plateaux-repas.

[129] Environ trois minutes plus tard, la fonctionnaire réapparaît devant la caméra. Elle monte l’escalier jusqu’au niveau de la mezzanine. Elle tient un papier dans une main et un grand sac à ordures transparent rempli de vêtements dans l’autre. Elle place le sac dans le bureau des CX pendant qu’elle est hors champ. Elle ressort du bureau sans le sac, puis glisse le papier dans la fente du courrier de sortie.

2. Précipitation à juger présumée

[130] Dans son argumentation, la fonctionnaire a souligné que la directrice de l’établissement avait été si ébranlée par le signalement d’un informateur qui l’accusait d’introduire du fentanyl dans l’établissement que, le 29 août 2016, dès 9 h 23, elle avait déjà demandé et reçu une rétroaction des Relations de travail sur la question de savoir si les seuls renseignements fournis par l’informateur pouvaient justifier le licenciement de la fonctionnaire.

[131] Dans un courriel expédié à cette date et à cette heure, la directrice de l’établissement a été informée qu’on avait effectué des recherches sur des cas où un CX avait été congédié uniquement en fonction des renseignements fournis par un informateur. Le personnel a répondu qu’il n’avait pu trouver aucun précédent de ce genre et, qu’à son avis, [traduction] « [Mark] ne croyait pas qu’à eux seuls les renseignements fournis par l’informateur entraîneraient un licenciement ».

[132] En contre-interrogatoire, la directrice de l’établissement a témoigné qu’elle n’avait pas pris la décision de licencier la fonctionnaire avant la tenue de l’enquête disciplinaire.

[133] La représentante de la fonctionnaire a attiré mon attention sur le fait que la directrice de l’établissement avait chargé un gestionnaire, M. Noon‑Ward, de surveiller les efforts déployés dans l’établissement en lien avec l’enquête sur la fonctionnaire et d’assurer la liaison avec le CE, une fois qu’il aurait été mis sur pied.

[134] Le 26 août, M. Noon‑Ward a envoyé un courriel à la directrice de l’établissement. Il a fait savoir qu’à son avis, à eux seuls les renseignements fournis par l’informateur ne justifiaient pas le licenciement de la fonctionnaire.

[135] Cette même pièce montrait aussi que, dans un courriel du 26 août, M. Noon-Ward désignait la fonctionnaire sous le nom de Biff Naked. Des renseignements provenant des médias sociaux ont été présentés comme pièce, sans soulever d’objection, ce qui a établi que « Biff Naked » est le nom de scène d’une musicienne accomplie et militante sociale, qui est née en Inde et a été élevée dans une région rurale du Manitoba. Elle est une survivante du cancer qui continue à donner des spectacles, à enregistrer de la musique et à défendre publiquement les survivantes du cancer et l’habilitation des femmes. Elle a reçu un doctorat honorifique de l’Université Fraser Valley en 2013.

[136] Je souligne que l’artiste et la fonctionnaire ont toutes les deux les cheveux noirs et beaucoup de tatouages.

[137] La représentante de la fonctionnaire a soutenu que cet élément de preuve atteste l’existence d’un parti pris à l’égard de la fonctionnaire dans l’esprit de M. Noon‑Ward. Même si je conviens que ce courriel malheureux ternit le professionnalisme de M. Noon‑Ward, je ne conclus pas à la partialité.

[138] Récemment, j’ai rendu deux décisions dans lesquelles je soulignais à quel point il est inacceptable pour des fonctionnaires de manquer de respect envers leurs supérieurs.

[139] Cela s’applique a fortiori aux gestionnaires.

[140] Un gestionnaire doit donner l’exemple. Chaque fonctionnaire, y compris un CX, mérite d’être traité avec respect en tout temps par son ou sa gestionnaire. (Voir Pezze c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources naturelles), 2020 CRTESPF 37, et Gulia c. Administrateur en chef du Service administratif des tribunaux judiciaires, 2020 CRTESPF 39.)

[141] La fonctionnaire a soutenu que le défaut de la directrice de l’établissement de retirer M. Noon‑Ward de son poste de liaison avec le CE constituait également un manque de leadership de sa part et une autre preuve de partialité.

[142] Je conclurai simplement que la directrice de l’établissement a perdu une occasion d’ajouter de la crédibilité à l’enquête.

[143] Ce qui importe le plus pour mes conclusions, peut‑être, ce sont les faits sur lesquels la fonctionnaire s’est fondée, qui indiquent que, le 26 août, M. Noon‑Ward a écrit un courriel plutôt révélateur, dans lequel il affirmait qu’à son avis, à eux seuls les renseignements fournis par l’informateur ne justifiaient pas le licenciement de la fonctionnaire.

[144] Compte tenu du déroulement de l’audience et de mon évaluation de la preuve de l’employeur, comme il est mentionné dans la présente décision, il semble qu’en réalité, l’employeur ait décidé à ce moment‑là de licencier la fonctionnaire. Il a ensuite passé les semaines qui ont suivi à s’efforcer de monter un dossier contre elle qui, à son avis, résisterait à une contestation devant la Commission.

[145] J’ai examiné les fichiers sonores présentés comme pièce, qui proviennent de l’audience disciplinaire tenue le 29 novembre 2016. Neuf minutes et 45 secondes après le début de la partie II de l’enregistrement, la directrice de l’établissement réagit face à l’insistance avec laquelle la fonctionnaire demande d’être autorisée à voir les allégations que l’informateur a faites contre elle. La fonctionnaire laisse entendre à la directrice de l’établissement que les détenus ne sont pas fiables.

[146] La directrice de l’établissement répond en disant : [traduction] « Tu [la fonctionnaire] as raison; je [directrice de l’établissement] ne te prends pas la main dans le sac […] Je n’ai rien de concret à 100 % qui indique que tu as introduit de la drogue dans l’établissement, mais j’ai un détenu qui est une source digne de foi, alors pourquoi est‑ce que je ne croirais pas ce qu’il dit à ton sujet? »

[147] Plus loin dans le fichier sonore, la directrice de l’établissement affirme que l’informateur est [traduction] « totalement fiable » et qu’elle est « sûre de pouvoir » accepter ses allégations accusant la fonctionnaire d’introduire de la drogue dans l’établissement.

[148] Le fichier sonore révèle que la directrice de l’établissement a pratiquement commencé à argumenter avec la fonctionnaire après que celle‑ci eut nié les allégations de l’informateur et souligné qu’on ne pouvait pas faire confiance aux détenus. La directrice de l’établissement dit à la fonctionnaire : [traduction] « J’ai un détenu qui est une source digne de foi, alors pourquoi est‑ce que je ne le croirais pas quand il s’agit de toi? »

[149] Même si je n’accepte pas l’allégation de partialité, je conclus que la confiance de la directrice de l’établissement dans les allégations de l’informateur et leur acceptation ne se sont jamais démenties tout au long du mandat du CE, de la procédure de règlement des griefs et de l’audience d’arbitrage.

3. Transmission d’articles pour les détenus entre leurs cellules

[150] Lorsqu’elle a été questionnée au sujet de la série d’incidents captée dans la vidéo, la fonctionnaire a témoigné qu’elle avait travaillé de très longues heures au cours des jours qui avaient précédé les incidents. Elle a déclaré qu’elle avait travaillé deux quarts de 16 heures consécutifs, et que le troisième jour, le 23 août, elle avait fait un quart régulier, puis encore un autre quart régulier le 24 août.

[151] En contre-interrogatoire, elle a reconnu qu’elle était au courant du problème lié au fentanyl, du fait qu’un détenu de l’établissement avait été victime d’une surdose de fentanyl, et qu’il s’agissait d’une substance très dangereuse, qui avait justifié la fouille en vertu de l’article 53.

[152] Malgré son témoignage selon lequel elle avait pensé que le problème de drogue se limitait à une unité extérieure à l’unité Écho, où elle travaillait, elle a admis qu’en réalité elle avait reçu la note de service adressée à tout le personnel le 22 août 2016, qui indiquait clairement que toutes les unités étaient exposées au risque que le fentanyl présentait.

[153] En contre-interrogatoire, la fonctionnaire a aussi admis qu’elle savait que les détenus pouvaient cacher de la drogue et d’autres objets interdits dans des boîtiers de disque compact, des chapeaux et des vêtements. Le 22 août 2016, la note de service indiquait que le seul fentanyl qui avait été saisi à la suite de la surdose d’un détenu se présentait sous la forme d’un résidu poudreux, qui se trouvait dans une pochette de disque compact que le détenu avait sur lui.

[154] La fonctionnaire a aussi admis qu’un CX ne peut pas toujours faire confiance à un détenu. Lorsqu’elle a été priée d’admettre qu’un CX devait toujours vérifier tout ce qu’un détenu dit ou fait, elle a répondu que le détenu qu’on voit lui remettre un disque compact dans la vidéo – disque qu’elle a placé dans sa poche à main nue – était en réalité en position de confiance relative dans l’établissement.

[155] La fonctionnaire a expliqué que le détenu s’était vu confier des travaux de peinture, ce qui lui donnait plus de liberté dans la rangée qu’il n’était habituel. Elle a affirmé que pour jouir de cette liberté, il devait observer les règles et être digne de confiance. Elle a affirmé qu’elle le connaissait depuis longtemps. Lorsqu’elle a été questionnée au sujet de cette période, elle a répondu qu’elle le connaissait depuis près de trois mois.

[156] La fonctionnaire a témoigné qu’à son avis, elle n’avait pas accordé des faveurs ni fait des cadeaux aux détenus; elle avait simplement accepté de transmettre un boîtier de disque compact, ce qui était une erreur comme elle l’a admis de nouveau. On lui a rétorqué que transmettre des boîtiers de disque compact constituait une violation de la DC 566-12, qui indique ce qui suit au paragraphe 20 : « Les détenus ne sont pas autorisés à donner, à échanger, à prêter, à louer ou à vendre, directement ou indirectement, leurs effets personnels ni d’autres biens à d’autres détenus. Une accusation d’infraction disciplinaire peut être portée contre les détenus qui échangent des biens personnels sans autorisation. »

[157] La fonctionnaire a reconnu la DC 566-12, mais elle a répliqué qu’un CX qui aide un détenu en remettant un bien personnel à un autre détenu était une [traduction] « chose tout à fait courante ».

[158] La fonctionnaire a souligné que la DC 566-12 est formulée de manière permissive, de sorte qu’une accusation d’infraction disciplinaire [traduction] « peut » découler de l’échange ou du prêt d’un bien personnel entre des détenus. À son avis, de pareilles accusations sont rarement portées, voire jamais.

[159] Comme je l’ai souligné, tant avant le CE qu’à l’audience, la fonctionnaire a reconnu que le fait d’avoir transmis des effets personnels entre des détenus durant la fouille en vertu de l’article 53 avait été une erreur.

[160] Afin d’insister sur ce point, je soulignerai simplement que les deux parties ont cité des témoins qui ont témoigné que, pendant qu’ils travaillaient en tant que CX, ils n’avaient jamais transmis des effets personnels entre des détenus durant une fouille en vertu de l’article 53 et n’auraient jamais accepté de le faire.

[161] Chanveer Rai, un CX II, a admis avoir transmis des effets personnels entre des détenus durant une fouille en vertu de l’article 53. Il a affirmé qu’il l’avait fait afin d’atténuer le stress qui s’accumule au sein de la population carcérale durant un isolement cellulaire. Il a aussi témoigné qu’il préfère concentrer ses efforts sur le but de la fouille, qui consiste habituellement à trouver de la drogue ou des armes. Il a expliqué qu’il le fait parce qu’il faut beaucoup de temps pour saisir des effets personnels, remplir les documents nécessaires pour consigner les articles, et pour aller porter ces articles au bureau des admissions, qui consigne et entrepose les effets personnels saisis auprès des détenus.

[162] Lorsque le CX Rai a été questionné en contre-interrogatoire, il a affirmé qu’on ne devait jamais faire confiance à un détenu ni le croire sur parole. Il a convenu qu’il fouillerait les articles qu’il pourrait transmettre entre des détenus durant une fouille en vertu de l’article 53.

[163] M. Rai a témoigné que le défaut de fouiller ces articles irait à l’encontre du but de la fouille. En contre-interrogatoire, lorsqu’il a été questionné au sujet du risque que des boîtiers de disque compact soient utilisés pour dissimuler de la drogue, il a témoigné qu’il savait que cela posait un problème à l’établissement et qu’il ouvrait toujours ces boîtiers durant une fouille des cellules. Il a ajouté qu’il portait toujours des gants durant une fouille des cellules et des détenus, afin d’assurer sa sécurité.

[164] Durant le contre-interrogatoire, lorsque M. Rai s’est vu offrir la possibilité de répéter son témoignage selon lequel il pourrait accepter de transmettre des effets personnels entre des détenus durant une fouille en vertu de l’article 53 visant plus particulièrement à trouver du fentanyl, il a refusé, puis a déclaré qu’il ne le ferait pas.

[165] Toujours en contre-interrogatoire, on a demandé à M. Rai s’il avait accepté ou s’il accepterait éventuellement de prendre un grand sac rempli d’effets personnels dans une cellule, pour un détenu, durant une fouille en vertu de l’article 53, afin que ce sac ne soit pas fouillé, M. Rai a répondu qu’il ne l’avait pas fait et qu’il ne le ferait pas.

[166] La fonctionnaire a cité Richard Ogilvie, un CX I, à témoigner. Celui‑ci a admis qu’une fois, il avait accepté de transmettre un cordon de chargement de jeu vidéo entre des détenus durant un isolement cellulaire, mais qu’il l’avait d’abord fouillé; cette fouille est très importante. M. Ogilvie a ajouté qu’on lui avait demandé de transmettre d’autres articles durant des isolements cellulaires et qu’il avait toujours refusé. Il a déclaré qu’il savait que d’autres CX avaient accepté de transmettre des articles entre des cellules durant un isolement cellulaire, mais qu’il ne divulguerait pas de précisions sur l’identité de ces personnes, ni sur le lieu ou le moment où cela avait pu se produire. En contre-interrogatoire, M. Ogilvie a ajouté qu’il portait toujours des gants de protection et un respirateur lorsqu’il procédait à une fouille visant à trouver du fentanyl.

[167] M. Ogilvie a aussi témoigné que, durant une fouille effectuée en fonction des fiches, au cours de laquelle les effets personnels sont documentés et vérifiés au regard de la fiche indiquant les possessions d’un détenu, il ne s’emparerait d’aucun effet personnel si un détenu le lui demandait. Agir ainsi entraînerait le risque qu’il soit déclaré qu’un article saisi l’avait été illicitement, parce qu’il aurait accepté de le transmettre à un autre détenu. M. Ogilvie a aussi témoigné qu’il n’accepterait jamais de prendre un sac rempli d’effets personnels appartenant à un détenu durant une fouille en vertu de l’article 53.

[168] Dans son témoignage parallèle au visionnement de la vidéo, la CX I Grasby, qui était la partenaire de la fonctionnaire à l’époque des incidents en question, a affirmé qu’elle avait vu la fonctionnaire retirer son gant, puis prendre un article. Cela avait surpris Mme Grasby; elle a affirmé qu’elle ne retirerait jamais ses gants et qu’elle n’avait jamais vu un autre CX le faire durant une fouille.

[169] La CX Grasby a ajouté qu’il n’était pas normal pour une CX de prendre un article dans une cellule durant une fouille en vertu de l’article 53 et qu’elle ne le ferait jamais.

[170] L’avocate de l’employeur a cité Sean White, un CX II, à témoigner. Celui‑ci a témoigné qu’on lui avait demandé, mais qu’il n’avait jamais accepté, de prendre des effets personnels appartenant à un détenu et de les entreposer ou de les transmettre, surtout durant une fouille en vertu de l’article 53. Il a affirmé qu’il envisagerait de prendre seulement un livre de bibliothèque ou du papier hygiénique auprès d’un détenu durant une fouille, et qu’il fouillerait ces deux articles s’il acceptait de les apporter à un autre détenu.

[171] Le CX White a affirmé qu’un ou une CX ne devrait jamais prendre un sac rempli d’effets personnels dans une cellule durant une fouille. Il a ajouté qu’un ou une CX devrait toujours porter des gants de protection et qu’il ne les enlèverait jamais lorsqu’il traite avec les détenus.

[172] Pendant son contre‑interrogatoire, M. White a admis qu’il avait remis des effets personnels à un détenu qui déménageait à l’intérieur de l’établissement, mais seulement après les avoir fouillés et avoir vérifié que le détenu les possédait en consultant sa fiche de biens personnels.

[173] Lorsqu’on a montré au CX White le ROD qu’il avait rempli après avoir confisqué des papiers à rouler à un détenu, et qu’on lui a demandé s’il avait rempli des documents afin d’inculper le détenu de possession d’objets interdits, le CX White a expliqué qu’il ne l’avait pas fait, parce qu’il avait confisqué seulement une partie de l’emballage. S’il avait saisi tout le paquet de papiers à rouler, il aurait rempli une accusation d’infraction.

[174] La représentante de la fonctionnaire est revenue sur la question de savoir si la DC 566-12 avait effectivement été appliquée durant la fouille en vertu de l’article 53.

[175] Pendant son contre‑interrogatoire, la directrice de l’établissement a été priée de confirmer qu’après l’examen du recueil de documents de l’employeur, il était vrai qu’aucun rapport d’infraction ou ROD n’avait été déposé, afin de signaler qu’il avait été établi que des détenus étaient en situation irrégulière par rapport à leur fiche de biens personnels durant la fouille en vertu de l’article 53.

[176] On a aussi demandé à la directrice de l’établissement s’il était vrai qu’après la fouille en vertu de l’article 53 des 96 cellules, on n’avait trouvé aucun bien personnel déplacé, qui n’aurait pas été pris en compte dans la fiche de biens personnels d’un détenu. Dans sa réponse, la directrice de l’établissement n’a pas contredit les questions tendancieuses, et elle a répondu seulement en disant qu’il était possible que certaines de ces cellules aient été vacantes durant la fouille, ce qui aurait réduit le nombre des cellules et des détenus fouillés.

[177] M. Labossiere, qui était directeur adjoint de l’établissement durant la fouille en vertu de l’article 53, a témoigné au sujet de ses consignes au personnel, selon lesquelles la fouille des unités de la population générale de l’établissement devait être effectuée en raison de la présence de drogue et d’armes, et que cela comprenait une fouille des effets personnels des détenus au regard de leur liste.

[178] En contre-interrogatoire, M. Labossiere a témoigné au sujet de son affirmation selon laquelle la fouille en vertu de l’article 53 ne visait pas seulement à trouver de la drogue et des armes, mais aussi à vérifier les fiches. Lorsqu’il a été prié d’indiquer un document qui le confirmerait, il a mentionné sa note de service au personnel du 22 août 2016, qui s’intitule [traduction] « Fouille en vertu de l’article 53 et manipulation sécuritaire du fentanyl ».

[179] Après avoir pris plusieurs minutes pour examiner soigneusement ce document et l’ensemble des documents figurant dans le recueil de pièces de l’employeur, M. Labossiere n’a pas été en mesure de me renvoyer à un document écrit quelconque qui aurait enjoint le personnel à effectuer une fouille au regard des fiches.

[180] M. Labossiere a aussi examiné son bulletin de communication au personnel portant la même date. Dans le même ordre d’idée, le bulletin était axé sur le fentanyl, et il ne faisait allusion ni à la fouille en vertu de l’article 53 ni à une fouille au regard des fiches.

[181] La directrice de l’établissement et M. Labossiere ont tous deux témoigné que la fouille en vertu de l’article 53 qu’ils avaient ordonnée était attribuable à la présence de fentanyl et d’autres stupéfiants dans l’établissement. Mais ils ont aussi affirmé que cela devait inclure des fouilles au regard des fiches.

[182] Une fouille au regard des fiches fait renvoi aux biens personnels déclarés que chaque détenu est autorisé à emporter à son arrivée à l’établissement. Des limites rigoureuses s’appliquent à ces biens, et la fiche énumère chacun des articles introduits. La fiche fait l’objet d’une vérification afin de s’assurer que les détenus ne possèdent que leurs biens déclarés.

[183] Comme je l’ai déjà mentionné, on effectue ce contrôle rigoureux des inventaires afin de s’assurer que les effets personnels ne sont ni échangés ni troqués en guise de devises, dans le cadre d’une économie clandestine illicite en établissement, où des objets interdits, de l’alcool frelaté et des services sexuels sont vendus.

[184] Des éléments de preuve ont été présentés par le truchement de formulaires de demande soumis par les détenus, qui montraient qu’après la fouille les détenus avaient déclaré qu’ils souhaitaient récupérer leurs possessions, qui avaient été emportées dans de grands sacs de plastique transparent, puis placées dans le bureau des CX jusqu’à ce qu’on puisse confirmer à qui elles appartenaient. Les demandes mentionnaient expressément que les disques compacts étaient au nombre des articles manquants. Ces demandes ont été remplies au début de septembre 2016.

4. Le grand sac contenant des effets personnels pris dans la cellule du Détenu W

[185] L’employeur a soutenu que la fonctionnaire avait compromis la fouille en vertu de l’article 53 et l’isolement cellulaire en s’emparant d’un grand sac à ordures en plastique transparent qui renfermait les effets personnels du Détenu W avant la fouille de sa cellule.

[186] Des éléments de preuve ont été produits afin de montrer que la fonctionnaire était responsable parce qu’elle savait que le Détenu W était violent, manipulateur, et qu’il participait à la sous‑culture de la drogue dans l’établissement.

  • [187] En contre-interrogatoire, après avoir visionné cette vidéo, la fonctionnaire a été priée d’expliquer pourquoi on la voit s’approcher de la porte d’une cellule au moment où les plateaux‑repas sont recueillis, puis, au lieu de prendre le plateau, s’arrêter et regarder longtemps par‑dessus son épaule en direction de l’endroit où s’était trouvée sa partenaire CX qui venait de sortir de la rangée en tournant un coin, hors de sa vue. La fonctionnaire fait tout cela juste avant de tendre sa main nue pour accepter un boîtier de disque compact du détenu, qui le glisse par la fente pour plateau‑repas.

[188] La fonctionnaire a répondu qu’elle regardait toujours par‑dessus son épaule lorsqu’elle travaillait dans la rangée, par habitude et par souci pour sa sécurité. Elle a expliqué qu’une fois, elle avait été coincée dans une émeute en milieu de travail correctionnel, où elle avait craint pour sa vie et avait téléphoné à sa mère afin de lui dire adieu, parce qu’elle anticipait se faire tuer en attendant d’être rescapée. Elle a affirmé que le souvenir de cette expérience ne l’avait jamais quittée.

[189] La fonctionnaire a aussi témoigné qu’un autre détenu l’avait appelée de sa cellule, qu’elle avait regardé par‑dessus son épaule dans sa direction afin de répondre, et qu’elle avait dit à cet autre détenu d’attendre. Il est à noter que la fonctionnaire a fourni la même explication lorsque la directrice de l’établissement lui a posé cette même question à l’audience disciplinaire.

[190] Lorsqu’on lui a demandé si elle avait effectivement accepté le boîtier de disque compact, si elle l’avait rapidement placé dans la grande poche de son pantalon de style cargo et si elle s’était immédiatement éloignée de la cellule dans la direction opposée à celle vers laquelle sa partenaire s’était dirigée, afin de dissimuler ses actes, la fonctionnaire a répondu qu’elle sait qu’on a toujours les yeux sur elle lorsqu’elle travaille dans la rangée.

[191] On a ensuite demandé à la fonctionnaire si elle savait que la vidéo montrant ses actes serait automatiquement effacée après sept jours. Elle a répondu qu’elle le savait, mais elle a ajouté qu’elle avait divulgué le fait qu’elle avait transmis le boîtier de disque compact entre deux cellules lorsqu’elle avait été convoquée au bureau de la directrice de l’établissement afin d’être suspendue.

[192] La fonctionnaire a témoigné qu’elle avait avisé la direction de ce fait lorsqu’elle avait été convoquée au bureau de la directrice de l’établissement et qu’elle avait été suspendue. La fonctionnaire a aussi témoigné qu’elle avait marqué le nom du détenu sur le sac. Elle a fait les mêmes déclarations au CE, comme il est confirmé à la page 17 du rapport du CE.

[193] La fonctionnaire a aussi témoigné qu’elle avait informé le CX Dan McKinnon, son représentant syndical, au sujet du sac qu’elle avait laissé dans une corbeille dans le bureau des CX.

[194] Je souligne que, dans l’enregistrement audio de l’audience disciplinaire, on entend clairement M. McKinnon confirmer qu’il a été témoin du fait que la fonctionnaire avait informé la directrice de l’établissement au sujet du sac qu’elle avait mis dans le bureau des CX.

[195] Cependant, lorsqu’il a été questionné là‑dessus à l’audience, le CX McKinnon a témoigné qu’il ne se souvenait pas que la fonctionnaire lui eût révélé l’existence et les allées et venues du sac.

[196] La directrice de l’établissement a aussi témoigné pour dire que la fonctionnaire ne lui avait pas révélé l’existence du sac durant leur conversation au moment de sa suspension.

[197] Durant son contre‑interrogatoire, on a présenté à la directrice de l’établissement une considération basée sur Browne c. Dunn, (1893) 6 R. 67 (Ch.L.), qui indiquait que la fonctionnaire témoignerait qu’immédiatement après avoir été convoquée afin d’être suspendue, elle lui avait dit qu’elle avait transmis un disque compact entre des détenus.

[198] La directrice de l’établissement a répondu en affirmant qu’elle ne s’en souvenait pas. Lorsqu’on lui a ensuite demandé si elle avait des notes de la réunion avec la fonctionnaire, la directrice de l’établissement a répondu qu’elle ne prenait pas de notes aux réunions, mais qu’elle priait plutôt un membre du personnel d’effectuer cette tâche.

[199] La directrice de l’établissement a témoigné qu’il est bien connu que les détenus cachent des objets interdits, y compris des drogues illicites, dans les ourlets des vêtements, et que le sac constituait un risque important pour la santé du personnel de l’établissement et des détenus.

[200] Des éléments de preuve démontrant que le Détenu W était très violent et actif dans la sous‑culture de la drogue à l’établissement ont aussi été présentés. L’employeur s’est donné beaucoup de mal pour démontrer qu’il avait des antécédents documentés de manipulation et de tromperie. La preuve a établi que la fonctionnaire s’était vu assigner les dossiers de ce détenu à l’arrivée de celui‑ci, environ deux mois avant l’occurrence des incidents qui ont fait l’objet d’un examen à l’audience.

[201] Chaque détenu se voit attribuer un CX II chargé de son cas, qui doit se tenir au courant de ses dossiers et surveiller sa conduite et sa participation aux programmes en établissement (le cas échéant).

[202] L’employeur a soutenu que l’aisance apparente de la fonctionnaire auprès du Détenu W et la confiance qu’elle lui avait accordée en l’aidant à soustraire des effets personnels de la fouille en vertu de l’article 53 étaient particulièrement troublantes, étant donné que sa tâche supposait de connaître ses tendances à la manipulation et à la tromperie, ainsi que sa participation à la sous‑culture de la drogue dans l’établissement.

[203] L’employeur a fait valoir les dossiers qui démontraient qu’on avait trouvé de la drogue sur la mère et la conjointe du Détenu W à leur entrée dans l’établissement, ainsi que dans son courrier.

[204] Malgré ce que l’employeur a tenté de montrer, à savoir qu’il y avait des signes d’avertissement des problèmes que le Détenu W aurait pu poser et dont la fonctionnaire aurait dû être au courant, lorsqu’on a présenté au directeur de l’établissement par intérim, M. Labossiere, le dossier de suivi des détenus communiqué aux CX, qui procure à ceux‑ci tous les renseignements importants leur permettant d’effectuer leurs patrouilles et de gérer les détenus, M. Labossiere a reconnu que le Détenu W ne figurait pas dans le dossier de l’unité Écho à l’époque des incidents en cause.

[205] La directrice de l’établissement a aussi déclaré que le détenu qui avait transmis le sac à la fonctionnaire souhaitait peut‑être éviter la saisie d’objets interdits.

[206] Même si l’employeur a soutenu qu’en soi la simple violation de cette DC est grave, il est important de souligner qu’il a été démontré que la préoccupation selon laquelle des objets interdits tels que du fentanyl étaient cachés dans le sac relevait seulement d’un comportement à risque de la part de la fonctionnaire.

[207] En contre-interrogatoire, lorsqu’il a été questionné sur ce point, le gestionnaire correctionnel (GC) McCoy a confirmé que lorsqu’il avait découvert le sac dans le bureau des CX, il l’avait fouillé et n’avait rien trouvé d’autre que des vêtements, des chaussures, un chapeau, une montre, des jeux vidéo et des disques compacts renfermant probablement de la musique, qui appartenaient au détenu.

[208] M. McCoy a contredit l’allégation de la fonctionnaire selon laquelle elle avait étiqueté le sac, car il a affirmé que le sac ne comportait ni étiquette ni marque d’identification lorsqu’il l’avait trouvé.

[209] M. McCoy a témoigné qu’il n’avait pas soumis les articles à un test de dépistage de drogue, puisqu’il n’avait rien trouvé dans le sac qui aurait pu laisser croire à la présence de drogue.

[210] Le GC McCoy a témoigné qu’après avoir fouillé le sac de fond en comble et avoir constaté qu’il ne contenait pas d’objets interdits, il avait étiqueté les articles qui s’y trouvaient et en avait consigné les précisions s’y rattachant. Lorsqu’il a été questionné au sujet du suivi, M. McCoy n’a pas été en mesure de dire s’il y en avait eu un à l’égard du dépôt d’accusations concernant des infractions découlant de la possession d’articles non consignés sur les fiches de biens des détenus.

[211] Il a aussi admis que, contrairement à la politique bien établie, il n’avait soumis aucun ROD concernant les effets personnels qu’il avait fouillés et consignés.

[212] Le GC David Mardell, qui a assumé les fonctions d’enquêteur spécial (ES) lors des incidents en cause, a témoigné qu’à son avis aucun des articles qui se trouvaient dans le grand sac n’avait été soumis à un test de dépistage de drogue après que le sac avait été placé dans le bureau des CX.

[213] Lorsque le GC Mardell a été questionné de nouveau sur ce point, il a témoigné qu’on le lui aurait fort probablement dit s’il y avait eu un test de dépistage de drogue dont les résultats auraient été positifs, ou si l’on avait trouvé une arme dans le sac.

[214] L’argumentation de l’employeur sur ce point était claire. Elle était également étayée par une preuve probante, à savoir la DC clairement formulée qui interdit à un détenu d’être en possession de biens personnels qui ne lui appartiennent pas, notamment un blue‑jean, des espadrilles et un chapeau, entre autres choses.

[215] J’aurais pu être plus convaincu par les arguments de l’employeur sur cette question si l’on m’avait présenté des éléments de preuve démontrant que le détenu en question avait été inculpé d’une infraction après la découverte de la vidéo et du sac qui contenait apparemment des effets personnels dont il était indûment en possession.

[216] M. Labossiere, qui était sous‑directeur de l’établissement et directeur de l’établissement par intérim au moment du licenciement de la fonctionnaire, a témoigné que la découverte d’une grande quantité de fentanyl et d’autres objets interdits n’avait entraîné aucune accusation. Il a expliqué que la directrice de l’établissement n’avait pas voulu compromettre l’identité de l’informateur en portant des accusations.

[217] Lorsque M. Labossiere a été prié d’examiner le registre des accusations émises à l’endroit des détenus dans l’établissement, il l’a fait, puis il a reconnu qu’aucune accusation n’avait été portée durant la fouille en vertu de l’article 53.

[218] M. Labossiere a été prié d’expliquer pourquoi aucune accusation n’avait été portée. Il a répondu que le gestionnaire ou le CX avait peut‑être fait le choix de ne pas en porter. Il a expliqué que certains CX croient qu’il s’agit d’un problème systémique, dans la mesure où, bien souvent, comme ils ne constatent aucune conséquence découlant du dépôt d’accusations pour un détenu, ils se forgent l’opinion que les accusations ne donneront aucun résultat.

[219] Lorsque M. Labossiere a été questionné plus particulièrement au sujet des accusations découlant de la présence d’effets personnels non autorisés dans une cellule, il a témoigné que, selon son expérience, on ne porte pas toujours des accusations si on trouve de tels articles pendant une fouille en vertu de l’article 53.

[220] M. Labossiere a confirmé le témoignage du CX Rai lorsqu’il a affirmé que si une fouille vise à trouver de la drogue, les CX se concentrent alors sur la drogue.

[221] M. Labossiere a affirmé que, pendant la fouille en question, la drogue constituait le but, mais les fiches aussi. Si on avait trouvé dans une cellule des effets personnels qui n’auraient pas figuré sur la fiche des biens d’un détenu, ces articles auraient été saisis et placés dans la salle des éléments de preuve.

[222] M. Labossiere a aussi témoigné que, s’il avait appris qu’un CX avait omis de rédiger des accusations contre un détenu pour possession d’articles non autorisés, il serait intervenu et aurait parlé au CX afin de lui expliquer ses fonctions. Si cela n’avait rien donné, il aurait adressé le problème au gestionnaire du CX ou au sous-directeur de l’établissement.

[223] En contre-interrogatoire, lorsqu’on a demandé à M. Labossiere s’il arrivait que les CX aident des détenus à rendre des articles à d’autres détenus, il a répondu que cela n’est pas autorisé. Mais lorsqu’on lui a posé de nouveau la question, il a admis que des CX avaient rendu des articles à des détenus, mais que cela n’était pas toléré, que cela contrevenait à la politique et à la procédure, et que cela ne devrait pas se faire durant la fouille en vertu de l’article 53.

[224] Le GC McCoy a témoigné qu’aucun article n’avait été saisi auprès du détenu qui avait confié le sac contenant les articles à la fonctionnaire.

[225] Je conclus que le témoignage selon lequel les CX se concentrent sur la drogue dans une fouille visant la drogue, et, plus important encore, le fait que l’employeur n’ait pas pu confirmer l’occurrence d’une saisie de biens appartenant au détenu ou le dépôt d’accusations en découlant, appuient l’argument de la fonctionnaire selon lequel les infractions liées aux fiches de biens faisaient rarement l’objet de poursuites à l’occasion des incidents en cause à la présente audience.

[226] Je souscris également à l’argument de la fonctionnaire selon lequel la mauvaise intention que l’employeur a tenté de lui attribuer, parce qu’elle avait sorti le sac du secteur fouillé, a été atténuée par le fait que sa partenaire était à ses côtés et qu’elle l’avait vu prendre le sac et l’emporter à l’extérieur de la rangée.

[227] Ma conclusion sur cet aspect de l’argumentation de l’employeur est étayée par le fait que la fonctionnaire a mis le sac dans le bureau des CX, tout près de la rangée, sous le regard de sa partenaire de patrouille, la CX Grasby.

[228] Lorsque le CE a questionné la CX Grasby, celle‑ci a déclaré que la fonctionnaire lui avait dit que le détenu avait emprunté des effets personnels et qu’il ne voulait pas les perdre pendant la fouille, et qu’elle avait donc accepté de prendre seulement un pantalon. Afin d’éviter de la paperasse au personnel du bureau des biens, elle devait ultérieurement rendre les articles aux propriétaires précisés. Cela concordait avec le témoignage que la fonctionnaire a livré devant moi.

[229] La fonctionnaire a témoigné qu’elle avait eu l’intention de fouiller le sac plus tard, peut-être le lendemain. Elle a témoigné que, le jour en question, son quart se terminait à 16 h. La vidéo était horodatée. Elle montrait la fonctionnaire prendre le sac du détenu à 15 h 23.

[230] La fonctionnaire a soutenu qu’il était logique qu’à la fin d’un long quart elle ait pu se sentir pressée de fouiller le sac, de l’emporter au bureau des biens et de remplir la paperasse exigée.

[231] L’avocate de l’employeur a rétorqué en soulignant le témoignage de la fonctionnaire qui confirmait qu’elle avait téléphoné au CX White le lendemain matin après qu’on lui eut assigné un autre poste. Elle n’avait pas averti le CX au sujet du sac et de l’endroit où il se trouvait.

[232] Le fait que le sac ait été sorti de la cellule, qu’il ait été déplacé en présence de la partenaire de patrouille de la fonctionnaire, et qu’il ait fait l’objet de leur discussion, atténue toute intention louche ou autre derrière le déplacement du sac, à laquelle on aurait pu conclure en considérant la question uniquement sous l’angle des allégations de l’informateur.

5. L’affirmation de la fonctionnaire s’estimant lésée selon laquelle elle a distribué des rasoirs aux détenus

[233] Comme il est mentionné aux pages 10 et 11 du rapport du CE, à l’examen des vidéos saisies le deuxième jour des activités contestées de la fonctionnaire (le 24 août), on voit qu’à 15 h 23 celle-ci se trouve dans la rangée inférieure de l’unité Écho, aux cellules 7 à 12, qu’elle ouvre les fentes pour plateau‑repas des portes des cellules, et qu’elle remet quelque chose à chacun des détenus. Les objets que la fonctionnaire a distribués sont trop petits pour être identifiés dans la vidéo, qui a été captée derrière elle.

[234] Toutefois, lorsqu’on a montré à M. Labossiere cette même série de faits captée à contre‑champ, à l’autre bout de la rangée, face à la fonctionnaire, il a témoigné qu’à son avis, il pouvait voir sur la vidéo que la fonctionnaire avait placé des boîtiers de disque compact dans la fente pour plateau-repas de chacune des trois cellules.

[235] Il était allégué dans le rapport du CE que toutes les vidéos disponibles avaient été montrées à la fonctionnaire. Le rapport donne beaucoup de précisions sur les questions qui lui ont été posées au sujet de ses actes captés dans la vidéo, où nous la voyons faire passer des articles entre des cellules, mais il n’est pas entièrement sûr que la série de faits ou l’angle de la caméra qui a été montré à M. Labossiere lui a aussi été montré, afin qu’elle puisse formuler des commentaires.

[236] Mon examen du rapport du CE n’a révélé aucune discussion précise du CE au sujet de la vidéo captée le 24 août à 15 h 23, dans laquelle la fonctionnaire place un petit objet dans la fente pour plateau-repas de chacune des cellules de cette rangée.

[237] À l’audience, la fonctionnaire a témoigné que cette séquence vidéo la montre en train de distribuer des rasoirs aux détenus. L’un de ces rasoirs a été présenté comme pièce. Je souligne qu’il mesurait un pouce de large à la tête et qu’il comportait une poignée très mince, d’un pouce de large. La lame de trois quarts de pouce était logée dans un boîtier en acrylique dur transparent. La poignée était également confectionnée avec ce matériau.

[238] Lorsque la CX I Grasby a été questionnée au sujet du témoignage de la fonctionnaire selon lequel on la voyait distribuer des rasoirs aux détenus dans un segment de la vidéo visionnée à l’audience, la CX I Grasby a affirmé qu’elle ignorait que la fonctionnaire avait distribué des rasoirs aux détenus ce jour‑là.

[239] La CX Grasby a aussi témoigné qu’elle ne se souvenait pas que des détenus lui aient demandé un rasoir le jour en question. Si l’un d’eux l’avait fait, elle aurait prié la fonctionnaire de remettre le rasoir, parce que celle‑ci connaissait mieux les détenus. La CX Grasby a expliqué qu’elle n’était pas affectée régulièrement à l’unité Écho et qu’elle avait seulement remplacé un CX absent lors de ce quart.

[240] La CX Grasby a aussi témoigné que, selon la bonne pratique, si un rasoir était remis à un détenu, au moment de le lui remettre, il fallait récupérer l’ancien rasoir.

[241] On a demandé à la directrice de l’établissement si la question liée à la distribution de rasoirs par la fonctionnaire lors des faits vus dans la vidéo avait été soulevée durant une partie de l’enquête ou lors de l’audience disciplinaire. Elle a répondu que non.

[242] Dans son argumentation, l’avocate de l’employeur a souligné que la question de la distribution de rasoirs avait été soulevée après qu’un certain temps s’était écoulé et que l’enquête avait pris fin. L’avocate a laissé entendre que, par conséquent, je devrais conclure que cette explication n’est pas crédible.

[243] L’avocate de l’employeur a demandé pourquoi la question des rasoirs n’avait pas été soulevée plus tôt, ce qui donne à penser qu’il ne s’agissait pas d’une affirmation crédible. Cependant, je souligne qu’il ne ressort pas clairement de la preuve que ce segment de la vidéo a été montré à la fonctionnaire afin de lui poser des questions détaillées.

[244] De plus, hormis son affirmation selon laquelle la fonctionnaire a indûment transmis des articles entre des détenus durant la fouille en vertu de l’article 53, l’employeur n’a présenté ni allégations ni théories étayées par une preuve pouvant laisser croire que la fonctionnaire aurait fait autre chose que de distribuer des rasoirs dans ce segment de la vidéo.

[245] Je souligne encore qu’en fin de compte, la fouille n’a pas apporté la preuve que de la drogue avait été transmise entre des détenus au cours de la période visée dans ce segment de la vidéo.

[246] Si cette vidéo montre effectivement la fonctionnaire en train de remettre d’autres disques compacts, comme en a témoigné M. Labossiere, à mon avis cela n’a pas une grande importance pour la preuve de l’employeur.

[247] Cependant, le fait que la question de la distribution de rasoirs par la fonctionnaire ait été soulevée aussi tard a été mentionné par l’avocate de l’employeur dans son argumentation sur le manque de crédibilité du témoignage de la fonctionnaire, comme je l’analyserai plus loin dans la présente décision.

[248] Alors que l’argumentation de l’avocate de l’employeur faisait fortement allusion au risque de préjudice découlant de la possibilité que la fonctionnaire ait transmis de la drogue ou d’autres objets interdits, qui étaient ensuite détruits en les jetant dans la toilette de la cellule, cela est totalement spéculatif et quelque peu illogique.

[249] À la page 13, le rapport du CE souligne que l’informateur avait dit à l’ES Mardell qu’il entrait dans l’établissement beaucoup de stupéfiants que les détenus jetaient dans la toilette au besoin, afin d’éviter le dépistage, sans s’en préoccuper beaucoup puisqu’ils savaient qu’il ne tarderait pas à y en avoir d’autre à leur disposition.

[250] Si un détenu en possession de pareils objets interdits souhaitait simplement les détruire en les jetant dans la toilette, il aurait pu le faire sans avoir besoin que la fonctionnaire distribue des objets interdits à d’autres détenus qui pourraient ensuite les jeter.

[251] Je souligne aussi qu’aucune preuve n’a été produite au CE ou devant moi à l’audience afin de donner à penser qu’on avait découvert ultérieurement que les détenus observés en train de recevoir des articles de la fonctionnaire durant l’isolement cellulaire avaient consommé de la drogue lors des jours en question.

[252] Compte tenu de la preuve dont je dispose de l’agitation causée par d’autres détenus qui avaient consommé de la drogue après l’avoir fait chauffer ou l’avoir simplement ingurgitée et qui avaient été frappés d’incapacité, je conclus qu’il est plus probable qu’improbable que les détenus que nous voyons recevoir des articles de la fonctionnaire n’aient pas été en possession de drogues, qu’ils auraient consommées ou dont ils auraient disposé autrement avant d’être soumis à la fouille en vertu de l’article 53.

[253] À l’audience, aucune preuve ne laissait craindre que les mésaventures de la fonctionnaire aient donné lieu à la transmission de marchandises provenant d’une cellule qui n’avait pas encore été fouillée à une autre qui l’avait été.

6. Les relations inappropriées présumées de la fonctionnaire s’estimant lésée avec les détenus

[254] À la page 19, le rapport du CE souligne que l’informateur avait déclaré que la fonctionnaire entretenait une relation avec une personne (le nom a été expurgé) qui avait été un détenu et avec qui elle avait tenté de communiquer après son retour dans la collectivité.

[255] L’informateur a aussi déclaré que la fonctionnaire entretenait une forme quelconque de relation avec une autre personne (dont le nom a aussi été expurgé) logée dans l’unité Écho, pour qui elle introduisait dans l’établissement des colis dont elle ignorait le contenu.

[256] Le CE a déclaré qu’il n’avait pas pu corroborer ces allégations au moyen d’autres éléments de preuve ou auprès de témoins, mais qu’il prêtait foi aux allégations de l’informateur, parce que celui‑ci avait fourni d’autres renseignements qui s’étaient révélés justes. Le CE ne voyait aucun motif qui aurait pu inciter l’informateur à faire de fausses allégations.

[257] Le CE a aussi confirmé qu’il avait décidé de ne pas tenter de communiquer avec l’informateur au sujet du présent cas, car il ne souhaitait pas que ce dernier soit identifié en tant qu’informateur.

[258] En se fiant uniquement sur le ouï‑dire d’un informateur incarcéré, qui craignait de perdre son transfèrement à un établissement à sécurité moyenne, le CE n’a pas seulement tiré une conclusion accablante à l’encontre de la fonctionnaire, mais il est aussi allé plus loin. À la page 21 du rapport du CE, il a tiré ce que j’estime avoir été une conclusion défavorable pour la fonctionnaire.

[259] Le rapport du CE indiquait que la fonctionnaire avait démontré un manque d’intérêt en ne demandant pas d’où venaient les renseignements que le CE avait obtenus concernant ses relations présumées. La fonctionnaire a nié l’inférence.

[260] Le CE a conclu qu’il aurait été normal de la part de la fonctionnaire de souhaiter savoir qui avait fait les allégations, afin de pouvoir se défendre. Le CE a ensuite souligné qu’en réalité, le représentant syndical de la fonctionnaire avait ensuite pris la parole à la réunion et demandé la divulgation des renseignements sur lesquels le CE s’était fondé.

[261] En ce qui concerne l’allégation de relations inappropriées avec des détenus, le CE a conclu que la fonctionnaire avait effectivement contrevenu au « Code de discipline et Règles de conduite professionnelle » du SCC en nouant des relations inappropriées avec les deux détenus désignés par l’informateur.

[262] Le CE a aussi conclu que la preuve vidéo montrant la fonctionnaire parler avec des détenus, prendre d’eux des articles à main nue et transmettre ces articles à d’autres détenus constituait aussi une preuve de relations inappropriées avec les détenus.

[263] Dans la lettre de licenciement, le directeur de l’établissement par intérim, M. Labossiere, soulignait que la vidéo montrant la fonctionnaire s’arrêter devant la porte de la cellule des détenus, parler avec ceux‑ci, retirer son gant et se tenir près de la porte afin de saisir un article qu’un détenu lui tendait, démontrait sa familiarité avec les détenus et le fait que ceux‑ci la conditionnaient afin de se servir d’elle.

[264] M. Labossiere a aussi témoigné de ce qu’il avait observé dans la vidéo, au segment où la fonctionnaire recueille les plateaux‑repas. Elle s’adresse à un détenu qui se trouve dans sa cellule, puis repart les mains vides sans avoir recueilli le plateau‑repas utilisé. Elle laisse à sa partenaire le soin de le recueillir.

[265] M. Labossiere a aussi pris note du fait que la fonctionnaire avait regardé par‑dessus son épaule dans la direction où sa partenaire CX venait de tourner le coin de la rangée et était sortie de sa vue, juste avant de prendre le CD‑ROM du détenu. Comme je l’ai déjà mentionné, la fonctionnaire a répondu à cette allégation en témoignant qu’elle avait entendu un détenu qui se trouvait dans cette direction l’appeler depuis sa cellule. Elle avait regardé dans cette direction afin de lui répondre de vive voix.

[266] Mon examen de la vidéo a révélé que la fonctionnaire avait non seulement regardé dans la direction où sa partenaire venait de sortir de la rangée, mais aussi qu’elle avait également gardé la tête tournée dans cette direction pendant 3,9 secondes, selon les données de date et d’heure figurant dans la vidéo du système de sécurité de l’employeur.

[267] M. Labossiere a témoigné que toutes les gestuelles de la fonctionnaire dans ses échanges avec les détenus lui semblaient très louches. Il a ajouté qu’elle ne maintenait pas les limites professionnelles appropriées avec les détenus.

[268] En contre-interrogatoire, M. Labossiere a admis qu’il ne croyait pas que la fonctionnaire ait tiré un gain personnel des faits allégués contre elle dans le présent cas.

[269] À l’appui de son allégation, l’employeur a fait allusion à la vidéo montrant la fonctionnaire retirer son gant pour prendre un boîtier de disque compact par la fente pour plateau-repas de la porte de la cellule d’un détenu.

[270] La fonctionnaire a répondu qu’elle avait dû retirer son gant parce qu’il était gros et épais, et qu’il l’aurait empêchée d’ouvrir la poche cuisse de son pantalon d’uniforme de style cargo, où elle souhaitait ranger le boîtier de disque compact.

[271] La fonctionnaire a présenté une paire de gants d’uniforme que les CX portent lorsqu’ils sont au travail à l’établissement, que j’ai acceptée en tant que pièce, parallèlement à un pantalon d’uniforme qui a été accepté en tant que pièce.

[272] La fonctionnaire a aussi témoigné qu’elle portait des gants qu’elle se procurait elle‑même, qui étaient plus épais et plus gros que les gants d’uniforme.

[273] Sans tenter de tirer une conclusion de fait des motivations mal intentionnées que la fonctionnaire aurait pu avoir lorsqu’elle a placé le CD-ROM dans sa poche cuisse, je constate qu’il serait effectivement difficile d’ouvrir la poche du pantalon d’uniforme présenté en tant que pièce si l’on portait un gant du type présenté en tant que pièce.

[274] La fonctionnaire a aussi expliqué que le détenu en question était connu pour respecter les règles. Il jouissait d’un degré de confiance, que le personnel lui avait démontré en l’embauchant pour peindre la rangée à l’extérieur de sa cellule. La fonctionnaire a expliqué que seuls les détenus auxquels on faisait confiance jouissaient de ce rare privilège.

[275] Pour réfuter cette réponse, l’employeur a cherché des éléments de preuve longtemps après le licenciement de la fonctionnaire, afin d’établir qui était le détenu qui avait transmis les boîtiers de disque compact saisis à main nue.

[276] Après avoir établi qui était le détenu, l’employeur a cité des contre-preuves pour affirmer qu’en réalité, le détenu avait été inculpé plusieurs fois parce qu’il n’était pas resté dans sa cellule pour le dénombrement. Cela laissait croire qu’en réalité, il ne respectait pas les règles et, je présume, qu’il n’était pas digne de confiance.

[277] Je ne fais mention de cette contre‑preuve que pour dire que je n’accorde aucune valeur probante à la question de savoir si ce détenu restait dans sa cellule pour le dénombrement. J’estime que ses antécédents à cet égard sont insignifiants, étant donné que les détenus qui font partie de la population générale de l’établissement comptent parmi les plus violents et les plus dangereux au pays, comme en a témoigné la directrice de l’établissement.

[278] En conclusion sur ce point, je conclus qu’il est plus probable qu’improbable que la fonctionnaire ait bien pu avoir une brève conversation, compte tenu de la période pendant laquelle elle a regardé dans cette direction.

[279] Si la fonctionnaire vérifiait afin de s’assurer que sa partenaire ne pouvait pas la voir s’emparer subrepticement d’un disque compact auprès d’un détenu, comme l’employeur l’a allégué, il semblerait illogique qu’elle ait maintenu son regard dans cette direction pendant près de quatre secondes.

[280] Je m’attendrais à ce qu’il soit plus probable, si la fonctionnaire était alors sur le point de faire quelque chose qu’elle savait être mal, et si elle souhaitait le cacher à sa partenaire, qu’elle ait jeté un coup d’œil, puis qu’elle soit immédiatement allée chercher le boîtier de disque compact, puisqu’elle devait savoir que sa partenaire reviendrait très bientôt dans la rangée et qu’elle la verrait, car c’était l’heure de la cueillette des plateaux‑repas et il restait des plateaux à ramasser.

[281] Pour ces motifs, je conclus que l’employeur n’a pas produit une preuve claire, logique et convaincante me permettant de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la fonctionnaire entretenait des relations inappropriées, en contravention du code de conduite et des autres politiques de l’employeur.

7. L’allégation selon laquelle la fonctionnaire s’estimant lésée a sciemment compromis la fouille en vertu de l’article 53

[282] Dès le début de l’enquête sur cette affaire, l’employeur et son CE ont considéré que la fonctionnaire avait sciemment et délibérément accompli des actes répréhensibles afin d’aider les détenus à entraver la fouille en vertu de l’article 53.

[283] Bien que les points de vue de l’avocate sur cette question n’aient pas fait l’objet d’une analyse à l’audience, je tiendrai compte du fait que je sais que dans son argumentation énergique sur ce sujet, l’employeur n’a pas mentionné le fait que la fonctionnaire n’avait pas semblé agir de façon autonome, comme une somnambule, lorsqu’elle avait transmis des articles entre des détenus.

[284] Cela veut dire que dans les nombreuses observations qu’il a formulées dans son témoignage et son argumentation, l’employeur a nécessairement fait intervenir un élément de mens rea (une intention coupable) dans sa preuve.

[285] La fonctionnaire a soutenu énergiquement qu’une pareille prémisse était fausse, et elle a souligné qu’aucune preuve n’avait été produite à l’audience pour étayer cette allégation.

[286] La lettre de licenciement indique que la fonctionnaire [traduction] « […] a délibérément fait fi de la politique et des procédures du SCC ».

[287] Le 1er septembre 2016, le directeur de l’établissement par intérim, M. Noon‑Ward, a signé un ROD dans lequel il a écrit que la fonctionnaire [traduction] « avait délibérément dissimulé des articles » pour le compte des détenus de l’unité Écho, afin d’empêcher qu’ils ne soient découverts pendant la fouille prévue plus tard au cours de cette semaine‑là.

[288] Le directeur de l’établissement par intérim, M. Labossiere, a témoigné que, dans sa décision de licencier la fonctionnaire, il avait pris en considération que par ses actes elle avait délibérément compromis la fouille en vertu de l’article 53, puisqu’elle avait décidé de transmettre des marchandises entre des détenus et de retirer des articles du secteur fouillé, et qu’elle avait ignoré un ordre clair.

[289] Le directeur de l’établissement par intérim, M. Labossiere, a aussi témoigné que, lorsqu’il avait pris en considération divers facteurs dans sa décision de licencier la fonctionnaire, il avait remarqué qu’elle avait placé le sac du Détenu W à un endroit [traduction] « caché », à l’extérieur du secteur fouillé, et qu’il ne prêtait pas foi à l’affirmation de la fonctionnaire selon laquelle elle avait eu l’intention de le fouiller plus tard.

[290] Dans son argumentation finale, l’avocate de l’employeur a laissé entendre que la fonctionnaire était de connivence avec les détenus afin de mal agir et d’entraver la fouille en vertu de l’article 53.

[291] Ultérieurement, l’avocate a aussi laissé entendre que la fonctionnaire avait été évasive dans ses réponses aux questions du CE concernant la gravité de ses actes.

[292] Toutefois, l’employeur n’a pas été en mesure de produire une preuve à l’appui de ses allégations. Lorsqu’il a été questionné, en contre-interrogatoire, le directeur de l’établissement par intérim, M. Labossiere, a convenu qu’il n’y avait aucune preuve du fait que la fonctionnaire était payée ou récompensée pour ses actes consistant à transmettre des articles, qu’on voit dans la vidéo.

[293] Malgré la note sinistre que l’employeur a ajoutée lorsqu’il a résumé les actes de la fonctionnaire consistant à sortir le sac du secteur fouillé, l’employeur a admis que l’on n’avait trouvé ni drogue ni objets interdits dans le sac lorsqu’il avait été récupéré dans la salle des CX à la sortie de la rangée.

[294] Précédemment, j’ai souligné que l’on n’avait trouvé ni drogue ni objets interdits dans les cellules où l’on avait vu la fonctionnaire transmettre des articles. En réalité, durant la fouille en vertu de l’article 53, aucune découverte de ce genre n’a été faite dans l’ensemble de l’unité Écho où travaillait la fonctionnaire.

[295] L’employeur a en outre admis qu’aucune fouille au regard des fiches de biens personnels n’avait été effectuée, afin de faire concorder les biens et leur propriétaire et d’inculper le détenu qu’on voit dans la vidéo pour avoir contrevenu à la DC en étant en possession de biens autres que les siens.

[296] En fin de compte, ces déclarations sur une intention coupable sont de simples accusations non étayées par la preuve.

[297] Comme je l’ai déjà conclu dans la présente décision, l’informateur a dit à l’employeur que la fonctionnaire agissait comme passeuse de drogue rémunérée pour des criminels connus. L’employeur a accepté cette allégation comme étant vraie. Le reste de son argumentation a été consacré à l’examen de la preuve vidéo dans laquelle la fonctionnaire avait admis sa faute et son erreur.

[298] Ma seule conclusion est que l’employeur n’a pas produit une preuve claire, logique et convaincante me permettant de conclure, selon la prépondérance des probabilités, à ses allégations selon lesquelles la fonctionnaire a eu une intention coupable ou mauvaise autre que celle qu’elle a admise, qui démontre, comme je l’ai souligné, sa conduite inappropriée ayant consisté à transmettre des articles entre des détenus et à prendre un sac contenant des effets personnels.

8. Crédibilité des témoins

[299] Les deux parties ont soutenu que je devrais tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité des témoins de l’autre partie.

[300] La Commission cite régulièrement les directives fournies par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique lorsqu’il s’agit de déterminer des faits contestés et d’évaluer la crédibilité des témoins. La Cour a déterminé que la crédibilité d’un témoin intéressé doit faire l’objet d’une vérification en soumettant le récit du témoin à un examen de sa compatibilité avec les probabilités qui entourent les conditions existantes. Le véritable critère permettant d’établir la véracité du récit d’un témoin doit être sa conformité à la prépondérance des probabilités qu’une personne informée et douée de sens pratique jugerait raisonnable à cet endroit et dans ces conditions. Voir Faryna v. Chorny, [1951] B.C.J. no 152 (QL).

[301] Ces arguments contradictoires étaient peut‑être inévitables, puisque l’audience reposait principalement sur le visionnement de quelques brèves vidéos, après quoi deux semaines ont été consacrées à l’écoute des témoignages portant sur ce que différentes personnes pensaient au sujet de ce qui s’était réellement passé lors des incidents montrés dans les vidéos.

[302] J’ai tiré de pareilles conclusions défavorables quant à la crédibilité dans d’autres cas. Dans Knox et dans Braich, j’ai rejeté les témoignages des fonctionnaires s’estimant lésés et les griefs. J’ai conclu que les témoignages des fonctionnaires s’estimant lésés n’étaient tout simplement pas logiques et qu’ils étaient mensongers, respectivement (Knox c. Conseil du Trésor (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2017 CRTEFP 40).

[303] Dans les deux cas, j’ai considéré l’ensemble de la preuve et j’ai jugé le témoignage de chaque fonctionnaire s’estimant lésé en fonction de la série de faits dont j’étais saisi à son audience. Dans chaque cas, la preuve dont je disposais me permettait de déterminer de façon claire et convaincante que les témoignages manquaient de crédibilité.

[304] Autrement dit, pour citer la Cour suprême du Canada, il ressortait de façon claire, logique et convaincante de la preuve que le témoignage de ces fonctionnaires s’estimant lésés manquait de crédibilité.

[305] La Commission ne doit pas tirer une pareille conclusion à la légère. Voir F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, qui indique ce qui suit :

[…]

[46] De même, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Mais, je le répète, aucune norme objective ne permet de déterminer qu’elle l’est suffisamment. Dans le cas d’une allégation grave comme celle considérée en l’espèce, le juge peut être appelé à apprécier la preuve de faits qui se seraient produits de nombreuses années auparavant, une preuve constituée essentiellement des témoignages du demandeur et du défendeur. Aussi difficile que puisse être sa tâche, le juge doit trancher. Lorsqu’un juge consciencieux ajoute foi à la thèse du demandeur, il faut tenir pour acquis que la preuve était à ses yeux suffisamment claire et convaincante pour conclure au respect du critère de la prépondérance des probabilités.

[…]

[53] Je le répète, une seule norme de preuve s’applique en matière civile, celle de la prépondérance des probabilités […]

[…]

[58] Comme l’a estimé la juge Rowles à l’égard de la norme de preuve pénale, lorsque la norme applicable est la prépondérance des probabilités, il n’y a pas non plus de règle quant aux circonstances dans lesquelles les contradictions relevées dans le témoignage du demandeur amèneront le juge du procès à conclure que le témoignage n’est pas crédible ou digne de foi. En première instance, le juge ne doit pas considérer le témoignage du demandeur en vase clos. Il doit plutôt examiner l’ensemble de la preuve pour déterminer l’incidence des contradictions sur les questions de crédibilité touchant au cœur du litige.

[…]

a. La crédibilité des témoignages de la directrice de l’établissement et du directeur de l’établissement par intérim

[306] La fonctionnaire a souligné le témoignage de l’ES Mardell en contre‑interrogatoire. Il avait admis qu’il ne pouvait pas corroborer les allégations de l’informateur selon lesquelles la fonctionnaire entretenait des relations personnelles avec des membres désignés de bandes du crime organisé.

[307] En faisant cet aveu, l’ES Mardell a aussi admis que dans un rapport sur les renseignements de sécurité présenté à la directrice de l’établissement le 12 décembre 2016, dont j’avais ordonné la production, concernant les questions liées aux actes répréhensibles présumés de la fonctionnaire et les mises à jour connexes, il avait estimé que les renseignements fournis par l’informateur étaient de [traduction] « fiabilité inconnue ».

[308] Pendant son contre‑interrogatoire, l’ES Mardell a témoigné que son rapport présenté en décembre s’interprétait au sens où les allégations de l’informateur sur les relations de la fonctionnaire avec des condamnés et sa contrebande de drogues n’étaient ni confirmées ni infirmées.

[309] L’ES Mardell a aussi reconnu que d’autres aspects des questions connexes avaient été [traduction] « jugés dignes de foi », et que les aspects en fonction desquels les objets interdits que l’informateur avait identifiés avaient été découverts étaient jugés [traduction] « totalement fiables ».

[310] La fonctionnaire a comparé le témoignage de l’ES Mardell aux affirmations répétées que la directrice de l’établissement et le directeur de l’établissement par intérim, M. Labossiere, ont faites à l’audience, selon lesquelles leurs renseignements concernant la fonctionnaire, et plus particulièrement ses relations, étaient totalement fiables.

[311] La fonctionnaire a soutenu que ces affirmations ne pouvaient pas être jugées crédibles au vu des aveux de l’ES Mardell dans son rapport du 12 décembre.

[312] La fonctionnaire a soutenu que je devrais conclure au manque de crédibilité de la directrice de l’établissement et du directeur de l’établissement par intérim, en raison de la confiance qu’ils ont constamment accordée à l’informateur.

[313] Lorsque le CE a été saisi de cette question des relations, il a conclu dans son rapport que l’ES Mardell avait [traduction] « […] affirmé qu’étant donné que les renseignements fournis par la SOURCE étaient exacts, il estimait qu’ils étaient [traduction] « totalement fiables » selon les normes et les codes de fiabilité ».

[314] De façon quelque peu prémonitoire, le CE a conclu sur ce point que l’ES Mardell n’avait pas pu obtenir de plus amples renseignements, mais qu’il poursuivrait l’enquête.

[315] La fonctionnaire a aussi souligné que l’employeur n’avait pas respecté mon ordonnance de produire une copie de la version finale du rapport portant sur la fouille en vertu de l’article 53, qui devait être rédigé après celle‑ci.

[316] Même s’il est décevant qu’on ait perdu un rapport dont la rédaction avait été exigée et dont la directrice de l’établissement aurait manifestement dû connaître l’importance, compte tenu de la teneur de l’audience, il ne s’agit pas selon moi d’une question liée à la crédibilité de la directrice de l’établissement.

[317] Dans le même ordre d’idées, je n’attribue pas à un manque de crédibilité le fait que la directrice de l’établissement ait raté l’occasion de rapprocher, dans son témoignage, la preuve de l’ES Mardell et l’affirmation qu’elle a réitérée, selon laquelle l’informateur était jugé [traduction] « totalement fiable ».

[318] Dans mon examen du témoignage de la directrice de l’établissement, je souligne en particulier ses aveux francs à la fin de son témoignage à l’audience. Je lui ai demandé quel rôle les allégations de l’informateur avaient joué dans la décision de licencier la fonctionnaire. La directrice de l’établissement a répondu sans hésitation : [traduction] « elles étaient à l’arrière‑plan ».

[319] J’ai conclu que cette observation concordait avec les autres réponses directes, brèves et exemptes d’hésitation de la directrice de l’établissement aux questions qui lui avaient été posées tout au long de l’audience.

[320] Compte tenu du critère énoncé dans Faryna concernant la crédibilité des témoins, que j’ai déjà souligné dans la présente décision, je conclus que le témoignage de la directrice de l’établissement a été clair et direct. Dans les cas où je me suis efforcé de formuler ses allégations et celles de l’employeur contre la fonctionnaire, à l’égard desquelles j’ai parfois conclu qu’elles n’étaient pas étayées par une preuve claire et convaincante, je conclus que la directrice de l’établissement a été influencée par les allégations que l’informateur avait faites.

[321] Pour ces motifs, je rejette la demande de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité du témoignage de la directrice de l’établissement. Je rejette aussi, pour ces mêmes motifs, l’argument de la fonctionnaire ayant pour but de m’inciter à conclure que l’employeur a été partial.

[322] Je refuse aussi de tirer cette conclusion à l’égard du témoignage du directeur de l’établissement par intérim, M. Labossiere.

[323] La contribution de M. Labossiere au dossier de preuve de l’audience a été limitée, dans la mesure où celui‑ci est essentiellement intervenu très tard dans le processus disciplinaire, pour signer la lettre de licenciement, en raison de l’absence de la directrice de l’établissement.

[324] Le témoignage de M. Labossiere sur les facteurs qu’il a pris en considération dans la décision de licencier la fonctionnaire s’est limité en grande partie à réitérer les allégations contre celle‑ci. Même si, en contre‑interrogatoire, il a fait des aveux au sujet des résultats de la fouille et de l’absence d’accusations découlant des fiches de biens durant les fouilles visant à trouver de la drogue – aveux qui ont été utiles pour la preuve de la fonctionnaire –, le témoignage de M. Labossiere ne joue pas à l’audience un rôle justifiant d’analyser sa crédibilité de manière indépendante.

b. La crédibilité du témoignage de la fonctionnaire s’estimant lésée

[325] La fonctionnaire a souligné son témoignage concernant les déclarations qu’elle avait faites dès qu’elle avait été convoquée au bureau de la directrice de l’établissement aux fins de sa suspension, à nouveau lors de son audience disciplinaire, puis, en dernier lieu, devant moi à l’audience. J’ai écouté son témoignage, j’ai examiné soigneusement les observations qu’elle avait formulées à son audience disciplinaire, et je souscris à son argumentation selon laquelle son explication de ses actes est demeurée cohérente de façon générale.

[326] L’avocate de l’employeur a bien souligné certaines exceptions importantes à cette cohérence, qui feront l’objet d’un examen.

[327] La preuve non contredite a clairement établi qu’en tout temps, et en tout premier lieu lorsqu’elle a été convoquée au bureau de la directrice de l’établissement afin d’être suspendue, la fonctionnaire s’est montrée parfaitement respectueuse envers ses gestionnaires et ses collègues, à la fois sous l’angle professionnel et sous l’angle personnel.

[328] La fonctionnaire a démontré du repentir en reconnaissant qu’elle avait commis une erreur lorsqu’elle avait transmis des articles entre des détenus. Elle a expliqué qu’elle aurait dû faire preuve d’un meilleur jugement et qu’elle ne commettrait plus jamais cette erreur.

[329] La fonctionnaire a témoigné que les deux jours en cause étaient survenus après deux quarts de 16 heures qui l’avaient épuisée; ils avaient eu un effet néfaste sur son jugement. Elle a affirmé à maintes reprises qu’elle assumait la pleine responsabilité de ses erreurs, elle a exprimé des remords et elle s’est excusée.

[330] La fonctionnaire a insisté pour dire qu’elle était une bonne CX, qu’elle repassait son uniforme et cirait ses bottes régulièrement, et qu’elle tirait une grande fierté de sa carrière. Elle a affirmé qu’elle se sentait très mal d’avoir commis les erreurs de jugement ayant consisté à transmettre des articles entre des détenus et à prendre le sac. Elle a témoigné qu’elle avait dit à la directrice de l’établissement, dès qu’elle avait été convoquée, qu’elle avait transmis des disques compacts.

[331] Lorsqu’elle a été priée d’expliquer quel était le papier qu’on la voyait recevoir d’un détenu dans la vidéo, la fonctionnaire a expliqué qu’il s’agissait d’une lettre que le détenu lui avait demandé de mettre à la poste.

[332] La fonctionnaire a expliqué qu’elle savait que la fouille en vertu de l’article 53 était attribuable au fait qu’on avait découvert des stupéfiants tels que du fentanyl dans l’unité Delta. Elle a affirmé qu’à son avis, il n’y avait pas de problème de drogue dans l’unité Écho, où elle travaillait, lorsqu’elle avait accepté de transmettre des articles, puisque l’on n’y avait pas encore découvert du fentanyl.

[333] À l’audience disciplinaire, la fonctionnaire a expliqué qu’elle avait retiré son gant de protection lorsqu’elle avait saisi les trois disques compacts qui se trouvaient à l’intérieur de la cellule par la fente pour plateau-repas ouverte, parce qu’elle n’aurait pas pu les glisser dans la poche cuisse de son pantalon de style cargo si elle avait gardé son gant.

[334] La fonctionnaire a témoigné qu’elle savait qu’en tout temps, elle était placée sous la surveillance vigilante de la vidéo de sécurité et du poste de garde. J’ai déjà précisé que ce poste est toujours doté en personnel et qu’il offre une bonne vue sur toutes les rangées, ce qui a été constaté dans la vidéo.

[335] Lorsque la fonctionnaire a été priée de s’expliquer sur son attitude louche lorsqu’elle avait regardé par‑dessus son épaule au moment où sa partenaire avait quitté la rangée, elle a expliqué qu’elle avait entendu un détenu l’appeler depuis sa cellule, qu’elle avait regardé en direction de cette cellule, puis qu’elle avait répondu au détenu.

[336] Lorsque la fonctionnaire a été questionnée sur l’objet de sa discussion avec le détenu et les raisons pour lesquelles elle parlait avec un détenu, elle a répondu que durant un isolement cellulaire les détenus demandent toujours ce qui se passe. Elle a aussi témoigné qu’elle travaille toute la journée auprès des détenus dans l’unité Écho, que son travail est d’apprendre à les connaître dans le cadre de sa sécurité dynamique.

[337] La fonctionnaire a ajouté qu’elle s’efforce d’établir une relation professionnelle avec eux et d’instaurer avec eux un respect mutuel en les traitant comme des êtres humains.

[338] La fonctionnaire a témoigné de sa pratique de la [traduction] « sécurité dynamique », dont il a été dit qu’elle autorise ou même encourage la communication et l’interaction professionnelle, modérée, avec les détenus, afin d’encourager leur participation aux programmes qui visent à soutenir leur réhabilitation et à recueillir des renseignements.

[339] La directrice de l’établissement a témoigné de cette pratique, et elle a confirmé le fait que les CX apprennent à observer étroitement les détenus et à rendre compte de tout ce qu’ils ont entendu, vu ou confisqué sur eux et dans leurs cellules, afin de compléter les dossiers des détenus qui sont conservés dans tous les établissements. La directrice de l’établissement a souligné que la DC 560 énonce les conditions de la sécurité dynamique.

[340] La directrice de l’établissement a aussi témoigné qu’à son avis, il était important qu’à l’entrevue disciplinaire la fonctionnaire lui ait admis qu’elle pouvait avoir indirectement déplacé des objets interdits pendant la fouille en vertu de l’article 53, en transmettant des articles et en déplaçant le grand sac.

[341] Dans le fichier audio de l’audience disciplinaire, la directrice de l’établissement dit à la fonctionnaire qu’elle n’est pas satisfaite de son explication. Elle la questionne de nouveau, en disant qu’elle éprouve des difficultés liées aux limites à établir avec les détenus, et qu’elle ne lui apprend rien qu’elle ne sache pas déjà. La directrice de l’établissement dit à la fonctionnaire qu’elle possède 17 ans d’expérience, et elle lui demande de façon rhétorique comment elle peut ignorer que la transmission de biens entre des détenus risque de permettre la transmission d’objets interdits.

[342] La fonctionnaire répond encore, en convenant qu’il y a eu de la drogue dans l’unité Delta, mais en affirmant qu’il n’y en a jamais eu dans l’unité Écho, où elle travaillait. Elle répète qu’elle regrette et elle s’excuse de son erreur de jugement. Elle affirme qu’elle ne s’exposerait pas elle‑même et n’exposerait pas ses collègues à un risque en déplaçant des objets interdits.

[343] Lorsque la fonctionnaire a été questionnée au sujet du grand sac qu’elle avait pris du Détenu W et qu’elle avait placé hors de vue dans la salle de travail des CX, au‑dessus de la rangée, elle a expliqué que le détenu lui avait demandé de l’aide pour remettre un jean à un autre détenu. Elle a affirmé qu’elle lui avait dit [traduction] « qu’il ne devait pas être en possession des affaires des autres gars » et qu’elle acceptait de prendre le jean. La fonctionnaire a affirmé ensuite que le détenu lui avait remis beaucoup plus de choses que le jean et qu’elle avait commis une erreur en prenant tous les articles et en les plaçant dans une corbeille de style bac bleu dans la salle de travail des CX à l’étage.

[344] La fonctionnaire a témoigné que lorsqu’elle avait pris le sac du détenu et qu’elle l’avait placé en haut, son quart tirait à sa fin. Elle se préoccupait de la paperasse nécessaire pour signaler le sac et l’apporter au bureau des biens, ce qui absorbait du temps, car ils étaient très occupés. Elle a affirmé qu’elle avait eu l’intention de rapporter le sac le lendemain et de le fouiller.

[345] Comme j’ai souligné que l’exposé narratif de la fonctionnaire était resté cohérent de façon générale tout au long des années au cours desquelles l’affaire a fait l’objet d’une enquête et a été instruite, je souligne qu’en soi la cohérence d’un récit ne garantit pas sa véracité. Comme la Cour d’appel de l’Ontario l’a déclaré récemment dans R. v. G.J.S., 2020 ONCA 317, au par. 48 :

[Traduction]

[48] Dans R. v. Khan, 2017 ONCA 114 […] autorisation de pourvoi refusée [2017] C.S.C.R. no 139, le juge d’appel Hourigan a expliqué ce qui suit, au par. 41 : [traduction] « [les déclarations antérieures cohérentes] ne peuvent pas être utilisées aux fins de l’inférence interdite selon laquelle la cohérence renforce la crédibilité, ou de la conclusion inexacte qu’une simple déclaration antérieure cohérente corrobore le témoignage livré à l’audience » […]

 

[346] La fonctionnaire a aussi soutenu que non seulement son récit des faits était cohérent, mais aussi qu’elle avait gardé un esprit de collaboration en tout temps en répondant aux questions de l’employeur et en facilitant son enquête. Elle a insisté sur le fait que, dès qu’elle avait été convoquée au bureau de la directrice de l’établissement et qu’elle avait été mise au courant d’un problème, elle avait rétorqué qu’elle n’était pas une passeuse de drogue.

[347] L’avocate de l’employeur a souligné que la question de la drogue et de la contrebande n’avait même pas été mentionnée. Par conséquent, cela avait soulevé dans leur esprit le doute que la déclaration de la fonctionnaire puisse constituer la preuve de son sentiment de culpabilité.

[348] Lorsque ce point lui a été souligné en contre-interrogatoire, la fonctionnaire a répondu qu’après avoir été convoquée au bureau de la directrice de l’établissement et avoir été mise au courant d’un problème, elle avait présumé par déduction logique que, si le problème était lié à la fouille en vertu de l’article 53, qui avait été lancée en raison de la présence de drogue dans l’établissement, elle avait donc été convoquée pour ce motif.

[349] La fonctionnaire a aussi témoigné que, pendant cette discussion avec la directrice de l’établissement, elle avait invité celle‑ci à faire fouiller sa case au travail, sa voiture, son téléphone cellulaire et son sac à main, afin de montrer qu’elle n’avait rien à cacher.

[350] La directrice de l’établissement a témoigné qu’elle avait accordé peu de valeur à la proposition de la fonctionnaire de faire fouiller ses effets personnels, car, a‑t‑elle dit, il est connu que les trafiquants évitent les activités illicites durant les périodes à risque élevé, telles que la fouille en vertu de l’article 53 qui avait déjà été annoncée cette semaine‑là.

[351] L’avocate de l’employeur a présenté sur ce point des arguments qui soulignaient les incohérences suivantes découlant du témoignage de la fonctionnaire :

  • Son témoignage selon lequel elle avait étiqueté le sac contenant les biens du Détenu W a été contredit par le CX McCoy, qui a affirmé l’avoir trouvé non marqué.
  • Son témoignage selon lequel elle avait informé la directrice de l’établissement de la transmission de disques compacts, ainsi que de l’existence du sac et de son emplacement, a été contredit par plusieurs témoins, qui ont affirmé que la fonctionnaire ne leur en avait pas fait mention et que le sac avait été découvert au moyen d’une enquête menée par le personnel après l’avoir vu dans la vidéo.
  • L’avocate a souligné le fait qu’après son arrivée au travail le lendemain du jour où elle avait placé le sac à l’extérieur du secteur de la fouille en vertu de l’article 53, la fonctionnaire s’était présentée au travail et avait été affectée à un poste à la barrière. Elle n’avait pas tenté d’aviser qui que ce soit du sac qui se trouvait dans le bureau des CX.
  • Malgré le témoignage selon lequel on lui avait montré la vidéo pertinente montrant ses actes à l’audience disciplinaire, la fonctionnaire n’a allégué qu’au moment de son témoignage à l’arbitrage qu’elle avait distribué des rasoirs aux détenus, dans leur cellule, pendant la fouille en vertu de l’article 53.
  • En soulignant tous les actes de la fonctionnaire observés dans la vidéo, l’avocate a soutenu que le fait d’avoir eu de nombreuses conversations avec des détenus et d’avoir retiré son gant pour accepter des articles qui ont ensuite été cachés à sa partenaire, puis remis à des détenus sans avoir été fouillés, démontrait un manque total d’intégrité. Il y a eu aussi des violations de multiples DC et de politiques de l’employeur, ainsi que des contraventions au code de conduite professionnelle.
  • L’employeur a souligné le témoignage incohérent que la fonctionnaire a livré, selon lequel, le 23 août, elle avait transmis seulement un disque compact, en dépit du fait qu’il semblait qu’elle en avait transmis un grand nombre au cours des deux jours visés par la vidéo examinée à l’audience.
  • L’employeur a souligné les aveux de la fonctionnaire au CE, selon lesquels elle avait pris un disque compact d’un détenu, mais la vidéo la montrait aussi en train d’en prendre un d’un autre détenu.
  • L’avocate a souligné le fait qu’à l’audience, la fonctionnaire avait donné plus de précisions pour expliquer ses actes. Comme l’audience a été tenue près de trois ans après les incidents en cause, le souvenir de la fonctionnaire devait être meilleur durant les activités du CE.

 

[352] La représentante de la fonctionnaire a répondu en soutenant que le témoignage de celle‑ci relevait principalement du vraisemblable. Ses rares inexactitudes peuvent peut‑être s’expliquer au regard de la longue période qui s’est écoulée depuis que les incidents sont survenus, du délai de six mois environ entre l’interrogatoire principal de la fonctionnaire et son contre-interrogatoire, et par le stress intense auquel elle a été soumise pendant des années depuis sa suspension et son licenciement.

[353] La fonctionnaire a soutenu qu’il est important de souligner qu’il n’y avait ni allégation ni preuve des questions relatives à sa consultation indue des dossiers des détenus, comme cela s’était produit dans la décision que j’ai rendue dans Lawrence c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 67.

[354] Dans ce cas, les relations inappropriées d’un CX avec des détenus avaient été établies. Il est ressorti de la preuve qu’entre autres méfaits, le CX avait procédé à des fouilles non autorisées des dossiers d’un tierce détenu, qu’il avait ensuite communiqués à des détenus auprès desquels il était engagé financièrement et criminellement.

[355] J’ai examiné avec soin les multiples heures d’enregistrements sonores présentés en tant que pièces, qui saisissent l’ensemble des deux entrevues de la fonctionnaire avec le CE et son audience disciplinaire avec la directrice de l’établissement précédant son licenciement, ainsi que les nombreuses heures d’interrogatoire principal, puis de contre‑interrogatoire.

[356] Même si certaines exceptions à la cohérence et à la vraisemblance du témoignage de la fonctionnaire ont été soulignées par l’avocate de l’employeur, j’estime qu’aucune de ces exceptions ne va au‑delà de ce qui peut simplement être attribuable au stress énorme qui a pesé sur la fonctionnaire et au regrettable passage du temps durant la présente audience.

[357] La présente conclusion diffère de celle concernant les explications globalement invraisemblables et intrinsèquement incohérentes que les fonctionnaires s’estimant lésés avaient présentées respectivement dans Knox et dans Braich. Ces fonctionnaires s’estimant lésés avaient livré des témoignages peu fiables qui m’avaient amené à conclure qu’ils n’étaient pas des témoins dignes de foi.

[358] Je n’ai aucune pareille certitude au sujet de la fonctionnaire dans l’affaire devant moi.

[359] Je souligne aussi que certaines des observations que j’ai formulées au sujet des témoins devant moi dans d’autres cas, qui manquaient clairement de crédibilité, ne s’appliquaient pas aux nombreuses heures de témoignage de la fonctionnaire dans le présent cas.

[360] Dans l’affaire devant moi, la fonctionnaire n’a pas été évasive dans ses réponses. Elle s’est exprimée librement et avec confiance, sans paraître hésiter ni tenter de choisir ses mots. Il n’a pas semblé à un moment quelconque que son témoignage surprenait sa représentante, comme cela avait été le cas dans Knox et dans Braich.

[361] Dans les cas où certains aspects du témoignage ont été contestés, comme je l’ai déjà souligné, il est possible, comme la fonctionnaire l’a soutenu, qu’il se soit s’agit de trous de mémoire attribuables au stress qu’elle supportait depuis qu’elle avait été convoquée au bureau de la directrice de l’établissement et tout au long de la très regrettable période de 18 mois, environ, qui s’est écoulée entre l’ouverture et la clôture de l’audience en raison des conflits d’horaire de l’avocate de l’employeur.

[362] Je conclus que le témoignage et les explications de la fonctionnaire sont plausibles. À ce titre, je ne dispose d’aucune preuve claire, logique et convaincante du fait qu’elle ne serait pas digne de foi.

[363] Il m’est impossible de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la fonctionnaire en tant que témoin.

c. L’informateur

[364] Il est raisonnable d’affirmer que toute cette affaire a vu le jour uniquement en raison des renseignements fournis à la direction de l’Établissement de Kent par le détenu maintenu en isolement, parce qu’on avait découvert de la drogue illicite dans sa cellule.

[365] L’avocate de l’employeur n’a pas produit directement les allégations de l’informateur comme preuve devant moi. Mais comme en a témoigné la directrice de l’établissement, ces allégations étaient à l’arrière‑plan de toute la question disciplinaire et de la présente audience d’arbitrage du grief.

[366] Même si l’employeur n’a pas invoqué directement les allégations de l’informateur à l’audience devant moi, celles‑ci constituaient indirectement le fondement de la preuve pesant contre la fonctionnaire. Comme j’en ai déjà analysé les éléments de preuve pertinents dans la présente décision, la direction de l’Établissement de Kent et le CE ont clairement été prédisposés à accepter les allégations de l’informateur comme étant entièrement véridiques.

[367] Du point de vue de la fonctionnaire, il est important dans sa quête de justice que la présente décision rappelle les nombreuses questions présentées en preuve devant moi qui jettent le doute sur l’informateur et ses allégations.

[368] À l’audience, la fonctionnaire s’est efforcée de démontrer que l’informateur était peu fiable.

[369] À l’audience, les allégations faites par l’informateur n’ont pas été présentées à titre de preuve des affirmations. Mais elles sont gelées dans le temps dans le rapport du CE comme un nuage sombre qui plane sur la fonctionnaire dans sa ville natale jour et nuit.

[370] Tout d’abord, la preuve a clairement établi que l’informateur risquait de perdre son transfèrement à l’extérieur de l’établissement, qui avait déjà été approuvé au moment de ces incidents. Il espérait bénéficier d’une incarcération dans un établissement à sécurité moyenne. Lors de ma visite de l’établissement, j’ai constaté la vie austère et fort probablement déplaisante que les détenus y supportent. Mais j’ignore où l’informateur devait être transféré.

[371] Toutefois, on peut présumer avec certitude qu’en raison du fait qu’il craignait de perdre son transfèrement, je peux conclure que, manifestement, il s’attendait à de meilleures conditions dès qu’il quitterait l’établissement.

[372] Lorsque l’ES Mardell a été questionné avec insistance sur ce sujet, en contre‑interrogatoire, il a confirmé que l’informateur avait été [traduction] « plutôt inquiet » à l’idée de perdre son transfèrement dans une prison à sécurité moindre. L’ES Mardell a aussi témoigné qu’il n’était pas certain qu’il y avait eu une [traduction] « négociation » au cours de laquelle il avait été consigné que l’informateur avait affirmé qu’il fournirait des renseignements à la directrice de l’établissement en échange de l’assurance que son transfèrement ne serait pas annulé parce qu’on avait découvert de la drogue dans sa cellule.

[373] L’ES Mardell a aussi confirmé que l’informateur espérait que la direction l’aiderait en échange des renseignements qu’il fournissait.

[374] Lorsque l’informateur a semblé déployer des efforts afin de s’assurer que son transfèrement n’était pas annulé, il a proposé d’identifier la CX passeuse qui introduisait du fentanyl dans l’établissement. Sa description de la passeuse correspondait raisonnablement à celle de la fonctionnaire.

[375] L’informateur a identifié la passeuse en disant qu’elle avait les ongles bien manucurés et peints. Il a aussi fait allusion à des tatouages [traduction] « manches » couvrant tout le bras et à un style de coiffure qui sont des traits caractéristiques de la fonctionnaire, puis il a identifié celle–ci par son prénom.

[376] Toutefois, la preuve a démontré qu’une autre CX avait un style de coiffure similaire et des tatouages aux bras. Il s’est posé plusieurs questions que la fonctionnaire a invoquées pour donner à penser que la couleur précise des tatouages, ainsi que la longueur et la couleur précises des cheveux signifiaient qu’elle avait pu être confondue avec une autre CX de l’établissement. Toutefois, d’autres éléments de preuve laissaient penser que la fonctionnaire avait des ongles distinctifs qui différaient de ceux de cette autre CX.

[377] La preuve a aussi établi qu’on avait montré à l’informateur une seule photo d’une CX, qui était celle de la fonctionnaire, qu’il a identifiée par son nom comme étant la CX qui collaborait avec des détenus.

[378] La fonctionnaire a aussi témoigné longuement de ce qu’elle avait supporté, que je qualifierais de harcèlement et d’intimidation de la part du personnel de l’établissement, qui a vandalisé son casier au travail.

[379] La fonctionnaire a témoigné qu’elle avait d’anciens conjoints qui étaient des collègues à l’établissement. Elle était convaincue que certains membres du personnel contractaient des alliances avec ces anciens conjoints, et qu’ils éprouvaient de l’hostilité à son égard en raison de cela.

[380] Curieusement, la représentante de la fonctionnaire n’a pas poursuivi ce témoignage troublant sur l’agression et le harcèlement de la part des collègues, ni dans l’interrogatoire des témoins ni dans l’argumentation finale.

[381] La fonctionnaire a aussi témoigné qu’elle avait demandé l’aide et le soutien de la directrice de l’établissement au moins une fois, en raison d’un autre type de conflit avec un membre du personnel de sexe masculin. La fonctionnaire a expliqué que la directrice de l’établissement n’avait pas répondu à sa demande d’aide.

[382] Il n’en reste pas moins que certains renseignements fournis par l’informateur se sont révélés exacts, puisqu’ils ont mené à la saisie d’une grande quantité de fentanyl et d’un téléphone cellulaire crypté du type utilisé par le crime organisé.

[383] Je souligne ces aspects du témoignage et des observations de la fonctionnaire concernant l’informateur non pas à titre de conclusions de fait conférant une valeur probante à la présente décision, mais plutôt afin de rappeler les questions qui revêtaient manifestement de l’importance pour la fonctionnaire.

9. La jurisprudence

[384] Parmi les nombreux cas que les parties ont présentés et que j’ai lus avec soin, je suis convaincu surtout par trois décisions dans lesquelles les faits sont très pertinents pour l’affaire devant moi. Elles portent sur les CX, et je souligne plus particulièrement les mots de la vice-présidente de la Commission, Mme Shannon.

[385] Mme Shannon a écrit qu’on lui avait présenté de nombreux cas dans l’argumentation. Elle a déclaré que ces cas n’étaient pas terriblement instructifs, puisque chacun d’eux était fondé sur un ensemble de faits particulier, et que les faits de chaque cas orientent la mesure disciplinaire appropriée, en fonction de principes élaborés au fil des ans. Voir Matthews c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 38, au par. 169.

[386] Il était conclu dans cette décision que le fonctionnaire s’estimant lésé dans ce cas avait exprimé des remords et qu’il était récupérable. Compte tenu de la gravité de ses erreurs, la Commission avait conclu qu’une rétrogradation au niveau CX I et une très longue période sans salaire d’environ deux ans était appropriée dans les circonstances.

[387] Dans Kinsey c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 30, au par. 108, la commissaire Shannon a conclu ce qui suit : « […] Une mesure disciplinaire entachée par une violation de la justice naturelle n’est pas appropriée et, pour ce motif, le licenciement du fonctionnaire est annulé […] »

[388] Et, en dernier lieu, la commissaire Shannon a conclu qu’une violation de la justice naturelle dans laquelle un fonctionnaire s’estimant lésé ne pouvait pas répondre à une allégation faite contre lui viciait la sanction pécuniaire, dont il demandait le redressement. Voir Stann c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2018 CRTESPF 5, aux paragraphes 71 et 73.

[389] La fonctionnaire a aussi attiré mon attention sur la récente décision que la Commission a rendue dans Dekort c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2019 CRTESPF 75 :

[…]

[2] Le matin du 24 février 2017, M. Dekort a accepté un quart de travail supplémentaire commençant à 7 h et il a été affecté à un poste de patrouille mobile […]

[3] À environ 8 h 30, trois gestionnaires correctionnels ont trouvé M. Dekort dans son véhicule stationné. Il [sic] incliné dans son siège avec la tête par en arrière et il avait enlevé ses bottes et son gilet de protection. Un des gestionnaires a cogné sur la fenêtre pour attirer son attention. Les gestionnaires correctionnels (les « GC ») étaient d’avis que M. Dekort semblait être désorienté, ahuri et confus. Ils ont conclu qu’il s’était endormi.

[…]

[121] La décision de M. Dekort de demeurer immobile pendant 75 minutes était la mauvaise décision. Elle n’était pas conforme à sa formation ni au décret sur les postes mobiles. Regroupé à la décision d’enlever ses bottes et son gilet, d’incliner son siège et de fermer ses yeux au moins jusqu’au point de s’endormir, il s’agissait d’une mauvaise décision qui touche sa carrière. Il n’était pas alerte ni attentif et ne participait pas à la sécurité active.

[…]

[149] En soutenant que l’honnêteté est la pierre angulaire de la relation d’emploi, l’employeur visait à justifier l’imposition du licenciement dans une affaire où l’on a constaté qu’un employé a menti. En conséquence, l’employé a endommagé la relation d’emploi au point que l’employeur a raison d’y mettre fin.

[150] Grâce à ce principe, l’employeur fonde ses arguments sur sa conclusion selon laquelle M. Dekort a menti sur le fait qu’il s’est endormi dans la patrouille mobile pendant une longue période. Tel que je l’ai indiqué, je conclus qu’il n’existe pas de preuve sérieuse permettant d’établir qu’en fait, il s’était endormi pendant une période prolongée. J’ai conclu antérieurement que les témoignages des témoins de l’employeur et du fonctionnaire étaient contradictoires […]

[…]

[157] J’estime que M. Dekort a exprimé beaucoup de remords et qu’il a assumé une plus grande responsabilité de ses actes que ce que l’employeur lui a accordée […]

[…]

[214] J’accepte que le fonctionnaire ait commis des erreurs de jugement extrêmement graves le matin du 24 février 2017, qui justifiaient une mesure disciplinaire sévère. Je ne retiens pas l’argument selon lequel il n’a pas les instincts primaires pour exécuter ses tâches en fonction d’un seul événement ponctuel. Autre que les événements survenus ce matin‑là, aucun élément de preuve n’a été déposé pour établir qu’il n’est pas compétent à exécuter les fonctions de l’emploi.

[…]

[222] Le matin du 24 février 2017, l’agent correctionnel William Dekort a délibérément enlevé ses bottes et son gilet, s’est incliné sur son siège dans le véhicule et a fermé ses yeux. Il s’est endormi pendant au moins une certaine période. Son attention et son bon jugement étaient gravement réduits. Il a effectivement abandonné son poste mobile armé et a donc omis d’exercer ses fonctions d’agent de la paix et il n’a pas suivi le décret sur les postes mobiles.

[…]

[224] Cependant, il n’a clairement pas abandonné son poste autant que l’a conclu l’employeur, et à la première occasion, M. Dekort a reconnu son méfait et a exprimé le désir de s’améliorer. J’ai tenu compte du fait qu’il se peut que la mesure disciplinaire qui a été imposée deux ans auparavant ait influé la décision du directeur de licencier le fonctionnaire. J’ai tenu compte du fait que le processus disciplinaire n’a pas inclus la participation de M. Dekort au‑delà d’une réunion de recherche des faits de 10 minutes et qu’aucune enquête n’a été effectuée, malgré le fait que M. Dekort compte plus de neuf ans de service.

[…]

[228] Le fonctionnaire doit être réintégré dans ses fonctions à compter de la date de signature de la présente décision, et ce, sans rémunération rétroactive.

[Je mets en évidence]

 

[390] La faute manifeste dans Dekort, à savoir le fait d’avoir abandonné son poste de garde dans une prison en retirant son équipement professionnel afin de faire une petite sieste agréable, est évidente.

[391] J’estime que les actes accomplis dans Dekort sont nettement plus blâmables au plan moral et plus probants quant à une intention coupable, que ne l’étaient ceux établis par la preuve dans l’affaire devant moi, dans laquelle la présomption de culpabilité morale de la fonctionnaire a été soutenue par une supposition de l’employeur.

[392] Je souligne que l’avocate de l’employeur m’a présenté la décision rendue par la Commission dans Lapostolle c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 138, où le fonctionnaire s’estimant lésé, qui était CX II, avait des liens étroits avec des personnes associées au crime organisé.

[393] M. Lapostolle n’a pas nié ce fait à son audience d’arbitrage, mais il a affirmé qu’il ne devait pas être sanctionné en raison de sa vie privée et de ses activités avec des personnes liées à la mafia. Dans ses motifs justifiant le maintien du licenciement, la Commission a souligné que le fonctionnaire s’estimant lésé avait fréquenté publiquement des personnes mêlées au crime organisé et que, par conséquent, il avait terni l’image de l’employeur (au paragraphe 93).

[394] Dans Lapostolle, la Commission a aussi souligné une preuve a posteriori des activités publiques du fonctionnaire s’estimant lésé avec des personnes liées à la mafia.

[395] J’estime troublant le fait que l’employeur m’ait présenté Lapostolle, étant donné qu’aucune preuve n’a été produite devant moi à l’audience afin de démontrer des contacts ou une collaboration de la fonctionnaire avec des personnes liées d’une façon quelconque à la mafia ou au crime organisé.

[396] Le CE s’est fié sur l’informateur, qui a fait des allégations de relations personnelles de cette nature, mais l’employeur a expressément pris ses distances par rapport à cette question. Cependant, il s’est efforcé à tous moments de ramener devant moi la question de ces relations présumées.

[397] L’employeur ne peut miser sur les deux tableaux.

[398] Je ne puis comprendre les efforts de l’employeur visant à lier la fonctionnaire à la mafia et aux drogues illicites qu’en concluant qu’il souhaitait s’attaquer à sa personnalité, afin de conclure à un lien avec les allégations de l’informateur.

[399] Dans le même ordre d’idées, l’employeur a invoqué une ancienne décision, qui a été rendue par l’un des prédécesseurs de la Commission, qui avait conclu qu’un CX II qui avait escorté un détenu à un rendez‑vous dans la collectivité était crédule et n’était plus digne de confiance parce qu’il avait autorisé le détenu à rencontrer une personne en l’absence de son escorte et à revenir avec un paquet de cigarettes.

[400] Le CX II avait accepté de rapporter le paquet de cigarettes à l’établissement sans l’avoir vérifié. Je souligne de nouveau qu’aucune preuve n’a été produite devant moi à l’audience afin de démontrer que la fonctionnaire avait rapporté quelque chose à l’établissement. Néanmoins, le CE a conclu qu’elle l’avait fait (voir Courchesne c. Conseil du Trésor (Solliciteur général), dossier de la CRTFP 166-02-12299 (19820719), [1982] C.R.T.F.P.C. no 119 (QL)).

[401] Peut‑être afin de dissiper ma préoccupation concernant le fait que la fonctionnaire s’était vu refuser la justice naturelle, puisqu’on ne lui avait pas présenté la preuve pesant contre elle et que, par conséquent, elle n’avait pas pu réfuter les accusations, l’employeur a attiré mon attention sur la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (QL).

[402] Il est affirmé dans Tipple qu’un processus disciplinaire inéquitable est réparé par une audience de novo devant la Commission, lors de laquelle un avis complet des allégations est signifié et le fonctionnaire s’estimant lésé a pleinement l’occasion d’y répondre.

[403] Je distingue Tipple dans ma conclusion selon laquelle la fonctionnaire s’est vu refuser la possibilité d’avoir pleinement accès à la preuve pesant contre elle, à la fois lors du processus disciplinaire et à l’audience d’arbitrage devant moi.

[404] Et en dernier lieu, l’employeur a invoqué Tobin c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 76, au par. 163, en ce qui concerne la sage conclusion que j’ai appliquée à maintes reprises lorsque j’ai rédigé des décisions. Cette conclusion indique qu’un fonctionnaire s’estimant lésé qui a un dossier de bon rendement depuis longtemps n’est pas nécessairement excusé d’un mauvais comportement, mais qu’il aurait dû plutôt être mieux avisé dans sa conduite.

[405] Dans Tobin, le fonctionnaire s’estimant lésé a été reconnu coupable d’accusations au criminel liées au harcèlement et à l’intimidation d’une ancienne employée. Il était un spécialiste, qui offrait des services aux détenus qui éprouvaient des problèmes psychologiques et à ceux qui étaient reconnus coupables d’infractions sexuelles. Je souscris sans réserve à la conclusion de la Commission dans Tobin, mais je distingue les faits de cette affaire, car rien de comparable n’a été présenté devant moi à l’audience afin de discréditer la fonctionnaire.

C. Les mesures disciplinaires qui devraient être substituées, comme étant justes et équitables

[406] J’ai analysé les deux allégations invoquées par l’employeur dans la lettre de licenciement. J’ai conclu que l’employeur ne s’était pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait à l’égard de l’allégation de relations inappropriées.

[407] J’ai conclu que la mesure disciplinaire était justifiée à l’égard de la deuxième allégation, selon laquelle la fonctionnaire ne s’était pas assurée que les boîtiers de disque compact qu’elle avait distribués aux détenus ne contenaient pas d’objets interdits. Selon la DC 566-9, il était prévu qu’elle devait saisir ces biens personnels appartenant aux détenus et remplir les documents de saisie appropriés. Cela était très important pendant une fouille en vertu de l’article 53.

[408] Compte tenu de ma conclusion selon laquelle un motif juste et raisonnable justifiait la prise d’une mesure disciplinaire quelconque, j’ai ensuite examiné la question de savoir si la décision de congédier la fonctionnaire constituait une réaction excessive au vu des circonstances. Je conclus qu’elle était excessive.

[409] La fonctionnaire a eu une carrière longue et remarquée et elle a reçu beaucoup d’éloges pour son bon travail. Des allégations accablantes indiquant qu’elle était corrompue par le crime organisé ont été présentées à l’employeur, et des mesures ont été prises afin de vérifier la fiabilité de l’informateur. Ce faisant, l’employeur est devenu prédisposé à accepter l’idée que la fonctionnaire était une passeuse de drogue qui entretenait des relations personnelles avec des criminels, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Établissement de Kent.

[410] Toutefois, aucune preuve de ces allégations graves n’a été produite devant moi. Ce qui était manifeste, c’était que la fonctionnaire avait pris de mauvaises décisions au travail, ce qu’elle avait reconnu elle‑même dès qu’elle en avait eu l’occasion.

[411] Les mauvaises décisions constatées dans les séquences vidéo présentées comme preuve à l’audience, à elles seules, séparément des allégations de l’informateur, ne justifient tout simplement pas qu’une employée possédant 16 ans de service et un excellent dossier de service soit congédiée de son poste.

[412] La preuve a montré que, durant la même fouille en vertu de l’article 53, un autre CX avait pris une décision impropre qui avait obligé une unité de l’Établissement de Kent à reprendre la fouille en vertu de l’article 53, ce qui n’avait entraîné aucune mesure disciplinaire.

[413] La décision que la Commission a rendue dans Dekort illustre le cas d’un CX dont la culpabilité morale liée à l’abandon de son poste pour faire une petite sieste agréable a été jugée insuffisante pour justifier le congédiement.

[414] Comme je le consigne dans la présente décision, l’employeur a cherché tout au long de la présente audience, et même après celle-ci, à associer la fonctionnaire à la possession et à l’utilisation de drogues illicites. Aucune preuve n’a été présentée à l’appui de ces allégations.

[415] En réalité, il est évident pour moi que la décision de l’employeur de licencier la fonctionnaire ne reposait pas, en fait, sur la conduite répréhensible dépeinte dans la vidéo de sécurité que j’ai déjà expliquée dans la présente décision, mais plutôt sur les allégations de l’informateur et sur une tentative d’associer la fonctionnaire aux drogues illicites, même des années après les incidents en cause.

[416] L’employeur est parvenu à cette conclusion sans même offrir à la fonctionnaire la possibilité de voir ces allégations et de les réfuter, ce qui constitue un déni de justice naturelle pour elle et pèse lourd dans ma conclusion selon laquelle le congédiement de la fonctionnaire était excessif.

[417] Après avoir conclu que le congédiement de la fonctionnaire était excessif, selon la troisième étape de l’analyse de Wm. Scott, je dois substituer une mesure disciplinaire qui serait juste et équitable pour la fonctionnaire au vu des circonstances.

[418] À l’audience, l’avocate de l’employeur a déclaré que celui‑ci était fortement opposé à la réintégration de la fonctionnaire dans ses fonctions si le grief était accueilli. Il a été soutenu énergiquement qu’il y avait eu inconduite grave et délibérée, qui avait entraîné la perte irrémédiable de la confiance en la fonctionnaire et avait mené à la conclusion qu’il n’y avait aucun espoir de la réhabiliter.

[419] L’employeur est allé jusqu’à citer le CX-02 White à témoigner qu’il ne pouvait plus travailler de nouveau avec la fonctionnaire, parce qu’elle était corrompue par des criminels. Il a affirmé qu’il n’aurait pas confiance en elle.

[420] Toutefois, dans un argument écrit du 20 avril 2020, l’avocate de l’employeur a informé la Commission de ce qui suit :

[Traduction]

Mon client m’a demandé de rétracter sa position sur les dommages tenant lieu de réintégration. Si le grief est accueilli, l’employeur convient avec l’agent négociateur que le redressement approprié serait la réintégration avec paiements sous réserve de mesures d’atténuation.

 

[421] N’eut été l’argument écrit de l’employeur indiquant son consentement à l’argument de la fonctionnaire si son grief était accueilli, j’aurais suivi Matthews et j’aurais ordonné que la fonctionnaire soit réintégrée dans ses fonctions de CX-01 à compter de la date de son licenciement, puisqu’il ressort clairement de la preuve que les actes de la fonctionnaire dans l’affaire devant moi étaient incompatibles avec la conduite appropriée d’une CX-02 supérieure et expérimentée.

[422] Toutefois, compte tenu de la communication de l’employeur le 20 avril 2020, j’accepte l’observation conjointe des parties. Je fais droit au grief. J’ordonne que le licenciement de la fonctionnaire soit annulé et qu’il soit supprimé de son dossier.

[423] J’ai analysé à fond la preuve présentée à l’audience. Même si j’ai déterminé qu’elle ne justifiait pas le licenciement de la fonctionnaire, je conclus qu’elle justifiait la prise d’une mesure disciplinaire, et que l’équivalent d’une suspension d’un mois avec salaire y sera substitué à titre de mesure équitable au vu des circonstances.

[424] Transmettre des articles entre des détenus pendant la fouille en vertu de l’article 53 constituait une grave erreur de jugement de la part de la fonctionnaire. Cela posait des risques graves pour les détenus et le personnel de l’établissement. Il faut dénoncer énergiquement de pareilles erreurs, afin d’avoir un effet dissuasif sur les autres CX et de s’assurer que la fonctionnaire comprend la gravité de ses erreurs.

[425] Une somme égale à celle que la fonctionnaire a gagnée en salaire provenant d’un emploi depuis son licenciement sera déduite de ce que l’employeur lui doit.

[426] Dans son argumentation finale, la fonctionnaire a demandé une indemnité monétaire en guise de dommages pour préjudice psychologique et de dommages punitifs pour préjudice moral, majorée des intérêts.

[427] Je convoquerai une audience par vidéoconférence avec les parties dans les 60 jours suivant le prononcé de la présente décision, afin de permettre aux parties de présenter des observations orales sur la demande de la fonctionnaire concernant l’octroi de dommages punitifs pour préjudice moral et de dommages pour préjudice psychologique, ainsi que le dédommagement de toute autre perte qu’elle prétendra avoir subie par suite des mesures que l’employeur a prises avant et pendant l’audience, ainsi que les arguments écrits de suivi en découlant.

IV. La demande de l’employeur de compléter ses motifs de licenciement et sa requête

A. La demande de l’employeur

[428] Le dernier jour de l’audience, l’employeur a demandé d’avoir la possibilité de compléter ses motifs de licenciement de la fonctionnaire.

[429] Il s’était écoulé trois ans depuis la suspension de la fonctionnaire.

B. La requête de l’employeur

[430] Des semaines après la fin de l’audience, l’employeur a présenté la requête suivante en vue d’obtenir une ordonnance de production par un tiers, contre l’hôpital général de Chilliwack (C.‑B.), afin que celui-ci produise les dossiers médicaux censés concerner le traitement médical d’urgence offert à la fonctionnaire au cours de l’été 2019 :

[Traduction]

Le 12 septembre 2019
OBJET : CRTESPF : Dossier no 566-02-13909 (Louise Lyons)

 

Pour faire suite à la directive donnée par la Commission le 15 août 2019, l’employeur présente par écrit sa requête en ordonnance de production par un tiers des dossiers médicaux de la fonctionnaire à l’hôpital général de Chilliwack.

Comme il a été communiqué à huis clos à la Commission et au représentant de l’agent négociateur le 7 août 2019, il a été porté à l’attention de l’employeur que la fonctionnaire avait récemment été admise à l’hôpital général de Chilliwack, afin d’être traitée pour une surdose à la suite d’un appel d’urgence au 911. Cette information a été signalée à la direction du SCC par un agent correctionnel.

L’agent négociateur n’a nié cette allégation ni durant la séance à huis clos ni dans ses arguments écrits présentés le 19 août 2019. Les renseignements concernant la surdose présumée ne sont pas sous l’autorité de l’employeur, ni en sa possession ou sous son contrôle et, par conséquent, ne lui sont pas accessibles. L’employeur n’a pas le pouvoir d’exiger la production des dossiers médicaux afin de corroborer ces allégations.

Par conséquent, l’employeur présente une requête en ordonnance de production au titre de l’alinéa 20f) de la Loi sur la commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral. Ce n’est qu’en ayant recours au pouvoir de l’arbitre de grief d’ordonner la production que l’employeur aura accès à ces documents.

Plus particulièrement, l’employeur demande une ordonnance prescrivant au service des dossiers de santé de l’hôpital général de Chilliwack (45600, chemin Menholm, Chilliwack (C.‑B.) V2P 1P7) de produire tous les dossiers de la patiente Louise Lyons ou Louise Humphrey datant du 1er juin au 1er août 2019, y compris les graphiques de la patiente, les dossiers d’admission et de sortie, les résultats des tests sanguins, les résultats des analyses toxicologiques, les notes du médecin, les dossiers ambulanciers et paramédicaux, et tout dossier de communication avec le centre antipoison.

Nous demandons que ces renseignements soient présentés à l’avocate de l’employeur, Nour Rashid, dans les 10 jours suivant l’ordonnance de l’arbitre de grief. Le critère applicable à la divulgation, en cas de contestation de la divulgation, est bien résumé dans West Park Hospital (1998), 75 L.A.C. (4e) 289 (Springate) :

[Traduction]

  1. On doit pouvoir soutenir la pertinence des renseignements demandés.

  2. Les renseignements demandés doivent être précisés pour qu’on ne conteste pas ce qui est désiré.

  3. Le conseil d’arbitrage doit être convaincu que les renseignements ne sont pas demandés dans le contexte d’une « recherche à l’aveuglette ».

  4. Il doit y avoir un lien clair entre les renseignements
    demandés et les positions qui sont en litige à l’audience.

  5. Le conseil doit être convaincu que la divulgation ne causera pas un préjudice indu.

Les renseignements demandés sont directement pertinents à la principale question en litige, c’est-à-dire celle de savoir si le licenciement était la mesure disciplinaire appropriée dans les circonstances. Le redressement demandé par la fonctionnaire est la réintégration dans ses fonctions d’agente correctionnelle. Selon l’employeur, si l’on découvre qu’un agent a consommé des drogues illicites, l’employeur ne peut plus lui faire confiance pour s’acquitter de ses fonctions d’agent correctionnel. Dans ces circonstances, le licenciement est la sanction appropriée.

Les renseignements demandés sont précisés dans la mesure où l’on ne peut pas contester ce qui est demandé. Il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle l’employeur mène une « recherche à l’aveuglette »; les renseignements demandés sont directement liés à la question de la sanction appropriée.

Il y a un lien clair entre les renseignements demandés et la position avancée par l’employeur à l’audience, à savoir, que le lien de confiance entre l’employeur et la fonctionnaire a été irrémédiablement rompu et que la fonctionnaire ne devrait pas être réintégrée dans ses fonctions d’agente correctionnelle.

Il est aussi respectueusement soumis que la divulgation ne causera pas un préjudice indu. S’il y a des préoccupations concernant la publication des renseignements énumérés ci‑dessus, l’arbitre de grief peut rendre une ordonnance de mise sous scellés, et il peut procéder à huis clos lorsque ces renseignements font l’objet d’une discussion à l’audience, comme cela a été fait lorsque les renseignements ont été portés à l’attention de la Commission pour la première fois, le 7 août 2019.

Le tout respectueusement soumis.

C. Les arguments de la fonctionnaire s’estimant lésée présentés en réponse

[431] La fonctionnaire a présenté ce qui suit :

[Traduction]

Cette deuxième requête est indubitablement une « recherche à l’aveuglette ». L’employeur a affirmé que les renseignements concernant la surdose de drogue présumée ne sont pas sous son autorité. Toutefois, il relevait de son autorité de citer des témoins et de présenter une preuve documentaire, par exemple, des rapports d’observation, le cas échéant, en relation avec sa requête.

L’employeur s’est vu offrir cette possibilité le 7 août 2019 et il a décliné l’offre. L’employeur aurait pu convoquer ces personnes anonymes (allant d’un agent correctionnel à un gestionnaire correctionnel, conformément à la déclaration de Mme Nour le 7 août 2019) mêlées à des commérages, afin de vérifier s’il y avait une once de preuve fiable, logique, convaincante et claire d’un appel au 911 et d’une surdose de drogue.

À ce titre, cette requête est une recherche à l’aveuglette. L’employeur préfère violer le droit de la fonctionnaire à la confidentialité de ses preuves médicales, plutôt que d’avoir produit les témoins qui auraient fort probablement témoigné qu’il ne s’agissait que d’un ouï‑dire. Le choix de l’employeur vise à humilier la fonctionnaire.

Présenter une pareille requête le 7 août 2019 était inapproprié à l’époque. La réitérer, une fois que la preuve et l’argumentation relatives à l’affaire ont été présentées, est encore pire.

Nous demandons à l’avocate de l’employeur, le mercredi 18 septembre 2019, de divulguer l’identité de l’agent correctionnel et du gestionnaire correctionnel auprès de qui l’employeur a pris connaissance de la rumeur. Notre première demande est demeurée sans réponse.

Nous avons réitéré notre demande aujourd’hui, et nous avons été informées que l’avocate attend des instructions. Cela empire clairement les choses pour la fonctionnaire, qui doit se battre et défendre sa réputation contre des personnes anonymes que le SCC a choisi de protéger plutôt qu’elle. Cela montre que le SCC n’a pas la décence de protéger la fonctionnaire et de minimiser le préjudice pour elle.

Sous l’angle du préjudice, la fonctionnaire a affirmé qu’elle avait dû consulter son médecin de famille, qui lui a ordonné de prendre un congé. La fonctionnaire ne bénéficie pas d’un congé de maladie payé. L’employeur a empiré sa situation financière. La santé de la fonctionnaire s’est également détériorée, au point où son médecin de famille lui a prescrit des antidépresseurs.

La fonctionnaire est tellement démolie par suite de la requête de l’employeur et de sa suggestion selon laquelle elle est une consommatrice de drogue qui a fait une surdose, qu’elle se cache chez elle parce qu’elle vit dans la « ville des gardes ». La fonctionnaire ne sait plus trop comment rétablir sa réputation et se refaire un nom, étant donné que les rumeurs se sont répandues dans les établissements correctionnels.

La conduite de l’employeur est tout simplement dégoûtante et écœurante. Le SCC ne peut pas se cacher et prétendre ignorer les répercussions de pareilles allégations fausses et non corroborées sur la santé et la réputation de la fonctionnaire. Celle‑ci est dévastée par cette deuxième requête en production de son dossier médical sur le fondement de vagues allégations anonymes.

De plus, par l’intermédiaire de son avocate, l’employeur attaque la réputation de la fonctionnaire et de sa représentante en affirmant que les allégations n’ont pas été niées lorsqu’elles ont été soulevées en cabinet le 7 août 2019, ou dans nos observations présentées le 19 août 2019.

Les allégations n’ont pas été niées en cabinet pour la simple raison que nous n’étions pas au courant de ces allégations folles. De plus, à la lecture de nos observations, toute personne raisonnable conclurait que la fonctionnaire nie les allégations de surdose de drogue. L’inférence de l’employeur sur ce point est bien franchement ridicule.

 

[432] Je souligne que l’agent négociateur a répondu de nouveau et qu’il a présenté une lettre du médecin de la fonctionnaire du 29 septembre 2019. Cette lettre indiquait que la fonctionnaire n’était pas allée à l’hôpital général de Chilliwack entre le 1er juin et le 1er août 2019.

[433] Par conséquent, le 31 octobre 2019, l’employeur a retiré sa requête en production.

[434] Après avoir examiné avec soin toutes ces observations soulevées après l’audience, il me faut éclaircir deux points importants, qui ont été soulevés dans les observations de l’employeur.

[435] Tout d’abord, il était fallacieux de la part de l’employeur de laisser entendre initialement que la fonctionnaire avait eu deux occasions de nier l’allégation d’avoir été traitée pour une surdose à l’hôpital, et qu’elle avait raté les deux.

[436] L’avocate de l’employeur a déclaré que celui‑ci avait pris connaissance de ce que je tiens, au mieux, pour des commérages, et au pire pour des renseignements éventuellement obtenus illégalement, puisque les renseignements et dossiers médicaux et leur confidentialité sont protégés par les lois sur le respect de la vie privée.

[437] À l’audience, j’ai avisé l’avocate de l’employeur qu’elle semblait tenter de produire elle‑même une preuve à l’appui de sa requête.

[438] J’ai suggéré à l’avocate de faire témoigner immédiatement la directrice de l’établissement au sujet de cette allégation choquante.

[439] Cette allégation a été choquante à la fois par la façon dont elle a été présentée devant moi, sans preuve, et du fait qu’elle a été soulevée trois ans après les faits qui ont mené au licenciement de la fonctionnaire; j’ai demandé à l’avocate d’en établir la pertinence et la recevabilité.

[440] J’ai suspendu l’audience et j’ai offert à l’avocate la possibilité de demander la comparution de la directrice de l’établissement afin qu’elle témoigne.

[441] Après la suspension, nous avons convoqué de nouveau l’audience après qu’on nous eut dit que ni la directrice de l’établissement ni un autre représentant de l’Établissement de Kent possédant des renseignements sur l’allégation choquante ne comparaîtrait à notre audience.

[442] Comme l’avocate n’avait aucune preuve à présenter à l’appui de la requête de l’employeur, je l’ai autorisée à retirer cette requête, plutôt que de statuer qu’elle était irrecevable.

[443] La deuxième question importante qui a été soulevée par suite des arguments écrits et de la requête, c’est que l’employeur ne doit guère se souvenir de sa présentation à l’audience, puisque l’avocate a demandé que nous nous réunissions en cabinet afin qu’elle puisse donner suite aux instructions de son bureau de présenter la demande de modification des motifs de congédiement de la fonctionnaire, puisqu’on avait entendu dire que celle-ci avait fait une surdose de drogue récemment.

[444] Aucune requête n’a été présentée afin que j’oblige la fonctionnaire à produire les dossiers ou que je prie un tiers fournisseur de soins de santé à les produire. La requête liée à un tiers a été soulevée lorsque j’ai prié l’employeur de me présenter sa demande de modifications des conditions du congédiement de la fonctionnaire, que celle‑ci avait présentée à l’audience.

[445] En cabinet, j’ai informé l’avocate que je ne voyais pas comment cela pouvait se faire trois ans après le fait. Mais étant donné que la requête n’était appuyée par aucune preuve, je n’ai pas eu à statuer sur elle en cabinet.

[446] Lorsque la représentante de la fonctionnaire a abordé cette question dans son argumentation finale, elle a soutenu que la tentative de l’employeur de présenter devant moi une allégation basée sur des commérages, comme cela avait été fait, était extrêmement préjudiciable pour la preuve de la fonctionnaire. Elle a ajouté que cette question avait causé beaucoup de stress et d’anxiété à la fonctionnaire.

[447] Vu l’importance du fait que l’employeur a allégué des questions très graves qui semblaient toucher directement le droit de la fonctionnaire à la confidentialité de ses dossiers de santé et de ses antécédents médicaux, et vu la réponse énergique de la fonctionnaire, dans laquelle celle‑ci exprimait son désir d’augmenter le montant des dommages demandés, j’inviterai les parties à présenter des observations orales sur ces questions quand la décision aura été rendue.

  • [448] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

V. Ordonnance

[449] Le grief est accueilli.

[450] La fonctionnaire est réintégrée dans ses fonctions de CX-02 avec son salaire intégral et ses avantages sociaux, à compter de la date du licenciement, sans perte d’ancienneté, moins un mois de salaire et son revenu réel gagné depuis son licenciement.

[451] Les occasions d’heures supplémentaires perdues doivent être payées et calculées en prenant la moyenne des heures supplémentaires travaillées par la fonctionnaire au cours des trois années précédant son licenciement.

[452] L’employeur doit ajouter des intérêts simples aux sommes exigibles, calculées au taux annuel basé sur le taux officiel de la Banque du Canada (données mensuelles).

[453] L’ensemble des documents ou des renvois de l’employeur concernant la suspension et le licenciement de la fonctionnaire doivent être détruits.

[454] Les parties sont invitées à s’entendre sur le montant des sommes dues à la fonctionnaire dans le respect de la présente ordonnance et conformément à celle‑ci, et cette somme doit être payée à la fonctionnaire dans les 60 jours suivant la date de la présente décision.

[455] Je demeurerai saisi de l’affaire jusqu’à ce que tous les aspects du redressement découlant de la présente ordonnance aient été résolus.

[456] Une audience sera fixée dans les 60 jours suivant la date de la présente décision afin d’entendre la plaidoirie orale concernant la demande de dommages pour préjudice psychologique et de dommages punitifs pour préjudice moral.

Le 31 décembre 2020.

Traduction de la CRTESPF

 

 

 

Bryan R. Gray,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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