Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé, un agent des services frontaliers, a déposé trois griefs concernant des mesures disciplinaires qui portaient sur ses interactions avec des voyageurs – il a déposé deux autres griefs alléguant que l’employeur n’avait pas pris des mesures d’adaptation à son retour au travail et qu’il avait subi du harcèlement et de la discrimination – la Commission a conclu que la mesure disciplinaire était justifiée dans deux des affaires disciplinaires, mais que la sanction imposée était excessive – le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas établi que son état de santé constituait un facteur atténuant dans la détermination de la mesure disciplinaire pour l’un des incidents d’inconduite – dans la troisième affaire, l’employeur n’a pas démontré que la mesure disciplinaire était justifiée – pour l’allégation d’omission de prendre de mesures d’adaptation, la Commission a conclu que l’employeur aurait dû attribuer du travail au fonctionnaire s’estimant lésé une fois que son médecin a clairement indiqué qu’il était prêt à retourner au travail, plutôt que de retarder son retour de plusieurs semaines – la Commission a également conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas établi qu’il avait subi du harcèlement et de la discrimination.

Griefs accueillis en partie.

Contenu de la décision

Date : 20210127

Dossiers : 566‑02‑13057 à 13061, 14405, 40774 et 40775

Référence : 2021 CRTESPF 7

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

ADRIAN CWIKOWSKI

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Agence des services frontaliers du Canada)

 

défendeur

 

Répertorié

Cwikowski c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Doug Hill, représentant, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour le défendeur : Caroline Engmann, avocate

Affaire entendue à Kelowna (Colombie‑Britannique)

du 19 au 22 février, le 8 mars (par vidéoconférence) et du 16 au 19 septembre 2019.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

Table des matières

I. Résumé 2

II. Contexte 4

III. Analyse 5

A. Les griefs liés aux mesures disciplinaires 5

1. Les dossiers 566‑02‑40774 et 40775 : Suspension de trois jours – trois incidents concernant des voyageurs insatisfaits 5

a. L’argument du fonctionnaire selon lequel la lenteur à imposer des mesures disciplinaires constitue de la tolérance 15

b. Argument du fonctionnaire selon lequel aucune mesure disciplinaire n’était justifiée 19

c. Argument du fonctionnaire selon lequel une suspension de trois jours était inéquitable 22

2. Dossiers 566‑02‑13057/13058 : Suspension de cinq jours – blessure et injures proférées 24

a. Argument du fonctionnaire selon lequel le TSPT constitue un facteur atténuant dans la détermination de la mesure disciplinaire 32

b. L’argument de l’employeur sur la culpabilité du fonctionnaire 35

3. Dossiers 566‑02‑13060 et 13061 : Suspension de huit jours – dentiste du Texas en vacances et titulaire d’un permis de port d’une arme à autorisation restreinte 40

B. Les griefs relatifs aux présumées violations de la convention collective 51

1. Dossier 566‑02‑13059 : lenteur de la prise de mesures d’adaptation aux fins du retour au travail du fonctionnaire 51

2. Dossier 566‑02‑14405 : Harcèlement et discrimination allégués 63

IV. Ordonnance 69

 


 

I. Résumé

[1] La présente décision porte sur une série d’incidents qui ont donné lieu à trois griefs relatifs à des mesures disciplinaires, plus deux autres griefs dans lesquels il est allégué que l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« employeur ») a contrevenu à la convention collective. Un des griefs porte sur une allégation de violation des droits de la personne.

[2] La convention collective en litige avait été conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Services frontaliers. Elle est venue à échéance le 20 juin 2018 (la « convention collective »).

[3] La preuve a établi que pendant certaines des périodes visées, Adrian Cwikowski, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a éprouvé des émotions soudaines et fortes, qui l’ont mené à hausser le ton en utilisant parfois un langage grossier dans le milieu de travail. Le fonctionnaire a soutenu que les éléments de preuve ne permettaient pas d’établir clairement les actes répréhensibles reprochés, que lors de certains des incidents en question, sa conduite était justifiée par des facteurs externes et que, dans au moins un des incidents, il a affirmé qu’un accident de travail et qu’une maladie de longue date constituaient des facteurs atténuants qui devraient expliquer sa conduite.

[4] Après une analyse approfondie de tous les éléments de preuve et de tous les arguments, je conclus que seulement deux des trois incidents ayant mené à une suspension de trois jours du fonctionnaire justifiaient la prise d’une mesure disciplinaire. Étant donné cette conclusion, je substitue une suspension d’une journée à la mesure disciplinaire qui avait été imposée.

[5] Je conclus que l’incident qui a donné lieu à la suspension de cinq jours justifiait la prise d’une mesure disciplinaire. Compte tenu de toutes les circonstances, je la remplace par une suspension de deux jours, étant donné ma décision de réduire sa suspension de trois jours antérieure à une suspension d’une journée.

[6] Je fais droit au grief découlant de sa suspension de huit jours et j’annule la mesure disciplinaire, car je conclus que la preuve de son comportement non professionnel n’était pas claire, logique et convaincante.

[7] En ce qui concerne le premier grief portant sur la convention collective, le fonctionnaire a contesté la décision de l’employeur de repousser son retour au travail au motif que cette décision contrevenait à l’article de la convention collective portant sur le congé de maladie non payé.

[8] Malgré le fait que le grief ait été renvoyé à l’arbitrage sur le fondement de cet article, les parties ont plaidé l’affaire comme si elle portait sur une allégation de droits de la personne, à savoir le manquement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. La seule réparation demandée était le salaire du fonctionnaire pendant les jours où il n’a pas pu travailler après avoir été autorisé par son médecin à retourner au service actif.

[9] Je conclus que l’employeur n’a pas participé, comme il est tenu de le faire, à une collaboration significative et opportune avec le fonctionnaire et son syndicat afin de déterminer des mesures d’adaptation évidentes et facilement accessibles pour le fonctionnaire. Je fais droit au grief, car l’employeur a refusé sans raison valable d’attribuer au fonctionnaire des quarts de travail lorsqu’il était prêt à travailler. J’ordonne que le fonctionnaire soit rémunéré comme s’il était retourné au travail le 31 mars 2015, plutôt qu’à la date de son retour réel du 24 avril 2015.

[10] En ce qui concerne le deuxième grief portant sur la convention collective, je rejette l’argument du fonctionnaire selon lequel il a été victime de harcèlement et de discrimination lorsque son superviseur, le surintendant Michael Cacchioni, s’est rendu à son poste, après avoir eu un échange animé au début du quart de travail du fonctionnaire, ce qui a causé un incident.

[11] Les témoignages des deux parties étaient radicalement différents en ce qui concerne leurs actes. Même s’il n’était pas sage de la part du surintendant Cacchioni de donner suite à l’échange animé survenu au début du quart de travail, de se rendre au poste du fonctionnaire et de tenter d’avoir une autre discussion en privé, je ne ferai pas droit au grief que pour ce motif.

[12] Étant donné ces conclusions relatives à la preuve, je conclus qu’il est tout aussi probable qu’improbable que le surintendant ait, comme il est allégué, confronté le fonctionnaire d’une manière hostile, grossière et peu professionnelle.

[13] En conséquence, je conclus que le fonctionnaire ne s’est pas acquitté de son fardeau d’établir l’existence d’une violation des dispositions de la convention collective portant sur l’élimination de la discrimination et du harcèlement.

[14] Étant donné cette conclusion relative à la preuve, je n’ai pas à me pencher sur l’argument de l’employeur selon lequel je n’ai pas compétence pour instruire le grief en ce qui a trait à l’allégation de harcèlement.

II. Contexte

[15] Trois des cinq griefs sont liés aux mesures disciplinaires et ont été renvoyés à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») en vertu de l’al. 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Cette disposition permet de renvoyer des griefs à l’arbitrage lorsqu’une mesure disciplinaire a été prise et qu’elle a entraîné le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire. Dans ces affaires, il incombe à l’employeur d’établir que la mesure disciplinaire était justifiée.

[16] Les parties ont fait valoir conjointement que la jurisprudence portée à la connaissance de la Commission et qui s’applique aux mesures disciplinaires est bien établie et remonte à l’affaire Wm. Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P‑162, [1976] B.C.L.R.B.D. No. 98 (QL) (« Wm. Scott »).

[17] Je résume cette jurisprudence comme suit dans Braich c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTESPF 47 :

[…]

15 Pour décider s’il y avait un motif de licenciement juste et raisonnable, la Commission cite souvent Wm. Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P‑162, [1976] B.C.L.R.B.D. No. 98 (QL) (« Scott »). Selon Scott, pour qu’un licenciement soit considéré comme étant juste, l’employeur doit d’abord se demander si l’employé lui a fourni un motif juste et raisonnable d’imposer une mesure disciplinaire quelconque. En deuxième lieu, l’employeur doit établir si la décision de licencier l’employé était une réaction excessive au vu des circonstances. En troisième lieu, si l’arbitre de grief estime que le licenciement était une mesure excessive, il ou elle doit décider quelles mesures justes et équitables doivent y être substituées (voir Scott, au paragraphe 13).

16 En ce qui concerne les deux premiers volets, Scott évalue la gravité de l’infraction, détermine si elle était préméditée ou spontanée, si l’employé avait de bons états de service de longue date, si une mesure disciplinaire progressive avait été mise à l’essai et, en dernier lieu, si le licenciement était conforme aux politiques établies de l’employeur ou si l’employé a été traité différemment en raison d’une sanction très sévère (voir le paragraphe 14).

[…]

 

[18] Je m’appuierai sur cette jurisprudence dans mon analyse des griefs liés aux mesures disciplinaires énoncés dans la section suivante.

III. Analyse

A. Les griefs liés aux mesures disciplinaires

1. Les dossiers 566‑02‑40774 et 40775 : Suspension de trois jours – trois incidents concernant des voyageurs insatisfaits

[19] Ce grief porte sur une suspension de trois jours imposée au fonctionnaire le 23 février 2014. Pour des raisons administratives, la Commission a ouvert deux dossiers concernant ce grief (566‑02‑40774 et 40775).

[20] Le fonctionnaire a fait valoir qu’un retard indu équivalait à une tolérance de ses actes, ce qui a donc vicié l’éventuelle mesure disciplinaire sous la forme de sa suspension de trois jours. Il a également soutenu que la preuve n’a pas permis d’établir qu’il avait agi de manière non professionnelle dans ses interactions avec les voyageurs. Il a fait valoir en outre que l’employeur n’avait pas tenu compte du fait que l’un des voyageurs concernés l’avait provoqué, ce qui justifiait sa réponse plus agressive.

[21] La preuve a permis d’établir que le fonctionnaire a participé à des interactions à des postes frontaliers avec des voyageurs au Canada et que ces derniers étaient insatisfaits de son niveau de professionnalisme.

[22] La lettre disciplinaire du fonctionnaire, qui découle de ses trois interactions avec les voyageurs insatisfaits et qui est datée du 8 février 2014, indiquait ce qui suit :

Le 28 juillet 2013 :

  • Un Canadien (qui sera appelé « Voyageur Ri ») et sa conjointe sont revenus d’un voyage d’une journée aux États‑Unis (É.‑U.). Le voyageur a déclaré qu’il avait des provisions dans le coffre de sa voiture. Après inspection, le fonctionnaire a découvert une douzaine de bières non déclarées et une bouteille d’herbicide interdite, laquelle ne pouvait pas être importée au Canada en petits lots.
  • Le fonctionnaire a effectué une fouille secondaire et a autorisé le voyageur à lui laisser l’herbicide. La lettre indiquait que le fonctionnaire n’avait pas rempli les documents nécessaires pour traiter l’herbicide qui lui avait été laissé.
  • Le voyageur s’est ensuite plaint que le fonctionnaire avait été grossier et agressif. Le voyageur a affirmé qu’il avait été réprimandé pour ne pas avoir une plaque d’immatriculation avant et qu’il avait été menacé que les choses auraient pu être bien pires pour lui parce qu’il n’avait pas déclaré correctement ses achats.
  • Le voyageur a soutenu qu’en raison de cette expérience, il s’est senti bafoué, embarrassé et menacé. Il a également affirmé que le fonctionnaire n’avait pas gardé son calme et qu’il avait été abusif.

 

Le 13 août 2013 :

  • Un citoyen canadien, Scott Munro, qui se rend régulièrement aux É.‑U. pour importer des pièces d’automobile destinées à sa petite entreprise, s’est présenté à la frontière et a déclaré qu’il transportait des articles d’origine américaine. Après inspection, le fonctionnaire a constaté que certains des articles contenaient des pièces portant une mention selon laquelle elles étaient fabriquées dans un pays tiers, mais assemblées aux É.‑U. avec d’autres pièces d’origine américaine.
  • S’en est suivi une discussion, au cours de laquelle le fonctionnaire a informé M. Munro qu’il devait payer un droit plus élevé pour les articles dont le contenu provenait d’un pays tiers, plutôt que le taux préférentiel applicable aux produits américains. M. Munro a contesté en disant qu’il avait importé les mêmes articles pendant des années et qu’il n’avait jamais été tenu de payer le droit plus élevé.
  • M. Munro a ensuite demandé à discuter avec un gestionnaire pour présenter ses arguments en faveur du tarif préférentiel à l’importation. Le fonctionnaire a ensuite discuté de la question dans le bureau de la surintendante par intérim, Tina Whitney. Le fonctionnaire a reçu l’ordre d’accorder à M. Munro le taux préférentiel.
  • Selon la lettre, la direction a remarqué que le fonctionnaire avait élevé la voix lors d’une situation qui s’envenimait et au cours de laquelle M. Munro semblait être provoqué.

 

Le 30 août 2013 :

  • Un autre incident est survenu avec le même voyageur, M. Munro. La lettre indiquait que la direction a entendu ce qui se passait et est intervenue pour gérer un échange chargé d’émotions au comptoir du poste frontalier et que le fonctionnaire a élevé la voix lors d’une discussion qui s’envenimait avec M. Munro.

 

[23] En conclusion, pour ces trois incidents, l’employeur a déterminé que la conduite du fonctionnaire manquait de professionnalisme. Il n’a pas su apaiser les interactions, ce qui contrevenait au « Code de conduite » (le « Code ») de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). L’employeur a également déterminé que le fonctionnaire avait fait preuve de négligence en ne consignant pas l’abandon des marchandises le 28 juillet. La lettre indiquait que le dossier disciplinaire du fonctionnaire était « vierge » et que la durée de son service, ainsi que le [traduction] « […] délai nécessaire pour rendre cette décision » ont été pris en considération dans la décision de le suspendre pendant trois jours sans solde.

[24] Afin de parvenir à cette conclusion, l’employeur s’est fié aux renseignements suivants, qui ont découlé de son enquête :

Le 28 juillet 2013 :

  • Le Voyageur Ri a envoyé un courriel à l’employeur le 3 août 2013 pour faire part de l’interaction insatisfaisante avec le fonctionnaire découlant du fait que ce premier n’avait pas correctement déclaré ses achats. Le courriel indiquait que l’attitude du fonctionnaire avait changé lorsqu’il a découvert l’erreur dans la déclaration des achats. Le voyageur a affirmé que le fonctionnaire était devenu si agressif qu’il lui a dit de mettre une plaque d’immatriculation à l’avant de sa voiture BMW. Le Voyageur Ri a écrit que lui et sa conjointe ont été interrogés de manière agressive au sujet de leurs achats au point qu’ils se sentaient embarrassés et que leur intégrité avait été bafouée. Le Voyageur Ri a conclu son courriel en déclarant qu’ [traduction] « il espérait pouvoir se remettre » de son interaction avec le fonctionnaire.
  • L’agent des services frontaliers (ASF) Mark Campbell était en service et travaillait avec le fonctionnaire lorsque l’incident avec le Voyageur Ri est survenu. La direction a demandé à l’ASF Campbell de consigner par écrit ses observations des événements en cause dans le cadre de l’enquête de l’employeur.
  • L’ASF Campbell a déclaré qu’il se souvenait des interactions et a écrit que le Voyageur Ri était [traduction] « sur la défensive » et qu’il avait tenté de minimiser le fait de ne pas avoir correctement déclaré les articles qu’il souhaitait importer.
  • L’ASF Campbell a aussi écrit : [traduction] « CWIKOWSKI n’a, à aucun moment, traité les voyageurs de façon grossière ou irrespectueuse. »
  • La note de service du fonctionnaire à l’intention de la direction, qui visait à faire rapport de l’incident, a confirmé la version de l’ASF Campbell, car il déclarait également que le Voyageur RI était [traduction] « arrogant et sur la défensive ».

 

[25] J’ai entendu le témoignage suivant du surintendant Cacchioni au sujet de cet incident :

  • Il a expliqué que, lors d’une conversation téléphonique le 28 août 2013, le Voyageur Ri lui a dit que ce qui l’avait le plus dérangé était la façon dont s’était déroulée l’interaction et le ton employé au cours de celle-ci.
  • Il a affirmé que le Voyageur Ri a souligné à quel point il se sentait bafoué et a dit qu’il avait peur de se rendre de nouveau aux É.‑U. parce qu’il craignait d’être accueilli de nouveau par le fonctionnaire à son retour au poste frontalier.
  • Il a mentionné que même si l’ASF Campbell lui a dit que le fonctionnaire n’avait rien fait de mal et que c’était plutôt la conduite du Voyageur Ri qui posait problème, le fait est que l’ASF Campbell n’a pas été témoin de la première inspection.
  • Il a répété que le Voyageur RI a affirmé sans fléchir être insatisfait et se sentir bafoué.
  • Il a témoigné qu’il a également tenu compte d’autres plaintes déposées contre le fonctionnaire pour parvenir à sa conclusion selon laquelle le fonctionnaire avait mal traité le voyageur.
  • Il a déclaré qu’il croyait ce que le Voyageur Ri lui avait dit et qu’il avait conclu que le fonctionnaire avait agi de façon non professionnelle.

 

[26] Je prends acte de l’explication de l’incident concernant le Voyageur Ri que le fonctionnaire a donné au surintendant Cacchioni lorsqu’il a eu l’occasion de s’expliquer dans une entrevue « prédisciplinaire » tenue le 3 octobre 2013, que l’employeur a résumé dans une note de service, laquelle est déposée comme pièce.

[27] Dans son argumentation, l’employeur a fait remarquer que le fonctionnaire a admis avoir été franc, qu’il avait indiqué que le véhicule n’était pas doté d’une plaque d’immatriculation avant, malgré le fait qu’une telle plaque d’immatriculation est exigée par la loi provinciale, et avoir dit au voyageur qu’il s’en est tiré à bon compte.

[28] L’explication du fonctionnaire était conforme à son témoignage sous serment livré devant moi en 2019. Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, j’ai constaté que l’explication correspondait aussi à mes conclusions de fait concernant cet incident.

[29] En guise de conclusion de fait, je considère que la mention du Voyageur Ri au sujet des remarques sur la fréquence à laquelle il a fait ce voyage sans incident et sur la conduite d’une voiture BMW est un signe qu’il était contrarié, et sans doute un peu embarrassé d’avoir été fouillé et d’avoir fait une fausse déclaration pour ce qui est des marchandises transportées.

[30] Je conclus également que la déclaration du Voyageur Ri selon laquelle il [traduction] « espérait pouvoir se remettre » de son expérience au passage frontalier démontre bien qu’il exagérait.

[31] Même si je retiens toutes les allégations du Voyageur Ri, je ne crois pas que l’affirmation exagérée selon laquelle il aurait besoin de se remettre de cet incident corresponde aux propos d’un observateur objectif et fiable qui peuvent être utilisés au cours d’une audience d’arbitrage.

[32] Plus important encore, je souligne que le seul observateur direct et témoin des interactions, l’ASF Campbell, que je considère comme désintéressé, a affirmé [traduction] « CWIKOWSKI n’a, à aucun moment, traité les voyageurs de façon grossière ou irrespectueuse. »

[33] Le surintendant Cacchioni a choisi de ne pas s’en remettre à l’ASF Campbell, affirmant qu’il n’avait pas observé la première inspection. Toutefois, pour les raisons que j’ai mentionnées, je privilégie les observations de l’ASF Campbell concernant les événements en question.

[34] Étant donné ces conclusions relatives à la preuve, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, l’employeur n’a pas répondu à la première étape de l’analyse de Wm. Scott pour établir qu’une mesure disciplinaire était justifiée à la suite de l’incident avec le Voyageur Ri le 28 juillet 2013.

[35] En ce qui concerne les deux incidents entre le fonctionnaire et le prochain voyageur, soit M. Munro, les faits suivants sont pertinents :

Le 13 août 2013 :

  • La surintendante par intérim Whitney était en service et travaillait dans son bureau lorsqu’elle a entendu l’échange verbal entre le fonctionnaire et M. Munro au comptoir d’accueil.
  • Elle a résumé ses observations dans une note de service datée du 29 novembre 2013.
  • Dans cette note de service, elle a déclaré qu’elle avait entendu un échange entre le fonctionnaire et M. Munro et que chacun avait haussé le ton.
  • Elle est intervenue et a demandé au fonctionnaire de venir à son bureau pour discuter de la question. Ce faisant, elle a observé que le fonctionnaire était visiblement contrarié. Elle a souligné que le fonctionnaire lui a expliqué la situation et qu’il a défendu son interprétation des règles pertinentes en matière de douanes et d’accise en ce qui concerne leur application aux marchandises commerciales de M. Munro.
  • Sa note de service indiquait qu’elle avait répondu que, compte tenu de la faible valeur en jeu de la petite cargaison, il ne valait pas la peine que le fonctionnaire et M. Munro se disputent à ce sujet.
  • Le fonctionnaire a répondu qu’il pouvait sans conteste exiger que M. Munro paie le droit et qu’il n’était pas tenu de l’écouter.
  • Rien dans la note de service de Mme Whitney n’indiquait que le fonctionnaire avait prononcé des injures à son endroit.

 

[36] J’ai entendu le témoignage suivant au sujet de cet incident :

Témoignage de la surintendante par intérim Whitney :

  • Elle a témoigné que, étant donné que son bureau se trouvait à proximité du comptoir d’accueil et que les propos échangés entre le fonctionnaire et M. Munro devenaient de plus en plus intenses, elle s’est levée de son bureau afin d’intervenir.
  • Elle a témoigné que les deux hommes étaient très bruyants, émotionnels et extrêmement contrariés.
  • Elle a expliqué que lorsqu’elle est intervenue dans la conversation, M. Munro a dit qu’il souhaitait discuter avec une personne de niveau supérieur au fonctionnaire, soit un gestionnaire, et que le fonctionnaire a répondu : [traduction] « Que diriez‑vous d’une amende? »
  • Elle a demandé au fonctionnaire de la suivre dans son bureau afin qu’elle puisse désamorcer la situation et en discuter avec lui en privé. Elle a expliqué que le problème tenait au fait que le fonctionnaire était passionné par la connaissance du système tarifaire et a déclaré que M. Munro n’avait pas les documents appropriés.
  • Elle a demandé les faits de la situation et a témoigné que les droits à payer s’élevaient à environ 16 $.
  • Elle a témoigné qu’après avoir pris connaissance des faits relatifs au problème du fonctionnaire, elle lui a dit qu’elle estimait que son interaction avec le voyageur allait dans la mauvaise direction.
  • Elle a affirmé avoir dit au fonctionnaire qu’elle souhaitait accorder au voyageur le bénéfice du doute sur ce voyage et qu’elle n’accepterait pas l’imposition d’une sanction administrative pécuniaire, car elle estimait qu’elle était trop sévère dans les circonstances.
  • Elle a témoigné que les allégations écrites de M. Munro, selon lesquelles il avait entendu le fonctionnaire lui adresser des injures et lui dire qu’il n’était pas tenu de l’écouter, n’étaient pas vraies.
  • Elle a confirmé que le fonctionnaire avait utilisé le juron [traduction] « c***** » en échangeant avec elle, mais que ce n’était pas à son endroit. Elle a ajouté que le fonctionnaire était contrarié et avait parlé fort au cours de la discussion dans son bureau et que M. Munro l’aurait entendu.
  • Elle a témoigné que le fonctionnaire était passionné et très bien informé dans son application des listes tarifaires et des dispositions législatives à ce sujet, mais qu’il était devenu très émotif et qu’elle a dû le retirer de ce dossier alors qu’elle cherchait à désamorcer la situation avec M. Munro parce qu’elle ne voulait plus que le fonctionnaire s’occupe de M. Munro.

 

Le 30 août 2013 :

  • La deuxième interaction en un mois avec le même voyageur, M. Munro, a amené ce dernier à envoyer une lettre à l’employeur dans laquelle il affirmait que lorsqu’il s’est présenté au bureau d’accueil en vue du traitement de ses documents d’importation, le fonctionnaire s’est adressé à lui.
  • Il a demandé à voir un superviseur. Il a affirmé que le fonctionnaire avait tenté de retirer les documents d’importation de ses mains et que le surintendant Cacchioni est intervenu et a éloigné le fonctionnaire du comptoir.

 

Témoignage du surintendant Cacchioni :

  • Il a déclaré qu’il travaillait dans son bureau et qu’il a entendu l’échange animé et les paroles dites à voix forte entre le fonctionnaire et M. Munro. À ce moment‑là, il les a approchés pour intervenir et atténuer la situation.
  • Le fonctionnaire avait un tempérament explosif, ce qui constituait une préoccupation, étant donné que les notes du fonctionnaire indiquaient qu’il était sur le point d’utiliser son vaporisateur de poivre pour se défendre contre M. Munro.
  • Le fonctionnaire a signalé que M. Munro l’avait menacé de violence.
  • Le fonctionnaire est un ASF formé et doit désamorcer et non aggraver les interactions difficiles, comme celle avec M. Munro.
  • Le surintendant a déclaré que, dans un suivi auprès de M. Munro, celui‑ci a admis avoir dit au fonctionnaire qu’il [traduction] « le battrait ». Toutefois, M. Munro a dit que cela avait été dit sous l’impulsion du moment.
  • Le surintendant a déclaré qu’il avait conclu que M. Munro n’avait aucune intention de donner suite à sa menace à l’endroit du fonctionnaire. Il a déclaré qu’il avait dit à M. Munro que sa conduite avait été inacceptable et qu’il ne pouvait pas choisir l’ASF qui le servirait au point d’entrée.

 

M. Munro était présent à l’audience et a témoigné au sujet des deux événements concernant le fonctionnaire et a dit ce qui suit :

  • Il avait traversé la frontière à cet endroit à maintes reprises au fil des ans avec essentiellement les mêmes pièces de machines que celles qu’il transportait lors de la nuit en question et il a dit qu’il n’avait jamais eu de problème auparavant.
  • Il a confirmé les rapports selon lesquels il avait entendu le fonctionnaire prononcer des jurons dans le bureau de la surintendante par intérim Whitney et qu’il avait entendu le fonctionnaire lui dire qu’il n’était pas tenu de l’écouter.
  • Il a dit que le fonctionnaire avait été grossier et qu’il avait menacé de lui imposer une amende, mais que la surintendante par intérim Whitney ne recommanderait pas cette mesure.
  • Il a nié le rapport d’incident en matière de sécurité du fonctionnaire qui indiquait qu’il avait traité le fonctionnaire de [traduction] « sale peureux » et qu’il avait dit au fonctionnaire qu’il [traduction] « le battrait ».
  • Il a ajouté que sa petite entreprise dépend de ses voyages fréquents aux É.‑U. en vue d’importer des pièces de machines et qu’il ne menacerait jamais un ASF, car cela pourrait mener à son arrestation et à ce qu’il perde la capacité de traverser la frontière pour mener ses affaires.
  • Il est arrivé de nouveau au poste frontalier le 30 août avec une cargaison similaire de pièces de machine et a été rencontré à la première inspection par le fonctionnaire, qui, dit‑il, a amorcé la conversation en demandant de manière arrogante [traduction] « L’avez-vous bien fait cette fois‑ci? ».
  • Il a répondu en lui demandant d’être servi par un autre ASF. Le fonctionnaire a répondu [traduction] « Vous ne pouvez pas choisir. »
  • Le fonctionnaire s’est alors approché de lui pour prendre sa déclaration et ses documents d’importation, mais M. Munro a refusé de les remettre au fonctionnaire. À ce moment‑là, le fonctionnaire a commencé à se mettre en colère.
  • Le surintendant Cacchioni est alors arrivé pour intervenir.
  • M. Munro a déclaré qu’il se sentait menacé pendant l’interaction avec le fonctionnaire en raison du mauvais caractère du fonctionnaire et du fait qu’il était armé.
  • En contre‑interrogatoire, M. Munro a admis ce qui suit :
    • avoir haussé le ton au comptoir d’accueil lorsqu’il s’adressait au fonctionnaire;
    • avoir levé la main vers le fonctionnaire dans un geste pour indiquer qu’il ne s’agissait pas de ses affaires.

 

[37] Je fais remarquer qu’un autre incident concernant le fonctionnaire a été signalé par un autre voyageur insatisfait (le Voyageur L), qui avait fait l’objet d’une inspection par le fonctionnaire et qui avait été trouvé en possession de marchandises commerciales non déclarées.

[38] Après avoir examiné la plainte de ce voyageur, le surintendant Cacchioni a conclu que le fonctionnaire n’avait pas agi de façon non professionnelle, car le voyageur avait [traduction] « clairement fait quelque chose de mal » et [traduction] « n’était pas aussi catégorique » dans sa plainte au sujet de la conduite du fonctionnaire.

[39] Je remarque à ce stade l’approche apparente du surintendant Cacchioni dans l’enquête des signalements d’inconduite de l’ASF. Pour tous les incidents dont il est question au cours de la présente audience, plus l’émotion exprimée par le voyageur insatisfait qui dépose la plainte est intense, plus le surintendant Cacchioni est susceptible de conclure que l’ASF a commis des actes répréhensibles.

[40] D’autre part, plus le niveau des actes répréhensibles commis par le voyageur est élevé, moins il sera conclu que l’ASF avait tort.

[41] Je conclus qu’aucun des facteurs qui semblaient influencer le surintendant Cacchioni n’a nécessairement quelque chose à voir avec les actes réels de l’ASF.

[42] La preuve a clairement établi que le Voyageur Ri et M. Munro avaient tous les deux fait quelque chose de mal, mais, apparemment, dans l’esprit du surintendant Cacchioni, leurs transgressions étaient mineures et ils se sont exprimés avec vigueur lorsqu’ils ont signalé leur insatisfaction à l’égard du fonctionnaire.

[43] Par conséquent, je conclus que, dans une large mesure, le surintendant semble avoir été influencé par le niveau d’intensité de l’insatisfaction des voyageurs relativement à la façon dont le fonctionnaire les a traités pour déterminer si le fonctionnaire avait commis un acte répréhensible.

[44] Cet arbitrage de griefs est une audience de novo, dans le cadre de laquelle il est permis de remédier aux irrégularités de procédure qui auraient pu entacher le traitement du dossier du fonctionnaire.

[45] Toutefois, je fais remarquer qu’il est problématique que l’employeur autorise des superviseurs chargés des enquêtes disciplinaires et de la prise de décisions d’être influencés par l’intensité des émotions d’un plaignant, plutôt que de se fier à d’autres éléments de preuve plus objectifs.

[46] Lors de son interrogatoire principal, en réponse à une question de conclusion concernant ces incidents, le surintendant Cacchioni a déclaré que le problème n’était pas le travail du fonctionnaire du point de vue technique, mais plutôt la façon dont il exécutait son travail.

[47] Dans son argumentation, l’avocate de l’employeur a soutenu que le fonctionnaire avait clairement enfreint le Code, car la preuve a établi le mauvais comportement de ce dernier, qui a mal traité les clients et haussé le ton de façon colérique au cours des deux interactions avec M. Munro.

[48] Plus particulièrement, l’employeur a cité l’article 10, intitulé « Rapports avec le public », pour étayer le fait que le comportement du fonctionnaire était inacceptable. L’article 10 énonce ce qui suit :

Nos valeurs liées au respect, à l’intégrité et au professionnalisme guident nos interactions avec le public. À titre d’employés de l’ASFC, nous démontrons ces valeurs de plusieurs façons, entre autres :

[…]

en ne faisant jamais des déclarations ou ne posant des gestes offensants, ironiques, menaçants, insultants, offensifs ou provocateurs à l’intention d’une personne ou à son sujet.

[…]

 

[49] L’avocate a souligné que les actes du fonctionnaire énoncés précédemment constituent des violations du Code. L’exactitude des actes est confirmée, selon elle, par les déclarations du fonctionnaire concernant le Voyageur Ri et les deux interactions animées et bruyantes avec M. Munro.

[50] L’avocate a souligné le témoignage du surintendant Cacchioni selon lequel les ASF doivent désamorcer les situations et traiter les voyageurs agités en évitant d’aggraver l’incident.

[51] L’avocate a déclaré qu’il est ressorti de la preuve que le fonctionnaire avait en fait causé ou exacerbé les émotions agitées des voyageurs au point où les interactions sont devenues problématiques.

[52] L’avocate de l’employeur a invoqué Purolator Courier Ltd. c. Public Service Alliance of Canada, [2005] C.L.A.D. No. 368 (QL), aux par. 48 et 49 (« Purolator »), pour appuyer la proposition selon laquelle un arbitre de différends devrait s’abstenir de remettre en question une réponse disciplinaire d’un employeur à une inconduite établie d’un employé, à moins que la réponse soit manifestement excessive et outrepasse la gamme de réponses disciplinaires raisonnables.

[53] L’avocate a fait remarquer que, récemment, dans Union of Calgary Co‑operative Employees c. Calgary Cooperative Association Limited, 2017 CanLII 11097 (AB GAA) (« Co‑op »), l’arbitre de différends Beattie a cité et approuvé la décision Purolator pour ce qui est de la réprimande des arbitres de différends qui procèdent au remplacement d’une sanction.

[54] Les deux affaires traitaient d’employés ayant fait l’objet de mesures disciplinaires pour avoir mal traité les clients et ne pas avoir respecté les normes élevées exigées par leur employeur.

[55] Effectuons une comparaison de ces affaires avec Touchette c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2019 CRTESPF 72, qui a été invoquée par le fonctionnaire. Touchette a été rendue récemment par la Commission et porte également sur un ASF qui a été dénoncé pour avoir dit à un client qu’il [traduction] « le ramènerait aux É.‑U. » à la suite d’une longue discussion qui a suscité des frustrations. L’incident est survenu parce que l’agent n’était pas en mesure d’obtenir une réponse claire à une question somme toute simple concernant la résidence du voyageur.

[56] L’ASF dans Touchette avait nié à l’origine avoir fait une telle déclaration, mais s’était ensuite rétracté et avait admis avoir commis un acte répréhensible. La Commission a conclu que malgré le fait qu’il ait modifié sa version, il n’avait pas en fait menti et que les longues années de service sans aucune mesure disciplinaire n’avaient pas été bien prises en considération par l’employeur lorsqu’il lui a imposé une suspension de deux jours sans solde.

[57] En général, je suis d’avis que les arbitres de griefs doivent procéder avec prudence avant de conclure qu’une sanction donnée est excessive.

[58] J’aurais pu être persuadé de suivre le raisonnement dans Purolator et Co‑op si le fonctionnaire n’avait fait valoir aucun facteur atténuant nécessitant une intervention de ma part.

[59] Toutefois, si, en raison d’un nouvel élément, la mesure disciplinaire est manifestement injuste, comme le soutient le fonctionnaire en l’espèce, un arbitre de grief doit intervenir de manière à conclure que la sanction est excessive et à la remplacer par une mesure disciplinaire juste.

[60] Le représentant du fonctionnaire a soutenu ce qui suit :

  • Comme la mesure disciplinaire n’a pas été imposée en temps opportun, les actes du fonctionnaire ont été tolérés;
  • étant donné le cadre établi dans Wm. Scott pour ce qui est de l’examen des mesures disciplinaires, je dois conclure que, pour toutes les interactions contestées, aucune mesure disciplinaire n’était justifiée;
  • subsidiairement, si une mesure disciplinaire était justifiée lors d’une ou de toutes les interactions, la perte de trois jours de rémunération était excessive et non justifiée, lorsque tous les facteurs atténuants sont pris en considération.

 

[61] J’analyserai chacun des arguments du fonctionnaire.

a. L’argument du fonctionnaire selon lequel la lenteur à imposer des mesures disciplinaires constitue de la tolérance

[62] En ce qui concerne la suspension de trois jours, les dates qui suivent sont en litige :

  • Le 28 juillet 2013 : Le Voyageur Ri a eu une interaction insatisfaisante avec le fonctionnaire.
  • Le 3 août 2013 : Le courriel du Voyageur Ri a été reçu. Dans ce courriel, ce dernier fait état de son insatisfaction.
  • Le 13 août 2013 : Le premier incident avec M. Munro est survenu.
  • Le 25 août 2013 : Le surintendant Cacchioni a téléphoné au Voyageur Ri.
  • Le 28 août 2013 : Le surintendant Cacchioni a demandé au fonctionnaire de lui donner sa version des événements concernant le Voyageur Ri.
  • Le 30 août 2013 : Le deuxième incident avec M. Munro est survenu.
  • Le 3 octobre 2013 : La réunion prédisciplinaire du fonctionnaire a eu lieu.
  • Le 8 février 2014 : La lettre disciplinaire a été donnée au fonctionnaire en vue de l’informer des incidents qui ont donné lieu à sa suspension de trois jours sans solde.

 

[63] Le fonctionnaire a invoqué Chopra c. Administrateur général (ministère de la Santé), 2016 CRTEFP 89 (Chopra 2016), dans laquelle il est affirmé que le fait de ne pas réaliser des enquêtes ou prendre des mesures disciplinaires en temps opportun constitue de la tolérance à l’égard de l’inconduite alléguée.

[64] Toutefois, je conclus que cette décision ne s’applique pas en l’espèce, car les faits diffèrent considérablement de ceux en l’espèce.

[65] Comme cela a été expliqué dans une décision antérieure rendue par la Cour fédérale, qui a renvoyé l’affaire à l’arbitre de grief (voir Chopra c. Canada (Procureur général), 2014 CF 246; (Chopra CF), confirmée dans Chopra c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 205), le fonctionnaire s’estimant lésé dans cette affaire, soit le Dr Shiv Chopra, et une collègue étaient employés en tant qu’évaluateurs dans un processus d’évaluation dans le cadre duquel leurs opinions concernant des médicaments vétérinaires ont donné lieu à leur approbation aux fins d’utilisation sur les animaux. Selon les évaluateurs, leurs préoccupations selon lesquelles les médicaments vétérinaires avaient des répercussions potentielles sur les humains n’ont pas été prises en considération. Après s’être prévalu des recours en place au Ministère, ils ont discuté de ce dossier en public, dans les médias et au Sénat. Leurs actes ont donné lieu à différents processus disciplinaires qui se sont étirés, à de nombreux griefs et à de nombreux contrôles judiciaires, qui ont abouti au licenciement du Dr Chopra.

[66] La Cour fédérale, dans un de ces contrôles judiciaires (Haydon c. Canada, 2000 CanLII 16081 (CF), [2001] 2 CF 82), a conclu que le fait que le Dr  Chopra a exprimé son avis concernant les risques de préjudice pour la population découlant des décisions de Santé Canada constituait une divulgation justifiée des politiques mettant en danger la vie, la santé ou la sécurité du public, ce qui constituait une exception à l’obligation de loyauté envers son employeur (voir la décision de la Cour fédérale aux par. 15 à 19).

[67] Je souligne les extraits suivants de Chopra 2016 :

[…]

8 Aux paragraphes 109, 110, et 196 à 198 de sa décision, la Cour fédérale [dans Chopra CF] a résumé les principes juridiques pertinents quant à la tolérance, lesquels ont été abordés dans les motifs de la présente décision. Toutefois, la Cour fédérale a formulé certaines observations quant aux faits de l’espèce présentés par les fonctionnaires et qui sont pertinents à cette nouvelle audience.

9 Au paragraphe 205 de sa décision, la Cour fédérale a déclaré que « […] il s’agissait de déterminer [si les fonctionnaires] avaient été avertis en temps opportun que leur employeur estimait que leurs propos justifiaient la prise de mesures disciplinaires. » La Cour fédérale a conclu que le défaut de l’employeur d’avertir les fonctionnaires que leurs propos justifiaient la prise de mesures disciplinaires devait être considéré dans le contexte des commentaires positifs que le sous‑ministre a faits en ce qui concerne les témoignages du Dr Chopra et de la Dre Haydon devant un comité sénatorial. La Cour fédérale a indiqué que le témoignage des fonctionnaires devant le comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts comprenait des critiques au sujet des compétences de leurs superviseurs et des allégations de pressions et de mesures de représailles.

10 Au paragraphe 208 de sa décision, la Cour fédérale a conclu que les fonctionnaires avaient été informés que les processus de recherche des faits n’étaient pas de nature disciplinaire et que l’employeur les avait laissés « faire de nombreuses déclarations publiques au cours d’une longue période, sans jamais les informer que, à son avis, leurs propos justifiaient la prise de mesures disciplinaires ».

11 La Cour fédérale a conclu que l’employeur était au courant des commentaires et elle a conclu qu’il n’existe aucun argument selon lequel le retard d’imposer une mesure disciplinaire pouvait être justifié au motif que l’employeur n’en avait eu connaissance que peu de temps auparavant.

12 La Cour a également indiqué que Mme Kirkpatrick était au courant que les fonctionnaires avaient l’intention de faire des dénonciations avant qu’ils reçoivent les commentaires, au moins à deux occasions, et qu’elle ne leur avait pas demandé de s’abstenir de le faire, mais qu’elle leur avait plutôt rappelé leurs responsabilités en tant que fonctionnaires (voir le paragraphe 210).

13 Au paragraphe 211 de sa décision, la Cour fédérale a souligné que, même si Mme Kirkpatrick a rédigé une lettre à l’intention de l’avocat des fonctionnaires (le 31 juillet 2003) soulignant que les activités inappropriées pourraient entraîner la prise de mesures disciplinaires, « […] elle n’a jamais informé le Dr Chopra et la Dre Haydon, […] qu’elle jugeait leurs propos inappropriés ».

14 Au paragraphe 212 de sa décision, la Cour fédérale a également conclu que rien ne donne à penser, dans les faits rapportés par l’employeur, qu’il y avait eu un [traduction] « […] “incident culminant” après lequel il n’était plus possible pour l’employeur de se montrer tolérant ».

15 Au paragraphe 214 de sa décision, la Cour fédérale a souligné que, même s’il était raisonnable que l’employeur attende le rapport d’enquête du Bureau de l’intégrité de la fonction publique (le « BIFP ») (en date du 21 mars 2003), cela ne justifie pas les huit autres mois écoulés avant la prise de mesures disciplinaires contre le Dr Chopra et les 10 autres mois écoulés avant la prise de mesures disciplinaires contre la Dre Haydon.

[…]

18 La Cour fédérale a également déclaré ce qui suit :

[218] Je ne suis pas prête à formuler des hypothèses sur ce que les demandeurs auraient ou n’auraient pas fait s’ils avaient été visés, en temps opportun, par des mesures disciplinaires pour s’être exprimés en public. Les principes établis dans la jurisprudence arbitrale relativement au retard à prendre des mesures disciplinaires et au concept de tolérance visent à faire en sorte que les employés aient l’occasion de modifier un comportement qui, selon l’employeur, justifie la prise de mesures disciplinaires. Le Dr Chopra et la Dre Haydon étaient peut‑être conscients de la possibilité que des mesures disciplinaires soient prises, mais ils n’ont jamais eu l’occasion de décider de façon éclairée s’il convenait qu’ils prennent le risque de continuer à faire des déclarations publiques étant donné que leur employeur ne les a pas informés, avant de prendre des mesures disciplinaires à leur encontre, qu’il estimait que leurs propos justifiaient la prise de mesures.

[219] Encore une fois, je n’ai pas à me prononcer sur les conséquences que tout cela a eues; cette tâche incombait à l’arbitre qui devait mettre en balance l’explication fournie par Santé Canada pour justifier son retard et le préjudice, s’il en est, que ce retard a causé aux Drs Chopra et Haydon. Or, en l’espèce l’arbitre ne s’est aucunement livré à cet exercice.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[68] Selon les éléments de preuve dont je dispose, le fonctionnaire a fait l’objet d’une mesure disciplinaire à l’égard d’un comportement inacceptable, qui selon moi est bien établi, lorsqu’il s’est occupé d’un client. Il aurait dû savoir que ses réponses colériques et son manque de sang‑froid étaient inacceptables et ne pouvaient être justifiés par le fait qu’il appliquait à bon droit les règles tarifaires et le fait d’être provoqué par le mauvais comportement et la colère d’un client.

[69] Les éléments de preuve dont je suis saisi permettent également d’établir clairement que la surintendante par intérim Whitney avait averti le fonctionnaire lors de son premier incident avec M. Munro que son comportement donnerait lieu au dépôt d’une plainte contre lui.

[70] Comparons cela avec le passage que j’ai souligné dans Chopra 2016, où le fonctionnaire s’estimant lésé se sentait justifié d’exprimer son avis médical concernant la santé humaine. En fait, il s’est exprimé à maintes reprises, sans faire l’objet d’une sanction par la direction. Après des années de litiges, il a été conclu que sa conduite était justifiée en droit.

[71] De plus, dans Chopra 2016, les événements en litige, au cours desquels le fonctionnaire a exprimé son avis, se sont déroulés sur une très longue période, dépassant largement les quelque neuf semaines en l’espèce, soit du premier incident avec le Voyageur Ri jusqu’à la réunion prédisciplinaire en octobre.

[72] Pour les raisons que je viens de mentionner, j’accepte l’argument de l’avocate de l’employeur sur ce point, j’établis une distinction entre les faits de l’espèce et les conclusions tirées dans Chopra 2016 et je conclus que l’employeur n’a toléré en aucun cas le comportement répréhensible du fonctionnaire.

b. Argument du fonctionnaire selon lequel aucune mesure disciplinaire n’était justifiée

[73] En premier lieu, cet argument du fonctionnaire était fondé sur le fait qu’il s’était senti offensé, ce qui selon moi était à la limite de l’indignation morale, car ses interactions avec M. Munro se sont aggravées en raison du fait qu’il semblait être le seul agent de l’ASFC au point d’entrée d’Osoyoos qui connaissait assez bien la liste tarifaire pour l’appliquer aux importations présentées par M. Munro.

[74] J’ai entendu beaucoup de témoignages qui ont permis d’établir que le fonctionnaire avait effectivement raison de vouloir appliquer le tarif aux importations de M. Munro. Le surintendant Farren Schumaker l’a d’ailleurs admis.

[75] Je fais remarquer en deuxième lieu que la prochaine interaction problématique avec M. Munro découlait du fait que ce dernier avait voulu éviter le fonctionnaire et avait demandé à parler à un autre ASF. Or, ce comportement s’avère problématique puisque, dans son témoignage, le surintendant Cacchioni a affirmé avoir dit à M. Munro qu’il ne pouvait pas choisir son ASF à un point d’entrée.

[76] De plus, cette interaction a rapidement dégénéré dans la colère et l’acrimonie; le fonctionnaire a dit que M. Munro l’avait menacé (ce que M. Munro a confirmé) et qu’il avait envisagé d’utiliser son vaporisateur de poivre. C’est pourquoi le fonctionnaire croyait qu’il était justifié d’adopter une position plus agressive avec M. Munro.

[77] À l’inverse, le fonctionnaire a affirmé que, selon l’employeur, il avait manqué d’intuition, avait fait preuve d’une mauvaise compréhension et n’avait montré aucun remords relativement à ses actes, car il avait blâmé M. Munro pour les deux incidents.

[78] Comme il est mentionné précédemment, je conclus que la preuve de l’employeur n’était pas claire, logique et convaincante, comme l’exige la prépondérance des probabilités, pour lui permettre de s’acquitter de son fardeau d’établir que l’imposition d’une mesure disciplinaire était justifiée en raison des interactions du fonctionnaire avec le Voyageur Ri.

[79] Toutefois, je suis d’accord avec l’employeur pour dire que les questions relatives à la bonne interprétation du tarif par le fonctionnaire et les autres questions liées aux actes de M. Munro ne justifiaient pas que le fonctionnaire devienne manifestement agité et de plus en plus en colère.

[80] Le fait qu’il a été établi que le fonctionnaire avait bien interprété le tarif n’a aucune conséquence.

[81] La surintendante par intérim Whitney a clairement tenté d’expliquer au fonctionnaire que le paiement à verser pourrait s’élever en tout et partout à 16 $, ce qui, à son avis, ne valait pas la peine de causer l’incident qui s’est rapidement aggravé avec M. Munro.

[82] Elle a même tenté d’aider le fonctionnaire en mettant tout en perspective lorsqu’elle lui a dit, dans son bureau [traduction] : « La situation prend une mauvaise tournure et une plainte risque d’être déposée. »

[83] Ces propos auraient dû permettre au fonctionnaire de se rendre compte que son comportement était inacceptable.

[84] Toutefois, le témoignage de Mme Whitney a permis d’établir que même dans le bureau, le fonctionnaire, n’étant plus confronté à M. Munro, était tout aussi bruyant et agité. M. Munro a affirmé qu’il pouvait entendre la voix forte du fonctionnaire à l’intérieur du bureau à partir du comptoir d’accueil.

[85] Comme je l’ai fait remarquer, la surintendante par intérim Whitney a témoigné que le fonctionnaire était extrêmement contrarié, qu’il hurlait, qu’il était en colère et qu’il avait prononcé le juron [traduction] « c***** » pour appuyer ses propos lors de leur discussion.

[86] Aucune partie de son témoignage n’a été contestée. Je conclus qu’elle était crédible à titre de témoin et qu’elle n’a participé d’aucune façon à l’enquête et à l’imposition de la mesure disciplinaire au fonctionnaire.

[87] Le fonctionnaire a soutenu qu’il avait raison dans son interprétation et dans l’application de la liste tarifaire et que le point de vue erroné de ses gestionnaires sur la question était à l’origine de son différend avec M. Munro.

[88] Je ne suis pas du même avis. Aucune différence d’opinions relative aux règles et aux procédures ne peut justifier la colère et les injures en milieu de travail, ce qui constitue un manque de professionnalisme.

[89] Le fonctionnaire a également affirmé que, après avoir été menacé par M. Munro, il avait eu raison de réagir vigoureusement. Je ne suis pas du même avis.

[90] La preuve a permis d’établir qu’au cours de leur altercation verbale animée, M. Munro a dit qu’il [traduction] « battrait » le fonctionnaire. Le fonctionnaire a indiqué qu’à ce moment‑là, il a envisagé d’utiliser son vaporisateur de poivre en direction de M. Munro, pour se défendre.

[91] À l’audience, les parties ont présenté des éléments de preuve et des arguments sur le recours à la force approprié. J’ai conclu qu’ils n’étaient pas pertinents en l’espèce.

[92] Il s’agissait d’un examen du fonctionnaire, qui était devenu agité et qui n’avait pas réussi à désamorcer la situation, laquelle aurait dû être une transaction routinière avec un voyageur.

[93] Le fait que le fonctionnaire ait participé à une discussion si animée au comptoir d’accueil et qu’il ait envisagé d’utiliser son vaporisateur de poivre contre le voyageur constitue un problème.

[94] Si un ASF est menacé et doit recourir à des armes défensives, les armes doivent être utilisées conformément à la formation reçue afin d’éviter que l’intervention soit perturbée par une forte agitation au point où l’ASF en vienne à hausser le ton et à proférer des injures, même après avoir été retiré du face à face et être entré dans le bureau privé de la surintendante.

[95] Pour ces motifs, je retiens les arguments de l’employeur selon lesquels une mesure disciplinaire était justifiée en raison du comportement inacceptable du fonctionnaire, lequel est devenu très agité et s’est comporté de manière non professionnelle dans ses rapports avec M. Munro, ce qui est contraire au Code, comme je l’ai mentionné précédemment.

[96] La première étape de l’analyse établie dans Wm. Scott penche en faveur de l’employeur.

c. Argument du fonctionnaire selon lequel une suspension de trois jours était inéquitable

[97] Le fonctionnaire a également soutenu que l’employeur a réagi aux différents problèmes dans un délai déraisonnable et injustifié. Plus de cinq mois se sont écoulés avant que l’employeur ne remette enfin au fonctionnaire une lettre disciplinaire en février 2014 pour l’informer qu’il faisait l’objet d’une suspension de trois jours sans solde.

[98] Le fonctionnaire a indiqué que les mesures disciplinaires en milieu de travail sont essentiellement de nature corrective lorsqu’elles visent un comportement inacceptable. Il s’agit d’un principe bien établi en jurisprudence arbitrale (voir, par exemple, Hyslop c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2019 CRTESPF 29, au par. 115).

[99] Le fonctionnaire a également invoqué le paragraphe 29 de Chopra 2016, dans lequel le fonctionnaire s’estimant lésé soutenait que le retard indique de la tolérance, à l’appui de la proposition selon laquelle une mesure disciplinaire doit être prise rapidement :

29 L’avocat s’est également appuyé sur les quatre facteurs de tolérance établis dans Canadian Union of Public Employees, Local 1718 v. Stapleford Medical Management Inc., [2007] S.L.A.A. No. 3 (QL) au paragr. 81 :

 

[Traduction]

[…]

1. un retard déraisonnable peut indiquer une tolérance de l’employeur;

2. le droit de l’employé à l’équité procédurale doit être préservé;

3. un retard prive effectivement le fonctionnaire de la possibilité de se défendre;

4. l’exigence relative à une mesure disciplinaire rapide est un principe arbitral général applicable, même en l’absence d’un préjudice ou d’une iniquité pour l’employé.

 

[100] Même si je conclus que la durée du processus disciplinaire était longue et qu’aucune explication n’a été fournie pour justifier le retard de l’employeur, surtout étant donné la nature relativement simple des allégations, rien dans la preuve ne me permet d’établir que le fonctionnaire ait pu subir un préjudice. En fait, dans sa plaidoirie finale, aucune allégation de préjudice n’a été présentée pour lui permettre d’assurer sa défense sur ce point.

[101] Je ne suis pas non plus en mesure de conclure que, compte tenu du temps écoulé, le fonctionnaire aurait pu à tort être amené à croire inconsciemment que sa conduite lors des interactions avec M. Munro était acceptable.

[102] Il ressort de la preuve que le fonctionnaire avait été informé pendant le premier incident avec M. Munro, par la surintendante par intérim Whitney, que sa conduite donnerait lieu à une plainte contre lui, ce qui est contraire aux faits à l’appui de l’argument selon lequel le retard dans l’imposition d’une mesure disciplinaire indique de la tolérance, comme il a été établi dans Chopra 2016.

[103] L’employeur a admis que le processus disciplinaire n’a pas été mené de manière rapide, comme l’explique la lettre disciplinaire de février selon laquelle tous les facteurs aggravants et atténuants avaient été pris en considération, [traduction] « […] ainsi que le délai nécessaire pour rendre la décision. »

[104] En conclusion, en ce qui a trait au grief concernant la suspension de trois jours sans solde, je conclus que le premier événement visé par le rapport faisant état de l’insatisfaction du Voyageur Ri ne justifiait aucune mesure disciplinaire en raison de l’absence d’une preuve claire et convaincante d’une inconduite.

[105] Je conclus que les deux incidents avec M. Munro justifiaient une mesure disciplinaire. Il a été établi que la conduite du fonctionnaire au cours des deux événements était incompatible avec le Code.

[106] J’accepte l’argument de l’employeur selon lequel il a tenu compte du retard dans l’exécution du processus disciplinaire donnant lieu à la suspension de trois jours.

[107] Compte tenu de ma conclusion selon laquelle le premier des trois incidents sur lesquels s’appuie le calcul de trois jours n’est pas étayé par la preuve dont je dispose, je conclus que ce nombre est inéquitable dans toutes les circonstances et je le remplace par une suspension d’une journée sans solde.

2. Dossiers 566‑02‑13057/13058 : Suspension de cinq jours – blessure et injures proférées

[108] Ce grief concerne une suspension de cinq jours sans solde. Tout comme le grief précédent, la Commission a ouvert deux dossiers à l’égard de cette affaire pour des raisons administratives (566‑02‑13057 et 13058).

[109] Le fonctionnaire a admis qu’il avait prononcé plusieurs blasphèmes et qu’il avait haussé le ton après qu’un chauffeur de semi‑remorque a desserré ses freins à air, ce qui a blessé le fonctionnaire pendant qu’il était en service au poste frontalier d’Osoyoos. Sa blessure et la douleur terrible qu’elle lui a causées ne sont pas contestées.

[110] Le fonctionnaire a expliqué que, la veille de cet incident, un autre véhicule s’était approché de sa guérite à la voie d’inspection primaire (VIP) et l’un de ses pneus avait éclaté au moment d’arriver devant lui. Il a témoigné que les véhicules ne sont qu’à une distance de 24 pouces de lui lorsqu’il ouvre la fenêtre de sa guérite pour s’avancer et prendre les documents des chauffeurs.

[111] Le fonctionnaire a dit que l’éclatement du pneu a causé un bruit tellement fort qu’il croyait d’abord qu’il s’agissait d’un coup de feu. Il a dit qu’il était resté assis et abasourdi pendant quelques instants et a ensuite vérifié s’il ne saignait pas. Il a dit qu’il avait également vérifié autour de lui pour voir si le coup de feu avait brisé les vitres de la guérite.

[112] Le fonctionnaire a témoigné que son superviseur, le surintendant Cacchioni, a couru immédiatement dehors pour vérifier ce qui se passait. Le surintendant Cacchioni a dit qu’il avait entendu une forte détonation et qu’il a demandé si un coup de feu avait été tiré. Le fonctionnaire a dit qu’il était ébranlé et qu’il a eu mal à la tête subitement.

[113] Le fonctionnaire a témoigné que le surintendant Cacchioni l’a aidé à se rendre au bureau et il lui a demandé s’il se sentait bien ou s’il devait rentrer chez lui. Le fonctionnaire a dit qu’il pensait que tout irait bien et il est resté dans le bureau pendant une heure. À la fin de son quart de travail, le fonctionnaire est rentré chez lui.

[114] Il a dit que lorsqu’il est arrivé chez lui, il a décidé de ne pas consulter un médecin et il s’est couché avec un mal de tête. Il était encore ébranlé.

[115] Le lendemain, il est retourné au travail, encore à la guérite de la VIP pour accueillir les véhicules. Il a affirmé que, malgré les panneaux d’avertissement affichés à proximité des bureaux de l’ASFC, une grande semi‑remorque s’est approchée de sa guérite. La semi-remorque s’est arrêtée directement devant lui, littéralement à quelques pouces de lui, et le chauffeur a malencontreusement desserré ses freins à air, ce qui a causé un bruit très fort, sec et soudain.

[116] Le fonctionnaire a témoigné que la force de l’impact de la surpression l’a fait tomber de son fauteuil sur le plancher de sa guérite. Il a dit que le bruit était tellement fort et lui avait fait tellement mal qu’il avait l’impression qu’un couteau tranchant lui avait transpercé les oreilles.

[117] La preuve non contestée indique que d’autres employés au poste frontalier ont entendu le son et ont été témoins de son impact sur le fonctionnaire. Cet incident était si préoccupant qu’un autre ASF a accouru immédiatement au poste du fonctionnaire pour s’assurer que ce dernier allait bien et lui offrir de l’aide. L’ASF a pris le relais et a procédé au dédouanement de la semi‑remorque.

[118] Le surintendant Chris Babakaiff a témoigné qu’il était en service à l’intérieur de son bureau dans l’immeuble à proximité d’où le fonctionnaire accueillait les véhicules le soir de l’incident. Le surintendant Babakaiff a indiqué avoir entendu le bruit fort des freins à air qui se desserraient, puis les quatre ou cinq commentaires qui ont suivi, dont des jurons, prononcés à l’endroit du chauffeur commercial.

[119] Le surintendant Babakaiff a témoigné que, lorsqu’il est sorti de l’immeuble, le fonctionnaire était contrarié, en colère et éprouvait de toute évidence de la douleur. Il a dit au fonctionnaire qu’il recevrait de l’aide et des soins médicaux. Il a ajouté qu’il avait dit au fonctionnaire que les injures prononcées à l’endroit du chauffeur étaient inacceptables et que la direction [traduction] « se pencherait sur l’incident ».

[120] L’ASF David Lonstrup a témoigné qu’il était en service la nuit de l’incident des freins à air et que son superviseur lui avait demandé de rédiger un rapport sur ses observations à ce sujet.

[121] Il a témoigné que, même s’il n’avait aucun souvenir indépendant de l’événement, il a examiné son rapport et a confirmé que, selon celui-ci, il avait entendu le bruit fort causé par le camion qui desserrait ses freins à air, puis entendu un juron fort, [traduction] « c***** » provenant de la guérite où se trouvait le fonctionnaire.

[122] Il a ajouté que sa note indiquait qu’il avait alors entendu le fonctionnaire dire : [traduction] « les c***** de freins à air. » En contre‑interrogatoire, à la question de savoir si les injures avaient été prononcées à l’endroit de quelqu’un, il a répondu qu’il ne le savait pas.

[123] Le fonctionnaire a admis en interrogatoire principal que la douleur sévère qu’il a éprouvée a fait en sorte qu’il a juré à haute voix. Il a également témoigné que nul n’était visé par les injures; au contraire, il exprimait simplement sa douleur et sa frustration à l’égard de la situation.

[124] Dans son témoignage principal, le fonctionnaire a déclaré que même s’il a [traduction] « laissé sortir » des injures à l’égard du chauffeur, il a dit qu’il n’a jamais parlé au chauffeur et qu’il n’a pas juré à l’endroit de celui‑ci non plus. Au contraire, il a expliqué qu’il avait juré en raison de la situation. Il a également reconnu que le chauffeur aurait entendu ses injures.

[125] L’avocate de l’employeur a fait remarquer dans son argumentation que dans son courriel du 25 juin 2014 à l’intention du surintendant Cacchioni, le fonctionnaire a admis qu’il avait utilisé un langage coloré de [traduction] « camionneurs » lorsqu’il s’était adressé au chauffeur qui avait causé la blessure du fonctionnaire en desserrant ses freins à air.

[126] Elle a également relevé le rapport d’incident, selon lequel le fonctionnaire était très contrarié parce qu’il croyait que le chauffeur aurait pu desserrer intentionnellement ses freins dans le but de le blesser et, par conséquent, le fonctionnaire souhaitait que l’incident fasse l’objet d’une enquête.

[127] Dans son argumentation sur cette question, l’avocate de l’employeur a également laissé entendre que le fonctionnaire avait fait des aveux de culpabilité, lesquels auraient été obtenus dans le cadre de l’interrogatoire de l’employeur au cours de ce que l’ASFC a appelé une [traduction] « audience prédisciplinaire », tenue le 2 août.

[128] La déclaration qu’aurait faite le fonctionnaire a été consignée dans une note par courriel le 4 août 2014 par le surintendant Cacchioni. Elle indique que le fonctionnaire a hurlé au chauffeur : [traduction] « Que faites‑vous c*****? », [traduction] « C*****, à quoi pensez‑vous c*****? » Il a alors hurlé [traduction] « c***** » à l’endroit du chauffeur quatre ou cinq fois. La note indiquait que le fonctionnaire avait confirmé ces déclarations et a ajouté qu’il éprouvait une douleur extrême et qu’il était extrêmement en colère contre le chauffeur.

[129] Selon la note de service, on avait aussi demandé au fonctionnaire pourquoi il ne s’était pas servi de ce qu’il avait appris dans sa formation sur les [traduction] « compétences interpersonnelles », qu’il avait dû suivre à la suite de démêlés antérieurs avec des voyageurs.

[130] D’après la note de service, le fonctionnaire a répondu que tout s’était passé très rapidement et qu’il n’avait pas réfléchi. Il a dit qu’il éprouvait une douleur extrême et qu’il avait affaire à un camionneur, et non à un voyageur, et qu’il utilisait un langage que le camionneur comprendrait.

[131] L’avocate de l’employeur a signalé ce courriel comme s’il s’agissait d’un aveu de culpabilité de la part du fonctionnaire.

[132] Je n’accorde aucune valeur probante à ce courriel.

[133] La note de service en soi constitue une preuve par ouï‑dire préjudiciable dans la mesure où elle vise à attribuer des aveux de culpabilité au fonctionnaire. J’estime que ce courriel est fondé entièrement sur du ouï‑dire et qu’il n’est pas suffisamment fiable. C’est pourquoi je ne lui accorde aucune valeur probante dans ces circonstances.

[134] Si l’ASFC souhaitait présenter une preuve des aveux préjudiciables, elle aurait mieux fait de fournir une déclaration plus fiable, comme une déclaration signée par le fonctionnaire ou un enregistrement audio de son entrevue.

[135] Le fonctionnaire a soutenu que je devrais rendre une conclusion défavorable en matière de crédibilité à l’égard de l’auteur de cette note de service, soit le surintendant Cacchioni. Je me pencherai sur cet argument plus loin dans la présente décision.

[136] Pour trancher les griefs relatifs à cet incident, je tiendrai attentivement compte des éléments de preuve qui ont été produits et que j’ai jugés fiables.

[137] Dans son témoignage au sujet de cet incident, le surintendant Cacchioni a dit qu’il n’était pas présent et qu’il n’avait aucune connaissance directe de l’incident. Cependant, il avait interrogé les employés en service au même moment que le fonctionnaire, qui pouvaient avoir été témoins de l’incident, et il leur avait demandé de lui remettre des déclarations écrites.

[138] Il a témoigné que lorsqu’il a interrogé le fonctionnaire à la réunion prédisciplinaire, le fonctionnaire n’a exprimé aucun remords sincère pour ses propos grossiers. Il a plutôt blâmé le camionneur et a même laissé entendre que l’incident aurait pu être intentionnel.

[139] Il a ajouté que le fonctionnaire avait déjà suivi un cours de trois jours pour régler son problème de colère et apprendre à bien gérer les situations difficiles.

[140] Le surintendant Cacchioni a ensuite dit que la formation était nécessaire en raison de plusieurs incidents concernant le fonctionnaire et que, de toute évidence, le cours n’avait été d’aucune utilité le soir de l’incident.

[141] En contre‑interrogatoire, le surintendant Cacchioni a déclaré qu’il n’avait pas pris la peine d’obtenir une déclaration du camionneur parce qu’il avait présenté des excuses et avait admis son erreur. Il a ensuite ajouté que le fonctionnaire s’était de toute évidence mal conduit et qu’il n’avait donc pas besoin d’enquêter davantage.

[142] À la question de savoir s’il était au courant de la blessure du fonctionnaire causée par l’incident des freins à air ou si l’employeur contestait la blessure, le surintendant Cacchioni a répondu longuement, de façon détournée et ambiguë. Il a dit qu’il n’avait suivi aucune formation médicale et qu’il ne spéculerait pas sur l’état de santé du fonctionnaire.

[143] En contre‑interrogatoire, on a demandé au surintendant Cacchioni s’il était vrai qu’on lui avait présenté la lettre de la médecin traitante du fonctionnaire en date du 10 mars 2015.

[144] Dans cette lettre, la médecin a expliqué que le fonctionnaire avait déjà reçu un diagnostic de trouble de stress post‑traumatique (TSPT) et qu’il était traité pour ce trouble. Elle a ajouté qu’après le deuxième incident (freins à air desserrés) il a commencé à éprouver de la dissociation, ce qui constitue un symptôme psychiatrique commun, surtout chez ceux qui ont reçu un diagnostic de TSPT.

[145] La médecin estimait aussi que l’élément explosif des deux incidents (le pneu qui a éclaté et les freins à air desserrés) aurait rappelé au fonctionnaire des événements qui se sont déroulés durant son service militaire et qui ont contribué à son TSPT. Elle a ensuite écrit ceci : [traduction] « Il n’est pas certain que s’il n’avait pas été exposé, il aurait souffert comme il a souffert. » Elle a aussi écrit ce qui suit : [traduction] « Chaque exacerbation du TSPT renforce davantage les sillons nerveux responsables de la réaction anormale au stress en cas d’événements qui ne constituent pas un danger de mort. »

[146] La lettre de la médecin indique ensuite que la souffrance du fonctionnaire a été aggravée par la façon dont ses supérieurs ont réagi à la situation. Sa lettre porte ensuite sur un examen des effets néfastes de la privation de sommeil, puis sur la façon dont le fonctionnaire est parvenu à vivre une vie très utile et sur la contribution du fonctionnaire à la société.

[147] La médecin a également déclaré qu’[traduction] « elle ne voyait aucune raison pour laquelle les choses ne seraient pas différentes à l’avenir, si le fonctionnaire pouvait travailler dans un milieu où il se sentait soutenu, ce qui permettrait aussi de réduire au minimum la possibilité que d’autres insultes soient prononcées à la suite d’une commotion. »

[148] À la question de savoir s’il avait vu cette lettre, le surintendant Cacchioni a répondu longuement. Il a déclaré qu’il l’avait vu, mais seulement une copie et non un document original signé. Il a ajouté que même s’il l’avait vu, elle n’était pas adressée à lui et une copie lui avait été remise à l’audience du grief au troisième palier.

[149] Lorsqu’il a été interrogé de nouveau au sujet de la lettre et du diagnostic de la médecin, il a répondu qu’il était au courant du [traduction] « présumé TSPT » dont était atteint le fonctionnaire.

[150] Sa réponse a suscité une autre série de questions quant à savoir ce qu’il entendait par [traduction] « présumé TSPT ». Le surintendant Cacchioni a donné une autre longue réponse sur la façon dont il avait pris connaissance du diagnostic de TSPT. Il a répété qu’il en avait pris connaissance au moyen d’une copie d’une lettre. Par conséquent, il était d’avis qu’il s’agissait d’un présumé diagnostic.

[151] Lorsqu’il a été interrogé de nouveau quant à savoir s’il doutait du diagnostic de TSPT du fonctionnaire, il a de nouveau expliqué qu’il n’avait pris connaissance de l’avis de la médecin qu’en consultant une copie d’une lettre, ce qui expliquait pourquoi il était réticent à accepter que le fonctionnaire puisse être réellement atteint d’un TSPT.

[152] On a ensuite demandé au surintendant Cacchioni de porter son attention aux renseignements sur le TSPT du fonctionnaire, à la façon dont il est survenu et à la façon dont les événements au travail avaient déclenché sa [traduction] « réaction anormale au stress » à la suite du desserrement des freins à air, selon la médecin.

[153] La réponse de l’employeur au grief au troisième palier en date du 14 mai 2015 a ensuite été présentée au surintendant Cacchioni. Étant donné qu’il avait lu la lettre de la médecin et son diagnostic de TSPT, présenté à l’audience au troisième palier, on lui a demandé d’expliquer la conclusion de l’employeur selon laquelle [traduction] « Aucun élément présenté ne permettrait d’expliquer de manière satisfaisante le comportement dont vous avez fait preuve envers un membre du public. »

[154] Lorsqu’on lui a demandé de faire un lien entre cette conclusion et la lettre de la médecin, le surintendant Cacchioni a expliqué que l’incident avec le camionneur et les freins à air est survenu en 2014 et que le diagnostic de TSPT n’a été porté à la connaissance de l’employeur que lorsque le grief a été présenté au troisième palier, soit un an plus tard. Il a ajouté en outre que rien dans le Code ne crée une exemption à la bonne conduite requise pour ce type d’incident.

[155] Lorsqu’il a été interrogé de nouveau au sujet du fait que le diagnostic de TSPT avait été présenté aux fins de discussion à l’audience du grief au troisième palier, le surintendant Cacchioni a déclaré que le diagnostic pourrait être un facteur atténuant. Toutefois, il a ensuite essayé de reprendre ce commentaire en affirmant que, selon lui, le diagnostic ne constituait pas un véritable facteur atténuant.

[156] Le représentant du fonctionnaire a demandé au surintendant Cacchioni ce que le fonctionnaire aurait dû faire à la suite d’un accident de travail très soudain et très douloureux. Il a répondu qu’un ASF aurait dû quitter la zone et peut‑être aller à la salle de bain et y hurler en privé, au besoin.

[157] Le fonctionnaire a témoigné que peu après avoir obtenu de l’aide pour se rendre au bureau, le surintendant Cacchioni l’a accompagné pour qu’il obtienne des soins médicaux. En raison de l’incident, une de ses molaires était fracturée et il souffrait de blessures à la mâchoire et aux oreilles.

[158] Je rejette, à titre de conclusion de fait, l’invitation du représentant du fonctionnaire de conclure que les propos grossiers du fonctionnaire étaient spontanés et involontaires.

[159] Si un ou peut-être même deux mots avaient été prononcés au même moment que le bruit fort à l’origine des blessures, j’aurais pu conclure qu’ils avaient été prononcés de façon spontanée.

[160] Toutefois, les éléments de preuve m’amènent à conclure que d’autres mots ont été prononcés et qu’ils n’ont pas été prononcés au moment où le fonctionnaire a été blessé. Dans leur témoignage, le fonctionnaire et le surintendant Babakaiff ont tous deux affirmé que plus d’un ou de deux mots ont été prononcés au moment où le fonctionnaire a été blessé.

[161] Je conclus donc que la première étape de l’analyse établie dans Wm Scott permet de déterminer que la conduite du fonctionnaire était un motif valable et raisonnable de lui imposer une mesure disciplinaire.

[162] Étant donné ces conclusions relatives à la preuve, je continuerai d’analyser les arguments des parties sur la culpabilité du fonctionnaire et la question de son diagnostic médical de TSPT en tant que facteur atténuant susceptible de réduire ou d’éliminer la mesure disciplinaire qui lui a été imposée pour ne pas avoir respecté le décorum en milieu de travail.

a. Argument du fonctionnaire selon lequel le TSPT constitue un facteur atténuant dans la détermination de la mesure disciplinaire

[163] Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait servi dans l’armée canadienne et qu’il avait été déployé comme soldat de la paix dans une zone de combat réel. Il a dit qu’il avait fait face à des tirs rapprochés et hostiles qui avaient mis sa vie en péril.

[164] Il a expliqué qu’il avait gardé ces souvenirs au plus profond de lui pendant des années, mais qu’avant les événements en cause dans la présente affaire, il a obtenu un traitement médical. Il a obtenu un diagnostic de TSPT. L’employeur n’a pas contesté son témoignage au sujet de son état de santé.

[165] Le fonctionnaire a déclaré que sa médecin lui avait dit que le desserrement des freins à air si près de ses oreilles aurait été suffisamment semblable aux explosions de combat dont il a été témoin durant son service militaire pour déclencher son TSPT.

[166] Le fonctionnaire a fait valoir que ses propos grossiers constituaient une réponse involontaire à une lésion corporelle douloureuse qui a déclenché une [traduction] « réaction anormale au stress » fondée sur son TSPT. Il a fait référence à la lettre de sa médecin de famille, mentionnée précédemment, et il a dit qu’elle avait été présentée au troisième palier de l’examen de son grief.

[167] Le fonctionnaire a souligné la décision du prédécesseur de la Commission, soit la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP), dans English‑Baker c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CRTFP 24.

[168] English‑Baker portait sur le cas d’une employée licenciée pour incapacité médicale. À la suite d’un incident, où la plaignante a allégué avoir été victime de harcèlement, la direction a exprimé des préoccupations quant à son comportement au bureau et on lui a demandé de ne pas se présenter au milieu de travail jusqu’à ce qu’une évaluation de l’aptitude au travail puisse être effectuée par Santé Canada.

[169] Après un certain temps et de nombreux avis professionnels, l’employée est retournée au travail dans une direction générale différente, à un autre emplacement; des problèmes en milieu de travail ont commencé à surgir et, après quelques semaines, on lui a encore demandé de quitter le milieu de travail.

[170] Lorsqu’elle a examiné les questions disciplinaires qui découlaient de ces incidents (à l’exception du licenciement de la fonctionnaire s’estimant lésée), la CRTFP a conclu ce qui suit :

[…]

96 La fonctionnaire s’estimant lésée a aussi déclaré dans son grief que l’employeur avait violé la stipulation de sa convention collective interdisant la discrimination. La partie applicable de l’article 19 de la convention collective stipule qu’il n’y aura « aucune mesure disciplinaire exercée » du fait de l’incapacité mentale. La fonctionnaire s’estimant lésée a écopé d’une réprimande écrite et s’est fait demander le même jour de quitter son lieu de travail en attendant qu’on évalue son aptitude à travailler. J’ai déjà conclu que son licenciement n’était pas disciplinaire. Bien que la lettre de réprimande ait fait état de différents événements survenus à son lieu de travail que la lettre exigeant qu’elle se soumette à une évaluation de son aptitude à travailler, tous ces événements étaient mentionnés dans la lettre à Santé Canada, de sorte qu’il est clair que l’employeur était d’avis que toutes les facettes de son comportement au lieu de travail étaient liées. Étant donné ce qu’il savait de son comportement et de la nature de ce comportement, il est difficile de comprendre comment il pouvait le considérer comme coupable (autrement dit passible de mesures disciplinaires).

[…]

[Je mets en évidence]

 

[171] Je souligne le fait que dans cette affaire, la Commission s’est appuyée sur les années d’expérience de l’employeur à gérer les problèmes bien consignés de la fonctionnaire s’estimant lésée pour conclure qu’il était au courant de sa maladie et qu’il aurait dû savoir que ses problèmes atténuaient ses actes dans la mesure où ils les rendaient non coupables.

[172] Le fonctionnaire a également invoqué Rahmani c. Administrateur général (ministère des Transports), 2016 CRTEFP 10, pour appuyer son argument selon lequel un employeur devrait être tenu responsable de ne pas tenir compte de l’état de santé d’un fonctionnaire lorsqu’il peut s’agir d’un facteur intermédiaire qui a contribué au comportement inacceptable.

[173] Je souligne l’extrait suivant de cette décision :

[…]

75 Dans l’appréciation de la sanction dans un cas d’altercation au travail, il faut tenir compte de facteurs aggravants ou atténuants, selon le cas, (voir Shaver c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 43; Ward et le Conseil du Trésor (Revenu Canada‑Impôt), Dossiers CRTFP 166‑2‑16121 et 16122 (19861229); Re Dominion Glass Co. And United Glass and Ceramic Workers, Local 203 (1975), 11 L.A.C. (2d) 84) et, notamment, les facteurs suivants :

• l’expression de remords et la présentation d’excuses;

• la gravité du geste et le tort causé;

• le geste résulte d’un égarement momentané ou est prémédité;

• la provocation;

• le nombre d’années de service;

• l’état du dossier disciplinaire;

• une amélioration par la suite de la santé psychique, si celle‑ci était en cause dans l’incident donnant lieu au licenciement.

[…]

104 En l’espèce, je conclus qu’il y a discrimination prima facie. La preuve démontre la condition médicale du fonctionnaire (sa déficience), le traitement défavorable du licenciement (refus de continuer de l’employer), et le lien entre ces deux faits. Comme je l’ai déjà déterminé, son état d’esprit et peut‑être ses médicaments ont influencé son comportement lors de l’incident. Le comportement sanctionné par le licenciement est donc au moins partiellement attribuable à l’état de santé du fonctionnaire. Le motif de distinction illicite n’a pas à être le seul facteur de licenciement, il suffit qu’il en soit un.

[…]

 

[174] Dans le contrôle judiciaire de Rahmani, où la Commission a rétabli le fonctionnaire s’estimant lésé dans ses fonctions, la Cour d’appel fédérale a rejeté la demande (Canada (Procureur général) c. Rahmani, 2016 CAF 249 (« Rahmani CAF ») et a conclu ce qui suit :

[…]

[4] Eu égard à la discrimination, la commissaire n’a pas erré en concluant que « le motif de distinction illicite n’a pas à être le seul facteur de licenciement, il suffit qu’il en soit un » (paragraphe 104). Cette conclusion est conforme aux enseignements récents de la Cour suprême dans l’arrêt Bombardier, Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39. La preuve démontre que l’employeur était bien au fait de l’état de santé du défendeur, et a refusé d’en tenir compte comme l’a noté la commissaire au paragraphe 112 de ses motifs. Contrairement à ce que le demandeur a soutenu, la décision de la commissaire n’établit pas qu’un employeur ne peut licencier un employé qui aurait posé des gestes violents; tout au plus peut‑on en déduire qu’une telle décision ne peut être prise sans prendre en considération l’état de santé de l’employé fautif (paragraphe 108).

[…]

[Je mets en évidence]

 

[175] Dans Rahmani, il est ressorti de la preuve que le fonctionnaire s’estimant lésé était atteint d’une maladie. Il a été déterminé que l’employeur n’avait pas tenu compte, dans la détermination de la mesure disciplinaire à imposer, de renseignements médicaux importants sur sa maladie et de la façon dont celle-ci a contribué à l’acte violent commis en milieu de travail.

b. L’argument de l’employeur sur la culpabilité du fonctionnaire

[176] L’avocate de l’employeur a soutenu que je ne devrais pas examiner la question concernant le TSPT du fonctionnaire, car elle n’est survenue qu’au troisième palier de l’examen de son grief. Elle a également fait valoir que les faits ne permettaient pas de conclure que les injures prononcées à l’endroit du camionneur étaient un accès de colère involontaire, comme l’a soutenu le fonctionnaire. L’avocate a invoqué deux décisions de la CRTFP pour étayer l’argument.

[177] Dans Funnel c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), dossier de la CRTFP 166‑02‑25762 (19950818), [1995] C.R.T.F.P.C. no 83 (QL), la CRTFP a déclaré qu’un arbitre de grief doit examiner principalement les faits existants au moment où la décision de licenciement a été prise. M. Funnel avait perdu son emploi en raison d’un mauvais comportement au travail. On a découvert par la suite que ses problèmes pouvaient être attribuables, au moins en partie, à une maladie mentale.

[178] Plus important encore, l’avocate de l’employeur a invoqué une autre affaire rendue dans la même décennie, soit Thomas c. Conseil du Trésor (Revenu Canada – Accise, douanes et impôt), dossiers de la CRTFP 166‑02‑27608, 28503, et 28504 et 149‑02‑172 (19991105), [1999] C.R.T.F.P.C. no 124 (QL). La CRTFP a conclu que, sur la base de faits semblables à ceux qui m’ont été présentés, un fonctionnaire s’estimant lésé atteint d’une maladie mentale avérée qui aurait pu, du moins en partie, être à l’origine, en tout ou en partie, de sa conduite répréhensible envers des clients, devait néanmoins faire l’objet d’une mesure disciplinaire. Pour son comportement grossier, impatient et bruyant, M. Thomas s’est vu imposer des suspensions d’un jour, de trois jours et enfin de six jours sans solde. La CRTFP a rédigé ce qui suit aux pages 12 et 13 :

En dépit de ces derniers facteurs, je conclus que l’employeur a eu raison de sévir contre M. Thomas après chacun des trois incidents. La preuve a démontré que M. Thomas devient rapidement surexcité et agité lorsqu’il se trouve dans des situations stressantes. Qui plus est, son comportement, à chacune des occasions, a nui à l’employeur et à la réputation de celui‑ci en matière de service au public.

En outre, tous ces incidents auraient pu être évités si le fonctionnaire avait été disposé à traiter le public avec respect et à faire preuve de patience. Malheureusement, dans chacun des cas, il a manqué de retenue personnelle. Je rejette toute affirmation selon laquelle il est incapable de se contrôler ou a agi malgré lui. Son psychiatre n’a pas prétendu que c’était le cas. Il avait recommandé que M. Thomas suive des cours pour apprendre certaines techniques.

Quand le surveillant a interrogé M. Thomas, ce dernier n’a exprimé aucun remords ni n’a accepté la responsabilité de ses actions. Même lors de l’audience en arbitrage, il a attribué le tort aux autres sans jamais accepter le blâme personnellement.

Vu la nature de l’emploi de M. Thomas, j’estime qu’il était approprié de lui imposer une mesure disciplinaire à la suite des trois incidents. Il doit comprendre qu’il est indispensable qu’il change d’attitude et de comportement. Il refuse d’accepter que d’autres au ministère peuvent lui dire qu’il a mal agi. Si ce qu’il lui faut c’est de me l’entendre dire personnellement, je le dis : il a été fautif dans les trois cas. L’employeur a pris d’autres moyens pour l’amener à se corriger. Les tentatives ayant échoué, il avait le droit de sévir à la suite des trois incidents pour essayer de corriger son comportement futur.

2. Les mesures disciplinaires imposées au fonctionnaire s’estimant lésé étaient‑elles justes et raisonnables dans les circonstances?

En examinant cette question, je n’oublie pas que M. Thomas se devait d’offrir un service courtois et efficace à la clientèle. Le « service » est un objectif essentiel et fondamental de cette organisation. Se comporter de manière grossière ou agressive en public est tout simplement inacceptable.

Je relève également que le fonctionnaire s’estimant lésé a manifesté très peu de remords pour sa conduite. Il refuse d’accepter le blâme ou d’assumer la responsabilité de ces incidents. Il ne reconnaît pas que son comportement peut avoir été déplacé. Malgré la concordance de la preuve et des plaintes, il trouve à redire contre son surveillant, Mme Gaudet, Mme Pike et Mme Maisonneuve. Il ajoute que le stress au travail et son seuil de tolérance émotionnel très bas expliquent en partie les incidents.

À n’en pas douter, travailler avec le public exige patience et doigté. La clientèle est souvent stressée quand elle rencontre un agent des douanes dont les capacités peuvent être mises à rude épreuve et dont le milieu de travail peut être exigeant. À mon avis, M. Thomas n’a pas réagi de façon correcte au stress ainsi qu’aux opinions ou attitudes qui divergeaient des siennes. Toutefois, son comportement lors des trois incidents était inacceptable pour un fonctionnaire.

Malheureusement, le fonctionnaire s’estimant lésé a des problèmes émotionnels pour lesquels il a demandé l’aide d’un professionnel. Toutefois, il n’a pas informé son employeur de ses problèmes ni demandé que soient modifiées ses tâches. L’employeur a fondé la mesure disciplinaire sur la preuve qu’il avait en sa possession à ce moment‑là. J’accepte et adopte le raisonnement suivi dans la décision Funnell (supra) : la preuve présentée après l’imposition d’une mesure disciplinaire ne peut pas être invoquée en vue de modifier la décision de l’employeur qui était juste et raisonnable.

Bien que je respecte la décision du fonctionnaire s’estimant lésé d’obtenir de l’aide professionnelle et que je l’encourage à poursuivre dans cette voie, ses problèmes émotionnels n’excusent pas son comportement. En fait, je souscris à l’argument de l’employeur selon lequel même si le rapport du médecin explique en partie le comportement du fonctionnaire, il n’absout pas complètement sa conduite répréhensible.

 

[179] La similitude entre l’affaire dont je suis saisie et celle dont était saisie la CRTFP dans Thomas est frappante.

[180] Comme dans Thomas, où le fonctionnaire s’estimant lésé avait un problème de santé ou émotionnel préexistant, le fonctionnaire qui a comparu devant moi a témoigné qu’il était au courant de son TSPT et qu’il était traité pour ce trouble depuis un certain temps.

[181] Sa médecin a indiqué ce fait dans sa note du 10 mars 2015. À son crédit, il a dit qu’il réalisait de bons progrès et qu’il se portait bien, ce que sa médecin a confirmé.

[182] Toutefois, lorsque des facteurs de stress en milieu de travail ont commencé à déclencher des réactions inappropriées (les deux incidents concernant M. Munro) chez le fonctionnaire, il lui appartenait d’assumer la responsabilité personnelle de son bien‑être et de ses actes au travail et de demander à être traité et à bénéficier d’une éventuelle mesure d’adaptation en milieu de travail, conformément à la conclusion de la Commission dans Thomas.

[183] Je souligne la phrase répétée à deux reprises dans la version anglaise de Rahmani, où la Commission conclut que « […] the employer did not understand its responsibility to seriously foresee accommodation » (au par. 124. Voir également le par. 116).

[184] En ce qui concerne cet extrait (par. 124), on pourrait s’étonner du texte anglais qui laisse entendre que les employeurs sont tenus de [traduction] « prévoir » qu’une personne devrait bénéficier d’une mesure d’adaptation lors d’une inconduite.

[185] Toutefois, la source de préoccupation peut en fait découler d’une traduction malheureuse du texte original français de la décision. La version originale de la décision indiquait ce qui suit : « l’employeur n’a pas compris sa propre responsabilité d’envisager sérieusement l’accommodement. »

[186] Comme l’indique le dictionnaire Larousse en ligne français/anglais, le verbe envisager se traduit en anglais par « consider » ou « contemplate ».

[187] La Cour d’appel fédérale, dans le contrôle judiciaire de cette décision, a fait cette distinction dans la traduction et elle a fait remarquer que « [l]a preuve démontre que l’employeur était bien au fait de l’état de santé du défendeur, et a refusé d’en tenir compte comme l’a noté la commissaire au paragraphe 112 de ses motifs. » (Rahmani CAF, au par. 3)

[188] La Commission ne disait pas que l’employeur devait prévoir la maladie ou la mesure d’adaptation à prendre à l’égard de l’employé, mais qu’elle aurait dû tenir compte des rapports médicaux détaillés fournis quant à la question concernant la culpabilité morale d’avoir frappé un superviseur.

[189] À l’audience au dernier palier, le fonctionnaire dans l’affaire dont je suis saisi a présenté une note de sa médecin de famille. Dans cette note, mentionnée précédemment, la médecin indique que le fonctionnaire est atteint d’un TSPT. Elle fait état aussi de plusieurs autres questions liées à ses problèmes de santé et à ses sentiments concernant le manque de soutien offert par ses supérieurs. Dans son contre‑interrogatoire du surintendant Cacchioni, le représentant du fonctionnaire lui a demandé pourquoi il n’acceptait pas l’avis indiqué dans la lettre selon lequel le TSPT du fonctionnaire avait donné lieu à une [traduction] « réaction anormale au stress ».

[190] Bien que l’on puisse parvenir à cette conclusion en se fondant sur la lettre de la médecin, je souligne que la médecin n’a pas énoncé cette conclusion elle‑même.

[191] Dans sa réponse concernant la présentation de la lettre de la médecin à l’audience au troisième palier du présent grief, l’employeur a affirmé que [traduction] « rien n’a été présenté qui permettrait d’expliquer de manière satisfaisante le comportement dont vous avez fait preuve envers un membre du public. »

[192] J’estime que cette conclusion est raisonnable puisque, selon moi, la lettre de la médecin portait sur de nombreuses questions et ne renfermait aucune conclusion claire sur cet incident et les propos grossiers prononcés qui font l’objet du présent litige.

[193] Je compare cette note avec les rapports médicaux très détaillés de spécialistes et de médecins de famille respectifs présentés aux employeurs dans English‑Baker et Rahmani.

[194] Je fais également remarquer que les arbitres de grief dans les deux affaires invoquées par le fonctionnaire ont conclu qu’il est important que l’employeur soit bien informé des absences pour maladie et qu’il les ait examinés avant l’imposition des mesures disciplinaires faisant l’objet de ces griefs.

[195] Dans Rahmani, la Commission a conclu que l’employeur aurait dû savoir que le fonctionnaire ne se portait pas bien. La Commission a déclaré ceci : « Le fonctionnaire a demandé plusieurs congés de maladie, lesquels étaient toujours appuyés par un certificat médical. Le fonctionnaire a également demandé un congé sans solde de deux ans, que l’employeur a refusé » (au par. 114).

[196] Afin de déterminer ce qui constituait une mesure disciplinaire équitable compte tenu de toutes les circonstances dans Rahmani, la Commission a déclaré que « [l]a violence en milieu de travail est une infraction grave, qui peut justifier un licenciement, surtout si la personne qui a commis l’acte violent exprime peu ou n’exprime pas de remords » (au par. 74).

[197] Même si l’explosion grossière en l’espèce a été soudaine et n’avait été préméditée en aucune façon, je ne peux pas conclure que le fonctionnaire a exprimé des remords pour ses actes. En fait, il a blâmé le camionneur et a demandé à l’employeur de faire enquête sur celui-ci au motif qu’il avait délibérément causé l’incident relatif aux freins à air qui a blessé le fonctionnaire.

[198] Le fait de hurler des injures à l’endroit d’un membre du public constitue une grave transgression du comportement attendu d’un ASF. Le fonctionnaire n’a exprimé aucun remords et a fait preuve d’un manque de compréhension à cet égard, car il a soutenu qu’il n’était pas responsable de ses actes.

[199] En résumé, en ce qui concerne ce grief, je conclus qu’une mesure disciplinaire était justifiée, mais qu’elle était excessive en raison du principe des mesures disciplinaires progressives.

[200] Compte tenu de ma décision précédente de réduire la suspension de trois jours du fonctionnaire à une suspension d’une journée, je remplacerais plutôt cette suspension de cinq jours par une suspension de deux jours sans solde.

3. Dossiers 566‑02‑13060 et 13061 : Suspension de huit jours – dentiste du Texas en vacances et titulaire d’un permis de port d’une arme à autorisation restreinte

[201] Le présent grief porte sur une suspension de huit jours sans solde. Pour des raisons administratives, la Commission a ouvert deux dossiers concernant ce grief (566‑02‑13060 et 13061).

[202] Un dentiste du Texas (« Voyageur Ro ») s’est présenté à la frontière tard l’après‑midi du 12 septembre 2014, dans une voiture louée de Seattle (WA), avec son jeune fils adulte. Les deux allaient en vacances de fin d’été au Canada.

[203] L’inspection primaire a révélé que les voyageurs figuraient dans la base de données de l’ASFC; le code attribué était associé à une arme à feu. On leur a ordonné de stationner leur voiture en vue d’une inspection secondaire, où ils ont rencontré le fonctionnaire.

[204] Après discussion, il a été déterminé que les voyageurs détenaient un permis de port d’une arme à autorisation restreinte. Toutefois, ils avaient déclaré n’avoir aucune arme, ce qui a été confirmé par la suite après une fouille de la voiture et des personnes. Ils ont été amenés dans les bureaux de l’ASFC pendant la fouille de leur voiture.

[205] Les voyageurs ont été autorisés à entrer au Canada. Rien d’inconvenant n’a été découvert lors de leur interrogatoire ou de leur fouille.

[206] Cependant, le Voyageur Ro était tellement contrarié et insatisfait de son traitement au poste frontalier qu’il a rédigé une longue plainte contre le fonctionnaire. Le Voyageur Ro est retourné au poste frontalier le lendemain de l’incident, durant ses vacances, pour présenter ses doléances personnellement au surintendant Cacchioni.

[207] Le surintendant Cacchioni était tellement impressionné par l’émotion extrême exprimée par le Voyageur Ro et le fait qu’il avait consacré du temps de ses vacances pour retourner aux bureaux du poste frontalier pour se faire entendre en personne, qu’il a accepté toutes les allégations du Voyageur Ro et a jugé que le fonctionnaire s’était mal conduit.

[208] Pour parvenir à cette conclusion, le surintendant a affirmé qu’il a choisi de ne pas demander à l’ASF qui avait été chargé de l’inspection primaire du Voyageur Ro de lui transmettre son rapport de l’interaction, car le Voyageur Ro avait dit qu’il n’avait éprouvé aucun problème lors de l’inspection primaire.

[209] De plus, le surintendant Cacchioni a reçu, mais a laissé de côté, le rapport d’un autre ASF, témoin de l’inspection secondaire, qui a déclaré qu’en fait le Voyageur Ro avait été un client difficile tout au long de l’inspection et que le fonctionnaire n’avait rien fait de mal.

[210] Dans sa réponse au dernier palier, où le grief a été rejeté, l’employeur a jugé que le fonctionnaire avait contrevenu à l’article 10 du Code. Et, plus particulièrement, il a conclu que le fonctionnaire n’avait pas communiqué avec les deux voyageurs américains de manière respectueuse et qu’il n’était pas parvenu à désamorcer la situation.

[211] Dans sa plainte écrite datée du 19 septembre 2014 à l’encontre du fonctionnaire, le Voyageur Ro a fourni un exposé très détaillé de ce que le fonctionnaire aurait dit et fait. Je fais remarquer qu’elle énonçait également ce qui suit :

[Traduction]

- Le [Voyageur Ro] envoyait cette lettre au plus grand nombre de personnes possible ayant le pouvoir de faire quelque chose à l’égard de cette personne dérangée [le fonctionnaire];

- nos droits ont été bafoués et nous avons subi des torts lors de notre passage à ce poste frontalier;

- après que j’ai admis détenir un permis de port d’une arme à autorisation restreinte, la suite de l’inspection est devenue une inquisition. Il répétait les mêmes questions sans fin […] Il m’a rabaissé, ainsi que mon fils, avec son attitude et son ton condescendants.

- Si une inspection avait été justifiée, cela ne m’aurait probablement pas dérangé.

- Mon fils et moi étions tellement étonnés que nous ne nous sommes pas parlé jusqu’à Penticton.

- L’incident a eu des conséquences sur nos vacances.

- Nous avons décidé d’annuler notre visite des vignobles de la vallée de l’Okanagan.

- La personne belliqueuse [le fonctionnaire] était cruelle et conflictuelle […]

- […] de me ridiculiser délibérément devant mon fils est tout à fait répréhensible.

[Je mets en évidence]

 

[212] Comme le fonctionnaire l’a souligné dans son argumentation, l’employeur a énoncé ce qui suit dans la lettre disciplinaire qui lui a été envoyée en réponse à la plainte déposée par le Voyageur Ro :

[Traduction]

Même si je n’ai constaté aucune preuve que vous les avez rabaissés ou que vous avez été belliqueux ou cruel, vous n’avez pas réussi à désamorcer la situation, conformément à votre formation en tant qu’ASF, et votre comportement dans l’ensemble durant cet incident était incompatible avec les normes prévues dans le Code de conduite de l’ASFC.

[Je mets en évidence]

 

[213] Lors de l’interrogatoire principal, en ce qui concerne cet incident, le surintendant Schumaker a témoigné avoir examiné le dossier et formulé des commentaires sur les discussions qui ont mené à la décision d’imposer une mesure disciplinaire au fonctionnaire. Lorsqu’il a examiné la lettre disciplinaire, le surintendant Schumaker a déclaré qu’il ne faisait aucun doute pour lui que l’animosité s’était accumulée et que le Voyageur Ro n’était pas satisfait de l’inspection secondaire.

[214] Le surintendant Schumaker a affirmé que le fonctionnaire n’aurait pas dû interroger de nouveau le Voyageur Ro pour savoir s’il portait une arme à feu, car cela était contraire au protocole. Il a également dit que le Voyageur Ro avait le droit de s’asseoir là où il pouvait observer la fouille de sa voiture.

[215] Par ailleurs, le surintendant Schumaker ne pouvait s’en remettre qu’à la déclaration contestée selon laquelle le fonctionnaire aurait formulé un commentaire sarcastique et grossier à l’endroit du Voyageur Ro après avoir quitté l’endroit où avait lieu la fouille. Il a également fait mention de la préoccupation, qui ressortait de tous les incidents avec des voyageurs, selon laquelle le ton du fonctionnaire n’était pas professionnel et qu’il n’avait pas réussi à désamorcer la situation lors de chaque incident, ce qui était contraire à sa formation et à ses obligations professionnelles.

[216] Lorsqu’on lui a demandé d’examiner certaines des allégations les plus ciblées, à savoir que le fonctionnaire avait rabaissé le voyageur, le surintendant Schumaker a témoigné qu’il avait accordé peu de poids à cet aspect de la lettre du Voyageur Ro, étant donné qu’il jugeait que ces propos étaient incendiaires et que le Voyageur Ro était contrarié à ce moment-là.

[217] Je fais remarquer, à titre de conclusion de fait, que l’employeur n’a pas entièrement accepté les aspects exagérés des allégations à l’encontre du fonctionnaire.

[218] Steve Robinson, qui effectuait des patrouilles canines, travaillait avec le fonctionnaire le jour en question et se trouvait à proximité lors de l’incident mettant en cause le Voyageur Ro.

[219] Dans sa déclaration écrite, envoyée au surintendant Cacchioni le 20 septembre 2014, l’ASF Robinson a fourni des renseignements de base sur l’incident et a fait remarquer qu’à la suite du contrôle primaire, l’examen du Voyageur Ro était axé sur les armes à feu.

[220] L’ASF Robinson a ajouté que d’après ses observations lors de l’inspection secondaire, le Voyageur Ro ne répondait pas honnêtement aux questions concernant son voyage et le contenu du véhicule.

[221] Il a écrit que le fonctionnaire a dû reformuler plusieurs questions et demander des précisions pour obtenir des renseignements satisfaisants. Il a également écrit que le Voyageur Ro a fait des commentaires bizarres et est devenu rouge lorsqu’il a été question de procéder à une fouille de son iPad.

[222] L’ASF Robinson a également écrit qu’il semblait que le Voyageur Ro n’était pas content de devoir faire l’objet d’une fouille secondaire ou d’un interrogatoire. L’ASF Robinson a conclu sa note en disant que [traduction] « les questions et les directives [du fonctionnaire] étaient directes et concises, je n’ai été témoin d’aucune attitude agressive ni d’aucune cruauté de la part [du fonctionnaire]. »

[223] Le représentant du fonctionnaire a attiré mon attention sur une déclaration attribuée à l’ASF Robinson dans le rapport d’enquête sur l’incident avec e Voyageur Ro, que le surintendant Cacchioni a préparé, mais qu’il n’a pas signé.

[224] Le surintendant Cacchioni a écrit ce qui suit dans la section [traduction] « Résumé des rapports des agents et des témoins » :

[Traduction]

Le MC Robinson [l’acronyme « MC » renvoie à un ASF chargé de la patrouille canine, maître‑chien] a déclaré que le voyageur était agité dès le début de l’examen. Lorsque l’ASF Cwikowski est entré en scène, le voyageur était toujours agité et l’ASF Cwikowski n’a rien fait pour désamorcer la situation. Autrement, le MC Robinson estimait que l’examen n’avait rien d’extraordinaire.

 

[225] Le représentant du fonctionnaire a interrogé le surintendant Cacchioni au sujet de l’inscription de cette déclaration dans le rapport, car elle se distingue et elle est différente de ce qui a été présenté à l’audience dans le rapport rédigé par l’ASF Robinson.

[226] Après avoir été interrogé au sujet de la déclaration de l’ASF Robinson, le surintendant Cacchioni a répondu qu’il avait accepté la déclaration écrite de l’ASF Robinson et il a admis qu’il s’agissait d’un ASF et d’un observateur dûment formé et qu’il était présent lors de la fouille.

[227] Il a ensuite ajouté qu’il n’était pas sûr que l’ASF Robinson ait été présent suffisamment longtemps pour entendre tous les commentaires qui auraient été formulés par le fonctionnaire à l’intention du Voyageur Ro.

[228] Auparavant, lorsque la déclaration écrite fournie par l’ASF Robinson lui a été présentée au cours de son interrogatoire principal, le surintendant Cacchioni a reconnu que l’ASF Robinson avait signalé que rien d’extraordinaire ne s’était produit dans le cadre de l’interaction avec le Voyageur Ro.

[229] Le surintendant Cacchioni a ensuite témoigné que l’ASF Robinson était un maître‑chien qui se trouvait sur les lieux au cas où on aurait eu besoin de lui et qu’il n’était pas chargé de superviser les inspections. Il a ajouté que l’ASF Robinson aurait pu ne pas assister à certaines des interactions entre le fonctionnaire et le Voyageur Ro.

[230] Le représentant du fonctionnaire a également interrogé le surintendant Cacchioni au sujet de la note qu’il a rédigée pour consigner les renseignements sur sa réunion en personne avec le Voyageur Ro. Il a été interrogé sur le fait que, dans sa longue lettre, le Voyageur Ro a écrit : [traduction] « Si une inspection avait été justifiée, cela ne m’aurait probablement pas dérangé. » Toutefois, dans ses notes de sa réunion avec le Voyageur Ro, le surintendant Cacchioni a écrit en guise de résumé préliminaire : [traduction] « Essentiellement, il n’était pas contrarié d’avoir fait l’objet d’une fouille, mais plutôt de la façon dont la fouille avait été effectuée selon lui. »

[231] Des questions ont ensuite été posées pour recueillir des témoignages sur la raison pour laquelle le Voyageur Ro a fait l’objet d’une inspection secondaire, dont une fouille. Le surintendant Cacchioni a répondu que la raison pour laquelle l’ASF chargé de l’inspection primaire avait demandé que le Voyageur Ro fasse l’objet d’une inspection secondaire importait peu. Il avait été établi dans d’autres témoignages que l’ASF chargé de l’inspection primaire avait demandé que le Voyageur Ro fasse l’objet d’une inspection secondaire en raison du code d’arme figurant dans la base de données.

[232] Le représentant du fonctionnaire a souligné ce point dans son argumentation et a fait valoir qu’il s’agissait d’une preuve supplémentaire de la partialité du surintendant Cacchioni, car il avait subtilement mal formulé dans son rapport écrit les préoccupations du Voyageur Ro.

[233] Il a soutenu en outre que l’omission du surintendant Cacchioni d’interroger l’ASF chargé de l’inspection primaire faisait état d’une partialité, car il souhaitait mettre l’accent sur des rapports inculpatoires présentés contre le fonctionnaire et il n’a pas cherché à obtenir de déclarations disculpatoires auprès d’un témoin manifestement utile.

[234] Dans son témoignage au sujet de cet incident, le fonctionnaire a affirmé que bon nombre des aspects de la déclaration écrite du Voyageur Ro étaient inexacts. Le fonctionnaire a nié avoir questionné de nouveau le Voyageur Ro pour savoir s’il avait une arme à feu.

[235] Le fonctionnaire a nié avoir utilisé un ton coléreux ou sarcastique lorsqu’il s’est entretenu avec le Voyageur Ro et a nié particulièrement avoir fait une remarque sarcastique à la fin de la fouille, à savoir : [traduction] « Maintenant, vous savez ce que c’est de faire l’objet d’une inspection. »

[236] Il a plutôt témoigné qu’une fois la fouille achevée, il avait demandé au Voyageur Ro s’il avait déjà fait l’objet d’une inspection à la frontière et le Voyageur Ro a répondu par la négative. Le fonctionnaire a dit qu’il avait alors mentionné au Voyageur Ro : [traduction] « Ce n’était pas si pire, n’est‑ce pas? » Il a dit que le Voyageur Ro avait répondu [traduction] « Non, je suppose que non. » Le fonctionnaire a ajouté que ce dernier commentaire n’a suscité aucune émotion ni colère de la part du Voyageur Ro.

[237] En contre‑interrogatoire, le représentant du fonctionnaire a examiné ligne par ligne, avec les surintendants Cacchioni et Schumaker, le rapport détaillé du Voyageur Ro concernant ce qui a été dit et fait pendant son interaction avec le fonctionnaire. On a demandé à chaque témoin de formuler des commentaires sur la pertinence de chaque acte et commentaire allégués.

[238] À la suite d’un examen exhaustif des allégations, le surintendant Cacchioni a déclaré ce qui suit : [traduction] « Une mesure disciplinaire n’a pas été imposée au fonctionnaire nécessairement en fonction des questions qu’il avait posées », [traduction] « Le fonctionnaire aurait pu offrir [au Voyageur Ro] de s’asseoir à la fenêtre du bureau afin qu’il puisse observer la fouille de sa voiture » et [traduction] « Il était inapproprié de [lui] demander s’il avait déjà fait l’objet d’une fouille et d’ensuite dire “Eh bien, maintenant vous savez ce que c’est.” »

[239] Lorsqu’il a été informé que le fonctionnaire témoignerait qu’il n’avait jamais dit ces mots au Voyageur Ro, mais qu’il lui avait plutôt dit [traduction] « Ce n’était pas si pire, n’est‑ce pas? », le surintendant Cacchioni a répondu que ce n’était pas nécessairement mauvais, tout dépendant du ton du fonctionnaire.

[240] Dans d’autres témoignages, le surintendant Cacchioni a également affirmé que le Voyageur Ro aurait pu se voir offrir un siège à la fenêtre pour observer la fouille de sa voiture. Lorsque le fonctionnaire a ensuite dit au Voyageur Ro comment prononcer correctement le nom de la ville de la Colombie‑Britannique « Penticton », il aurait pu d’abord dire [traduction] « monsieur ».

[241] En contre‑interrogatoire, le représentant du fonctionnaire a effectué la même analyse ligne par ligne avec le surintendant Babakaiff de la déclaration écrite du Voyageur Ro sur ce qui avait été dit et fait lors de ses interactions avec le fonctionnaire.

[242] On a fait remarquer que le fonctionnaire n’aurait pas dû demander une deuxième ou une troisième fois au Voyageur Ro s’il transportait une arme à feu. Le surintendant Babakaiff a expliqué longuement qu’une fois que la question définitive est posée et qu’une réponse sans équivoque est obtenue, il est ensuite possible d’établir clairement qu’une fausse déclaration a été faite si une arme est trouvée.

[243] Toutefois, il n’était pas aussi sûr à ce sujet lorsqu’on l’a interrogé à maintes reprises sur le fait que l’ASF avait peut‑être eu des préoccupations en matière de sécurité. Le surintendant Babakaiff a également témoigné que le fonctionnaire n’a pas nécessairement fait l’objet d’une mesure disciplinaire en raison des [traduction] « questions posées ».

[244] Le fonctionnaire a également présenté des éléments de preuve selon lesquels, lors d’un incident semblable à celui survenu avec le Voyageur Ro, il avait récemment effectué un interrogatoire identique d’un voyageur avec le même ton et qu’il avait saisi des armes à feu illégales, ce dont il a été félicité.

[245] Après l’analyse ligne par ligne, on a posé la question suivante au surintendant Babakaiff : [traduction] « Ai‑je donc raison de dire que, à première vue, vous ne pouvez relever aucun élément dans cette plainte [du Voyageur Ro] permettant d’établir que le fonctionnaire a fait quelque chose de mal, outre les problèmes éventuels liés au ton utilisé par le fonctionnaire? »

[246] Le surintendant a répondu [traduction] « Exactement. »

[247] Dans son interrogatoire principal, le surintendant Cacchioni a témoigné que, à son avis, le Voyageur Ro n’aurait pas inventé cette histoire. De plus, il a confirmé à quel point il avait été impressionné par l’émotion intense manifestée par le Voyageur Ro lorsqu’il s’est présenté au bureau frontalier le lendemain de l’incident.

[248] Après avoir examiné les conversations et les activités figurant dans le rapport, il a témoigné que le Voyageur Ro avait mentionné que le fonctionnaire avait formulé certains commentaires sur un ton sarcastique (par exemple, [traduction] « vous ne vous souvenez pas de la dernière fois que vous étiez au Canada » et le fait de demander au Voyageur Ro s’il avait déjà fait l’objet d’une inspection, puis lui dire [traduction] « eh bien, maintenant c’est chose faite ») et qu’il n’était pas professionnel.

[249] Dans la conclusion de son contre‑interrogatoire, on a demandé au surintendant Cacchioni comment il était parvenu à la décision d’imposer une suspension de huit jours sans solde, étant donné que le fonctionnaire et le Voyageur Ro avaient fourni des versions contradictoires au sujet de l’interaction et que le seul autre observateur, soit l’ASF Robinson, avait indiqué dans son rapport n'avoir rien vu de mal.

[250] Le surintendant Cacchioni a répondu qu’il avait été impressionné par l’intensité et l’émotion profondes manifestées par le Voyageur Ro et par le fait que ce dernier avait consacré près d’une journée de ses vacances pour se rendre au bureau et faire une déclaration de vive voix. Il a ajouté que, pour évaluer la crédibilité du fonctionnaire en tant que témoin de l’incident, il avait tenu compte de l’inconduite commise antérieurement par le fonctionnaire et du fait que ce dernier faisait l’objet d’un plan de gestion du rendement.

[251] Après avoir examiné attentivement tous les éléments de preuve présentés au sujet de cette question et après avoir examiné minutieusement les arguments des deux parties, je conclus que l’employeur n’a présenté aucune preuve claire, logique et convaincante d’une inconduite qui justifierait l’imposition d’une mesure disciplinaire.

[252] Je privilégie le témoignage de l’ASF Robinson et celui du surintendant Babakaiff, qui ont tous les deux affirmé essentiellement qu’aucun acte répréhensible réel n’avait été observé. L’ASF Robinson a présenté un rapport de ses observations directes selon lesquelles le Voyageur Ro ne répondait pas honnêtement aux questions.

[253] Le surintendant Babakaiff a examiné attentivement la totalité de la déclaration du Voyageur Ro et n’a pas pu relever aucun acte qui, selon lui, constituerait une inconduite. Le surintendant Babakaiff a finalement dit que le ton du fonctionnaire aurait pu poser un problème.

[254] Je tiens à souligner tout spécialement le passage du rapport d’enquête rédigé par le surintendant Cacchioni, qui a été relevé par le fonctionnaire et que j’ai mentionné précédemment.

[255] Je conclus qu’il est plus probable qu’improbable que le surintendant Cacchioni ait exagéré ou complètement inventé ce passage du rapport, à savoir que l’ASF Robinson avait déclaré ce qui suit [traduction] « […] le voyageur était agité dès le début de l’examen. Lorsque l’ASF Cwikowski est entré en scène, le voyageur était toujours agité et l’ASF Cwikowski n’a rien fait pour désamorcer la situation. »

[256] En premier lieu, je fais remarquer que le propre rapport de l’ASF Robinson était entièrement disculpatoire. Il a déclaré que le fonctionnaire n’avait rien fait de mal et qu’en fait, c’était le Voyageur Ro qui avait posé des difficultés. La déclaration attribuée à l’ASF Robinson donne l’impression contraire.

[257] En deuxième lieu, je constate que le commentaire qu’aurait formulé l’ASF Robinson, selon lequel le fonctionnaire n’a pas réussi à désamorcer la situation, est étrangement aussi la principale allégation d’inconduite soulevée contre le fonctionnaire dans presque tous les incidents pour lesquels il a fait l’objet d’une mesure disciplinaire.

[258] Enfin, à cet égard, j’estime qu’il s’agit d’une coïncidence étrange et je tire une conclusion défavorable en raison du fait que l’employeur n’a déposé aucune pièce et n’aurait peut‑être même pas produit de confirmation écrite de la discussion que le surintendant Cacchioni a dit avoir eue avec l’ASF Robinson, et à la suite de laquelle le surintendant Cacchioni a attribué cette déclaration hautement préjudiciable à l’ASF Robinson.

[259] Selon moi, il est étrange que le surintendant Cacchioni n’ait pas demandé à l’ASF Robinson de faire une déclaration et qu’il n’ait pas déposé une copie de la déclaration en preuve. Il aurait au moins dû demander à l’ASF Robinson de signer une déclaration pour en attester l’exactitude et l’authenticité.

[260] Je fais également remarquer que le Voyageur Ro semblait à tout le moins offensé d’avoir été soumis à une inspection secondaire, croyant peut‑être que c’était indigne de lui. Ses commentaires selon lesquels il était dentiste, un membre exceptionnel de sa collectivité et possédait des privilèges (au titre du programme pour les voyageurs dignes de confiance de la TSA) lui permettant de ne pas être soumis au contrôle de sécurité dans les aéroports américains laissent tous entendre qu’il estimait être meilleur que ceux qui devaient être assujettis à une fouille.

[261] J’ai également souligné que même dans la lettre disciplinaire à l’intention du fonctionnaire, l’employeur a rejeté certaines des affirmations les plus exagérées du Voyageur Ro, lesquelles se voulaient des allégations à l’encontre du fonctionnaire. Je souligne que, compte tenu du caractère exagéré du rapport, je doute de la fiabilité des observations du Voyageur Ro.

[262] L’avocate de l’employeur a indiqué dans son argumentation que même si le Voyageur Ro avait posé des difficultés ou avait mal agi, comme l’a déclaré l’ASF Robinson, le fonctionnaire avait suivi une formation et il avait l’obligation de ne pas provoquer le voyageur, mais plutôt de désamorcer la situation.

[263] Elle a fait état du rapport disculpatoire de l’ASF Robinson sur le fonctionnaire dans lequel il déclare que ce dernier n’avait rien fait de mal et elle m’a rappelé que le surintendant Cacchioni avait témoigné que [traduction] « l’ASF Robinson n’était que maître‑chien », qu’il n’était pas présent sur les lieux pour assurer la supervision et que, quoi qu’il en soit, il n’a peut‑être pas assisté à toutes les interactions.

[264] Elle a dit que la preuve permettait d’établir clairement qu’une inconduite avait été commise et que la suspension de huit jours était raisonnable dans les circonstances, car elle constituait une mesure disciplinaire progressive à la suite des suspensions de trois et de cinq jours qui avaient déjà été imposées au fonctionnaire.

[265] Selon le fonctionnaire, les éléments de preuve n’ont pas permis d’établir qu’une inconduite avait été commise et les éléments que j’ai analysés à l’égard des interventions du surintendant Cacchioni démontrent qu’il était partial dans sa gestion de l’affaire.

[266] Je suis d’accord pour dire que la preuve ne permet pas de conclure à une inconduite.

[267] Je conclus que la preuve permet d’établir, tout au plus, que le fonctionnaire n’a pas donné au Voyageur Ro la possibilité de s’asseoir près de la fenêtre pour qu’il puisse voir la fouille de sa voiture.

[268] Cela ne justifiait pas l’imposition d’une mesure disciplinaire au fonctionnaire.

[269] La preuve ne permet pas d’établir clairement que les questions posées par le fonctionnaire au Voyageur Ro au sujet du port d’une arme à feu étaient problématiques. Le témoignage a révélé qu'il est acceptable de répéter une question s’il existe une préoccupation en matière de sécurité.

[270] Les allégations selon lesquelles le fonctionnaire avait fait des commentaires sarcastiques et grossiers à la fin de la fouille ont été contredites. L’employeur a clairement indiqué que le Voyageur Ro était agité et qu’il avait exagéré certains aspects de ses allégations.

[271] Par conséquent, je conclus que l’employeur n’a pas établi une preuve claire, logique et convaincante qui me permettrait de conclure qu’en fait, et selon la prépondérance des probabilités, le fonctionnaire a prononcé des commentaires non professionnels.

[272] Je conclus donc que l’employeur ne s’est pas acquitté de son fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’une inconduite a eu lieu. Je fais droit au grief et, par conséquent, j’annule la suspension de huit jours sans solde.

B. Les griefs relatifs aux présumées violations de la convention collective

1. Dossier 566‑02‑13059 : lenteur de la prise de mesures d’adaptation aux fins du retour au travail du fonctionnaire

[273] Dans le grief, il est écrit ce qui suit : [traduction] « Je dépose un grief parce que, même si ma médecin m’a autorisé à retourner au travail à compter du 20 mars 2015, la direction ne m’a pas permis de retourner au travail avant le 24 avril 2015, période pendant laquelle j’étais en congé de maladie non payé. »

[274] Le grief a été renvoyé à l’arbitrage devant la Commission au moyen du formulaire 20 de la Commission, qui s’applique aux affaires concernant l’interprétation ou l’application d’une disposition d’une convention collective ou d’une sentence arbitrale (c.‑à‑d. les affaires renvoyées à l’arbitrage en vertu de l’al. 209(1)a) de la Loi). Le formulaire en l’espèce fait référence à l’« Article 35 – Congé de maladie payé » de la convention collective.

[275] En ce qui concerne ce grief, le fonctionnaire n’a pas soutenu qu’il y avait eu un manquement à l’obligation de prendre une mesure d’adaptation; il n’a pas non plus demandé de réparation en vertu de l’une des dispositions à ce sujet prévues dans la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H‑6; LCDP). Toutefois, l’ensemble des arguments des deux parties concernant ce grief sont axés sur la nécessité de prendre des mesures d’adaptation pour répondre à ses besoins, sur le manquement à cette obligation ou sur la lenteur de la mise en œuvre des mesures.

[276] Je fais remarquer que l’employeur n’a soulevé aucune opposition fondée sur Burchill v. Attorney General of Canada, [1981] 1 F.C. 109 (C.A.), selon laquelle le fonctionnaire aurait modifié son grief. Je souligne en outre dans mon examen du dossier que la réponse au grief au deuxième palier indiquait que la [traduction] « direction a déployé tous les efforts raisonnables pour répondre à vos [fonctionnaire] besoins en matière d’adaptation. »

[277] Le fonctionnaire était malade et a pris un congé de maladie à compter du 5 novembre 2014 à la suite de la présentation d’un certificat médical. On lui a avancé 187,5 heures de congé de maladie. Toutefois, il a été en congé de maladie non payé pendant une longue période, apparemment parce qu’il avait épuisé tous ses crédits de congé de maladie.

[278] La médecin du fonctionnaire a signé un « Formulaire de détermination des capacités fonctionnelles » (FDCF), dans lequel elle a fait état de ses limitations fonctionnelles. Elle a aussi autorisé le fonctionnaire à retourner au travail le 20 mars 2015.

[279] Le fonctionnaire a allégué que l’employeur avait retardé déraisonnablement son retour au travail pendant 34 jours, ce qui a occasionné une perte de revenus, ainsi que du stress et de l’anxiété.

[280] La maladie du fonctionnaire ou le besoin d’une mesure d’adaptation n’est pas remis en question. La seule question à trancher consiste à savoir si le retour au travail éventuel le 24 avril 2015 était opportun, compte tenu des circonstances, ou s’il a été retardé de manière déraisonnable.

[281] Dans son grief, le fonctionnaire a demandé, à titre de réparation, que son congé de maladie du 20 mars au 24 avril 2015 lui soit payé et qu’il soit indemnisé intégralement.

[282] Le FDCF du fonctionnaire a été présenté en tant que pièce. La médecin, qui a rempli le formulaire et l’a signé le 17 février 2015, a déclaré que le fonctionnaire était apte à retourner au travail, mais que les deux limites ou restrictions permanentes suivantes devaient être prises en compte : [traduction] « Il doit éviter les bruits forts et il ne peut pas travailler les quarts de nuit ».

[283] Il n’a pas été contesté que dans la version anglaise, « O/N » signifiait « overnight » (de nuit).

[284] Le 23 janvier 2015, la médecin du fonctionnaire a écrit que ce dernier suivait un traitement et qu’il s’améliorait. Elle a estimé que son retour au travail, en tenant compte des restrictions, serait le 17 février. Elle a recommandé qu’il ne travaille pas le quart de nuit et que son retour soit progressif.

[285] Le 19 février 2015, le surintendant Cacchioni a envoyé un courriel à plusieurs collègues‑cadres et a déclaré qu’il avait reçu le FDCF du fonctionnaire, signé par la médecin du fonctionnaire. Il a déclaré que peu de renseignements avaient été fournis.

[286] Il a ensuite écrit que la médecin avait déclaré que le fonctionnaire ne pouvait pas travailler la nuit et qu’il devait éviter les bruits forts. Le surintendant Cacchioni a fait remarquer que la médecin avait établi la date de retour au travail du fonctionnaire au 20 mars.

[287] Près d’un mois s’est écoulé avant que le surintendant Cacchioni envoie le courriel suivant au fonctionnaire, le 12 mars :

[Traduction]

En préparation de votre retour au travail prévu, j’ai quelques questions à poser à votre médecin afin de clarifier le contenu de sa dernière note présentée à l’appui de votre retour au travail. Nous devons être pleinement en mesure de comprendre vos restrictions avant de pouvoir examiner les options possibles pour prendre des mesures d’adaptation et autoriser votre retour au travail.

Votre médecin déclare que vous êtes apte à retourner au travail, mais que deux restrictions doivent être prises en compte : vous ne pouvez pas travailler les quarts de nuit et vous ne pouvez pas être exposé à des bruits forts. Par ailleurs, elle mentionne que ces deux restrictions sont permanentes.

Pouvez‑vous d’abord demander à votre médecin de clarifier ce qu’elle entend par « de nuit ». Cette restriction signifie-t-elle que vous ne pouvez travailler aucune partie de notre quart de nuit (21 h 30 à 8 h) ou s’applique-t-elle à des heures de travail précises? Ou encore, cette restriction signifie-t-elle simplement que vous ne pouvez pas travailler les quarts qui englobent une période continue d’un jour à l’autre (c.‑à‑d. commençant un jour et se terminant après minuit le lendemain)?

En deuxième lieu, pouvez‑vous demander à votre médecin de clarifier ce qu’elle entend par « être exposé à des bruits forts »? Qu’est‑ce qui est considéré comme des bruits forts? Cette restriction est-elle fondée sur le niveau de décibels ou une autre norme de mesure objective?

Veuillez demander à votre médecin de clarifier ces éléments pour moi. S’il y a des questions, vous pouvez communiquer directement avec moi.

De plus, veuillez m’informer lorsque ces questions auront été présentées à votre médecin afin que nous sachions quand nous devrions recevoir une réponse.

 

[288] Le 18 mars, le surintendant Cacchioni a écrit au fonctionnaire et a déclaré qu’il avait d’autres questions à poser à sa médecin, qui étaient incluses dans une copie du courriel précédent et rédigées à l’encre rouge. La couleur rouge n’est pas lisible dans la photocopie présentée à la Commission et versée au dossier de preuve, mais les questions posées au surintendant lors de son interrogatoire ont permis d’établir que ses questions concernaient les deux limites précisées par la médecin du fonctionnaire.

[289] Le 27 mars, le surintendant Cacchioni a écrit ce qui suit au fonctionnaire : [traduction] « Une dernière question à poser à votre médecin concernant les restrictions liées aux quarts de nuit : “Sans fournir un diagnostic, pouvez‑vous confirmer que le patient suit un traitement pour un état de santé qui fait en sorte qu’il n’est pas en mesure de travailler les quarts de nuits?” »

[290] Le fonctionnaire a répondu le lendemain et a déclaré que sa médecin était en congé et qu’il pourrait la consulter au plus tôt le 30 mars.

[291] Le 30 mars, la médecin du fonctionnaire a rédigé la réponse suivante au courriel du surintendant Cacchioni :

[Traduction]

Je confirme qu’Adrian suit un traitement pour un état de santé qui fait en sorte qu’il n’est pas en mesure de travailler le quart de nuit.

Je définirai un quart de nuit comme tout quart qui commence le soir et qui se poursuit jusqu’au matin.

En ce qui concerne le niveau de bruit, je ne suis pas en mesure de donner un niveau de décibels précis. Toutefois, je recommanderai qu’il évite particulièrement tout bruit créé par le desserrement des freins à air des camions.

 

[292] Le surintendant Cacchioni a témoigné que, selon lui, la note était inacceptable, car elle ne fournissait pas des heures précises pendant lesquelles le fonctionnaire pouvait travailler. Il a également dit qu’il avait demandé à la médecin de fournir des renseignements précis sur le problème lié au bruit et qu’elle n’avait pas répondu à cette question selon lui.

[293] En contre‑interrogatoire, lorsqu’on lui a demandé s’il estimait que le fonctionnaire aurait pu travailler le quart qui commence à 8 h, le surintendant Cacchioni a témoigné qu’il n’était pas certain si le fonctionnaire pouvait commencer un quart à cette heure‑là et qu’il voulait obtenir des éclaircissements de la médecin du fonctionnaire.

[294] Lorsqu’on lui a demandé de nouveau quel élément du terme [traduction] « de nuit » devait être clarifié, le surintendant Cacchioni a tenté d’expliquer que si l’on avait demandé au fonctionnaire de travailler de 23 h à 0 h 01 (un quart de 61 minutes), ce quart aurait pu être contraire aux limitations établies par la médecin et aurait pu être considéré comme une période de nuit.

[295] Cette réponse a donc suscité la question évidente de savoir à quelle fréquence les ASF sont tenus de travailler des quarts irréguliers à l’extérieur du plan normal de quarts de quatre heures. Le surintendant Cacchioni a répondu qu’un ASF qui travaille en fonction de mesures d’adaptation pourrait avoir un quart irrégulier.

[296] Le 2 avril 2015, l’ASF Rob Hepburn, représentant le syndicat du fonctionnaire, a envoyé un courriel au surintendant Cacchioni et à d’autres cadres indiquant ce qui suit :

[Traduction]

Adrian est en congé de maladie non payé depuis maintenant quelques semaines et il est prêt à retourner au travail. J’ai livré il y a deux jours la note de sa médecin dans laquelle sont précisés ses besoins en matière d’adaptation (aucun quart de nuit et essentiellement aucune VIP où il peut être assujetti au bruit de freins à air).

Adrian a besoin de recevoir son salaire pour nourrir sa famille et nous manquons de personnel au poste frontalier.

À quelle date et à quelle heure puis‑je lui dire de se présenter au travail?

 

[297] Plus tard le même jour, un représentant patronal a répondu au courriel et a déclaré que les limitations fonctionnelles du fonctionnaire faisaient encore l’objet d’une évaluation, et qu’une fois celle-ci achevée, la direction aurait une meilleure idée quant à la forme de mesure d’adaptation qu’elle pourrait prendre.

[298] Après avoir pris connaissance de cette réponse, l’ASF Hepburn a envoyé un courriel au fonctionnaire le lendemain matin, soit le 3 avril, et lui a dit qu’étant donné l’approbation de sa médecin de son retour au travail, il devrait simplement se présenter au travail s’il le souhaitait et a laissé entendre que la direction ne pouvait pas l’empêcher de travailler et le forcer à prendre à nouveau un congé non payé.

[299] Le 7 avril, l’employeur a écrit à l’ASF Hepburn, qui offrait une aide syndicale au fonctionnaire, et lui a demandé s’il pouvait obtenir une copie de la demande de mesures d’adaptation du fonctionnaire.

[300] L’ASF Hepburn a répondu le lendemain matin en fournissant le formulaire « Demande de mesures d’adaptation » de l’employeur, dans lequel il était indiqué que, pour ce qui est des restrictions et des limitations, le fonctionnaire ne pouvait pas travailler le quart de nuit et devait éviter les explosions des freins à air des camions.

[301] La mesure d’adaptation demandée était en fait une demande de mutation à un poste vacant au poste frontalier de Chopaka.

[302] Selon les témoignages entendus, la circulation commerciale au poste frontalier de Chopaka était limitée, voire nulle, et celui-ci était exploité uniquement pendant des heures limitées de la journée.

[303] À ce sujet, l’ASF Hepburn a affirmé que dans ses nombreuses discussions avec la direction visant à obtenir la date de retour au travail du fonctionnaire, il n’a pas en mesure d’obtenir une réponse crédible pour justifier le retard. La direction affirmait continuellement qu’elle examinait les limitations fonctionnelles.

[304] La médecin du fonctionnaire a ensuite fourni une autre note, tentant encore de clarifier les limitations fonctionnelles et déclarant ce qui suit : [traduction] « L’agent doit éviter d’être exposé au son soutenu des freins à air des camions. Il n’est pas nécessaire qu’il porte une protection auditive pendant l’exécution de ses fonctions normales à l’intérieur ou à l’extérieur, lorsqu’il ne travaille pas à proximité de camions commerciaux. »

[305] Le surintendant Babakaiff a témoigné que les ASF au poste frontalier d’Osoyoos travaillaient les quatre quarts suivants :

  • De 8 h 00 à 18 h 30;
  • De 11 h 00 à 21 h 30;
  • De 13 h à 23 h 30;
  • De 21 h 30 à 8 h 00.

 

[306] Il a expliqué que les guérites situées dans les voies de circulation comptaient deux étages pour permettre l’accès à la fois aux voitures des voyageurs et aux grandes semi‑remorques. Lorsqu’il a été interrogé au sujet des mesures de sécurité, il a dit qu’il y avait des panneaux sur la voie menant aux guérites informant les chauffeurs de ne pas actionner leurs freins à air.

[307] Il a également témoigné que des bouchons d’oreilles ou un dispositif de protection de l’ouïe plus important qui couvrent les oreilles, comme ceux utilisés dans les salles de tir, sont offerts à tous les ASF.

[308] Lorsqu’il a été interrogé au sujet du poste frontalier de Chopaka, il a témoigné que celui-ci relevait du bureau d’Osoyoos et qu’il s’agissait d’une affectation populaire parmi les ASF, car le rythme était plus lent et il n’y avait qu’un quart de 9 h à 17 h, sept jours sur sept.

[309] Le surintendant Schumaker a également déclaré qu’il avait besoin d’obtenir des précisions auprès de la médecin du fonctionnaire pour déterminer si le quart de 13 h convenait au fonctionnaire ou, comme il prenait fin à 23 h 30, il était considéré comme un quart de nuit.

[310] Le surintendant Schumaker a témoigné avoir rencontré le fonctionnaire et le surintendant Cacchioni le 27 avril et qu’ils avaient discuté de la demande de mesures d’adaptation. Sa note écrite, dans laquelle il résumait la réunion, indiquait que le fonctionnaire avait fourni une note de son médecin qui renfermait des renseignements supplémentaires en vue de préciser les situations où il devrait porter une protection auditive.

[311] À la suite de la discussion, le fonctionnaire a été informé qu’il serait tenu de porter une protection auditive en tout temps et dans tous les endroits à l’extérieur du bureau du poste frontalier, afin de le protéger contre le bruit des freins à air partout au poste frontalier et à proximité de celui‑ci.

[312] Le surintendant Schumaker a témoigné qu’il était au courant des deux limitations du fonctionnaire et de l’exigence selon laquelle il ne devait travailler aucun quart de nuit. Il a dit que d’autres éclaircissements étaient nécessaires. Il a également témoigné qu’il savait que le fonctionnaire était retourné au travail le 24 avril, malgré que des renseignements supplémentaires sur ses limitations n’avaient pas été reçus avant le 27 avril.

[313] Lors de l’interrogatoire principal, interrogé sur la façon dont s’était passé le retour au travail du fonctionnaire, sans qu’une entente en matière de mesures d’adaptation n’ait été mise au point avant le 26 avril, le surintendant Schumaker a répondu que le fonctionnaire avait simplement été affecté au quart de 8 h pour éviter le travail de nuit et qu’il avait été tenu à l’écart des bruits forts.

[314] En contre‑interrogatoire, à la question de savoir quelle était la réponse finale aux questions qu’il avait posées pour clarifier les limitations fonctionnelles, le surintendant Cacchioni a répondu que les RH et le fonctionnaire avaient tous les deux été consultés et qu’on avait décidé que ce dernier ne serait pas affecté au quart de nuit.

[315] Le document intitulé [traduction] « Examen de la demande de mesures d’adaptation et entente », que les parties ont signé le 30 avril 2015, a été déposé en tant que pièce. Il énonce que le fonctionnaire pourrait bénéficier d’une mesure d’adaptation dans son poste actuel. Il décrit les mesures d’adaptation comme suit :

[Traduction]

L’Agence évitera d’affecter l’employé [le fonctionnaire] à un quart de nuit, que ce soit des heures régulières ou des heures supplémentaires. L’employé peut être affecté à tous les autres quarts visés par l’EPHV au poste frontalier d’Osoyoos, y compris les quarts de relève à d’autres postes frontaliers, au besoin. L’employé doit porter protection auditive en tout temps pendant qu’il travaille à l’extérieur du bureau ou dans la voie d’inspection primaire du poste frontalier d’Osoyoos ou à tout autre poste frontalier ou endroit, selon son affectation.

 

[316] Lorsqu’il a présenté ses arguments sur cette question, le fonctionnaire a souligné le fait que presque rien n’avait changé pendant les nombreuses semaines au cours desquelles l’employeur aurait examiné ses limitations fonctionnelles. Il a soutenu que le fait d’éviter les quarts de nuit et d’utiliser une protection auditive constituait des réponses manifestement évidentes pour répondre à ses limitations énoncées dans la première lettre de sa médecin.

[317] Par conséquent, il a fait valoir que la période de 34 jours pour retourner au travail était déraisonnable et qu’il devrait être remboursé pour le congé de maladie sans solde de 34 jours. Je fais remarquer que le grief ne présentait aucune allégation de violation de la clause d’élimination de la discrimination de la convention collective. En outre, le grief ne faisait pas intervenir la LCDP.

[318] Il est bien établi que la responsabilité de prendre des mesures d’adaptation pour répondre aux limitations fonctionnelles d’un employé incombe également à l’employé, au syndicat et à l’employeur.

[319] La Commission a examiné cette question récemment dans Herbert c. Administrateur général (Commission des libérations conditionnelles du Canada), 2018 CRTESPF 76, comme suit :

[…]

352 Dans Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 RCS 970, (« Central Okanagan »), la Cour suprême du Canada a établi les principes qui sont maintenant bien reconnus à suivre dans les cas concernant l’obligation de prendre des mesures d’adaptation comme suit :

[…]

La recherche d’un compromis fait intervenir plusieurs parties. Outre l’employeur et le syndicat, le plaignant a également l’obligation d’aider à en arriver à un compromis convenable. La participation du plaignant à la recherche d’un compromis a été reconnue par notre Cour dans l’arrêt O’Malley. Le juge McIntyre y affirme, à la p. 555 :

Cependant, lorsque ces mesures ne permettent pas d’atteindre complètement le but souhaité, le plaignant, en l’absence de concessions de sa propre part, comme l’acceptation en l’espèce d’un emploi à temps partiel, doit sacrifier soit ses principes religieux, soit son emploi.

Pour faciliter la recherche d’un compromis, le plaignant doit lui aussi faire sa part. À la recherche d’un compromis raisonnable s’ajoute l’obligation de faciliter la recherche d’un tel compromis. Ainsi, pour déterminer si l’obligation d’accommodement a été remplie, il faut examiner la conduite du plaignant.

Cela ne signifie pas qu’en plus de porter à l’attention de l’employeur les faits relatifs à la discrimination, le plaignant est tenu de proposer une solution. Bien que le plaignant puisse être en mesure de faire des suggestions, l’employeur est celui qui est le mieux placé pour déterminer la façon dont il est possible de composer avec le plaignant sans s’ingérer indûment dans l’exploitation de son entreprise. Lorsque l’employeur fait une proposition qui est raisonnable et qui, si elle était mise en œuvre, remplirait l’obligation d’accommodement, le plaignant est tenu d’en faciliter la mise en œuvre. Si l’omission du plaignant de prendre des mesures raisonnables est à l’origine de l’échec de la proposition, la plainte sera rejetée. L’autre aspect de cette obligation est le devoir d’accepter une mesure d’accommodement raisonnable. C’est cet aspect que le juge McIntyre a mentionné dans l’arrêt O’Malley. Le plaignant ne peut s’attendre à une solution parfaite. S’il y a rejet d’une proposition qui serait raisonnable compte tenu de toutes les circonstances, l’employeur s’est acquitté de son obligation.

[…]

353 Tel que cela a été énoncé dans Central Okanagan, le processus de prise de mesures d’adaptation ne signifie pas qu’un employeur est tenu de mettre en place ce qu’un médecin déclare être requis ou ce qu’un employé souhaite. De nombreux facteurs et variables doivent être pris en compte lorsque la maladie ou la déficience d’un employé touche son milieu de travail, ce qui peut ensuite entraîner d’autres problèmes possibles.

[…]

 

[320] Même si l’extrait cité de Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970 (« Central Okanagan ») porte sur la nécessité pour les employés de faire leur part et de prendre des mesures raisonnables, la même responsabilité s’applique à l’employeur.

[321] Les éléments de preuve dont je dispose permettent d’établir clairement le manque d’engagement significatif de la part de l’employeur pour tenir compte des limitations énoncées par la médecin du fonctionnaire.

[322] Le surintendant Cacchioni a affirmé à maintes reprises dans son témoignage assermenté qu’il avait attendu des semaines pour demander des précisions à la médecin pour savoir ce que signifiait [traduction] « de nuit » et si cette restriction empêchait le fonctionnaire de travailler un quart de 8 h à 16 h.

[323] Cette approche n’est pas raisonnable et elle ne permet pas à l’employeur de s’acquitter de son obligation de contribuer activement à la mise en œuvre des mesures d’adaptation nécessaires pour le retour au travail d’un employé.

[324] Je rejette l’affirmation de l’employeur selon laquelle il avait besoin de précisions pour savoir si un quart de 8 h à 16 h aurait contrevenu à l’évaluation de la médecin, car, selon la note de cette dernière, le fonctionnaire ne devait pas travailler durant des quarts de nuit. Ce raisonnement est complètement aberrant.

[325] Le fait que l’employeur souhaite obtenir des précisions sur les limitations liées aux bruits forts n’était pas aberrant en soi. La situation pouvait toutefois être réglée par une simple proposition, à savoir que le fonctionnaire doit porter une protection auditive, à laquelle avaient facilement accès tous les ASF en milieu de travail.

[326] En l’espèce, immédiatement après avoir reçu la lettre de la médecin portant sur les limitations fonctionnelles, il était loisible à l’employeur de lui répondre et de lui demander si le quart de 8 h et le port d’une protection auditive constitueraient des mesures d’adaptation suffisantes pour le fonctionnaire. Le fonctionnaire et son syndicat ont tous les deux fait preuve de rapidité et étaient disposés à répondre à chacune des demandes de renseignements supplémentaires de l’employeur.

[327] Une réponse sérieuse de l’employeur lui aurait permis de s’acquitter de son obligation de contribuer aux efforts en vue de prendre des mesures d’adaptation, comme l’a énoncé la Cour suprême du Canada dans Central Okanagan. Ce manquement contrevient à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. Le fait de forcer inutilement le fonctionnaire à prendre un congé sans solde était inacceptable.

[328] L’employeur avait indiqué dans sa réponse au dernier palier que tous les crédits de congé auxquels avait droit le fonctionnaire lui avaient été avancés. L’employeur a refusé de lui accorder des crédits supplémentaires, conformément à ce qui est prévu à la clause 35.04 de la convention collective, qui énonce ce qui suit :

35.04 Lorsque l’employé‑e n’a pas de crédits ou que leur nombre est insuffisant pour couvrir l’attribution d’un congé de maladie payé en vertu des dispositions du paragraphe 35.02, un congé de maladie payé peut lui être accordé à la discrétion de l’Employeur pour une période maximale de cent quatre‑vingt‑sept virgule cinq (187,5) heures, sous réserve de la déduction de ce congé anticipé de tout crédit de congé de maladie acquis par la suite.

[329] La clause 35.04 prévoit expressément un pouvoir discrétionnaire et je ferai abstraction de tout autre élément. Par conséquent, l’employeur n’a pas enfreint la clause lorsqu’il n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire pour accorder un congé de maladie payé.

[330] La question n’est pas de savoir si le congé de maladie du fonctionnaire aurait dû être prolongé, mais plutôt celle de savoir si l’employeur avait raison de l’empêcher de travailler pendant cette période.

[331] À compter du 20 mars 2015, la médecin du fonctionnaire a indiqué clairement que ce dernier était prêt à retourner au travail. L’employeur avait besoin de renseignements supplémentaires pour clarifier les mesures d’adaptation qui auraient pu être nécessaires aux fins du retour au travail.

[332] Il ressort de la preuve que ces renseignements ont été fournis par la médecin du fonctionnaire dans sa lettre du 30 mars adressée à l’employeur. Le fonctionnaire aurait dû être de retour au travail le lendemain.

[333] L’avocate de l’employeur a soutenu que si je faisais droit au présent grief, l’ordonnance réparatrice ne devrait viser qu’un maximum de 24 jours de rémunération due au fonctionnaire et non les 34 jours auquel le fonctionnaire soutient avoir droit.

[334] Après avoir examiné les arguments de chacune des parties sur la réparation dans le cadre du présent grief, je conclus que le fonctionnaire aurait dû être de retour le 31 mars, plutôt que d’attendre au 24 avril.

[335] Le fonctionnaire a droit à un salaire et aux avantages sociaux connexes qu’il aurait tirés s’il avait pu travailler des quarts de travail normaux à compter du 31 mars jusqu’au 23 avril, inclusivement.

2. Dossier 566‑02‑14405 : Harcèlement et discrimination allégués

[336] Le présent grief porte sur ce qui suit :

  • L’employeur a failli à son obligation de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement.
  • L’employeur n’a pas pris de mesures d’adaptation pour répondre à l’incapacité du fonctionnaire.
  • L’employeur a enfreint la clause sur l’élimination de la discrimination de la convention collective au motif de l’incapacité du fonctionnaire.
  • L’employeur a enfreint la clause 1.01, car il n’a pas favorisé le bien‑être du fonctionnaire.
  • Le fonctionnaire a été victime de violence en milieu de travail et d’abus verbal de la part du surintendant Cacchioni.
  • L’employeur a enfreint l’article 17.02 lorsqu’il lui a refusé d’être accompagné par un représentant syndical.
  • De façon plus générale, on a demandé au deuxième agent de quitter le bureau, privant ainsi le fonctionnaire d’un témoin des actes répréhensibles de l’employeur.

 

[337] Le formulaire 20 requis pour renvoyer le présent grief à l’arbitrage indiquait que l’affaire portait sur l’article 19 de la convention collective, qui interdit la discrimination.

[338] La fonctionnaire a également déposé le formulaire 24 auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, comme il est requis lorsqu’une partie soulève une question concernant l’interprétation ou l’application de la LCDP.

[339] Même si le fonctionnaire n’a pas poursuivi cette allégation dans son argumentation ou qu’il n’a pas invoqué le libellé de l’article 17, je souligne que ce qui suit est lié à son allégation selon laquelle on lui a refusé une représentation syndicale :

** Article 17 : Mesures disciplinaires **

17.01 Lorsque l’employé‑e est suspendu de ses fonctions ou est licencié aux termes de l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques, l’Employeur s’engage à lui indiquer, par écrit, la raison de cette suspension ou de ce licenciement. L’Employeur s’efforce de signifier cette notification au moment de la suspension ou du licenciement.

**

17.02 Lorsque l’employé‑e est tenu d’assister à une audience disciplinaire le concernant ou à une réunion à laquelle doit être rendue une décision concernant une mesure disciplinaire le touchant, l’employé‑e a le droit, sur demande, d’être accompagné d’un représentant de l’Alliance à cette réunion. Dans la mesure du possible, l’employé‑e reçoit au minimum une (1) journée de préavis de cette réunion.

[…]

 

[340] Malgré le fait que cette question n’a pas été poursuivie dans le plaidoyer final, je fais simplement remarquer que la clause 17.02 fait expressément mention de l’audience disciplinaire, administrative ou d’enquête.

[341] Comme je l’indique plus loin dans la présente décision, les éléments de preuve dont je dispose ne me permettent pas de conclure que la discussion mal avisée au poste frontalier de Chopaka entre le surintendant Cacchioni et le fonctionnaire correspondait à l’un ou l’autre de ces critères. Par conséquent, je n’examinerai pas davantage l’allégation concernant le refus de lui autoriser une représentation syndicale.

[342] Le surintendant Cacchioni a témoigné que le 12 février 2016, lorsque le fonctionnaire s’est présenté au travail ce matin‑là au poste frontalier d’Osoyoos, il revenait d’un congé de maladie et devait travailler ce jour‑là au poste frontalier de Chopaka.

[343] Le fonctionnaire avait demandé à être affecté à Chopaka, car il s’agissait d’un poste frontalier où le rythme de passage était plus lent, où les heures d’ouverture ne sont que pendant la journée et où la circulation commerciale est faible. Sa demande en vue d’être affecté à ce poste a été communiquée à l’employeur, à titre de mesure d’adaptation.

[344] Dans son témoignage au sujet de la réunion à Chopaka, le surintendant Cacchioni a témoigné comme suit :

  • Il était contrarié et très déçu par le mauvais comportement du fonctionnaire ce matin‑là, car le fonctionnaire avait prononcé des injures à voix haute dans le bureau au poste frontalier d’Osoyoos.
  • Tout le monde connaissait la règle officieuse selon laquelle un ASF en congé de maladie devait être retiré de l’horaire le lendemain à Chopaka parce qu’il s’agissait d’un endroit éloigné. De plus, pour s’assurer que le nombre d’employés soit suffisant, il fallait éviter d’affecter à un quart de travail un ASF dont le congé de maladie risquait de se poursuivre.
  • Soucieux du bien‑être du fonctionnaire, il s’est rendu à Chopaka pour demander au fonctionnaire s’il se portait bien et lui rappeler qu’il pouvait avoir accès au programme d’aide aux employés s’il en avait besoin.
  • Il souhaitait discuter avec le fonctionnaire en tant qu’ami et lui dire que son accès de colère à Osoyoos était inacceptable.
  • Il souhaitait demander au fonctionnaire si quelque chose n’allait pas et lui demander d’obtenir de l’aide, s’il en avait besoin.
  • Dès son arrivée, il a demandé aux autres membres du personnel de quitter l’immeuble pour s’assurer que des éléments confidentiels concernant le fonctionnaire ne soient pas divulgués aux autres ASF.
  • Toutefois, le fonctionnaire a demandé qu’un représentant syndical soit présent, ou subsidiairement, qu’un ASF agisse comme témoin.
  • Il a refusé la demande et a dit au fonctionnaire qu’il ne s’agissait pas d’une audience disciplinaire.
  • Il a dit au fonctionnaire que ses actes plus tôt ce matin‑là à Osoyoos feraient l’objet d’une enquête et qu’une autre suspension pourrait en découler.
  • Il a déclaré qu’il n’a pas hurlé à l’endroit du fonctionnaire, mais qu’il a levé le ton quelque peu.
  • Il a déclaré que le fonctionnaire lui avait coupé la parole et avait commencé à hurler à son endroit avant qu’il ne puisse faire preuve de compassion.

 

[345] Le fonctionnaire a témoigné comme suit :

  • Le 11 février, soit la veille, il avait rencontré ses gestionnaires et ils lui avaient dit de [traduction] « se désarmer », ce qui signifie qu’il devait enlever son pistolet, car on le convoquait en vue de discuter d’une autre question, ainsi que d’une question disciplinaire.
  • Il a appelé pour signaler qu’il était malade en raison du stress découlant de cette réunion, mais a dit qu’il retournerait au travail le lendemain.
  • Il a consulté sa médecin et s’est présenté au travail tôt le 12 février.
  • Il a vu l’horaire et il était déçu de ne pas être affecté à Chopaka, car il croyait qu’il le serait.
  • Il en a discuté avec le surintendant Cacchioni et a été informé que puisqu’il avait appelé pour signaler qu’il était malade, son affectation à Chopaka lui avait été retirée.
  • Il est ensuite devenu assez contrarié, bruyant et animé et a dit au surintendant Cacchioni qu’il était au travail et qu’il voulait être affecté à Chopaka.
  • Il a dit que le surintendant Cacchioni avait répondu que la direction a le droit d’affecter le travail. Dans son témoignage, le fonctionnaire a affirmé qu’il s’agissait simplement d’une autre façon pour la direction de le [traduction] « f****** ».
  • Un autre ASF a été témoin de la situation et il s’est approché pour offrir d’échanger son affectation à Chopaka afin que le fonctionnaire puisse y travailler. Le surintendant Cacchioni a approuvé l’échange d’affectations à contrecœur.
  • Le fonctionnaire a dit que peu après s'être présenté au travail à Chopaka, le surintendant Cacchioni est arrivé, est entré dans le bureau très en colère et a ordonné aux autres membres du personnel de quitter le bureau.
  • Le surintendant Cacchioni s’est ensuite déplacé hors de la vue des caméras de sécurité et a commencé à abaisser le fonctionnaire et à hurler des injures à son endroit en raison de l’incident survenu plus tôt ce matin‑là.
  • Le surintendant Cacchioni a menacé de lui imposer une mesure disciplinaire.
  • Lorsque le fonctionnaire a demandé qu’un représentant syndical soit présent, le surintendant Cacchioni a répondu [traduction] « Vous n’avez pas besoin d’un c***** de délégué. »
  • Le surintendant Cacchioni était tellement agité et en colère que le fonctionnaire craignait qu’il l’attaque ou tire sur lui.

 

[346] L’employeur a déposé un rapport rédigé par un entrepreneur privé portant sur la supposée violence en milieu de travail découlant de l’incident à Chopaka. J’ai accepté que le rapport soit versé au dossier de preuve, mais je ne lui accorde aucune valeur probante.

[347] Les déclarations des témoins qui figurent dans ce rapport constituent du ouï‑dire. Si une partie souhaite soulever un élément signalé par un témoin à l’enquêteur, elle doit citer cette personne à témoigner à l’audience.

[348] Même si les faits entourant l’événement sont contestés, il est clair, à mon avis, que le fait que le surintendant Cacchioni ait cherché à faire immédiatement un suivi à la suite d’un échange animé et stressant au poste frontalier d’Osoyoos et qu’il ait parcouru un trajet de 30 minutes en voiture pour confronter le fonctionnaire en privé, après avoir demandé ou donner son autorisation aux autres agents de quitter l’immeuble, n’était probablement pas la chose la plus sage à faire.

[349] Je ne peux pas m’empêcher de souligner que, ironiquement, le surintendant Cacchioni a manifestement envenimé une situation déjà mauvaise. Dans son témoignage, il a admis à avoir haussé le ton pendant l’échange animé à Chopaka. Il s’agit exactement des deux mêmes comportements dont le fonctionnaire avait fait preuve avec des voyageurs, mentionnés précédemment, pour lesquels le surintendant lui avait imposé des mesures disciplinaires.

[350] Toutefois, ces conclusions en soi ne suffisent pas à établir une preuve claire, logique et convaincante qui me permettrait de conclure que le fonctionnaire a été victime de harcèlement, en violation de la convention collective. Elles n’abordent pas non plus la question soulevée et soutenue par l’employeur selon laquelle le harcèlement allégué doit être fondé sur un motif de distinction illicite suivant la LCDP.

[351] En conclusion, en ce qui concerne l’allégation relative à l’incident à Chopaka, je conclus qu’il est plus probable que le fonctionnaire et le surintendant Cacchioni soient devenus, à tout le moins, quelque peu agités et qu’ils aient tous les deux haussé le ton.

[352] Le fonctionnaire m’a demandé de rendre une conclusion défavorable en matière de crédibilité à l’égard du témoignage du surintendant Cacchioni.

[353] Même si j’ai exprimé des critiques concernant la contribution du surintendant Cacchioni , ou l’absence de celle‑ci, lors de son témoignage à l’audience, je me dois de refuser l’invitation du fonctionnaire. Je m’attends à ce que les deux participants à l’événement survenu à Chopaka aient donné un témoignage fiable quant à leur version de l’évènement.

[354] Même si j’ai souligné des lacunes dans d’autres parties du témoignage du surintendant Cacchioni, je ne suis pas disposé à accepter tous les aspects de la version du fonctionnaire de l’incident survenu à Chopaka. Je n’ai aucun doute qu’il est devenu agité dès l’arrivée du surintendant Cacchioni. Le fonctionnaire a admis avoir été agité plus tôt ce matin‑là.

[355] Je tiens compte du fait que la capacité d’une personne à observer et à se souvenir de manière exacte des événements et de chaque mot exact prononcé est réduite par les répercussions psychologiques d’un stress et d’une agitation élevés.

[356] Étant donné cette conclusion relative à la preuve, je ne peux pas conclure que quoi que ce soit de fâcheux, y compris du harcèlement, a eu lieu pendant l’incident à Chopaka.

[357] En ce qui concerne l’allégation du fonctionnaire dans son grief initial selon laquelle l’employeur n’a pas pris de mesure d’adaptation pour répondre à ses besoins, elle n’a pas été poursuivie en détail dans le plaidoyer final. Toutefois, je ferai simplement remarquer qu’en raison de son retour au travail en 2015 et de l’incident concernant le manquement à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, le fonctionnaire avait signé une entente en matière de mesures d’adaptation datée du 30 avril 2015.

[358] L’entente indique clairement qu’il devait porter une protection auditive en tout temps et qu’il ne serait pas affecté à des quarts de nuit. De plus, l’entente mentionne expressément que ces mesures d’adaptation seraient en vigueur au poste frontalier d’Osoyoos ou à tout autre poste frontalier ou endroit auquel il était affecté.

[359] Le fonctionnaire a signé l’entente, indiquant qu’il l’acceptait.

[360] Plus tard en octobre 2015, le fonctionnaire a demandé une mutation à Chopaka. Toutefois, il ne s’agissait pas d’une demande de mesures d’adaptation. Même s’il pourrait avoir considéré qu’il s’agissait d’une telle demande, les éléments de preuve dont je dispose à l’audience ne me permettent pas de conclure qu’il s’agissait d’une demande de mesures d’adaptation.

[361] Pour les motifs que j’ai expliqués, je conclus que le fonctionnaire ne s’est pas acquitté de son fardeau d’établir, à l’aide d’une preuve claire, logique et convaincante et selon la prépondérance des probabilités, que l’employeur a enfreint la convention collective selon les nombreux motifs et nombreuses allégations figurant dans le présent grief.

[362] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


 

IV. Ordonnance

[363] En ce qui concerne le grief des dossiers 566‑02‑40774 et 40775 : J’ordonne que la suspension de trois jours soit remplacée par une suspension d’une journée sans solde.

[364] Pour ce qui est du grief des dossiers 566‑02‑13057 et 13058 : J’ordonne que la suspension de cinq jours soit remplacée par une suspension de deux jours sans solde.

[365] En ce qui concerne le grief des dossiers 566‑02‑13060 et 13061 : J’y fais droit et j’ordonne l’annulation de la suspension de huit jours sans solde.

[366] En ce qui a trait au grief du dossier no 566‑02‑13059 : J’y fais droit et j’ordonne que le fonctionnaire soit remboursé le salaire et les avantages sociaux qu’il aurait tirés s’il était retourné au travail le 31 mars 2015.

[367] En ce qui concerne le grief du dossier 566‑02‑14405 : il est rejeté.

[368] Je demeurerai saisi de l’affaire pendant une période de 90 jours dans l’éventualité où les parties aurait besoin d’aide à calculer le versement approprié au fonctionnaire des montants découlant de la présente ordonnance.

Le 27 janvier 2021.

Traduction de la CRTESPF

Bryan R. Gray,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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