Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Après la fin de l’audition de ses quatre plaintes, mais avant qu’une décision ne soit rendue, le plaignant a demandé à la Commission d’admettre certains documents en preuve après l’audience – pour rendre sa décision, la Commission a appliqué le critère établi dans Whyte c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, 2010 TCDP 6, et confirmé dans Murray c. Canada (Procureur général), 2013 CF 49 – la Commission a conclu que le plaignant avait fait preuve de diligence raisonnable, que les éléments de preuve proposés étaient susceptibles d’avoir une influence importante sur le résultat de l’affaire et qu’ils étaient crédibles – la Commission a également conclu que même si les trois critères de Whyte n’ont pas été satisfaits, étant donné que la demande a été faite avant qu’une décision ne soit rendue, et compte tenu de l’absence de divulgation qui a nécessité la demande, cette preuve devrait quand même être admise, dans l’intérêt de la justice.

Requête accueillie en partie.

Contenu de la décision


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Contexte

[1] La présente affaire porte sur quatre plaintes déposées en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13) qui allèguent un abus de pouvoir dans l’application du mérite. Elles visent un processus de nomination interne annoncé pour plusieurs postes en technologie de l’information classifiés au groupe et au niveau CS-02 (numéro de processus 14‑DFO‑NCR‑IA‑HRCS-102099). Le processus comportait quatre volets. Paul Abi-Mansour (le « plaignant ») a contesté quatre nominations faites dans les volets 1 et 3. La présente décision porte sur sa requête d’admettre des éléments de preuve après l’audience.

[2] Le 6 juin 2019, après la fin de l’audition de ces plaintes, mais avant qu’une décision ne soit rendue, le plaignant a demandé une période de 30 jours pour examiner un dossier volumineux d’accès à l’information et la protection des renseignements personnels (AIPRP) qu’il avait reçu trois ans plus tôt mais qu’il avait égaré. Il a demandé un délai pour lui permettre de trouver les documents qu’il pourrait demander à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») d’admettre en preuve après l’audience. L’employeur s’est opposé à la demande et la Commission de la fonction publique (CFP) n’a pris aucune position.

[3] Dans une lettre du 5 août 2020, la Commission a accordé au plaignant 10 jours pour examiner le dossier, trouver les documents qu’il souhaitait admettre et présenter sa requête à cette fin, ce qu’il a fait le 19 août 2020. Le 4 septembre 2020, l’employeur a répondu à la requête du plaignant. La CFP a indiqué qu’elle n’avait rien d’autre à présenter. Le 9 septembre 2020, le plaignant a répondu à la réponse de l’employeur.

[4] Le plaignant a soutenu que les documents qu’il souhaite voir admis proviennent de l’intimé et sont donc crédibles. Ils appuient les positions qu’il a adoptées à l’audience et sont très pertinents pour la détermination de cette affaire.

[5] Dans sa réponse, l’employeur s’est appuyé sur Whyte c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, 2010 TCDP 6, qui établit les trois critères suivants à examiner avant qu’un tribunal exerce son pouvoir discrétionnaire de rouvrir une audience et de permettre à une partie de présenter des éléments de preuve supplémentaires (comme l’a confirmé Murray c. Canada (Procureur général), 2013 CF 49) :

[…]

[…] même en faisant preuve de diligence raisonnable il n’aurait pas été possible d’obtenir les éléments de preuve pour présentation [à l’audience];

• les éléments de preuve [seraient probablement] susceptibles d’influer substantiellement sur l’issue de l’affaire, quoiqu’ils n’aient pas à être déterminants;

• les éléments de preuve […] doivent paraître crédibles même s’il n’est pas nécessaire qu’ils soient irrécusables.

[…]

 

[6] L’intimé a soutenu que le plaignant n’avait pas fait preuve de diligence raisonnable. Il était en possession du dossier d’AIPRP depuis 2016 et n’avait aucune explication raisonnable à donner pour ne pas l’avoir produit à l’audience. Il a eu amplement le temps, soit presque trois ans, pour examiner les documents et préparer son dossier. Il a égaré le disque compact contenant les documents et ne l’a trouvé qu’après l’audience, alors qu’il se préparait pour une autre affaire. L’intimé a fait valoir qu’il ne pouvait être tenu responsable du fait que le plaignant avait égaré ses documents.

[7] L’intimé a également soutenu que les nouveaux éléments de preuve proposés n’auraient pas une influence importante sur le résultat de l’affaire. Ils portent sur des questions qui ont été entièrement traitées au cours de l’audience de deux jours et demi et ne fournissent pas de nouveaux renseignements. Les témoins de l’intimé ont témoigné au sujet de l’élaboration du processus de sélection, de la stratégie de volume (comment elle a été appliquée et pourquoi elle a été mise en œuvre) et des raisons pour lesquelles la candidature du plaignant a été éliminée. Le plaignant tente de remettre en litige les mêmes questions au sujet desquelles lui-même et les témoins de l’intimé ont témoigné à l’audience. Il a eu l’occasion de contre‑interroger les témoins de l’intimé à l’égard de ces questions et il l’a fait longuement.

II. Motifs de décision

A. Diligence raisonnable

[8] L’intimé a invoqué le premier élément du critère de Whyte (diligence raisonnable) dans son objection initiale à la demande de délai du plaignant pour examiner le dossier d’AIPRP. Par conséquent, la Commission a pleinement abordé cette question dans sa lettre de décision du 5 août 2020, dans laquelle elle a donné suite à cette demande.

[9] En résumé, la Commission a conclu que le plaignant avait fait preuve de diligence raisonnable en présentant deux demandes d’ordonnance de communication de renseignements, ce qui est la procédure appropriée pour obtenir la divulgation dans une affaire de dotation. Ces deux demandes ont donné lieu à des ordonnances de produire des documents, que le plaignant cherche maintenant à admettre en preuve, après les avoir découverts dans le dossier d’AIPRP. L’intimé n’avait pas divulgué ces documents et, dans certains cas, avait indiqué qu’ils n’existaient pas. Il n’avait pas d’explication crédible à ce sujet et avait simplement déclaré que les documents ne figuraient pas dans son dossier de dotation. Cette explication n’est pas suffisante.

[10] Bien que le plaignant n’ait manifestement pas fait preuve de diligence dans la gestion du dossier d’AIPRP, il n’avait pas à le faire. Étant donné qu’il a suivi la procédure appropriée, il n’aurait pas dû être obligé de recourir à une demande d’AIPRP pour obtenir une divulgation complète.

B. Influence importante sur l’issue de l’affaire

[11] Bien qu’il soit vrai que, comme l’a soutenu l’intimé, la preuve a été présentée et que ses témoins ont été contre-interrogés sur ces questions, on ne peut pas dire en toute équité que les pièces proposées ne contiennent pas de nouveaux renseignements.

[12] En particulier, le plaignant aurait dû avoir la possibilité de contre-interroger les témoins de l’intimé au sujet des préoccupations soulevées par le personnel des Ressources humaines quant à l’utilisation du critère des atouts pour éliminer les candidats dans le processus du volet 1.

[13] De plus, l’intimé a déjà indiqué que Justin Mundy avait examiné pour la deuxième fois l’examen du volet 3 du plaignant. Bien qu’il l’ait été ordonné à deux reprises, aucune note ni aucun commentaire de M. Mundy n’ont été divulgués. Toutefois, le dossier d’AIPRP montre que le deuxième évaluateur était Etienne Beaule, qui n’avait jamais été identifié auparavant comme ayant participé au processus. Son rôle en tant que deuxième examinateur et ses commentaires (caviardés) sur l’examen du plaignant n’ont été révélés au plaignant que par l’entremise du dossier d’AIPRP.

III. Conclusion

[14] Les trois éléments du critère de Whyte ont été satisfaits, comme suit :

  1. Le plaignant n’a pas pu obtenir les renseignements avant l’audience, en faisant preuve de diligence raisonnable, parce que l’employeur ne les a pas divulgués.
  2. Certains des documents auront probablement une influence importante sur le résultat de l’affaire, plus particulièrement ceux qui contiennent des renseignements sur la décision d’appliquer le critère des atouts au processus de sélection dans le volet 1 et ceux qui contiennent des renseignements sur la notation du test du plaignant dans le volet 3.
  3. L’intimé a reconnu que la preuve proposée est crédible.

 

[15] La décision Whyte, au paragraphe 30, s’appuie sur Vermette c. Société Radio-Canada, [1994] D.C.D.P. no 14 (confirmée par [1996] A.C.F. no 1274), décision qui a adopté le critère mentionné plus haut dans la présente décision pour l’admission de la preuve postérieure à l’audience dans Gass c. Childs (1958), 43 M.P.R. 87 (C.A. N.-B.). Au paragraphe 31, Whyte cite Vermette comme suit :

Dans leur ouvrage The Law of Evidence in Civil Cases, MM. Sopinka et Lederman décrivent ainsi les principes applicables à l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire dans les cas où la demande de réouverture est soumise après le prononcé de la décision :

[Traduction] « Hors les cas de fraude ou de surprise, il doit s’agir d’éléments de preuve récemment obtenus qui n’auraient pas pu être découverts pendant l’instruction, même en faisant preuve de diligence raisonnable, et dont la nature fait qu’ils auraient pu constituer un facteur déterminant dans la décision (à la p. 542) ».

Dans les cas où la demande de réouverture est soumise avant que la décision soit rendue, il a été reconnu que les tribunaux disposent de plus de latitude. Dans l’ouvrage précité, MM. Sopinka et Lederman indiquent que la réouverture peut être accordée [TRADUCTION] « lorsque l’intérêt de la justice le requiert » […]

 

[16] Je conclus que, même si les trois critères de Whyte n’ont pas été satisfaits, étant donné que la demande avait été faite avant qu’une décision ne soit rendue, et compte tenu de l’absence de divulgation qui a nécessité la demande, cette preuve devrait quand même être admise, dans l’intérêt de la justice.

[17] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IV. Ordonnance

[18] Il est fait droit en partie à la requête du plaignant visant à admettre des éléments de preuve après l’audience. Étant donné que les documents émanent de l’intimé et qu’il a reconnu leur crédibilité, ils seront admis en preuve dans cette affaire, sans autre preuve.

[19] Les documents à admettre ont été reproduits chronologiquement et portent la mention PHE 1 à PHE 6 (post-hearing exhibit (pièce postérieure à l’audience)). Les autres documents ne satisfont pas au deuxième critère de Whyte – ils n’auraient probablement pas une influence importante sur le résultat de l’affaire et ne sont donc pas admis.

[20] Étant donné l’admission en preuve de nouveaux documents, les parties auront la possibilité d’interroger tout témoin ou de présenter toute autre preuve supplémentaire relative aux nouvelles pièces et découlant de celles-ci. Les parties doivent aviser la Commission si elles ont l’intention d’exercer cette option d’ici le 16 octobre 2020.

[21] Les parties auront également la possibilité de présenter des arguments supplémentaires sur les conclusions qu’elles aimeraient voir tirées par la Commission à partir des nouveaux éléments de preuve. Si aucune des parties ne choisit d’interroger des témoins ou de présenter des éléments de preuve supplémentaires, le plaignant peut déposer ses arguments supplémentaires au plus tard le 23 octobre 2020. L’intimé fournira sa réponse à ces arguments au plus tard le 30 octobre 2020, et le plaignant fournira sa réponse finale au plus tard le 6 novembre 2020.

Le 13 octobre 2020.

Traduction de la CRTESPF

Nancy Rosenberg,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public

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