Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a déposé un grief dans lequel elle affirmait avoir droit à une indemnité provisoire prévue à l’appendice « P » de la convention collective – la présente affaire portait sur le versement d’une indemnité provisoire aux employés qui répondent à un ensemble très précis de critères techniques et d’études – la fonctionnaire s’estimant lésée élaborait des procédures relatives aux instruments qui sont publiés dans le manuel Canada Air Pilot (CAP) – elle a soutenu que, puisque son travail est publié dans le CAP, il devrait être considéré comme un produit aéronautique, étant donné que les pilotes l’utilisent en vol – elle estimait qu’elle avait droit à l’indemnité en vertu d’une décision rendue par la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) en 2009 – l’avocate de l’employeur a mentionné le libellé révisé à l’appendice « P » et a soutenu que le travail exécuté par la fonctionnaire n’était pas admissible à titre de produit aéronautique – la Commission a déclaré que la présente affaire portait sur les définitions de « produit aéronautique » et de « fabrication » – la Commission a en outre différencié la décision de la CRTFP de 2009 de celle dont elle était saisie parce qu’elle a été rendue en vertu d’une convention collective différente – l’appendice « P » comportait un nouveau libellé – le libellé dans la présente affaire renvoie maintenant spécifiquement à « l’exécution ou la supervision de procédé de fabrication de produits aéronautiques », qui n’existait pas dans la décision de la CRTFP de 2009 – la Commission a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée créait des connaissances relatives à des procédures d’instruments pour les atterrissages et exécutait d’autres fonctions connexes que son employeur préparait ensuite afin de l’offrir en tant que service aux aviateurs – la Commission n’a pas accepté l’argument selon lequel la fonctionnaire s’estimant lésée inventait des instructions d’atterrissage pour les pilotes et qu’elle faisait donc un travail de fabrication – par conséquent, elle n’avait pas droit à l’indemnité.

Grief rejeté.

Contenu de la décision


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Résumé

[1] Depuis le 1er avril 2010, Christine Lodge, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), travaille en tant qu’inspectrice de la sécurité de l’aviation civile à un poste d’aérodromes et de navigation aérienne classifié au groupe et au niveau TI-06 à la Direction de l’aviation civile de Transports Canada (l’« employeur ») dans sa région des Praires et du Nord. Elle est titulaire d’une licence de pilote privé depuis 2007.

[2] Le 13 août 2014, la fonctionnaire a déposé un grief dans lequel elle affirmait avoir droit à une indemnité provisoire prévue à l’appendice « P » de la convention collective. Elle estimait avoir droit à l’indemnité en vertu d’une décision rendue par la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) en 2009. J’analyserai cette décision plus loin dans mes motifs.

[3] La présente affaire porte sur le versement d’une indemnité provisoire aux employés qui répondent à un ensemble très précis de critères techniques et d’études.

[4] À la lumière des faits et des éléments de preuve qui m’ont été présentés, je conclus que la fonctionnaire n’est pas admissible à l’indemnité et je rejette son grief.

II. Contexte

[5] Le 6 février 2012, la fonctionnaire a présenté une demande afin de recevoir une « indemnité provisoire – aviation », prévue à l’appendice « P » de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Services techniques. Les parties pertinentes de cet appendice sont rédigées ainsi :

[...]

Dans le but de résoudre les problèmes de maintien en poste de l’effectif, l’Employeur versera une indemnité aux titulaires de certains postes faisant partie du Groupe de l’inspection technique.

Les employé-e-s de Transports Canada, du Bureau de la sécurité des transports [...] titulaires des postes de niveau TI-5 à TI-8 énumérés ci-dessous et possédant les qualités précisées sont admissibles aux indemnités provisoires énumérées ci-dessous.

[...]

- Les inspecteurs de l’aviation civile titulaires d’un diplôme universitaire ou d’un certificat décerné par un collège, ou qui sont membres de la American Society for Quality Control, et qui possèdent six (6) à dix (10) années d’expérience en procédé de fabrication [...]

[...]

 

[6] L’employeur a indiqué que la fonctionnaire ne possédait pas les études requises ou les six à dix années d’expérience en procédés de fabrication et a refusé sa demande.

[7] Le 18 octobre 2013, la convention collective a été renouvelée jusqu’au 21 juin 2014 et l’appendice « P » a été mis à jour afin d’indiquer ce qui suit :

[...]

Les employé-e-s de Transports Canada, du Bureau de la sécurité des transports [...] titulaires des postes de niveau TI-5 à TI-8 énumérés ci-dessous et possédant les qualités précisées sont admissibles aux indemnités provisoires [...]

[...]

• Les inspecteurs de l’aviation civile titulaires d’un diplôme universitaire ou d’un certificat décerné par un collège, ou qui sont membres de la American Society for Quality Control, et qui possèdent six (6) années ou plus d’expérience au sein de l’industrie dans l’exécution ou la supervision de procédé de fabrication de produits aéronautiques [...]

[...]

 

[8] Le 23 avril 2014, la fonctionnaire a présenté une autre demande en vue d’obtenir l’indemnité provisoire - aviation, accompagnée de renseignements à l’appui.

[9] Le 25 juillet 2014, l’employeur a de nouveau rejeté sa demande pour les mêmes raisons que celles indiquées précédemment et a indiqué que le libellé de la nouvelle convention collective n’avait aucune incidence sur sa décision antérieure.

[10] Le 13 août 2014, la fonctionnaire a déposé un grief dans lequel elle affirmait que l’employeur avait enfreint l’appendice « P » de la convention collective et alléguait qu’on lui avait refusé à tort l’indemnité provisoire.

[11] Dans sa réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs datée du 28 juillet 2015, l’employeur indique qu’il a reconnu le certificat universitaire de la fonctionnaire comme étant équivalent aux critères requis.

[12] L’employeur a également indiqué qu’il y avait une différence entre le procédé de conception et celui de fabrication de produits. Ce dernier procédé est utilisé afin de créer un objet ou un produit à partir de matières premières, tandis que le processus de conception était considéré comme l’étape d’élaboration et de planification de la conception, soit l’étape qui précède le procédé de fabrication. Par conséquent, le processus de conception de l’espace aérien ne constituait pas un procédé de fabrication.

[13] L’employeur a également indiqué que le manuel Canada Air Pilot (CAP) correspond à une activité de conception, et non à un produit aéronautique, selon la définition prévue à l’article 521.01 du Règlement de l’aviation canadien, DORS/96-433 (RAC).

[14] Le RAC définit le CAP comme une « [p]ublication d’information aéronautique qui contient des renseignements sur les procédures aux instruments et qui est publiée par NAV CANADA ».

[15] Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 4 septembre 2015.

III. Preuve de la fonctionnaire

[16] La fonctionnaire a livré le témoignage suivant :

• Elle élabore des procédures relatives aux instruments, qui sont publiées dans le manuel CAP.

• Elle consulte les critères indiqués dans le guide TP-308 quand elle élabore des procédures relatives aux instruments (elle a indiqué que les chapitres 1 à 18 du guide TP-308 sont liés aux décollages et aux atterrissages aux instruments et que le chapitre 2 porte sur les altitudes minimales de sécurité).

• Elle garantit que toutes les spécifications sont respectées et que ses conceptions d’approche de la piste sont les moins complexes possibles pour les pilotes.

• Elle fait des études et parle à des intervenants (p. ex., des pilotes et des contrôleurs aériens) afin d’intégrer des facteurs externes (p. ex., des obstacles à proximité d’une trajectoire de vol, comme des arbres, des tours de communication et des édifices, entre autres) à ses conceptions d’approche d’atterrissage.

• Elle recherche des fréquences radio et des sources d’altimètre et confirme les données afin de donner aux pilotes de l’information fiable dans les cartes d’approche qui les guides vers les pistes.

• La planification de la redondance est intégrée à son travail afin de prévoir des scénarios comme un atterrissage avorté ou une défaillance des instruments et de s’assurer qu’ils sont indiqués et planifiés avec des instructions à portée de main dans le manuel CAP pour lequel elle rédige des instructions.

• Elle examine les mises à jour pertinentes et les demandes de licence pour les nouvelles tours de communication, entre autres, qui pourraient se trouver à proximité d’une trajectoire de vol.

 

[17] Un témoignage approfondi a été livré afin d’établir les activités de recherche et de planification précises et complexes qu’effectue la fonctionnaire, ainsi que l’expertise qu’elle possède dans la préparation et la publication d’instructions relatives à l’approche de piste, à l’atterrissage et au décollage de l’aéroport, qui garantissent aux pilotes et aux voyageurs canadiens des déplacements aériens sécuritaires.

[18] Le niveau élevé de détail dans le travail de la fonctionnaire et sa grande expertise étaient manifestes et des plus impressionnants.

[19] La fonctionnaire a également confirmé les demandes, les refus et le grief mentionnés précédemment, qui sont liés à sa demande de versement de l’indemnité provisoire. Elle a indiqué que l’employeur avait reconnu que ses études répondaient aux critères pour obtenir l’indemnité, mais que son travail lié à la conception et au manuel Procédures aux instruments du Canada Air Pilot, (CAP 3) avait été jugé non conforme à la définition de l’expression « procédé de fabrication de produits aéronautiques ».

IV. Preuve de l’employeur

[20] David White, un retraité qui était directeur adjoint des opérations pour l’employeur, a témoigné sur sa participation à la présente affaire. Il supervisait indirectement le travail de la fonctionnaire et avait reçu sa demande d’indemnité provisoire.

[21] M. White a livré le témoignage suivant :

• La description d’emploi pour le poste « inspecteur de la sécurité de l’aviation civile - aérodromes et navigation aérienne » de la fonctionnaire comprend les résultats suivants axés sur le service à la clientèle :

 

[Traduction]

Assurer la supervision de la sécurité et de l’homologation en aviation et des activités connexes liés aux services fournis par des individus, des entreprises, des organisations, d’autres organismes gouvernementaux et des délégués du ministre, dans la mesure où elles sont spécifiquement liées aux aérodromes et aux règlements sur le zonage des aéroports, ainsi qu’à l’espace aérien (dans la mesure où il est question des règlements sur le zonage des aéroports) afin de garantir la conformité au cadre réglementaire de l’aviation civile et de promouvoir une culture proactive de système de gestion de la sécurité (SGS) à l’échelle de l’entreprise, pour assurer la sécurité des opérations aériennes civiles au Canada.

 

• Dans l’appendice « P » révisé de la convention collective, où l’on a inséré l’expression « procédé de fabrication de produits aéronautiques » afin de remplacer l’expression « procédés de fabrication » indiquée dans la version précédente, l’employeur voulait préciser le sens de ces procédés pour le versement de l’indemnité.

• Un produit aéronautique dans un aéronef consiste en des pièces comme les moteurs, les propulseurs ou les turbines à réaction, les ailes, le train d’atterrissage, le fuselage et les autres composantes qui forment ensemble un avion.

• Un aéronef est doté d’ailes qui, à une certaine vitesse, créent une pression d’air pour faire monter l’aéronef et le maintenir dans les airs et le faire voler.

• Les diverses composantes d’un avion, qui ont été décrites de façon détaillée, sont toutes fabriquées selon des spécifications exactes et elles sont rigoureusement mises à l’essai, en plus d’être homologuées à leur construction et leur maintenance.

• Les avions sont dotés de systèmes informatiques et de logiciels qui permettent leur fonctionnement mécanique et des fonctions opérationnelles comme la navigation.

• En particulier, le programme informatique de navigation doit être mis à jour régulièrement et homologué afin de satisfaire aux normes requises indiquées dans le RAC.

• Il a cité la définition de « produit aéronautique », que l’on trouve à l’article 521.01 du RAC, qui, au moment pertinent, était libellée ainsi : « produit aéronautique Aéronef ou moteur, hélice, appareillage ou pièce d’aéronef, ou leurs éléments constitutifs » [le passage en évidence l’est dans l’original].

• Après avoir examiné la demande d’indemnité présentée par la fonctionnaire, il a déterminé que la demande était non conforme, car la fonctionnaire ne possédait aucune expérience dans les procédés de fabrication de produits aéronautiques.

• Selon lui, les critères exigeaient de posséder une expérience telle que l’utilisation de matériaux de base (p. ex., de l’acier) et de machines et outils afin de construire et d’assembler des pièces de moteur d’aéronefs qui, une fois entièrement assemblées sur un avion homologué, lui permet de voler.

• Il a comparé cette expérience à celle de la fonctionnaire, qui, selon lui, était de présenter des commentaires qui étaient par la suite publiés dans des documents de Transports Canada ou de NAV CANADA.

 

[22] En contre-interrogatoire, M. White a déclaré ce qui suit :

• La fonctionnaire lui avait dit qu’elle produisait des publications pour NAV CANADA et que le CAP était le document principal.

• Le CAP est lié aux déplacements aériens et les pilotes l’utilisent, mais il n’est pas nécessaire qu’un pilote possède le CAP ou l’utilise pour permettre à un avion de voler.

• Il a reconnu que le travail effectué par la fonctionnaire contribuait à la production du CAP et a indiqué qu’il s’agissait d’un produit, tout comme une bouteille d’eau est un produit.

V. Argumentation de la fonctionnaire

[23] La fonctionnaire a soutenu qu’elle répondait à l’ensemble des exigences prévues à l’appendice « P » de la convention collective pour recevoir l’indemnité.

[24] Elle a indiqué que la preuve établissait clairement qu’elle produit des cartes avec des itinéraires d’atterrissage et des instructions aux pilotes afin de les guider dans l’atterrissage sécuritaire d’un aéronef. M. White a concédé ces points.

[25] Elle a également indiqué qu’il avait été établi que son travail est publié dans le CAP, qui devrait être considéré comme un produit aéronautique étant donné que les pilotes l’utilisent en vol.

[26] La fonctionnaire s’est principalement fondée sur les arguments liés à l’interprétation contractuelle et à la décision rendue par la CRTFP dans Lessard c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2009 CRTFP 34, au paragraphe 40 :

40 Je retiens ces définitions et j’estime qu’il n’y a pas lieu en l’espèce de s’écarter du sens ordinaire des mots. Je ne vois d’ailleurs pas sur quelle base je limiterais l’expérience en procédé de fabrication exigée à l’annexe « P » aux secteurs industriel ou manufacturier. Appliquant les définitions proposées par le dictionnaire des termes « procédé », « fabriquer » et « fabrication », je considère que l’expérience de travail de M. Lessard à Santé Canada peut être considérée comme une expérience en procédé de fabrication. La preuve a démontré que les technologues du laboratoire fabriquaient des milieux de cultures micro-biologiques, des solutions ou des suppléments en suivant des recettes à partir de matières et composantes. Ces milieux de cultures, solutions ou suppléments constituent un « produit » différent des composantes initiales. Les composantes constituent la matière première qui est transformée suivant une méthode, un procédé, une recette spécifique. Ce processus m’apparaît correspondre à une conception générale de ce qu’on entend par un procédé de fabrication. L’appendice « P » de la convention collective ne précise pas que l’employé doit avoir conçu un procédé de fabrication, il doit simplement posséder une expérience en procédé de fabrication. Je considère que M. Lessard possède une telle expérience parce qu’il a été appelé à appliquer et à superviser la mise en œuvre de procédés de fabrication de milieux de cultures micro-biologiques, de solutions et de suppléments. Comme rien dans l’appendice « P » ne m’incite à adopter une interprétation plus restrictive pour « procédé de fabrication », je suis d’avis que l’expérience de M. Lessard répond au critère d’admissibilité prévu à l’appendice « P ». Quant à la durée de son expérience, la preuve a démontré qu’elle était de 10 ans et 8 mois. À la lumière de ce qui précède, je conclus donc que M. Lessard rencontre les critères d’admissibilité pour bénéficier de l’indemnité provisoire.

[Je souligne]

 

[27] La fonctionnaire a parlé du fait que l’appendice « P » avait été modifié après Lessard afin d’inclure l’exigence selon laquelle l’expérience en procédé de fabrication doit être liée aux produits aéronautiques, exigence à laquelle sa contribution à l’élaboration du manuel CAP correspond clairement, selon elle.

[28] Elle a soutenu que je ne devrais pas interpréter le mot « fabrication » de manière spécialisée et restrictive. Elle a indiqué que la Commission avait accepté la même approche à l’égard de l’interprétation dans Lessard que celle qu’elle propose dans l’affaire dont je suis saisi.

[29] Elle a également soutenu que les parties elles-mêmes n’avaient pas intégré ou invoqué spécifiquement la définition de l’expression « produits aéronautiques » telle qu’on la trouve à l’article 521.01 du RAC. Par conséquent, elle a affirmé que je devrais consulter les définitions que l’on trouve dans le dictionnaire et les accepter en tant que définitions courantes.

[30] La fonctionnaire a cité le Canadian Labour Arbitration de Brown et Beatty, cinquième édition, au paragraphe 4:2000, qui indique ce qui suit :

[Traduction]

[...] le libellé (des conventions collectives) doit être lu dans son contexte global et dans son sens grammatical et ordinaire [...] et que, selon la présomption principale, les parties sont présumées avoir voulu dire ce qu’elles ont dit et la signification de la convention collective doit être recherchée dans ses dispositions expresses.

 

[31] Elle a également cité le Concise Oxford English Dictionary, 10e édition révisée, pour les définitions suivantes :

[Traduction]

[...]

aéronautique [...] l’étude ou la pratique des déplacements aériens [...]

[...]

produit [...] article ou substance fabriqué ou mis au point pour la vente [...] substance produite dans le cadre d’un procédé naturel, chimique ou de fabrication [...]

[...]

fabriquer [...] 1 fabriquer (quelque chose) à grande échelle au moyen d’une machinerie. 2 (d’une chose vivante) produit (une substance) naturellement. 3 faire ou produire une chose (abstraite) d’une façon à peine mécanique. 4 inventer ou fabriquer (un témoignage ou un récit) [...]

[...]

procédé [...] 1 une série de mesures prises ou d’étapes suivies pour réaliser un but précis [...]

[...]

 

[32] Lorsque l’on compare ces définitions aux termes que l’on trouve à l’appendice « P » (procédé de fabrication de produits aéronautiques), la fonctionnaire soutient que le contenu qu’elle crée pour le CAP correspond clairement aux définitions tirées du dictionnaire Oxford citées ci-dessus.

[33] Le témoignage qu’elle a livré plus tôt sur son travail correspond à la définition d’inventer ou de fabriquer, que l’on trouve dans le contenu qu’elle crée pour le CAP. En outre, il s’agit d’un produit lié à l’aéronautique, étant donné que les pilotes utilisent le CAP en vol.

[34] Elle a ajouté que le CAP était le fruit d’un procédé. Ainsi, elle répondait à tous les aspects des termes courants utilisés à l’appendice « P ».

VI. Argumentation de l’employeur

[35] L’avocate de l’employeur a mentionné le libellé révisé à l’appendice « P » et a soutenu que le travail exécuté par la fonctionnaire n’est pas considéré comme un produit aéronautique.

[36] Elle a cité la décision rendue par la Commission dans Chafe c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112, au paragraphe 50, en tant qu’autorité pour la proposition selon laquelle les arbitres de grief peuvent uniquement interpréter la convention collective. Ils ne devraient pas y apporter des modifications ou des ajouts.

[37] Elle a également indiqué que l’article 229 de la Loi m’interdit spécifiquement d’en arriver à une décision après avoir interprété la convention collective, ce qui pourrait effectivement la modifier, comme il est indiqué dans Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, au paragraphe 34.

[38] L’avocate de l’employeur a établi une distinction avec Lessard à partir des faits. Elle a indiqué qu’au paragraphe 40 de cette décision, la Commission a déclaré ce qui suit afin d’expliquer comment le fonctionnaire dans cette affaire fabriquait des « matières premières » quand il préparait de la gélatine pour des boîtes de pétri aux fins d’utilisation dans les laboratoires scientifiques et de santé :

40 [...] Les composantes constituent la matière première qui est transformée suivant une méthode, un procédé, une recette spécifique. Ce processus m’apparaît correspondre à une conception générale de ce qu’on entend par un procédé de fabrication [...]

 

[39] L’avocate a également fait valoir que l’argument de l’employeur reposait fondamentalement sur l’existence d’une définition réglementaire de l’expression « produit aéronautique » dans le RAC, et elle a indiqué que je devrais la respecter, contrairement à l’opinion de la fonctionnaire.

[40] Elle a cité Brown et Beatty à l’appui de cet argument, qui indiquent, au paragraphe 2:2110 ([traduction] « La loi comme aide à l’interprétation et à l’application de la convention »), ce qui suit :

[Traduction]

[...] Il est généralement reconnu qu’un arbitre peut se pencher adéquatement sur le sens d’une loi afin de l’aider à interpréter une convention collective [...]

[...]

[...] L’existence d’une définition législative peut donner lieu à une présomption selon laquelle le libellé devra être clair pour l’emporter sur le même sens que celui donné au même terme dans une convention collective.

 

[41] Le sujet se poursuit au paragraphe 2:2120 : [traduction] « Même s’il n’est pas nécessaire d’intégrer la loi à la convention collective pour qu’un arbitre la prenne en considération, des dispositions législatives peuvent y être intégrées par renvoi ».

[42] L’avocate a également présenté des publications érudites et mentionné les principes bien reconnus en matière d’interprétation selon lesquels il faut trouver l’intention des parties, que les parties sont réputées avoir voulu dire ce qu’elles ont dit et que le contexte dans lequel on trouve les mots est crucial pour déterminer leur sens (Brown et Beatty, au paragraphe 4:2150).

[43] L’avocate a également fait valoir que je dois tenir compte du sens des mots selon le métier précis pour lequel cette affaire est examinée au moment d’en déterminer le sens.

[44] Elle a invoqué l’ouvrage Collective Agreement Arbitration in Canada de Palmer et Snyder, à la page 288, et a affirmé que ce contexte pourrait indiquer que les mots ne sont pas utilisés dans leur sens ordinaire ou commun, mais que l’on a plutôt voulu leur donner un sens particulier dans cette situation.

[45] Pour résumer son argumentation, l’avocate a indiqué que le travail de la fonctionnaire consiste à rédiger des instructions d’atterrissage aux instruments à l’intention des pilotes, qu’ils peuvent utiliser afin de trouver une approche sécuritaire pour atterrir à un aéroport. Elle a indiqué que la définition de l’expression « produit aéronautique » que l’on trouve dans le RAC s’applique et qu’à la lumière d’une simple lecture de celle-ci, qui indique « [...] Aéronef ou moteur, hélice, appareillage ou pièce d’aéronef, ou leurs éléments constitutifs », les instructions d’atterrissage rédigées par la fonctionnaire ne sont pas visées par cette définition.

[46] L’avocate a également fait référence à la définition législative de l’expression « produit aéronautique » que l’on trouve au paragraphe 3(1) de la Loi sur l’aéronautique (L.R.C. (1985), ch. A-2). Cette définition se lit ainsi : « produits aéronautiques Les aéronefs, les moteurs, les hélices et appareillages daéronefs, ainsi que leurs pièces ou autres éléments constitutifs, y compris les matériels et logiciels informatiques [...] » [le passage en évidence l’est dans l’original]. 

[47] L’avocate m’a suggéré de considérer la version modifiée de l’appendice « P » et le témoignage de M. White en tant que preuve de l’intention des parties d’apporter une précision et d’éviter qu’une situation semblable à celle décrite dans Lessard se reproduise.

[48] Je refuse cette invitation à m’interroger sur l’intention des parties, étant donné que le libellé du texte en litige est clair.

[49] L’avocate a également renvoyé à la description d’emploi de la fonctionnaire et a suggéré qu’elle constitue une preuve selon laquelle le travail accompli par la fonctionnaire ne comprend pas la fabrication.

[50] Plus précisément, elle a indiqué que la description d’emploi était axée sur des activités liées au service et sur des fonctions liées à la conformité, qui n’ont aucun lien avec la fabrication.

[51] Elle a terminé en distinguant Lessard selon ses faits et en indiquant que l’affaire portait sur une version désuète du libellé de la convention collective qui est fondamentale en l’espèce, soit l’interprétation de l’expression « procédé de fabrication de produits aéronautiques ».

[52] Selon l’avocate, Lessard reposait sur la définition du procédé de fabrication comme un procédé dans le cadre duquel on utilise des matières premières, ce que le fonctionnaire faisait dans ce cas quand il mélangeait des moules en gélatine pour les boîtes de pétri.

[53] Elle a comparé ce procédé à ce que la fonctionnaire faisait en l’espèce et cette dernière n’a d’ailleurs présenté aucune preuve selon laquelle elle utilisait des matières premières.

VII. Réfutation de la fonctionnaire

[54] La représentante de la fonctionnaire a indiqué que la définition apparaissant à l’appendice « P » ne disait rien sur la définition d’un « produit aéronautique », même si elle avait été modifiée, et que je devrais interpréter l’expression selon son sens commun et ordinaire, comme ce fut le cas dans Lessard.

VIII. Motifs

[55] La présente affaire porte sur les définitions de « produit aéronautique » et de « fabrication » et sur la façon dont je les applique aux faits du travail accompli par la fonctionnaire, qui comprend la création de contenu pour les instructions d’atterrissage indiquées dans le CAP.

[56] Les règles relatives à l’interprétation de la convention collective sont résumées par Brown et Beatty dans Canada Labour Arbitration, 5e édition, au paragraphe 4:2100 :

[Traduction]

[…]

L’approche canadienne moderne à l’égard de l’interprétation des conventions (y compris les conventions collectives) et des lois est comprise dans le principe moderne de l’interprétation, qui s’énonce ainsi pour les conventions collectives :

 

Dans l’interprétation des conventions collectives, le libellé de la convention collective doit être interprété dans son contexte intégral, selon son sens grammatical et ordinaire, en conformité avec l’économie et l’objet de la convention et avec l’intention des parties.

 

En conséquence, pour établir l’intention des parties, la présomption principale est que les parties sont censées avoir voulu dire ce qu’elles ont dit et que le sens de la convention collective doit être cherché dans ses dispositions expresses.

[...]

Quoi qu’il en soit, lorsqu’ils doivent choisir entre deux interprétations linguistiques acceptables, les arbitres ont été guidés par l’objet de la disposition particulière, le caractère raisonnable de chaque interprétation possible, la faisabilité administrative et la question de savoir si l’une des interprétations possibles entraînerait des anomalies.

 

[57] Les parties sont toutes deux très averties dans leur capacité de négocier collectivement et leur relation mature s’étend sur de nombreuses conventions collectives conclues au fil de plusieurs décennies.

[58] Elles ont toutes deux fait un choix conscient de ne pas créer un ou des termes définis dans la convention collective afin de répondre aux questions dont je suis saisi.

[59] La fonctionnaire était au courant que l’on avait réussi, dans Lessard, à interpréter la clause en litige et elle a cherché à répéter cette réussite en l’espèce.

[60] L’employeur a invoqué le nouveau libellé de l’appendice « P » afin de distinguer la décision Lessard de la présente affaire.

[61] Étant donné que les parties ont décidé de ne pas négocier les définitions de ces expressions clés, je crois qu’il est seulement raisonnable d’utiliser les définitions prévues dans la Loi sur l’aéronautique et dans le RAC en tant qu’aides à l’interprétation. Je souligne les arguments présentés par l’employeur selon lesquels les arbitres de grief sont réputés tenir compte des définitions réglementaires et législatives en tant qu’aides à l’interprétation quand la convention ne définit pas ces termes.

[62] Je mentionne le passage suivant tiré de Lessard :

[...]

11 À titre de technologue, M. Lessard avait comme principale fonction de préparer les milieux de cultures en suivant les diverses recettes. À titre de chef du laboratoire, il était responsable de toutes les activités du laboratoire incluant la préparation des procédures normalisées, la mise en œuvre de programmes de contrôle et de qualité, l’entretien et le calibrage des équipements et instruments, la formation des employés, etc.

12 M. Lessard a reconnu qu’il n’avait aucune expérience en procédé de fabrication dans le domaine de l’aviation civile et qu’il n’avait aucune expérience dans le domaine de l’aviation avant son arrivée à Transports Canada.

[...]

[Je souligne]

 

[63] Il a été conclu que M. Lessard était admissible à recevoir l’indemnité provisoire pour les inspections liées à la fabrication d’aéronefs et à la conformité réglementaire. Comme l’arbitre de grief l’a indiqué au paragraphe 35 de la décision, les parties ont « utilisé un patron commun pour définir le critère relatif à l’expérience pour toutes les catégories de postes sauf pour les inspecteurs de l’aviation civile ».

[64] L’arbitre de grief estimait que les parties avaient « défini un profil plus général pour cette catégorie d’employés » dans la convention collective, ce qui signifie que l’expérience requise pouvait être générale, et pas nécessairement liée à l’aviation civile.

[65] De plus, au paragraphe 40 de la décision, l’arbitre de grief a déterminé que M. Lessard possédait une expérience liée à un « procédé de fabrication » :

[...] Les composantes constituent la matière première qui est transformée suivant une méthode, un procédé, une recette spécifique. Ce processus m’apparaît correspondre à une conception générale de ce qu’on entend par un procédé de fabrication [...]

 

[66] L’arbitre de grief dans Lessard a mentionné le risque de suivre la voie du sens « normal ou ordinaire » des mots afin de déterminer l’intention des parties, comme suit :

[...]

32 Pour trancher le litige, je dois interpréter le texte de l’appendice « P » afin d’y déceler l’intention des parties. Dans leur ouvrage Canadian Labour Arbitration, les auteurs Brown et Beatty résument bien les règles d’interprétation qui doivent guider l’arbitre de grief appelé à interpréter les dispositions d’une convention collective :

[Traduction]

On a souvent dit que, au moment d’interpréter les termes d’une convention collective, l’essentiel consiste à découvrir l’intention des parties à la convention.

[...]

En conséquence, pour déterminer l’intention des parties, l’hypothèse fondamentale est que les parties avaient l’intention de dire ce qu’elles ont dit et qu’il faut rechercher le sens de la convention collective dans ses dispositions expresses [...]

[...]

En cherchant à découvrir l’intention des parties à l’égard d’une disposition particulière de la convention, les arbitres ont généralement supposé que le libellé dont ils sont saisis doit s’entendre au sens normal ou ordinaire, à moins que cette interprétation ne donne lieu à une absurdité ou à une contradiction avec le reste de la convention collective, ou à moins que le contexte ne révèle que les mots sont employés dans un autre sens.

[...]

[Je souligne]

 

[67] Je ne suis pas lié par le résultat obtenu dans Lessard et je ne puis accepter celui-ci. Je conclus que le résultat, dans la mesure où il est question de l’approche à l’égard de l’interprétation, appartient à la catégorie des résultats absurdes contre lesquels Brown et Beatty mettent en garde et qui devraient porter une personne à s’arrêter et à examiner la question de nouveau après avoir mené une analyse du sens normal et ordinaire du libellé en litige quand elle se trouve devant un milieu de travail très technique et très réglementé, comme c’est le cas en l’espèce.

[68] Je distingue aussi Lessard de l’affaire dont je suis saisi, parce qu’elle a été rendue en vertu d’une convention collective différente. L’appendice « P » a un nouveau libellé. Le libellé en l’espèce renvoie maintenant spécifiquement à « l’exécution ou la supervision de procédé de fabrication de produits aéronautiques », qui n’existait pas dans Lessard.

[69] De plus, dans l’argumentation des parties, qui présentaient des définitions contradictoires tirées de dictionnaires, je constate que la définition tirée du dictionnaire qu’a présentée la fonctionnaire pour le mot « fabrication » ne correspondait pas à son travail.

[70] Dans l’usage qu’elle a retenu du mot dans le dictionnaire, qui a été cité précédemment, elle a indiqué qu’il était défini, selon le quatrième usage, comme suit : [traduction] « fabriquer; inventer ou fabriquer », mais il est ensuite indiqué ce qui suit dans le dictionnaire : [traduction] « (un témoignage ou un récit) ».

[71] La représentante de la fonctionnaire n’a pas mentionné cette conclusion de la quatrième définition indiquée dans le dictionnaire qu’elle a choisi (« un témoignage ou un récit ») dans son argumentation, mais il est nécessaire pour comprendre le contexte de la définition du dictionnaire qu’elle a cité.

[72] De plus, si je me fonde sur les définitions réglementaire et législative des expressions au cœur du présent grief, qui sont utilisées en tant qu’aides à l’interprétation, je conclus que le travail de la fonctionnaire, qui est de créer du contenu pour le CAP, n’est pas considéré comme de la fabrication.

[73] Le RAC définit le CAP comme une « [p] ublication d’information aéronautique qui contient des renseignements sur les procédures aux instruments et qui est publiée par NAV CANADA [...] ».

[74] La fonctionnaire accomplit un travail très technique et très valorisé dans notre société, mais il ne s’agit pas d’un travail de fabrication.

[75] Elle crée des connaissances relatives à des procédures d’instruments pour les atterrissages et exécute d’autres fonctions connexes, comme elle l’a indiqué plus tôt dans son témoignage. Son employeur prépare ensuite ces connaissances afin de les offrir en tant que service aux aviateurs. Ce fait est saisi dans sa description d’emploi présentée en tant que preuve.

[76] Je n’accepte pas l’argument selon lequel la fonctionnaire travaillait à l’invention d’instructions d’atterrissage pour les pilotes et qu’elle faisait donc un travail de fabrication.

[77] Pour les motifs expliqués précédemment dans la présente décision, je conclus que la fonctionnaire ne s’est pas acquittée de son fardeau de présenter des éléments de preuve clairs et convaincants qui me permettent de conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle est admissible à l’indemnité provisoire prévue à l’appendice « P » de la convention collective.

[78] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IX. Ordonnance

[79] J’ordonne que le grief soit rejeté.

Le 27 janvier 2021.

Traduction de la CRTESPF

Bryan R. Gray,

une formation de la Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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