Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a renvoyé à l’arbitrage un grief contestant la décision de son employeur de recouvrer des sommes qui lui avaient déjà été payées lors d’un congé pour accident de travail – l’employeur a soulevé plusieurs objections, notamment sur la compétence de la Commission, sur le fait que le grief renvoyé à l’arbitrage était différent de celui déposé initialement et sur le dépôt hors délai du grief – la Commission a non seulement déterminé que le grief renvoyé à l’arbitrage était le même que celui initialement déposé, mais qu’elle avait compétence pour l’entendre puisqu’il avait pour fondement la convention collective – de plus, elle a conclu que l’employeur ne pouvait soulever une objection sur le délai à l’étape de l’arbitrage compte tenu que l’employeur disposait de 30 jours pour le faire et qu’il ne l’avait pas fait – la Commission a conclu que la convention collective ne prévoit pas explicitement que l’employeur puisse recouvrer rétroactivement des sommes déjà payées – la clause 30.16 de la convention collective est un des éléments de protection des fonctionnaires en matière d’accidents de travail ainsi que la loi fédérale qui incorpore les régimes provinciaux d’indemnisation des accidents du travail – la Commission a statué que la convention collective devait être interprétée en tenant compte de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles – la Commission a conclu que l’employeur avait contrevenu à la convention collective et qu'il n'y avait pas eu de paiement en trop dans la mesure où le fonctionnaire s’estimant lésé avait soumis une réclamation certifiée par l’organisme provincial – la Commission a ordonné le remboursement par l’employeur des sommes recouvrées.

Grief accueilli.

Contenu de la décision

Date: 20210205

Dossier: 566-02-14906

 

Référence: 2021 CRTESPF 13

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

jean-claude poupart

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Service correctionnel du Canada)

 

employeur

Répertorié

Poupart c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Renaud Paquet, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : François Ouellette, avocat

Pour l’employeur : Philippe Giguère, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 3, 19 et 25 juin, le 28 août, les 18 et 30 septembre
et le 11 décembre 2020.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Le 6 décembre 2017, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), Jean-Claude Poupart, a déposé un grief contestant la décision du Service correctionnel du Canada (l’« employeur ») de recouvrer des sommes versées antérieurement pour un congé pour accident de travail.

[2] Le grief se lit comme suit :

Description du grief

Je conteste la décision de l’employeur de recouvrer le congé pour accident de travail qui m’avait dûment été octroyer pour la période de décembre 2014 à août 2015, en contravention avec l’article 363 de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles :

363. Lorsque la Commission, à la suite d’une décision rendue en vertu de l’article 358.3, ou le Tribunal administratif du travail annule ou réduit le montant d’une indemnité de remplacement du revenu ou d’une indemnité de décès visée dans l’article 101 ou dans le premier alinéa de l’article 102 ou une prestation prévue dans le plan individualisé de réadaptation d’un travailleur, les prestations déjà fournies à un bénéficiaire ne peuvent être recouvrées, sauf si elles ont été obtenues par mauvaise foi ou s’il s’agit du salaire versé à titre d’indemnité en vertu de l’article 60.

Mesures correctives demandées

Je demande que tout les sommes qui ont été recouvrer me sois rembourser et que toutes les journées de travail manquées pour cause d’indigence financière due à la faute de l’employeur soient rémunérées comme si elles avaient été travaillées. De plus, je demande dommage et intérêt pour acte délibéré ou inconsidéré.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

[3] L’employeur a rejeté le grief à chacun des paliers de la procédure de règlement de griefs. M. Poupart a renvoyé le grief à l’arbitrage le 1er mars 2018, avec l’appui de l’agent négociateur, l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (l’« agent négociateur »). La convention collective applicable est celle entre l’employeur et l’agent négociateur pour le groupe Services correctionnels, expirant le 31 mai 2014.

II. Résumé des faits

[4] Les faits relatifs au grief ne sont pas contestés. Les parties ont présenté plusieurs documents dont un énoncé conjoint des faits signé par les avocats des deux parties. Dans les paragraphes 5 à 19 qui suivent, je reprends l’essence de cet énoncé en précisant les occasions où un document a été présenté en preuve sur accord des deux parties.

[5] M. Poupart travaille pour l’employeur comme agent correctionnel depuis le 26 avril 2009, à l’établissement correctionnel de Drummond, au Québec.

[6] Le 31 janvier 2015, M. Poupart a produit un Avis de l’employeur et demande de remboursement. Dans cet avis, il a allégué avoir fait l’objet de menaces de mort et d’intimidation de la part d’un détenu. Il a cessé de travailler le jour même.

[7] Le 2 février 2015, il a consulté un médecin qui a fait état « d’anxiété liée à des menaces de mort et d’un possible stress post-traumatique en développement vs un trouble d’adaptation ». Le 18 février 2015, le médecin traitant a posé un diagnostic de « trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse ». Il a prolongé l’arrêt de travail de M. Poupart.

[8] Le 5 mars 2015, M. Poupart a déposé une Réclamation du travailleur auprès de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec (CSST). Le même jour, l’employeur a émis et signé un avis de rémunération pour un congé payé pour accident de travail rétroactif au 1er février 2015, sous réserve de l’approbation de la CSST.

[9] Le 12 mars 2015, le médecin traitant a posé un diagnostic de « trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse versus un syndrome de stress post-traumatique ». L’arrêt de travail a été prolongé lors de consultations subséquentes.

[10] Le 16 mars 2015, l’employeur a contesté la Réclamation du travailleur, déposée le 5 mars 2015 par M. Poupart auprès de la CSST. Selon l’employeur, les allégations de M. Poupart sont sans fondement, car il n’a pas été victime d’un accident de travail. Le 18 juin 2015, la CSST a accepté la réclamation pour accident de travail de M. Poupart, rendant ce dernier admissible à des indemnités de remplacement du revenu. À la suite de cette décision, M. Poupart a été « placé » en congé pour accident de travail, rétroactivement au moment de son arrêt de travail, en vertu de la clause 30.16 de la convention collective.

[11] Le 14 juillet 2015, l’employeur a demandé la révision de la décision de la CSST auprès de la Direction de la révision administrative de la CSST. Selon l’employeur, il ne s’agit pas d’un accident du travail ou d’une lésion professionnelle selon l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (chapitre A-3.001; la « LATMP »).

[12] Le 10 août 2015, 136 jours après le début du congé payé de M. Poupart pour accident de travail, l’employeur a mis fin au congé en se basant sur le bulletin 2014-04 du Service correctionnel du Canada. Le dossier de M. Poupart a été transféré à la CSST, qui lui versait des indemnités de remplacement du revenu pour accident de travail. À partir du 10 août 2015, M. Poupart était en congé de maladie sans solde indemnisé par la CSST.

[13] Le 2 novembre 2015, la Direction de la révision administrative de la CSST a annulé la décision du 18 juin 2015 de la CSST, au motif que M. Poupart n’avait pas subi de lésions professionnelles. De ce fait, la CSST a cessé de lui verser des indemnités de remplacement du revenu, mais aucune procédure de recouvrement des indemnités de remplacement du revenu déjà versées à M. Poupart n’a été entamée.

[14] Du mois d’août au 11 décembre 2015, M. Poupart a reçu de la CSST 9 916,12 $ en indemnité de remplacement du revenu. Il a aussi reçu des prestations d’assurance de la Sun Life pour motif d’invalidité de longue durée, et ce, du 4 mai 2015 au 3 mai 2017. Les prestations de la Sun Life versées à M. Poupart, avant déductions, du 4 mai 2015 au 31 juillet 2015, totalisent 12 405,54 $. M. Poupart a remboursé les prestations d’assurance de la Sun Life qui lui ont été versées en trop, soit 10 559.89 $.

[15] Le 30 novembre 2015, M. Poupart a contesté la décision de la Direction de la révision administrative de la CSST devant la Commission des lésions professionnelles, devenue entre-temps le Tribunal administratif du travail « le Tribunal ».

[16] Le 6 et le 27 avril 2016, et lors d’autres discussions subséquentes, l’employeur a informé M. Poupart qu’il annulerait rétroactivement le salaire versé lors du congé payé pour accident de travail en raison de la décision de la CSST. Ce faisant, l’employeur a informé M. Poupart qu’il procéderait au recouvrement d’un trop-payé de 33 422,00 $ avant déductions, soit un montant net de 21 826,84 $ à partir des premiers fonds disponibles lors de son retour au travail. L’employeur a informé M. Poupart qu’il devait soumettre une « demande d’exemption » dès son retour au travail si le recouvrement lui causait des difficultés financières.

[17] Le 3 février 2017, le Tribunal administratif du travail a rejeté la contestation de M. Poupart, confirmant la décision rendue le 2 novembre 2015. Le Tribunal a conclu que M. Poupart n’avait pas subi de lésion professionnelle sous la forme d’un accident de travail au sens de la LATMP. Cette décision n’a pas fait l’objet d’un pourvoi en contrôle judiciaire.

[18] Le 8 juin 2017, M. Poupart est retourné au travail. Vu qu’un trop-payé avait été généré dans le système de paie Phénix, le trop-payé a été recouvré automatiquement à partir des premiers fonds disponibles. En conséquence, jusqu’au 18 octobre 2017, les paies de M. Poupart étaient de 0 $, après déductions, impôt et recouvrement de la dette. Après plusieurs discussions entre les parties, l’employeur a accordé quatre avances de salaire à M. Poupart, totalisant 3 843,00 $.

[19] À partir de la première paie de novembre 2017, et après plusieurs discussions entre les parties, le recouvrement a été échelonné sur une plus longue période et comptait pour moins de 10 % du salaire brut de M. Poupart.

[20] M. Poupart a donc été absent du travail du 1er février 2015 au 8 juin 2017. Ce grief vise plus particulièrement la période du 1er février 2015 au 11 décembre 2015. Pendant une partie de cette période, M. Poupart a reçu des prestations d’assurance de la Sun Life, mais il les a par la suite remboursées, compte tenu de son admissibilité au congé pour accident de travail subséquemment établie. M. Poupart a bénéficié d’un congé pour accident de travail du 1er février 2015 au 10 août 2015. Il a alors reçu son plein salaire, celui-ci ayant plus tard fait l’objet d’un recouvrement. Puis, du 11 août au 11 décembre 2015, le dossier de M. Poupart a été transféré à la CSST, qui lui a versé des indemnités de remplacement de revenu pour accident de travail.

III. Objections préliminaires

A. Pour l’employeur

[21] L’employeur demande à la Commission de rejeter le grief, au motif que son objet ne fait pas partie du champ de compétence établi par l’article 209 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Selon lui, le grief et les allégations de M. Poupart n’ont rien à voir avec la convention collective. Ni dans le grief ni lors de la procédure interne de règlement des griefs n’a-t-il été question de la convention collective. M. Poupart allègue plutôt que la décision de l’employeur va à l’encontre de l’article 363 de la LATMP du Québec. Or, la Commission n’a pas compétence pour interpréter cette loi qui, de toute façon, ne s’applique pas aux fonctionnaires fédéraux, qui sont plutôt régis par la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État (L.R.C. (1985), ch. G-5; la « LIAE »).

[22] L’employeur fait également valoir que, lors du renvoi à l’arbitrage, M. Poupart et l’agent négociateur ont invoqué une violation de la clause 30.16 de la convention collective et ont utilisé le formulaire à cet effet. Puisque M. Poupart n’a pas dénoncé une violation de la convention collective dans son grief ou lors des représentations aux divers paliers de la procédure de règlement des griefs, il modifie donc son grief à l’arbitrage. Il n’a pas le droit de modifier son grief à cette étape, conformément au principe établi dans Burchill c. Procureur général du Canada [1981] 1 C.F. 109 (« Burchill »). Toutefois, l’employeur a retiré cette objection le 25 août 2020.

[23] L’employeur avance aussi que le grief de M. Poupart a été déposé en dehors des délais prescrits.

[24] En appui à ses objections, l’employeur me renvoie aux décisions suivantes : Cameron c. Administrateur général (Bureau du directeur des poursuites pénales), 2015 CRTEFP 98; Nadeau c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 31; Nadeau c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 203; Wray c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2012 CRTFP 64; Lee c. Administrateur général (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2008 CRTFP 5; Société canadienne des postes c. Boucher, 2007 QCCLP 4772; Boudreau c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2010 CRTFP 100; Boudreau c. Canada (Procureur général), 2011 CF 868.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[25] Le fonctionnaire fait valoir que le grief est demeuré le même, depuis son dépôt jusqu’à son renvoi à l’arbitrage. Selon lui, les réponses de l’employeur au grief démontrent que ce dernier comprenait parfaitement les détails de ce qui lui était reproché, c’est-à-dire le recouvrement rétroactif des indemnités de congé pour accident de travail. L’employeur ne peut déclarer qu’il est pris par surprise au motif que le grief ne renvoie pas à l’article de la convention collective sur le congé pour accident de travail.

[26] Selon l’employeur, la Commission n’est pas l’instance pour trancher la question soulevée dans le grief, car cette dernière n’a pas compétence pour interpréter la LATMP, qui ne s’applique pas aux fonctionnaires fédéraux régis par la LIAE. Or, la question est tout autre, car le grief mentionne expressément que M. Poupart conteste la décision de l’employeur de recouvrer le congé pour accident de travail. Cette question vise l’application et l’interprétation de la clause 30.16 de la convention collective. La Commission est la seule instance pour contester une telle décision de l’employeur.

[27] La clause 30.16 de la convention collective renvoie directement au fait que les réclamations des indemnités sont liées à la LIAE. La LIAE ne s’applique pas indépendamment des lois provinciales. Elle incorpore d’ailleurs par renvoi la législation provinciale à plusieurs endroits, notamment en matière d’indemnité. Les tribunaux supérieurs l’ont maintes fois reconnu.

[28] Enfin, l’employeur ne peut en l’espèce soulever à l’étape de l’arbitrage une objection relative aux délais. Selon le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement »), l’employeur disposait de 30 jours pour soulever une telle objection, ce qu’il’ n’a pas fait. Il ne peut plus maintenant soulever une telle objection.

[29] Le fonctionnaire m’a renvoyé aux décisions suivantes : Burchill; Delage c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et Océans), 2008 CRTFP 56; Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 28; Martin c. Alberta (Workers’ Compensation Board), 2014 CSC 25 (« Martin »); Lafrance c. Conseil du Trésor (Statistique Canada), 2006 CRTFP 56; Sidhu c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 76; McWilliams c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 58; Pannu c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 4.

C. Motifs relatifs aux objections préliminaires

[30] L’employeur soulève deux objections. Tout d’abord, il s’oppose à la compétence de la Commission d’entendre un grief qui conteste une décision de l’employeur, laquelle décision va à l’encontre de l’article 363 de la LATMP, qui ne s’applique pas aux fonctionnaires fédéraux. L’employeur s’oppose aussi au fait que le grief renvoyé à l’arbitrage soit différent du grief initialement déposé.

[31] L’employeur affirme également que le grief de M. Poupart a été renvoyé en dehors des délais prescrits. Sur ce point, je suis d’accord avec l’agent négociateur que l’employeur ne peut soulever à l’étape de l’arbitrage une objection relative aux délais. Selon le Règlement, l’employeur disposait de 30 jours pour soulever une telle objection et il ne l’a pas fait. Il est maintenant trop tard pour le faire. Je ne suis pas certain si l’employeur voulait formellement soulever une objection relative aux délais. Quoi qu’il en soit, il en a fait mention et je devais me prononcer sur la question.

[32] Les deux objections de l’employeur sont interreliées. Il est clair que, dans son grief, M. Poupart réclame les sommes qui ont été recouvrées par l’employeur. Ces sommes sont celles qui avaient été initialement payées lors du congé pour accident de travail. C’est cette décision de recouvrement qu’il conteste explicitement dans son grief et je cite : « Je conteste la décision de l’employeur de recouvrer le congé pour accident de travail qui m’avait dûment été octroyer [sic] pour la période de décembre 2014 à août 2015 […] ».

[33] Certes, M. Poupart allègue dans son grief, à tort ou à raison, que la décision de l’employeur contrevient à l’article 363 de la LATMP. Puis, quand il renvoie le grief à l’arbitrage, il allègue une violation de la clause 30.16 de la convention collective. Toutefois, le fondement même du grief demeure : la contestation de la décision de l’employeur de recouvrer les sommes versées lors du congé pour accident de travail.

[34] Selon le principe établi dans Burchill, un employé n’a pas le droit de transformer un grief présenté lors de la procédure interne de règlement des griefs en un autre qui est différent lors de l’arbitrage. Il risquerait alors de priver l’autre partie de son droit d’examiner les questions de manière convenable lors de la procédure de règlement des griefs. Je dois donc déterminer si le grief présenté par M. Poupart à l’arbitrage est différent de celui qu’il a présenté durant la procédure de règlement des griefs. L’employeur connaissait-il l’objet du grief et a-t-il eu l’occasion d’aborder la question soulevée?

[35] La question qui est contestée est la décision de recouvrer le salaire versé lors du congé pour accident de travail. Dans son grief, M. Poupart invoque que le recouvrement contrevient à l’article 363 de la LATMP. Dans sa réponse au grief, l’employeur répond que les « sommes versées peuvent être recouvrées ». Il motive comme suit sa décision : « […] l’article 363 de la loi […] ne s’applique pas aux travailleurs régis par la LIAE. Or, les employés du gouvernement du Canada sont régis par la LIAE. »

[36] Le congé payé pour accident de travail est accordé selon la clause 30.16 de la convention collective. C’est selon cette clause que l’employeur a versé le plein salaire à M. Poupart, entre février et août 2015. Puis, à la suite de la révision par la CSST de sa décision initiale, l’employeur a décidé de recouvrer les sommes versées.

[37] Il est clair que cette décision de l’employeur constitue le fondement même du grief. M. Poupart fait valoir que l’employeur ne pouvait recouvrer les sommes déjà versées, alors que l’employeur soutient le contraire. La question relative à l’applicabilité de la LATMP et de son article 363 est l’argument utilisé par M. Poupart. Cette question pourrait revêtir une certaine importance pour disposer du grief sur le fond, mais il ne s’agit pas là du fondement du grief. Il s’agit plutôt d’un argument de M. Poupart en appui au grief.

[38] On est ici bien loin de Burchill. Dans Burchill, le fonctionnaire, un employé nommé pour une période déterminée mis en disponibilité, a cherché à renvoyer à l’arbitrage un grief dans lequel il avait allégué avoir été injustement congédié, au motif que son statut d’employé nommé pour une période indéterminée n’avait pas été reconnu. Il ne bénéficiait pas des dispositions législatives particulières qui s’appliquaient aux employés nommés pour une période indéterminée dans la réduction des effectifs de l’employeur. Lors du renvoi à l’arbitrage, le fonctionnaire avait allégué avoir fait l’objet de mesures disciplinaires.

[39] Le grief renvoyé à l’arbitrage n’est pas différent du grief présenté aux différents paliers de la procédure de règlement des griefs. Burchill est ici sans effet.

[40] L’employeur s’oppose au grief, car son objet ne ferait pas partie du champ de compétence établi par l’article 209 de la Loi. Selon l’employeur, M. Poupart allègue que la décision de l’employeur va à l’encontre de l’article 363 de la LATMP. Or, la Commission n’a pas compétence pour interpréter cette loi qui, de toute façon, ne s’applique pas aux fonctionnaires fédéraux, qui sont plutôt régis par la LIAE.

[41] Je rejette aussi cette objection. Comme je l’écrivais plus tôt, la décision de l’employeur de récupérer les sommes déjà versées selon la clause 30.16 de la convention collective constitue le fondement de ce grief. Il est vrai que M. Poupart allègue une contravention de la LATMP en appui à son grief voulant que l’employeur ne pouvait recouvrer les sommes déjà payées. Il ne s’agit toutefois pas de la question dont je suis saisi. Il faut plutôt déterminer si l’employeur a contrevenu à la clause 30.16 de la convention collective en recouvrant les sommes déjà versées en vertu de cette clause. Il n’y a aucun doute que la Commission a compétence pour trancher une telle question.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[42] Le litige porte sur le fait que l’employeur, à la suite de l’acceptation de la réclamation de M. Poupart par la CSST, a octroyé au fonctionnaire un congé payé pour accident de travail en vertu de la clause 30.16 de la convention collective. Subséquemment, cette décision a été infirmée par la CSST à la suite d’une contestation de l’employeur et d’une révision du dossier. L’employeur a alors pris la décision unilatérale de recouvrer rétroactivement de M. Poupart les sommes jusqu’alors reçues, soit un montant de 33 422.00 $ avant déductions. M. Poupart conteste cette décision.

[43] Le sens ordinaire des mots de la clause 30.16 de la convention collective nous apprend qu’un congé payé est accordé à un fonctionnaire lorsque celui-ci fait une réclamation à une commission des lésions professionnelles et que cette dernière certifie que le fonctionnaire est incapable d’exercer ses fonctions en raison d’une blessure ou d’une maladie professionnelle. En l’espèce, M. Poupart satisfait à ces deux conditions. Sa réclamation a été acceptée par la CSST le 18 juin 2014. La CSST a alors reconnu que le fonctionnaire avait’ été victime d’une maladie professionnelle. En conséquence, l’employeur a placé M. Poupart en congé payé pour une durée de 136 jours.

[44] La clause 30.16 de la convention collective est muette sur la question de la récupération rétroactive de ces congés payés dans l’éventualité où la décision d’accepter la réclamation du fonctionnaire par la CSST serait infirmée par une décision ultérieure.

[45] Pour éclaircir cette question, il est donc nécessaire d’analyser, comme le suggère le principe d’interprétation moderne, la convention collective dans son ensemble. À cet effet, il est intéressant de noter qu’ailleurs dans la convention collective, les parties ont explicitement prévu la possibilité de recouvrer des congés ou des sommes d’argent versées aux fonctionnaires, comme c’est le cas pour le congé de mariage payé (clause 30.01), les congés annuels (clause 28.05), le congé d’études (clause 32.05), les indemnités de maternité et parentale (clauses 30.04a)(iii)(C) et 30.07a) (iii)(C)), ainsi que certaines sommes versées en vertu de la clause 29.21 et de l’annexe B de la convention collective.

[46] Il est donc clair que, lorsque les parties à la convention collective ont voulu prévoir un droit de recouvrement de l’employeur à l’égard d’indemnités, de congés ou de prestations, elles l’ont prévu expressément. Or, si les parties ont convenu explicitement d’appliquer des droits de recouvrement pour certaines indemnités et certains congés, aucun droit de recouvrement ne devrait s’appliquer si aucun n’est mentionné.

[47] En somme, si aucune restriction n’est prévue à la convention collective par rapport à un droit, alors que des restrictions sont prévues à d’autres droits dans la même convention collective, il n’y a pas lieu de modifier le libellé d’un tel droit en l’absence d’une restriction explicite. Si les parties avaient voulu limiter le droit des fonctionnaires aux indemnités prévues à la clause 30.16 de la convention collective afin que l’employeur puisse récupérer ce type d’indemnités dans certaines circonstances, elles l’auraient prévu expressément.

[48] Il est utile de renvoyer au bulletin 2014-04 de l’employeur dans lequel il explique son application de la clause 30.16 de la convention collective. Au troisième paragraphe de la page 3, le bulletin prévoit un examen rétroactif des congés pour accident de travail, mais seulement lorsqu’il s’agit d’accorder ce congé alors qu’une réclamation à la CSST est acceptée lors d’un appel. Ainsi, même ce document rédigé unilatéralement par l’employeur ne prévoit pas de recouvrement rétroactif des congés pour accident de travail. Au contraire, il prévoit la possibilité du paiement rétroactif des indemnités.

[49] La clause 30.16 de la convention collective renvoie directement à la LIAE en ce qui a trait à l’indemnisation des fonctionnaires. Puisque la convention collective est muette sur la question du remboursement rétroactif des indemnités de congés pour accident de travail, il est particulièrement pertinent d’analyser ce cadre législatif pour trancher la question du remboursement rétroactif des indemnités déjà payées.

[50] La LIAE établit un régime d’indemnisation en cas d’accidents du travail et de maladies professionnelles au bénéfice des fonctionnaires fédéraux. Ce régime d’indemnisation s’applique à tous les fonctionnaires fédéraux. À la lecture de cette loi, il est clair que le législateur fédéral n’a pas souhaité établir les conditions d’indemnisation; il s’en remet plutôt à la législation provinciale.

[51] Dans le présent cas, la LATMP est la loi provinciale qui s’applique. À l’article 363 de la LATMP, on prévoit que les prestations déjà versées à un bénéficiaire ne peuvent être recouvrées à la suite de la révision d’une décision de la CSST par une instance supérieure, sauf si les prestations ont été obtenues de mauvaise foi. L’application de cette disposition empêche clairement de recouvrer les prestations déjà fournies à M. Poupart en vertu de la clause 30.16 de la convention collective, à moins d’établir sa mauvaise foi.

[52] L’interprétation de la convention collective préconisée par l’employeur mène également à des résultats injustes et inéquitables envers M. Poupart. Tout d’abord, M. Poupart est pénalisé alors qu’il n’a fait que suivre le processus normal lorsqu’un employé est victime d’un accident de travail. Sa réclamation a été acceptée par la CSST le 18 juin 2014. Il a alors été payé directement par l’employeur pendant 136 jours, soit du 2 février 2015 au 10 août 2015, et ensuite par la CSST jusqu’au 2 novembre 2015, date de la révision de sa décision. La CSST n’a pas recouvré les sommes versées entre sa décision initiale et le 2 novembre 2015. M. Poupart n’a donc pas eu à rembourser les sommes reçues de bonne foi de la CSST. Par contre, il doit rembourser à l’employeur des indemnités de même nature versées par ce dernier pour la période antérieure au 10 août 2015, pendant qu’il était en arrêt de travail. Évidemment, M. Poupart ne pouvait toucher d’indemnité de la CSST alors qu’il recevait son plein salaire en vertu de la clause 30.16 de la convention collective.

[53] L’application et l’interprétation de la clause 30.16 de la convention collective par l’employeur mettraient les employés dans une situation intenable. En effet, les employés dont l’accident de travail est reconnu, mais dont la décision est contestée, pourraient à tout moment devoir rembourser intégralement le salaire versé par l’employeur pendant toute la durée de leur congé pour accident de travail. Il s’agit d’une véritable épée de Damoclès au-dessus de la tête des fonctionnaires victimes d’accident de travail.

[54] Étant donné les délais inhérents aux processus administratif et judiciaire, les fonctionnaires attendent parfois plusieurs mois, voire des années, avant d’obtenir une décision finale quant à leur droit à des indemnités de remplacement du revenu. Pour les fonctionnaires qui reçoivent des indemnités directement de l’employeur pendant tout ce temps, il s’agit de leur seule source de revenu. Suivant l’interprétation préconisée par l’employeur, en cas de décision défavorable à l’endroit des fonctionnaires, l’employeur serait justifié de les priver de leur seule source de revenu pendant tout ce temps, et ce, de façon rétroactive. Il serait tout simplement contraire aux principes de justice naturelle qu’un employé de bonne foi subissant un accident de travail, et dont la réclamation est acceptée par la CSST, soit contraint de vivre dans une telle précarité. Un résultat aussi absurde ne peut en aucun cas constituer l’intention des parties à la convention collective.

[55] M. Poupart demande que j’accueille son grief, et que j’ordonne à l’employeur de mettre fin au recouvrement de la somme de 33 422.00 $ et de rembourser au fonctionnaire toutes sommes déjà prélevées sur ses paies en lien avec le recouvrement de cette somme. Il demande aussi l’octroi de dommages moraux de 8 000 $ en raison de la précarité financière importante dans laquelle il a été placé à la suite des agissements de l’employeur.

[56] M. Poupart m’a renvoyé aux décisions suivantes : Martin; Communication, Energy and Paperworkers Union, Local 777 v. Imperial Oil Strathcona Refinery (Policy Grievance), 2004 A.G.A.A. No. 44 (QL); Delios c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 133; Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117; Fehr c. Agence du revenu du Canada, 2017 CRTESPF 17; Canada (Procureur général) c. Fehr, 2018 CAF 159; Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2016 CRTESPF 77; Bell c. Conseil du Trésor (Services partagés Canada), 2020 CRTESPF 20; Syndicat des postiers du Canada c. Société canadienne des postes, 1997 CanLII 10828; Société canadienne des postes c. Québec (Commission d’appel en matière de lésions professionnelles), 1999 CanLII 13745; Procureur général du Canada c. Mullin et Commission de la santé et de la sécurité et de l’indemnisation des accidents de travail, 2016 NBCA 31; CSSS du Nord de Lanaudière c. Jutras, 2016 QCTAT 6408; Hamilton c. Canada (ministère des Anciens combattants), 2014 QCCLP 3898.

B. Pour l’employeur

[57] Selon l’employeur, le trop-payé réclamé par M. Poupart ne s’inscrit pas dans le cadre habituel d’un trop-payé qui résulte d’une erreur administrative ou d’une omission. Il n’y a eu aucune erreur de la part de l’employeur dans le présent cas; le trop-payé découle plutôt des actes de M. Poupart. Ce dernier a présenté une demande de congé payé pour un accident de travail, alors qu’il n’avait jamais subi d’accident de travail. Il ne peut pas plaider l’ignorance. L’employeur l’avait mis en garde depuis le début qu’il n’était pas d’accord avec sa réclamation et qu’il allait contester sa demande puisqu’il n’avait pas subi d’accident de travail. L’autorité supérieure de la CSST et le Tribunal l’ont d’ailleurs confirmé. Il est donc clair que M. Poupart ne satisfasse pas aux modalités précises et non équivoques de la clause 30.16 de la convention collective.

[58] Il est reconnu que l’employeur a le droit de recouvrer le congé payé pour accident de travail en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11; la « LGFP »). Ni la convention collective ni la LIAE ne limitent ce droit ou prescrivent des modalités que l’employeur doit suivre pour le recouvrement. L’argent qui a été versé à M. Poupart ne lui appartient pas, il appartient à l’employeur et aux contribuables canadiens. L’employeur a le droit de recouvrer ces sommes afin de s’assurer que l’argent qui lui est dû soit remboursé et que les termes de la convention collective soient respectés. Le bon sens ne veut pas que M. Poupart puisse vendre le beurre qu’il a fabriqué, en garder l’argent et garder aussi le beurre. Il ne peut pas s’enrichir sans motif au détriment de l’employeur et des contribuables.

[59] La seule question que la Commission doit trancher est celle de savoir si M. Poupart a démontré que l’employeur a mal interprété la clause 30.16 de la convention collective lorsqu’il a exigé le remboursement du congé payé pour accident de travail. Pour les raisons qui suivent, il faut privilégier l’interprétation de l’employeur, puisqu’elle s’accorde avec le libellé de la clause 30.16, son objet, ainsi que le reste de la convention collective. L’interprétation de l’agent négociateur, quant à elle, produirait un résultat inéquitable et exigerait que la Commission modifie le libellé de la clause 30.16.

[60] Dans un premier temps, l’interprétation de l’agent négociateur ne s’accorde pas avec le libellé de la clause 30.16 de la convention collective. M. Poupart ne satisfait pas aux critères d’admissibilité du congé payé pour accident de travail. La convention collective est claire et sans équivoque. Pour qu’un employé ait droit au congé payé pour accident de travail, il doit être inapte au travail en raison d’un accident de travail. Plus précisément, au moyen du libellé de la clause 30.16, les parties se sont entendues pour assujettir l’admissibilité à un congé payé pour accident de travail à deux critères préalables : une réclamation doit être déposée en vertu de la LIAE et une commission des accidents du travail doit certifier que le fonctionnaire est incapable d’exercer ses fonctions en raison d’une blessure corporelle subie accidentellement dans l’exercice de ses fonctions. En l’espèce, M. Poupart ne satisfait pas au deuxième critère, puisqu’il n’a pas subi un accident de travail. Bien que la CSST ait initialement accepté sa demande de réclamation, cette décision a par la suite été annulée.

[61] La jurisprudence a déjà établi que, dans des situations comparables à celle de M. Poupart, lorsqu’un employé a bénéficié d’un congé payé à la suite d’une décision erronée annulée par l’autorité supérieure de la CSST, le congé payé doit être annulé et recouvré afin de se conformer aux modalités de la convention collective. Il s’agit de remettre les parties en cause dans une situation conforme à l’état de droit et à leurs intentions quand ils ont convenu de la clause 30.16 de la convention collective. En somme, un employé peut perdre le droit au congé payé pour accident de travail tout comme il peut l’obtenir, selon que l’une ou l’autre des autorités de la commission provinciale se prononce pour ou contre lui. L’employé ne peut pas gagner sur les deux fronts.

[62] Selon la jurisprudence, la LIAE ne limite en rien le droit de l’employeur de recouvrer un congé payé pour accident de travail qui a déjà été versé au fonctionnaire sans fondement juridique. En outre, les tribunaux ont déjà statué que l’article 363 de la LATMP, auquel renvoient le grief et l’argumentaire syndical, ne s’applique pas aux fonctionnaires fédéraux. La Commission doit interpréter la convention collective à la lumière du cadre législatif fédéral et non provincial. La LIAE n’interdit aucunement le recouvrement d’un congé payé pour accident de travail. Quoi qu’il en soit, le présent cas ne traite pas d’un recouvrement d’indemnités versées au fonctionnaire en vertu de la LIAE, mais plutôt d’un recouvrement du congé payé pour accident de travail selon la clause 30.16 de la convention collective.

[63] Il est reconnu que l’employeur, à titre de mandataire de Sa Majesté, a l’autorisation et est tenu en vertu de la LGFP de recouvrer les sommes payées en trop à titre de salaire, de traitements ou d’allocations. La Commission a déjà statué à plusieurs reprises qu’elle n’avait pas compétence sur l’exercice des droits et obligations de l’employeur en vertu de la LGFP, à moins que l’employeur n’accepte spécifiquement de réduire son autorité dans la convention collective, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Si l’intention des parties était de limiter l’autorité de l’employeur de recouvrir le paiement en trop, elles l’auraient clairement exprimé, tels que d’autres agents négociateurs et le Conseil du trésor l’ont fait dans d’autres conventions collectives. Sur ce, l’employeur renvoie à trois clauses de la convention collective qui prévoient des limites aux modalités ou à la procédure de recouvrement des trop-payés.

[64] L’agent négociateur allègue que, si les parties à la convention collective voulaient prévoir un droit de recouvrement de l’employeur à l’égard d’indemnités de congés ou de prestations, elles l’auraient prévu expressément. L’employeur soutient que c’est plutôt l’inverse, puisqu’il est bien reconnu que l’employeur, à titre de mandataire de Sa Majesté, a l’autorisation de recouvrer les paiements versés en trop. Donc, si les parties voulaient réellement réduire ce pouvoir par le biais de la convention collective, elles l’auraient fait expressément. De toute façon, on ne peut interpréter la convention collective de façon à miner le cadre juridique en vertu duquel elle a été négociée, ce que l’agent négociateur a reconnu à l’article 5 de la convention collective.

[65] Les termes de la convention collective sont clairs et non équivoques : M. Poupart devait être reconnu comme étant inapte à travailler en raison d’un accident de travail pour avoir droit à ce congé. Or, l’instance supérieure de la CSST ainsi que le Tribunal ont statué que M. Poupart n’avait pas subi un accident de travail. D’ailleurs, l’employeur l’avait mis en garde dès le début du processus qu’il n’était pas d’accord avec sa réclamation.

[66] Il faut déterminer l’intention des parties à la convention collective pour comprendre la clause 30.16 de la convention collective. Il est évident que l’intention des parties n’était pas d’attribuer des sommes d’argent pour des congés payés à un employé qui n’a jamais subi un accident de travail. Il est bien reconnu qu’un avantage qui comporte un coût financier pour l’employeur doit avoir été clairement et expressément stipulé dans la convention collective. Or, l’agent négociateur n’a trouvé aucune disposition permettant au fonctionnaire de garder le congé payé pour accident de travail, même s’il ne satisfait pas aux exigences de ce dernier. Lorsqu’une telle situation se produit, l’employeur se doit de corriger la situation afin de s’assurer que les modalités de la convention collective convenues par les parties soient respectées.

[67] Il est vrai que M. Poupart n’a pas reçu de paie pendant un certain temps après son retour au travail. Toutefois, l’employeur avait le droit de recouvrer les sommes qui lui étaient dues. Lorsque M. Poupart et l’agent négociateur ont exprimé un mécontentement par rapport à la situation, l’employeur a versé quelques avances de salaire à M. Poupart et a limité le recouvrement à 10 % du traitement de l’employé pour chaque période de paie, jusqu’à ce que toute la somme soit recouvrée.

[68] Enfin, selon l’employeur, M. Poupart ne part pas les mains vides. Il est chanceux de ne pas avoir eu à rembourser les prestations non imposables versées en vertu de la LIAE. Il a en quelque sorte obtenu un prêt sans intérêts de son employeur pendant plusieurs années, ce qui est un avantage considérable. En plus, M. Poupart veut également le remboursement d’une somme considérable, provenant de fonds publics qui ne lui appartiennent pas, et auxquels il n’a aucun droit.

[69] En conclusion, le rôle de la Commission est limité à interpréter et à appliquer la convention collective. Elle ne peut pas modifier des dispositions qui sont claires ni en établir de nouvelles. Dans le présent cas, la clause 30.16 de la convention collective est claire et non équivoque. Il est aussi clair que M. Poupart ne satisfait pas aux conditions de cette clause. L’employeur avait dès lors le droit de recouvrer les sommes payées. M. Poupart n’a pas démontré que l’employeur a violé la clause 30.16 de la convention collective lorsqu’il a exigé le remboursement du congé payé pour accident de travail. Le grief doit donc être rejeté.

[70] L’employeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : Delios; Chafe c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et Océans), 2010 CRTFP 112; Churcher c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et Océans), 2009 CRTFP 83; Mongeon c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2014 CRTFP 66; Labadie c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 90; Canada Post Corp. v. Canadian Union of Postal Workers (Smith Grievance), [1996] C.L.A.D. No. 819 (QL); Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2008 CanLII 32332 (CA SA); Syndicat des postiers du Canada c. Société canadienne des postes, 1997 CanLII 10828 (QC CA); Syndicat des postiers du Canada c. Société canadienne des postes, [1995] 42 C.L.A.S. 190; Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agriculture Canada), [1993] C.R.T.F.P.C. no 82 (QL); Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence Parcs Canada, 2020 CRTESPF 13; Gardner c. Canada (Agence des services frontaliers), 2009 CF 1156; Smiley c. Conseil du Trésor (ministère de l’Agriculture), [1992] C.R.T.F.P.C. no 167 (QL); Wamboldt c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 55.

C. Réplique du fonctionnaire s’estimant lésé

[71] Les arguments de l’employeur ne reflètent tout simplement pas l’état du droit actuel. En effet, l’arrêt Martin a clairement établi que la LATMP s’applique aux fonctionnaires fédéraux, contrairement à ce que soutient l’employeur.

[72] L’employeur mentionne que son pouvoir général de recouvrement des trop-payés n’est pas limité par la convention collective. Cette position mérite d’être nuancée. Elle présuppose que le montant versé à M. Poupart à titre d’indemnité d’accident de travail est un trop-payé, ce qui n’est pas le cas. De plus, si la Commission détermine que l’article 363 de la LATMP, par le truchement de la LIAE, s’applique à l’employeur, le pouvoir général de recouvrement des trop‑payés conféré à l’employeur se verrait limité de façon expresse par la législation. Or, la clause 30.16 de la convention collective renvoie expressément à la LIAE. L’employeur ne pourrait donc pas légalement recouvrer ce qu’il considère être un trop-payé, puisque le cadre législatif spécifique à la situation qui nous occupe limite le pouvoir général de l’employeur conféré par la LGFP.

[73] L’employeur caractérise la situation de M. Poupart en insistant sur le fait que ce dernier est « chanceux » et qu’il a « essentiellement obtenu un prêt sans intérêts de son employeur pendant plusieurs années ». L’employeur ajoute que M. Poupart voudrait qu’on lui rembourse une somme considérable provenant de fonds publics. Comment devrait-il donc se considérer chanceux de se faire réclamer rétroactivement près de cinq mois de salaire, sans aucune autre forme d’indemnisation pour cette période et en se faisant saisir la totalité de son salaire? Cette attitude cavalière de l’employeur dénote un manque flagrant d’empathie et de considération pour un employé qui s’est retrouvé dans une situation aussi difficile.

V. Motifs relatifs au grief

[74] M. Poupart a renvoyé à l’arbitrage un grief contestant la décision de l’employeur de recouvrer les sommes qui lui avaient déjà été payées lors d’un congé pour accident de travail. Les sommes en question totalisent 33 422.00 $ avant déductions. La clause 30.16 de la convention collective porte sur le congé pour accident de travail. Elle se lit comme suit :

Pour accident de travail

30.16 L’employé-e bénéficie d’un congé payé pour accident de travail d’une durée fixée raisonnablement par l’Employeur lorsqu’une réclamation a été déposée en vertu de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État et qu’une commission des accidents du travail a informé l’Employeur qu’elle a certifié que l’employé-e était incapable d’exercer ses fonctions en raison :

a) d’une blessure corporelle subie accidentellement dans l’exercice de ses fonctions et ne résultant pas d’un acte délibéré d’inconduite de la part de l’employé-e,

ou

b) d’une maladie ou d’une affection professionnelle résultant de la nature de son emploi et intervenant en cours d’emploi, si l’employé-e convient de verser au receveur général du Canada tout montant d’argent qu’il reçoit en règlement de toute perte de rémunération résultant d’une telle blessure, maladie ou affection, à condition toutefois qu’un tel montant ne provienne pas d’une police d’assurance-invalidité pur laquelle l’employé-e ou son agent a versé la prime.

 

[75] La question dont je suis saisi consiste à déterminer si l’employeur avait le droit de recouvrer les sommes déjà payées en congé d’accident de travail, étant donné que la Direction de la révision administrative de la CSST a infirmé, le 2 novembre 2015, la décision de la CSST en date du 18 juin 2015. Notons que la CSST n’existe plus depuis le 5 février 2016. Elle a été remplacée par la Commission des normes, de l’équité et de la santé et sécurité au travail (CNESST). Étant donné que les faits relatifs au présent grief précèdent le 5 février 2016, nous référerons donc à la CSST et non pas à la CNESST.

[76] Je tiens tout d’abord à rappeler le principe bien établi que la bonne foi se présume. J’ai relu attentivement tous les documents, qu’ils aient été à l’origine rédigés par l’une ou l’autre des parties ou par la CSST ou le Tribunal administratif du travail. Il n’est nulle part question que la réclamation d’accident de travail de M. Poupart comporte une part de mauvaise foi, de malhonnêteté ou de fraude. Je présume donc que M. Poupart a agi de bonne foi tout au long de ce processus. Les révisions de la décision initiale de la CSST portaient plutôt sur le sens et la portée qu’on donne aux termes « accident de travail » ou « affection professionnelle » ou « lésion professionnelle ». Dans sa décision initiale du 18 juin 2015, la CSST a conclu que M. Poupart avait subi un accident de travail. Lors de la révision au palier supérieur le 2 novembre 2015, elle s’est ravisée et a plutôt conclu que M. Poupart n’avait pas subi de lésion professionnelle. Le Tribunal administratif du travail est arrivé à la même conclusion.

[77] Il est clair que le libellé de la clause 30.16 de la convention collective ne prévoit pas explicitement que l’employeur puisse recouvrer rétroactivement des sommes déjà payées. Cela ne veut pas dire pour autant, comme le suggère l’argumentaire de M. Poupart, que l’employeur ne puisse recouvrer des sommes déjà versées à un employé. Sur ce, le paragraphe 155(3) de la LGFP donne droit à l’employeur, à titre de mandataire de Sa Majesté, de recouvrer les paiements faits en trop aux employés. Ce paragraphe se lit comme suit :

155(3) Le receveur général peut recouvrer les paiements en trop faits sur le Trésor à une personne à titre de salaire, de traitements ou d’allocations en retenant un montant égal sur toute somme due à cette personne à Sa Majesté du chef du Canada.

 

[78] La LGFP ne donne évidemment pas le droit à l’employeur de recouvrer à sa guise les sommes déjà payées. Il doit y avoir eu paiement en trop. Selon l’employeur, il y a eu paiement en trop dès le moment où la CSST, en révision d’une décision antérieure, a statué que M. Poupart n’avait pas subi un accident de travail. Selon l’employeur, le fonctionnaire n’était donc plus éligible au congé payé pour accident de travail et les sommes payées lors de ce congé pouvaient dès lors être recouvrées.

[79] Le libellé de la convention collective doit être compris dans le contexte global de la convention collective, selon le sens grammatical et ordinaire à lui donner et en harmonie avec le reste de la convention collective, son objet et l’intention des parties (voir Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition, par. 4 : 2100, 2012).

[80] La clause 30.16 de la convention collective est un des éléments de protection des salariés en matière d’accidents de travail. C’est dans ce contexte qu’il faut la comprendre. Elle s’inscrit à l’intérieur du cadre législatif établi par la LIAE à laquelle la clause 30.16 renvoie directement. Commentant une clause similaire à la clause 30.16, l’arbitre de grief dans Vaughan c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2010 CRTFP 74, a écrit ce qui suit au paragraphe 61 :

[61] Bien que, dans la présente affaire, je ne sois appelé à interpréter ou à appliquer directement aucune disposition de la LIAE, je dois reconnaître comme contexte que le législateur souhaitait que les employés qui subissent une blessure dans l’exercice de leurs fonctions aient accès au régime de sécurité du revenu prévu dans les régimes provinciaux d’indemnisation des travailleurs et qu’ils en bénéficient. En ce sens, le fait qu’un employé blessé touche des prestations d’accident de travail et non un revenu directement de l’employeur ne pose en soi aucun problème. La mesure de l’obligation de l’employeur de remplacer des prestations d’accident de travail en offrant une sécurité du revenu directement à un employé est une question que régit la convention collective. Aux fins d’interprétation, cette convention n’est pas réputée remplacer le régime mis en place par le législateur dans la LIAE; elle doit plutôt être tenue comme s’appliquant dans les limites du cadre établi par la LIAE.

 

[81] Les parties s’entendent que la LIAE s’applique au présent grief. Elles diffèrent cependant dans leurs positions sur l’applicabilité de la LATMP à un employé fédéral. Comme nous le verrons plus loin, cette question est importante pour déterminer si l’employeur pouvait recouvrer les sommes versées lors du congé payé pour accident de travail de M. Poupart.

[82] Les dispositions suivantes de la LIAE sont plus particulièrement d’intérêt au présent grief :

[…]

Définitions

Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

indemnité Sont compris dans l’indemnité les frais médicaux et hospitaliers ainsi que les prestations, dépenses ou allocations prévues, en matière d’indemnisation des victimes d’accidents du travail et des personnes à charge de celles qui sont décédées, par la législation de la province où l’agent de l’État exerce habituellement ses fonctions. (compensation)

maladie professionnelle Maladie justifiant, aux termes de la législation de la province où l’agent de l’État exerce habituellement ses fonctions, le versement d’une indemnité aux travailleurs qui en sont atteints ou aux personnes à charge de ceux qui sont décédés. (industrial disease)

[…]

Taux et conditions

4 (2) Les agents de l’État visés au paragraphe (1), quelle que soit la nature de leur travail ou la catégorie de leur emploi, et les personnes à leur charge ont droit à l’indemnité prévue par la législation — aux taux et conditions qu’elle fixe — de la province où les agents exercent habituellement leurs fonctions en matière d’indemnisation des travailleurs non employés par Sa Majesté — et de leurs personnes à charge, en cas de décès — et qui sont :

a) soit blessés dans la province dans des accidents survenus par le fait ou à l’occasion de leur travail;

b) soit devenus invalides dans la province par suite de maladies professionnelles attribuables à la nature de leur travail.

Compétence

(3) L’indemnité est déterminée :

a) soit par l’autorité — personne ou organisme — compétente en la matière, pour les travailleurs non employés par Sa Majesté et leurs personnes à charge, en cas de décès, dans la province où l’agent de l’État exerce habituellement ses fonctions;

b) soit par l’autorité, judiciaire ou autre, que désigne le gouverneur en conseil.

[…]

 

[83] Ces dispositions de la LIAE renvoient directement à la législation provinciale sur les accidents de travail, soit la LATMP dans le cas de M. Poupart. En l’espèce, c’est la LATMP qui établit l’indemnité que recevra l’employé fédéral accidenté et les conditions d’éligibilité qui doivent être satisfaites pour recevoir cette indemnité. Je pourrais donc à priori conclure que les dispositions de la LATMP, qui ont trait à l’indemnité payable et aux conditions d’éligibilité, s’appliquent aux employés fédéraux assujettis à la LIAE.

[84] Sur cette dernière question, l’employeur m’a renvoyé à des décisions de 1996 et 1997, impliquant la Société canadienne des postes. L’arbitre avait alors déterminé, à partir de libellé comparable à celui de la clause 30.06 de la convention collective, que l’employeur était en droit de recouvrer les sommes déjà versées en congé pour accident de travail dans les cas où l’autorité provinciale avait infirmé une décision initiale favorable au travailleur. Selon cet arbitre, rien dans la LIAE n’empêchait l’employeur de recouvrer les sommes déjà versées. Qui plus est, toujours selon ces décisions, même si le montant de l’indemnité est déterminé par l’autorité provinciale, la LIAE n’assujettirait pas pour autant les employés fédéraux à la législation provinciale.

[85] Je suis d’accord avec l’agent négociateur que les principes soutenus par les décisions auxquelles me renvoie l’employeur ne tiennent plus, entre autres, depuis l’arrêt Martin de la Cour suprême du Canada en 2014. Les extraits suivants de l’arrêt Martin illustrent bien la position de la Cour sur la question :

[…]

[19] Pour les motifs exposés ci-dessous, j’estime que la Commission devait appliquer la législation et les politiques provinciales pour se prononcer sur le droit d’un agent de l’État visé par la LIAÉ à l’indemnité et sur le taux d’indemnisation. La LIAÉ incorpore par renvoi les régimes provinciaux d’indemnisation des accidents du travail, dans la mesure où ils n’entrent pas en conflit avec ses dispositions. […] Dans les cas où le législateur entendait prévoir des conditions différentes, il l’a fait expressément.

[…]

[24] Il ne serait guère logique que le régime provincial dicte les taux et les conditions applicables sans régir également les critères d’admissibilité, puisque ces aspects du régime sont inévitablement interreliés. Les « conditions » à respecter pour obtenir le versement de l’indemnité déterminent si un agent de l’État y aura droit. En conséquence, le « droit » à l’indemnité, prévu au par. 4(2), aux « conditions » fixées par la législation de la province où l’agent de l’État fédéral exerce ses fonctions, indique qu’il y a droit dans les mêmes circonstances que les autres travailleurs de la province. Comme je le fais remarquer plus loin, il appert clairement de l’historique législatif que la mention des « conditions qu’elle [la législation de la province] fixe », avait pour objet de préciser que les conditions d’admissibilité applicables aux agents de l’État en vertu de la LIAÉ sont les mêmes que celles que prévoit le régime provincial.

[…]

[39] Dans Morrison, la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse devait déterminer si une présomption prévue par la loi provinciale sur les accidents du travail et accordant le [TRADUCTION] « bénéfice du doute » s’appliquait aux travailleurs visés par la LIAÉ. Elle a statué que cette présomption en matière de causalité s’appliquait aussi aux travailleurs fédéraux. Il n’y avait pas conflit entre les lois, selon elle, car rien dans le libellé de la LIAÉ n’empêchait les travailleurs fédéraux de bénéficier de l’application d’une telle présomption (par. 45). […]

[…]

Je partage son avis. Lorsqu’une disposition ou une politique provinciale entre directement en conflit avec la LIAÉ, cette dernière prime et rend inapplicable la disposition ou la politique provinciale aux travailleurs fédéraux. En l’absence de conflit, le régime provincial en matière d’accidents du travail s’applique. Quoi qu’il en soit, les autorités provinciales compétentes constituent les instances décisionnelles.

[…]

 

[86] Les enseignements de la Cour suprême sont clairs : dans le présent cas, les dispositions de la LATMP s’appliquent. Plus particulièrement, il faut interpréter la clause 30.16 de la convention collective en tenant compte de la LATMP. À cet égard, les dispositions suivantes de la LATMP sont d’un intérêt particulier :

4. La présente loi est d’ordre public.

Cependant, une convention ou une entente ou un décret qui y donne effet peut prévoir pour un travailleur des dispositions plus avantageuses que celles que prévoit la présente loi.

[…]

44. Le travailleur victime d’une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s’il devient incapable d’exercer son emploi en raison de cette lésion.

[…]

45. L’indemnité de remplacement du revenu est égale à 90% du revenu net retenu que le travailleur tire annuellement de son emploi.

[…]

60. L’employeur au service duquel se trouve le travailleur lorsqu’il est victime d’une lésion professionnelle lui verse, si celui-ci devient incapable d’exercer son emploi en raison de sa lésion, 90% de son salaire net pour chaque jour ou partie de jour où ce travailleur aurait normalement travaillé, n’eût été de son incapacité, pendant les 14 jours complets suivant le début de cette incapacité.

[…]

124. La Commission verse au travailleur l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle il a droit à compter du quinzième jour complet suivant le début de l’incapacité du travailleur d’exercer son emploi.

[…]

358.3. Après avoir donné aux parties l’occasion de présenter leurs observations, la Commission décide sur dossier; elle peut confirmer, infirmer ou modifier la décision, l’ordre ou l’ordonnance rendue initialement et, s’il y a lieu, rendre la décision, l’ordre ou l’ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu.

[…]

363. Lorsque la Commission, à la suite d’une décision rendue en vertu de l’article 358.3, ou le Tribunal administratif du travail annule ou réduit le montant d’une indemnité de remplacement du revenu ou d’une indemnité de décès visée dans l’article 101 ou dans le premier alinéa de l’article 102 ou une prestation prévue dans le plan individualisé de réadaptation d’un travailleur, les prestations déjà fournies à un bénéficiaire ne peuvent être recouvrées, sauf si elles ont été obtenues par mauvaise foi ou s’il s’agit du salaire versé à titre d’indemnité en vertu de l’article 60.

 

[87] Ces dispositions de la LATMP, par renvoi de la LIAE, s’appliquent aux employés fédéraux. Elles prévoient que l’employé a droit à une indemnité de 90 % de son salaire net (art. 45) s’il est victime d’une lésion professionnelle qui le rend incapable de travailler (art. 44). Au départ, l’employeur doit verser l’équivalent de l’indemnité pour les premiers 14 jours (art. 60). Puis, à partir de la quinzième journée, l’indemnité est versée par la CSST (art. 124). Lorsque la décision initiale de la CSST d’accepter une réclamation est annulée par une instance supérieure, les indemnités déjà fournies à un employé ne peuvent être recouvrées (art. 363).

[88] L’article 4 de la LATMP stipule aussi qu’une convention collective peut prévoir des dispositions plus avantageuses pour les employés que celles prévues à la LATMP. C’est là qu’intervient justement la clause 30.16 de la convention collective, qui prévoit le paiement du plein salaire pour « une durée fixée raisonnablement par l’employeur ». Cette durée peut évidemment varier. Sur ce, le bulletin 2014-04 de l’employeur prévoit ce qui suit :

[…]

Normalement si in agent correctionnel n’a aucune date de retour au travail confirmé par 130 jours de congé payé pour accident de travail (à compter de début de l’absence de l’employé) ou aucun retour au travail est imminent, l’autorité déléguée devrait envisager de prendre des dispositions pour que l’employé reçoive des indemnités relatives à la perte de de salaire (conformément aux dispositions de la loi sur les accidents de travail pertinente) directement de la CAT appropriée.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

[89] Selon sa propre politique, l’employeur fixe donc la durée raisonnable dont il est question à la clause 30.16 de la convention collective à 130 jours ou plus. L’effet de cette clause est que les employés visés bénéficient de protections plus avantageuses que celles prévues aux articles 60 et 124 de la LATMP, ce qui est d’emblée tout à fait compatible avec l’article 4 de la LATMP. En effet, pour cette période initiale, une fois leur congé pour accident de travail approuvé, ils bénéficient de leur plein salaire.

[90] À l’inverse, la convention collective ne peut prévoir des protections en matière d’accident de travail inférieures à ce que la LATMP offre à la base.

[91] Or, c’est exactement ce qui arrive dans le présent cas, si je retiens l’interprétation de l’employeur de la clause 30.16 de la convention collective. En effet, selon cette interprétation, l’employeur pourrait recouvrer rétroactivement les sommes versées lors d’un congé d’accident de travail, lorsque la décision initiale de la CSST d’accepter une réclamation est annulée par une instance supérieure. Pourtant, selon l’article 363 de la LATMP, les indemnités déjà fournies à un employé ne peuvent être recouvrées sauf si les indemnités avaient été obtenues de mauvaise foi ou s’il s’agit du salaire versé à titre d’indemnité en vertu de l’article 60 de la LATMP. Ces deux exceptions ne s’appliquent pas en l’espèce. La bonne foi se présume et rien de ce qui m’a été soumis ne m’amène à questionner la bonne foi de M. Poupart. Quant à l’indemnité dont il est question à l’article 60, elle porte sur les 14 premiers jours d’absence au cours desquels l’employeur verse le salaire pour lequel il est plus tard remboursé par la CSST.

[92] Il est reconnu que les parties à une convention collective sont entièrement libres de convenir de toutes conditions de travail, mais dans les limites du respect des lois qui s’appliquent. La clause 1.02 de la convention collective rappelle d’ailleurs ce principe comme suit:

1.02 La présente convention collective a pour but d’établir, dans le cadre des lois existantes, des relations de travail ordonnées et efficaces entre l’Employeur, le Syndicat et les employé-e-s et de déterminer des conditions de travail visant à promouvoir la sécurité et le bien-être des employé-e-s.

 

[93] Si on donnait à la clause 30.16 de la convention collective le sens que lui donne l’employeur, elle aurait comme effet de réduire les avantages que prévoit la LATMP. Cela n’a aucun sens. Sans la clause 30.16, l’employé conserverait les prestations versées par la CSST (90 % de son salaire net), sous réserve des deux exceptions prévues à l’article 363 de la LATMP, lorsque la décision initiale de la CSST d’accepter une réclamation est annulée par une instance supérieure. Avec la clause 30.16, l’employé perdrait tout ce qui lui a été versé en salaire par l’employeur, créant ainsi une protection nettement inférieure à la LATMP pour les employés visés par la clause 30.16. Je ne peux concevoir qu’il s’agisse là de l’intention des parties à la convention collective.

[94] Compte tenu de ce qui précède, j’accepte donc le grief.

[95] M. Poupart a pleinement satisfait aux exigences de la clause 30.16 de la convention collective. Il a soumis une réclamation pour accident de travail en vertu de la LIAE, et la CSST a certifié qu’il était incapable d’exercer ses fonctions en raison de cet accident. La CSST a donc accepté sa réclamation. Dès lors, M. Poupart satisfaisait aux exigences de la clause 30.16. Que la décision de la CSST demeure ou soit par la suite annulée importe peu. La clause 30.16 n’en fait aucune mention. L’interprétation de l’employeur a pour effet d’ajouter une condition supplémentaire, soit celle du maintien de la décision initiale de la CSST. Cette condition n’est pas comprise dans la clause 30.16 et pour qu’elle s’applique, elle devrait l’être. Compte tenu que M. Poupart a satisfait aux conditions de la clause 30.16, l’employeur ne pouvait pas donc recouvrer les sommes déjà versées.

[96] J’ajouterai que l’interprétation de l’employeur aurait comme effet de priver de façon rétroactive de leur seule source de revenu des employés qui ont au départ été qualifiés d’accidentés du travail par une commission des accidents de travail. Un tel résultat peut difficilement être l’intention des parties à la convention collective. Il s’inscrit en faux avec le régime juridique en place en matière d’accident de travail.

[97] M. Poupart demande aussi l’octroi de dommages moraux de 8 000 $ en raison de la précarité financière dans laquelle il dit avoir été placé par l’employeur. Il est possible que M. Poupart se soit retrouvé dans une situation financière précaire à la suite de cette interprétation erronée de l’employeur de la convention collective. Toutefois, cela ne me suffit pas pour octroyer des dommages. Rien dans ce qui m’a été présenté ne me porte à croire que l’employeur a agi de mauvaise foi ou de façon arbitraire dans le but de nuire à M. Poupart. La bonne foi se présume et, à défaut de preuve du contraire, je suis d’avis que l’employeur a agi de bonne foi. Il croyait qu’il avait le droit de recouvrer les sommes en question et il l’a fait.

[98] Selon l’énoncé conjoint des faits, le trop-payé occasionné par l’interprétation erronée de la convention collective par l’employeur est de 33 422,00 $ avant déductions, et de 21 826,84 $ après déductions. L’employeur devra rembourser à M. Poupart l’entièreté de ce qui a été recouvré de M. Poupart.

[99] Pour ces motifs, la Commission accueille en partie le grief de M. Poupart, et elle rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[100] Le grief est accueilli.

[101] L’employeur a contrevenu à la clause 30.16 de la convention collective.

[102] J’ordonne à l’employeur de rembourser au fonctionnaire, dans les 30 jours suivant la présente décision, la somme qui lui a été payée initialement au titre de congé pour accident de travail et par la suite recouvrée.

[103] Je demeure saisi du grief pour une période de 60 jours pour trancher tout litige qui pourrait survenir dans l’application de l’ordonnance.

Le 5 février, 2021.

Renaud Paquet,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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