Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a déposé une plainte dans laquelle elle a allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans le cadre d’un processus de nomination interne – la plaignante a soutenu qu’il y avait eu une partialité dans l’évaluation de sa candidature tant à l’entrevue que dans la vérification des références – la Commission a conclu que, en l’absence d’une correction concernant un processus qui paraissait hautement préjudiciable à la plaignante, l’intimé avait abusé de son pouvoir lors de l’évaluation de sa candidature, d’une part en raison de la partialité du comité de sélection, et d’autre part en raison du défaut de corriger la question relative aux références – la Commission a recommandé que les références soient utilisées à des fins de sélection finale, une fois le candidat par ailleurs qualifié, et non à titre d’outil pour évaluer si le candidat possède les qualifications essentielles – afin d’éviter les procédures inutiles, la Commission a également recommandé que la contestation d’un candidat soit examinée lorsque le candidat présente des éléments de preuve qui contredisent la décision du comité de sélection.

Plainte accueillie.

Contenu de la décision

Date: 20210202

Dossiers: EMP-2017-11048,

EMP-2017-11049,

EMP-2017-11050

 

Référence: 2021 CRTESPF 12

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

Omaïma Rizqy

plaignante

 

et

 

Sous-ministre de L’emploi et du développement social

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Rizqy c. Sous-ministre de l’Emploi et du Développement social

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoir aux termes de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Elle-même

Pour l’intimé : Philippe Giguère, avocat

Pour la Commission de la fonction publique : Louise Bard

Affaire entendue par vidéoconférence,

les 14, 15 et 26 octobre 2020.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Demande devant la Commission

[1] Le 17 mars 2017, Omaïma Rizqy, la plaignante, a déposé une plainte en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la « Loi ») à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, alléguant un abus de pouvoir de la part du Ministère de l’emploi et du développement social (l’« intimé ») dans un processus de nomination interne. Il y a plusieurs dossiers, en raison du nombre de personnes qui ont été nommées au poste, mais il s’agit de la même plainte. La plaignante ne conteste pas la validité des nominations.

[2] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique qui est devenue la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »).

[3] La plaignante allègue un abus de pouvoir de la part de l’intimé car selon elle, l’évaluation de sa candidature a été faite de façon partiale, tant à l’entrevue que lors de la prise de références. Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’il y a eu abus de pouvoir en raison de la partialité dans le processus de nomination en ce qui concerne la plaignante.

II. Contexte

[4] La plaignante a témoigné, ainsi que Laurène Gagné, qui était alors cadre supérieure à Service Canada, et qui a joué un rôle important dans le processus de nomination. Mme Gagné est maintenant retraitée. Dans l’ensemble, la preuve n’était pas contradictoire.

[5] La plaignante a participé en novembre 2015 à un processus pour un poste de gestionnaire de services, au groupe et au niveau PM-05 (2015-CSD-IS-QUE-29102). Elle a appris en décembre 2016 qu’elle avait échoué à deux critères de mérite, à savoir « engagement » et « valeurs et éthique ». Elle a demandé une discussion informelle pour comprendre les raisons de son échec. La discussion a eu lieu en février 2017 avec Mme Gagné et Bertrand Duclos, l’autre évaluateur qui était présent à l’entrevue.

[6] Lors de la discussion informelle, la plaignante a appris que son échec était dû en partie à l’évaluation faite à l’entrevue, et en partie aux références fournies par des superviseurs. Elle avait obtenu une note de 7 sur 10 (la note de passage était 6) pour le critère « engagement » à l’entrevue, mais les références l’ont fait échouer pour ce critère. Pour ce qui du critère « valeurs et éthique », elle a obtenu une note de 4 sur 10 à l’entrevue, et les références l’ont également fait échouer.

[7] Après la discussion informelle, la plaignante a envoyé au comité de sélection un long courriel détaillant ce qu’elle considérait être des éléments défectueux dans le processus, notamment l’importance accordée aux références données par des répondants qui lui étaient hostiles, et le parti pris de Mme Gagné contre sa candidature. Elle demandait la possibilité d’offrir les noms d’autres répondants, et demandait que sa candidature soit réévaluée par quelqu’un d’autre que Mme Gagné. L’intimé a accusé réception du courriel, mais n’y a jamais répondu.

[8] La plaignante allègue la partialité de Mme Gagné dans tout le processus, et le défaut de l’intimé de corriger la situation liée à ses références. Les deux questions qui se posent dans ce litige sont donc les suivantes : Y a -t-il eu abus de pouvoir de la part de l’intimé dans le traitement des références reçues des répondants? Y a-t-il eu abus de pouvoir de la part de l’intimé en raison de la partialité de Mme Gagné? Je traiterai de ces deux questions séparément, en tenant compte de la preuve déposée, des arguments des parties et de la jurisprudence en la matière.

III. Analyse

A. Y a-t-il eu abus de pouvoir de la part de l’intimé dans le traitement des références reçues des répondants?

[9] Il y a lieu d’abord de définir ce qu’on entend par abus de pouvoir. La décision Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, est la décision de principe de l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique (le « Tribunal »), un des prédécesseurs de la Commission, sur la notion d’abus de pouvoir. Elle définit en quoi consiste un tel abus, en reprenant les catégories établies en droit administratif comme suit :

[…]

[70] Comme l’a soulevé la plaignante dans ses arguments, Jones et de Villars, supra, ont dégagé cinq catégories d’abus énoncés dans la jurisprudence. Comme le font remarquer ces savants auteurs à la page 171, ces mêmes principes généraux de droit administratif s’appliquent à toutes les formes de décisions discrétionnaires administratives. Les cinq catégories d’abus sont les suivantes :

1. Lorsqu’un délégué exerce son pouvoir discrétionnaire dans une intention illégitime (incluant dans un but non autorisé, de mauvaise foi ou en tenant compte de considérations non pertinentes).

2. Lorsqu’un délégué se fonde sur des éléments insuffisants (incluant lorsqu’il ne dispose d’aucun élément de preuve ou qu’il ne tient pas compte d’éléments pertinents).

3. Lorsque le résultat est inéquitable (incluant lorsque des mesures déraisonnables, discriminatoires ou rétroactives ont été prises).

4. Lorsque le délégué commet une erreur de droit dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

5. Lorsqu’un délégué refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire en adoptant une politique qui entrave sa capacité d’examiner des cas individuels avec un esprit ouvert.

[…]

[10] Il est important de noter que le Tribunal précise qu’il n’est pas nécessaire que l’abus de pouvoir soit intentionnel. Il faut toutefois que l’action qu’on allègue être un abus de pouvoir soit répréhensible au point où il est inconcevable que le législateur aurait voulu que la discrétion du décideur s’exerce de cette façon. Une simple erreur ou omission ne constitue pas un abus de pouvoir.

[11] La Loi donne à la Commission de la fonction publique, ou à l’administrateur général à qui celle-ci délègue son autorité, de larges pouvoirs en ce qui concerne la détermination des qualifications nécessaires pour un poste (art. 31), le choix du processus (art. 33) et la méthode d’évaluation des candidats pour des postes à la fonction publique (art. 36). Ces pouvoirs doivent être exercés de façon raisonnable.

[12] En l’espèce, il me semble que l’intimé a refusé d’examiner les objections de la plaignante avec un esprit ouvert, et qu’il s’est fondé sur des éléments insuffisants pour juger que la plaignante ne satisfaisait pas aux critères « engagement » et « valeurs et éthique ».

[13] Après avoir passé la pré-sélection et l’examen écrit, la plaignante a eu une entrevue, qu’elle a réussie sauf pour une question, celle concernant le critère « valeurs et éthique ». Mme Gagné a expliqué que, malgré l’échec à une question d’entrevue, on donnait la chance au coureur. Il était possible que les références permettent de hausser la note malgré l’échec à l’entrevue. Autrement dit, on évaluait l’ensemble du dossier pour déterminer si le candidat satisfaisait aux critères de mérite.

[14] Les candidats devaient fournir le nom de leurs superviseurs les plus récents comme répondants. Il était prévu que les superviseurs qui étaient également des candidats au processus ne pouvaient donner de références, par crainte de conflit d’intérêt. Cette règle a joué contre la plaignante, selon elle, puisque les deux superviseures de l’année précédant le processus étaient également des candidates au processus, donc elles étaient exclues. Finalement, de la liste fournie par la plaignante, qui incluait des personnes candidates au processus, on a retenu deux répondants, à savoir Line Vaillant et Michel Riopel.

[15] La plaignante a déposé à l’audience ses évaluations du rendement des deux années avant le processus. Ces évaluations décrivent une personne qui participe activement, qui est engagée et qui est intéressée par son travail. Dans l’une des évaluations, on sent percer un conflit avec un des deux répondants. Il est impossible de juger qui a tort et qui a raison.

[16] La prise de références a été faite par un comité formé de deux personnes, à l’aide d’un formulaire. Les membres du comité appelaient les répondants et posaient des questions sur les critères suivants : valeurs et éthique, excellence du service à la clientèle, et engagement.

[17] D’après les notes prises par le comité responsable des références lors de l’entretien avec Mme Vaillant, il se dégage un double portrait de la plaignante : d’une part, la plaignante a beaucoup de succès avec son équipe, d’autre part, elle a une relation conflictuelle avec l’autorité. En outre, selon Mme Vaillant, les autres chefs d’équipe se plaignent que la plaignante n’écoute pas et qu’elle veut imposer ses idées. En matière d’éthique, Mme Vaillant parle d’un incident où la plaignante consulte les Services des relations de travail pour savoir si un rendez-vous avec un garagiste peut être considéré comme un rendez-vous professionnel au sens de la convention collective. À l’audience, la plaignante a soutenu que toutes ses demandes aux Services des relations de travail ne concernaient que les préoccupations de ses employés.

[18] L’entretien avec M. Riopel est également marqué par la contradiction. Selon M. Riopel, la plaignante s’occupe bien de son équipe, elle est à son affaire, mais elle est trop autoritaire. La plaignante communique bien avec son équipe, mais la relation avec les autres chefs d’équipe est plus problématique. En ce qui concerne le critère « valeurs et éthique », M. Riopel parle de la difficulté de la plaignante à respecter son horaire de travail. La plaignante a confirmé à l’audience ses conflits avec M. Riopel à ce sujet, mais elle a insisté sur le fait qu’elle travaillait toutes les heures requises. M. Riopel conclut l’entretien en disant que la plaignante est un « personnage ». « Elle livre, mais… ».

[19] L’évaluation du comité responsable des références après ces deux entretiens est la suivante :

[…]

Valeurs et éthique

La candidate ne rencontre pas tous les comportements attendus. Elle a malheureusement enfreint plusieurs règles en lien avec le code de valeurs et l’éthique : manque de respect envers ses gestionnaires à plusieurs occasion, non-respect de son horaire de travail à titre de CE, malgré plusieurs avertissements de son supérieur, elle ne s’est jamais amendée. Sert son propre intérêt personnel en intervenant pour son propre cas auprès des relations de travail, sans l’autorisation de son gestionnaire. Elle désirait obtenir un congé payé pour obligation familiale personnelle, pour le changement de ses pneus, toujours lorsqu’elle était dans un poste de gestion. En définitive, la candidate ne prêche pas par l’exemple en matière de valeurs et d’éthique.

Engagement

Démontre qu’elle est en mesure de mobiliser ses employés par l’autorité qu’elle possède par l’entremise de rencontres d’équipe et individuelles. Cependant, elle n’est pas en mesure de mobiliser ou d’engager ses collègues ou ses supérieurs parce qu’elle ne tient qu’à son idée. Elle a manifesté des comportements d’entêtement, voir même d’apparence agressive envers les membres du comité de gestion. De part ces comportements hors norme, elle s’isole sur elle-même et perd sa crédibilité auprès de ses collègues et ses supérieurs.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[20] Finalement, la plaignante a obtenu une note de 2 sur 10 pour le critère « valeurs et éthique », et une note de 3 sur 10 pour le critère « engagement ».

[21] Dans le courriel envoyé après l’entrevue informelle, la plaignante a proposé d’autres noms de répondants, qui n’ont pas été retenus. Elle a également fait état de ses réalisations et réussites, un bilan qui contredit considérablement les énoncés des répondants.

[22] La plaignante allègue que les propos tenus par les deux répondants étaient mensongers. Mme Gagné a consulté la gestionnaire des deux répondants, Anne-Marie Signori, qui a témoigné à l’audience.

[23] Mme Signori a confirmé à l’audience, comme elle l’avait confirmé à Mme Gagné, que les deux répondants lui avaient parlé de leurs difficultés avec la plaignante. La plaignante ne nie pas ces difficultés, bien au contraire. Ce qu’elle avance, c’est que ces difficultés ont donné lieu à des déclarations qui ne sont pas vraies. Mme Signori ne pouvait confirmer les déclarations des répondants, seulement faire état de conflits.

[24] Il m’est impossible de faire la part des choses, mais je constate que le comité de sélection était tout aussi incapable de déterminer la véracité des propos des répondants. On reste avec les commentaires de la plaignante, qui soulève que, si elle avait fait preuve d’une aussi mauvaise conduite que ce que les répondants alléguaient, on en trouverait des traces quelque part dans une lettre d’attentes, un dossier disciplinaire ou une évaluation du rendement. Or, il n’en est rien.

[25] Je trouve fort curieux que la plaignante réussisse à la question sur critère « engagement » à l’entrevue, mais échoue à ce critère sur la base de ce que disent les répondants, malgré le bilan de ses diverses contributions et réussites, bilan qui n’a pas été contredit, même par Mme Signori.

[26] La plaignante soulève à bon droit le problème d’absence de références pour l’année qui précède le processus, parce que ses superviseures immédiates étaient également des candidates au processus. Contrairement à la plaignante, je ne pense pas que l’intimé soit dans l’erreur en refusant de telles références. Il est vraiment trop délicat de placer une personne candidate dans la position de favoriser une autre candidate, ou lui nuire, compte tenu de son intérêt pour le poste.

[27] La plaignante n’a pas dénoncé à l’avance les difficultés qu’elle avait eues avec les deux répondants, mais rien n’aurait pu lui laisser prévoir leur virulence négative à son endroit. Elle pouvait espérer qu’ils mettent en lumière ses réalisations, et non leur perception négative. L’une des évaluations du rendement déposée à l’audience a été faite par Mme Vaillant, qui fait état de l’intégration de la plaignante dans sa nouvelle équipe, de son énergie et de sa capacité à motiver l’équipe dont elle est responsable. Difficile de comprendre alors pourquoi la plaignante échoue au critère « engagement », qu’elle avait déjà réussi à l’entrevue. L’évaluation du rendement ne soulève pas de difficultés de communication.

[28] La situation des références n’a pas été corrigée par celle qui dirigeait tout le processus, y compris la vérification des références, Mme Gagné. Dans la décision Laviolette c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2015 CRTEFP 6 (« Laviolette »), la Commission a conclu à l’abus de pouvoir parce que le comité de sélection avait pris des décisions malgré un manque d’information. Le plaignant avait mis en doute la véracité des références fournies par sa répondante, et le comité avait omis de faire enquête à ce sujet.

[29] La Commission indique clairement dans sa décision que le fait d’être en désaccord avec les références ne suffit pas, il faut d’autres indicateurs. Elle souligne notamment l’importance de tenir compte des éléments qui pourraient mettre en doute la fiabilité des références, dans les termes suivants :

[…]

[70]         Comme l’ancien Tribunal l’a noté dans Pellicore c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2010 TDFP 23 aux para. 49-50, la partialité présumée d’un répondant ne signifie pas nécessairement que le comité d’évaluation a abusé de son pouvoir puisque le répondant n’est pas celui à qui la CFP a délégué son pouvoir de nomination. Voici un extrait de l’affaire Pellicore :

Quoi qu’il en soit, le parti pris présumé d’un répondant ne signifie pas que le comité d’évaluation a abusé de son pouvoir. La vérification des références vise à obtenir des renseignements qui seront utilisés par le comité lors de son évaluation des qualifications du candidat. Les répondants n’ont aucun pouvoir de décision dans cette évaluation et ne sont donc pas censés agir sans parti pris comme les décideurs. …

Cela ne signifie pas qu’un comité d’évaluation ne doit pas tenir compte de tout élément qui remettrait en question la fiabilité des renseignements fournis par un répondant.

[c’est nous qui soulignons]

[71]         Selon l’affaire Pellicore, un comité d’évaluation devrait donc tenir compte de tout élément qui remettrait en question la fiabilité des renseignements fournis par un répondant. La Commission estime, de ce fait, que pour établir que le comité d’évaluation a abusé de son pouvoir, le plaignant doit démontrer que le comité avait des raisons de mettre en doute la validité des observations de sa répondante.

[72]         Il reste donc à voir, dans la présente affaire, si le plaignant a démontré que le comité avait des raisons de mettre en doute la validité des observations de sa répondante.

[…]

[30] Dans la décision Hill c. Sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2017 CRTESPF 21, la Commission écrit ce qui suit au paragraphe 63 :

[63] Par conséquent, la vraie question est la suivante : lorsqu’un candidat communique à un comité d’évaluation une appréhension selon laquelle la référence fournie par son superviseur direct, qui est souvent obligatoire, peut être influencée par une relation tendue entre eux, en fonction d’une série d’événements, le comité d’évaluation devrait-il accepter d’envisager une autre référence?

[31] Dans le présent cas, le comité de sélection s’est interrogé sur le caractère négatif des références, et Mme Gagné a communiqué de son propre chef avec Mme Signori pour faire valider les observations des répondants. Toutefois, comme le signalait la plaignante dans son courriel qui faisait suite à la discussion informelle, la partialité de Mme Gagné elle-même pouvait être mise en doute. La plaignante soulevait, à mon avis, suffisamment de doutes dans son courriel, au sujet de l’évaluation faite par ses répondants et au sujet de la partialité de Mme Gagné, pour que l’intimé soit tenu de reconsidérer l’évaluation de sa candidature.

[32] En l’absence d’une correction d’un processus qui paraissait hautement préjudiciable à la plaignante, malgré un dossier qui contredisait les propos de ses répondants, je considère qu’il y a eu abus de pouvoir de la part de l’intimé.

B. Y a-t-il eu abus de pouvoir de la part de l’intimé en raison de la partialité de Mme Gagné?

[33] Il faut de prime abord indiquer que Mme Gagné a joué un rôle démesuré dans ce dossier, en raison de la structure et de la taille du processus.

[34] Mme Gagné a expliqué qu’il s’agissait d’un processus très considérable (environ 550 entrevues), à l’échelle de la province de Québec, qui servirait à créer des bassins à partir desquels on pourrait faire des nominations. Plusieurs mesures ont été prises pour assurer une évaluation aussi cohérente et impartiale que possible.

[35] Différents comités formés de deux personnes ont mené les entrevues. Les références étaient prises et évaluées par d’autres comités formés de deux personnes. Les outils d’entrevue et de prise de références étaient les mêmes, mais, afin d’assurer le plus d’uniformité possible, on a également créé un comité de calibrage, chargé de passer en revue tous les résultats des entrevues et des références afin d’assurer une évaluation uniforme. Mme Gagné a joué deux rôles dans l’évaluation de la candidature de la plaignante : elle faisait partie du comité menant l’entrevue, et elle faisait partie du comité responsable du calibrage. Lorsqu’elle a reçu les références plutôt négatives au sujet de la plaignante, elle a décidé d’appeler Mme Signori pour valider ce que les superviseurs avaient dit.

[36] À l’entrevue, la plaignante a échoué à la question sur le critère « valeurs et éthique ». Il s’agissait d’une mise en situation, dont le libellé était le suivant :

L’une de vos équipes a vu se succéder 4 chefs d’équipe différents au cours de la dernière année. C’est l’une de vos équipes la plus performante.

Quand vous avez présenté la nouvelle chef d’équipe il y a 3 mois et que vous avez indiqué souhaiter qu’elle s’installe plus près des employés, l’un d’entre eux a démontré du mécontentement et a indiqué qu’ils étaient performants et n’avaient pas besoin d’être surveillés. Vous avez hésité mais finalement vous avez décidé avec votre d’équipe d’attendre un peu avant de bouger.

Il y a 3 semaines, la nouvelle chef d’équipe vous a signalé qu’elle avait remarqué que les agents de renseignements arrivaient plus tard ou partaient plus tôt. Elle en a fait la remarque à l’un d’eux, qui lui a répondu assez sèchement et brusquement, que les employés étaient autonomes et performants et qu’ils reprenaient leur temps en conséquence et qu’ils n’avaient pas besoin de personne pour les surveiller. Le chef d’équipe a alors commencé à surveiller davantage et a noté qu’un des agents principaux n’arrivait presque jamais à l’heure et elle n’avait pas d’information comme quoi il reprenait son temps. L’autre quitte régulièrement avant la fin de son horaire, n’avise jamais et ne donne pas d’explication. Elle l’a rencontré ce matin et lui a posé la question. Il a répondu qu’il ne prend pas ses pauses.

Comme c’est son tout premier poste de chef d’équipe, elle vous demande votre aide car elle a remarqué que la situation semble similaire dans les autres équipes également. Elle voit plusieurs employés prendre de longues périodes de pause repas ou qui partent plus tôt. Elle est mal à l’aise et ne voudrait pas créer un précédent inutilement car les autres chefs d’équipe n’en ont pas parlé avec elle et n’ont pas l’air préoccupé par cette situation. Toutefois, elle pense sérieusement qu’il faut utiliser une mesure administrative.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[37] On demandait à la candidate comment elle aborderait la situation et quels seraient ses conseils et ses actions. Rappelons que la mise en situation évalue les candidats pour le poste de gestionnaire de services, donc superviseur de chefs d’équipe. D’après la grille de cotation, les éléments suivants devraient figurer dans la réponse du candidat :

Rencontre le CÉ et examine les faits avec lui. Demande au CÉ de :

Valider la situation antérieure et actuelle.

Contacter les relations de travail sur les actions possibles à prendre

Appui mon CÉ pour la planification et préparation d’une rencontre individuelle avec l’employé qui a répondu sèchement pour ce qui concerne le respect entre collègue (employé et CÉ)

Je vérifie avec les autres GS [gestionnaires de service] et planifie une réunion avec tous les CÉ et propose un rappel des attentes communes auprès des employés

J’informe mon directeur de la situation et des actions entreprises.

Assurer un rappel par CÉ et GS avec tous les employés pour revoir les valeurs et l’éthique organisationnelles. Rappeler et expliquer les attentes versus le respect des horaires.

Rencontre individuelle pour recueil de faits avec l’employé

Attentes précisées à l’employé

Suivis en continue

Retour régulier en réunion d’équipe sur V&E

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[38] D’après les notes des deux membres du comité menant l’entrevue, Mme Gagné et M. Duclos, la plaignante aurait répondu ce qui suit (les notes sont bien sûr en style télégraphique) :

[Notes de Mme Gagné :]

[…]

moment (vrai) avec CE

meilleur moment pour elle

la laisser s’exprimer

Questionner : lorsque que tu dis, faits ou perceptions

Faire attention aux perceptions

Équipe très performante. Veut [pas?] déstabiliser.

Si réel enjeu doit agir.

Rappel rôles – Qui es-tu? Comment tu veux que l’on communique? Façon de fonctionner? Leader? Est-ce que les employés sont satisfaits de ce mode?

[illisible] : dès le début – explique Q – aucune accusation. Fait confiance jusqu’au contraire.

pas un climat de contrôle, pas un état policier

Mais j’ai un rôle – 10 minutes de retard. Mon travail est d’expliquer rôle, lien avec section, [illisible]

intendance, attente

Comment as-tu abordé l’employé?

à son bureau, ailleurs

besoin de coaching du CÉ

parlé avec CÉ moi-même. Tâte le terrain. Abus ou pas. Trucs, astuces pour observer employés.

Sujet en réunion CÉ. Collaboration.

Comment vous-assurez-vous que les employés sont à l’heure? Pauses?

Rappel à l’employé – pauses

Peut pas juste

CÉ -autres besoins, pistes de solutions.

Consulté GS – Questions – Commentaires

Comment ils ont abordé le sujet?

Recommandations du syndicat – porte-voix des employés, aide dans la piste de solution - des RT.

Ton – si j’étais toi, reviens sur l’incident. Maladroite (excuse), l’art de dire les choses. Veut avoir communication cordiale. Comment il veut être abordé? À mon bureau, courriel, salle. Faut s’adapter.

Revenir là-dessus pour crever l’abcès. 1er point de contact – imp. rôle, pas démobiliser.

Attention – gestion du rendement.

Bureau – Intéressant – Surveillance – Imp. d’expliquer avant de le faire – pas contrôler, surveiller, Accessibilité. Opinion, répondre Q. Des enjeux org (ex. pas bureau)

Suivi avec directeur lui en parler en bilat.

CÉ – suivi avec elle. œil attentif car l’équipe a vécu beaucoup de changements – instabilité.

Gouvernement – changement de CÉ, GS, de dir. de procédures

[illisible]

Attitude + regarder vers l’avenir, qu’est-ce que je peux faire pour m’adapter?

Travail avec CÉ – solution en elle – comment elle identifie forces/faib.

Manque de formation, coaching.

Valider son besoin.

Problème de rendement, [illisible]

humilité, reconnaître [illisible]

apporter soutien

continuité des choses

Vigilant

[Notes de M. Duclos :]

Prendre un moment avec le chef d’équipe et la laisser s’expliquer.

Perceptions ou factuel. Faire attention aux perceptions.

Équipe très performante mais s’il y a un enjeu en valeurs et éthique, il faut agir.

Voir ses communications avec ses employés. Si cela n’a pas été fait, le faire et établir un mode de fonct avec les employés et faire un retour à la gestionnaire

Faire confiance jusqu’à preuve de confiance.

On est pas un état de contrôle mais on a des responsabilités.

Lien avec code et éthique. Surveillance qu’il a travaillé 37.5 h.

Voir si le CÉ a besoin de coaching.

En parler avec les autres chefs d’équipe. Est-ce que vous voyez qu’il y a des abus.

Veut une collaboration avec les CÉ. Comment vous assurez-vous que tous sont à l’heure.

Faire un rappel sur les pauses selon la convention collective.

Demander à la CÉ si elle a des pistes de solution.

Je pourrais consulter des gens des autres lignes [illisible].

Consulter le rel. de travail et le syndicat peut-être en collaboration.

Incident ave l’employé – essayer de revenir auprès de l’employé

A peut-être été maladroite.

Peut-être s’excuser auprès de l’employé. Il faut s’adapter et éviter les tensions.

Les employés doivent avoir confiance et comprendre leurs rôles et responsabilités.

Expliquer aux employés avant de le faire de déplacer le poste de travail du c. d’équipe. Les rassurer et expliquer le [illisible].

J’en parlerais avec mon directeur.

Faire un suivi avec le C.É. et considérer qu’il y a eu 4 chefs d’équipe.

Les préparer psychologiquement les employés « Il ne faut pas être frustré par le changement. Comment nos collègues le font.

Travailler avec la C.É. est-ce qu’elle a besoin de formation et coaching.

[illisible] et défis – reconnaître les améliorations, les réconforter.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[39] Pour justifier la note de 4 sur 10 attribuée pour cette réponse, Mme Gagné a écrit ce qui suit :

Madame semble avoir un parti pris pour les employés. Le support à son CÉ n’est pas optimal en ce sens qu’elle questionne sa formation, son coaching (elle mentionne même que si elle a été maladroite, elle devrait s’excuser). Dans son discours, elle fait référence au syndicat, aux relations de travail mais on ne sent pas que c’est vraiment intégré. Elle [illisible] que les employés doivent suivre la convention collective et le Code.

En conclusion, Madame a présenté une performance légèrement inférieure aux critères. Madame ne gère toutefois pas la situation selon les critères attendus. Elle ne valide pas les faits, elle ne supporte pas la CÉ dans la planification, l’organisation d’une rencontre. Elle vérifie avec les autres CÉ, GS et informe son directeur quant aux horaires.

[40] À l’audience, Mme Gagné a témoigné que, dans sa réponse, la plaignante n’appuyait pas suffisamment la chef d’équipe, et semblait plutôt prendre parti pour l’employé. Elle aurait dû, selon Mme Gagné, prendre entièrement parti pour la chef d’équipe, et rappeler les employés à l’ordre en parlant du Code de valeurs et d’éthique du secteur public.

[41] Selon la plaignante, Mme Gagné avait parlé lors de la discussion informelle de son ton quasi-condescendant. Cette version a été confirmée à l’audience. Effectivement, Mme Gagné trouvait que la plaignante parlait avec trop d’assurance, ce qui risquait de mettre les autres mal à l’aise.

[42] Les notes d’entrevue sont extrêmement détaillées pour la première question, une mise en situation assez complexe où Mme Gagné a d’abord donné 10 sur 10 à la plaignante, pour ensuite diminuer la note à 9, « parce qu’elle avait trop confiance », selon ce qu’elle a témoigné à l’audience.

[43] Mme Gagné a croisé un gestionnaire dans la section où la plaignante avait obtenu un poste doté pour une période indéterminée (PE-3) dans le cadre d’un second processus mené à peu près en même temps que le processus en l’espèce. Dans ce deuxième processus, la plaignante a réussi à toutes les étapes et elle a obtenu le poste.

[44] Le gestionnaire a raconté à la plaignante qu’une personne chargée du processus de nomination (il ne l’a pas nommée, mais les faits démontrent que c’était Mme Gagné) lui avait fait part de l’échec de la plaignante au processus concernant le poste de groupe et niveau PM-5, et lui avait posé toutes sortes de questions sur la plaignante, et notamment, comment elle avait réussi à obtenir le poste de groupe et niveau PE-3. Le gestionnaire a indiqué à Mme Gagné qu’il n’était pas le gestionnaire de la plaignante, que par ailleurs celle-ci avait bien réussi au processus, et que toute la section était fort contente de son travail.

[45] La plaignante a porté plainte contre cette intrusion dans sa vie privée. Une enquête menée au ministère a conclu qu’il y avait eu bris de confidentialité et invasion de la vie privée. L’enquête a confirmé les propos du gestionnaire à la plaignante.

[46] La discussion informelle a eu lieu le 16 février 2017. La plaignante a été surprise de se faire offrir une discussion en personne, parce qu’elle s’attendait plutôt à un appel téléphonique. Une ses collègues, qui elle avait demandé la discussion en personne, n’y avait pas eu droit.

[47] Selon la plaignante, Mme Gagné lui a dit qu’elle avait rencontré son gestionnaire, et qu’il n’avait pas semblé surpris de son échec au processus pour le poste PM-05. Mme Gagné a paru surprise que ce n’était pas le gestionnaire de la plaignante, même si le gestionnaire lui-même le lui avait dit.

[48] À l’audience, Mme Gagné ne se rappelait pas avoir dit que le gestionnaire n’était pas surpris de l’échec, mais son explication de sa conversation avec le gestionnaire – elle se préoccupait de l’effet qu’aurait l’échec sur la plaignante, elle voulait que son gestionnaire la soutienne – ne s’aligne vraiment pas avec le reste des faits. Il me paraît invraisemblable d’annoncer un échec à une tierce partie, de poser des questions sur la réussite dans un autre processus, par souci du bien-être de quelqu’un, alors que le gestionnaire lui a indiqué qu’il n’était pas le gestionnaire de la plaignante.

[49] Il me paraît également invraisemblable que Mme Gagné se souciait de la réaction de la plaignante à son échec au point d’en parler avec le gestionnaire, compte tenu du fait que Mme Gagné reprochait à la plaignante – et continuait de lui reprocher à l’audience – son excès de confiance en elle-même. Cet incident me paraît confirmer l’attitude négative de Mme Gagné à l’endroit de la plaignante.

[50] Dans les notes de Mme Gagné prises dans le cadre de la discussion informelle, on lit ce qui suit :

[…] Madame présente peu d’introspection en rapport à l’entrevue. Bien qu’elle a échoué la compétence valeurs et éthique en entrevue, elle juge que ce sont des références faites de mauvaise foi qui ont causé son échec.

Madame ne perçoit nullement l’impact qu’elle a sur son environnement. Elle pleure de rage et d’égo pendant la discussion informelle.

[51] À l’audience, en contre-interrogatoire, Mme Gagné a convenu qu’elle n’avait pas vu la plaignante pleurer. Celle-ci avait quitté la salle et était revenue « avec les yeux bouffis »; elle en avait donc déduit qu’elle avait pleuré. Quant à la mention concernant l’ego et la rage, Mme Gagné a indiqué qu’elle avait travaillé pendant 20 ans dans des pénitenciers; elle savait lire les émotions.

[52] Je ne doute pas que la plaignante ait pu réagir de façon émotive dans le cadre d’une discussion informelle au cours de laquelle Mme Gagné lui a dit qu’elle avait échoué à l’entrevue parce qu’elle avait trop confiance en elle et qu’elle semblait mépriser les autres, et au cours de laquelle Mme Gagné lui annonçait qu’elle avait tout bonnement parlé de son échec avec un gestionnaire, et que ses répondants s’entendaient pour dire qu’elle ne satisfaisait pas au critère « valeurs et éthique ». De là à interpréter l’émotion en termes de rage, d’ego et d’insensibilité de la part de la plaignante, il y a un large pas, qui traduit une attitude nettement défavorable.

[53] Dans le courriel adressé au comité de sélection quelques jours après la discussion informelle, la plaignante demandait que sa candidature soit réévaluée par quelqu’un d’autre que Mme Gagné. La plaignante racontait dans son courriel l’indiscrétion de Mme Gagné, qui avait parlé de son échec avec un gestionnaire de sa nouvelle section. Rappelons que, malgré un accusé de réception, on n’a pas donné suite au courriel.

[54] Je ne doute pas, à en juger par le comportement de Mme Gagné tout au long de ce processus, y compris par son évaluation négative d’une réponse qui répondait pourtant à nombre des éléments prévus, son bris de confidentialité et son attitude à l’audience, qu’elle avait pris en grippe la plaignante à l’entrevue. Après une première question où elle a visiblement été éblouie par la facilité avec laquelle la plaignante s’exprimait et organisait ses idées (lui attribuant spontanément une note de 10 sur 10, qu’elle a ensuite baissée en raison de l’excès de confiance), elle s’est raidie dans l’évaluation de la question sur le critère « valeurs et éthique ». Cette évaluation me paraît incompréhensible. Je suis bien consciente du fait qu’il ne revient pas à la Commission de faire l’évaluation, que l’employeur peut utiliser n’importe quel outil d’évaluation, mais encore faut-il que l’outil mesure raisonnablement ce qu’il est censé mesurer. Les éléments de réponse fournis par la plaignante me semblent correspondre dans une proportion importante aux éléments attendus.

[55] À mon avis, la partialité de Mme Gagné atteint le seuil de l’abus de pouvoir. L’intimé avait structuré le processus de façon à permettre une évaluation cohérente des nombreux candidats. Cela dit, c’était une erreur de donner à la même personne le pouvoir d’évaluer puis de réviser par la suite l’évaluation. Mme Gagné avait développé un parti pris à l’entrevue; les références ont servi à confirmer son parti pris. Sa conversation avec le gestionnaire dans la section où la plaignante avait obtenu un poste était, on ne peut la qualifier autrement, malveillante.

[56] Dans le courriel envoyé à la suite de la discussion informelle, la plaignante fait état de l’indiscrétion de Mme Gagné, et elle demande qu’une autre personne l’évalue; elle demande également qu’on considère d’autres répondants, car l’évaluation négative des répondants ne correspond pas à la rétroaction qu’elle a eue dans ses évaluations du rendement et de la part de nombre d’autres gestionnaires. Le courriel est resté sans réponse. Je pense qu’il y a aurait eu lieu de considérer plus sérieusement les allégations dans ce courriel.

IV. Mesures de redressement

[57] La plaignante demandait les mesures correctives suivantes dans sa plainte :

• une nouvelle évaluation de sa candidature;

• la possibilité d’avoir des références de novembre 2015 à novembre 2016 autres que les répondants;

• que les agissements de Mme Gagné soient condamnés;

• des recommandations sur un mécanisme de vérification des références et l’utilisation de ces références;

• une indemnisation pour la perte de salaire du fait de ne pas avoir été nommée au poste PM-05;

• des excuses pour les propos diffamatoires et méprisants à son endroit.

 

[58] À l’audience, la plaignante a indiqué qu’elle ne souhaitait plus participer au processus; elle était satisfaite des progrès de sa carrière depuis. Elle a simplement demandé une affirmation de ses droits et des recommandations de la part de la Commission pour régler ce genre de situation.

[59] Il est clair que la Commission ne peut accorder un montant pour perte de salaire, ni obliger l’intimé à présenter des excuses. Le redressement dans la présente affaire prend donc deux formes : une déclaration qu’il y a eu abus de pouvoir en raison de partialité et d’un processus déficient en ce qui concerne les références, et des recommandations pour assurer davantage d’objectivité dans un processus de nomination.

[60] Mes recommandations sont de deux ordres, pour tenir compte de ce que j’estime être les deux défauts principaux de ce processus : l’importance accordée aux références, et le défaut de tenir compte d’allégations fondées sur le dossier de la plaignante.

[61] La Loi permet à l’employeur toute méthode d’évaluation qu’il estime indiquée, selon l’article 36 de la Loi, qui se lit comme suit :

36 La Commission [de la fonction publique, ou l’employeur] peut avoir recours à toute méthode d’évaluation — notamment prise en compte des réalisations et du rendement antérieur, examens ou entrevues — qu’elle estime indiquée pour décider si une personne possède les qualifications visées à l’alinéa 30(2)a) et au sous-alinéa 30(2)b)(i).

[62] Dans la prise en compte des réalisations et du rendement antérieur, la Commission (et le Tribunal précédemment) a confirmé la possibilité d’utiliser les références comme source de renseignements pour évaluer les candidats à un processus de dotation. Toutefois, le présent cas illustre le problème que pose l’emploi des références pour évaluer les qualifications essentielles.

[63] Le bilan des réalisations et du rendement antérieur de la plaignante m’a été présenté à l’audience principalement par ses évaluations du rendement. Ces évaluations sont très positives, sauf pour quelques bémols, qui ne correspondent pas toutefois au ton hautement négatif des références fournies. Cette contradiction n’a pas été résolue par l’intimé, et c’est une erreur.

[64] Il paraît injuste d’évaluer les qualifications essentielles d’un candidat au moyen d’un questionnaire adressé à quelqu’un d’autre. Ce n’est pas le candidat qui est évalué, mais bien le répondant qui est évalué. Celui-ci peut être loquace, taciturne, bien disposé ou malveillant. Tout cela est indépendant du candidat.

[65] Les références, à mon avis, devraient servir uniquement d’aide au gestionnaire qui embauche pour décider si la personne qualifiée est effectivement la bonne personne pour son équipe, c’est-à-dire, qui répondra aux besoins précis de la section. Une fois que les candidats sont qualifiés et placés dans un bassin, il est tout à fait de mise qu’un gestionnaire veuille savoir du gestionnaire précédent quelles sont les qualités particulières du candidat. On peut vouloir quelqu’un de très indépendant, ou au contraire, quelqu’un qui adore travailler en équipe. Ces préoccupations sont légitimes, et il est fondé de pouvoir poser des questions.

[66] Ce qui me paraît moins légitime, c’est de décider que quelqu’un possède ou non les compétences voulues (c’est-à-dire, les qualifications essentielles) sur la base d’une opinion externe, alors qu’on ne connaît rien du répondant. Encore une fois, les questionnaires de références évaluent le répondant, et non le candidat. Celui-ci, même s’il possède les qualifications nécessaires, pourrait échouer parce que le répondant ne donne pas d’exemple, ou répond trop brièvement, ou lui en veut encore pour quelque conflit passé. Lorsque les meilleurs répondants ne peuvent être interrogés en raison d’un conflit d’intérêts, comme en l’espèce, le candidat est injustement défavorisé par rapport aux candidats qui peuvent faire appel aux superviseurs avec lesquels ils s’entendent très bien. (Voir à cet égard la décision Hammond c. Canada (Procureur général), 2009 CF 570, où la Cour fédérale accueille un contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal qui porte sur l’insuffisance des renseignements fournis par des références).

[67] Ma recommandation serait donc d’utiliser les références à des fins de sélection finale, une fois le candidat par ailleurs qualifié, et non comme outil pour évaluer si le candidat a les qualifications essentielles.

[68] Ma deuxième recommandation a trait au suivi de la discussion informelle, et de façon plus large, à la manière dont il faut traiter les préoccupations du candidat qui a subi un échec. Je comprends que la déception du candidat qui a échoué ne peut être le motif pour réévaluer sa candidature. Toutefois, il peut être dans l’intérêt de l’employeur d’éviter des procédures inutiles en considérant sérieusement la contestation d’un processus, lorsque le candidat présente des éléments de preuve qui contredisent la décision du comité de sélection (dans son courriel, la plaignante faisait largement état de ses réalisations, facilement vérifiables). Il est d’une importance primordiale que la préoccupation soulevée par le candidat soit étudiée par quelqu’un d’autre qu’un membre du comité de sélection, pour assurer l’objectivité de ce deuxième regard. Il est toujours loisible au candidat de porter plainte, comme fut fait en l’espèce. Je souligne qu’il peut être préférable pour l’employeur de l’éviter.

[69] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[70] La plainte est accueillie.

[71] Je déclare qu’il y a eu abus de pouvoir de la part de l’intimé dans l’évaluation de la candidature de la plaignante dans le cadre du processus portant le numéro 2015-CSD-IS-QUE-29102, en raison de la partialité du comité de sélection et du défaut de corriger la situation relative aux références.

Le 2 février 2021.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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