Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a été sélectionné dans le cadre d’un processus de nomination et a passé l’examen – il a été éliminé après les étapes de l’entrevue et de la vérification des références du processus, étant donné qu’il n’a pas obtenu la note de passage pour le critère de mérite essentiel concernant le « jugement » – le plaignant a allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’application du mérite parce que l’examen était trop facile, que la question de l’entrevue sur le jugement n’était pas claire, que les réponses de l’entrevue et les réponses des références n’ont pas été notées de façon équitable, que les conseillers en équité en matière d’emploi n’ont pas besoin de jugement, et que l’un des membres du comité de sélection n’avait pas les compétences nécessaires pour évaluer les candidats – il a également allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir en faisant preuve de discrimination fondée sur la race et l’origine ethnique à son égard lors du processus de nomination – la Commission a conclu que l’intimé avait présenté des éléments de preuve convaincants concernant sa réponse à la question de l’entrevue, la raison pour laquelle la réponse du plaignant avait été considérée comme insuffisante, et la raison pour laquelle elle ne démontrait pas le processus de réflexion ni une compréhension des étapes importantes à suivre avant de répondre au type de question présenté dans le scénario – la Commission était convaincue qu’il n’y avait eu aucun abus de pouvoir dans l’évaluation par le comité de sélection de sa réponse à la question de l’entrevue ni dans son évaluation des réponses des références aux questions qui leur ont été posées au sujet de son jugement – la Commission a conclu que les autres allégations d’abus de pouvoir dans l’application du mérite n’étaient pas fondées – enfin, la Commission a conclu que le plaignant n’avait pas établi de preuve prima facie de discrimination dans le cadre du processus de nomination.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date : 20210219

Dossiers : EMP‑2016‑10304 et 10371

 

Référence : 2021 CRTESPF 16

Loi sur la Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral et Loi sur

l’emploi dans la fonction publique

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Paul Abi‑Mansour

plaignant

 

et

 

sous‑ministre de la Justice

 

intimé

et

AUTRES PARTIES

Répertorié

Abi‑Mansour c. Sous‑ministre de la Justice

Affaire concernant une plainte d’abus de pouvoirs déposée en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Nancy Rosenberg, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui‑même

Pour l’intimé : Joel Stelpstra, avocat

Pour la Commission de la fonction publique : Louise Bard, par arguments écrits

 

Affaire entendue à Ottawa (Ontario)

les 22 et 23 mai 2019.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] Le 31 mars 2016, Paul Abi‑Mansour (le « plaignant ») a postulé sans succès à un poste de conseiller en équité en matière d’emploi classifié au groupe et au niveau PE-02 auprès du ministère de la Justice (processus de sélection 2015‑JUS‑IA‑KB‑101252). Il a déposé des plaintes en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, articles 12 et 13; LEFP) à l’égard de deux nominations qui ont été effectuées dans le cadre de ce processus de nomination.

[2] Le plaignant a été présélectionné aux fins du processus de nomination et il a réussi l’examen. Toutefois, sa candidature a été éliminée après les étapes de l’entrevue et de la vérification des références puisqu’il n’a pas obtenu la note de passage pour le critère de mérite essentiel concernant le « jugement ». Il a allégué que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’application du mérite et il a formulé ses allégations à cet égard comme suit :

[Traduction]

a) Abus de pouvoir dans l’élaboration des questions d’entrevue et de la grille d’évaluation.

b) Abus de pouvoir dans l’établissement des qualifications essentielles du poste (ECM).

c) Abus de pouvoir dans l’évaluation des réponses du plaignant à l’entrevue et dans l’évaluation des vérifications des références du plaignant.

d) Utilisation d’outils d’évaluation qui présentent des obstacles systémiques pour les groupes minoritaires (notamment des entrevues situationnelles et axées sur le comportement).

e) Nomination de candidats qui ne satisfont pas aux qualifications essentielles.

f) Discrimination par suite d’un effet préjudiciable contre le plaignant.

g) Un des membres du comité de sélection n’avait pas les compétences nécessaires pour effectuer une évaluation équitable des candidats.

 

[3] L’intimé a nié les allégations.

[4] En vertu de l’article 79 de la LEFP, la Commission de la fonction publique (CFP) a le droit d’être entendue dans toute plainte de dotation déposée auprès de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »). La CFP a refusé de participer à l’audience et ne s’est pas prononcée sur le bien‑fondé de la plainte. Elle a déposé des arguments écrits décrivant ses politiques et la jurisprudence pertinente.

[5] Le plaignant n’a pas informé la Commission canadienne des droits de la personne, comme l’exige l’article 78 de la LEFP lorsqu’une plainte soulève une question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H‑6).

[6] Pour les motifs qui suivent, les plaintes ne sont pas fondées. Le plaignant n’a pas établi que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans l’application du mérite et n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination.

II. Le témoignage et l’argumentation du plaignant

[7] Le plaignant a témoigné qu’il estimait être bien placé pour obtenir ce poste; il aurait dû être facile pour lui de l’obtenir, compte tenu de ses qualifications. Il avait travaillé sur des projets dans un secteur des Ressources humaines et avait été bénévole à des comités d’équité en matière d’emploi en milieu de travail et auprès de son syndicat. De plus, même si les personnes dans ce domaine n’ont habituellement qu’une expérience en matière de politiques, il estimait que ses compétences en gestion de données techniques constitueraient un avantage important.

[8] Le plaignant a également indiqué qu’il s’agissait de la promotion minimale possible à laquelle il pouvait aspirer, puisque ce poste équivalait à passer d’un poste AS‑03 à un poste AS‑04. Un poste PE‑02 était en réalité un poste subalterne, pour lequel il était surqualifié. À la question de savoir pourquoi il postulerait à un poste qu’il estimait un poste subalterne, le plaignant a répondu qu’il n’avait aucun [traduction] « contact », qu’il existait des obstacles à l’obtention de postes plus élevés, que l’équité en matière d’emploi constituait un domaine intéressant pour lui et qu’il estimait que ce poste serait un atout à son curriculum vitae.

[9] Le plaignant a soutenu que le [traduction] « jugement », le critère auquel il a échoué, constitue une question de qualités personnelles et que les méthodes d’évaluation de ces types de questions sont très subjectives. Il n’existe qu’une petite marge de manœuvre pour se préparer à une évaluation des facteurs relatifs aux qualités personnelles, comme le jugement. Il a allégué que la façon dont les qualités personnelles ont habituellement été évaluées a dissimulé du favoritisme et de la discrimination. Dans le passé, cette qualité personnelle a été utilisée afin de sélectionner simplement la personne que les gestionnaires souhaitaient sélectionner et elle continue d’être utilisée de cette façon aujourd’hui. Le texte qui suit résume les éléments de preuve et les arguments du plaignant à cet égard.

A. L’examen était trop facile

[10] Le plaignant a décrit l’examen écrit comme étant un examen [traduction] « à livre ouvert » et a soutenu qu’aucune compétence n’était donc requise pour le réussir. Tout ce qu’un candidat avait à faire était d’utiliser Internet. S’il s’était agi d’un examen à livre fermé, il l’aurait quand même réussi, parce qu’il avait réussi d’autres examens plus complexes.

[11] Toutefois, les autres candidats ne l’auraient pas réussi. Selon le plaignant, la Commission pourrait tirer cette conclusion parce que l’intimé a refusé de produire les examens et les curriculum vitae des autres candidats. De plus, il ne devrait exister aucune présomption selon laquelle ils l’ont réussi simplement parce que l’intimé a indiqué qu’ils l’ont réussi.

[12] Le plaignant a remis en question la décision du comité de sélection de faire passer une entrevue à 22 personnes pour ce qu’il a décrit comme étant une affectation par intérim d’un an. Il a dit que l’intimé s’était assuré que de nombreux candidats avaient été présélectionnés et avaient réussi l’examen, ce qui, en retour, lui avait permis de manipuler le reste du processus et de choisir la personne qu’il voulait. Il s’agissait d’une question d’offre et de demande.

[13] En contre‑interrogatoire, le plaignant a été renvoyé aux directives de l’examen, qui indiquaient que l’utilisation d’Internet pour répondre à l’examen était interdite.

B. La question d’entrevue sur le jugement n’était pas claire

[14] Le plaignant a soutenu que la question à laquelle il a échoué n’était pas claire, car elle ne faisait que référence au jugement et n’expliquait pas ce que cela signifiait. Il a dit que le jugement peut être n’importe quoi – il peut s’agir du jugement exercé au service à la clientèle ou lors de la prise de décisions. Il a dit que [traduction] « d’après les renseignements que nous avons reçus, je dirais qu’il s’agissait du service à la clientèle ». Le plaignant estimait que la question ne permettait pas d’évaluer le jugement, qu’elle était [traduction] « plus une question de satisfaction des clients ». Toutefois, il a également témoigné qu’il avait supposé qu’il était évalué pour le jugement dans le cadre de la prise de décisions. Il estimait que sa réponse démontrait qu’il assumerait la responsabilité d’un problème et qu’il le réglerait.

[15] Le plaignant a fait valoir qu’il était habitué à répondre à différents types de questions, y compris les questions situationnelles, dans le cadre de processus de nomination. Toutefois, les questions d’entrevue dans le cadre de ce processus étaient toutes situationnelles; par conséquent, il a dit qu’il était [traduction] « paralysé » parce que, à son avis, une personne ne peut pas se préparer à de telles questions.

C. Les réponses formulées à l’entrevue et les réponses des répondants n’ont pas été cotées de manière équitable

[16] Le plaignant a produit les réponses à la question relative au jugement des 16 candidats qui ont été jugés qualifiés. Il a soutenu que leurs réponses n’étaient pas meilleures que la sienne, que certaines d’entre elles avaient des faiblesses, mais que les candidats ont quand même obtenu une bonne note. Le plaignant n’a rien relevé de particulier dans les réponses qui démontrait une telle divergence; il estimait simplement que les autres candidats avaient été évalués de manière généreuse, tandis qu’il avait fait l’objet d’une évaluation plus sévère. Considérant la manière dont les réponses des autres candidats avaient été évaluées, il estimait que sa note relative au critère du jugement aurait dû être 8 ou 9 sur 10.

[17] Il a également produit les réponses des répondants des personnes nommées aux questions qui leur ont été posées au sujet du jugement des personnes nommées. Il a critiqué l’utilisation des références en tant qu’outil d’évaluation parce que les gestionnaires estiment qu’ils n’ont pas à les fournir. Il a dit qu’une de ses répondants avait été sa superviseure, mais qu’elle était un cadre très occupé. On pourrait s’attendre à ce qu’elle n’écrive pas beaucoup. Il a également allégué que les références qu’il a fournies n’ont pas été prises en compte de manière appropriée lorsqu’elles ont été évaluées.

D. Les conseillers en équité en matière d’emploi n’ont pas besoin de jugement

[18] Comme je l’ai déjà mentionné, le plaignant a soutenu qu’il n’aurait pas dû échouer au critère des qualités personnelles concernant le jugement et qu’il aurait dû obtenir une note de 8 ou 9 sur 10. Toutefois, il est allé plus loin et a soutenu qu’il était inapproprié pour l’intimé d’inclure le jugement en tant que critère de mérite essentiel. Le critère de jugement, très simplement, n’aurait pas dû être inclus du tout.

[19] Il a soutenu qu’un poste au groupe et au niveau PE‑02 est un poste subalterne et que les candidats à ce poste occuperaient des postes PE‑01. Par conséquent, l’intimé ne pouvait pas s’attendre à ce que des employés occupant des postes de si bas niveau acquièrent du jugement, comme il s’y attendrait d’une personne occupant un poste PE‑03 ou PE‑04.

[20] Le plaignant a dit que le jugement n’aurait pas dû être utilisé en tant que critère parce qu’il était arbitraire. Il n’était pas lié aux fonctions du poste. Rien dans la description de travail, qui constituait le seul document officiel portant sur le poste déposé en preuve, n’indique la nécessité du jugement. Le poste concernait simplement la mise en œuvre de décisions prises par d’autres personnes; il avait une portée limitée.

[21] Il a laissé entendre en outre que, à son avis, le [traduction] « service à la clientèle » aurait constitué un critère acceptable, ou peut‑être [traduction] « bien réfléchir », mais pas le jugement. Il a reconnu que le jugement aurait peut‑être pu constituer légitimement un atout, mais pas une qualification essentielle.

E. Membre du comité de sélection n’ayant pas les compétences nécessaires pour évaluer les candidats

[22] Le plaignant a soulevé la question des qualifications de Brittany Gagné pour agir en tant que membre du comité de sélection. Selon lui, il n’a pas été établi qu’elle possédait les habiletés et les compétences nécessaires pour effectuer une évaluation équitable et complète. Le plaignant a dit que les administrateurs généraux sont exposés aux principes élaborés par la CFP et y sont liés. Toutefois, Mme Gagné était simplement la titulaire du poste.

[23] Être membre d’un comité de sélection ne faisait pas partie de ses fonctions dans ce poste. Le fait qu’elle possédait les compétences pour effectuer le travail ne signifiait pas nécessairement qu’elle avait les compétences pour évaluer une personne. Il a demandé comment il possible de s’assurer qu’une telle personne membre d’un comité de sélection connaît les principes de dotation et respecte les droits des candidats.

[24] Il a suggéré que les membres du comité de sélection occupent habituellement des postes un ou deux niveaux plus élevés que le poste pour lequel ils recrutent. Il a indiqué qu’il était plus qualifié qu’elle ne l’était, car il avait occupé un poste plus élevé, à l’exception des six derniers mois. Cette déclaration était fondé sur sa compréhension selon laquelle Mme Gagné occupait le poste depuis uniquement six mois. Toutefois, c’était faux, elle occupait le poste depuis six ans.

[25] Il a également fait remarquer qu’elle occupait un poste subalterne au sein du comité de sélection et que, par conséquent, même s’ils pouvaient discuter de questions, elle n’était pas en mesure de l’emporter sur le gestionnaire.

[26] Il a conclu que, même si une autre personne y participait, Mme Gagné représentait 50 % du comité de sélection. Par conséquent, sa présence a entaché toute la composition du comité de sélection.

F. Allégation de discrimination

[27] Le plaignant a présenté des extraits des chapitres trois et quatre d’un document intitulé [traduction] « Les minorités visibles et la fonction publique du Canada », un rapport présenté à la Commission canadienne des droits de la personne par John Samuel & Associates Inc. d’Ottawa et daté de février 1997. Il contenait des renseignements recueillis au moyen d’entrevues et de discussions de groupes avec des membres de groupes de minorités visibles au sujet de leur expérience dans la fonction publique. Le plaignant a cité certains extraits du rapport en tant qu’éléments de preuve circonstanciels pour étayer son argument selon lequel il avait été victime de discrimination.

[28] Il a fait référence à la section sur l’embauche, qui traite de la tendance de ceux qui embauchent à chercher des personnes qui partagent les mêmes idées; un phénomène connu sous le nom de recrutement [traduction] « à l’image miroir ». Le rapport indique qu’il incombe aux gestionnaires de s’assurer que des membres de groupes désignés participent aux comités de sélection, afin que ces derniers reflètent la diversité de l’effectif. Le plaignant a fait remarquer que ce comité de sélection était composé de deux femmes blanches et qu’il n’était pas diversifié.

[29] Il avait exprimé une préoccupation selon laquelle l’entrevue se composait entièrement de questions situationnelles et il a estimé que les membres du comité de sélection n’avait pas aimé entendre cette préoccupation. Il a dit qu’il avait soulevé des questions semblables auprès d‘administrateurs généraux, de commissaires et de juges et qu’ils avaient répliqué. Il a dit qu’il s’agissait de la culture canadienne et que cela avait été son expérience.

[30] Il a mentionné qu’il avait eu un débat avec Mme Brownlee, la membre principale du comité de sélection, sur la façon d’attirer des avocats autochtones aux ministères et qu’elle n’avait rien aimé de ce qu’il avait à dire. Mme Gagné, selon le plaignant, cherchait des réponses défavorables. Elle n’a souvent pris qu’une seule note alors que de nombreuses notes auraient dû être prises. Il a dit qu’il y avait une atmosphère bizarre dans la salle et que les membres du comité de sélection avaient été très stricts au sujet des règles. Toutefois, le plaignant a dit qu’il estimait avoir quitté l’entrevue en bons termes avec eux.

[31] Il a fait référence au problème des qualités personnelles, qui se rapporte également à la question de l’image miroir. Le rapport indiquait que les critères relatifs aux qualités personnelles peuvent avoir une incidence négative sur les employés faisant partie d’une minorité visible en raison du manque de familiarité avec les processus gouvernementaux ou en raison de différences culturelles qui peuvent les rendre moins aptes aux yeux des comités de sélection non diversifiés. Le plaignant a allégué que tout le processus de sélection avait été mené en fonction des qualités personnelles.

[32] Le rapport a également fait remarquer que les entrevues et les discussions de groupes ont indiqué que, même si les énoncés de qualifications servent de fondement pour évaluer les candidats, ils ne tiennent pas toujours compte des fonctions essentielles d’un poste. Le plaignant a fait remarquer qu’il en était ainsi en l’espèce en ce qui concerne le critère du jugement; il n’était pas pertinent au poste ce qui ne justifiait pas son utilisation à titre de critère essentiel. Au plus, le jugement aurait pu être considéré uniquement comme un atout.

III. La preuve de l’intimé

A. Barbara Brownlee, gestionnaire par intérim de l’unité de l’Équité en matière d’emploi

[33] Barbara Brownlee était la gestionnaire par intérim de l’équité en matière d’emploi au ministère de la Justice à l’époque. Elle dirigeait l’unité et était chargée de veiller à ce que l’équité en matière d’emploi soit au premier plan dans l’esprit du Ministère. Ce travail consistait à appliquer des dispositions législatives, à établir des rapports sur l’équité en matière d’emploi, à gérer l’équipe et à établir des liens avec la haute direction.

[34] Mme Brownlee a commencé sa carrière à la Société Radio‑Canada (SRC) au milieu des années 1970 dans le domaine des relations de travail et de la dotation liée à l’équité en matière d’emploi. Elle a travaillé à l’élaboration de la première politique sur l’équité en matière d’emploi de la SRC et a géré des unités d’équité en matière d’emploi dans sa région de l’Ontario et à son administration centrale. Elle a rejoint la fonction publique fédérale il y a 13 ans et a pris sa retraite en octobre 2017.

[35] À titre de gestionnaire par intérim, elle était chargée de la dotation de l’unité et présidait donc le comité de sélection. L’unité était très petite, composée de seulement elle, de deux conseillers en équité en matière d’emploi, d’un conseiller chargé des mesures d’adaptation qui travaillait à Toronto, en Ontario, et d’un petit personnel administratif partagé.

[36] Elle a témoigné que l’un des postes affichés visait à remplacer Mme Gagné, qui devait partir en congé de maternité pour 18 mois. L’autre poste visait à remplacer un employé qui partait pour un autre ministère. De plus, l’objectif était de créer un répertoire aux fins de postes vacants à l’avenir.

[37] Elle a témoigné que, pour créer l’énoncé des critères de mérite (ECM), elle a commencé par la description de travail générique du poste PE‑02 et a ensuite examiné les exigences opérationnelles précises de l’unité et la compétence requise à ce niveau. Elle a dit que le volet relatif aux études est standard. En ce qui concerne le volet connaissances, il fallait comprendre les principes d’équité en matière d’emploi. Elle a élaboré l’ECM avec l’aide de Mme Gagné.

[38] Le titulaire du poste était responsable des comités consultatifs représentant deux des groupes désignés – les femmes et les peuples autochtones. Elle avait souvent affaire avec les champions de l’équité en matière d’emploi, qui sont généralement des cadres supérieurs, habituellement des directeurs régionaux, et elle leur donnait des conseils. De plus, le poste nécessite une communication importante avec la haute direction; par exemple, préparer des notes d’information à l’intention du sous‑ministre.

[39] Le jugement était un critère pertinent parce que l’unité doit souvent répondre à des questions soulevées au Parlement ou venant d’un sous‑ministre ou de la Commission canadienne des droits de la personne, si cette dernière effectue un audit. La personne qui occupe un tel poste doit être en mesure de répondre correctement aux demandes de renseignements venant de personnes occupant des postes supérieurs et elle doit le faire conformément aux dispositions législatives sur l’équité en matière d’emploi et aux activités ministérielles.

[40] Mme Brownlee a décrit le processus de nomination comme suit : L’affiche est publiée, puis les candidatures sont présentées et examinées aux fins des critères essentiels des études et des connaissances. Une lettre est envoyée aux personnes dont la candidature a été éliminée. Les curriculum vitae restants sont examinés et les candidats présélectionnés sont invités à passer l’examen.

[41] L’examen comportait deux questions. Les membres du comité de sélection ont noté les examens chacun de leur côté, puis se sont assis ensemble et ont revu leurs notes, aux fins d’uniformité. Les candidats qui ont réussi l’examen ont passé aux étapes de l’entrevue et de la vérification des références. À ce stade, le critère du jugement a été évalué à l’aide des questions posées au cours de l’entrevue et de la vérification des références.

[42] Lors des entrevues, Mme Brownlee et Mme Gagné ont posé les questions et pris des notes sur les réponses à tour de rôle.

[43] Afin d’évaluer leurs compétences en communication orale, on a demandé aux candidats de faire une présentation composée de quatre à cinq diapositives expliquant pourquoi elles avaient formulé certaines recommandations. Le comité de sélection a pris en note leurs réponses et a déterminé leurs points.

[44] Afin d’évaluer le jugement, elles ont utilisé un scénario qui s’est produit assez souvent à l’unité pour illustrer ce qu’elles recherchaient au groupe et au niveau PE‑02. On a demandé aux candidats de répondre à la question situationnelle suivante :

[Traduction]

Un représentant du bureau du sous‑ministre délégué appelle et demande des éclaircissements sur une note d’information que vous avez préparée en ce qui concerne la stratégie d’équité en matière d’emploi et qui a été approuvée par le directeur général. Le directeur général est absent du bureau pour la journée. Comment régleriez‑vous le problème?

 

[45] Le guide de cotation fournissait une gamme; par exemple, pour un gestionnaire ou un niveau plus élevé, il y avait des critères d’évaluation différents. Elles ont fondé l’évaluation sur cet outil normalisé, qui décrivait les critères d’évaluation applicables au poste comme suit :

[Traduction]

Définit la nature et la portée du problème ou de la situation.

Recueille tous les renseignements pertinents avant de prendre une décision sur une question donnée.

Compare et soupèse toutes les possibilités avant de prendre une décision ou de recommander une solution à un problème.

Est disposé(e) à demander et à accepter des conseils.

Comprend ce qui sous‑tend une situation donnée.

Autres réponses acceptables.

 

[46] Afin d’attribuer les notes, elles ont vérifié si le candidat avait répondu à la majorité des critères énumérés. Elles ont déterminé si les réponses, à leur avis et en fonction de leurs connaissances du travail, répondaient à la question et satisfaisaient aux critères d’évaluation.

[47] Elles ont conclu que la réponse du plaignant ne répondait pas aux critères, principalement parce qu’elle ne comprenait pas de processus de réflexion. Dans l’esprit de Mme Brownlee, sa réponse ne répondait pas vraiment à la question. Elles cherchaient quelque chose de plus définitif en ce qui concernait les mesures à prendre. D’autres candidats ont répondu à la question de manière plus précise, selon les critères d’évaluation établis. De plus, elles avaient des préoccupations à l’égard du commentaire du plaignant selon lequel il s’opposerait à la personne qui a téléphoné.

[48] En contre‑interrogatoire, le plaignant a indiqué à Mme Brownlee qu’il n’aurait pas dit qu’il s’opposerait à la personne qui a appelé et a laissé entendre qu’elle avait peut‑être eu de la difficulté à le suivre, car il parle très rapidement. Peut‑être qu’elle avait mal compris ce qu’il avait dit. Mme Brownlee a indiqué qu’elle avait écrit ce qu’il avait dit et qu’il l’avait dit. Elle ne se souvenait pas si elle avait de la difficulté à le suivre, mais elle a déclaré que, si tel avait été le cas, elle lui aurait demandé de fournir des éclaircissements.

[49] Quant à la raison pour laquelle Mme Gagné n’a pas pris en note ce commentaire, Mme Brownlee a témoigné qu’elles s’étaient partagé la responsabilité de prendre des notes pour chaque question à tour de rôle, et qu’elle avait été chargée de consigner la réponse à cette question.

[50] À la question de savoir si le résultat aurait été le même si le commentaire n’avait pas été fait, Mme Brownlee a répondu que cela n’aurait pas changé grand-chose à l’égard de cette question en particulier. Il ne s’agissait que d’une partie du résultat; une partie de ce sur quoi l’évaluation était fondée.

[51] En ce qui concerne la vérification des références, les questions suivantes ont été posées aux répondants : [traduction] « Dans l’ensemble, le candidat démontre‑t‑il la capacité à faire preuve de jugement? A‑t‑il la capacité à faire preuve d’un bon jugement lorsqu’il est confronté à une situation difficile? Veuillez fournir un exemple à l’appui de vos commentaires. »

[52] Mme Brownlee a témoigné qu’un document à remplir avait été envoyé par courriel aux répondants. Mme Gagné et elle ont évalué les réponses chacune de leur côté et ont ensuite discuté des différences entre leurs notes. Elles ont examiné les critères d’évaluation afin de s’assurer qu’elles avaient évalué tout le monde de manière équitable et selon les mêmes critères.

[53] En contre‑interrogatoire, Mme Brownlee a témoigné en disant qu’elle et Mme Gagné s’étaient entendues sur la note attribuée au plaignant à l’égard du critère du jugement. Elle a témoigné qu’elles avaient toujours eu une discussion plus approfondie sur toute note inférieure à la note de passage afin de s’assurer qu’elles étaient confiantes à l’égard du résultat.

B. Brittany Gagné, conseillère en équité en matière d’emploi

[54] Le processus de nomination a été effectué, en partie, pour remplacer Mme Gagné pendant son congé de maternité. Elle était l’une des titulaires du poste et connaissait donc très bien les fonctions du poste.

[55] À l’époque, elle était conseillère en équité en matière d’emploi depuis six ans. Elle offrait un soutien, des conseils et des lignes directrices à quatre comités d’équité en matière d’emploi et a assumé des responsabilités liées à l’établissement de rapports ministériels à l’égard de deux comités, soit le comité consultatif pour les peuples autochtones et le comité consultatif pour les femmes. Elle avait également une certaine expérience en dotation, et y était également exposée fréquemment dans le cadre de son rôle quotidien de conseillère en équité en matière d’emploi.

[56] Mme Gagné a déclaré qu’elle a peut-être examiné les questions et formulé des commentaires, mais qu’elle n’avait pas participé autrement à l’élaboration des outils. Elle a surtout participé aux entrevues et à la vérification des références.

[57] Mme Gagné a indiqué que le guide de cotation fournissait une grille d’évaluation. Cette grille contenait les questions qu’elles poseraient et les critères d’évaluation qui décrivaient les réponses attendues ou les indicateurs de comportement. Tout comme Mme Brownlee, elle a décrit leur façon de poser les questions et de prendre note des réponses à tour de rôle. Elle a dit qu’elles avaient toutes les deux tendance à inscrire certaines notes, même lorsque ce n’était pas leur tour, mais elles se sont assurées que l’une d’entre elles était la seule chargée de prendre des notes complètes sur chaque réponse.

[58] Elle a dit que l’entrevue du plaignant avait très bien commencé. Par exemple, sa familiarité avec les termes de l’équité en matière d’emploi était remarquable, car un certain nombre de candidats ne les connaissaient pas. Toutefois, certaines de ses réponses dans d’autres domaines n’étaient pas ce qu’elles cherchaient, surtout dans le domaine du jugement.

[59] Mme Gagné a témoigné que la réponse du plaignant à la question évaluant le jugement était l’une des plus courtes qu’elles ont obtenues et qu’elle portait plus sur l’initiative que sur le jugement. Elles voulaient le raisonnement et les étapes. Elles ont posé une question situationnelle parce que le scénario décrivait une situation qui survient fréquemment – les champions de l’équité en matière d’emploi sont souvent des personnes de très haut niveau. La réponse du plaignant ne comportait pas les mesures intermédiaires; c’est‑à‑dire, les mesures à prendre avant de répondre.

[60] Par exemple, dans une telle situation, il est important de consulter ses collègues et de recueillir tous les renseignements avant de répondre. Il faut également parler aux personnes qui font partie de la hiérarchie parce que les personnes de haut niveau poseront des questions à leurs subordonnés sur la question. Par conséquent, ils doivent en être informés. La réponse du plaignant n’indiquait pas une compréhension de ces aspects importants de la réponse à la situation.

[61] Une fois les étapes de l’entrevue et de la vérification des références terminées, la participation de Mme Gagné a diminué. Elle a discuté des candidats avec Mme Brownlee et a formulé des commentaires, mais il ne revenait pas à elle de décider quels candidats étaient retenus.

[62] En contre‑interrogatoire, le plaignant a demandé à Mme Gagné en quoi la question du jugement était liée au travail. Elle a répété que la situation décrite survenait souvent au travail. Souvent, on demande aux champions ministériels de rendre compte d’une initiative d’équité en matière d’emploi et ils communiquent avec l’unité pour obtenir des renseignements, afin de répondre à la demande. Les renseignements qui leur sont donnés doivent être exacts et opportuns. Étant donné que les champions sont souvent des personnes de très haut niveau ou qu’il s’agisse de leurs représentants, la détermination de la façon de répondre à ces demandes exige de faire preuve de jugement.

[63] Le plaignant a demandé ce qui se passerait si un conseiller ne répondait pas au sous‑ministre adjoint (SMA). Mme Gagné a répondu que cela dépendrait du caractère sensible de la question en cause, mais que le but de la question était de permettre aux candidats d’expliquer leurs processus de réflexion et non pas seulement de dire qu’ils y répondraient. Par exemple, elles cherchaient des réponses qui indiquaient que le candidat s’assurerait qu’il possède tous les renseignements, qu’il consulterait ses collègues et qu’il tiendrait compte de tout élément sensible possible. La réponse du plaignant ne consistait qu’à déterminer ce dont le bureau du SMA avait besoin aux fins de clarification; elle ne décrivait pas les mesures à prendre après cela. Le jugement englobe la capacité à évaluer une situation et sa portée.

[64] Mme Gagné a précisé que le jugement va de pair avec presque tout ce qu’un conseiller en équité en matière d’emploi fait et qu’un conseiller doit savoir quand promouvoir les conseils et quand ne pas le faire. Elle a déclaré en outre que, à son avis, le jugement est important pour chaque poste de la fonction publique et que le jugement est exercé peu importe le travail effectué.

[65] Mme Gagné a témoigné que les vérifications des références du plaignant étaient positives, mais qu’elles ne contenaient pas beaucoup de renseignements. Par exemple, une référence a dit que son jugement était bon, mais le répondant ne pouvait pas penser à un exemple. Elles cherchaient une démonstration de jugement et pas seulement une attestation. Accepter cet énoncé sans plus reviendrait à simplement se fier à la parole du répondant; les exemples étaient très importants.

[66] La référence de l’ancien superviseur du plaignant était plus détaillée et portait un peu plus sur le jugement, mais l’exemple fourni portait davantage sur l’initiative. Il y avait également un exemple d’initiatives bénévoles, ce qui était excellent, mais encore une fois, il ne portait pas sur le jugement. L’absence d’exemples concrets démontrant un bon jugement a nui à la capacité du comité de sélection d’évaluer le plaignant à l’égard du critère du jugement.

[67] Afin de déterminer la note, elles se sont fiées à l’échelle de cotation et ont tenté de bien tenir compte des renseignements des répondants. Mme Gagné a expliqué qu’elles ont tenté de ne pas pénaliser un candidat simplement parce que ses répondants n’ont pas fourni beaucoup de détails. Par conséquent, si la déclaration d’un répondant était positive, mais n’était pas suffisamment détaillée ou ne contenait pas d’exemples, elles attribuaient une note de trois sur cinq, ce qui constituait une note de passage. Le répondant du plaignant a dit qu’il avait un bon jugement. Par conséquent, elles ont estimé qu’il s’agissait d’une note de passage, mais elles cherchaient plus, soit un exemple qui le démontrait de manière concrète.

[68] Mme Gagné a expliqué que la première référence ne comportait aucun exemple et ne méritait donc pas vraiment une note de trois. Toutefois, la deuxième avait un peu plus de détails. Par conséquent, elles ont accordé au plaignant le bénéfice du doute et lui ont attribué une note combinée de trois aux deux références.

[69] Elle a répété que toutes les références des candidats ont été évaluées de la même manière. Elles ont veillé à être cohérentes dans la façon dont elles les ont évaluées, car les renseignements soumis par les répondants n’étaient pas toujours aussi complets qu’ils auraient dû l’être idéalement.

C. Données sur l’équité en matière d’emploi

[70] En réponse à une « Ordonnance de communication de renseignements » de la Commission, l’intimé a fourni les statistiques suivantes pour les différentes étapes du processus de nomination. Ces renseignements ont été déposés en preuve.

[71] Sur les 50 candidats qui ont présenté leur candidature dans le cadre du processus de nomination, 22 ont déclaré appartenir à un groupe de minorité visible. Sur les 36 candidats qui ont passé l’examen, 14 se sont identifiés ainsi. Sur les 24 qui ont réussi l’examen, 7 se sont identifiés ainsi. Sur les 22 qui ont participé aux étapes de l’entrevue et de la vérification des références, 7 se sont identifiés ainsi. De plus, sur les 16 personnes jugées qualifiées, 5 (32 %) se sont identifiés ainsi.

[72] L’intimé a souligné que d’autres candidats auraient pu être membres d’un groupe de minorité visible. Toutefois, les statistiques n’indiquent que ceux qui se sont identifiés ainsi.

IV. L’argumentation de l’intimé

[73] L’intimé a soutenu qu’il incombait au plaignant d’établir ses allégations, selon la prépondérance des probabilités.

[74] Le processus de dotation a été mené de façon objective; il a été mené selon le régime établi pour de tels processus. Le processus comprenait la présélection, un examen, une entrevue et des vérifications des références. L’intimé a le pouvoir légal d’utiliser toute méthode d’évaluation raisonnable et d’exercer un vaste pouvoir discrétionnaire dans le cadre du processus de nomination.

[75] Deux témoins ont expliqué en détail comment elles ont traité les candidats de façon uniforme et que, parfois, elles ont accordé au plaignant le bénéfice du doute. Les éléments de preuve ont permis d’établir en quoi l’entrevue du plaignant et les réponses de ses répondants à la question de jugement comportaient des lacunes.

[76] Si la question situationnelle a mené à l’élimination de la candidature du plaignant, ce n’était pas en raison de la race. Ce type de question vise à éliminer ceux qui peuvent mémoriser des réponses, en présentant à un candidat un problème pour voir s’il peut le régler en y réfléchissant. Il est absurde de suggérer que le fait d’exiger un jugement, un raisonnement critique et la capacité à réfléchir aux fins d’un poste de conseiller constitue un abus de pouvoir.

[77] Les éléments de preuve ne comportaient aucune preuve de discrimination, juste une simple affirmation.

[78] Le plaignant n’a pas établi qu’un abus de pouvoir a eu lieu. Il n’a pas non plus établi une preuve prima facie de discrimination.

V. Motifs de décision

[79] L’intimé dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour établir les qualifications essentielles d’un poste donné et décider des méthodes d’évaluation à utiliser pour déterminer si un candidat y répond (voir les articles 30 et 36 de la LEFP).

A. Le critère du jugement

[80] Chacune des questions sur le jugement se voyait attribuer une note possible de 5, dont 3 était la note de passage. Par conséquent, un total de 10 points étaient affectés au jugement, dont 6 constituait la note de passage. Le plaignant n’a échoué au critère que d’un seul point, recevant une note de 5 sur 10.

[81] Une preuve convaincante a été présentée concernant la réponse du plaignant à la question d’entrevue. Les témoins de l’intimé ont expliqué pourquoi sa réponse a été jugée insuffisante et en quoi elle ne fournissait pas le processus de réflexion ou n’indiquait pas une compréhension des mesures importantes à prendre avant de répondre au type de question présentée par le scénario.

[82] Cependant, les éléments de preuve étaient contradictoires à un égard. Mme Brownlee a témoigné que le plaignant avait répondu qu’il s’opposerait d’abord à la personne qui appelle. Il est évident que Mme Brownlee a jugé cette réponse inappropriée.

[83] Le plaignant a témoigné que son souvenir des événements n’était pas net. En fait, il s’agit de l’une des premières déclarations qu’il a faites dans sa déclaration préliminaire.

[84] Toutefois, il n’estimait pas qu’il avait dit cela ou qu’il aurait dit une telle chose. Il a laissé entendre que Mme Brownlee a peut‑être eu de la difficulté à le suivre, car il parle rapidement, et qu’il se peut qu’elle l’ait mal entendu. Toutefois, il n’a rien indiqué de ce qu’elle a dit ou fait pour laisser entendre cela. Sa réponse à cette proposition était qu’elle ne se rappelait pas avoir eu de la difficulté à le suivre, mais que, si elle avait éprouvé une telle difficulté, elle lui aurait demandé de fournir des éclaircissements. Elle a dit très clairement qu’il avait dit qu’il s’opposerait à la personne qui a appelé, comme en témoignent ses notes.

[85] Le plaignant a fait remarquer que Mme Gagné n’avait pas pris en note ce commentaire, même s’il ne conteste pas le fait que la tâche de prise de notes avait été effectuée à tour de rôle et qu’il avait incombé à Mme Brownlee de prendre les notes sur cette question. Toutefois, Mme Gagné a quand même pris quelques notes sur la question. À son avis, ses notes, en général, étaient plus méticuleuses et, par conséquent, il était probable qu’elle l’aurait indiqué dans ses notes s’il l’avait dit.

[86] Il est impossible de déterminer avec certitude si le plaignant a prononcé cet énoncé ou non. Je crois qu’il est plus probable qu’improbable qu’il n’ait pas utilisé le terme [traduction] « opposer » ou que, s’il l’a utilisé, il ne l’a pas utilisé de la façon que Mme Brownlee l’a compris. D’après le reste des notes prises à propos de sa réponse, je déduis qu’il tentait probablement de communiquer qu’il déterminerait d’abord le niveau et le rôle de la personne demandant des renseignements au nom du SMA, car cela déterminerait en partie son approche.

[87] Néanmoins, en contre‑interrogatoire, on a demandé à Mme Brownlee si le résultat aurait été différent si l’énoncé n’avait pas été formulé. Elle a répondu très clairement que, peu importe qu’il l’ait dit ou non, cela n’aurait rien changé quant au résultat de cette question particulière; il ne s’agissait que d’une partie de l’évaluation.

[88] Les deux membres du comité de sélection ont indiqué clairement que, hormis l’énoncé contesté, la réponse générale du plaignant était courte et incomplète et qu’il n’avait pas fourni son processus de réflexion ni précisé les mesures qu’il pendrait. Les notes de Mme Gagné indiquent qu’il n’a pas indiqué qu’il consulterait ses collègues ou son gestionnaire ou qu’il informerait le directeur général des discussions. Ces aspects importants auraient dû être décrits dans sa réponse.

[89] Dans son témoignage, le plaignant a également indiqué qu’il s’est concentré davantage sur un type de réponse axée sur le [traduction] « service à la clientèle » et sur [traduction] « l’initiative ». Il s’agit de bonnes caractéristiques importantes à démontrer au cours d’une entrevue, mais elles n’abordaient pas le critère du jugement. Il convient de noter qu’un exemple de jugement fourni par l’un des répondants du plaignant portait également davantage, selon le comité de sélection, sur l’initiative, plutôt que sur le jugement. Le plaignant a lui‑même convenu dans son argumentation finale qu’il pouvait avoir [traduction] « chevauché » différents critères, par exemple [traduction] « le jugement et le service à la clientèle » et [traduction] « le jugement et la résolution de problèmes ».

[90] Je suis convaincue qu’il n’y a eu aucun abus de pouvoir dans la façon dont le comité de sélection a noté la réponse du plaignant à la question de jugement à l’entrevue ou dans la façon dont il a noté les réponses des répondants aux questions qui leur ont été posées au sujet de son jugement.

[91] Le plaignant a contesté l’opinion de Mme Gagné selon laquelle le jugement est important pour tout emploi dans la fonction publique. Il m’a demandé de tirer la conclusion selon laquelle le jugement n’est pas requis pour d’autres postes à la fonction publique parce qu’il a présenté des ECM qui ne l’énumérait pas particulièrement en tant qu’exigence. Il a affirmé à maintes reprises qu’un bon jugement n’est pas requis pour être un conseiller en équité en matière d’emploi efficace, qu’une personne pourrait effectuer un excellent travail sans jugement et qu’il ne devrait pas être requis aux fins du poste.

[92] Il va sans dire que cet argument est dénué de fondement.

B. Qualifications du membre du comité de sélection

[93] Le plaignant a contesté les qualifications de Mme Gagné pour agir à titre de membre d’un comité de sélection, en se fondant principalement sur le fait qu’elle était une titulaire du poste et non la responsable du ministère ou une personne occupant un poste d’un niveau ou deux plus élevés. Ses commentaires étaient entièrement conjecturaux et n’étaient fondés que sur ses propres opinions.

[94] L’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique a examiné une allégation selon laquelle le comité de sélection avait été mal composé dans Sampert c. Sous‑ministre de la Défense nationale, 2008 TDFP 9, comme suit :

[…]

53 Aucune disposition de la LEFP n’oblige les administrateurs généraux à constituer un comité d’évaluation ni à faire en sorte que celuici soit composé d’une certaine façon (par exemple à s’assurer de la présence d’un agent des ressources humaines au sein du comité). La question de savoir si un comité d’évaluation est composé de façon appropriée ou non est une question de fait qui dépend de la plainte présentée et de la preuve produite à l’audience.

54 Les personnes qui effectuent l’évaluation doivent bien connaître les fonctions du poste à doter et, dans le cas d’un processus de nomination annoncé, ne doivent avoir aucune idée préconçue quant à la personne qui devrait être nommée. Dans certains cas, les gestionnaires peuvent décider de mener l’évaluation eux‑mêmes, tandis que dans d’autres cas, ils peuvent demander à une personne provenant d’un autre ministère ou d’un autre secteur du ministère et qui possède une expertise particulière de participer à l’évaluation à titre de membre du comité.

[…]

56 Il incombe aux plaignantes de prouver qu’il y a eu abus de pouvoir en l’espèce. Or, cellesci se sont contentées d’affirmer qu’il aurait dû y avoir une tierce partie au sein du comité d’évaluation, par exemple un agent des ressources humaines, mais elles n’ont fourni aucun élément de preuve convaincant qui démontre que le comité, tel qu’il était constitué, a agi de façon irrégulière. De plus, elles n’ont évoqué aucune disposition législative exigeant qu’une personne en particulier, qu’il s’agisse d’un agent des ressources humaines ou autre, fasse partie du comité d’évaluation. Par conséquent, l’allégation d’abus de pouvoir ne peut pas être considérée comme fondée.

[…]

 

[95] Mme Gagné a témoigné qu’elle possédait des connaissances et de l’expérience en matière de dotation, dont une partie avait été acquise par son exposition fréquente à ces questions à titre de conseillère en équité en matière d’emploi. Je fais également remarquer que sa compréhension détaillée de ce que l’emploi impliquait en raison de ses six années (et non pas six mois comme l’a allégué le plaignant) dans le poste a clairement été très utile aux fins du processus.

[96] Comme l’a fait remarquer la Commission dans Sampert, il n’existe aucune exigence particulière quant à la composition d’un comité de sélection et en l’absence d’éléments de preuve permettant d’établir que le comité de sélection, tel qu’il était constitué, a agi de manière inappropriée, cette allégation d’abus de pouvoir n’est pas fondée.

C. La discrimination

[97] Pour conclure qu’il y a eu discrimination, la Commission doit d’abord déterminer si le plaignant a établi une preuve prima facie. Dans l’affirmative, l’intimé doit présenter une explication non discriminatoire raisonnable pour la pratique qui serait par ailleurs discriminatoire, à défaut de quoi on conclura à la discrimination.

[98] La Cour d’appel fédéral a confirmé dans Commission canadienne des droits de la personne c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 154 (« Morris »), qu’une preuve prima facie de discrimination en vertu de la LCDP est établie à l’aide du critère énoncé dans O’Malley : la preuve fournie, dans la mesure où l’on y ajoute foi et en l’absence d’explications raisonnables, suffit à étayer une plainte de discrimination.

[99] La Cour a également examiné les critères énoncés dans Shakes et Israeli invoqués par le plaignant (voir Shakes v. Rex Pak Ltd. (1982), 3 C.H.R.R. D/1001 (Ont. Bd. Inq.) et Israeli v. Canada (Human Rights Commission (1983), 4 C.H.R.R. D/1616) (T.C.D.P.) confirmée dans (1984), 5 C.H.R.R. D/2147 (T.C.D.P. – Tribunal de révision). La Cour a formulé les commentaires suivants :

[…]

[26] À mon avis, l’arrêt Lincoln [Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 FCA 204] est déterminant : l’arrêt O’Malley indique le critère juridique de la preuve prima facie de discrimination à appliquer en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les décisions Shakes et Israeli indiquent simplement la preuve qui, si l’on y ajoute foi et si l’intimé ne donne pas d’explications satisfaisantes, suffira pour que le plaignant ait gain de cause dans certains contextes d’emploi.

[…]

 

[100] Dans Abi‑Mansour, 2016, la Commission a fait remarquer que, peu importe que le critère énoncé dans Shakes ou dans Israeli ait été appliqué, le résultat serait le même, car le plaignant n’a pas établi qu’il était qualifié pour occuper le poste, comme l’exigent les deux critères. La Commission a également déclaré ce qui suit :

[…]

[84] Rien dans la preuve présentée par le plaignant ne mène à la discrimination fondée sur la race ou l’origine nationale ou ethnique. La distinction est établie entre ceux qui ont présenté la liste des cours requis et le plaignant, qui ne l’a pas fait. Il ne suffit pas d’alléguer que le rejet d’un cours ou le fait de ne pas tenir compte de son expérience constitue de la discrimination. Il n’y a tout simplement aucune preuve, circonstancielle ou autre, selon laquelle l’intimé a fait preuve de discrimination. J’appliquerais le même raisonnement que celui indiqué dans Nash c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2014 TDFP 10, au paragraphe 54, qui indique ce qui suit :

54 Bien que le Tribunal puisse tenir compte de ce que croit le plaignant, il doit s’agir de plus qu’une simple possibilité; comme l’a établi le Tribunal canadien des droits de la personne, « le fait de croire abstraitement qu’une personne fait l’objet de discrimination, sans qu’il existe un certain fait qui le confirme, n’est pas suffisant ». Voir la décision Filgueira c. Garfield Container Transport Inc., 2005 TCDP 32, para. 41; conf. par 2006 CF 785.

 

[101] En l’espèce aussi, l’application de Shakes ou d’Israeli donnerait lieu à la même conclusion pour la même raison. Tout comme dans Abi‑Mansour, 2016, rien dans la preuve, qu’elle soit directe ou circonstancielle, n’a indiqué un motif de distinction illicite en tant que facteur de l’inadmissibilité du plaignant. Comme l’a soutenu le plaignant, il n’est pas difficile d’établir une preuve prima facie. Toutefois, elle exige plus que la croyance du plaignant sans qu’il y ait quelque chose sur quoi elle puisse être fondée.

[102] Le plaignant n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique ou nationale. Pour ce faire, il aurait pu démontrer qu’il était qualifié pour le poste, qu’une personne qui n’était pas mieux qualifiée que lui avait été nommée et que la personne nommée ne possédait pas la caractéristique distinctive qui constitue l’essentiel d’une plainte en matière de droits de la personne (voir Basi c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, 1988 CanLII 108 (TCDP)). S’il l’avait fait, le fardeau de la preuve aurait été transféré à l’intimé afin qu’il établisse qu’il avait une raison non discriminatoire raisonnable pour ses actes contestés. Toutefois, le plaignant n’a pas été en mesure de répondre à la première étape. Il n’a pas démontré qu’il était qualifié pour le poste.

[103] En ce qui a trait aux arguments du plaignant au sujet de la preuve circonstancielle de discrimination, je n’ai aucun doute que le problème de recrutement à l’image miroir existe et qu’il est préférable que les comités de sélection puissent refléter la diversité de l’effectif. Toutefois, il ne ressort aucunement de la preuve qu’un comité de sélection diversifié était possible dans cette très petite unité ou qu’il aurait eu une différence dans le résultat, dans les circonstances de l’espèce.

[104] Je ne doute pas non plus que la méconnaissance des processus gouvernementaux ou les différences culturelles dans l’expression peuvent, parfois, transformer les critères des qualités personnelles en obstacles pour certains candidats. Toutefois, le plaignant ne peut pas prétendre ne pas connaître les processus de nomination du gouvernement. Comme il l’a dit dans son témoignage, il a participé à de nombreux processus de nomination.

[105] En ce qui concerne les différences culturelles, il a fait remarquer que le comité de sélection n’avait pas apprécié sa critique des questions situationnelles de l’entrevue. Il a dit que, d’après son expérience, le fait de soulever de telles préoccupations n’est souvent pas apprécié, non seulement par les comités de sélection, mais également par les administrateurs généraux, les commissaires et les juges. À son avis, c’est la façon canadienne de procéder et, d’après son expérience, cela mène à des représailles. Il n’est pas clair si le plaignant suggérait qu’une telle critique aurait été mieux tolérée par un comité de sélection plus diversifié. Quoi qu’il en soit, le fait que le comité n’apprécie pas ses commentaires critiques ne constitue pas une discrimination. Il n’y a aucune preuve de représailles ou de mauvaise foi.

[106] Le plaignant a mentionné que les membres du comité de sélection avaient été très sévères au sujet des règles. Il a dit qu’il y avait une atmosphère bizarre dans la salle, qu’elles n’avaient pas aimé ce qu’il avait à dire, mais qu’il avait quitté l’entrevue en bons termes. Il semblait laisser entendre que, selon lui, des différences culturelles étaient en jeu. Toutefois, il n’a établi aucun lien entre ces arguments et la discrimination.

[107] Le point de vue du plaignant selon lequel l’utilisation des critères relatifs aux qualités personnelles peut créer des obstacles pour les membres de groupes de minorité visible est sans doute vrai dans certains cas. De plus, le recrutement à l’image miroir se produit certainement et peut avoir des répercussions négatives sur les candidats qui sont membres de groupes de minorité visible. Cependant, quatre autres critères relatifs aux qualités personnelles ont été utilisés dans le cadre de ce processus et n’ont constitué aucun obstacle pour le plaignant, puisqu’il les a tous réussis. Il s’agissait de l’initiative, des relations interpersonnelles efficaces, de la discrétion et de la fiabilité. Le seul auquel il a échoué a été le jugement.

[108] Je suis convaincue que l’utilisation des critères relatifs aux qualités personnelles n’a pas constitué un obstacle à la candidature du plaignant dans le cadre de ce processus de nomination.

[109] En ce qui a trait à la suggestion selon laquelle des obstacles sont créés lorsque les critères de sélection ne reflètent pas les fonctions essentielles d’un poste, il est certain que les critères de sélection doivent refléter les fonctions du poste. Toutefois, l’affirmation du plaignant selon laquelle le jugement ne constitue pas un critère pertinent des fonctions essentielles d’un conseiller en équité en matière d’emploi n’est pas une thèse crédible. En passant, à mon avis, le fait de répéter à maintes reprises cette affirmation démontre, en soi, un manque de jugement.

VI. Conclusion

[110] Je conclus que le plaignant n’a pas établi que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a exigé un bon jugement comme critère de mérite essentiel ou qu’il a évalué son entrevue et les questions posées dans le cadre de la vérification des références de manière inéquitable à l’égard de ce critère. Je conclus en outre qu’il n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination.

[111] Le plaignant a demandé que son nom soit anonymisé dans la présente décision. J’ai abordé la même demande dans AbiMansour c. Sousministre des Pêches et des Océans, 2021 CRTESPF 3. Je renvoie à mes commentaires aux paragraphes 129 à 142 de cette décision, où j’accepte et adopte les commentaires de la Commission dans AbiMansour c. Sous‑ministre des Pêches et des Océans, 2018 CRTESPF 53 et dans AbiMansour c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social), 2020 CRTESPF 36.

[112] Je fais remarquer en outre que le fait de soulever à maintes reprises des questions que la Commission a déjà abordées et qui ont été jugées sans fondement constitue un abus du temps et des ressources de la Commission. Cela nuit à la capacité d’autres plaignants et fonctionnaires s’estimant lésés de faire entendre leurs dossiers par la Commission en temps opportun.

[113] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[114] La plainte est rejetée.

[115] La décision ne sera pas anonymisée.

Le 19 février 2021.

Traduction de la CRTESPF

Nancy Rosenberg,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.