Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a été renvoyé en cours de stage – il a soutenu que la religion était un facteur dans la décision de l’employeur – la Commission a une compétence limitée sur les renvois en cours de stage – l’employeur doit établir qu’il avait une raison liée à l’emploi pour renvoyer un employé – le fonctionnaire s’estimant lésé devait établir que la raison constituait un subterfuge ou un camouflage en vue de cacher un licenciement illégal – la Commission a conclu que le renvoi en cours de stage était fondé sur des questions liées à l’emploi et que la discrimination n’était pas un facteur – l’employeur n’était pas satisfait de l’approche adoptée par le fonctionnaire s’estimant lésé dans le cadre de son travail et de son désintérêt à interroger et fouiller les voyageurs traversant la frontière – l’employeur a indiqué que ce comportement devait être corrigé, mais qu’il ne l’a pas été – les croyances religieuses du fonctionnaire s’estimant lésé n’étaient nullement en cause – rien ne permettait de l’identifier en tant que musulman et il n’y avait aucune trace d’une demande de mesures d’adaptation pour des raisons religieuses – la preuve était insuffisante pour établir que la religion était un facteur de son licenciement.

Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date : 20210215

Dossiers : 566‑02‑11195

566‑02‑11196

 

Référence : 2021 CRTESPF 14

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Victor‑WITOLD Wrobel

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

Administrateur général

(Agence des services frontaliers du Canada)

 

défendeur

 

Répertorié

Wrobel c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Marie‑Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Erin Sandberg, avocate

Pour l’employeur : Holly Hargreaves, avocate

 

Audience tenue par vidéoconférence

du 1er au 4 septembre 2020.

Arguments écrits présentés le 9 octobre, le 16 novembre et le 11 décembre 2020.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Victor‑Witold Wrobel, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a renvoyé un grief à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique le 21 mai 2015, dans lequel il contestait son renvoi en cours de stage de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFV).

[2] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »).

[3] Conformément à l’art. 210 de la Loi, le fonctionnaire a également signifié un avis à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) indiquant son intention de soulever une question de discrimination concernant l’application de la Loi sur les droits de la personne (L.R.C. (1985) ch. H‑6; LCDP). Le 4 juin 2015, la CCDP a envoyé une lettre à la Commission refusant la possibilité de présenter des arguments à cet égard.

[4] Le fonctionnaire faisait partie d’une unité de négociation représentée par l’Alliance de la Fonction publique du Canada, qui a signé une convention collective visant le groupe Services frontaliers avec le Conseil du Trésor. Cette convention collective est venue à échéance le 20 juin 2014. Aux fins de la présente décision, le terme « employeur » désigne l’ASFC, à qui le Conseil du Trésor a délégué ses pouvoirs d’employeur.

[5] Le grief était libellé comme suit : « Je conteste la cessation de mon emploi et je soutiens que cette décision était discriminatoire. » Le fonctionnaire a demandé à être réintégré et à recevoir une indemnisation.

[6] L’employeur a soulevé une objection selon laquelle la Commission n’a pas compétence pour entendre cette affaire, étant donné que le renvoi en cours de stage constitue un licenciement en vertu de l’art. 62 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; LEFP). Selon l’art. 211 de la Loi, un grief déposé à l’encontre d’un tel licenciement ne peut être renvoyé à la Commission pour arbitrage.

[7] Pour les motifs qui suivent, l’objection de l’employeur est accueillie. Je conclus que le renvoi en cours de stage du fonctionnaire, qui était fondé sur des préoccupations liées à l’emploi, a été fait conformément à l’art. 62 de la LEFP et que la discrimination ne constituait pas un facteur du licenciement.

II. Résumé de la preuve

[8] L’employeur a cité à témoigner les témoins suivants : David Akerley, Daniel Grenon, Jacques Crête, Mathieu Gour et Chris Henderson.

[9] Le fonctionnaire a témoigné et a cité à témoigner Josée Charbonneau en tant que témoin.

[10] Le fonctionnaire a commencé à travailler auprès de l’ASFC en tant qu’étudiant embauché pour l’été afin d’exercer des fonctions de services frontaliers en 2010 à l’aéroport P.E. Trudeau à Dorval, au Québec. Pendant l’année scolaire, il a continué à travailler en tant qu’employé à temps partiel à l’aéroport de Mirabel, à Mirabel, au Québec, qui reçoit principalement des marchandises commerciales plutôt que des passagers. Pendant cette période, il participait souvent à des activités d’application de la loi, en faisant des fouilles des marchandises arrivant au Canada en vue d’y trouver des drogues ou des marchandises illégales.

[11] En décembre 2012, il a été accepté au programme de formation d’agents des services frontaliers (ASF). Il a suspendu ses études en comptabilité, car il a estimé que l’ASF constituait une possibilité de carrière intéressante. De janvier à juin 2013, il a suivi une formation à l’établissement de l’ASFC à Rigaud, au Québec.

[12] Après avoir terminé leur formation à Rigaud, les stagiaires sont embauchés au moyen de lettres d’offres à des postes au groupe et au niveau FB‑02 qui énoncent une période de stage de 12 à 18 mois. Il s’agit de la dernière étape de leur formation et elle est intitulé le Programme de perfectionnement de base des agents (PPBA). Pendant cette période, les ASF doivent acquérir toutes les compétences nécessaires pour être en mesure d’exercer leurs fonctions de manière indépendante au groupe et au niveau FB‑03. Une fois qu’ils ont terminé avec succès le PPBA, ils reçoivent des lettres officielles les nommant pour une période indéterminée à des postes FB‑03.

[13] Le fonctionnaire a reçu une telle lettre d’offre le 4 juin 2013. Les ASF sont affectés en fonction de leur grade au moment où ils reçoivent leur diplôme du programme de Rigaud. Il a choisi de travailler à Trout River, au Québec, car il s’agissait de l’emplacement le plus près de Montréal, où il souhaitait demeurer. Il venait de se marier et lui et son épouse souhaitaient vivre à Montréal.

[14] Le fonctionnaire ne connaissait rien au sujet de Trout River. En fait, Trout River est un poste frontalier ou point d’entrée (PDE) plutôt tranquille situé dans une région rurale au Québec, au sud de Montréal. Il compte habituellement deux ASF, et un surintendant qui travaille pendant la journée. Trout River se situe à environ une heure et demie de la résidence du fonctionnaire à Montréal, soit une distance d’environ 100 km, et une partie de ce trajet est effectué sur des chemins ruraux. Le fonctionnaire a vu le PDE pour la première fois lors de son premier jour de travail en tant qu’ASF le 2 juillet 2013. Il y a rencontré le surintendant, M. Crête, qui lui a montré l’établissement et lui a demandé de remplir des documents administratifs.

[15] Les ASF à cet endroit travaillaient des quarts de 12 heures, soit de 8 h à 20 h ou le quart opposé, en rotation entre les nuits et les jours. Les ASF pouvaient échanger des quarts, à condition d’obtenir la permission du surintendant. Le fonctionnaire a dit que d’après ce qu’il comprenait, ce n’était qu’une simple formalité.

[16] Le fonctionnaire s’est converti à l’Islam en 2010 après avoir rencontré sa future conjointe, car elle est musulmane. Il a témoigné qu’en 2013, lorsqu’ils se sont mariés selon la foi islamique, ils étudiaient les meilleures façons de pratiquer leur foi. Il s’agit d’un élément important de leur relation.

[17] Le fonctionnaire a expliqué que pendant le mois de ramadan, les musulmans doivent jeûner de l’aube au crépuscule, ce qui signifie qu’ils ne peuvent rien manger ni boire, pas même de l’eau. Lorsque le mois de ramadan coïncide avec la saison estivale, il s’agit de très longues journées pour jeûner. Bien que le jeûne doive être effectué pendant le ramadan, il est possible de compenser des jours de jeûne à l’extérieur de la période de ramadan, ce que le fonctionnaire a fait, puisqu’il est très difficile de jeûner pendant toute une journée d’été et d’être encore alerte pendant son quart de travail de jour. Je fais remarquer que la période de ramadan en 2013 était du 8 juillet au 7 août. Le fonctionnaire a témoigné qu’au début, il travaillait principalement des quarts de jour, puis des quarts réguliers de jour et de nuit.

[18] Le fonctionnaire a déclaré qu’il préférait les quarts de nuit plutôt que les quarts de jour pour diverses raisons. L’une de ces raisons était que le jeûne rendait les quarts de jour particulièrement difficiles. Une autre raison était que s’il travaillait la nuit, il avait la possibilité de passer plus de temps avec son épouse pendant la journée. Ses collègues ne s’y opposaient pas, car ils préféraient les quarts de jour.

[19] Pendant la période de juillet à août 2013, M. Crête était en congé et a été remplacé par M. Grenon, un collègue ASF qui a occupé le poste de surintendant par intérim. Pendant cette période, le fonctionnaire n’a éprouvé aucune difficulté à obtenir l’approbation de ses quarts de nuit. Lorsque M. Crête est revenu, il a dit au fonctionnaire qu’il devait travailler plus de quarts de jour aux fins de formation. M. Crête n’a pas autorisé le fonctionnaire à modifier ses quarts. Le PDE de Trout River compte très peu de passages pendant le quart de nuit et le fonctionnaire avait donc très peu de possibilités d’être exposé à des activités d’application de la loi. À l’audience, à la question de savoir s’il avait discuté de sa foi avec M. Crête, en particulier de son désir d’observer le ramadan, le fonctionnaire a répondu qu’il l’avait fait, dès le début. M. Crête l’a nié; il a déclaré que jusqu’au moment de se préparer à l’audience, il ne savait pas que le fonctionnaire était un musulman.

[20] Mme Charbonneau, qui a témoigné en faveur du fonctionnaire, a également déclaré qu’elle ne savait pas qu’il était un musulman avant l’audience. M. Grenon a également témoigné qu’il n’avait jamais su que le fonctionnaire est un musulman. Toutefois, le fonctionnaire estimait que ses collègues étaient au courant de sa religion. À un moment donné, un des ASF a invité tout le monde à sa fête d’anniversaire, devant être célébrée au moyen d’un rôti de porc. Le fonctionnaire a indiqué qu’il était musulman et ne pouvait pas manger de porc. Au lieu d’être courtois, l’ASF qui organisait la fête a simplement dit [traduction] « D’accord, ne viens pas alors. » Il l’a dit devant les autres, ce qui a blessé le fonctionnaire.

[21] Le fonctionnaire a témoigné au sujet de la mentalité d’un petit village au PDE. Tout le monde se connaissait depuis très longtemps. Il se sentait comme un étranger. De plus, un village à proximité faisait l’objet d’un conflit politique concernant un cimetière musulman. Les personnes n’étaient pas nécessairement sympathiques au point de vue musulman.

[22] Mme Charbonneau a également témoigné qu’en tant qu’étrangère, elle s’est également sentie exclue pendant une certaine période, et qu’au début, elle a ressenti une hostilité de la part de M. Crête. Cependant, il semble qu’elle se soit finalement intégrée au groupe et était d’avis que M. Crête était aidant et accessible.

[23] La relation entre le fonctionnaire et M. Crête est devenue progressivement conflictuelle. Le premier examen trimestriel, effectué par M. Grenon (daté du 14 août 2013), était très positif. Le formulaire compte 43 énoncés indiquant les tâches et les expériences et comporte des cases à la droite où l’examinateur évalue l’ASF en fonction de chaque comportement comme [traduction] « Dépasse les attentes », [traduction] « Répond aux attentes », [traduction] « Amélioration nécessaire », [traduction] « Insatisfaisant » ou [traduction] « Pas en mesure d’évaluer ». Toutes les cases sont cochées [traduction] « Dépasse les attentes », sauf une case. La case 26 est ainsi libellée : [traduction] « Retient ou saisit les marchandises ou retient et arrête les personnes en fonction de tous les éléments de preuve. » et la case est cochée [traduction] « Pas en mesure d’évaluer ». La dernière case est ainsi libellée : [traduction] « Agit conformément aux codes de conduite de la fonction publique et de l’ASFC et les respecte. » Dans un questionnaire du rendement subséquent, daté du 18 septembre 2013, soit un document de travail utilisé pour consigner la capacité d’un stagiaire d’exécuter des tâches pendant un trimestre, M. Crête a indiqué que le fonctionnaire [traduction] « A besoin d’aide à le faire ». Un astérisque renvoie à une note manuscrite de M. Crête, qui déclare : [traduction] « Il doit approfondir ses connaissances de nos procédures au sein de l’ASFC. » M. Crête a également inclus le commentaire suivant : [traduction] « Victor est motivé; il est évident qu’il a une expérience antérieure en tant qu’ASF étudiant à Mirabel. Il n’hésite pas à poser des questions s’il ne sait pas quoi faire. »

[24] Afin que le fonctionnaire bénéficie d’une expérience plus vaste, il l’a affecté à travailler pendant deux semaines au PDE de Lacolle, au Québec, le PDE le plus important dans les Cantons-de-l ’Est. Ce PDE traite d’un nombre considérable de questions d’immigration et un plus grand nombre de marchandises y traversent la frontière. Le fonctionnaire a été affecté à ce PDE du 21 au 31 octobre 2013 et il semble que l’expérience a été positive.

[25] Le deuxième examen trimestriel, daté du 10 janvier 2014, vise les trois prochains mois de l’emploi du fonctionnaire. Il est également plutôt positif. La plupart des cases sont cochées comme [traduction] « Dépasse les attentes » ou [traduction] « Répond aux attentes ». Quatre cases liées aux mesures d’application de la loi sont cochées comme [traduction] « Pas en mesure d’évaluer ». Le fonctionnaire a expliqué que le tranquille PDE de Trout River ne comportait pas beaucoup de possibilités en matière de mesures d’application de la loi. La grande partie des voyageurs y traversent la frontière en vue de magasiner de l’autre côté. Après une certaine période, la plupart des visages deviennent familiers.

[26] Quatre cases dans cette évaluation sont cochées [traduction] « Amélioration nécessaire » : [traduction] « Comprend et applique de manière appropriée les lois, les politiques et les procédures. », [traduction] « Se tient au courant des lois, des politiques et des procédures. », [traduction] « Se tient personnellement responsable des décisions et des mesures prises. » et [traduction] « Agit conformément aux codes de conduite de la fonction publique et de l’ASFC et les respecte. » M. Crête a ajouté des explications à l’évaluation. En ce qui concerne les deux premières cases, il a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

- Doit approfondir ses connaissances des politiques au sein de l’ASFC.

- Doit approfondir ses connaissances de nos procédures au bureau.

- Doit poser plus de questions aux autres inspecteurs et à son superviseur afin de mieux assimiler ses fonctions en tant qu’inspecteur des douanes.

 

 

[27] En ce qui concerne les deux dernières cases, il a rédigé ce qui suit : [traduction] « Doit comprendre les répercussions de ses actes envers son milieu de travail ».

[28] À l’audience, M. Crête a déclaré que le fonctionnaire avait tendance à arriver juste à temps et à partir dès que son quart était fini, ce qui n’était pas propice à l’échange de renseignements entre les équipes. Il a également déclaré que le fonctionnaire ne posait pas de questions. Il aurait voulu que le fonctionnaire participe plus et soit plus motivé. M. Crête a déclaré que les conversations étaient continues et n’étaient pas seulement tenues après les examens trimestriels.

[29] M. Crête a également indiqué en tant que problème le manque de mesures d’application de la loi. Le fonctionnaire ne semblait pas interroger les voyageurs et les envoyer à une inspection secondaire, ce qui constitue un élément important du travail selon M. Crête.

[30] À l’audience, le fonctionnaire a expliqué qu’il ne détenait pas les marchandises ni les personnes parce qu’il n’y avait aucune raison de le faire. Il était habitué à la circulation dense de marchandises entrant au pays à Mirabel; en comparaison, presque rien d’important ne traversait la frontière à Trout River. Il a déclaré qu’il avait souvent effectué des saisies à Mirabel et qu’il était habitué à les signaler.

[31] Le fonctionnaire a témoigné qu’aucun détail particulier n’avait été inclus dans le deuxième examen trimestriel. Il ne pouvait pas se souvenir de ce qui avait été dit. Il se rappelait qu’après l’évaluation, il se sentait quelque peu rejeté. Il a estimé que M. Crête était plus sévère par rapport à M. Grenon. Il estime que le traitement qu’il a reçu découlait de ses demandes de modification de quarts, que M. Crête a refusées.

[32] Le fonctionnaire ne souscrivait pas réellement à l’évaluation, mais on lui a dit d’envoyer un courriel pour reconnaître qu’il le comprenait. Il a envoyé un courriel à M. Crête pour le remercier de ses commentaires, en espérant l’apaiser. Il était en période de stage depuis six mois; il espérait pouvoir la finir et devenir un fonctionnaire nommé pour une période indéterminée.

[33] Le fonctionnaire a témoigné que pendant cette période de l’année, soit janvier, il est possible qu’aucun véhicule ne traverse le PDE au cours d’un quart de nuit de 12 heures. M. Crête ne travaillait que le quart de jour et n’aidait jamais les ASF à l’inspection primaire ou secondaire. Le fonctionnaire devait apprendre par lui‑même. Il était confiant, étant donné son expérience à Dorval et à Mirabel.

[34] Le fonctionnaire a dû s’adapter à la réalité d’un petit PDE; par exemple, pelleter la neige ou remplir la bouteille d’eau. Il n’y avait aucun personnel supplémentaire pour exécuter ces tâches.

[35] M. Crête a continué d’être irrité parce que le fonctionnaire arrivait parfois en retard ou très près du début de son quart, ce qui ne permettait pas les échanges avec les ASF du quart précédent. Le fonctionnaire a expliqué qu’il se peut qu’il ait été en retard à de rares occasions en raison des conditions de la circulation, d’une tempête de neige ou d’un pont bloqué temporairement. En fait, en contre‑interrogatoire, un certain nombre de dates où il était en retard ont été soulevées. Il n’a pas contesté le fait, mais il ne se souvenait pas des circonstances. Il a également témoigné qu’il faisait son travail, qu’il interagissait avec l’ASF avec qui il était affecté, mais il ne ressentait pas le besoin d’interagir plus avec ses collègues. Il n’estimait pas qu’ils étaient particulièrement accueillants.

[36] Le fonctionnaire a affirmé qu’il avait demandé à M. Crête de lui accorder des pauses spécifiques pour prier. Selon lui, M. Crête a dit qu’il étudierait la question, mais n’y a jamais donné suite. M. Crête ne se souvenait pas qu’on lui ait jamais posé la question. Il a témoigné que s’il avait reçu une quelconque forme de demande de mesures d’adaptation, il y aurait donné suite, car il avait suivi une formation considérable sur la nécessité de prendre des mesures d’adaptation pour répondre aux besoins des employés.

[37] Le troisième examen trimestriel est daté du 24 mars 2014. Cette fois‑ci, les activités d’application de la loi sont indiquées comme [traduction] « Insatisfaisant » et une comme [traduction] « Amélioration nécessaire ». L’explication de M. Crête se lit comme suit :

[Traduction]

Les nos 19‑20‑21‑22‑23‑24‑25‑26‑32 sont liés à l’aspect de l’application de la loi des fonctions de Victor en tant qu’agent des douanes.

Il n’y a aucune mesure liée à l’application de la loi inscrite dans le registre qui a été prise par Victor pendant la période visée par cet examen. Je l’ai rencontré et je lui ai expliqué que cela n’était pas acceptable.

Victor devra consigner toutes les mesures qu’il prend liées à l’application de la loi et m’envoyer les résultats chaque semaine.

L’objectif de Victor pour le prochain trimestre est de démontrer des résultats afin d’obtenir une cote satisfaisante.

 

[38] Le fonctionnaire estimait qu’il n’y avait eu aucune mesure d’application de la loi parce qu’il y avait eu très peu de possibilités en matière d’application de la loi. Il n’a pas rempli de rapports d’application de la loi, mais tenait simplement registre de formation.

[39] Le commentaire de M. Crête à la fin du troisième examen trimestriel se lit comme suit :

[Traduction]

Victor a effectué les bons ajustements à la suite des commentaires que je lui ai donnés au cours du trimestre précédent.

Sauf l’aspect de l’application de la loi, Victor est sur la bonne voie relativement à son rendement au travail et aux attentes en matière de comportement.

 

[40] La prochaine évaluation est datée du 20 juin 2014. Encore une fois, la discussion était axée sur le manque d’activités d’application de la loi. Le fonctionnaire ne se sentait pas particulièrement préoccupé. Il estimait qu’il connaissait très bien les mesures d’application de la loi, car il en avait pris plusieurs dans le passé, dans le cadre de son emploi d’été. En résumé, le PDE de Trout River n’offrait pas la même possibilité en matière d’application de la loi.

[41] L’explication de l’évaluation de M. Crête est ainsi rédigée :

[Traduction]

Les nos 19‑20‑21‑22‑23‑24‑25‑26 sont liés à l’aspect de l’application de la loi des fonctions de Victor en tant qu’agent des douanes.

Victor a fait preuve d’amélioration dans cet aspect de son travail, mais à l’avenir il devra participer plus, chercher les indicateurs et améliorer ses compétences en perquisition afin d’obtenir une cote satisfaisante. Cette tâche sera grandement facilitée s’il demande de l’aide à son collègue et tire parti de ses expériences.

En ce qui concerne les nos 42 et 43 [se tenir responsable et agir conformément aux codes de conduite], j’estime que Victor devra s’interroger et mieux comprendre les répercussions de ses actes envers les valeurs et l’éthique de notre Agence. Je propose fortement qu’il lise le code de conduite et qu’il pose des questions s’il a besoin d’éclaircissements.

 

[42] Dans la section de commentaires, M. Crête a rédigé ce qui suit :

[Traduction]

Victor a un bon potentiel et des qualités qui seraient un atout pour notre Agence s’il les perfectionnait de manière appropriée.

Victor a amélioré considérablement son contact interpersonnel avec ses collègues.

Victor doit mieux comprendre son rôle en tant qu’agent des douanes au sein de notre organisation.

En général, un meilleur effort et une auto-motivation seraient hautement recommandés à l’avenir.

 

[43] Selon le fonctionnaire, il estimait qu’il n’avait pas hésité à poser des questions à son partenaire, au besoin. En ce qui concerne le code de conduite, M. Crête n’a fait référence à aucune section particulière. Selon M. Crête, il souhaitait avoir le sentiment que le fonctionnaire participait plus au milieu de travail, notamment arriver au travail un peu plus tôt afin qu’il puisse avoir plus d’échanges avec l’équipe du quart précédent. À l’audience, M. Crête a insisté sur le fait que l’aspect de l’application de la loi du travail du fonctionnaire, qui est l’aspect le plus important des fonctions d’un ASF, était encore faible. Le fonctionnaire ne semblait pas interroger les voyageurs ou être à l’affût d’anomalies et les envoyait rarement à une inspection secondaire.

[44] Lorsque le fonctionnaire arrivait pour ses quarts, il ne passait pas beaucoup de temps avec l’équipe du quart précédent. Il estimait qu’il serait déraisonnable de lui demander d’arriver une heure plus tôt simplement pour parler. Il se sentait toujours comme un étranger. Il s’entendait bien avec quiconque était son partenaire, mais autrement, il estimait n’avoir rien en commun avec les autres ASF. Mme Charbonneau, qui a travaillé avec lui pendant plusieurs quarts, a témoigné qu’il était en retrait.

[45] Le 8 juillet 2014, M. Crête a rédigé un rapport à l’intention du comité de formation afin de déterminer si le fonctionnaire avait terminé avec succès sa période de stage et s’il était prêt à devenir un ASF complet (FB‑03). Dans son rapport, M. Crête a indiqué que des améliorations étaient nécessaires dans les domaines des activités d’application de la loi et de l’exécution des tâches, ce qu’il a expliqué comme suit :

[Traduction]

Le stagiaire doit améliorer les points suivants :

– L’application de la loi en général (augmenter le nombre d’examens, être au courant des indicateurs, améliorer les techniques de perquisition, etc.)

– Mieux comprendre les répercussions de ses décisions sur notre organisation, tout en tenant compte du code de conduite.

Cela peut être réalisé à l’aide d’un encadrement, et surtout d’efforts considérables et d’une motivation de la part du stagiaire.

 

[46] En août 2014, on a demandé au fonctionnaire de rédiger des rapports quotidiens de tous les voyageurs qui passent au PDE de Trout River. Il a fait état de quelques mesures d’application de la loi et d’une saisie qui, selon la numérotation, était la 18e de l’année en 2014.

[47] M. Crête a témoigné que cela découlait d’un plan d’action qui a été établi en fonction des conseils du PPBA pour aider le fonctionnaire à améliorer son rendement. Le fonctionnaire ne se souvenait pas d’un plan d’action clair, seulement de ce qu’il a décrit comme une [traduction] « opération éclair » pendant le mois d’août 2014.

[48] Toutefois, les documents déposés à l’audience indiquaient clairement qu’un plan d’action avait été mis en place pour favoriser le perfectionnement professionnel du fonctionnaire. Dans un courriel daté du 1er août 2014, Kathleen Winter, la surintendante par intérim, a rédigé ce qui suit :

[Traduction]

Bonjour Victor,

On m’a demandé de créer un plan de trois semaines pour vous aider à améliorer vos mesures d’application de la loi.

En plus de votre rapport hebdomadaire, veuillez utiliser le formulaire Rapport sur les opérations ci‑joint pour consigner vos perquisitions et vos renvois.

De plus, même si le Rapport sur les opérations n’a plus d’espace, veuillez également indiquer les données de base (nom, date de naissance) des voyageurs auxquels vous faites référence.

Le plan est le suivant […]

 

[49] Le plan décrit ensuite des mesures précises à prendre pendant les quarts au cours des trois semaines suivantes : renvois sélectifs de véhicules et de camions commerciaux comportant des notes sur les indicateurs, vérifications dans CPIC (base de données de la police) de deux non‑résidents, une opération planifiée, préparer des questions liées à l’application de la loi à l’intention d’un enquêteur, etc.

[50] Il semble que le fonctionnaire a rempli toutes les exigences du plan d’action. Toutefois, selon M. Crête, il s’agit de la seule période pendant laquelle le fonctionnaire a exercé les activités d’application particulières qui avaient été demandées.

[51] M. Akerley, le gestionnaire du PPBA, a témoigné que les agents en formation ont reçu toute l’aide nécessaire pour terminer leur programme de formation et être promu au groupe et au niveau FB‑03. Pendant cette période, il était important d’acquérir les compétences nécessaires et de démontrer l’aptitude.

[52] Le PPBA venait d’être créé lorsque le fonctionnaire a suivi sa formation à Rigaud. Il faisait partie de la première cohorte à l’égard de laquelle le PPBA a été utilisé comme outil officiel pour former les nouveaux agents. Le but était de s’assurer que tous les nouveaux ASF suivraient la même formation, peu importe le PDE auquel ils étaient affectés. Par exemple, le placement de deux semaines du fonctionnaire à Lacolle était une décision du PPBA afin de lui donner l’expérience à un PDE occupé qui comprenait un élément important d’immigration, ce qu’il n’aurait pas vu au PDE de Trout River.

[53] Selon les rapports que M. Akerley a reçus de M. Crête, le fonctionnaire éprouvait des difficultés à suivre les règles. Il était souvent en retard. Il se disputait avec M. Crête lorsque ce dernier lui disait qu’il devait arriver plus tôt. Le manque de mesures d’application de la loi constituait également une préoccupation.

[54] Le PPBA a pris la décision de ne pas promouvoir le fonctionnaire à un poste FB‑03 après un an, en fonction des rapports de M. Crête. La direction du PPBA (comme en ont témoigné M. Akerley et M. Gour) estimait que le fonctionnaire n’était pas tout à fait prêt à être nommé au groupe et au niveau FB‑03. À ce moment‑là (juillet 2014), le plan d’action a été recommandé.

[55] Le 31 octobre 2014, M. Crête a effectué un autre examen trimestriel. La période de stage du fonctionnaire avait été prolongée, mais il n’avait pas été informé à 12 mois qu’il n’avait pas réussi à obtenir un poste FB‑03. Le fonctionnaire a témoigné que de juillet 2014 à la date de son licenciement, aucun renseignement sur le risque d’échec et d’être renvoyé en cours de stage ne lui avait été donné. On lui a dit que ses activités d’application de la loi étaient insuffisantes; il a donc compris que son stage se poursuivrait pendant une certaine période. De juillet 2014 à l’automne 2014, ce fut une période occupée au PDE de Trout River et il a travaillé beaucoup d’heures supplémentaires.

[56] L’examen trimestriel d’octobre 2014 était le dernier. Il n’a pas été donné au fonctionnaire avant le 3 décembre 2014, soit en même temps que sa lettre de renvoi en cours de stage. Cet examen trimestriel énumère un certain nombre de lacunes dans son rendement qui, selon le témoignage du fonctionnaire, ne lui ont pas été soulignées lorsqu’elles sont survenues. Il a également contesté le contenu de l’examen lorsqu’il lui a été montré, mais c’était trop tard. Les lacunes comprennent ce qui suit :

[Traduction]

[…] À maintes reprises, lorsqu’il doit prendre des décisions relatives à l’application de la loi, Victor n’a pas les connaissances nécessaires et hésite à prendre des décisions relatives à l’application de la loi, par exemple lors des incidents du 26 juin 2014 (K143) et du 2 octobre 2014 (ORS 3520‑2014‑K003).

[…]

[57] Le fonctionnaire a expliqué que « K143 » était un rapport dans le système pour indiquer un paiement forcé de droits de douane sur des marchandises non déclarées, ce qui ne donnait pas nécessairement lieu à une saisie. Il ne se souvenait pas de commentaires formulés à l’égard de ses mesures ce jour‑là.

[58] Le rapport du Système de rapport des occurrences (SRO) est un rapport spécial qui est généré lorsqu’une mesure d’application de la loi est prise contre un voyageur à un autre PDE. Il s’agissait du premier rapport du SRO du fonctionnaire et il a donc appelé le Renseignement de l’ASFC pour savoir comment le remplir. La nature plutôt rare de ce rapport peut être constatée par le numérotage; en octobre, il s’agissait du troisième rapport de ce type rédigé en 2014. Le rapport trimestriel se poursuit comme suit :

[Traduction]

[…]

[…] Victor n’a pas maintenu un accès actif à la base de données nécessaire, soit le SIED, et il n’a pas communiqué avec le surintendant en fonction le 1er août 2014 afin qu’il soit réactivé pendant sa mesure d’application de la loi. Lorsque Victor rédige des rapports, ils sont présentés sans des renseignements et des détails importants. Il avait besoin d’une aide considérable lorsqu’il a dû rédiger récemment un rapport du SRO. […]

[…]

[59] Le sigle « SIED » signifie « Système intégré d’exécution des douanes », qui est une base de données sur les Canadiens qui ont eu un contact antérieur avec l’ASFC ou les personnes qui cherchent à entrer au Canada qui pourraient représenter un risque. À l’audience, le fonctionnaire a déclaré qu’il n’était pas certain de ce que l’accès au SIED concernait ni la raison pour laquelle il s’agissait d’un problème. Il se rappelait avoir pris seul la mesure d’application de la loi le 1er août et il ne se souvenait d’aucun commentaire négatif de la part de M. Crête ou du Renseignement. Selon M. Crête, le fonctionnaire n’avait pas utilisé le SIED de manière suffisante et, par conséquent, son accès avait été désactivé. M. Crête a insisté sur l’importance de l’accès au SIED à l’audience; le fonctionnaire était plutôt vague au sujet de son accès et de son utilisation.

[60] M. Crête a également inclus le commentaire suivant :

[Traduction]

À la suite d’une demande de la direction du PPBA, la direction locale a fourni à Victor un plan d’amélioration de l’application de la loi de trois semaines […] Pendant l’application du plan, Victor devait planifier une opération, ce qu’il n’a pas fait.

 

[61] Le fonctionnaire a déclaré qu’il avait planifié une opération avec Mme Charbonneau et qu’il l’avait signalé au surintendant par intérim. Mme Charbonneau n’a pas été interrogée à ce sujet à l’audience.

[62] L’examen déclarait également que le fonctionnaire n’avait pris aucune autre mesure d’application de la loi après le plan d’action. M. Crête a témoigné que la seule mesure d’application de la loi prise par le fonctionnaire avait été prise dans le cadre du plan d’action, mais cela semble être contredit par les mesures prises le 26 juin et le 2 octobre. La contradiction apparente n’a pas été soulevée lors du contre‑interrogatoire.

[63] L’examen porte de manière plus générale sur le manque de mesures d’application de la loi. Il déclare également que le fonctionnaire n’a pas fourni les rapports de ses activités quotidiennes. Le fonctionnaire a témoigné qu’on ne lui avait jamais demandé de rédiger des rapports quotidiens, à l’exception de cas particuliers (à Lacolle et pendant trois jours en août 2014). Le troisième examen trimestriel (mars 2014) comprenait bien un commentaire de M. Crête demandant au fonctionnaire de rédiger un rapport quotidien sur les activités d’application de la loi. Il semble qu’aucun suivi de cette demande n’a été effectué.

[64] Enfin, l’examen porte sur le non-respect de la procédure en matière de congé. Le fonctionnaire a affirmé qu’il y avait eu une certaine confusion quant au bon code, et qu’il n’avait ensuite rien entendu à ce sujet.

[65] À l’audience, M. Crête a témoigné au sujet du contenu de l’examen trimestriel, qu’il a répété. Dans l’ensemble, il y avait beaucoup de points insatisfaisants, surtout le manque de mesures d’application de la loi. Le fait que le fonctionnaire ne connaissait pas le SIED était particulièrement préoccupant.

[66] On a demandé à M. Crête si le fonctionnaire avait été informé que sa nomination à un poste FB‑03 était en péril si son rendement ne s’améliorait pas. M. Crête a répondu que le fonctionnaire avait été informé à maintes reprises qu’il devait en faire plus en ce qui concerne l’application de la loi. De plus, étant donné qu’un an s’était écoulé, il aurait dû avoir été au courant du fait que sa période de stage avait été prolongée au‑delà d’un an, et il aurait dû prendre des mesures concrètes pour améliorer son rendement. Le fonctionnaire n’a posé aucune question et s’est comporté comme si tout était normal.

[67] M. Crête a trouvé que le fonctionnaire était assez satisfait de lui‑même plutôt que d’être désireux d’apprendre et curieux au sujet de son emploi. M. Crête craignait que si, au cours de sa première année, pendant son stage, le fonctionnaire était si apathique, il ne serait pas un ASF attentif une fois promu.

[68] Le 3 décembre 2014, l’employeur a demandé au fonctionnaire de se présenter au PDE de Lacolle. On lui a remis l’examen trimestriel final (daté du 28 octobre 2014), ainsi que la lettre de renvoi en cours de stage. M. Akerley et M. Gour ont assisté à la réunion. Ils ne se souvenaient d’aucune allégation de discrimination soulevée à ce moment‑là. M. Akerley a témoigné qu’il en aurait pris note si une allégation avait été soulevée. Selon lui, la réunion avait été brève, avec très peu de discussion. Le fonctionnaire a effectivement contesté ce qui était énoncé dans le dernier examen trimestriel, mais M. Gour a déclaré que l’employeur n’annulerait pas sa décision de licenciement. Les deux paragraphes suivants de la lettre justifiant le renvoi en cours de stage étaient ainsi rédigés :

[Traduction]

[…]

Même si le Programme de PBA est fondé sur l’acquisition des habiletés et des compétences nécessaires pour que les agents stagiaires deviennent des agents des services frontaliers FB‑03 après une période de 12 mois, vous avez été accordé une période de 15 mois pour démontrer que vous avez la capacité et la volonté de satisfaire aux objectifs du programme. À cette fin, tout au long de votre période de stage, votre direction locale et l’équipe du Programme de PBA vous ont fourni des examens du rendement trimestriels et vos surintendants ont tenu régulièrement des réunions avec vous en vue de discuter des domaines dans lesquels vous pouviez améliorer votre rendement, ainsi que des attentes du Programme et des attentes en matière de comportement pour appuyer votre succès dans le cadre du Programme. Malheureusement, malgré avoir démontré certaines améliorations dans un certain nombre de domaines, tel que cela est indiqué dans votre examen du 10e au 12e mois, vous n’avez jamais répondu à plusieurs attentes en tant qu’agent stagiaire. En fait, au cours des trois mois depuis votre examen du 10e au 12e mois, nous avons constaté une baisse importante de votre capacité et de votre volonté d’exercer les fonctions que l’on attend de vous.

À cet égard, j’ai conclu que, malgré les efforts pour vous aider dans le cadre de votre perfectionnement en tant qu’agent stagiaire, vous n’avez pas démontré que vous pouvez répondre aux attentes et aux fonctions nécessaires pour exécuter ce rôle. Par exemple, malgré avoir reçu des conseils de votre équipe de gestion à maintes reprises et d’avoir reçu régulièrement des examens du rendement, vous avez démontré un mépris considérable pour ce qui est de vous présenter à temps pour vos quarts, de suivre le protocole pour demander l’autorisation de prendre un congé et de présenter des rapports quotidiens, comme il était exigé. De plus, malgré des efforts continus visant à ce que vous participiez à des activités liées à l’application de la loi, vous avez démontré un manque de motivation et d’initiative en vue d’améliorer vos habiletés et vos compétences. À cet égard, toute indication de progrès concernant des attentes spécifiques en matière de rendement au cours d’une période d’évaluation donnée a été temporaire et non durable. Votre engagement à prendre des mesures visant à améliorer et à être responsable des mesures que vous prenez n’était pas honnête. Mes conclusions sont fondées sur des incidents survenus au cours d’une période de plusieurs mois, qui ne me permettent pas de m’attendre à ce que votre fiabilité s’améliore.

[…]

[69] À l’audience, M. Akerley a expliqué que l’examen trimestriel n’avait pas été fourni plus tôt au fonctionnaire parce que l’employeur avait déjà décidé que son rendement ne s’améliorait pas. La relation avec M. Crête se détériorait, car M. Crête trouvait que le fonctionnaire contestait tout commentaire fait à son égard. La décision de licencier le fonctionnaire a été prise en novembre. M. Akerley a témoigné que de l’embauche au licenciement du fonctionnaire, l’employeur ne savait pas qu’il était un musulman.

[70] M. Henderson, qui a signé la lettre de licenciement, a témoigné que la décision de licencier le fonctionnaire n’a pas été prise à la légère. L’ASFC investit beaucoup dans la formation des recrues et souhaite qu’ils réussissent.

[71] Avant de signer la lettre, M. Henderson a examiné les documents fournis, principalement les examens trimestriels, et il a constaté une baisse du rendement. Il a déclaré que le rendement du fonctionnaire indiquait des lacunes dans sa capacité d’exercer des mesures d’application de la loi et dans sa connaissance de celles‑ci. Il est important que les ASF comprennent leur rôle, qui consiste à la fois à faciliter l’entrée au Canada et à appliquer les règles. Les ASF doivent démontrer constamment leur volonté d’enquêter un peu plus et d’envoyer des voyageurs à l’inspection secondaire, si les indicateurs le justifient. Selon M. Henderson, le fonctionnaire, après avoir suivi toute la formation et même après un plan d’action supplémentaire, n’a pas démontré cette habileté à la satisfaction de l’employeur. La tendance n’a pas permis de conclure que les choses allaient s’améliorer.

[72] Dans l’évaluation effectuée par M. Henderson, il n’y a aucune mention de la nécessité de prendre une mesure d’adaptation. Cela a été confirmé par M. Gour, qui était le superviseur de M. Crête. Si une mesure d’adaptation avait été demandée, il aurait été la personne à l’autoriser.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

[73] L’employeur a soutenu qu’il s’était acquitté de son fardeau d’établir que le renvoi en cours de stage avait été fait pour des raisons liées à l’emploi et qu’il n’y a eu aucune discrimination.

[74] L’article 62 de la LEFP prévoit que l’administrateur général d’une organisation peut mettre fin à l’emploi d’un fonctionnaire en cours de stage en lui fournissant un avis. La LEFP n’exige aucune justification de la part de l’administrateur général.

[75] L’article 211 de la Loi prévoit que la Commission n’a pas compétence sur les licenciements effectués en vertu de la LEFP. Toutefois, selon la jurisprudence établie par la Commission (et ses prédécesseurs) et par la Cour fédérale, un renvoi en cours de stage ne peut être effectué de mauvaise foi ou pour des motifs autres que ceux liés à l’emploi, comme la discrimination. Étant donné qu’en l’espèce, l’employeur a affirmé qu’il existait des raisons liées à l’emploi et qu’il n’y avait aucune discrimination, il a soutenu que l’art. 211 s’applique et que la Commission n’a pas compétence.

[76] Il incombait au fonctionnaire d’établir que le renvoi en cours de stage constituait en fait un subterfuge ou un camouflage ou qu’il a été fait pour des motifs illicites, soit la discrimination en l’espèce. L’employeur a fait valoir que le fonctionnaire ne s’est pas acquitté de ce fardeau.

[77] Il est ressorti de la preuve que les lacunes du fonctionnaire lui avaient été indiquées et qu’il ne les a pas corrigées. L’employeur a souligné le fait qu’il n’avait pas tenu à jour son accès au SIED, ce qui constituait un exemple d’une activité d’application de la loi manquante.

[78] Dans le rapport trimestriel du 24 mars 2014, M. Crête a demandé que le fonctionnaire consigne ses activités d’application de la loi et qu’il lui achemine des rapports. Cela n’a jamais été effectué. Le fonctionnaire savait que M. Crête avait des préoccupations concernant le manque d’activités d’application de la loi, mais il a pourtant témoigné que puisqu’il n’y avait aucune possibilité d’appliquer la loi, il n’y avait rien qu’il pouvait faire à cet égard. Cette réponse témoigne de sa faible motivation, ce qui constituait l’une des raisons de son renvoi en cours de stage. Il est clair que le renvoi découlait de problèmes liés à l’emploi.

[79] L’employeur a également soutenu qu’il n’était pas tenu d’expliquer au fonctionnaire que sa nomination à un poste FB‑03 était en péril. Il avait été informé à maintes reprises que son rendement à l’égard des activités d’application de la loi était insuffisant et insatisfaisant. L’employeur n’était pas tenu de fournir le dernier examen trimestriel sur lequel était fondée la lettre de renvoi en cours de stage. Tel que cela a été indiqué par la Commission et confirmé par la Cour Fédérale dans Kagimbi c. Canada (Procureur général), 2014 CF 400, il n’existe aucune obligation d’avertir un fonctionnaire en cours de stage; le fait d’être en période de stage constitue un avertissement suffisant.

[80] Les allégations de discrimination du fonctionnaire ne sont pas convaincantes. Il ne ressort pas clairement de son témoignage qu’il ait jamais présenté une demande de mesure d’adaptation fondée sur sa religion. En outre, aucun fait n’indique une discrimination de la part de l’employeur, étant donné que selon le témoignage uniforme de tous ses témoins, ils ne savaient pas le fonctionnaire était un musulman avant l’audience. Il n’existe aucun lien de causalité entre sa religion et son renvoi en cours de stage.

B. Pour le fonctionnaire

[81] Le fonctionnaire a soutenu qu’il n’y avait aucune raison liée à l’emploi pour le renvoyer en cours de stage. Subsidiairement, si la Commission conclut à l’existence d’une telle raison, elle devrait conclure que la discrimination a joué un rôle dans le licenciement et que l’employeur a agi de mauvaise foi. La décision de le licencier était fictivement fondée sur l’art. 62 de la LEFP. Par conséquent, il devrait être fait droit au grief.

[82] Même s’il est vrai que la compétence de la Commission sur les renvois en cours de stage est limitée, le pouvoir discrétionnaire de l’employeur n’est pas absolu. Il doit agir de bonne foi. La décision de renvoyer une personne en cours de stage ne peut être prise de manière arbitraire ni de manière discriminatoire.

[83] L’employeur n’a pas établi une raison liée à l’emploi en ce qui concerne le licenciement du fonctionnaire. Le fonctionnaire a participé à des activités d’application de la loi lorsqu’il était affecté à Lacolle. Le nombre faible de mesures d’application de la loi au PDE de Trout River est démontré par le nombre faible figurant aux rapports du SRO (3) et de saisies (18) en 2014, en octobre et en août respectivement.

[84] À l’audience, M. Crête n’a pas été en mesure de préciser en quoi le fonctionnaire avait contrevenu au code de conduite, mais il a souvent été mentionné dans les examens trimestriels qu’il devait y porter une attention plus étroite.

[85] Le fonctionnaire n’a jamais été informé de la prolongation de sa période de stage. Il avait supposé qu’il fallait du temps pour préparer les documents pour le nommer au poste FB‑03. Il n’y avait aucun avertissement selon lequel on pourrait mettre fin à son emploi.

[86] L’examen trimestriel du 13e au 15e mois a été utilisé pour justifier son renvoi en cours de stage, mais il ne l’a pas vu avant que la lettre de licenciement ne lui soit remise. L’employeur a simplement refusé d’écouter ses énoncés faisant état d’erreurs factuelles dans l’examen.

[87] Le fonctionnaire ne se sentait pas à l’aise avec ses collègues, en partie en raison de ses croyances religieuses qui ont mené à son exclusion, comme l’a démontré l’incident du rôti de porc. Selon le fonctionnaire, M. Crête en avait été informé, mais n’a rien fait à cet égard.

[88] Le fonctionnaire estimait qu’il était traité de manière différente parce que les autres pouvaient échanger leurs quarts, mais M. Crête ne l’autorisait pas à échanger ses quarts de jour. Le fonctionnaire a également témoigné au sujet d’un sentiment général contre les musulmans à l’époque dans la région du PDE de Trout River, ce qui n’a pas été contesté. Le fait que le fonctionnaire ait choisi de ne pas déposer un grief contre la discrimination ne devrait pas être retenu contre lui; il a essayé de s’intégrer.

[89] La jurisprudence en matière de discrimination est claire. Un lien de causalité entre l’appartenance à un groupe protégé et un traitement défavorable n’est pas nécessaire. Il suffit d’établir que l’appartenance à un groupe protégé constituait un facteur dans le traitement défavorable.

C. La réponse de l’employeur

[90] Il n’a pas été établi que le rapport du SRO n’était que le troisième rempli en 2014; ces rapports peuvent être effectués au téléphone. Plus important encore, ce qui était exigé du fonctionnaire n’était pas autant les mesures d’application de la loi que les activités d’application de la loi; c’est‑à‑dire, chercher activement à vérifier les voyageurs et les marchandises qui entrent au Canada. Il ne participait pas de manière très active à cet égard et il ne l’a pas nié.

IV. Analyse

[91] En règle générale, la Commission n’a pas compétence sur les renvois en cours de stage, qui sont prévus dans la LEFP. Le Conseil du Trésor, en tant qu’employeur, a le droit d’imposer une période de stage pour déterminer l’aptitude des nouveaux fonctionnaires de la fonction publique fédérale. L’article 62 de la LEFP est ainsi rédigé :

62 (1) À tout moment au cours de la période de stage, l’administrateur général peut aviser le fonctionnaire de son intention de mettre fin à son emploi au terme du délai de préavis :

a) fixé, pour la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie, par règlement du Conseil du Trésor dans le cas d’une administration figurant aux annexes I ou IV de la Loi sur la gestion des finances publiques;

b) fixé, pour la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie, par l’organisme distinct en cause dans le cas d’un organisme distinct dans lequel les nominations relèvent exclusivement de la Commission.

Le fonctionnaire perd sa qualité de fonctionnaire au terme de ce délai.

(2) Au lieu de donner l’avis prévu au paragraphe (1), l’administrateur général peut aviser le fonctionnaire de la cessation de son emploi et du fait qu’une indemnité équivalant au salaire auquel il aurait eu droit au cours de la période de préavis lui sera versée. Le fonctionnaire perd sa qualité de fonctionnaire à la date fixée par l’administrateur général.

[92] La Commission tire ses pouvoirs de la Loi. L’article 209 prévoit le type de griefs qui peuvent être renvoyés à la Commission. L’article 211 prévoit ce qui suit :

211 Les articles 209 et 209.1 n’ont pas pour effet de permettre le renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel portant sur :

a) soit tout licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique; […]

[93] La jurisprudence de la Commission, ainsi que la jurisprudence des tribunaux fédéraux, a établi une possibilité étroite permettant à la Commission d’intervenir lorsqu’un renvoi en cours de stage est effectué de mauvaise foi ou comporte une discrimination. Par conséquent, l’employeur doit établir qu’il avait une raison liée à l’emploi pour renvoyer l’employé stagiaire. Le fonctionnaire s’estimant lésé doit établir que cette raison constituait un subterfuge ou un camouflage en vue de cacher un licenciement illégal, comme un licenciement dont la discrimination était un facteur. Dans Canada (Procureur général) c. Leonarduzzi, 2001 CFPI 529, la Cour fédérale a déclaré succinctement ce qui suit au paragraphe 37 : « Plus spécifiquement, l’employeur n’a pas à produire une preuve prima facie d’un motif déterminé valable, mais seulement à produire un minimum de preuve que le renvoi est lié à l’emploi et non à un autre motif. » Ce principe a été confirmé de nouveau dans Tello c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 134, dans laquelle un arbitre de grief en vertu de l’ancienne loi, soit la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, devait déterminer si les modifications législatives apportées à la LEFP avaient changé l’analyse relative à un renvoi en cours de stage. L’arbitre de grief a rédigé ce qui suit :

112 Comme j’ai conclu plus tôt dans la présente décision, les dispositions de la nouvelle LEFP ont modifié le fardeau de la preuve pour les cas de licenciement des employés en stage probatoire. L’administrateur général n’est plus tenu de prouver l’existence d’un motif légitime lié à l’emploi pour le licenciement, si ce n’est qu’il doit fournir la lettre de licenciement qui expose le motif de sa décision. Il incombe au fonctionnaire d’établir que l’administrateur général s’est appuyé de façon factice sur la nouvelle LEFP ou que le renvoi en cours de stage constituait un subterfuge ou un camouflage. Un licenciement qui ne repose pas sur une insatisfaction éprouvée de bonne foi quant aux aptitudes de l’employé (ni sur un motif lié à l’emploi légitime) s’appuierait artificiellement sur la nouvelle LEFP, ou constituerait un subterfuge ou un camouflage.

 

[94] L’employeur en l’espèce a affirmé que le renvoi en cours de stage était lié l’emploi. Le fonctionnaire a soutenu qu’en fait, le véritable motif n’était pas lié à l’emploi et que la discrimination a joué un rôle dans le renvoi. Par conséquent, je trancherai les deux questions suivantes : Le renvoi en cours de stage était‑il lié à l’emploi? La discrimination était‑elle un facteur dans le renvoi en cours de stage?

A. Le renvoi en cours de stage était‑il lié à l’emploi?

[95] Un des thèmes récurrents dans les examens trimestriels du fonctionnaire est l’insuffisance de ses activités d’application de la loi. M. Crête l’a soulevé depuis le début et le fonctionnaire ne l’a pas nié. Au contraire, à l’audience, il a adopté une position quelque peu défensive. Les mesures d’application de la loi n’étaient pas une réalité dans un petit PDE comme celui de Trout River. Il ne voulait pas traiter les personnes comme des criminels. La plupart des personnes qui entrent au Canada sont honnêtes.

[96] On ne peut qu’être frappé par le contraste entre l’expérience du fonctionnaire en tant qu’étudiant, d’abord à l’aéroport de Dorval, puis à l’aéroport de Mirabel, et son expérience en tant qu’agent stagiaire au PDE de Trout River. Le nombre de cargaisons entrant à Mirabel signifiait qu’il y avait de nombreuses possibilités d’effectuer des inspections et des saisies. Le fonctionnaire estimait qu’il savait comment reconnaître les marchandises douteuses et prendre des mesures à leur égard.

[97] Le fonctionnaire ne voyait tout simplement pas les mêmes indicateurs au PDE de Trout River. On a le sentiment, d’après son témoignage et celui de M. Crête, qu’il était quelque peu désintéressé. Mme Charbonneau a témoigné du fait qu’il faisait son travail, mais qu’il ne s’était pas intégré à l’équipe. Il s’agissait d’un milieu fermé et peut‑être pas particulièrement accueillant. Toutefois, le fonctionnaire ne semblait pas vouloir s’efforcer d’arriver au travail plus tôt ou de prendre du temps après son quart. Encore une fois, à l’audience, il a adopté une position défensive. Il n’a posé aucune question, mais il estimait qu’il n’avait pas besoin d’en poser. Plus important encore, selon le point de vue de l’employeur, il ne semblait pas s’efforcer beaucoup pour interroger les voyageurs.

[98] La période de stage constitue la possibilité de l’employeur de déterminer l’aptitude d’un nouvel employé. Malgré qu’on lui ait dit à maintes reprises et malgré un plan d’action qui prescrivait particulièrement une interaction plus active avec les voyageurs, le fonctionnaire n’a pas tenté de se conformer à l’attente selon laquelle il devrait surveiller de manière plus active les entrées au Canada. Encore une fois, il ne l’a pas nié. À l’audience, il a déclaré que des mesures d’application de la loi n’étaient tout simplement pas logiques à un si petit PDE. Il n’a pas compris le signal donné à maintes reprises selon lequel il devait être plus actif et participer plus et, en bref, s’intéresser plus à son emploi même s’il se situait dans un petit PDE. Il n’a pas répondu à ces attentes, sauf lorsqu’il a été expressément ordonné de le faire pendant l’application de son plan d’action de trois semaines.

[99] Le fonctionnaire a invoqué plusieurs décisions dans lesquelles un arbitre de grief ou la Commission a conclu qu’un renvoi en cours de stage n’avait pas été effectué de bonne foi et devrait donc être annulé. Toutefois, ces décisions se distinguent.

[100] Dans Dhaliwal c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada ‑ Service correctionnel), 2004 CRTFP 109, le fonctionnaire, un agent correctionnel, était en période de stage. Son rendement en tant qu’employé n’était pas en jeu; la seule raison de son renvoi en cours de stage était son utilisation de congés de maladie et de congés pour obligations familiales, qui, selon l’employeur, dépassaient de beaucoup la norme. Toutefois, il existait une explication de son utilisation des congés (des circonstances personnelles particulièrement difficiles), dont l’employeur n’avait pas tenu compte. Cette affaire est semblable à une autre décision que le fonctionnaire a cité, soit Dyson c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2015 CRTEFP 58, dans laquelle la véritable raison du renvoi en cours de stage était l’utilisation de congés de maladie, auxquels le fonctionnaire avait droit.

[101] Dans les deux décisions, le rendement ne constituait pas réellement un problème et c’est pourquoi les arbitres de grief ont conclu que les renvois en cours de stage constituaient des subterfuges; c’est‑à‑dire, qu’ils n’étaient pas fondés sur une question liée à l’emploi.

[102] Dans Alexis c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada), 2020 CRTESPF 9, la fonctionnaire a été renvoyée en cours de stage cinq mois après le début de sa période de stage de 12 mois. Même si la Commission a déclaré que l’employeur n’était pas tenu de l’employer pendant la durée de sa période de stage si son rendement était insatisfaisant, le fait était qu’aucune formation n’avait été offerte à la fonctionnaire ni aucune possibilité d’améliorer son rendement.

[103] Dans le cas du fonctionnaire, son stage a été prolongé au‑delà de la période de 12 mois. Il avait suivi une formation complète; la période de stage consistait à mettre en pratique ce qu’il avait appris. La lacune lui a été indiquée comme étant le fait que ses activités d’application de la loi étaient insuffisantes. Au lieu d’accroître cette activité, tel qu’il a été proposé dans les examens trimestriels et le plan d’action d’août, il semble qu’il a plutôt ignoré l’importance de ce faire et a continué à justifier cette inaction à l’audience.

[104] En l’espèce, les raisons de l’employeur de le renvoyer en cours de stage, tel qu’il l’a exprimé dans la lettre de licenciement et à l’audience, étaient son insatisfaction quant à l’approche adoptée par le fonctionnaire dans le cadre de son travail et le fait qu’il semblait désintéressé d’interroger les voyageurs traversant la frontière. Le fonctionnaire n’a pas nié qu’il n’interprétait pas les choses de la même façon que l’aurait souhaité M. Crête. On lui avait dit que son comportement devait être corrigé, ce qu’il n’a pas fait. Le fait que le fonctionnaire ait décrit la période de surveillance approfondie de trois semaines en août comme faisant partie d’une [traduction] « opération éclair » effectuée par l’ASFC en général plutôt qu’un plan d’action visant à le rendre plus actif dans le contrôle des voyageurs est révélateur. Il avait pourtant reçu une correspondance connexe l’ordonnant de prendre des mesures précises.

[105] Je conclus que le renvoi en cours de stage était fondé sur des questions liées à l’emploi et ne constituait pas un subterfuge ou un camouflage.

B. La discrimination était‑elle un facteur dans le renvoi en cours de stage?

[106] Le fonctionnaire a soutenu que la discrimination fondée sur la religion était en jeu et qu’elle constituait un facteur dans son renvoi en cours de stage. Je ne vois aucune discrimination en l’espèce.

[107] Une preuve prima facie de discrimination est établie au moyen d’un critère à trois volets : 1) La personne qui invoque la discrimination possède‑t‑elle une caractéristique protégée contre la discrimination? 2) La personne a‑t‑elle subi un effet préjudiciable? 3) La caractéristique protégée constituait‑elle un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable? (Voir Moore c. ColombieBritannique (Éducation), 2012 CSC 61, au par. 33.)

[108] Le fonctionnaire est un musulman. La religion est certainement une caractéristique protégée par la LCDP et en vertu de l’article 19 de la convention collective. Il a également subi un effet préjudiciable lorsqu’il a été licencié pendant sa période de stage. Toutefois, je conclus que sa religion n’était pas un facteur dans son traitement préjudiciable.

[109] Le fonctionnaire a soutenu qu’il existait un sentiment général contre les musulmans dans la région de Trout River, ce qui a nui à sa relation avec ses collègues. Son interaction avec un collègue au sujet du rôti de porc semblait être réelle. Toutefois, il y a peu de preuve indiquant que la religion a joué un rôle dans sa relation de travail avec ses collègues et M. Crête. Il travaillait souvent avec Mme Charbonneau, qui ne savait pas qu’il était un musulman. Dans ses rapports trimestriels, M. Crête mentionne la façon dont les relations interpersonnelles du fonctionnaire avec ses collègues s’étaient améliorées. Enfin, le fonctionnaire a répondu de manière très vague à la question de savoir quelles demandes particulières il aurait présenté à M. Crête concernant le ramadan et les pauses de prière pendant ses quarts. Je ne crois pas qu’il ait jamais présenté une demande précise de mesure d’adaptation liée à la religion. Je ne vois donc pas comment la religion pourrait être un facteur dans son licenciement.

[110] Je crois vraiment que le fonctionnaire se sentait isolé, ce que Mme Charbonneau a confirmé. Il était en retrait et a déclaré que pendant certains quarts, il parlait très peu à son partenaire. Je ne crois pas que cela était lié à la religion. Je crois que cela était beaucoup plus lié au fait que les autres membres du personnel se connaissaient bien et qu’ils se connaissaient depuis longtemps et que le fonctionnaire ne s’est simplement pas intégré. C’est malheureux, mais ne vois pas en quoi la religion a joué un rôle.

[111] Je ne vois surtout pas que la religion était un facteur dans la décision de renvoyer le fonctionnaire en cours de stage. Les préoccupations de M. Crête, telles qu’elles ont été exprimées dans son témoignage et dans les examens trimestriels, concernaient l’attitude du fonctionnaire à l’égard de son travail. De même, la preuve ne permet pas d’établir que l’insistance de M. Crête pour que le fonctionnaire garde ses quarts de jour visait à l’empêcher d’honorer ses obligations liées au ramadan. M. Crête a également témoigné qu’il ne savait pas que le fonctionnaire était un musulman. Conformément à ses préoccupations concernant l’attitude du fonctionnaire à l’égard de son travail, M. Crête a également témoigné l’insistance sur les quarts de jour était à des fins de formation, étant donné qu’il y a peu de possibilités d’être exposé aux différentes possibilités en matière d’application de la loi pendant le quart de nuit. En réalité, lorsque le fonctionnaire a été interrogé à l’audience quant à la raison pour laquelle il était important qu’il travaille les quarts de nuit, il a répondu qu’en fait, les quarts de nuit l’aidaient également relativement à ses relations avec ses collègues, qui étaient reconnaissants d’échanger les quarts de nuit pour les quarts de jour.

[112] Je crois également la déclaration de M. Crête selon laquelle si une demande de mesure d’adaptation particulière avait été présentée, il en aurait discuté avec son supérieur, M. Gour, et il aurait demandé des conseils. Cela n’a pas eu lieu parce qu’aucune demande particulière n’a été présentée. Je ne peux pas voir que la religion était un facteur lorsque M. Crête a évalué le fonctionnaire.

[113] Le fonctionnaire a fourni plusieurs décisions portant sur la discrimination pour étayer ses arguments. Je suis d’accord avec lui que le critère n’est pas de savoir s’il existe un « lien de causalité » entre l’appartenance à un groupe protégé et le traitement préjudiciable. Il est bien établi que la discrimination ne doit être qu’un facteur dans une décision qui a un effet préjudiciable sur un fonctionnaire et qu’afin de conclure à l’existence d’une discrimination, il n’est pas nécessaire qu’elle soit intentionnelle (voir Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39).

[114] Le fonctionnaire a cité Reeves c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2019 CRTESPF 61, en tant qu’exemple de discrimination qui joue un rôle dans un renvoi en cours de stage. Dans cette affaire, la preuve documentaire des progrès du fonctionnaire contredisait la lettre de renvoi en cours de stage. En outre, il était évident que le fonctionnaire avait été traité de manière différente. D’après l’ensemble de la preuve, il semblait évident que la discrimination raciale avait joué un rôle dans le traitement préjudiciable.

[115] Le fonctionnaire a également cité LaBranche c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2010 CRTFP 65. Dans cette affaire, le fonctionnaire s’était converti au judaïsme il y avait un certain temps. Elle a été visée par une campagne de courriels antisémites vicieuse, que l’employeur a consignée. Les courriels faisaient référence aux mesures d’adaptation qui lui avaient été accordées (par exemple, partir plus tôt les vendredis aux fins du shabbat, qui commence au crépuscule). Elle est devenue craintive et anxieuse, car elle percevait les courriels comme menaçants; l’employeur a très peu fait pour l’aider. En outre, son détachement a pris fin plus tôt. L’arbitre de grief a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée avait été victime de discrimination. Sa religion avait évidemment été un facteur dans le traitement préjudiciable qu’elle a subi.

[116] Dans le cas du fonctionnaire, rien ne l’identifie comme un musulman, contrairement à Mme Reeves, qui est noire. Il n’y avait pas non plus de document indiquant qu’une demande de mesures d’adaptation pour des raisons religieuses avait été présentée, comme dans le cas de Mme LaBranche. L’insatisfaction de M. Crête à l’égard du rendement du fonctionnaire était lié à la façon dont le fonctionnaire effectuait ses tâches. Ses croyances religieuses n’étaient pas en jeu d’aucune façon. Contrairement au cas de Mme Reeves, la lettre de renvoi en cours de stage ne contredit pas les examens trimestriels.

[117] Je conclus donc que la discrimination n’était pas un facteur dans le renvoi en cours de stage.

[118] Tel que cela a été affirmé dans Kagimbi, l’employeur doit donner une raison liée à l’emploi pour licencier un stagiaire. Il doit établir que l’employé n’était pas apte pour une raison quelconque liée à l’emploi. Il ne s’agit pas d’une question de motif valable ou suffisant.

[119] J’ai conclu que le renvoi en cours de stage du fonctionnaire était réellement lié aux préoccupations de l’employeur liées à l’emploi. J’ai également conclu que la discrimination n’était pas un facteur en l’espèce. Par conséquent, je conclus que l’art. 211 de la Loi s’applique et empêche la Commission d’intervenir.

[120] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[121] Le grief est rejeté.

Le 15 février 2021.

Traduction de la CRTESPF

Marie‑Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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