Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée ne faisait pas partie d’une unité de négociation – son employeur l’a déclarée employée excédentaire en application de la Directive sur le réaménagement des effectifs – la fonctionnaire s’estimant lésée a présenté un grief contre cette décision – elle a par la suite renvoyé son grief à l’arbitrage en alléguant une mesure disciplinaire déguisée et une conduite discriminatoire – l’employeur a soulevé une objection quant à la compétence de la Commission pour entendre le grief, car la fonctionnaire s’estimant lésée soulevait de nouvelles questions à l’arbitrage de grief – la Commission a conclu qu’aucune allégation de mesure disciplinaire déguisée n’était mentionnée dans le grief de la fonctionnaire s’estimant lésée, et que cette allégation n’avait pas été débattue par les parties dans le cadre de la procédure de règlement des griefs – la Commission a déclaré ne pas avoir compétence pour entendre cette allégation (voir Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.)) – de plus, la Commission a conclu ne pas avoir compétence pour entendre l’allégation de discrimination, puisque cette allégation n’avait pas été soulevée dans le cadre d’un grief pouvant être renvoyé à l’arbitrage (voir Chamberlain c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2013 CRTFP 115; et Chamberlain c. Canada (Procureur général), 2015 CF 50).


Objection accueillie.
Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date: 20210217

Dossiers: 566-02-8640

 

Référence: 2021 CRTESPF 15

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

MARIE MACHE-RAMEAU

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement)

 

employeur

 

Répertorié

Mache-Rameau c. Administrateur général (ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Steven B. Katkin, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Yavar Hameed, avocat

Pour l’employeur : Simon Deneau, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits,

Déposés les 23 juin, et les 7 et 19 juillet 2017.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Marie Mache-Rameau, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire ») occupait un poste au sein de la fonction publique fédérale depuis 1990. En janvier 2014, son poste classifié au groupe et au niveau PE-03 a été éliminé dans le cadre d’un réaménagement des effectifs. La fonctionnaire travaillait à l’Agence canadienne du développement international, qui fait maintenant partie du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (l’« employeur »).

[2] Le 22 février 2013, la fonctionnaire avait présenté le grief qui suit pour contester la décision de l’employeur du 30 janvier 2013 de déclarer la fonctionnaire employée excédentaire parce que son poste de conseillère de programmes en ressources humaines était touché par un réaménagement des effectifs :

[…]

Veuillez accepter la présente lettre comme grief officiel contestant la décision de l'ACDI du [30] janvier 2013 de nommer Mme Mache-Rameau comme employée excédentaire de son poste mentionné en rubrique ci-dessus. Ce grief est présenté en vertu de l’article 15 du Règlement du Conseil national mixte (le « Règlement ») ainsi que de la Directive sur le réaménagement des effectifs (la « Directive »). Prière de confirmer que vous êtes la représentante autorisée à s'occuper de ce grief au premier palier ou si nous devons présenter ce grief à quelqu'un d'autre.

En raison de la décision de l'ACDI du [30] janvier 2013 mentionné [sic] préalablement, l'ACDI interprète ou applique la Directive de façon erronée et de façon à léser Mme Mache-Rameau.

Mme Mache-Rameau soutient que la décision de l'ACDI du [30] janvier 2013 a affecté ses droits comme employée de la fonction publique et a causé, inter alia, des pertes économiques. Mme Mache-Rameau demande une indemnisation complète pour toutes les pertes associées avec la décision de l'ACDI du [30] janvier 2013 et que la décision de l'ACDI soit annulée.

[…]

[3] Le 8 avril 2013, l’employeur a décidé du grief comme suit :

[…]

J'ai attentivement revu les faits soutenants votre grief et en arrive à la conclusion suivante:

Le 24 avril 2012, la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) vous a informé ainsi que l'ACDI, qu'elle n'entamerait pas de procédures devant la Cour fédérale concernant l'exécution du Protocole d'entente.

Le 2 novembre 2012, la Cour fédérale a statué que la demanderesse (Mme Mache-Rameau) n'a pas fait la preuve Prima facie qui lui incombait dans ce dossier.

Enfin, le 27 février 2013, le Tribunal de la dotation de la fonction publique a rejeté votre plainte concernant votre mise en disponibilité au motif qu'elle est hors délai.

Pour ces raisons, il y a lieu de croire que les décisions prisent par l'ACDI dans votre dossier sont justes et raisonnables.

Conséquemment, votre grief est rejeté

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[4] Le renvoi à l’arbitrage a initialement été effectué le 7 mai 2013, en se fondant sur l’alinéa 209(1)a) (interprétation ou application de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2). Par lettre en date du 9 mai 2013, la directrice des Opérations du greffe et politiques de la Commission des relations de travail dans la fonction publique a avisé la fonctionnaire que « [s]ans l’approbation expresse de l’agent négociateur, le grief ne peut donc être renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique […] » et qu’elle « […] regrette donc de ne pas être en mesure de donner suite à votre demande. » Le 31 mai 2013, le grief a été de nouveau renvoyé à l’arbitrage en se fondant cette fois-ci sur l’alinéa 209(1)b) (mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire). La fonctionnaire allègue maintenant que la mesure prise par l’employeur était en fait une mesure disciplinaire déguisée.

[5] Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84), et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, qui remplace l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

[6] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et les titres de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral.

II. Résumé de la preuve

[7] Les parties ont présenté un énoncé conjoint des faits et une preuve documentaire par consentement, dont l’essentiel est résumé dans les paragraphes qui suivent.

A. Première plainte à la Commission canadienne des droits de la personne

[8] Le 1er août 2003, la fonctionnaire a déposé une première plainte contre l’employeur auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la « première plainte de discrimination »). Cette plainte alléguait que l’employeur avait eu une conduite discriminatoire fondée sur la race à son égard, et qu’il avait empêché l’avancement et la promotion de celle-ci à un niveau supérieur.

[9] Vers le 23 décembre 2005, la Commission canadienne des droits de la personne a demandé qu’un tribunal des droits de la personne soit constitué pour instruire la première plainte de discrimination en vertu de l’alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. 1985, ch. H-6). Cette plainte a ensuite été transmise au Tribunal canadien des droits de la personne.

[10] Le 29 novembre 2006, à la suite d’une médiation facilitée par le Tribunal canadien des droits de la personne, les parties ont conclu une entente en règlement de la première plainte de discrimination (l’« entente de règlement »). Cette entente a été approuvée par la Commission canadienne des droits de la personne.

[11] En 2007, la fonctionnaire a entrepris une formation de 18 mois à la Commission de la fonction publique, comme stipulé dans l’entente de règlement. Dès son retour chez l’employeur en février 2009, la fonctionnaire a demandé d'être nommée à un poste classifié au groupe et au niveau PE-04, conformément à son interprétation de cette entente.

[12] Par l’entremise de la Commission canadienne des droits de la personne, les parties ont de nouveau essayé de régler leur différend quant à l'interprétation de l’entente de règlement par voie de médiation. Entre juillet 2009 et janvier 2012, les parties se sont engagées dans un processus de médiation. Par contre, le ou vers le 7 mars 2012, 1’employeur a informé la fonctionnaire et la Commission canadienne des droits de la personne qu’il ne désirait plus participer à la médiation.

[13] N’ayant pu résoudre le différend, et à la suite des informations données par la Commission canadienne des droits de la personne, la fonctionnaire a déposé une requête auprès de la Cour fédérale afin que cette dernière ordonne une assimilation de l’entente de règlement approuvée par la Commission canadienne des droits de la personne à une ordonnance de la Cour fédérale. La fonctionnaire a obtenu cette ordonnance le 29 mai 2012.

[14] La fonctionnaire a demandé une ordonnance de justification à l’encontre de l’employeur, au motif que ce dernier aurait commis un outrage au tribunal en ne respectant pas l’entente de règlement. Le 2 novembre 2012, la Cour fédérale a rejeté la demande (Rameau c. Canada (Procureur général), 2012 CF 1286).

[15] À la lumière du différend qui persistait entre les parties, la fonctionnaire a écrit au Tribunal canadien des droits de la personne, le 16 janvier 2013, pour lui demander d’intervenir.

[16] Dans une décision rendue le 26 août 2014 (Mache-Rameau c. Agence canadienne de développement international, 2014 TCDP 26), le Tribunal canadien des droits de la personne a conclu qu’il n’avait pas compétence pour trancher le différend portant sur l’entente de règlement. Il a conclu que les dispositions de cette entente ne faisaient pas en sorte que le Tribunal était demeuré saisi de la première plainte de discrimination et que cette entente avait eu pour effet de fermer le dossier du Tribunal. Le Tribunal a conclu que les parties avaient désigné la Cour fédérale comme instance appropriée pour régler tout autre différend pouvant découler de cette entente.

[17] La fonctionnaire a contesté la décision du Tribunal canadien des droits de la personne par contrôle judiciaire. Le 19 octobre 2015, la Cour fédérale a confirmé la décision du Tribunal canadien des droits de la personne qu’il n’avait pas compétence pour trancher la question de l’interprétation de l’entente de règlement (Rameau c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1180).

B. Deuxième plainte à la Commission canadienne des droits de la personne

[18] Après que l’employeur se soit retiré de la médiation portant sur l'interprétation de l’entente en règlement, mais avant que la Cour fédérale n’assimile cette entente à une de ses ordonnances, la fonctionnaire a déposé une deuxième plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne le 28 mai 2012 (la « deuxième plainte de discrimination »). Dans cette plainte, elle a allégué, entre autres, que l’employeur avait contrevenu à l’entente de règlement en refusant de reconnaître son obligation de la promouvoir à un poste classifié au groupe et au niveau PE-04 suivant son retour chez l’employeur. Elle a fait valoir qu’elle était victime d'un traitement discriminatoire en matière d’emploi, sur la base de sa race et de son origine ethnique.

[19] La fonctionnaire a également allégué que l'employeur avait fait preuve de discrimination en exerçant des représailles contre elle, qu’il s’était soustrait à ses obligations, contrairement à ce qui est stipulé dans l’entente de règlement, et qu’il avait pris à son endroit d’autres mesures préjudiciables.

[20] Au moyen d’une décision en date du 16 juillet 2014, la Commission canadienne des droits de la personne a conclu que l’examen de la deuxième plainte de discrimination par le Tribunal canadien des droits de la personne n’était pas justifié. La fonctionnaire a déposé une demande de contrôle judiciaire contre cette décision. Le 13 janvier 2017, la Cour fédérale a rejeté la demande de la fonctionnaire (Mache-Rameau c. Canada (Procureur général), 2017 CF 43).

C. Mise en disponibilité

[21] Suivant un processus de sélection de maintien en poste et de mise en disponibilité, la fonctionnaire a reçu une lettre datée du 1er octobre 2012, l’avisant que son poste serait déclaré excédentaire en date du 9 octobre 2012, en raison d’un manque de travail. Cette lettre l'informait également de ses options en vertu de la Directive sur le réaménagement des effectifs.

[22] Le 24 janvier 2013, la fonctionnaire a présenté une plainte au Tribunal de la dotation de la fonction publique concernant sa mise en disponibilité (la « plainte de dotation »).

[23] Le 30 janvier 2013, l’employeur a informé la fonctionnaire que puisqu’elle n'avait choisi aucune option à l’intérieur de la période de réflexion de 120 jours, elle était réputée avoir choisi une priorité de fonctionnaire excédentaire d’une durée de douze mois pour trouver un autre emploi raisonnable au sein de l’administration publique centrale.

[24] Le 12 février 2013, l’employeur a demandé au Tribunal de la dotation de la fonction publique de rejeter la plainte de dotation au motif qu'elle avait été présentée hors délai. Le 27 février 2013, le Tribunal de la dotation de la fonction publique a rejeté la plainte au motif qu’elle était hors délai (Mache-Rameau c. Présidente de l’Agence canadienne de développement international, dossier du Tribunal de la dotation de la fonction publique 2013-0019 (20130227)). Cette décision a été maintenue en contrôle judiciaire par la Cour fédérale le 15 avril 2014 (Rameau c. Agence canadienne de développement international, 2014 CF 361).

D. Demande d’intervention auprès du sous-ministre délégué principal des Affaires étrangères

[25] Le 5 février 2016, la fonctionnaire a envoyé une lettre directement au sous-ministre délégué principal des Affaires étrangères alléguant que l’employeur avait contrevenu à l’entente de règlement et qu’il refusait toute médiation afin d'en arriver à une nouvelle entente. Elle a allégué que sa mise en disponibilité était injustifiée, et que l’employeur avait la responsabilité de rétablir son emploi compte tenu, entre autres, des trois exigences suivantes: (1) l’entente de règlement, transformée en une ordonnance de la Cour fédérale, (2) la Loi canadienne sur les droits de la personne; (3) l'esprit et les valeurs de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c. 11, qui doit guider chaque décision d'un agent du procureur général du Canada portant sur une question de discrimination.

[26] Le 26 février 2016, le sous-ministre délégué principal des Affaires étrangères a rejeté la demande de la fonctionnaire. Ce refus a été contesté par voie de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. La demande de contrôle judicaire a été radiée par la Cour fédérale (Rameau c. Procureur général du Canada, dossier de la Cour fédérale T-504-16 (20160502)).

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

[27] L’employeur s’oppose à ma compétence d’entendre le grief pour trois motifs.

1. Mesure disciplinaire déguisée

[28] L’employeur soutient que, puisque la question de la mesure disciplinaire déguisée n’a pas été soulevée pendant la procédure de règlement de griefs, les principes soulevés dans Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.), s’appliquent. En conséquence, je n’aurais pas compétence pour entendre le grief de la fonctionnaire. Le grief ne mentionne aucunement un congédiement, une rétrogradation, une suspension ou une sanction pécuniaire résultant d’un acte fautif de l’employeur. Le grief mentionne uniquement une violation de la Directive sur le réaménagement des effectifs. La fonctionnaire n’a pas tenté de faire retirer une mesure disciplinaire de son dossier et n’a pas identifié un acte qui aurait pu provoquer une mesure disciplinaire. Le seul fait de mentionner des pertes économiques dans le libellé du grief ne peut équivaloir à une pénalité financière (Rogers c. Canada (Agence du Revenu), 2010 CAF 116).

[29] Selon Burchill, seul un grief qui a été présenté et traité au dernier palier de la procédure de règlement de griefs pouvait être renvoyé à l’arbitrage en vertu du paragraphe 209(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Un grief ne peut être altéré une fois qu’il a été renvoyé à l’arbitrage et ne peut soulever des questions nouvelles qui n’ont pas été soulevées pendant la procédure de règlement de griefs. Le litige dans Burchill est similaire au présent grief. L’approche dans Burchill a constamment été suivie par les cours et par les décideurs tranchant les griefs dans le secteur public fédéral. À l’appui de sa position, l’employeur renvoie aux décisions suivantes : Marin c. Canada (Conseil du Trésor), 2007 CF 1250; Lee c. Administrateur général (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2008 CRTFP 5; Robertson c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2014 CRTFP 63; et Boudreau c. Procureur général du Canada, 2011 CF 868.

[30] L’employeur affirme que, comme dans Lee, la demande de renvoi à l’arbitrage de la fonctionnaire n’est qu’une manœuvre de la fonctionnaire pour que je prenne compétence pour entendre le grief. Ce n’est qu’après le refus de la directrice des Opérations du greffe et politiques de la Commission des relations de travail dans la fonction publique de donner suite au renvoi à l’arbitrage de la fonctionnaire sur la base de l’alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, que cette dernière a soulevé pour la première fois une allégation de mesure disciplinaire déguisée dans son renvoi à l’arbitrage du 31 mai 2013, en se fondant sur l’alinéa 209(1)b). De même, dans l’avis de la fonctionnaire à la Commission canadienne des droits de la personne en vertu du paragraphe 210(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, en date du 4 avril 2017, la fonctionnaire ne fait aucune mention d’une mesure disciplinaire déguisée. En effet, la fonctionnaire y mentionne plutôt l’interprétation de l’entente de règlement, ce qui démontre que sa véritable intention est de renvoyer à l’arbitrage la question de l’interprétation de cette entente et de la Directive sur le réaménagement des effectifs.

2. Interprétation de la Directive sur le réaménagement des effectifs

[31] L’employeur soutient que l’interprétation de la Directive sur le réaménagement des effectifs et de l’entente de règlement ne relève pas de ma compétence établie par le paragraphe 209(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (Amos c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 74; maintenu dans Amos c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 38). Dans la présente affaire, la directrice des Opérations du greffe et politiques de la Commission des relations de travail dans la fonction publique a avisé la fonctionnaire que « [s]ans l’approbation expresse de l’agent négociateur, le grief ne peut donc être renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique [interprétation ou application d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale] […] » et qu’elle « […] regrette donc de ne pas être en mesure de donner suite à votre demande. » En effet, puisque la fonctionnaire n’était pas représentée par un agent négociateur, le renvoi de son grief ne satisfait pas à l’exigence du paragraphe 209(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, soit que son agent négociateur accepte de la représenter dans la procédure d’arbitrage.

3. Question ayant trait aux droits de la personne

[32] Dans l’éventualité où je détermine que je n’ai pas compétence pour entendre l’allégation de mesure disciplinaire déguisée, l’employeur soutient que je n’aurais pas non plus compétence pour entendre le grief au seul motif qu’il soulève une question des droits de la personne. Le grief de la fonctionnaire n’entre pas dans le champ de compétence établi par le paragraphe 209(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. En conséquence je ne pourrais être saisi de la question des droits de la personne soulevée par la fonctionnaire. Dans Chamberlain c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2013 CRTFP 115, un arbitre de grief a déterminé qu’un grief n’est pas arbitrable au seul motif qu’il allègue une violation de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Plutôt, les pouvoirs qui permettent d’interpréter et d’appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne dans le cadre de l’arbitrage de grief sont seulement conférés une fois qu’il est déterminé qu’un grief tombe sous le champ de compétence conféré par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, conformément au paragraphe 209(1). Le paragraphe 209(1) constitue donc une disposition préliminaire à l’exercice des pouvoirs mentionnés au paragraphe226(1).

[33] Subsidiairement, la fonctionnaire n’a pas soulevé une question ayant trait aux droits de la personne dans le cadre de la procédure de règlement des griefs. Pour les mêmes raisons soulevées quant à une mesure disciplinaire déguisée, l’employeur avance que je n’ai pas compétence pour entendre la question des droits de la personne d’après les principes établis dans Burchill.

B. Pour la fonctionnaire

[34] La fonctionnaire soutient que l’objection de l’employeur doit être rejetée et que ma compétence pour entendre et instruire son grief doit être exercée.

1. Mesure disciplinaire déguisée

[35] Selon la fonctionnaire, l’allégation de l’employeur qu’elle a changé la substance de son grief est erronée. L’employeur avait une connaissance claire et précise de la substance du grief, du motif de contestation et des pertes financières, et ce, à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs. La substance du grief n’a jamais été cachée, ni avant, ni durant, ni subséquemment au dépôt du grief. L’employeur était au courant de la substance du grief, puisque la fonctionnaire lui a fait parvenir un avis pertinent à ce sujet. Le grief repose essentiellement sur des allégations de discrimination raciale dont la fonctionnaire a été victime dans le cadre de son emploi. L’entente de règlement qui est au cœur de ce litige trouve son fondement dans ces allégations.

[36] Selon l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, invoqué par la fonctionnaire dans le renvoi de son grief à l’arbitrage, il est nécessaire que le grief porte « sur une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire ». La fonctionnaire fait valoir qu’il est important de considérer ce qui constitue une mesure disciplinaire déguisée et le contexte factuel qui entoure le grief. Selon le paragraphe 16 de Rogers, une mesure disciplinaire déguisée ne nécessite pas un acte décrit comme disciplinaire par l’employeur dans le libellé du grief. L’impact financier d’une décision peut constituer une forme de discipline, malgré le fait que la décision soit communiquée sous un libellé administratif ou non-disciplinaire. Il suffit que l’acte de l’employeur produise une perte économique qui affecte un fonctionnaire. Toutefois, il est important de noter que la perte devrait se produire de façon prévisible et non de façon accessoire au tort allégué dans le grief. Les pertes subies par la fonctionnaire sont directement liées au fait que l’employeur a interprété l’entente de règlement de façon à ignorer la possibilité de la promouvoir à un poste classifié au groupe et au niveau PE-04.

[37] L’interprétation que l’employeur fait de l’entente de règlement et le fait qu’il puisse exercer un contrôle dans le milieu de travail basé sur cette interprétation constituent un exemple de mesure disciplinaire déguisée. Par ailleurs, la fonctionnaire soutient que la violation de cette entente par l’employeur et le fait qu’il l’ait subtilement forcée à prendre sa retraite, peuvent être assimilables à un congédiement déguisé. Dans ce contexte, la mise en disponibilité de la fonctionnaire découle de l’interprétation de cette entente par l’employeur.

[38] La fonctionnaire affirme que le dossier documentaire ainsi que l’énoncé conjoint des faits établissent clairement la substance du grief. Selon elle, la correspondance pertinente entre les parties démontre que les allégations de discrimination sont intimement liées au grief et ne peuvent en être dissociées sans ignorer le fondement de cette dispute. La fonctionnaire s’est opposée à plusieurs reprises à l’attitude de l’employeur relativement à l’entente de règlement. Avant le dépôt du grief, l’employeur était conscient de trois faits : qu’il y avait un désaccord entre les parties relativement à l’interprétation de cette entente, que cette entente était survenue à la suite d’une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne, et que cette plainte avait pour fondement une allégation de discrimination raciale. Malgré sa connaissance des faits, l’employeur a refusé de régler le problème. Pire encore, deux mois seulement après avoir annoncé à la fonctionnaire qu’il refusait de participer à la médiation, il l’a informé que son poste était visé par le réaménagement des effectifs.

[39] Dans son grief du 22 février 2013, et dans ses représentations orales lors de l’audience du grief le 22 mars 2013 dans le cadre de la procédure applicable au grief, la fonctionnaire a soulevé que son grief porte essentiellement sur le fait que l’employeur lui a imposé des mesures disciplinaires déguisées : un congédiement, une rétrogradation ou des représailles contre elle. La compréhension de l’employeur était claire que le grief ciblait principalement la question de l’entente de règlement et que la bonne interprétation de cette entente aurait se faire bien avant la mise en œuvre de la Directive sur le réaménagement des effectifs. Pour la fonctionnaire, la nécessité d’interpréter la Directive sur le réaménagement des effectifs devenait, de ce fait, nulle et non avenue, puisque l’entente de règlement lui accordait une promotion à un poste classifié au groupe et au niveau PE-04, soit hors de la portée de la mise en disponibilité visant le poste classifié au groupe et au niveau PE-03.

[40] Malgré toutes les mesures prises par la fonctionnaire, l’employeur a ignoré ses obligations légales et a refusé de trancher la différence d’interprétation quant à l’entente de règlement. L’employeur a profité de cette situation en voulant rétrograder la fonctionnaire à un statut de poste inférieur.

[41] Les décisions citées par l’employeur se distinguent du dossier de la fonctionnaire en ce sens qu’elles renvoient à des affaires le contenu de griefs a été changé radicalement après leurs renvois à l’arbitrage, alors que les fonctionnaires s’estimant lésés n’avaient pas clairement soulevé ces arguments auprès de leurs employeurs. Le dossier de la fonctionnaire répond aux critères requis et exigés pour renvoyer son grief à l’arbitrage, tel qu’il est stipulé dans Shneidman c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 192, aux paras. 26 et 27, c’est-à-dire que la nature du grief soit suffisamment détaillée. La Cour d’appel fédérale y indique qu’il incombe à un fonctionnaire s’estimant lésé d‘énoncer clairement les motifs d’un grief. Il n’y a pas de doute que ces motifs ont été soulevés par la fonctionnaire dans la procédure de règlement de griefs et que l’employeur ne peut raisonnablement alléguer une incompréhension de la nature du grief.

[42] Bien que l’article applicable de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique cité dans la formule de renvoi du grief ait été changé au moment du renvoi à l’arbitrage le 31 mai 2013, ma compétence ne reposerait pas sur la forme et le renvoi du grief à l’arbitrage, mais plutôt sur la substance du grief et les circonstances entourant le renvoi de celui-ci.

2. Interprétation de la Directive sur le réaménagement des effectifs

[43] La fonctionnaire affirme qu’elle ne cherche pas une interprétation de la Directive sur le réaménagement des effectifs. Le grief vise une interprétation de l’entente de règlement. Conséquemment, la Directive sur le réaménagement des effectifs n’aurait pas dû s’appliquer à son poste. En visant une interprétation de cette entente, la fonctionnaire n’est pas liée par les contraintes imposées par l’alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

[44] Ce grief, qui cible et inclut la mise en disponibilité de la fonctionnaire, constitue pour elle un moyen de mettre en évidence une autre forme de préjudice, qui s’ajoute au traitement discriminatoire dont elle continue d’être victime. Ce traitement discriminatoire de l’employeur a eu plusieurs conséquences sur la vie professionnelle de la fonctionnaire, entre autres, des pertes financières et des obstacles systémiques érigés en permanence et de diverses façons dans l’avancement de sa carrière. Il était tout à fait prévisible que le poste de la fonctionnaire soit touché par la Directive sur le réaménagement des effectifs et que l’employeur fasse tout en son pouvoir pour la pousser à prendre une retraite forcée. Dans cette affaire, l’employeur a eu tort; il s’est continuellement soustrait au dialogue d’une façon très habile et a affiché à l’égard de la fonctionnaire un mépris constant. Dans ce contexte, ce mépris s’attaque tout particulièrement aux compétences de la fonctionnaire et donne à l’employeur le pouvoir de la maintenir en permanence dans un poste à caractère subalterne, allant ainsi à l’encontre de l’entente de règlement.

[45] L’employeur n’a invoqué aucun motif pour justifier sa prétention selon laquelle je n’aurais pas compétence pour interpréter l’entente de règlement.

3. Question ayant trait aux droits de la personne

[46] La fonctionnaire affirme qu’il est bien établi que l’évaluation de la substance d’un grief peut dévoiler qu’il est simultanément basé sur une allégation de discrimination et de mesure disciplinaire déguisée. Ma responsabilité serait d’évaluer chaque dossier, au cas par cas, en vertu des faits en l’espèce et de la jurisprudence pertinente. Dans ce contexte, et étant donné les faits et le contexte du grief et parce qu’il découle d’un modèle de traitement discriminatoire avec pour conséquences des pertes économiques pour la fonctionnaire, le grief peut être tranché à l’arbitrage de grief en vertu du paragraphe 209(1) et de l’alinéa 226(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. La fonctionnaire soutient que son grief répond aux exigences de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

[47] Il est bien établi dans la jurisprudence que j’aurais compétence pour entendre un grief qui est fondé sur une question des droits de la personne. (Chamberlain c. Canada (Procureur général), 2012 CF 1027; Gibson c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2008 CRTFP 68; Lovell et Panula c. Agence du revenu du Canada, 2010 CRTFP 91; Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30; Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42.)

[48] Dans l’alternative, la fonctionnaire fait valoir que la Cour fédérale a déjà reconnu qu’un grief se basant uniquement sur une allégation de discrimination peut être tranché à l’arbitrage de grief (Chamberlain c. Canada (Procureur général), 2012 CF 1027). La Cour fédérale a cité avec approbation l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Parry Sound, qui a reconnu la compétence d’un arbitre de grief pour entendre un grief fondé uniquement sur une question de discrimination dans le contexte de la Loi de 1995 sur les relations de travail de l’Ontario (LO 1995, c 1, ann. A). Selon la Cour, la compétence d’un arbitre de grief dans Parry Sound découlait d’un article de loi très semblable à l’alinéa 226(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. La fonctionnaire a cité les décisions Gibson et Lovell et le paragraphe 208(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique à l’appui de sa position.

[49] Dans l’interprétation de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la nature d’une mesure disciplinaire déguisée pourrait s’appuyer sur une allégation de discrimination. La jurisprudence dans le domaine des droits de la personne reconnaît l’élément subtil et circonstanciel de la discrimination qui est normalement publiquement caché ou nié par l’employeur. À cet égard, la fonctionnaire m’a renvoyé à Stringer c. Canada (Procureur général), 2013 FC 735, par. 45, et Basi c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, 1988 CanLII 108 (TCDP). De ce fait, une allégation de discrimination intégrale au grief ne peut être écartée sans une étude approfondie du contexte du grief et des circonstances qui y ont donné lieu, ce qui exige un traitement du fond du grief. La nature de la question centrale du grief se situe dans le contexte d’une allégation de discrimination raciale intimement liée au milieu de travail et qui n’a jamais été reconnue par l’employeur.

4. Mesure de redressement

[50] La fonctionnaire demande à être réintégrée à son poste au sein de la fonction publique, soit un poste classifié au groupe et au niveau PE-04, sans devoir interpréter la Directive sur le réaménagement des effectifs. La fonctionnaire soutient que la décision de l’employeur lui a causé des pertes économiques. Elle demande à être indemnisée intégralement pour toutes les pertes associées à la décision de l’employeur de la mettre en disponibilité.

C. Réponse de l’employeur

1. Mesure disciplinaire déguisée

[51] L’employeur avance que les prétentions de la fonctionnaire, soit qu’il n’était pas nécessaire qu’elle soulève un acte décrit comme disciplinaire dans le libellé de son grief et que le seul fait de mentionner une perte économique équivaut à une allégation de discipline déguisée, ne sont pas fondées en droit. Dans Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176, la Cour fédérale a déclaré que toute mesure prise par l’employeur qui a un effet préjudiciable sur l’employé n’est pas nécessairement une mesure disciplinaire. Selon Frazee, l’intention de l’employeur est l’un des principaux facteurs pour déterminer si un employé a fait l’objet d’une mesure disciplinaire. Par ailleurs, l’employeur souligne que le concept de mesure disciplinaire déguisée implique qu’un employeur s’est livré à un camouflage, un leurre, une ruse, une lacune ou un acte malfaisant au sens des décisions Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada c. Boutziouvis, 2011 CF 1300, et Peters c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires indiennes et du Nord), 2007 CRTFP 7.

[52] Il ressort de la jurisprudence qu’une allégation de mesure disciplinaire déguisée est une allégation très spécifique. La fonctionnaire, dans le libellé de son grief ou pendant la procédure de règlement de griefs, n’a jamais allégué que l’employeur avait eu une intention disciplinaire ou déguisée en la mettant en disponibilité à la suite du réaménagement des effectifs, ou qu’il s’agissait d’un camouflage. La fonctionnaire n’a jamais non plus identifié un acte de sa part pour lequel l’employeur aurait ensuite pris une mesure disciplinaire déguisée. Tout au long de ses observations, elle a plutôt allégué que l’interprétation de l’entente de règlement est au cœur du litige, ce qui ne met aucunement en jeu une allégation de mesure disciplinaire déguisée.

[53] Selon l’employeur, la fonctionnaire n’explique pas en quoi les décisions citées par celui-ci sont distinctes de l’affaire en litige. L’employeur soutient qu’il y a des circonstances très similaires entre ces décisions et la présente affaire puisqu’elles portent toutes sur des allégations de mesures disciplinaires déguisées qui n’ont pas été soulevées pendant la procédure de règlement de griefs.

2. Question ayant trait aux droits de la personne

[54] Dans Chamberlain c. Canada (Procureur général), 2012 CF 1027, citée par la fonctionnaire, un arbitre de grief avait eu à déterminer si les allégations de violation des droits de la personne formulées par Mme Chamberlain étaient arbitrables. La décision de la Cour fédérale n’a pas tranché cette question, contrairement à ce qu’avance la fonctionnaire. Cette décision stipule que les pouvoirs qui permettaient à l’arbitre de grief d’interpréter et d’appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne n’étaient conférés à ce dernier que s’il déterminait que le grief tombait dans le champ de sa compétence, conformément au paragraphe 209(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. La décision subséquente de l’arbitre de grief (Chamberlain c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2013 CRTFP 115), qui concluait à l’absence de compétence, a également été maintenue en contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, celle-ci ayant déterminé que la décision de l’arbitre de grief résistait même à la norme de la décision correcte (Chamberlain c. Canada (Procureur général), 2015 CF 50). La Cour fédérale a conclu que l’article 209 ne visait pas les griefs individuels présentés par des fonctionnaires qui ne sont pas visés par une convention collective et qui contiennent des allégations autonomes de violation à la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Cour fédérale a également conclu que l’article 209 constituait la seule disposition de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique qui attribuait compétence à un arbitre de grief. L’article 226 ne créait pas une autre catégorie de griefs susceptible d’être renvoyés à l’arbitrage. Selon la Cour fédérale, l’arbitre de grief ne s’était pas trompé en déclarant qu’il n’avait pas compétence à l’égard des allégations de la fonctionnaire concernant les droits de la personne au motif qu’il n’avait pas, au départ, compétence sur son grief.

[55] L’employeur a affirmé que l’arbitre de grief avait conclu, dans Chamberlain c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2013 CRTFP 115, que Lovell et Gibson n’appuyaient pas l’argument selon lequel une allégation de discrimination, qui est indépendante d’une convention collective, est arbitrable en vertu du paragraphe 209(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Dans Chamberlain c. Canada (Procureur général), 2015 CF 50, la Cour fédérale souscrit également aux raisons invoquées par l’arbitre de grief pour écarter cette jurisprudence citée par la fonctionnaire. L’employeur soutient qu’il est maintenant bien établi que je n’ai pas compétence pour entendre une allégation autonome relative aux droits de la personne de la part de la fonctionnaire, qui n’est pas visée par une convention collective.

[56] L’employeur a fait valoir que Parry Sound s’inscrit dans un contexte législatif différent de la présente affaire. Contrairement aux prétentions de la fonctionnaire, la Loi de 1995 sur les relations de travail de l’Ontario et la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ne sont pas similaires. Ainsi, la loi ontarienne ne possède pas d’article limitant de manière similaire le champ de compétence d’un arbitre de grief comme le fait le paragraphe 209(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Par la suite, Parry Sound a déterminé que les droits et obligations prévus par le Code des droits de la personne de l’Ontario (LRO 1990, c. H.19) sont incorporés dans toute convention collective à l’égard de laquelle un arbitre de grief a compétence en vertu de la Loi de 1995 sur les relations de travail de l’Ontario. Or, dans la présente affaire, la fonctionnaire n’est pas syndiquée et ne peut pas s’appuyer sur le motif de compétence de l’interprétation d’une convention collective offert par l’alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. D’ailleurs, dans Chamberlain c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2013 CRTFP 115, l’arbitre de grief a rejeté les comparaisons avec la loi ontarienne et a distingué la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique du contexte législatif dans Parry Sound et Vaid. L’arbitre de grief a noté que chaque affaire doit être tranchée selon ses faits particuliers et son régime législatif. Je tirerais ma compétence uniquement de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et n’aurais pas de compétence inhérente. En ce qui concerne les griefs individuels, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique limiterait ma compétence aux affaires visées au paragraphe 209(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (voir Wray et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2012 CRTFP 64).

IV. Analyse

[57] L’employeur a soutenu que je n’ai pas compétence pour entendre le présent grief, et ce, pour trois motifs. Le premier argument avancé par l’employeur s’appuie sur Burchill et sur ce que le grief renvoyé à l’arbitrage ne soulève pas d’allégation de mesure disciplinaire déguisée; il a aussi soutenu qu’une telle allégation n‘a été soulevée qu’après que le grief a été renvoyé à l’arbitrage une deuxième fois, suite à la lettre de la directrice des Opérations du greffe et politiques de la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Le grief que la fonctionnaire tente maintenant de plaider devant moi n’est pas, selon l’employeur, le même grief dont les parties ont débattu pendant la procédure de règlement de griefs. Je ne peux qu’être d’accord avec l’employeur sur ces points.

[58] Les toutes premières questions que je dois trancher sont si le grief de la fonctionnaire allègue une mesure disciplinaire déguisée et, dans la négative, si les parties ont débattu d’une allégation de mesure disciplinaire déguisée dans le cadre de la procédure applicable au grief. En d’autres termes, la fonctionnaire tente-t-elle de soulever pour la première fois à l’arbitre de grief une allégation qui n’a pas été débattue auparavant par les parties?

[59] Bien que les parties s’entendent pour dire que le différend qui les oppose devant moi découle de leurs interprétations divergentes de l’entente de règlement, le grief que la fonctionnaire a présenté à l’employeur ne conteste pas clairement l’interprétation ou l’application de cette entente à son égard. Tel que mentionné plus haut dans cette décision, le grief de la fonctionnaire se lit plutôt comme suit :

[…]

Veuillez accepter la présente lettre comme grief officiel contestant la décision de l'ACDI du [30] janvier 2013 de nommer Mme Mache-Rameau comme employée excédentaire de son poste mentionné en rubrique ci-dessus. Ce grief est présenté en vertu de l’article 15 du Règlement du Conseil national mixte (le « Règlement ») ainsi que de la Directive sur le réaménagement des effectifs (la « Directive »). Prière de confirmer que vous êtes la représentante autorisée à s'occuper de ce grief au premier palier ou si nous devons présenter ce grief à quelqu'un d'autre.

En raison de la décision de l'ACDI du [30] janvier 2013 mentionné [sic] préalablement, l'ACDI interprète ou applique la Directive de façon erronée et de façon à léser Mme Mache-Rameau.

Mme Mache-Rameau soutient que la décision de l'ACDI du [30] janvier 2013 a affecté ses droits comme employée de la fonction publique et a causé, inter alia, des pertes économiques. Mme Mache-Rameau demande une indemnisation complète pour toutes les pertes associées avec la décision de l'ACDI du [30] janvier 2013 et que la décision de l'ACDI soit annulée.

[…]

[60] Il ne saurait donc me revenir de trancher une allégation de défaut d’exécution d’une entente en règlement d’un litige dont une autre instance était saisie, surtout lorsque cette autre instance et ses propres instances de révision ont refusé de le faire.

[61] Par contre, le grief conteste spécifiquement l’interprétation et l’application de la Directive sur le réaménagement des effectifs à l’égard de la fonctionnaire. Lors du renvoi du grief à l’arbitrage, le paragraphe 209(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique prévoyait ce qui suit et cette exigence n’a pas été modifiée depuis :

209 (2) Pour que le fonctionnaire puisse renvoyer à l’arbitrage un grief individuel du type visé à l’alinéa (1)a), il faut que son agent négociateur accepte de le représenter dans la procédure d’arbitrage.

[62] La fonctionnaire n’est pas représentée devant moi par son agent négociateur. En fait, la fonctionnaire n’est représentée par aucun agent négociateur, puisque le poste qu’elle occupait lors du dépôt de son grief ne faisait pas partie d’une unité de négociation. Dans ces circonstances, la fonctionnaire n’a pas qualité pour agir devant moi à l’égard de l’interprétation et l’application que l’employeur a fait de la Directive sur le réaménagement des effectifs à son égard. Cependant, la fonctionnaire ne me demande pas de me prononcer sur l’interprétation ou l’application de cette Directive à son égard.

[63] La fonctionnaire prétend plutôt devant moi que son grief conteste une mesure disciplinaire déguisée. Par contre, dans la décision qu’il a rendue le 8 avril 2013 dans le cadre de la procédure applicable au grief, l’employeur indique qu’il considère le grief comme la poursuite de la première plainte de discrimination et de la plainte de dotation. La décision de l’employeur ne renvoie ainsi qu’aux questions touchant les droits de la personne, l’interprétation de l’entente de règlement et la plainte de dotation. La décision de l’employeur ne mentionne aucune allégation de mesure disciplinaire, ce qui suggère qu’aucune allégation de ce genre n’a été débattue par les parties dans le cadre de la procédure applicable au grief. La décision en question se lit comme suit:

[…]

J'ai attentivement revu les faits soutenants votre grief et en arrive à la conclusion suivante:

Le 24 avril 2012, la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) vous a informé ainsi que l'ACDI, qu'elle n'entamerait pas de procédures devant la Cour fédérale concernant l'exécution du Protocole d'entente.

Le 2 novembre 2012, la Cour fédérale a statué que la demanderesse (Mme Mache-Rameau) n'a pas fait la preuve Prima facie qui lui incombait dans ce dossier.

Enfin, le 27 février 2013, le Tribunal de la dotation de la fonction publique a rejeté votre plainte concernant votre mise en disponibilité au motif qu'elle est hors délai.

Pour ces raisons, il y a lieu de croire que les décisions prisent par l'ACDI dans votre dossier sont justes et raisonnables.

Conséquemment, votre grief est rejeté

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[64] Je note avec intérêt que l’exposé conjoint des faits que les parties ont déposé devant moi ne mentionne pas qu’elles ont débattu une allégation de mesure disciplinaire déguisée dans le cadre de la procédure applicable au grief. Je note aussi que la fonctionnaire a tout d’abord tenté de renvoyer son grief à l’arbitrage en ne faisant aucune mention d’une mesure disciplinaire déguisée. De plus, je note aussi que la fonctionnaire a avancé, à l’appui du renvoi subséquent de son grief à l’arbitrage le 31 mai 2013, qui se fondait alors sur une allégation de mesure disciplinaire déguisée, qu’elle avait clairement allégué dans le cadre de la procédure applicable au grief que l’employeur avait ignoré l’entente de règlement dans l’application de la Directive sur le réaménagement des effectifs et que cette omission « se trouve au cœur du grief du 22 février 2013 ».

[65] Je conclus donc de ces faits que la fonctionnaire n’a pas soulevé d’allégation de mesure disciplinaire déguisée dans la cadre de la procédure applicable au grief et qu’elle a soulevé cette allégation pour la première fois après avoir renvoyé son grief à l’arbitrage. Compte tenu de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Burchill, la fonctionnaire ne pouvait donc renvoyer cette allégation à l’arbitrage de grief en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et je ne peux donc décider si elle est bien fondée.

[66] L’employeur a aussi soutenu que je n’ai pas compétence pour entendre le présent grief au seul motif qu’il soulèverait une question des droits de la personne. Sur ce point aussi, je dois donner raison à l’employeur. Chamberlain c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2013 CRTFP 115, et Chamberlain c. Canada (Procureur général), 2015 CF 50, ont clairement établi que la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ne permet pas l’arbitrage d’un grief que ne repose que sur une allégation de violation des droits de la personne. Or, compte tenu de ma conclusion à l’effet que la fonctionnaire ne pouvait renvoyer à l’arbitrage de grief l’allégation de mesure disciplinaire déguisée, la seule question qui reste devant moi a trait à une allégation de violation des droits de la personne. Je ne peux donc non plus décider si elle est bien fondée.

[67] Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[68] L’objection que l’employeur a présentée à l’égard de la compétence de la Commission d’entendre le grief est accueillie.

[69] Le grief est rejeté.

Le 17 février 2021.

Steven B. Katkin,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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