Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a déposé une plainte auprès de la Commission contre sa représentante syndicale et l’agent négociateur pour pratique déloyale – il leur a reproché d’avoir retiré son grief et d’avoir agi de manière arbitraire et de mauvaise foi en acceptant une offre de règlement de son employeur, et ce, malgré son désaccord – la Commission a conclu que les défenderesses n’avaient pas agi de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire en se retirant du grief puisque rien dans les faits ne le démontre et qu’il leur appartient, après analyse, de décider s’il y a lieu ou non de se retirer d’un grief – cependant, la Commission a déterminé que les défenderesses avaient manqué à leur devoir de représentation en acceptant l’offre de règlement sans l’accord du plaignant étant donné que le grief individuel appartient au fonctionnaire s’estimant lésé et non à l’agent négociateur selon les dispositions de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) – même si elle a conclu que les défenderesses avaient manqué à leur devoir de représentation en acceptant l’offre, la Commission a jugé que cela n’avait pas causé préjudice au plaignant et qu’il n’y avait pas d’autres mesures de réparation appropriées à ordonner.

Plainte accueillie en partie

Contenu de la décision

Date: 20210226

Dossier: 561-02-38721

 

Référence: 2021 CRTESPF 19

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

yvon fontaine

plaignant

 

et

 

leslie robertson et alliance de la fonction publique du canada

 

défenderesses

 

Répertoriée

Fontaine c. Robertson

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Renaud Paquet, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le plaignant : Lui-même

Pour les défenderesses : Kim Patenaude, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits

déposés le 14 octobre, le 29 octobre et le 5 novembre 2020.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

[1] Yvon Fontaine, le plaignant, a présenté le 26 juin 2018 une plainte devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») contre Leslie Robertson et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« Alliance » ou les « défenderesses »). Mme Robertson est agente aux griefs et à l’arbitrage pour l’Alliance. Le plaignant allègue dans sa plainte que les défenderesses ont commis une pratique déloyale au sens de l’article 187 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art.2 : la « Loi »), qui interdit à une organisation syndicale d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui est membre d’une unité de négociation dont elle est l’agent négociateur.

[2] Le plaignant est maintenant retraité. Il travaillait pour le ministère de la Défense nationale et il occupait un poste qui faisait partie d’une unité de négociation dont l’agent négociateur était l’Alliance.

[3] Le plaignant a déposé un grief contre le ministère de la Défense nationale (l’ « employeur ») le 11 octobre 2005, estimant que ce dernier avait contrevenu à la Directive sur les voyages du Conseil national mixte (CNM) depuis sa mutation en 1995. Le grief a été rejeté à chacun des paliers de la procédure de règlement des griefs. L’Alliance a renvoyé le grief à l’arbitrage en janvier 2011. Toutefois, elle a avisé le plaignant par écrit, le 11 février 2011, qu’elle ne comptait pas « s’objecter [sic] à l’application de la décision Coallier » dans son grief, c’est-à-dire qu’elle ne ferait des arguments qu’en ce qui concerne la période de 25 jours avant le dépôt du grief. L’employeur avait déjà, lors du renvoi à l’arbitrage, soulevé une objection quant au respect des délais pour déposer le grief.

[4] L’audience du grief à l’arbitrage a été fixée au 22 juin 2018. Mme Robertson était censée assurer la représentation du plaignant lors de cette audience. Il y a eu plusieurs communications téléphoniques et par courriel entre Mme Robertson et le plaignant au cours des deux semaines précédant l’audience. Le 6 juin 2018, le plaignant a suggéré à Mme Robertson diverses propositions qui pouvaient être soumises à l’employeur pour régler le grief. La documentation des parties ne précise pas ce qui a été présenté par Mme Robertson à l’employeur, si ce n’est que cela avait été refusé. Cependant, l’employeur lui a présenté une contre-offre selon laquelle une somme de 1 100 $ pouvait être payée au plaignant. Cette somme représentait l’équivalent de 25 jours de frais de repas et de dépenses de voyage.

[5] Le 14 juin 2018, Mme Robertson a informé par écrit le plaignant, avec motifs à l’appui, qu’elle était d’avis que son grief serait rejeté par la Commission, et qu’il ne recevrait aucun dédommagement. Elle lui a aussi fait part de la contre-offre de l’employeur, qu’elle trouvait acceptable, et elle lui a recommandé de l’accepter. Elle a avisé le plaignant que l’Alliance pouvait se retirer de son dossier, ainsi qu’annuler l’audience, et c’est ce qu’elle comptait faire s’il refusait la contre-offre de l’employeur. Elle a demandé au plaignant de lui revenir au plus tard le 18 juin 2018 avant 17h00, à savoir si le plaignant acceptait la contre-offre. Le 17 juin 2018, le plaignant lui a répondu qu’il refusait la contre-offre de l’employeur et que Mme Robertson avait le pouvoir d’annuler l’audience, cela étant son choix. Le plaignant a également indiqué qu’il se rendrait à l’audience mais que si Mme Robertson l’annulait, il avait d’autres options.

[6] Le 20 juin 2018, Mme Robertson a réécrit au plaignant, indiquant qu’elle avait essayé de l’appeler le matin. Compte tenu de l’analyse effectuée au dossier, elle estimait que la contre‑offre de l’employeur était juste, et que cela était mieux que ce qu’elle pouvait obtenir à l’arbitrage. Elle a dit regretter que le plaignant ne soit pas d’accord avec le point de vue de l’Alliance, mais comme ils en avaient discuté, l’agent négociateur avait l’autorité pour résoudre le grief. Mme Robertson a informé le plaignant que l’Alliance accepterait l’offre de l’employeur et que, par conséquent, l’audience prévue pour le 22 juin 2018 serait annulée. Le jour même, le plaignant lui a répondu qu’elle n’avait pas le courage de lui parler et lui a demandé une date pour la rencontrer en personne.

[7] C’est cette décision du 20 juin 2018 qui a donné lieu à la plainte dont l’exposé se lit comme suit : « L’AFPC a annuler [sic] l’audience de mon grief prévu [sic] le 22 juin 2018. Cela fait 13 ans que mon grief a été déposé. La décision de Leslie Robertson est arbitraire. » Le plaignant a demandé à la Commission de mettre au calendrier des audiences son grief. Il a mentionné qu’il se représentera lui-même lors de cette audience.

[8] Le 7 août 2018, le plaignant a reçu par courrier recommandé un protocole d'entente entre les défenderesses, l’employeur et le Conseil du trésor. Un chèque du Gouvernement du Canada était inclus dans ce courrier.

II. Résumé de l’argumentation

A. Pour le plaignant

[9] Le plaignant a rappelé qu’il avait indiqué à Mme Robertson que l’offre de l’employeur de lui rembourser l’équivalent de 25 jours de frais de repas et de dépenses de voyage était inacceptable. Selon lui, il aurait dû être consulté par rapport à la décision d’accepter cette offre, et il aurait dû avoir un droit de parole en ce qui concerne cette acceptation.

[10] Selon le plaignant, une représentante syndicale n’a pas le droit d’imposer à un membre de l’Alliance ses propres décisions, compte tenu que ce membre verse des cotisations à l’Alliance.

[11] La décision de Mme Robertson d’annuler l’audience était arbitraire et contraire à la Loi. Elle a agi de mauvaise foi, d’autant plus qu’elle avait dit qu’elle rencontrerait le plaignant. En bout de ligne, toutes les communications se sont faites par courriel ou par téléphone. Le plaignant a rappelé qu’en 2011, l’Alliance avait renvoyé son grief à l’arbitrage. Il se demandait pourquoi alors le retirer en 2018.

[12] Selon le plaignant, les défenderesses savaient que son grief ferait jurisprudence, et c’est la raison principale qui a motivé sa décision d’annuler l’audience. Il a ajouté qu’il est clair que l’Alliance défend les intérêts de l’employeur, devant qui elle a baissé les bras. Il a rappelé qu’il avait payé des cotisations syndicales pendant 30 ans et qu’on aurait dû lui offrir un meilleur traitement. Selon lui, pour être équitable, l’Alliance aurait dû embaucher une firme d’avocats pour le représenter.

[13] Le plaignant a expliqué pourquoi il avait déposé son grief en 2005 et pourquoi il était convaincu que son grief était fondé. Je ne reprendrai pas ces explications, car elles importent peu pour déterminer si la plainte est fondée.

B. Pour les défenderesses

[14] Les défenderesses ont prétendu avoir agi de façon raisonnable, équitable et de bonne foi en exerçant sa discrétion pour régler le grief du plaignant.

[15] Déjà, en 2011, l’Alliance avait avisé le plaignant que la décision Canada (Office national du film) c. Coallier, [1983] A.C.F. no 813 (QL) s’appliquait, et que l’Alliance ne présenterait d’arguments qu’en ce qui concernait les 25 jours précédant le dépôt du grief. Le plaignant n’a alors pas présenté de plainte contre l’Alliance.

[16] Peu de temps avant la date prévue de l’audience, Mme Robertson a tenté de négocier un règlement du grief avec l’employeur. Ce dernier a refusé la proposition syndicale, mais il a présenté une contre-offre, qui, après examen, semblait plus que ce que le plaignant pouvait obtenir dans le cadre de l’arbitrage. Mme Robertson a présenté la contre-offre au plaignant et elle lui a recommandé de l’accepter. Le plaignant a refusé la contre-offre.

[17] Le plaignant ne s’est pas acquitté de son fardeau de la preuve. Il n’a pas démontré que les défenderesses avaient agi de façon arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. Les défenderesses ont plutôt agi de façon raisonnable et équitable en exerçant leur discrétion pour régler le grief. Mme Robertson a pris en considération les arguments du plaignant mais, à la lumière des faits et de la jurisprudence, il a été décidé de régler le dossier et de retirer le grief.

[18] Les défenderesses m’ont renvoyé aux décisions suivantes : Bahniuk c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 13; Cox c. Vézina, 2007 CRTFP 100; Boshra c. Association canadienne des employés professionnels, 2009 CRTFP 100; Ouellet c. St‑Georges et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 107; Martell c. Association des employés du Conseil de recherches et Van Den Bergh, 2011 CRTFP 141.

III. Analyse et motifs

[19] La plainte invoque l’alinéa 190(1)g) de la Loi, qui renvoie à l’article 185. Parmi les pratiques déloyales dont fait mention l’article 185 de la Loi, celle à l’article 187 est d’intérêt dans la présente plainte. Ces dispositions se lisent comme suit :

(1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

[…]

185 Dans la présente section, pratiques déloyales s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

[…]

Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[20] La plainte porte sur la décision de Mme Robertson de ne pas poursuivre l’arbitrage du grief et d’accepter la contre-offre de l’employeur malgré le fait que le plaignant avait clairement exprimé son désaccord à cet égard, à savoir si l’agent négociateur a agi de façon arbitraire ou de mauvaise foi dans la représentation du plaignant. Se pose dès lors deux questions. La première est de déterminer si Mme Robertson avait le droit de retirer son appui à l’arbitrage du grief comme elle l’a fait. La deuxième est de déterminer si Mme Robertson avait le droit d’accepter la contre-offre de l’employeur en guise de règlement du grief du plaignant.

[21] Selon les dispositions qui suivent de la Loi, la décision de déposer un grief et de le renvoyer à l’arbitrage appartient au fonctionnaire, mais ce dernier ne peut le renvoyer seul si le grief porte sur l’interprétation ou d’application de la convention collective. Pour ce faire, il doit obtenir l’accord de l’agent négociateur.

208 (4) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel portant sur l’interprétation ou l’application à son égard de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale qu’à condition d’avoir obtenu l’approbation de l’agent négociateur de l’unité de négociation à laquelle s’applique la convention collective ou la décision arbitrale et d’être représenté par cet agent.

209 (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire qui n’est pas un membre, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur:

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

(2) Pour que le fonctionnaire puisse renvoyer à l’arbitrage un grief individuel du type visé à l’alinéa (1)a), il faut que son agent négociateur accepte de le représenter dans la procédure d’arbitrage.

 

[22] Le grief du plaignant porte sur une directive du CNM. Les directives du CNM font partie de la convention collective. Le grief porte donc sur l’interprétation ou l’application de la convention collective. Lors du dépôt du grief, le plaignant a reçu l’approbation de l’Alliance, tel qu’il est requis au paragraphe 208(4) de la Loi. Puis, en janvier 2011, le plaignant a renvoyé son grief à l’arbitrage, appuyé encore une fois par l’Alliance, qui a alors accepté de le représenter, tel qu’il est prévu au paragraphe 209(2) de la Loi. Toutefois, l’Alliance a alors émis comme réserve qu’elle ne ferait d’arguments qu’en ce qui concerne la période de 25 jours précédant le dépôt du grief.

[23] Il est clair que, dans les jours qui ont précédé la date prévue de l’audience, Mme Robertson, après avoir analysé la situation, a conclu, à tort ou à raison, qu’elle avait peu de chance d’obtenir gain de cause à l’arbitrage. S’est alors amorcé une certaine négociation avec l’employeur, qui s’est conclue par une contre-offre de l’employeur comportant une somme de 1 100 $. Mme Robertson était d’accord pour accepter cette offre, mais le plaignant ne l’était pas. Au lieu de poursuivre avec l’arbitrage, Mme Robertson, au nom de l’Alliance, a retiré son appui au grief et elle a accepté la contre-offre au nom du plaignant.

[24] Après avoir analysé le dossier, Mme Robertson a décidé de retirer la représentation de l’Alliance à l’arbitrage. Rien dans ce que m’a soumis le plaignant ne me convainc que cette décision était arbitraire ou qu’elle était teintée de quelque façon de discrimination, ou même qu’elle avait été prise de mauvaise foi. Aucun des faits soumis par le plaignant n’appuie ses allégations, et rappelons-le, c’est lui qui avait le fardeau de la preuve.

[25] Les critères visant à déterminer si les défenderesses ont manqué à leur devoir de représentation équitable ont été énoncés par la Cour suprême du Canada dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509. L’agent négociateur a le pouvoir exclusif d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation. En contrepartie, il a l’obligation d’offrir une juste représentation aux salariés. Le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief. La décision de l’agent négociateur ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

[26] La Commission n’est pas un mécanisme d’appel contre un refus de représentation à l’arbitrage. Le rôle de la Commission n’est pas de remettre en question la décision de l’agent négociateur, mais plutôt de statuer, sur la base de la preuve soumise, sur le processus décisionnel de l’agent négociateur, et non sur le bien-fondé de sa décision. Le rôle de la Commission ne consiste pas à décider si la décision de Mme Robertson de ne pas représenter le plaignant à l’arbitrage était correcte ou non. La Commission doit plutôt décider si les défenderesses ont agi de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire dans le cadre du processus décisionnel menant à cette décision.

[27] À titre de représentante de l’agent négociateur, Mme Robertson avait tout à fait le droit de retirer son appui au grief pour l’arbitrage. Rien dans les faits soumis ne démontre que sa décision était arbitraire ou discriminatoire ou prise de mauvaise foi. Bien au contraire, la preuve démontre que Mme Robertson a informé le plaignant des motifs pour lesquels elle était d’avis que son grief serait rejeté par la Commission, qu’elle estimait qu’il ne recevrait aucun dédommagement, que la contre-offre était acceptable et qu’elle recommandait son acceptation, que l’Alliance pouvait se retirer du dossier et annuler l’audience et que s’il refusait la contre-offre, c’est ce qu’elle comptait faire le cas échéant. Elle lui a donné un délai pour qu’il lui indique sa réponse. Le plaignant a répondu dans le délai demandé qu’il refusait la contre-offre et a admis qu’elle pouvait annuler l’audience.

[28] Cela dit, la décision de Mme Robertson d’accepter, au nom du plaignant et contre son gré, la contre-offre de l’employeur me trouble quelque peu. Rappelons que le plaignant lui avait clairement exprimé son opposition à cette contre-offre. Ce faisant, il a aussi indiqué que si Mme Robertson annulait l’audience, il avait d’autres options. Il n’a pas précisé qu’elles étaient ses options, mais ce ne pouvait certainement pas être de poursuivre son grief à l’arbitrage, car il ne pouvait le faire sans l’appui de son agent négociateur.

[29] Selon la Loi, c’est le fonctionnaire qui peut déposer un grief et renvoyer un grief individuel à l’arbitrage, et non l’agent négociateur, comme c’est le cas dans le secteur privé. Dit autrement, sous le régime particulier des relations de travail dans la fonction publique fédérale, le grief individuel appartient au fonctionnaire, et non à l’agent négociateur. Des exemples de décisions précédentes de la Commission (Gauthier et Aéroports de Montréal, [1994] C.R.T.F.P.C. no 34 et Renaud c. Association canadiennes des employés professionnels, 2009 CRTFP 177) ont d’ailleurs énoncé que le grief individuel appartient au fonctionnaire. C’est le fonctionnaire qui dépose, et par la suite, poursuit un grief individuel. Par le fait même, lui seul peut accepter une offre de règlement de l’employeur en vertu des droits statutaires accordés par les sous-alinéa 208(1)a)(ii) et de l’alinéa 209(1)a) de la Loi.

[30] Sur cette base, Mme Robertson ne pouvait accepter au nom du plaignant la contre‑offre de l’employeur, compte tenu qu’il lui avait clairement laissé savoir qu’il jugeait que la contre-offre était inacceptable. Le plaignant devait au préalable signifier son accord pour que la contre-offre puisse être acceptée. En acceptant la contre-offre sans l’accord du plaignant, Mme Robertson a manqué à son devoir de représentation. Elle a fait fi de la position du plaignant et a réglé le grief contre sa volonté clairement exprimée.

[31] Les défenderesses pouvaient donc, selon la Loi, retirer leur appui au grief après en avoir fait l’analyse, usant de bonne foi et le faisant sans discrimination. C’est ce qu’a fait Mme Robertson et, ce faisant, elle ne manquait en rien à son devoir de représentation équitable. Elle a aussi essayé de négocier une entente avec l’employeur. Même si elle ne pouvait accepter d’entente sans le consentement du plaignant, ultimement, elle l’a fait et elle a alors agi de façon arbitraire dans sa représentation en imposant une entente au plaignant. Cependant, sa décision d’accepter la contre-offre n’a pas causé de préjudice au plaignant. Au contraire, le résultat de cette décision a fait en sorte que le plaignant reçoive 1 100 $ de l’employeur. Autrement, il n’aurait rien reçu.

[32] Bien que je conclus que les défenderesses ont agi de façon arbitraire en acceptant la contre-offre, je juge qu’il n’y a pas d’autres mesures de réparation appropriées à ordonner relativement à cette plainte.

[33] Qui plus est, je n’accueille la plainte qu’en partie. Dans sa plainte, le plaignant dénonçait le fait que l’audience de son grief en arbitrage avait été annulée et il demandait à la Commission de fixer une audience pour l’arbitrage de son grief. Or, la Loi permettait aux défenderesses de ne pas poursuivre le grief à l’arbitrage. J’ai déjà conclu que, ce faisant, elles n’avaient pas manqué à leur devoir de représentation. Leur appui étant essentiel pour la poursuite du grief à l’arbitrage, la Commission ne peut évidemment procéder à une audience pour l’arbitrage du grief sans l’appui de l’agent négociateur.

[34] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IV. Ordonnance

[35] La plainte est accueillie en partie.

[36] Je déclare que les défenderesses ont contrevenu à l’art. 187 de la Loi en acceptant l’offre de règlement de l’employeur sans le consentement du plaignant.

Le 26 février 2021.

Renaud Paquet,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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