Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé était un surintendant des agents des services frontaliers à un point d’entrée des États-Unis – il s’est vu imposer une suspension de trois jours pour son rôle lors de deux incidents de travail – pour ce qui est du premier incident, il aurait autorisé plusieurs agents à quitter leur poste et à traverser la frontière pour acheter de la bière pour eux mêmes et le fonctionnaire s’estimant lésé, sans s’assurer que les droits de douane et les taxes ont été payés pour ces achats – pour ce qui est du deuxième incident, l’employeur a allégué que le fonctionnaire s’estimant lésé avait enfreint les procédures d’exploitation applicables et certaines parties du Code de conduite lorsqu’il n’a pas ordonné à deux agents de revenir par radio lorsqu’ils ont poursuivi le véhicule d’un fuyard inconnu au-delà de la frontière du point d’entrée, contrairement à la politique, et qu’il est plutôt allé les chercher – dans le cas du premier incident, la Commission a déterminé qu’il y avait eu lieu d’imposer une mesure disciplinaire en raison du rôle du fonctionnaire s’estimant lésé en tant que superviseur qui a facilité l’achat d’alcool sans pleinement tenir compte de la question de savoir si l’absence des agents aurait des répercussions négatives sur les opérations – toutefois, la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait contrevenu à aucune politique en vigueur à l’époque lorsqu’il ne s’est pas assuré qu’ils paient les droits de douane et les taxes sur la bière ou lorsqu’il ne les a pas payés personnellement pour la bière qu’ils ont acheté pour lui – la Commission a également conclu que le souhait d’un employeur d’envoyer un message aux autres employés ne constitue pas un motif sur lequel une mesure disciplinaire devrait être fondée – en outre, le fait de regrouper deux incidents distincts afin de parvenir à une suspension de trois jours est inapproprié – dans le cas du deuxième incident, la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’était livré à aucune inconduite et n’avait pas contrevenu au Code de conduite – au contraire, elle a conclu qu’il avait bien géré l’incident compte tenu des circonstances et qu’il avait fait preuve de professionnalisme et de leadership à la suite de l’incident – la Commission a annulé la mesure disciplinaire liée au deuxième incident – compte tenu de nombreux facteurs atténuants, y compris l’excellent dossier de rendement du fonctionnaire s’estimant lésé, la Commission a conclu qu’une réprimande écrite aurait constitué une mesure disciplinaire appropriée pour cette inconduite – la Commission a ordonné que la suspension soit radiée du dossier personnel du fonctionnaire s’estimant lésé et de tout autre dossier à son égard, et que l’employeur verse au fonctionnaire s’estimant lésé le salaire et les avantages perdus en raison de sa suspension.

Grief accueilli.

Contenu de la décision

Date: 20210129

Dossier: 566‑02‑14160

 

Référence: 2021 CRTESPF 9

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

TREVOR SMITH

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

Administrateur général

(Agence des services frontaliers du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Smith c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Nancy Rosenberg, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Lui‑même

Pour le défendeur : John Craig, avocat

Affaire entendue à Medicine Hat (Alberta),

du 4 au 6 juin 2019,

et par arguments écrits déposés le 21 juin et les 5 et 19 juillet 2019.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

[1] En 2007, Trevor Smith, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a commencé à travailler auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC ou l’« employeur ») comme agent des services frontaliers (ASF ou « agent »). Il est devenu un surintendant à temps plein au point d’entrée (PDE) à Coutts, en Alberta, le 18 novembre 2014. De toute évidence, le fonctionnaire était un excellent employé et un employé dévoué. Il avait un dossier disciplinaire vierge jusqu’au 12 octobre 2016, date à laquelle il s’est vu imposer une suspension de trois jours pour son rôle dans deux incidents de travail, les deux étaient survenus l’année précédente.

[2] Le premier est survenu le 22 juillet 2015 et est appelé l’incident [traduction] « obtention de la bière ». Le fonctionnaire a autorisé trois ASF à prendre la commande d’autres agents et de lui‑même, de quitter le PDE pour acheter de la bière qui était en vente au magasin hors taxe à Sweet Grass, au Montana. Les agents JL, RE et CV ont déclaré chacun cinq caisses de bière au moment de leur retour. L’agent MF, l’agent chargé de l’inspection primaire affecté à la voie NEXUS d’où ils sont revenus ne les a pas renvoyés à l’intérieur pour payer les droits de douane et les taxes sur la bière, et ils n’en ont payé aucun.

[3] Le fonctionnaire a également autorisé l’agent WM à effectuer une mission semblable deux heures plus tard. L’agent LN, l’agent chargé de l’inspection primaire, ne l’a pas renvoyé pour payer les droits de douane et les taxes, mais il y est allé de son propre chef et il les a payés sur les cinq caisses de bière et deux bouteilles d’alcool qu’il avait achetées pour lui‑même et un autre agent. Toutefois, ce faisant, l’agent WM a rempli son propre formulaire B15 pour effectuer le paiement, ce qui constitue une violation de la politique.

[4] L’employeur a allégué que le fonctionnaire avait manqué à ses fonctions lorsqu’il a autorisé les agents à quitter leur poste pendant leur quart et qu’il a autorisé un traitement préférentiel lorsqu’il a omis de s’assurer qu’ils paient les droits de douane et les taxes sur la bière qu’ils ont importée, ce qui comprenait ses deux caisses. Ce faisant, il a contrevenu à la partie B (Responsabilisation et conduite professionnelle), à la partie C (Conduite d’un leader), et à l’article 12 (Manquement au devoir) partie D (Normes de conduite attendue) du Code de conduite de l’ASFC.

[5] Je conclus que le fonctionnaire a violé les parties B, C et D du Code de conduite lorsqu’il a autorisé les agents à quitter leur poste sans s’assurer qu’ils étaient en pause et sans pleinement tenir compte de la question de savoir si l’absence de trois agents en même temps aurait des répercussions négatives sur les opérations. Toutefois, je conclus que le fonctionnaire n’a violé aucune politique en vigueur à l’époque lorsqu’il ne s’est pas assuré qu’ils paient les droits de douane et les taxes sur la bière ou lorsqu’il ne les a pas payés personnellement pour ses deux caisses.

[6] Le deuxième incident est survenu le 12 novembre 2015 et est appelé l’incident du [traduction] « fuyard ». Deux ASF inexpérimentés, les agents CV et TK, ont poursuivi un fuyard au‑delà de la frontière du PDE, contrairement à la politique. L’employeur a reconnu le fonctionnaire coupable d’inconduite lorsqu’il ne leur a pas ordonné de revenir par radio et qu’il est plutôt allé les chercher. L’employeur a allégué qu’il avait violé la Procédure normale d’exploitation de l’ASFC sur le recours à la force et le signalement d’incidents de recours à la force (article 2.4.1), le Prairie Region Port Runner Protocol et le Code de conduite : partie B (Responsabilisation et conduite professionnelle) et l’article 12 (Manquement au devoir) de la partie D (Normes de conduite attendue).

[7] L’employeur n’a pas établi que le fonctionnaire avait violé l’une ou l’autre de ces politiques. Je conclus qu’il ne s’est livré à aucune inconduite dans la façon dont il a traité l’incident du fuyard. Au contraire, à mon avis, il a bien géré l’incident compte tenu des circonstances et a fait preuve de professionnalisme et de leadership à la suite.

II. Témoignages des témoins

[8] L’employeur a cité à témoigner Marlene St. Onge, la chef des opérations par intérim au PDE de Coutts au moment des deux incidents et Kevin Hewson, le directeur du district pour le district du Sud de l’Alberta et du Sud de la Saskatchewan (DSASS). Le directeur Hewson a mené une enquête de recherche des faits relative à l’incident d’obtention de la bière et a déterminé l’ampleur de la mesure disciplinaire « combinée » pour les deux incidents.

[9] Il a également cité à témoigner Michael Fogarty, qui a mené l’enquête de recherche des faits relative à l’incident du fuyard. M. Fogarty avait été le surintendant des opérations en Saskatchewan, mais avait été affecté à un poste comportant des mesures d’adaptation qui avait été créé pour lui dans l’Unité régionale de l’intégrité. Il a décrit ses fonctions comme consistant à aider le directeur général régional Kim Scoville et Michael Shoobert à mener des enquêtes administratives qui avaient été renvoyées à la région par l’unité des Enquêtes des normes professionnelles (ENP) à Ottawa. C’est en cette qualité qu’il a été chargé de mener l’enquête de recherche des faits à l’égard du fuyard.

[10] Le témoignage n’a pas décrit en détail ni l’Unité régionale de l’intégrité elle-même ni le grade ou le rôle de M. Shoobert dans l’incident, mais le directeur Hewson le désignait comme le chef de l’unité. Même s’ils ont clairement participé à diriger l’enquête sur les deux incidents, ni M. Shoobert ni le DGR Scoville n’ont témoigné.

[11] Le fonctionnaire n’a cité aucun témoin à témoigner. Il n’a pas témoigné et n’a donc pas été soumis à un contre‑interrogatoire. Il a fourni une preuve documentaire et a déposé des éléments de preuve dans le cadre du contre‑interrogatoire des témoins de l’employeur.

[12] Tous les agents des services frontaliers mentionnés dans la présente décision sont désignés uniquement par leurs initiales, afin de préserver leur vie privée.

III. L’incident de l’obtention de la bière

A. Pratique antérieure

[13] Le fonctionnaire estimait que les agents de Coutts se rendaient souvent aux États‑Unis (É.‑U.) pendant leurs pauses pour acheter des marchandises ou pour ramasser des colis. Il ne pensait pas qu’il autorisait quoi que ce soit de différent de la norme ou contraire à la politique.

[14] Il est ressorti de la preuve que le fonctionnaire avait une certaine raison de le croire. La chef par intérim St. Onge a témoigné qu’il s’agissait d’une pratique courante dans le passé lorsqu’une différente configuration des deux points d’entrée signifiait que, avec une courte marche d’un bout à l’autre du parc de stationnement, une personne se trouvait à une boutique hors taxe aux É.‑U. Cependant, il était clair que la pratique, même si elle était moins fréquente, n’avait certainement pas cessé. La fréquence ou la généralité de la pratique, les règles relatives à cette question ou la mesure dans laquelle la participation sans suivre les règles a été tolérée n’étaient pas claires.

[15] La convention collective applicable prévoit une pause‑repas non payée de 30 minutes et deux pauses payées de 15 minutes. Il semble que, pendant cette période, un voyage à une boutique hors taxe peut prendre environ 40 minutes. La chef par intérim a témoigné que parfois les employés demandent un congé de courte durée dans l’éventualité où ils ne reviennent pas à temps pendant leur pause‑repas de 30 minutes. Aucun congé de la sorte n’avait été demandé ou accordé dans le présent cas. Toutefois, le fonctionnaire avait compris que les agents utilisaient leurs périodes de repos pour combler la lacune de temps.

[16] Le directeur Hewson a témoigné qu’il n’aurait pas été acceptable de combiner les pauses‑repas et les périodes de repos pour couvrir la période de 40 minutes pendant laquelle ils étaient absents du lieu de travail. Toutefois, la chef par intérim St. Onge a indiqué clairement que ni la convention collective ni la politique n’interdisaient cette pratique. En contre-interrogatoire, le directeur Hewson ne s’y est pas opposé.

[17] Cependant, il a également témoigné que, même si les agents étaient légitimement en pause, ils n’auraient jamais dû être autorisés à quitter le PDE ou à entrer aux États‑Unis. La chef par intérim St. Onge a précisé qu’il n’existait aucune interdiction de la sorte. En contre‑interrogatoire, le directeur Hewson a reconnu qu’il n’existait aucune obligation de rester au PDE pendant les pauses‑repas non payées. De plus, selon la seule restriction imposée aux périodes de repos payées de 15 minutes, ils étaient assujettis aux exigences opérationnelles, déterminées par les surintendants.

[18] Ces voyages dans le sud avaient été discutés par la direction lors de ses réunions. Le procès‑verbal d’une séance d’information de 2012 fait état d’un membre de la direction qui soulève la question suivante :

[Traduction]

[…] des ASF quittent le PDE pour se rendre dans le Sud pour ramasser des colis et/ou acheter de l’essence pendant une période rémunérée et ils sont partis pendant une période prolongée – parfois sans en informer les surintendants. Il faut mettre fin à cette pratique. Il est suggéré que ce message devrait être communiqué aux ASF individuels puisqu’il ne s’applique pas à tous les employés.

 

[19] Le directeur Hewson a demandé aux agents qu’il a interrogés aux fins de la recherche des faits si des activités d’obtention de bière constituaient une pratique courante à Coutts. Voici certaines de leurs réponses, telles qu’elles ont été consignées dans ses notes :

[Traduction]

ASF JL : « Il ne s’agit pas d’une pratique courante dont j’ai connaissance. Je crois que cette situation est survenue, car la bière était en vente ce jour‑là. Cette situation est survenue dans le passé, peut‑être pas en tant que groupe, mais je connais des agents qui y sont allés dans le passé pour ramasser des colis à Sweet Grass. »

ASF WM : « Étant donné que la bière était moins chère et qu’il était courant pour les agents de se rendre à un entreposage frontalier ou d’aller chercher quelque chose pendant leur pause‑repas […] il s’agissait d’une pratique courante de s’y rendre pendant ta pause‑repas. »

ASF MF : « Je sais qu’ils le font, pendant leur pause‑repas ou à la fin de leur jour de travail, mais je n’ai aucune idée quant à la fréquence. »

 

[20] Le directeur Hewson a également soulevé cette question dans son rapport du 14 août 2015 envoyé par courrier électronique au DGR Scoville et à Michael Shoobert, qui décrivait les résultats, à ce stade, de son enquête sur l’incident concernant l’obtention de la bière. Il a conclu comme suit :

[Traduction]

Cette question peut soulever d’autres questions semblables concernant le fait que les employés qui quittent le lieu de travail pour recueillir des colis ou pour acheter des marchandises aux États‑Unis dépassent leur période de repas ou le font pendant leur quart.

[Je mets en évidence]

 

[21] Il ressort de la preuve qu’en général ces voyages étaient considérés comme acceptables s’ils étaient effectués pendant la pause‑repas de 30 minutes ou la pause‑repas plus un court congé ou pendant la pause‑repas plus les périodes de repos de 15 minutes avec l’autorisation d’un surintendant. En d’autres termes, à condition qu’ils ne l’effectuent pas pendant une période rémunérée.

[22] Toutefois, le procès‑verbal de la séance d’information de la direction et le courriel du directeur Hewson laissent entendre que l’employeur était au courant du fait que, parfois, ces voyages dépassaient la pause‑repas, sans un court congé ou l’utilisation d’une période de repos et, par conséquent, chevauchaient la période rémunérée. Il n’y avait aucune preuve que, malgré le fait que l’employeur était au courant, l’employeur ait pris des mesures pour y mettre fin. Par conséquent, je conclus qu’avant l’incident de l’obtention de la bière, cette pratique avait été tolérée, et donc acceptée.

[23] En tant que surintendant assez nouveau, le fonctionnaire estimait qu’il suivait la pratique lorsqu’il a donné son approbation. Dans ses rapports écrits, son entrevue de recherche des faits et ses commentaires prédisciplinaires, le fonctionnaire a indiqué qu’il n’avait suivi aucune formation particulière lorsqu’il est devenu un surintendant et qu’il avait simplement tenté de suivre ce qui avait été fait dans le passé. J’estime que le fonctionnaire croyait réellement, et qu’il avait des raisons de croire, qu’il s’agissait d’une norme acceptable en milieu de travail et qu’il ne l’aurait pas par ailleurs autorisé ou y participer.

[24] Néanmoins, même si les éléments de preuve n’ont pas permis d’établir de façon concluante que les trois agents avaient quitté leur poste pendant la période rémunérée, conformément aux allégations, il était clair que le fonctionnaire avait omis de s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’une période rémunérée ou de tenir compte des répercussions possibles sur les opérations. Par conséquent, malgré l’élément d’acceptation, en tant que surintendant, il lui incombait de connaître et d’appliquer la politique, plutôt que de prendre une décision en fonction de ce qu’il avait constaté dans le passé et croyait être la norme. Il aurait dû vérifier auprès d’un surintendant plus chevronné ou avec la chef par intérim. La chef par intérim St. Onge a témoigné qu’elle n’aurait pas autorisé l’obtention de la bière si elle avait été consultée.

[25] La chef par intérim St. Onge était un témoin raisonné et crédible. Son témoignage indiquait clairement que de telles absences étaient acceptables en fonction d’un congé approuvé ou d’une combinaison de pauses, mais ne devraient pas être autorisées pendant une période occupée.

B. Le port d’uniformes

[26] Le directeur Hewson a affirmé en outre que les agents avaient traversé la frontière pendant qu’ils portaient leur uniforme. En contre‑interrogatoire, il ne pouvait pas expliquer comment il était parvenu à cette détermination. Il ne les avait pas vus traverser ni n’avait visionné la séquence vidéo, et il ne pouvait pas dire ce qu’ils portaient ou si leur insigne était caché.

[27] Même si le fait de porter leur uniforme et que leur insigne était visible aurait été une violation grave du Code de conduite, le directeur Hewson n’a pas demandé aux agents, lors des entrevues de recherche des faits, s’ils avaient porté leur uniforme ou s’ils avaient caché leur insigne. Deux des agents avaient fourni volontairement des renseignements selon lesquels ils avaient enlevé les éléments appropriés de leur uniforme, mais eux non plus n’ont pas été interrogés davantage à ce sujet.

[28] Le directeur Hewson a simplement témoigné à l’audience, sans aucun fondement de la déclaration, qu’ils portaient leur uniforme lorsqu’ils ont traversé la frontière en laissant entendre qu’il s’agissait d’un autre acte d’inconduite de la part des agents dont était responsable le fonctionnaire. En contre‑interrogatoire, il a été interrogé au sujet de la raison pour laquelle les agents n’avaient pas fait l’objet d’une enquête ou d’une mesure disciplinaire pour avoir porté leur uniforme à la boutique hors taxe. Après tout, s’ils l’avaient fait, cela aurait été une grave inconduite. Il a répondu : [traduction] « bon point ».

C. Incidence sur les opérations

[29] Lorsque le directeur Hewson a demandé au fonctionnaire la raison pour laquelle il avait laissé les agents quitter pendant la période la plus occupée de la journée, le fonctionnaire a dit qu’il ne s’en souvenait pas, mais qu’il y avait probablement un répit dans la circulation. Il ressort de la preuve qu’il n’y a eu aucun répit dans la circulation. Toutefois, il ne s’agissait pas non plus de la période la plus occupée de la journée. Les registres de circulation indiquent que la période la plus occupée de la journée était de 12 h à 13 h, suivie par la période de 14 h à 15 h et que la période de 16 h à 17 h (période pendant laquelle les ASF étaient absents) était la troisième heure la plus occupée de la journée. Malgré les documents clairs, le rapport sur l’enquête de recherche des faits du directeur Hewson indiquait que le fonctionnaire avait autorisé les ASF à quitter pendant l’heure la plus occupée de la journée.

[30] Le directeur Hewson a signalé que la circulation commerciale de 16 h était reculée jusqu’à la passerelle sur le côté américain et que le temps d’attente était de 15 minutes. Il a porté une attention importante à ce fait dans son témoignage. Il a dit que cela était inacceptable, qu’une deuxième voie commerciale doit être ouverte lorsqu’il y a un temps d’attente de 20 minutes et que cela n’empêche pas d’en ouvrir une plus tôt si les ressources sont disponibles. Le faire aide à prévenir le retard dans la circulation, qui exige plus de temps à vérifier une fois qu’il y a un retard. Il a laissé entendre que l’absence des agents a causé le temps d’attente inacceptable ou y a contribué et a empêché l’ouverture d’une deuxième voie requise.

[31] La chef par intérim St. Onge a témoigné que les temps d’attente de 20 minutes dans la voie commerciale n’étaient pas inhabituels. Il est ressorti de la preuve documentaire que, pendant le mois de juillet 2015, les temps d’attente de 20 minutes dans la voie commerciale sont survenus 66 fois, c’est‑à‑dire, plus de deux fois par jour, chaque jour, en moyenne. En contre‑interrogatoire, le directeur Hewson a convenu que les temps d’attente de 20 minutes dans la voie commerciale n’étaient pas rares, surtout pendant l’été, n’étaient pas déraisonnables et qu’il n’existait aucune politique qui exigeait l’ouverture d’une deuxième voie lorsque cette situation survenait.

[32] La chef par intérim St. Onge a témoigné qu’en raison du chevauchement des quarts, le quart de 12 h 30 à 18 h est la période de la journée qui compte le plus de membres du personnel et que les pauses sont donc presque toujours prévues pendant cette période. Il y avait 15 agents en service pendant cette période. Elle n’estimait pas que l’absence des agents avait causé le retard. Toutefois, je fais remarquer que, dès leur retour, une deuxième voie a été ouverte pour traiter le retard dans la voie commerciale.

[33] La chef par intérim St. Onge a témoigné que l’un des agents absents avait été appelé à aider à une saisie d’armes à feu pendant l’inspection secondaire et qu’il n’avait pas répondu. Elle a fait remarquer qu’il a fallu une heure et 40 minutes pour effectuer l’inspection, ce qui n’était pas déraisonnable et qui était plus rapide que la normale. Elle a également mentionné que les agents avaient suivi une formation complète pour effectuer des saisies et des inspections d’armes à feu de manière indépendante et qu’il était courant de le faire dans les petits PDE où le nombre minimal d’agents en service est deux agents. Toutefois l’ASF qui devait travailler au bureau avait dû répondre à l’appel concernant l’arme à feu.

[34] Le directeur Hewson a indiqué qu’il y avait plusieurs employés qui faisaient des heures supplémentaires et que, s’ils n’étaient pas nécessaires, ils auraient dû être envoyés à la maison. Toutefois, la chef par intérim St. Onge a précisé que ces agents travaillaient des heures supplémentaires, car ils remplaçaient des employés qui étaient en congé.

D. Qui est responsable du paiement des droits de douane et des taxes?

[35] Chacun des trois agents a importé cinq caisses de bière, dont certaines étaient destinées à trois autres agents. Deux étaient destinées au fonctionnaire. Les agents importateurs ont bien déclaré la bière, mais n’ont pas été renvoyés à l’intérieur par l’agent chargé de l’inspection primaire pour payer les droits de douane et les taxes. Ils ne les ont pas payés, ni le fonctionnaire ni les trois autres agents qui ont reçu des caisses ne les ont payés. Quinze mois plus tard, lors de son audience prédisciplinaire le 12 septembre 2016, le fonctionnaire a payé 12,72 $ au titre des droits de douane et taxes sur ses deux caisses.

[36] Le témoignage du directeur Hewson quant à savoir qui était responsable de payer les droits de douane et les taxes, le cas échéant, n’était pas clair et était contradictoire. Il a dit que les importateurs qui apportent la bière sont tenus de payer tous les droits de douane et toutes les taxes, peu importe si une quantité était destinée à d’autres personnes. Cependant, il a également convenu que les bénéficiaires pourraient rencontrer les importateurs à la frontière et payer les droits de douane et les taxes et il a dit que les bénéficiaires auraient dû avoir payé les droits de douane et les taxes sur leur bière. Il a également indiqué que les agents sont revenus par la voie NEXUS et que les règles de la voie NEXUS exigent que toute importation soit personnelle et ne peut être destinée à d’autres personnes. Cependant, le fonctionnaire a contesté l’explication des règles de la voie NEXUS par le directeur Hewson en indiquant qu’elle est erronée et en affirmant que les importations personnelles dans le contexte des règles de la voie NEXUS signifiaient qu’elles ne devaient pas être de nature commerciale. Les règles de la voie NEXUS n’ont pas été déposées en preuve.

[37] La chef par intérim St. Onge a confirmé que les bénéficiaires peuvent demander à d’autres voyageurs d’importer des marchandises en leur nom en leur donnant une autorisation écrite. Elle a dit que cela survient parfois au PDE de Coutts et a donné des exemples de clubs d’achat de vin qui avaient été autorisés à importer du vin pour des amis avec une autorisation. Cette pratique a été acceptée pendant certaines périodes au PDE et elle n’a pas été acceptée pendant d’autres. Son témoignage a révélé que les règles sont interchangeables. Elle a également confirmé que les bénéficiaires peuvent rencontrer les importateurs et payer les droits de douane et les taxes applicables.

[38] Toutefois, les bénéficiaires de la bière dans la présente affaire, même s’ils étaient présents au PDE, n’ont pas rencontré les agents qui revenaient pour payer les droits de douane et la taxe sur leurs commandes d’une ou de deux caisses chacun. Il ne ressort pas non plus de la preuve qu’ils ont fourni à leurs collègues une autorisation écrite d’importer la bière pour leur compte.

[39] Le directeur Hewson ne pouvait pas expliquer clairement qui était responsable de payer les droits de douane et les taxes applicables. Je conclus qu’il ne le savait tout simplement pas. Toutefois, malgré l’absence totale de clarté quant aux règles, il a toujours insisté sur le fait que le fonctionnaire aurait dû s’assurer que les importateurs paient les droits de douane et les taxes sur toute la bière, y compris ses deux caisses et qu’il aurait dû avoir payé les droits de douane et les taxes sur ses deux caisses.

[40] Évidemment, la question de savoir qui devrait payer ne doit être répondue que si des droits de douane et des taxes devaient être payés. Cette décision, selon ce que je comprends, relève des agents chargés de l’inspection primaire. Une fois qu’un voyageur déclare des marchandises occasionnelles, il incombe à l’agent chargé de l’inspection primaire de décider s’il dédouane les marchandises sans exiger le paiement ou s’il renvoie le voyageur à l’intérieur pour payer les droits de douane et les taxes. Cette décision est appelée le [traduction] « dédouanement » ou le [traduction] « renvoi ». Le dédouanement est également appelé [traduction] « passage accéléré en franchise ».

E. Quels étaient les seuils du passage accéléré en franchise?

[41] Le directeur Hewson a déclaré catégoriquement que, selon la politique de l’ASFC, le passage accéléré en franchise ne s’appliquait qu’aux marchandises déclarées dont la valeur des droits de douane et des taxes correspondant à au plus 3 $. Ce seuil a été établi en 1999 dans la note de service R17‑1‑3, qui est encore en vigueur. On ne renonce pas à tout montant supérieur à 3 $, selon le directeur Hewson, même s’il ne pouvait pas dire quand il avait informé le personnel de ce fait. Bien qu’il ait été interrogé en contre‑interrogatoire en fonction d’un grand nombre d’éléments de preuve indiquant que la politique n’était plus généralement appliquée, que les agents exerçaient leurs propres pouvoirs discrétionnaires et qu’un seuil d’environ 15 $ à 20 $ avait été utilisé couramment pendant des années, il a insisté sur le fait que le seuil s’élevait à 3 $.

[42] Le directeur Hewson a été interrogé au sujet de ses priorités déclarées pour le PDE. Il a reconnu que, lorsqu’il est arrivé en 2009, il estimait fortement que les employés devaient détourner leur attention de la collecte de petits montants de droits de douane et concentrer plutôt leurs efforts sur le volume croissant d’activités à risque élevé. Il a convenu que les membres du personnel avaient été informés fortement et à maintes reprises qu’il s’agissait également d’une principale priorité du DGR Scoville. Il avait expliqué ces attentes dans une note de service du 25 mai 2010 et adressé à tous les PDE dans son district et intitulée [traduction] Principales priorités du district du Sud de l’Alberta. À la suite d’une discussion sur les groupes du crime organisé et de la quantité de contrebande qui traversait la frontière, cette note de service a été conclue comme suit :

[Traduction]

Nous devons mettre l’accent sur les activités directement devant nous. Afin de réussir à régler ces types de problèmes, nous devons mettre l’accent sur quelques principales priorités et ensuite examiner minutieusement les autres activités que nous exerçons. Ces priorités comprendront ce qui suit :

• Questions de sécurité nationale

• Déterminer et traiter la grande criminalité (DTGC)

• Passer à un effectif entièrement intégré (vision du PDE)

• Saisies de quantités importantes de contrebande – drogues, armes et produits de la criminalité

• Déterminer les cas de contrebande ou de fraude auxquels des accusations au criminel peuvent être déposées

• Recueillir le renseignement sur les cibles ou les expéditions à risque élevé

• Mettre en œuvre une politique rigoureuse sur l’interception dans le cadre de la surveillance

• Questions liées directement à la sécurité et à la sûreté du public (p. ex. les types d’activités concernant le pouvoir des agents ou une intervention lors d’événements majeurs, etc.

En mettant l’accent sur les principales priorités comme celles‑ci et en éliminant certaines des autres activités plus traditionnelles (la perception de droits de douane de peu de valeur, les saisies de peu de valeur), nous serons mieux placés pour gérer les activités à risque élevé, dont certaines sont énumérées ci‑dessus.

[Je mets en évidence]

 

[43] À la question de savoir ce qu’il entendait par l’expression [traduction] « en éliminant », le directeur Hewson a dit qu’avec le recul, il aurait dû dire [traduction] « en réduisant » plutôt que [traduction] « en éliminant » parce que la perception de droits de douane et des taxes constitue une partie importante des travaux de l’Agence. Toutefois, dans un courriel du 9 janvier 2011 à l’intention des chefs de son district concernant une saisie de drogues importante, il a encore ordonné au personnel de [traduction] « éliminer » ces activités puisqu’elles ne répondaient plus au mandat. Il a mis au défi les chefs dans son district d’évaluer leur pertinence :

[Traduction]

Comme je l’ai dit antérieurement – en tant que district, nous devons mettre l’accent sur les activités directement devant nous. Je crois que la quantité de contrebande transportée à l’aide de nos PDE par le crime organisé est à la baisse […] À mesure que nous continuons de mettre l’accent sur les priorités ci‑dessous et que nous éliminons certaines des « activités » plus « traditionnelles » qui ne correspondent plus à notre mandat de l’ASFC […] notre succès continuera à croître.

Encore une fois, je tiens à vous inviter chacun à mettre l’accent sur les principales priorités et ensuite à examiner et à évaluer la pertinence des autres activités que nous entreprenons. Je tiens également à reconnaître chacun de vous qui relève ce défi et qui applique quotidiennement notre mandat […] vos efforts ne passent pas inaperçus.

Ces priorités comprennent :

• Questions de sécurité nationale

• Déterminer et traiter la grande criminalité (DTGC)

• Saisies de quantités importantes de contrebande – drogues, armes et produits de la criminalité

• Déterminer les cas de contrebande ou de fraude auxquels des accusations au criminel peuvent être déposées

• Recueillir le renseignement sur les cibles ou les expéditions à risque élevé

• Questions liées directement à la sécurité et à la sûreté du public

Félicitations aux agents au PDE de Coutts qui ont effectué cette saisie importante la plus récente. Il s’agit d’une saisie qui a établi la norme de lutte contre les drogues, tant au sein qu’à l’extérieur du district.

[Je mets en évidence]

 

 

[44] En tant que commentaire supplémentaire, le lendemain, le fonctionnaire a reçu une lettre de félicitations pour son rôle dans cette saisie de drogues provenant du directeur régional général par intérim de l’époque le remerciant de ses [traduction] « efforts extraordinaires » et de son [traduction] « professionnalisme dans la gestion de cet événement important ».

[45] Dans un document de 2014 intitulé [traduction] Mise à jour sur les Opérations et l’application au PDE de la région des Prairies, le DGR Scoville a utilisé un libellé presque identique pour communiquer le même message et a conclu comme suit :

[Traduction]

En mettant l’accent sur les principales priorités comme celles‑ci et en éliminant certaines des autres activités plus traditionnelles (perception de droits de douane de faible valeur, saisies de faible valeur, questions de DTGC, etc.) nous serons mieux placés pour gérer les activités à risque élevé […] dont certaines sont énumérées ci‑dessus. Lorsque vous assumez un rôle primaire ou secondaire, vous devez tenir compte de ces priorités et vous devez y mettre l’accent. Pendant des périodes de circulation lente, vous pouvez avoir la possibilité d’explorer d’autres activités. Toutefois, vos fonctions quotidiennes doivent toujours être axées sur ces priorités. Elles font toutes partie d’une entité d’application de la loi armée et plus professionnelle.

[Je mets en évidence]

 

[46] Toutefois, malgré cette claire poussée vers un autre accent et en s’éloignant de la perception de droits de douane de faible valeur, le directeur Hewson a témoigné qu’il ne croyait pas que les agents estimaient qu’il existait un seuil officieux de 15 $ à 20 $ aux fins du passage accéléré en franchise qu’ils pouvaient appliquer selon leur discrétion.

[47] De plus, même s’il assistait parfois aux réunions de la direction dans son district et examinait les procès‑verbaux lorsqu’il ne pouvait pas y assister, il n’était pas au courant que ses gestionnaires avaient discuté des questions inhérentes au fait de se fier à la discrétion d’un agent, les taux divers de passage accéléré en franchise ou l’idée d’établir une norme uniforme. Toutefois, la chef par intérim St. Onge a témoigné que les gestionnaires avaient beaucoup discuté d’établir un seuil uniforme.

[48] Le procès‑verbal d’une séance d’information de la direction du 19 juillet 2010 consigne la discussion suivante :

[Traduction]

Il semble que certains agents éprouvent des difficultés à trouver un juste milieu en ce qui concerne le renvoi des voyageurs à l’intérieur ou leur accorder un passage accéléré en franchise.

 

[49] Le procès‑verbal d’une séance d’information de la direction du 16 mai 2011 énonce ce qui suit :

[Traduction]

Doug a signalé que pendant la séance d’information de dimanche, le personnel a exprimé des préoccupations concernant la dotation et la perception des droits de douane et des taxes. Il a été proposé que certains ASF avaient besoin d’éclaircissements relatifs à la FRCS [formation sur le renforcement des compétences secondaires]. La FRCS a pour objet de passer outre les petites choses afin de se concentrer sur les grosses choses.

 

[50] Le procès‑verbal d’une séance d’information de la direction du 20 février 2012 consigne ce qui suit :

[Traduction]

La saison des retraités migrateurs s’approche à grands pas. On discute des incohérences d’un kiosque à l’autre au bureau. On a décidé que la direction établirait le seuil de passage accéléré en franchise et qu’elle assumerait la responsabilité d’en informer le personnel. L’équipe de direction en discutera et rendra une décision à une date ultérieure.

 

[51] Le procès‑verbal d’une séance d’information de la direction du 27 février 2012 énonce ce qui suit :

[Traduction]

Maureen a indiqué que le taux de passage accéléré en franchise avait été établi de 15 $ à 20 $. Il a été suggéré que cette question se réglerait par elle‑même.

 

[52] Le directeur Hewson ne se souvenait pas du fait que cette question avait été discutée pendant la réunion de l’équipe de direction du district du Sud de l’Alberta et du Sud de la Saskatchewan tenue le 7 janvier 2015 qu’il avait organisée et à laquelle il a assisté. Il a été renvoyé à son courriel du 5 janvier 2015 dans lequel il a été informé que le DGR Scoville rencontrerait l’équipe de direction. L’ordre du jour joint énonçait [traduction] « Formulaire B15 Directive et seuil – Trevor S. » en tant que sujet de discussion pour la réunion.

[53] De même, il n’était pas au courant du fait que le sujet avait été discuté au niveau du Comité de direction régional. Le procès‑verbal de la réunion du 22 octobre 2013 consigne une discussion sur les divers aspects de la question, par exemple, [traduction] « Seuils – sont‑ils conformes à ceux des autres régions? »

[54] Le directeur Hewson a reconnu qu’il était au courant du document [traduction] Stratégie nationale des périodes de pointe – Évaluation de la période de pointe de l’été 2013. Entre autres, cette étude indiquait ce qui suit : [traduction] « Un examen des données du formulaire B15 indique la possibilité qu’un renvoi relatif au formulaire B15 soit géré de manière différente à l’échelle régionale et que chaque région a son propre processus comportant des politiques officieuses sur le passage accéléré en franchise au PDE. » Il a recommandé que les lignes directrices relatives au traitement du formulaire B15 et les seuils fassent l’objet d’un examen et de modifications, au besoin.

[55] Il est ressorti clairement de la preuve que, pendant un certain nombre d’années, cette question a été discutée à tous les niveaux : au PDE, dans le district et aux niveaux régional et national. Elle avait même fait l’objet des médias; deux rapports médiatiques de 2013 et de 2014 ont été déposés en preuve. Il s’agissait d’une question controversée touchant un certain nombre d’intérêts concurrentiels : un mouvement efficace à travers la frontière, des questions de dotation et les frais liés aux heures supplémentaires, la nécessité de mettre l’accent sur les ressources à risque élevé et les questions de sécurité nationale, ainsi que l’incidence du magasinage à la frontière sur les entreprises canadiennes. Si le directeur Hewson estimait que les agents frontaliers à Coutts appliquaient la règle immuable de 3 $ établie en 1999, comme il l’a soutenu à maintes reprises, il était sans doute le seul employé de l’ASFC ou membre du public qui lit les nouvelles, qui croyait ainsi.

[56] La chef par intérim St. Onge, d’autre part, a reconnu que le seuil de 3 $, même s’il n’a jamais été officiellement révoqué, n’était pas généralement appliqué au PDE au moment de l’obtention de la bière, et qu’il n’avait pas été appliqué depuis des années. À la question de savoir si elle pouvait se rappeler si le directeur Hewson avait déjà informé les employés, avant l’obtention de la bière, que le seuil de 3 $ constituait le taux de passage accéléré en franchise, elle a déclaré qu’elle ne le pouvait pas.

[57] Elle a témoigné qu’elle, personnellement, suivait la règle de 3 $, mais uniquement en raison de son expérience antérieure en tant que représentante syndicale elle avait appris que le respect des politiques écrites, sans égard de la façon dont elle a été ou n’est pas appliquée, constitue la seule chose qui peut finir par sauver un employé. La chef par intérim St. Onge a indiqué très clairement qu’il s’agissait d’un choix personnel de sa part aux fins de la protection de soi. Elle estimait qu’il serait sage pour tous les agents d’en faire de même aux fins de leur protection. Cependant, elle savait qu’elle était l’une des seules personnes qui agissaient ainsi. Elle n’était en mesure que d’identifier un autre agent qui appliquait peut‑être la règle de 3 $, également en tant que choix personnel.

[58] Elle a également expliqué que la note de service R17‑1‑3 qui établissait le seuil de 3 $ n’était pas disponible en ligne, où la plupart des politiques figuraient. Un agent aurait à examiner la note de service sur papier dans un cartable dans la bibliothèque de référence. Il n’y a pas beaucoup d’agents qui seraient en mesure de la trouver sans aide. Elle avait dû la balayer lorsque le fonctionnaire a demandé une copie après l’enquête de recherche des faits.

[59] La chef par intérim a confirmé que le directeur Hewson et le DGR Scoville demandaient régulièrement et fortement aux membres du personnel d’arrêter de mettre l’accent sur les perceptions de peu de valeur. Son interprétation de la directive [traduction] d’« éliminer » les perceptions signifiaient arrêter de mettre l’accent dessus, mais non d’y mettre fin entièrement. Cependant, elle a confirmé en outre que ni l’un ni l’autre n’avait jamais expliqué aux agents ou à la direction ce qu’ils entendaient par des perceptions de peu de valeur. Elle et d’autres ont tenté sans succès d’obtenir une directive claire à cet égard.

[60] La chef par intérim St. Onge a confirmé que le fonctionnaire avait demandé particulièrement au DGR Scoville la façon dont les perceptions de peu de valeur devaient être définies lors de la réunion du DSASS du 7 janvier 2015. Il n’avait pas répondu que le seuil devait être équivalent à 3 $, à moins d’avis contraire par les surintendants, il n’avait pas non plus répondu à la question de savoir ce qu’était le seuil ou ce qu’il devrait être.

[61] La chef par intérim a convenu que les taux de passage accéléré en franchise étaient souvent augmentés pour gérer la quantité croissante de la circulation et les temps d’attente. Les surintendants étaient censés augmenter et baisser les taux, au besoin, mais, en pratique, ils informaient habituellement les agents uniquement lorsqu’ils devaient le baisser de nouveau. En d’autres mots, ils se fiaient au pouvoir discrétionnaire des agents pour appliquer les seuils appropriés comme demandé. Elle a déclaré que des employés appliquaient différents taux et qu’aucun seuil clair n’avait été établi. Comme elle l’a dit : [traduction] « Je crains que nous ne l’ayons pas déterminé. » Elle a dit que le montant de 20 $ était couramment utilisé et qu’il ne s’agissait pas d’une norme déraisonnable.

[62] Il est ressorti clairement de la preuve que les agents appliquaient généralement des seuils d’environ 20 $ et disposaient d’un pouvoir discrétionnaire de baisser ou d’augmenter ce montant en fonction des circonstances. Par exemple, le fonctionnaire avait auparavant accordé un passage accéléré en franchise à l’égard de 10 caisses, ce qui avait donné lieu au dépôt d’une plainte. Toutefois, aucune mesure disciplinaire n’avait été imposée, le directeur Hewson l’avait approuvé et n’avait pas corrigé le seuil du fonctionnaire.

[63] Dans un courriel du 25 mars 2016 à la suite de l’obtention de la bière, la chef par intérim St. Onge a informé ses surintendants de ce qui suit :

[Traduction]

Avec la saison des retraités migrateurs bien en cours pour cette fin de semaine, le seuil normal sera établi à 20 $. Ce seuil était en vigueur antérieurement depuis des années et constituera notre point de départ tous les jours pendant la longue fin de semaine. Les surintendants ont la capacité d’augmenter le seuil, conformément au courriel de Kevin. Si vous avez besoin d’une orientation au cours de la fin de semaine, je suis la chef en service pour la fin de semaine.

[Je mets en évidence]

 

[64] Elle a témoigné qu’à la suite des retombées de l’enquête de l’obtention de la bière, les surintendants hésitaient à augmenter les seuils, car ils ne connaissaient pas leur pouvoir de le faire. Elle a envoyé ce courriel pour les rassurer qu’ils doivent quand même faire leur travail, que le seuil de 20 $ était raisonnable et un point de départ prouvé et qu’ils doivent augmenter le seuil à partir de ce montant, au besoin.

[65] En contre‑interrogatoire, le directeur Hewson a convenu que l’expression [traduction] « perceptions de peu de valeur » n’avait jamais été définie expressément par lui‑même ou par le DGR Scoville, malgré le fait que les deux avaient fait fortement la promotion de s’écarter de ces activités. Il a offert de nombreuses réponses évasives quant à la façon dont il les définirait, déclarant enfin que ce qu’une perception de peu de valeur signifiait pour lui était un montant d’au plus 3 $. Cette réponse est inutile et est dépourvue de crédibilité. À la question de savoir s’il était possible pour les agents de percevoir un montant inférieur à 3 $ dans le système informatique de l’ASFC, le directeur Hewson a admis qu’il ne l’était pas. Ce n’est que lorsque je lui ai demandé directement que le directeur Hewson a reconnu qu’une perception de peu de valeur signifiait plus de 3 $, jusqu’à concurrence de ce qu’un superintendant décide.

F. Le seuil du passage accéléré en franchise s’applique‑t‑il aux agents, ainsi qu’au public?

[66] La note de service R17‑1‑3 établit un montant standard national d’au plus 3 $ au titre de droits de douane et de taxes auxquels ils peuvent renoncer. Toutefois, elle conférait également aux surintendants le pouvoir discrétionnaire d’augmenter le seuil, au besoin, en fonction des exigences opérationnelles. La chef par intérim St. Onge a confirmé que l’ancien directeur Al Cody avait informé particulièrement le personnel qu’ils avaient droit aux avantages de la note de service R17‑1‑3, c’est‑à‑dire, les avantages conférés au grand public en ce qui concerne l’augmentation des seuils du passage accéléré en franchise devaient s’appliquer également à eux. Le courriel du directeur Cody du 24 juin 2005 se lit en partie comme suit :

[Traduction]

En avril 2002, en raison d’une enquête de recherche des faits, les employés étaient tenus de payer les droits de douane et les taxes sur toutes les importations sans bénéficier de la note de service R17‑1‑3. […] En raison de l’évaluation du lieu de travail et de la représentation réussie de la région par le Comité directeur, les employés ont maintenant droit aux avantages énoncés dans la note de service R17‑1‑3 et doivent être guidés par celle‑ci, ce qui constitue de bonnes nouvelles.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[67] La chef par intérim St. Onge a témoigné que, depuis cet avis écrit, le personnel n’avait ni reçu d’autres consignes différentes ni informé que celui‑ci ne s’appliquait plus. Ils ont supposé qu’ils devaient encore être traités de la même manière que le public; jusqu’à l’incident de l’obtention de la bière, ils n’avaient aucune raison de remettre cela en question. À condition que les agents ne bénéficient que du même avantage offert au public, selon ce qu’elle comprenait, cela ne doit pas être considéré comme un traitement préférentiel. Un traitement préférentiel a lieu lorsqu’un agent reçoit un avantage qui n’est pas offert au public.

[68] La chef par intérim St. Onge a écrit exactement cela dans son courriel du 1er septembre 2016 à l’intention du directeur Hewson. Afin de déterminer l’ampleur de la mesure disciplinaire à recommander à l’égard d’un des ASF, le consultant en relations de travail a demandé au directeur Hewson si selon l’attente, en ce qui concerne un ASF ou un surintendant, les droits de douane et les taxes devaient être payés, peu importe s’il y avait 2, 4 ou 10 caisses de bière. Le directeur Hewson n’a pas répondu. Il a envoyé une demande de renseignements à la chef par intérim St. Onge et a ensuite acheminé sa réponse au consultant en relations de travail. La chef par intérim avait répondu, en partie, comme suit :

[Traduction]

Certains employés déclareraient qu’ils accorderaient un passage accéléré en franchise pour deux douzaines de bières (6,59 $) et peut‑être même pour quatre douzaines de bières (13,18 $) pour toute personne, y compris un employé ou un voyageur […] Selon l’attente, à l’époque, les employés paieraient le même montant que les voyageurs à tout moment donné.

[Je mets en évidence]

 

[69] Le directeur Hewson a témoigné qu’il n’était pas au courant du courriel du directeur Cody informant les agents qu’ils avaient droit aux avantages du passage accéléré en franchise énoncés dans la note de service R17‑1‑3. À son avis, les agents savaient qu’ils ne devaient pas bénéficier du même traitement que le public. Il n’a rien dit au sujet du courriel de la chef par intérim l’informant du contraire.

[70] La chef par intérim St. Onge a témoigné que, même après l’obtention de la bière, malgré le fait d’avoir posé directement la question, ni le directeur Hewson ni le DGR Scoville n’avaient dit expressément que les employés ne devaient plus être traités de la même façon que le public en ce qui concerne la politique sur le passage accéléré en franchise ou la pratique de celui‑ci. Lorsqu’elle avait interrogé le directeur Hewson à ce sujet, il l’avait renvoyée à son courriel du 21 janvier 2016 à l’intention du personnel et à son courriel du 24 mars 2016 à l’intention de la direction. Il a refusé de répondre à sa question et n’a que fait référence à ses courriels.

[71] Le courriel du directeur Hewson à l’intention du personnel exigeait qu’ils respectent la note de service R17‑1‑3 et a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

Le règlement pris en vertu de la Loi sur les douanes s’applique à chacun d’entre nous, tout comme à tous les autres Canadiens et Canadiennes. Lorsque vous importez des marchandises au Canada, vous devez le faire pendant que vous n’êtes pas en service et vous présenter à l’inspection primaire pour faire une déclaration complète de vos marchandises, et payer tous les droits de douane et les taxes applicables.

[Je mets en évidence]

 

[72] Il semble indiquer que les employés doivent suivre les mêmes règles que le public, mais la signification de l’expression [traduction] « les droits de douane et les taxes applicables » n’est pas claire. Lorsqu’un membre du public déclare des marchandises et est dédouané par un agent de l’inspection primaire, il n’y a aucun droit de douane et aucune taxe à payer. S’agit‑il de la même chose pour les agents aussi? Ni cette note de service à l’intention du personnel ni la note de service du directeur Hewson du 24 mars 2016 à l’intention de la direction ne répondent clairement à la question de savoir si les seuils élevés continuent de s’appliquer au personnel ou uniquement au public.

[73] La chef par intérim St. Onge a témoigné que le personnel continue de poser la question, car elle n’a pas été en mesure d’obtenir une réponse directe afin de les conseiller. Les procès‑verbaux indiquent que la question a été soulevée à toutes les réunions avec les surintendants de février à août 2016, sans aucune réponse.

[74] Le directeur Hewson a confirmé que la chef par intérim lui avait posé particulièrement cette question et qu’il avait répondu que la réponse avait déjà été fournie dans ses courriels. En d’autres termes, il a confirmé qu’il a refusé de répondre directement à sa question. À la question de savoir pourquoi il n’a pas simplement répondu à la question de la chef par intérim, le directeur Hewson a répondu : [traduction] « Je ne sais pas. »

[75] L’absence de transparence dont a fait preuve le directeur Hewson et son refus catégorique de clairement indiquer les règles à son chef afin qu’elle puisse en informer le personnel étaient troublants. Il a également évité la question à la barre des témoins. Il a enfin dit qu’il avait envoyé une note de service en janvier 2016 qui clarifiait que les membres du personnel devaient être traités de manière différente par rapport au public. Lorsque l’exemple d’un voyageur qui a deux caisses et à qui un passage accéléré en franchise est accordé par rapport à un ASF qui a deux caisses et à qui un passage accéléré en franchise est accordé lui a été présenté, il a confirmé que l’ASF devrait quand même payer. Il a dit qu’il en était ainsi [traduction] « surtout après janvier 2016 » parce que, comme il l’a dit, [traduction] « la date à laquelle je l’ai indiqué clairement ». Comme je l’ai indiqué plus tôt, je n’estime pas que son courriel a réellement précisé le point. Toutefois, aux fins de cette question, la déclaration du directeur Hewson constituait une reconnaissance claire que, même à son avis, il ne l’avait pas indiqué clairement avant l’obtention de la bière.

[76] Il a ensuite témoigné que, même si le personnel avait droit au même seuil de passage accéléré en franchise que celui accordé au public au moment de l’obtention de la bière, il avait examiné les formulaires B15 remplis ce jour‑là et que certains indiquaient des droits de douane et des taxes payés sur moins de cinq caisses. En contre‑interrogatoire, il ne pouvait pas dire si ces formulaires B15 comprenaient d’autres marchandises, autres que la bière ou s’ils avaient été inclus dans son dossier de recherche des faits. Même s’il a signalé qu’il y avait des formulaires B15 visant cinq caisses, la plupart de ces formulaires visaient des montants plus grands. Les formulaires B15 eux‑mêmes auraient fourni d’autres renseignements pertinents aux seuils appliqués, comme l’heure à laquelle ils ont été remplis et le numéro de l’insigne de l’agent qui les a remplis. Toutefois, ils n’ont pas été déposés en preuve.

[77] Enfin, le directeur Hewson a témoigné que, même si les agents avaient droit aux mêmes avantages du passage accéléré en franchise que ceux accordés aux membres du public, cet incident pourrait quand même être considéré comme un traitement préférentiel. Il a fondé cet argument sur son point de vue selon lequel les agents sont soumis à des règles de conduite plus rigoureuses par rapport aux membres du public. Si l’incident était publié à la une, selon l’opinion du public, il n’aurait pas la cote.

[78] Certes, les agents sont soumis à des règles de conduite plus rigoureuses. Toutefois, l’employeur ne peut pas dire qu’ils ont droit à quelque chose et ensuite les accuser de ne pas satisfaire à ces règles de conduite plus rigoureuses s’ils acceptent ces avantages. Soit que la politique leur accorde les mêmes avantages du passage accéléré en franchise, soit qu’elle ne leur accorde pas ces avantages. La chef par intérim a témoigné que les membres du personnel ont été informés officiellement par leur directeur qu’ils en avaient ainsi droit en 2005 et qu’ils n’avaient pas été informés du contraire au moment de l’obtention de la bière. Si l’employeur estimait que la politique ne satisferait pas à l’examen par le public, il aurait pu l’avoir modifié de manière claire et définitive et en avoir informé le personnel des modifications apportées. Elle est plutôt demeurée ambiguë, même après l’obtention de la bière et, sans explication, les demandes d’éclaircissements de la chef par intérim et des surintendants ont été assujetties à une obstruction.

[79] Je conclus que les agents importateurs avaient droit aux mêmes avantages du passage accéléré en franchise que ceux accordés aux membres du public au moment de l’obtention de la bière. Après avoir déclaré les marchandises et s’être vu accorder un passage accéléré en franchise par leurs collègues à la voie d’inspection primaire, je ne vois pas qu’il y avait des droits de douane et des taxes à payer.

[80] Il se peut que les agents chargés de l’inspection primaire aient dépassé les limites de leurs seuils discrétionnaires. Toutefois, c’est eux qui ont pris cette décision, et non les agents importateurs. La chef par intérim St. Onge a été interrogée en réintorrogatoire s’il ne s’agissait pas d’une évasion fiscale. Elle a répondu que, si les marchandises étaient déclarées et que l’agent chargé de l’inspection primaire n’avait pas renvoyé pour payer à l’intérieur, il ne s’agissait donc pas d’une évasion fiscale.

G. Le fonctionnaire s’estimant lésé était‑il responsable si des droits de douane et des taxes étaient dus?

[81] La lettre de suspension du fonctionnaire indique qu’il a violé le Code de conduite parce qu’il [traduction] « ne s’est pas assuré que les ASF qui importaient de l’alcool avaient payé les droits de douane et les taxes dus sur l’alcool importé, ce qui comprenait également de l’alcool importé pour [son] compte ». Après avoir examiné les dispositions du Code de conduite auxquelles le fonctionnaire aurait contrevenu, je ne vois aucune disposition qui lui impose l’obligation de s’assurer que les agents paient les droits de douane et les taxes, même s’ils étaient tenus de le faire. Je ne comprends pas pourquoi l’employeur cherche à tenir le fonctionnaire responsable de la conduite des agents à leur retour au PDE. Il n’avait aucune raison de croire que quelque chose n’allait pas à cet égard.

[82] Le rapport sur l’enquête de recherche des faits du directeur Hewson indique que le fonctionnaire savait que les agents qui ont acheté ou commandé de la bière n’avaient payé aucun droit de douane ni aucune taxe. Il ne ressort aucunement de la preuve que le fonctionnaire en était au courant. Rien n’indique la façon dont le directeur Hewson est parvenu à cette conclusion. Dans son entrevue, il n’a pas demandé au fonctionnaire s’il en était au courant. Il a simplement conclu qu’il l’avait fait et l’a déclaré dans son rapport.

[83] La preuve ne laisse pas entendre que le fonctionnaire avait dit aux agents de ne pas payer les droits de douane et les taxes. Elle n’indique pas non plus qu’il avait dit à ceux qui avaient commandé de la bière de ne pas assumer la responsabilité de la bière qui a été importée pour eux. Elle n’indique pas non plus qu’il savait combien de caisses de bière chacun d’entre eux achèterait ou si elles dépasseraient le seuil individuel de l’agent chargé de l’inspection primaire. Elle n’indique pas non plus que l’agent chargé de l’inspection primaire leur aurait accordé un passage accéléré en franchise.

[84] En résumé, il n’avait rien à voir avec la conduite des agents à leur retour au PDE. Son inconduite consistait à leur autoriser d’y aller, peut‑être pendant une période rémunérée, ayant possiblement une incidence sur les opérations, soit un arrêt complet.

[85] Le [traduction] Message du président et du premier vice‑président visant à présenter la version de 2012 du Code de conduite déclare ce qui suit :

[Traduction]

Le Code de conduite permet de satisfaire à l’exigence prévue à l’article 6 de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (LPFDAR) et devrait être lu conjointement avec le Code de valeurs et d’éthique du secteur public et la Politique sur les conflits d’intérêts et l’après‑mandat. Ensemble, les deux codes et la politique lient tous les employés et les nouvelles recrues de l’ASFC.

[Je mets en évidence]

 

[86] Ce message est communiqué de manière très claire à tous les employés de l’ASFC. Chaque agent est responsable de satisfaire à la norme de conduite élevée énoncée dans les Codes et la Politique. Le directeur Hewson a témoigné à cet effet. Il est également ressorti clairement des réponses des agents dans le cadre de leurs entrevues de recherche des faits qu’ils comprenaient bien ce fait.

[87] De plus, le fonctionnaire n’a été tenu responsable que de la conduite des trois premiers agents au moment de leur retour, même si la lettre disciplinaire énonce qu’il a également fait preuve d’une inconduite lorsqu’il a autorisé à un quatrième agent, soit WM, de partir deux heures plus tard.

[88] L’agent WM a informé le fonctionnaire qu’il prévoyait utiliser sa pause‑repas à 18 h pour acheter de la bière à la boutique hors taxe. Il a quitté le PDE à 18 h 03 et est revenu 41 minutes plus tard, déclarant cinq caisses de bière et deux bouteilles d’alcool. Il a demandé un congé de courte durée pour couvrir les 11 minutes supplémentaires qui ont dépassé sa pause‑repas, mais il ne l’a fait qu’après coup. Le rapport sur l’enquête de recherche des faits du directeur Hewson énonce également qu’il avait [traduction] « demandé des heures supplémentaires dans l’importation d’alcool pendant qu’il était en service ». L’agent a fait l’objet d’une enquête, a été reconnu coupable d’avoir contrevenu à la partie B. Responsabilisation et conduite professionnelle du Code de conduite et il s’est vu imposer une mesure disciplinaire pour ses actes.

[89] Toutefois, l’employeur n’a pas demandé de tenir le fonctionnaire responsable d’aucun des actes de cet agent. Ni le rapport sur l’enquête de recherche des faits, ni la lettre disciplinaire, ni le témoignage du directeur Hewson ne comporte aucune proposition selon laquelle le fonctionnaire était responsable de ce que cet agent a fait ou n’a pas fait lors de son retour.

[90] Le fonctionnaire n’aurait pas dû autoriser l’agent WM à se rendre à la boutique hors taxe, au moins sans s’assurer qu’un congé de courte durée avait été demandé et accordé. Toutefois, il était clair que, selon l’employeur, ce que l’agent a fait à la suite de cette autorisation relevait de la responsabilité de cet agent. Si le fonctionnaire n’était pas responsable des actes de cet agent, il ne peut être tenu responsable des actes des trois autres.

H. Équité procédurale et justice naturelle

[91] Le directeur Hewson a convenu en contre‑interrogatoire qu’il était tenu de respecter les politiques et les procédures de l’ASFC dans la réalisation de sa recherche des faits. Il a confirmé qu’il avait accès au [traduction] Guide de référence de la recherche des faits de l’ASFC, aux Lignes directrices concernant la discipline du gouvernement du Canada à l’annexe A – Conseils en matière de discipline à l’intention des gestionnaires, à la Politique sur les mesures disciplinaires de l’ASFC, au [traduction] Manuel de l’enquêteur sur les normes professionnelles de l’ASFC, au Guide du gestionnaire pour mener des enquêtes internes de l’ASFC et à [traduction] l’Aide‑mémoire pour la première recherche des faits.

[92] Je ne ferai référence qu’au Guide de référence de la recherche des faits (« Guide de référence ») et à l’Aide‑mémoire pour la première recherche des faits (« Aide‑mémoire ») puisqu’ils sont ceux qui s’appliquent le plus directement. Toutefois, j’ai examiné toutes ces politiques et tous ces guides. Les exigences d’équité procédurale et de justice naturelle qui y sont énoncées sont conformes aux exigences énoncées dans ces documents ou les répètent ou y ajoutent.

[93] Le directeur Hewson a reconnu que, même s’il en avait lu certains d’entre eux au cours des années, il n’en avait examiné aucun de ceux‑ci aux fins de la recherche des faits.

1. Retard

[94] Le Guide de référence de la recherche des faits énonce qu’une recherche des faits devrait être [traduction] « habituellement achevée dans les 10 jours ». L’Aide‑mémoire pour la première recherche des faits est plus précis : [traduction] « Le processus doit être simple, équitable, impartial et être achevé dans les 10 jours ouvrables. » L’Aide‑mémoire indique clairement que le délai de 10 jours est obligatoire et clarifie qu’il s’agit de jours ouvrables.

[95] Le directeur Hewson n’a pas achevé sa recherche des faits dans les 10 jours. En fait, il ne l’a amorcé qu’en février 2016, soit six mois après l’incident du 22 juillet 2015, même s’il avait été signalé cinq jours après qu’il est survenu. Pendant ces six mois, l’incident a fait l’objet d’une enquête par l’unité des ENP à Ottawa, de l’Unité régionale de l’intégrité et par le directeur Hewson lui‑même à la demande de Michael Shoobert.

[96] Le 16 décembre 2015, le directeur Hewson a reçu un courriel de M. Shoobert l’informant que les ENP l’avaient renvoyé à la région pour achever. Il était surpris et n’était pas content qu’elle lui soit remise, car il estimait que les ENP ou l’Unité régionale de l’intégrité s’en occupait.

[97] Même à ce moment‑là, la recherche des faits n’a pas été amorcée officiellement avant quelques autres mois. Elle a finalement été amorcée en février 2016, mais elle n’a pas été achevée avant un an après l’incident, soit le 8 juillet 2016. La mesure disciplinaire a été imposée trois mois après cette date.

[98] La lettre disciplinaire elle‑même ne comporte aucune date, mais a été donnée au fonctionnaire et signée par celui‑ci le 12 octobre 2016 – un an et trois mois après l’incident.

2. Gestionnaire doit effectuer la recherche des faits

[99] J’ai demandé à la chef par intérim St. Onge la raison pour laquelle elle n’avait pas effectué la recherche des faits une fois qu’elle lui avait été renvoyée. Le PDE de Coutts était, après tout, son bureau. La chef par intérim a choisi ses mots avec prudence et a dit que le directeur Hewson s’était porté [traduction] « volontaire » à le faire. Le directeur Hewson a utilisé ce terme aussi. Il a dit qu’il en avait discuté avec la chef par intérim et un autre chef, dont les deux étaient très occupés, et il s’est donc porté volontaire pour le faire et les deux chefs en ont convenu. Toutefois, il a reconnu plus tard que l’idée qu’il devrait faire une recherche des faits était [traduction] « survenue » au cours d’une conversation avec M. Shoobert. M. Shoobert estimait qu’il s’agissait d’une bonne idée. Il a également indiqué ce qui suit :

[Traduction]

Non, je n’ai pas pris la décision d’effectuer une recherche des faits. Elle a été prise pour moi. Le 16 décembre, Mike Shoobert m’a envoyé des questions et m’a demandé de les insérer au‑dessus de mon nom.

 

[100] À sa page 3, le Guide de référence de la recherche des faits énonce qui fait quoi :

[Traduction]

• Les employés (y compris la direction) doivent signaler toute inconduite à leur gestionnaire.

• Les directeurs doivent signaler l’inconduite aux Normes professionnelles.

• Les gestionnaires doivent effectuer une recherche des faits. La Section de l’analyse de la sécurité et des normes professionnelles (SASNP) consignera tous les incidents et fournira des conseils aux gestionnaires et offrira une aide à vérifier les systèmes et à effectuer des vérifications.

• Les Enquêtes des normes professionnelles effectueront des enquêtes administratives officielles, au besoin.

• Les Relations de travail fourniront des conseils et des lignes directrices directement à la direction locale quant à l’état d’un employé à la suite de l’allégation d’une inconduite.

[Je mets en évidence]

 

[101] Le Guide de référence énonce les étapes fondamentales d’une enquête administrative. Toute allégation d’inconduite reçue doit être signalée aux ENP aux fins d’examen, d’analyse et elle est saisie dans le Système de gestion des enquêtes liées aux normes professionnelles. La direction locale effectue ensuite une recherche des faits, discute des résultats avec les ENP et une décision est prise de fermer le dossier, d’imposer une mesure disciplinaire ou de lancer une enquête officielle, si d’autres renseignements sont nécessaires. Il indique en outre que : [traduction] « Le gestionnaire responsable de l’employé à l’égard de qui des allégations ont été soulevées est chargé d’effectuer la recherche des faits. » L’Aide‑mémoire énonce la même chose : [traduction] « Le gestionnaire responsable de l’employé doit effectuer la première recherche des faits après avoir obtenu des conseils ou des directives des Normes professionnelles. »

[102] Il était clair que la haute direction avait ordonné au directeur Hewson d’effectuer la recherche des faits. Ce qui n’était pas clair était la raison pour laquelle la chef par intérim St. Onge, la gestionnaire responsable du fonctionnaire, n’a pas été autorisée à l’effectuer, comme l’exige à maintes reprises la politique. Elle a confirmé qu’elle effectuait normalement les recherches des faits.

[103] Il était également clair, d’après les commentaires du directeur Hewson, que ni la chef par intérim, ni lui, avaient décidé qu’une recherche des faits était nécessaire. La décision a été [traduction] « prise pour lui » et les questions à poser aux employés lui ont été données afin d’inscrire au‑dessus de son nom.

3. Le droit du fonctionnaire s’estimant lésé de connaître les arguments soulevés contre lui

[104] Le directeur Hewson a demandé au fonctionnaire de lui fournir des renseignements pour la première fois le 19 novembre 2015, soit quatre mois suivant l’obtention de la bière et une semaine après l’incident du fuyard. La ligne objet du courriel était [traduction] « Demande d’information ». Il n’a pas informé le fonctionnaire qu’il faisait l’objet d’une enquête. Le fonctionnaire a demandé d’être informé des allégations qui avaient été soulevées, le cas échéant. Il a demandé si la demande d’information du directeur faisait partie d’une recherche des faits, d’un examen par la direction locale ou une enquête par les Normes professionnelles. Il a demandé si une plainte avait été déposée et, dans l’affirmative, il a demandé de la voir. Comme l’a indiqué le fonctionnaire dans un de plusieurs courriels :

[Traduction]

Je n’essaie pas d’être difficile, mais si vous tentez de déterminer s’il existe un cas d’inconduite de la part d’un employé, je crois que j’ai le droit d’être informé du type de recherche des faits dont il s’agit et des allégations qui ont été soulevées. Si j’ai tort, veuillez me le dire.

 

[105] Le directeur Hewson a refusé à maintes reprises de répondre aux questions du fonctionnaire et l’a informé qu’il demandait simplement des renseignements. Par exemple, dans un courriel :

[Traduction]

Comme je l’ai indiqué à maintes reprises, je cherche à obtenir des renseignements sur les événements de ce jour‑là. Une fois que j’aurai plus de renseignements, je serai mieux placé pour déterminer les prochaines étapes. Ma demande d’information est confirmée.

 

[106] En contre‑interrogatoire, le directeur Hewson a été renvoyé aux politiques et aux guides de l’ASFC concernant les recherches des faits et les enquêtes. On lui a demandé s’ils prévoyaient la présentation de [traduction] « demandes d’information ». Le directeur a répondu par la négative, mais qu’il avait simplement demandé au fonctionnaire de lui fournir un rapport. Il a confirmé qu’il avait refusé de répondre aux questions du fonctionnaire parce qu’il n’effectuait pas une recherche des faits ou une enquête à ce stade, on venait de lui demander d’obtenir un rapport du fonctionnaire.

[107] À la question de savoir s’il estimait que ce processus avait offert au fonctionnaire une justice naturelle, il a répondu : [traduction] « lorsque la recherche des faits a été effectuée, oui ». En ce qui concerne la [traduction] « demande d’information », il [traduction] « [ne] demandait qu’un rapport pour Mike Shoobert ».

[108] La section du Guide de référence portant sur l’équité procédurale énonce ce qui suit :

[Traduction]

La procédure régulière doit être respectée. L’équité procédurale exige que vous informiez les personnes visées par une décision qui pourrait être prise du bien‑fondé de toute allégation soulevée contre eux ou des motifs de commentaires négatifs à leur égard, et leur donniez l’occasion d’y répondre.

 

[109] La politique de l’ASFC tient compte de manière appropriée du principe fondamental de la justice naturelle selon laquelle un fonctionnaire s’estimant lésé doit connaître les arguments soulevés contre lui. Le présent fonctionnaire n’a même pas été autorisé à savoir si une allégation avait été soulevée contre lui, encore bien moins les éléments précis de cette allégation, et ce, après des demandes de renseignements répétées à cet égard, alors qu’il tentait en vain de se protéger et de bénéficier d’un semblant d’équité procédurale.

4. Enquête approfondie avant la recherche des faits

[110] Le Guide de référence énonce comme suit ce en quoi doit consister une recherche des faits :

[Traduction]

• La première occasion pour un gestionnaire de demander aux employés de lui donner des rapports ou de les interroger en réponse à une allégation « non évaluée ». Il s’agit d’une collecte de renseignements qui permet d’effectuer une évaluation préliminaire d’une plainte par la direction.

• La première occasion de l’employé de discuter avec son gestionnaire et de présenter sa version des événements avant qu’une plainte ne soit transformée en une enquête officielle.

• Simple et rapide

• Habituellement achevée dans les 10 jours.

• Les résultats sont communiqués aux Normes professionnelles et une décision est ensuite prise quant à savoir si le gestionnaire dispose de renseignements suffisants pour :

Fermer le dossier pour manque de crédibilité ou procéder à un processus prédisciplinaire;

ou transférer l’affaire aux Enquêtes des normes professionnelles officielles si des questions importantes demeurent sans réponse.

[Je mets en évidence]

 

[111] Cette recherche des faits ne constituait certainement pas la première occasion pour l’employeur de demander aux employés de lui donner des rapports ou de les interroger. Il ne s’agissait pas non plus de la première (ou toute) occasion pour l’employé de discuter avec son gestionnaire. Une enquête approfondie et achevée en grande partie avait été effectuée avant même de décider d’amorcer officiellement une recherche des faits.

[112] Le directeur Hewson avait obtenu la permission d’examiner la séquence vidéo et les registres de la circulation et l’avait fait. Il avait obtenu la permission de vérifier les courriels des employés, mais ne l’avait pas encore fait. Il estimait que M. Shoobert l’avait probablement fait, mais il n’en a pas été informé. Les agents importateurs et les agents chargés de l’inspection primaire concernés avaient été identifiés et des rapports avaient été demandés et reçus de quatre ASF et un surintendant non nommés. Ces rapports n’ont pas été déposés en preuve. Les calendriers de planification des quarts et le bureau du fonctionnaire avaient été vérifiés aux fins de demandes de congé de courte durée. Une recherche dans la base de données POEMS avait été faite aux fins de modifications des pauses‑repas. Le Système de traitement des déclarations des voyageurs, le Système intégré de gestion de la ligne d’inspection primaire (SIGLIP) et les formulaires B15 avaient été vérifiés. Le véhicule personnel et le numéro de plaque d’immatriculation de l’agent qui s’est rendu aux É.‑U. par véhicule ont été déterminés. Quatre mois après l’incident, soit en novembre 2015, et encore trois mois avant que la [traduction] « recherche des faits » ne soit officiellement amorcée en février 2016, le directeur Hewson a demandé au fonctionnaire de lui donner des renseignements et il a refusé de lui dire la raison de la demande ou qu’il faisait l’objet d’une enquête.

[113] Une partie de cette enquête a été effectuée par le directeur Hewson à la demande de M. Shoobert, et une partie par le personnel régional ou des ENP. Il ne ressort pas clairement de la preuve qui a fait quoi. Dans les courriels envoyés en août et en septembre 2015, le directeur Hewson a décrit un peu de ce qu’il avait enquêté. M. Shoobert, à son tour, a communiqué les résultats de l’enquête régionale dans son courriel du 16 décembre 2015 dans lequel il l’informait que le dossier avait été renvoyé à la région aux fins d’achèvement.

[114] Il a été proposé au directeur Hewson que, après avoir recueilli tous ces renseignements, il utilisait simplement la recherche des faits pour confirmer ses soupçons, plutôt que de rechercher des faits. Il n’a pas répondu clairement.

[115] La politique de l’ASFC prévoit qu’une recherche des faits devrait être un examen préliminaire d’une allégation. Elle est censée permettre de déterminer si d’autres renseignements sont nécessaires, si une mesure disciplinaire peut être imposée en fonction de la recherche des faits ou si une enquête complète est requise. Ce qui est survenu entre le 22 juillet 2015 et février 2016 lorsque la « recherche des faits » avait été amorcée officiellement, dépassait cela de beaucoup. Il s’agissait d’une enquête complète effectuée sur une période de six mois. Pendant cette période, le fonctionnaire n’a bénéficié d’aucun semblant d’équité procédurale, même lorsqu’il en a fait une demande expresse et répétitive.

[116] Le directeur Hewson l’a reconnu lorsqu’il a dit qu’il avait offert au fonctionnaire une justice naturelle [traduction] « lorsque la recherche des faits a été effectuée ». Il y avait une grande confusion dans les éléments de preuve quant à savoir ce qu’est une recherche des faits. L’expression elle‑même a souvent été utilisée pour faire référence uniquement à l’étape des entrevues. Aucun nom n’avait été attribué à la collecte de renseignements qui l’a précédé. Il semblait exister une hypothèse selon laquelle la recherche des faits ne commençait qu’une fois que tous les employés avaient été interrogés, que l’équité procédurale n’était requise qu’à l’égard de cette étape et que le fait de la fournir à ce stade permettait de légitimer rétroactivement l’enquête qui l’avait précédée.

5. Absence d’équité procédurale dans l’entrevue de recherche des faits

[117] Le directeur Hewson a confirmé qu’il avait dit au fonctionnaire que, s’il continuait à prendre trop longtemps pour rédiger ses notes pendant l’entrevue, il ne serait pas autorisé à prendre des notes. À la question de savoir s’il aurait été déraisonnable d’accroître un peu la durée d’une entrevue de recherche des faits de 35 minutes en prenant des notes, il n’a pas répondu directement. Il a simplement dit qu’il voulait faire progresser l’entrevue.

[118] Le directeur Hewson a confirmé qu’il avait exigé que le fonctionnaire signe une copie de ses notes (du directeur Hewson) et que ces notes portaient uniquement sur les réponses du fonctionnaire. Elles ne comportaient pas les questions posées. Il a convenu que, étant donné ce fait, la seule façon que le fonctionnaire pouvait recevoir une copie des questions était d’essayer de les prendre en notes lorsqu’elles ont été posées.

[119] Le directeur Hewson n’était pas certain si les personnes interrogées dans le cadre de la recherche des faits devaient habituellement signer les notes comportant uniquement des réponses et a refusé d’offrir ses avis quant à savoir si cela était équitable pour l’employé. Il a dit qu’il n’a pas examiné la question de savoir si elle était équitable; on lui avait ordonné que ce soit fait de cette façon par les ENP et c’est ce qu’il a fait.

[120] Le directeur Hewson a confirmé en outre qu’après avoir signé les notes contenant uniquement ses réponses, le fonctionnaire s’est vu refusé une copie de celles‑ci.

6. Visionner la séquence vidéo enregistrée est contraire à la politique

[121] Une des premières voies d’enquête du directeur Hewson consistait à obtenir l’autorisation de visionner la séquence vidéo. Il a examiné la séquence vidéo de la salle d’armement afin de déterminer la durée de l’absence des agents au PDE.

[122] Il était au courant de la Politique de l’ASFC sur l’utilisation ouverte de la technologie de surveillance et d’enregistrement audiovisuel (la « Politique sur l’AV ») qui autorise de visionner la séquence vidéo enregistrée uniquement dans les cas d’inconduite grave. Le Code de conduite déclare qu’une inconduite grave comprend, sans toutefois s’y limiter : un vol; une agression; des activités ou associations criminelles; une fraude; un recours à la force excessif ou une agression; le stockage ou la manipulation inappropriés d’équipement défensif; les plaintes des clients qui pourraient attirer une attention médiatique; l’utilisation abusive de la technologie de l’information. Je fais remarquer que l’inconduite alléguée n’est visée par aucune de ces catégories.

[123] En contre‑interrogatoire, le directeur Hewson a évité de répondre à la question de savoir s’il estimait qu’il enquêtait une [traduction] « inconduite grave » à l’égard de laquelle il serait autorisé à visionner la séquence vidéo en vertu de la politique. En fin de compte, il a indiqué qu’il s’agissait simplement d’une [traduction] « inconduite » en vertu du Code de conduite. Je conclus que le fait de visionner la séquence vidéo était contraire à la politique.

7. Omission de renseignements pertinents et potentiellement disculpatoires

[124] Tel que cela a été discuté antérieurement, le directeur Hewson a refusé à maintes reprises de reconnaître toute connaissance du fait que les agents à Coutts appliquaient un seuil de passage accéléré en franchise de 15 $ à 20 $, selon leur discrétion. Ce refus était déroutant au vu d’une quantité importante d’éléments de preuve contraire, tel que cela a été indiqué plus tôt, et ce refus a eu une incidence négative sur la crédibilité du directeur Hewson. Toutefois, l’élément de preuve le plus marquant de cela est ressorti de ses propres entrevues de recherche des faits, de ses notes qui ont été obtenues au moyen d’une demande d’AIPRP. Ce qu’elles révèlent est directement contraire aux négations du directeur Hewson à cet égard.

[125] Voici les questions qu’il avait posées au fonctionnaire et à sept agents concernant leurs seuils :

[Traduction]

28. Quel est votre seuil normal pour faire un renvoi et percevoir les droits de douane et les taxes sur les achats d’alcool par les résidents canadiens qui sont aux É.‑U. pour la journée?

29. Quel est le seuil moyen que les agents à Coutts utilisent pour faire un renvoi et percevoir les droits de douane et les taxes sur l’alcool achetés par les résidents canadiens qui sont aux É.‑U. pour la journée?

30. Quel est le seuil national en vertu de la politique pour la perception des droits de douane et des taxes?

 

[126] Il ne s’agit pas de questions dont on s’attendrait qu’elles soient posées par une personne qui estimait que le seuil de 3 $ était toujours appliqué. Le directeur Hewson l’a reconnu en contre‑interrogatoire. De plus, il ressortait clairement des réponses des agents qu’ils avaient tous leurs seuils individuels que la direction s’attendait qu’ils appliquent selon leur discrétion. Aucun des sept agents interrogés n’a indiqué qu’il appliquait un seuil de 3 $. Toutefois, aucun de ces renseignements ne figure au rapport sur la recherche des faits du directeur Hewson, qui traitait simplement comme suit de la question liée aux seuils :

[Traduction]

Note de service R17‑1‑3

Les marchandises occasionnelles importées par un voyageur peuvent être dédouanées sans l’évaluation des ASF lorsque les droits de douane et la TPS dus sont réputés ne pas dépasser le seuil de 3 $. Dans le cas d’alcool, ce seuil comprendra les droits de douane fédéraux, la TPS et les majorations provinciales.

Les surintendants peuvent renoncer aux montants supérieurs à 3 $ uniquement dans les cas où le montant perçu entraînerait des retards inacceptables, un grand nombre de voyageurs résidents qui reviennent qui sont assujettis à de faibles évaluations, lorsqu’une interdiction d’activités est en cours, ou pour d’autres raisons déterminées par la direction locale.

 

[127] Après avoir posé trois questions particulières à cet égard dans le cadre de chacune des entrevues de recherche des faits, le directeur Hewson a témoigné qu’il avait omis les réponses des agents de son rapport parce qu’elles n’étaient pas pertinentes. Je conclus qu’il a posé les questions parce qu’il savait qu’elles étaient pertinentes et qu’il a omis les réponses de son rapport parce qu’elles étaient potentiellement disculpatoires.

8. Traitement différent des employés – agents chargés de l’inspection primaire

[128] Le directeur Hewson a témoigné que c’est l’agent chargé de l’inspection primaire qui prend la décision de dédouaner les voyageurs ou de les renvoyer à l’intérieur pour payer les droits de douane et les taxes. Les agents LN et MF étaient les agents chargés de l’inspection primaire qui n’ont pas renvoyé leurs collègues à l’intérieur pour payer les droits de douane et les taxes sur les marchandises qu’ils ont déclarées.

[129] Cinq agents se sont vu accorder un passage accéléré en franchise ce jour‑là, les trois premiers sont allés ensemble, ensuite deux agents individuels y sont allés chacun après 18 h. Tous les cinq ont déclaré de la bière ou de la bière et de l’alcool, selon des montants qui dépassaient le seuil habituel officieux, mais les agents chargés de l’inspection primaire n’ont néanmoins pas exigé qu’ils paient les droits de douane et les taxes. Les cinq agents importateurs ont tous été interrogés par le directeur Hewson. Ils étaient tous des défendeurs dans la recherche des faits et ont fait l’objet d’une mesure disciplinaire.

[130] L’agente MF était l’agente chargée de l’inspection primaire de la voie NEXUS lorsque le groupe de trois agents est revenu au PDE avec cinq caisses de bière chacun. Elle a été interrogée, d’abord en tant que témoin et réinterrogée ensuite en tant que défenderesse. Le rapport sur la recherche des faits à l’égard de l’agente MF indique qu’une seule carte NEXUS a été lue par un lecteur automatique et qu’elle n’avait pas balayé manuellement celles des deux autres occupants. Elle a saisi sa décision de les dédouaner dans le SIGLIP. Le directeur Hewson a conclu qu’elle avait fait preuve d’un manque de responsabilisation et qu’elle avait contrevenu à la partie B. Responsabilisation et conduite professionnelle du Code de conduite.

[131] L’agent LN était l’agent chargé de l’inspection primaire de l’agent WM, le quatrième agent que le fonctionnaire a autorisé à partir pendant sa pause‑repas à 18 h et de l’agent RT, un cinquième agent qui y est allé après son quart et n’avait donc pas besoin d’autorisation. Contrairement à l’agente MF, l’agent LN n’a été interrogé qu’une seule fois, en tant que témoin. Il n’a pas été réinterrogé en tant que défendeur.

[132] Le rapport sur la recherche des faits à l’égard de l’agent LN indique qu’il n’a non seulement omis de renvoyer l’agent RT à l’intérieur pour payer les droits de douane et les taxes sur quatre caisses de bière, mais qu’il a également omis d’obtenir des pièces d’identité ou des reçus. Il n’a recueilli aucun des renseignements requis pour dédouaner ou pour renvoyer l’agent RT et il n’a rien saisi dans le SIGLIP. Le directeur Hewson a conclu que l’agent LN avait violé la partie B. Responsabilisation et conduite professionnelle du Code de conduite parce que :

[Traduction]

[LN] n’a ni balayé ni saisi les données d’identification de [RT] dans le SIGLIP, conformément à la politique et aux lignes directrices de l’ASFC. Par conséquent, aucune décision de dédouanement ou de renvoi n’a été saisie dans le SIGLIP.

 

[133] Toutefois, l’agent LN a également omis de renvoyer l’agent WM à l’intérieur pour payer les droits de douane et les taxes sur ses cinq caisses et deux bouteilles. L’agent WM est allé à l’intérieur pour payer de son propre chef, mais à l’égard de ce voyage frontalier d’une journée et d’une personne, l’agent LN a saisi des données dans le SIGLIP selon lesquelles il s’agissait de deux voyageurs qui sont revenus à la suite d’une période de 48 heures aux États‑Unis. L’agent LN n’a pu expliquer la saisie des données erronées dans le système. Il a seulement dit qu’il ne se souvenait pas du tout de la journée en cause, mais qu’il ne saisirait pas délibérément des données erronées dans le SIGLIP.

[134] Le rapport sur la recherche des faits du directeur Hewson énonce ce qui suit :

[Traduction]

Cette analyse est fondée sur les déclarations fournies par [LN] pendant son entrevue de recherche des faits et l’examen des renseignements qui révèlent que [LN] a saisi des renseignements erronés dans le SIGLIP concernant l’absence de [WM] du Canada le 22 juillet 2015.

[…]

La saisie de données erronées par [LN] dans le SIGLIP est fondée sur les antécédents connus de [WM] en matière de voyages le 22 juillet 2015 et la séquence vidéo et du TVCF. En fonction de l’analyse ci‑dessus et en pondérant les renseignements recueillis, l’ASF [LN] n’a pas violé la partie B. Responsabilisation et conduite professionnelle du Code de conduite. Cette allégation n’est pas fondée.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[135] Le directeur Hewson ne pouvait pas expliquer de manière crédible la façon dont il a conclu que l’agent LN n’avait pas violé le Code de conduite lorsqu’il a saisi un séjour de deux jours pour deux voyageurs à l’égard de l’obtention de bière de 41 minutes de son collègue de l’autre côté de la frontière. Il ne pouvait pas non plus expliquer pourquoi la conduite de chacun des agents chargés de l’inspection primaire a été traitée de manière différente. Même si l’agente MF n’a pas tout fait selon les règles, elle a au moins saisi des renseignements dans le système indiquant qu’une décision de dédouanement avait été prise. L’agent LN n’a laissé aucune preuve du fait que l’agent RT avait traversé la frontière et avait saisi des renseignements erronés à l’égard du voyage transfrontalier de l’agent WM.

[136] À première vue des rapports de recherche des faits du directeur Hewson, il semble évident que la conduite de LN était plutôt plus sérieuse que celle de l’agente MF, mais il est demeuré un témoin et non un défendeur. La seule explication de cette situation figure dans la ligne plutôt chiffrée dans le rapport de recherche des faits qui indique ce qui suit :

[Traduction]

[LN] ne se rappelait pas que des agents ont importé de la bière ou que des agents avaient participé à une « obtention de la bière » ce jour‑là. Par conséquent, il n’a pas été réinterrogé en fonction de ses réponses au cours de la première entrevue.

 

[137] On ne peut que se demander pourquoi le manque de connaissances de l’agent LN du premier groupe l’exonérerait d’être un défendeur en fonction de sa propre conduite lorsqu’il a traité les deux agents qui s’y sont rendus plus tard. Le commentaire n’est toutefois pas conforme à l’approche générale de l’employeur concernant ces incidents qui consiste à mettre un accent accru sur la responsabilité du fonctionnaire pour les actes du groupe des trois, mais qui n’a démontré aucun intérêt à le tenir responsable des actes des agents chargés de l’inspection primaire ou des actes de l’agent WM.

[138] On peut également se demander pourquoi l’allégation la plus grave contre l’agent LN a été déterminée, sans explication, comme étant sans fondement. En contre‑interrogatoire, on a demandé au directeur Hewson s’il avait dit à l’agent LN [traduction] « ne t’inquiète pas, je prendrai soin de toi ». Le directeur Hewson a convenu qu’il lui avait en fait dit cela, mais il a dit qu’il ne se souvenait pas du contexte. Je lui ai demandé de confirmer cette réponse. Il a confirmé qu’il avait dit cela à l’agent LN et a dit qu’il ne voyait aucun problème à dire cela à un agent.

[139] Aucun des agents chargés de l’inspection primaire n’a fait l’objet d’une suspension. Le témoignage du directeur Hewson était un peu vague à cet égard, mais il a laissé entendre qu’il se peut qu’ils aient reçu une autre mesure disciplinaire ou qu’ils aient suivi un counseling. Aucune explication n’a été donnée pour avoir traité de manière aussi différente les actes de chacun des deux agents chargés de l’inspection primaire ou du fait de les avoir traités de manière différente par rapport aux agents importateurs.

9. Traitement différent des employés – Receveurs de la bière

[140] L’employeur a allégué que le fonctionnaire aurait dû payer les droits de douane et les taxes sur ses deux caisses et aurait dû s’assurer que les autres receveurs de la bière ont fait de même. Le directeur Hewson a exprimé ce point de vue dans son témoignage et dans son rapport de recherche des faits. Toutefois, toute notion de leur responsabilité de payer ne survient que dans le contexte de sa déclaration selon laquelle le fonctionnaire aurait dû s’assurer qu’ils paient. Il semble qu’ils n’aient aucune responsabilité individuelle, sauf l’allégation contre le fonctionnaire. Le rapport de recherche des faits du directeur Hewson ne mentionnait que ce qui suit à l’égard des receveurs de la bière :

[Traduction]

Smith aurait dû s’assurer de payer les droits de douane et les taxes sur la bière qu’il a commandée et s’assurer que les agents qui ont importé ou ont reçu la bière auraient dû payer les droits de douane et les taxes applicables sur la bière.

[Je mets en évidence]

 

[141] Toutefois, l’ensemble de l’enquête, qui s’est enfin déroulée de juillet 2015 à février 2016, ne tenait aucunement compte des receveurs de la bière. Il ne ressort aucunement de la preuve qu’ils ont fait l’objet quelconque d’une enquête. Ils n’ont pas été interrogés, même pas en tant que témoin. Ils n’ont fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire ou n’ont reçu de counseling. L’un d’eux, soit le voisin du directeur Hewson, n’a même pas été identifié.

[142] À la question de savoir s’il savait que son voisin était le troisième agent qui a reçu de la bière, mais qui n’a pas été nommé dans les entrevues de recherche des faits, comme les autres l’ont été, le directeur Hewson a simplement répondu que [traduction] « personne ne l’a informé de ce fait ». Il n’a pas non plus demandé, apparemment. Aucune explication n’a été donnée de son omission de poser des questions au sujet de l’identité de cet agent.

[143] Aucune question n’a été donnée non plus du manque d’intérêt général de l’employeur à l’égard des receveurs de la bière, sauf dans le contexte de reprocher au fonctionnaire le fait qu’il ne s’est pas assuré qu’ils paient ou dans le contexte de reprocher le fonctionnaire lui‑même, en tant que receveur de la bière.

10. Conclusion concernant l’enquête de l’obtention de la bière

[144] L’enquête de recherche des faits effectuée dans la présente affaire a été entachée de nombreux manquements à l’équité procédurale et d’une partialité apparente, dont aucun n’a été expliqué de manière crédible par l’employeur. De plus, le témoignage du directeur Hewson a été marqué par un manque extraordinaire de crédibilité. Lorsque son témoignage différait de celui de la chef par intérim St. Onge, ce qui était souvent le cas, j’ai privilégié le témoignage honnête et raisonné de cette dernière et je m’y suis fiée.

11. Déclaration des agents des services frontaliers de Coutts

[145] Quarante‑neuf agents ont signé une déclaration du 6 octobre 2016, immédiatement avant que le fonctionnaire ne reçoive sa lettre de suspension. Aucun témoin n’a assisté à l’audience pour discuter de cette déclaration, mais son contenu est pertinent et s’harmonise grandement avec le témoignage et d’autres preuves documentaires examinées dans la présente affaire. Elle est reproduite, dans son intégralité, ci‑dessous :

[Traduction]

2016‑10‑06

Madame,

Monsieur,

En tant qu’agents de l’Agence des services frontaliers du Canada au point d’entrée de Coutts, nous avons éprouvé une grande pression au fil des ans en raison du nombre fluctuant de voyageurs, du nombre décroissant d’employés, des priorités en constante évolution et maintenant des mesures disciplinaires inéquitables. Les agents ont été informés et conseillés en vue d’appuyer les principales priorités du district du Sud de l’Alberta à compter de 2010 jusqu’à 2016. Pendant cette période, nous avons assisté à des séances d’information, reçu des courriels et tenu des conversations avec les surintendants, les chefs et le directeur Hewson nous demandant de mettre l’accent sur les principales priorités en matière d’application de la loi et non sur la perception des droits de douane et des taxes afin de concentrer nos efforts sur les activités d’application de la loi à risque élevé et à accélérer les temps de traitement des voyageurs.

Les agents n’ont été informés, à aucun moment avant mars 2016, que leurs niveaux de discrétion se limitent uniquement à la note de service R17‑1‑3, qui énonce que les agents de l’ASFC sont tenus de percevoir les droits de douane et les taxes sur les marchandises occasionnelles lorsque le montant dû s’élève à au moins 3 $, sauf indication expresse d’un surintendant selon laquelle le seuil du passage accéléré en franchise a été augmenté. Les agents ont exercé régulièrement leur pouvoir discrétionnaire en fonction du volume de la circulation, des activités d’application de la loi et du nombre d’employés lorsqu’ils ne percevaient pas des droits de douane et des taxes au niveau de 3 $. Le directeur et divers chefs ont toléré ce processus et les surintendants devaient promouvoir et cultiver une philosophie au sein des grades d’agent. De plus, la direction n’a jamais ordonné aux agents de traiter les employés de manière différente par rapport aux voyageurs membres du public. En raison des modifications récentes, nous avons demandé, à maintes reprises, à la direction si les seuils de passage accéléré en franchise s’appliquent aux employés non en service et nous n’avons toujours reçu aucune réponse de la haute direction.

Nous croyons que notre haute direction a fait preuve d’une mauvaise gestion flagrante de la politique sur le passage accéléré en franchise puisqu’elle a fourni des renseignements incohérents et n’a fourni aux employés aucune directive ou attente claire. Nous avons respecté et continuons de respecter les directives qui nous ont été données par notre direction et nous estimons fortement que nous ou nos collègues ne devrions pas être assujettis à des mesures disciplinaires malveillantes en raison d’une mauvaise gestion.

Veuillez agréer, Madame, Monsieur, nos salutations distinguées.

Agents des services frontaliers de Coutts

IV. L’incident du fuyard du PDE

[146] Le 12 novembre 2015, un conducteur non identifié avec une plaque d’immatriculation américaine est passé à travers la voie d’inspection primaire sans arrêter. Deux ASF inexpérimentés ont pris les clés que la direction avait accrochées près de la porte du bureau à cette fin, ils sont embarqués dans le véhicule appelé [traduction] « poursuite » ou le véhicule de [traduction] « fuyard désigné » et ont poursuivi le fuyard. Tout cela était conforme à la politique et à la pratique au PDE; ils ont fait ce qu’ils étaient censés faire. Toutefois, ils ont continué de poursuivre le fuyard au‑delà de la frontière du PDE, ce qui était contraire à la politique. Un des agents avait été au PDE de Coutts depuis moins d’un an; l’autre n’y avait commencé que depuis quelques semaines.

[147] Le fonctionnaire était le surintendant en service. Sa lettre de suspension indiquait que son inconduite consistait en son omission d’ordonner que les agents reviennent au PDE. C’est ce qu’a également indiqué le rapport de recherche des faits. Toutefois, à l’audience, il est devenu clair que l’allégation était qu’il avait omis d’ordonner qu’ils reviennent [traduction] « à la première occasion ». Cela, à mon avis, constitue une allégation très différente. Sans explication, dans sa plaidoirie, l’allégation a été de nouveau qu’il a simplement omis de leur ordonner de revenir.

[148] La poursuite réelle du véhicule était d’une durée très courte, probablement moins d’une minute. La distance exacte pendant laquelle les ASF ont poursuivi le fuyant n’est pas connue, mais la preuve indique qu’il s’agissait peut‑être d’un kilomètre. La déviation à un poste de pesée pour les véhicules commerciaux se situe à environ 1,3 km sur l’autoroute. Un des agents croyait que le poste de pesée délimitait la distance qu’ils pouvaient parcourir et ils ont donc mis fin à la poursuite avant d’y parvenir.

[149] Après avoir mis fin à la poursuite, ils ont ralenti et ont continué de conduire, cherchant un endroit pour tourner le véhicule dans l’autre sens sur l’autoroute. Ils ont manqué une déviation et avant d’en trouver une autre, ils ont vu le véhicule du fuyard. Il était arrêté le long du chemin à proximité de la voie ferrée, environ trois kilomètres du PDE. Ils se sont approchés à environ une longueur de voiture derrière le véhicule, mais ils sont restés dans leur véhicule. Le seul contact qui a eu lieu est lorsque le fuyard a commencé à sortir de son véhicule. Un des agents a ouvert sa porte, s’est penché et a hurlé au fuyard de rester dans le véhicule.

[150] Le fonctionnaire était en contact radio avec les agents et avait compris qu’ils avaient mis fin à la poursuite et revenaient au PDE. Toutefois, ils l’ont ensuite informé qu’ils ont constaté que le fuyard était sur le côté du chemin et qu’ils s’étaient stationnés derrière lui. Il y avait de l’électricité statique et il était difficile de communiquer. Dans le feu de l’action, le fonctionnaire a décidé de quitter le PDE pour trouver les agents, pour assurer leur sécurité et pour leur ordonner de revenir. Une ASF chevronnée, soit l’agente JP, se préoccupait également de la sécurité de ses collègues et s’est portée volontaire d’aider. Le fonctionnaire et l’agente JP sont allés retrouver les agents subalternes.

[151] Dès qu’ils les ont trouvés, le fonctionnaire s’est stationné à côté d’eux et leur a dit à travers de la fenêtre du passager qu’ils avaient été trop loin. Étant donné qu’il n’est pas sécuritaire d’être stationné un à côté de l’autre sur l’autoroute, il a ensuite stationné son véhicule derrière le leur et il est sorti pour parler avec eux. Le fonctionnaire a demandé aux agents ce qui s’était passé et s’il y avait eu un contact avec le fuyard, qui était maintenant assis dans son véhicule avec les mains en l’air. Ils l’ont informé qu’à l’exception de lui hurler de rester dans son véhicule, ils n’avaient eu aucun contact et n’avaient pas sorti de leur véhicule. Le fonctionnaire leur a donc ordonné de retourner au PDE et ils sont tous partis avant l’arrivée de la GRC. La séquence vidéo indique que le fonctionnaire était de retour dans un délai de 10 minutes. Les ASF étaient absents du PDE pendant 15 minutes.

[152] L’employeur déclare que le fonctionnaire avait été un surintendant depuis un an et avait occupé le poste par intérim pendant diverses périodes de 2011 à 2014, soit un total de cinq à six mois. Il aurait donc dû être au courant de l’interdiction claire de poursuivre des véhicules au‑delà du PDE. Il avait admis ne pas bien connaître son rôle et ses responsabilités dans cette situation particulière et le fait de ne pas connaître les règles ou les politiques ne constitue pas une excuse. Il incombait au fonctionnaire de connaître tous les documents importants régissant sa conduite au travail, surtout compte tenu de ses sept ans de service et son poste de gestionnaire.

[153] La raison pour laquelle l’employeur ferait valoir cet argument n’est pas claire, car le fonctionnaire n’a jamais dit qu’il ne connaissait pas la politique. Au contraire, il savait que les agents ne devaient pas poursuivre les fuyards au‑delà de la frontière. C’est exactement ce qu’il a dit à l’agente JP avant qu’ils aient quitté le PDE, il s’agissait de la première chose qu’il a dite aux ASF lorsqu’il s’est stationné à côté d’eux sur l’autoroute et il l’a dit de nouveau dans son entrevue de recherche des faits.

[154] Toutefois, les politiques indiquent uniquement que cela ne devrait pas avoir lieu; elles sont silencieuses au sujet de ce qu’un surintendant devrait faire si cette situation survient. La chef par intérim St. Onge et le directeur Hewson ont tous les deux confirmé qu’il n’existe aucune politique, ligne directrice, formation ni aucun protocole pour orienter un surintendant dans le cadre d’une telle situation. Les fuyards ne sont pas fréquents. Le fonctionnaire était surintendant depuis uniquement un an et il s’agissait de sa première expérience avec un fuyard. Il s’agissait également de sa première expérience où des agents subalternes ont participé à une poursuite en véhicule au‑delà de la frontière.

[155] Le fonctionnaire a reconnu complètement et ouvertement qu’il ne savait pas immédiatement quoi faire au cours des premières minutes d’une situation inconnue et en évolution rapide, au cours de laquelle il était confronté à une communication radio difficile et intermittente. Il a fait de son mieux pour répondre à la situation. L’employeur a reconnu ce fait et n’a pas contesté le fait qu’il a agi entièrement de bonne foi et qu’il n’a fait rien avec de mauvaises intentions.

A. Les politiques sur les fuyards

[156] L’article 2.4.1 de la [traduction] Procédure normale d’exploitation de l’ASFC sur le recours à la force et le signalement d’incidents de recours à la force Procédures d’exploitation ») énonce en partie ce qui suit :

[Traduction]

2.4.1 Les agents ne sont pas censés arrêter les personnes qui s’enfuient vers le Canada ou du Canada dans le cadre de situations à risque élevé (p. ex. établir un barrage routier pour arrêter les fuyards ou participer à des poursuites en véhicule). Ces situations ou des situations de nature semblable, continueront de relever de la responsabilité de la police. L’Agence doit assurer la sécurité des employés et des membres du public dans le secteur.

[Je mets en évidence]

 

[157] Le Prairie Region Port Runner Protocol de 2014 a été envoyé par le DGR Scoville au personnel de la direction de la région des Prairies le 27 juin 2014 et a été acheminé à tous les membres du personnel à Coutts. Sous la rubrique [traduction] « Procédures immédiates », le protocole énonce ce qui suit :

[Traduction]

Tentez d’empêcher le véhicule et ses occupants de quitter notre secteur, conformément à nos capacités, politiques et lois – ne poursuivez pas le véhicule et les occupants au‑delà du PDE.

[Je mets en évidence]

 

[158] L’employeur a soutenu que ses politiques étaient claires. Toutefois, les Procédures d’exploitation énoncent que les agents ne sont [traduction] « pas censés » arrêter les personnes qui s’enfuient vers le Canada; elles ne les interdisent pas expressément de le faire. On peut imaginer un agent ambitieux et respectueux de l’application de la loi qui souhaite en faire plus que ce qu’il est [traduction] « censé » faire. Habituellement, il s’agit d’une bonne idée de se distinguer en dépassant les attentes dans un milieu d’emploi.

[159] Le Prairie Region Protocol énonce plus clairement que les agents doivent effectuer des [traduction] « tentatives » qui comprennent la poursuite, mais ils ne doivent pas les poursuivre au‑delà du PDE.

[160] Le fait que les politiques n’étaient pas claires est démontré davantage par la tentative de l’employeur de les modifier ou de les clarifier à la suite de l’incident du fuyard. Tout comme la politique sur les droits de douane et les taxes, il est ressorti de la preuve que les agents et les surintendants ont continué de demander une clarification de la politique sur les fuyards à la suite de l’événement. Le directeur Hewson ne pouvait pas préciser la modification ou la clarification qui, selon son témoignage, avait été apportée. La preuve n’était pas claire, mais il semble que, en fin de compte, la politique initiale a été rétablie.

[161] Le directeur Hewson a allégué en outre que le fonctionnaire avait contrevenu au Bulletin opérationnel PRG‑2012‑46 de 2012 ([traduction] Frontière sans effectif) intitulé [traduction] Patrouille entre les points d’entrée (PDE) de l’ASFC et les sites de déclaration qui énonce en partie ce qui suit :

[Traduction]

Le Bulletin opérationnel a pour objet de rappeler aux agents des services frontaliers (ASF) qu’ils ne doivent pas patrouiller, approcher ou poursuivre une personne ou un mode de transport qui se trouve le long de la frontière sans effectif entre les PDE de l’ASFC et les sites de déclaration. Ces types d’activités ne s’harmonisent pas à la politique de l’Agence et peuvent comporter des risques pour la sécurité, ainsi que des responsabilités. Par conséquent, ces types d’activités ne sont pas autorisées.

[Je mets en évidence]

 

[162] Cette politique n’avait jamais été mentionnée avant l’audience et n’est pas énumérée dans la lettre de discipline en tant que politique qui avait été violée. Le directeur Hewson a convenu, en contre‑interrogatoire, qu’elle ne se rapporte pas aux fuyards, mais plutôt aux personnes qui traversent entre les points d’entrée, communément appelées des « personnes traversant clandestinement la frontière ». Néanmoins, même dans sa plaidoirie, l’employeur a continué d’alléguer que le fonctionnaire avait violé la politique non applicable sur les personnes traversant clandestinement la frontière.

[163] L’employeur a allégué que le fonctionnaire a contrevenu à toutes ces politiques lorsqu’il a omis d’ordonner aux ASF de revenir immédiatement au PDE, par radio. Il a dit qu’il avait omis de tenir compte des risques très graves pour la santé et la sécurité inhérentes à l’incident. Il a renvoyé aux passages suivants du Code de conduite :

[Traduction]

« […] un leadership éthique englobe, entre autres, tenir compte de sa propre santé, sécurité et sûreté, ainsi que celles de nos collègues. » « En tant que professionnels, les employés sont censés appliquer et suivre les politiques applicables » et « Une mesure, ou l’omission de prendre une mesure, qui n’est pas conforme au Code, peut donner lieu à une mesure disciplinaires ».

 

B. Recherche des faits de l’incident du fuyard

[164] Les mêmes questions surviennent à l’égard de cet incident, c’est‑à‑dire, pourquoi la chef par intérim St. Onge n’a pas été consultée quant à la nécessité d’une recherche des faits et qu’elle ne l’a pas menée? Il était évident dans sa première correspondance à l’intention de la haute direction qu’elle ne constatait pas une telle nécessité. Le directeur du district Hewson n’a pas non plus indiqué, dans son rapport sur l’incident, qu’il estimait qu’elle était nécessaire. Toutefois, il n’a pas été consulté non plus. Tout comme l’incident d’obtention de la bière, la décision d’effectuer une recherche des faits a été prise par la haute direction. De plus, le gestionnaire du fonctionnaire n’était pas autorisé de la mener, malgré l’exigence claire d’une politique.

[165] Le directeur Hewson n’a pas non plus été chargé de la recherche des faits dans ce cas. Il a témoigné qu’il a été informé expressément au début que ce n’était pas son dossier et qu’on lui avait ordonné de ne rien faire. (On lui avait dit la même chose à l’origine à l’égard de l’incident d’obtention de la bière, mais il avait été ensuite chargé d’effectuer la recherche des faits). Toutefois, la directive initiale de ne rien faire n’a pas été modifiée cette fois‑ci.

[166] Le surintendant Fogarty a témoigné que Michael Shoobert lui avait demandé de mener la recherche des faits environ une semaine après l’incident. Il a soumis son rapport et les notes sur lesquelles il était fondé, directement à M. Shoobert.

[167] Je fais remarquer en passant que, sous la rubrique [traduction] Quels sont les éléments essentiels d’une recherche des faits?, le Guide de référence énonce ce qui suit :

[Traduction]

Une indication qu’une allégation d’inconduite est affectée à l’externe (ou affectée à un gestionnaire d’un autre district) aux fins de recherche des faits ou d’une enquête par la direction constitue une indication d’une interruption possible dans le système et les Enquêtes des normes professionnelles (ENP) doivent être consultées immédiatement.

1. Les titres professionnels de l’enquêteur

[168] L’employeur a présenté le surintendant Fogarty en tant qu’agent ayant une expertise spécialisée en enquêtes administratives. Il a témoigné dans cette veine et a également dit qu’il avait suivi une formation spécialisée dans ce domaine. Toutefois, en contre‑interrogatoire, il ne pouvait pas préciser aucune telle formation. En fin de compte, il a répondu ce qui suit :

[Traduction]

Je supposerais qu’à un moment donné dans le passé, lorsque j’étais un surintendant, j’aurais suivi une formation en enquêtes administratives, et non un cours de formation officiel, elle aurait été semblable à ce qu’on suit en tant qu’ASF, les techniques d’interrogation, la formation est ce que nous apprenons en tant qu’agents et de surintendants pour effectuer le travail.

 

[169] À la question [traduction] « avez‑vous suivi un cours de formation précis? », le surintendant Fogarty a finalement répondu : [traduction] « Non, pas que je me souvienne. »

[170] Je mentionne le témoignage du surintendant Fogarty à cet égard, car il porte sur la crédibilité et parce que son expertise avait été hautement vantée, non seulement dans la déclaration préliminaire de l’employeur, mais même dans sa plaidoirie finale, après qu’il est ressorti de la preuve qu’une enquête inadéquate avait été menée et qu’il y avait eu un mépris flagrant pour l’équité procédurale.

[171] Le surintendant Fogarty a convenu à l’origine qu’il était tenu de respecter toutes les politiques et procédures de l’ASFC pour mener sa recherche des faits. Il a confirmé qu’il avait accès aux mêmes politiques et aux mêmes guides de référence que le directeur Hewson avait reconnus. Toutefois, lorsqu’il a été interrogé de manière plus approfondie quant à la façon dont il a mené la recherche des faits, ses réponses ont révélé qu’il ne connaissait pas le contenu des politiques et des lignes directrices et qu’il ne les avait pas suivies à bien des égards. Il a admis qu’il n’avait pas passé en revue les politiques avant de mener la recherche des faits, mais qu’il savait simplement qu’elles existaient.

[172] À la question de savoir pourquoi il n’a pas suivi les procédures énoncées dans le Guide de référence ou dans l’Aide‑mémoire, dont les deux se rapportent particulièrement aux recherches des faits, le surintendant Fogarty a, en fin de compte, laissé entendre qu’elles portaient sur les normes professionnelles, qu’il n’était pas un enquêteur en matière de normes professionnelles et que, par conséquent, elles ne s’appliquaient pas à lui et qu’il n’était pas tenu de les suivre.

2. Retard à amorcer la recherche des faits

[173] À la question de savoir pourquoi la recherche des faits n’avait pas été achevée ou même amorcée dans le délai de 10 jours requis, le surintendant Fogarty a vaguement laissé entendre que [traduction] « les personnes étaient occupées à effectuer des examens » et « [qu’]il s’agissait de la période des Fêtes ». Lorsqu’on lui a demandé s’il estimait que les renseignements qu’il avait recueillis étaient exacts étant donné le retard, il a déclaré qu’ils étaient entièrement exacts parce qu’ils avaient été fournis par les agents qui ont participé à une poursuite et qu’ils se seraient souvenus de tout.

3. Omission de recueillir tous les renseignements pertinents

[174] À la question de savoir si les agents avaient pris des notes sur l’incident, le surintendant Fogarty a répondu qu’il n’avait aucune idée. Le rapport de recherche des faits a révélé que l’agent TK avait fourni volontairement les renseignements selon lesquels la première chose qu’il a faite lorsqu’il est revenu au PDE était de prendre des notes sur l’incident dans son carnet. Le surintendant Fogarty n’a fait aucun suivi et n’a pas demandé non plus de voir ces notes.

[175] Il n’a pas non plus demandé au directeur Hewson de lui fournir des renseignements ou de discuter des détails de l’affaire avec lui. Il n’a pas discuté avec la chef par intérim St. Onge du tout. Même si aucune de ces personnes n’avait été témoin de l’événement, le fonctionnaire les avait appelés tous les deux immédiatement après l’incident en vue de le signaler. De plus, les deux auraient pu fournir beaucoup de renseignements quant à la façon dont les fuyards sont traités au PDE et quant à l’utilisation du véhicule de poursuite.

[176] Même si le directeur Hewson a témoigné qu’il avait été ordonné de ne rien faire, il est ressorti de la preuve qu’il a présenté trois [traduction] « demandes d’information » et qu’il avait reçu trois rapports sur l’incident. Toutefois, le surintendant Fogarty n’a pas vérifié s’il existait des rapports et le directeur Hewson ne les lui a pas transmis, et ce, sans explication. Par conséquent, l’enquêteur n’était nullement au courant du fait que le directeur Hewson avait reçu des rapports des agents CV et JP, ainsi que du fonctionnaire et qu’il ne les avait jamais vus.

[177] Le rapport de l’agente JP était du 23 décembre 2015. Elle a signalé qu’elle avait vu le fuyard s’enfuir au kiosque de l’inspection primaire. Elle avait vu l’agent TK sortir en courant. Elle a couru au kiosque de l’inspection primaire pour obtenir les renseignements sur la plaque d’immatriculation et elle a appelé la GRC ou a demandé à une autre personne de le faire. Elle était en contact avec le fonctionnaire au PDE après qu’il a parlé avec les agents par radio. Elle a participé à l’incident et s’est portée volontaire à accompagner le fonctionnaire pour aller chercher les agents subalternes. Voici un extrait de son rapport :

[Traduction]

Le surintendant SMITH marchait vers la porte derrière moi au bureau d’immigration. Il portait un manteau et avait des clés en main. Je lui ai demandé ce qu’il faisait. SMITH a répondu que les gars [TK] et [CV] étaient allés trop loin et qu’il allait les chercher. Étant donné que j’avais été témoin du comportement du véhicule en cause, j’étais inquiète quant à la sécurité de mes collègues et j’ai demandé à SMITH s’il aimerait avoir de l’aide. SMITH a répondu par l’affirmative.

 

[178] En chemin pour aller chercher les agents, le fonctionnaire et l’agente JP ont discuté de la situation et de ce qui doit être fait. Lorsqu’ils sont arrivés à l’endroit où se trouvaient les agents, le fonctionnaire s’est stationné à côté d’eux et a parlé devant l’agente JP qui était dans le siège passager, en leur disant qu’ils étaient allés trop loin. L’agente JP était présente lorsque le fonctionnaire a demandé aux agents ce qui était arrivé et lorsqu’il leur a ordonné de retourner au PDE.

[179] En résumé, ce témoin avait les renseignements les plus complets disponibles au sujet du rôle du fonctionnaire dans l’incident, du début à la fin, au sujet des événements qui sont survenus au bureau du PDE et sur l’autoroute. Elle aurait pu fournir tous ces renseignements, si on lui avait demandé. Toutefois, le directeur Hewson n’a pas donné son rapport à l’enquêteur. De plus, le surintendant Fogarty, même s’il était au courant de son rôle dans l’incident (il la nomme dans son rapport de recherche des faits), ne l’a pas interrogé.

4. Droit du fonctionnaire s’estimant lésé de connaître les arguments soulevés contre lui

[180] Le 20 décembre 2015, le directeur Hewson a demandé au fonctionnaire de lui donner des renseignements sur l’incident du fuyard. Il ne l’a pas informé qu’une allégation avait été portée contre lui ou que les renseignements étaient demandés dans le contexte d’une recherche des faits.

[181] Environ deux mois et demi après l’incident, M. Fogarty a envoyé au fonctionnaire un avis sans date l’informant pour la première fois qu’il s’agissait d’une recherche de faits et qu’il fixait son entrevue au 1er février 2016. L’avis énonce ce qui suit :

[Traduction]

On m’a demandé de mener une enquête administrative concernant l’utilisation d’un véhicule gouvernemental au point d’entrée de Coutts le 12 novembre 2015 et de violations possibles du Code de conduite.

[Je mets en évidence]

 

[182] La raison de l’entrevue a été libellée vaguement en faisant référence à [traduction] « l’utilisation d’un véhicule gouvernemental » et [traduction] « des violations possibles du Code de conduite ». L’avis ne comporte aucun renseignement quant à l’omission d’ordonner aux agents de revenir au PDE. Il ne comporte aucune allégation contre le fonctionnaire. Il n’indique pas qu’il est un défendeur. Je conclus que l’avis était délibérément vague, étant donné la phrase suivante :

[Traduction]

Nous discuterons de renseignements particuliers à ce moment‑là, lorsque nous nous assoirons pour effectuer l’entrevue.

 

[183] Il indique ensuite que l’entrevue peut être menée [traduction] « un à un » ou que le fonctionnaire peut être accompagné d’un observateur, sous réserve d’approbation. Il ne comporte aucune mention du fait que William Paolini, gestionnaire régional de la sécurité de la région des Prairies y assistera également.

[184] L’avis n’indique pas qui a demandé au surintendant Fogarty de mener l’enquête et l’avis est simplement signé [traduction] « Michael Fogarty, surintendant, Agence des services frontaliers du Canada, Regina (Saskatchewan) ». Le fait de signer l’avis d’entrevue uniquement en indiquant son grade et aucun autre renseignement, à mon avis, laisserait entendre à tout surintendant qu’il sera interrogé en tant que témoin, concernant une inconduite d’un ASF.

[185] Non seulement l’avis ne mentionne pas que le fonctionnaire sera interrogé en tant que défendeur, je conclus qu’il n’a pas non plus, en fait, été interrogé en tant que défendeur.

[186] Le rapport de recherche des faits même l’identifie uniquement comme un témoin et énonce que la recherche des faits avait pour objet : [traduction] « de déterminer tous les faits pertinents concernant les allégations d’inconduite de [ASF TK et ASF CV] et d’établir un fondement factuel consigné en fonction duquel des décisions peuvent être prises par la direction à l’égard de ces événements ». Les allégations étaient les suivantes : [traduction] « Le 12 novembre 2015 [ASF CV et ASF TK] ont violé le Code de conduite de l’Agence et le Code de valeurs et d’éthique du secteur public lorsqu’ils ont participé à une poursuite d’un fuyard à l’extérieur de la propriété de l’Agence des services frontaliers du Canada dans un véhicule gouvernemental. » Il n’y a aucune mention du fonctionnaire.

[187] Le surintendant Fogarty a convenu que la recherche des faits était établie de manière à examiner la conduite d’uniquement deux agents, mais, en fin de compte, elle visait également le fonctionnaire. Il a reconnu que, même si le fonctionnaire n’était qu’un témoin, des constatations avaient été formulées contre lui dans la conclusion du rapport de recherche des faits. Il ne semblait pas constater que ce type d’approche en matière de recherche des faits comporte une iniquité procédurale.

[188] Le Guide de référence en matière de recherche des faits énonce ce qui suit :

[Traduction]

Une recherche des faits ne constitue pas une recherche à l’aveuglette; une portée de l’enquête doit être établie et le gestionnaire chargé de mener la recherche des faits doit la respecter. Toutes les allégations qui sont soulevées et qui outrepassent la portée de la recherche des faits doivent être annotées et peuvent faire l’objet d’une autre recherche des faits ou d’une enquête distincte.

 

[189] Il n’y avait aucune indication dans la [traduction] « demande d’information » de décembre du directeur Hewson ou dans l’avis de l’entrevue de recherche des faits, ou même dans le rapport de recherche des faits lui-même, qu’une allégation avait été portée contre le fonctionnaire. Il n’y avait aucune preuve que le fonctionnaire était un défendeur dans cette affaire jusqu’à ce qu’il soit informé qu’il ferait l’objet d’une mesure disciplinaire.

[190] La réalisation d’une recherche des faits équitable signifie s’assurer que le défendeur sait qu’il est un défendeur et connaît la ou les allégations précises auxquelles il doit répondre. Il ne s’agit pas seulement d’une politique de l’ASFC, mais d’un principe fondamental de la justice naturelle.

5. Notes de l’enquêteur de la recherche des faits

[191] Le surintendant Fogarty a dit qu’afin de rédiger son rapport, il s’est fié aux notes qu’une personne a prises pour lui pendant les entrevues de recherche des faits. Il ne pouvait pas se souvenir qui était cette personne. Il a témoigné qu’il avait présenté les notes à l’employeur avec son rapport et qu’il ne savait pas pourquoi elles ne pouvaient être trouvées. L’employeur n’a donné aucune explication de son incapacité de produire les notes.

[192] Tout comme la procédure de recherche des faits du directeur Hewson, on a demandé aux personnes interrogées de signer leur consentement quant à l’exactitude des notes prises. Toutefois, les notes ne comprenaient pas les questions posées, uniquement les réponses données. Aucune explication n’a été donnée à l’égard de cette procédure bizarre et inéquitable.

[193] En dépit du fait que certaines des réponses consistaient uniquement en des « oui » ou « non », le surintendant Fogarty a insisté sur le fait qu’il pouvait se souvenir de chacune des questions qu’il a posées. Ce n’était pas nécessaire de les écrire. Cela constituait un témoignage surprenant, étant donné qu’il ne pouvait pas se souvenir de l’identité de la personne qui a pris les notes avec qui il a effectué les entrevues.

[194] Plus surprenant et troublant encore est le fait que la seule préoccupation du surintendant Fogarty était sa propre capacité à se souvenir des questions. Le droit du fonctionnaire de les voir afin qu’il puisse savoir ce qu’on lui demandait de signer n’a pas été pris en compte.

6. Communication radio

[195] Le fonctionnaire avait indiqué dans son premier rapport du 12 novembre 2015, Avis d’événement important (AEI), dans sa réponse du 20 décembre 2015 à la demande d’information du directeur Hewson et, dans son entrevue de recherche des faits, que les radios ne fonctionnaient pas correctement, qu’il y avait de l’électricité statique et que la communication était difficile. Le surintendant Fogarty a témoigné que les ASF n’ont rien dit au sujet des problèmes liés aux radios, qu’ils semblaient savoir en tout temps ce qui se passait au PDE. Toutefois, les notes prises concernant les entrevues de recherche des faits (obtenues dans le cadre d’une demande d’AIPRP) indiquaient autrement, comme suit :

[Traduction]

« Ne pouvait pas les entendre sur la radio » (entrevue du fonctionnaire)

« Il y avait de l’électricité statique sur la radio après avoir quitté le PDE » (entrevue de l’ASF CV)

« La radio avec le PDE grésillait » (entrevue de l’ASF TK).

 

[196] Le surintendant Fogarty a convenu qu’il n’avait pas essayé les radios ni posé d’autres questions quant à leur fonctionnement ce soir‑là, même s’il avait été affecté à mener la recherche des faits dans la semaine suivant l’incident. Il n’a pas essayé de déterminer s’il y avait des témoins au bureau qui aurait peut‑être entendu la conversation radio.

[197] Il n’a pas interrogé l’agente JP qui avait été à proximité, qui y portait une attention particulière, qui a participé à l’événement et qui pourrait aussi avoir entendu la conversation radio. Certes, elle a discuté avec le fonctionnaire immédiatement après, selon son rapport, et se préoccupait de la sécurité de ses collègues. Il semble plutôt probable qu’elle aurait peut‑être des renseignements à fournir quant au fonctionnement des radios.

[198] Sans demander d’autres renseignements de l’agente JP ni à qui que ce soit d’autre, le surintendant Fogarty a simplement conclu que les radios fonctionnaient bien parce que le fonctionnaire avait été en mesure d’entendre que les agents s’étaient arrêtés près des voies ferrées. Il ne l’a pas indiqué dans son rapport, mais il a indiqué très clairement dans son témoignage qu’il ne croyait tout simplement pas que les radios ne fonctionnaient pas.

[199] À mon avis, ce n’était pas approprié que l’enquêteur conclue que le fonctionnaire était malhonnête au sujet des radios, sans poser d’autres questions. Son témoignage selon lequel les agents n’avaient pas mentionné ce mauvais fonctionnement était erroné – tous les deux l’avaient mentionné. En ce qui concerne le fait que le fonctionnaire a réussi à entendre que les agents étaient près des voies ferrées, il n’a pas dit que les radios ne fonctionnaient pas du tout, seulement que la communication était intermittente et difficile. Il s’agit d’un facteur qui l’a mené à chercher les agents une fois qu’il a entendu qu’ils ne cherchaient plus à revenir, mais qu’ils étaient maintenant près des voies ferrées et stationné derrière le véhicule du fuyard.

[200] En outre, le fonctionnaire a été aussi transparent qu’une personne peut l’être à l’égard de toute cette affaire. Il n’a rien retenu, y compris le fait qu’il ne savait pas exactement ce qu’il aurait dû avoir fait. La transparence et une évaluation honnête de soi ne devraient pas se heurter à des soupçons sans fondement et à des accusations de malhonnêteté. C’est ce qui s’est produit et laisse entendre un manque de neutralité de la part de l’enquêteur.

7. Discuter brièvement avec les agents – un autre retard?

[201] Le surintendant Fogarty a conclu que le fonctionnaire n’avait pas ordonné immédiatement aux BSF de retourner au PDE, même lorsqu’il les a rejoints près des voies ferrées. Il a écrit que [traduction] « même là il y avait un retard ». Cela était fondé sur la brève discussion que le fonctionnaire a eu avec l’agente JP et sur une brève discussion avec les agents en vue de leur demander ce qui était arrivé et s’ils avaient eu un contact avec le fuyard, avant de leur ordonner de retourner au PDE.

[202] On a estimé que la dernière conversation a duré de 15 à 20 secondes. Les fonctionnaires et les agents ont communiqué les deux mêmes questions posées et répondues. La conversation très brève n’a pas été contestée. S’il y avait un doute quant à la durée de l’une ou l’autre des conversations, l’agente JP aurait pu être interrogée quant à son estimation, mais elle ne l’a pas été.

[203] Le fait de caractériser ces très brèves discussions comme un autre « retard » constitue, à mon avis, un autre indicateur du manque de neutralité dont a fait preuve l’enquêteur. Pire encore, il a été répété dans la plaidoirie finale de l’employeur, comme suit :

[Traduction]

« M. Smith a ensuite quitté le lieu de travail et s’est rendu à l’endroit près des voies ferrées, environ trois kilomètres du PDE et s’est stationné derrière le véhicule des ASF. Même à ce moment donné, M. Smith n’a pas ordonné immédiatement aux ASF de retourner à l’immeuble de l’ASFC. »

[Je mets en évidence]

 

[204] Évidemment, le fonctionnaire a discuté brièvement avec les agents avant de leur ordonner de revenir. Qu’est‑ce que l’employeur aurait voulu qu’il fasse? S’y rendre et hurler de la fenêtre qu’ils doivent retourner au PDE sans poser de questions du tout pour déterminer la situation? Si les agents avaient eu un contact avec le fuyard, ils auraient peut‑être des renseignements essentiels à communiquer. Ils pourraient avoir déterminé qu’il avait les facultés affaiblies ou qu’il éprouvait des problèmes de santé mentale. Ou qu’il était armé et dangereux. Les agents de la GRC étaient déjà en chemin vers ce qui aurait pu être une situation dangereuse. On ne peut pas reprocher au fonctionnaire le fait qu’il a tenté de déterminer si les agents avaient des renseignements essentiels qui auraient pu avoir sauvé des vies.

[205] Le quatrième élément de la liste de vérification sous l’en‑tête [traduction] Procédures immédiates du Port Runner Protocol, Prairie Region est le suivant :

[Traduction]

Appel à la GRC ou la police locale compétente […] et fournir les renseignements suivants. Si les renseignements particuliers ne sont pas disponibles au moment de l’appel initial, veuillez vous assurer de donner une mise à jour à la GRC ou à la police locale à mesure que les renseignements deviennent disponibles :

• Plaque d’immatriculation du véhicule

• Description du véhicule (couleur, marque, modèle)

• Nom des occupants

• Description des occupants

• Direction

• Avertissements connus, soupçonnés ou estimés

• Ressortissants ou citoyens canadiens

• Si vous estimez que ce que vous avez observé pendant la fuite du PDE augmente votre évaluation du risque, veuillez vous assurer que ces renseignements sont communiqués; c.‑à‑d. taux de vitesse élevé; coupez devant les autres véhicules afin de traverser, entre autres.

• Informez le répartiteur d’émettre un ADS par l’intermédiaire du CIPC (insérer l’emplacement) à l’intention des détachements.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

8. Visionnement de la séquence vidéo enregistrée contraire à la politique

[206] Le surintendant Fogarty a visionné les enregistrements vidéo de l’incident de fuyard. Comme le directeur Hewson, il était au courant de la Politique sur l’AV qui autorise de visionner la séquence vidéo enregistrée uniquement dans les cas de grave inconduite et uniquement si des allégations officielles ont été présentées. Il a convenu en contre‑interrogatoire que les politiques définissent particulièrement une recherche des faits de manière à exclure une enquête officielle. Il a convenu en outre que l’incident de fuyard ne relevait pas des catégories particulières définies comme une inconduite grave. Toutefois, il a dit qu’il s’agissait d’une inconduite grave parce qu’elle était visée par la première ligne, que l’inconduite grave [traduction] « comprend [seulement], sans toutefois s’y limiter » les catégories énumérées.

[207] Je conclus que le fait de visionner la séquence vidéo était contraire à la politique. Toutefois, comme je l’explique plus loin dans la présente décision, le surintendant Fogarty n’était pas le seul à contrevenir à cette politique. M. Shoobert a envoyé la séquence à la section Enquêtes des normes professionnelles où un analyste l’a visionné et l’a analysé. Le directeur Hewson et M. Paolini ont visionné la vidéo et le DGR Scoville avait l’intention de la visionner; la preuve ne montre pas s’il l’a visionnée. En résumé, un certain nombre de personnes a visionné la vidéo ou a lu l’analyse de la vidéo préparée par l’analyste et s’y est fié.

9. Aucun feu clignotant sur le véhicule portuaire du fonctionnaire s’estimant lésé

[208] Le surintendant Fogarty ne pouvait pas dire pourquoi son rapport indiquait que le véhicule conduit par le fonctionnaire avait des feux clignotants en marche, étant donné que le véhicule n’est doté d’aucun feu de la sorte. À la question de savoir s’il a signalé cela parce que le gestionnaire régional de la sécurité, M. Paolini, avait indiqué cela dans un courriel à l’intention du DGR Scoville, le surintendant Fogarty a répondu de manière défensive surprenante que [traduction] « il avait visionné la vidéo lui‑même, qu’il n’avait jamais rencontré M. Paolini, qu’il n’avait aucune idée qui il était, ce qu’il faisait ou ce à quoi il ressemblait ».

[209] Le directeur Hewson a témoigné que M. Paolini et le surintendant Fogarty avaient mené les entrevues ensemble et qu’il ne savait pas pourquoi le surintendant Fogarty nierait le connaître ou même l’avoir rencontré. À la date de l’audience, le surintendant Fogarty était à la retraite depuis trois ans et l’employeur a soutenu qu’il avait simplement oublié le nom de M. Paolini. Cette explication serait entièrement logique dans la plupart des circonstances, mais elle éclaircit peu la négation véhémente selon laquelle il n’avait aucune idée qui il était, ce qu’il faisait ou même ce à quoi il ressemblait.

[210] Le directeur Hewson a témoigné qu’il avait installé les feux d’urgence sur le véhicule portuaire désigné de poursuite. Il a témoigné en outre qu’il y avait eu une « confusion » dans l’analyse de la vidéo qui a affirmé que le camion que le fonctionnaire a conduit pourrait avoir allumé les feux clignotants. Il a confirmé qu’il avait corrigé les renseignements erronés et qu’il avait indiqué que ce véhicule n’était doté d’aucun feu de la sorte.

[211] Toutefois, il semble que, même si le directeur Hewson a dit à M. Paolini que le camion conduit par le fonctionnaire n’était doté d’aucun feu clignotant, ni l’un ni l’autre n’a informé le surintendant Fogarty. Par conséquent, les renseignements erronés ont été répétés dans le rapport de recherche des faits que non seulement le véhicule portuaire de poursuite, mais également le véhicule conduit par le fonctionnaire avaient des feux d’urgence clignotants (non existants).

10. Partialité de l’enquêteur

[212] À mon avis, la recherche des faits effectuée par M. Fogarty était insuffisante et ne répondait pas aux principes de justice naturelle. Son témoignage a également soulevé des préoccupations quant à la crédibilité. Sa conduite à la barre des témoins était celle d’une partie hostile, défensive et intéressée. Il ne répondait pas aux questions légitimes. L’un des éléments les plus révélateurs était peut-être sa réponse à la question de savoir s’il estimait que sa recherche des faits indiquait une nécessité de modifications procédurales ou de politiques ou une formation. Il a répondu fermement [traduction] « non ».

[213] Voici quelques‑unes des constatations du surintendant Fogarty :

[Traduction]

Les deux ASF étaient plus nouveaux au milieu de travail de l’ASFC et ont agi de manière qui a démontré leur manque d’expérience et de compréhension des éléments juridiques et des politiques de l’ASFC liés à la poursuite en véhicules.

Il semble que, d’après les entrevues, les ASF ne comprenaient pas l’utilisation appropriée du « véhicule à risque élevé » qui semble avoir été appelé le véhicule de [traduction] « poursuite » ou le [traduction] « véhicule de fuyard désigné » et les a menés à croire qu’il s’agissait de l’objectif du véhicule de l’ASFC. Cela m’amène à croire que, selon cette compréhension, ce véhicule devait être utilisé pour poursuivre les fuyards.

Je crois également que les deux [ASF CV et ASF TK] avaient commis une erreur de jugement en raison de leur inexpérience et de leur compréhension de leurs rôles et responsabilités. Le surintendant SMITH n’était également pas certain des mesures appropriées qui auraient dû être prises lorsqu’un tel événement survient.

[Je mets en évidence]

 

[214] Aucun examen objectif de ces constatations ne permettrait de conclure qu’ils n’indiquent aucune nécessité de modifications procédurales, de politiques ou une formation. Cette réponse n’était pas crédible et a révélé la partialité de l’enquêteur.

C. Approche punitive de l’employeur relative à l’incident

[215] Selon la manière que la recherche des faits a été formulée en ce qui concerne [traduction] « l’utilisation d’un véhicule gouvernemental », et d’après les premiers courriels du DGR Scoville, il semblerait que sa principale préoccupation relative à l’incident était le fait d’apprendre que le PDE avait un véhicule [traduction] « de fuyard désigné ». La raison pour laquelle cette préoccupation s’est transformée en des questions relatives à la conduite du fonctionnaire et que le DGR Scoville n’a pas témoignée n’est pas claire. Par conséquent, nous n’avons que sa correspondance par courriels qui laisse fortement entendre qu’il s’agissait de la référence erronée de M. Paolini aux feux clignotants du véhicule du fonctionnaire qui a fait en sorte que le directeur général régional vise le fonctionnaire.

[216] Le fonctionnaire a soumis un rapport approfondi sur l’AEI le 12 novembre 2015, soit deux heures après l’événement, à 8 h 50. Il a envoyé une mise à jour le lendemain matin à 8 h après avoir été informé par la GRC que le fuyard avait été évalué à l’égard d’un problème de santé mentale et qu’il était retourné en toute sécurité aux États‑Unis. La GRC estimait que le dossier était fermé. Les courriels du fonctionnaire comportaient des rapports complets sur tout ce qui était survenu pendant l’incident et après celui‑ci. Après avoir reçu le rapport sur l’AEI du fonctionnaire le soir de l’incident, le DGR Scoville a demandé au directeur Hewson et à la chef par intérim St. Onge de lui faire part de leurs idées. Le directeur Hewson a répondu comme suit :

[Traduction]

Je viens de recevoir une mise à jour […] Ils ont constaté qu’ils étaient à l’extérieur du PDE et se sont arrêtés. Ils pensaient qu’ils pouvaient aller aussi loin que le poste de pesée. Ils ont pris la prochaine sortie pour retourner et ont vu le véhicule. Le surintendant a éprouvé des difficultés à communiquer avec nos radios et s’est rendu où ils se trouvaient pour leur dire de retourner. Il n’y a eu aucun contact avec le client. La police a été appelée et est intervenue.

 

[217] Même s’ils ont été demandés de faire part de leurs idées, ni le directeur du district ni la chef par intérim n’a soulevé un problème relatif à l’incident. Le directeur Hewson a simplement résumé les faits des événements.

[218] Le soir suivant, soit le 13 novembre 2015, le DGR Scoville a répondu à l’AEI et à la mise à jour du fonctionnaire sur l’AEI. Il n’a posé aucune question et n’a soulevé aucune préoccupation quant à la conduite du fonctionnaire ou des agents concernés, mais simplement ce qui suit :

[Traduction]

« Une question concerne ce dossier – Que signifie […] véhicule de “fuyard désigné” »

 

[219] Le fonctionnaire a répondu le même soir et a indiqué comment le véhicule était utilisé, entre autres, pour attirer l’attention des fuyards avant qu’ils ne quittent la zone. Il a expliqué qu’il était stationné en avant du bureau afin que les agents puissent l’utiliser rapidement pour signaler au conducteur à l’aide des feux d’urgence. Le fonctionnaire a fait remarquer que cette mesure avait été efficace en grande partie dans le passé, dont la plupart des fuyards se sont arrêtés avant de quitter la zone. Toutefois, les événements de la veille avaient été l’exception – le fuyard a continué. Des agents plus nouveaux n’avaient aucune expérience à cet égard et se sont rendus un peu trop loin avant de constater qu’ils devraient arrêter. Le fonctionnaire a conclu que : [traduction] « On rappelle au personnel nos politiques sur les fuyards au cours de séances d’information, ce qui permettra donc d’éliminer toute confusion à l’avenir. »

[220] La chef par intérim St. Onge a témoigné qu’elle estimait qu’elle croyait l’affaire close. La preuve ne révèle rien avant une semaine plus tard.

[221] Toutefois, le vendredi 20 novembre à 12 h 52, le DGR Scoville a reçu un courriel de M. Paolini qui contenait des renseignements apparemment intéressants, quoiqu’erronés :

[Traduction]

Bonjour Kim

J’ai la vidéo de Coutts sur le fuyard le 12 novembre 2015. Il s’agissait évidemment d’un fuyard, comme on peut le constater des deux différentes caméras à 6 :37:30 PM.

La dernière vidéo est la plus intéressante et est celle du lot de circulation. La caméra fait face au nord. Cette vidéo montre deux ASF qui entrent dans un véhicule portuaire en direction nord, en poursuite du fuyard à 6 :37:47 PM, avec les feux clignotants. À 6 :42:25 PM, un camion portuaire de l’ASFC quitte le parc de stationnement en direction nord. Les feux commencent à clignoter lorsqu’il tourne sur l’autoroute. Les deux véhicules reviennent au PDE à 6 :52:33 PM. (Caviardé) agents étaient également dans la camionnette.

Souhaitez‑vous la visionner?

[Je mets en évidence]

 

[222] À 15 h 39, le DGR Scoville a acheminé le courriel de M. Paolini au directeur Hewson comportant le message suivant : [traduction] « Vous avez évidemment d’autres questions à traiter. » Le directeur Hewson a immédiatement acheminé ce courriel à la chef par intérim St. Onge comportant la mention [traduction] « Pour information ». À 16 h 45, la chef par intérim St. Onge a reçu son propre message du DGR Scoville qui lui a acheminé le courriel de M. Paolini comportant le commentaire suivant : [traduction] « Un peu différent de ce qui est indiqué dans votre courriel. »

[223] À 16 h 39, le DGR Scoville a répondu à la question de M. Paolini de savoir s’il souhaitait visionner la vidéo. Il a répondu par une exclamation [traduction] « Oui! ».

[224] Je fais remarquer que les seuls nouveaux renseignements (que le directeur général régional n’avait pas pendant une semaine) contenus dans le courriel de M. Paolini étaient la description (erronée) des feux clignotants du fonctionnaire lorsqu’il a tourné sur l’autoroute. Compte tenu de ce qui précède, je conclus qu’il s’agissait de ce renseignement que M. Paolini a trouvé le [traduction] « plus intéressant » et qui a causé le DGR Scoville de répondre avec enthousiasme à visionner la vidéo. À 17 h 50, le DGR Scoville a demandé à M. Paolini de laisser la vidéo sur son bureau afin qu’il puisse la visionner et M. Paolini a répondu une minute plus tard : [traduction] « Pas de problème. »

[225] Pendant ces échanges de courriels, le DGR Scoville participait à d’autres conversations par courriel, principalement exprimant son mécontentement à découvrir que Coutts avait un véhicule de [traduction] « poursuite ». À 15 h 44, il a répondu à l’explication du fonctionnaire concernant l’utilisation de ce véhicule, soit une semaine plus tôt, le 13 novembre 2015. Une copie conforme a été envoyée à la chef par intérim St. Onge et au directeur Hewson :

[Traduction]

Voici donc mes directives claires […] à cet égard. Les agents ne doivent, en aucun cas, embarquer dans ce véhicule et poursuivre un autre véhicule qui s’est enfui du PDE.

Cela devient une question pour la police compétente.

Après avoir lu cela […] il m’est difficile de croire que deux agents embarqueraient dans un véhicule […] et allumeraient les feux en tant que dissuasif.

Le véhicule qui s’enfuit du PDE serait parti à ce moment‑là.

Des séances d’information avant les quarts doivent être tenues afin d’indiquer clairement à tout le monde […] y compris la direction.

 

[226] À 16 h 48, le DGR Scoville a envoyé un courriel à la chef par intérim St. Onge et au fonctionnaire, avec une copie conforme au directeur Hewson, comme suit :

[Traduction]

Je me fiche où il est stationné […] ou qu’il est utilisé aux fins des activités du PDE.

Je veux qu’il soit bien compris qu’ils ne doivent, en aucun cas, poursuivre un fuyard.

Cela relève clairement de la responsabilité de la police compétente.

Je ne crois pas que deux agents pourraient embarquer dans ce véhicule […] allumer les feux et dissuader un fuyard. Un fuyard serait parti.

C’est à ce moment‑là que la police compétente doit être appelée.

 

[227] La chef par intérim St. Onge a répondu, confirmant ce que le fonctionnaire avait expliqué quant à l’utilisation du véhicule à Coutts, comme suit :

[Traduction]

Le véhicule portuaire est utilisé à un certain nombre de fins, comme se rendre à l’immeuble où les véhicules et les biens saisis sont stockés, ainsi que pour orienter les voyageurs vers le bureau principal qui ont passé le kiosque de la VIP, mais qui se trouvent toujours sur la propriété de l’ASFC. Les agents ne quittent pas la propriété de l’ASFC dans ce véhicule. Le plus loin qu’ils se rendent est à la fin de la propriété de l’ASFC (à proximité de l’immeuble). Cette fois‑ci, une erreur a été commise et les agents se sont rendus à l’extérieur de la propriété de l’ASFC.

 

[228] La chef par intérim a rassuré le DGR Scoville de ce qui suit :

[Traduction]

Nous avons corrigé les agents et nous avons fait en sorte immédiatement que ce sujet est abordé lors des séances d’information avant les quarts afin de rappeler aux agents leur pouvoir. Ils savent qu’ils ne peuvent pas poursuivre un véhicule qui a quitté la propriété de l’ASFC. L’utilisation de ce véhicule uniquement sur la propriété de l’ASFC a permis de réduire le nombre de fois qu’un véhicule quitte réellement la propriété de l’ASFC et le potentiel qu’un voyageur se voie imposer une pénalité de fuyard. Le fait d’attendre la GRC alors que le voyageur est encore sur la propriété de l’ASFC pourrait faire en sorte que des voyageurs qui se sont arrêtés sur la propriété de l’ASFC continuent vers le Canada.

 

[229] Toutes les préoccupations exprimées par la haute direction étaient axées sur l’existence et l’utilisation du véhicule de fuyard désigné. Aucune de celles‑ci ne suscite un problème quant à la conduite du fonctionnaire. L’intérêt apparent du DGR Scoville et de M. Paolini quant à la possibilité que les feux clignotaient sur le véhicule du fonctionnaire était la seule préoccupation soulevée qui pouvait, à leur avis, avoir trait au fonctionnaire. Le fait que le PDE de Coutts a utilisé un véhicule de [traduction] « poursuite » et qu’il l’avait fait depuis avant l’arrivée du directeur Hewson en 2009, ne relève pas de la responsabilité du fonctionnaire.

[230] Quoi qu’il en soit, à la fin du vendredi 20 novembre 2015, il avait apparemment été déterminé qu’il ferait l’objet d’une mesure disciplinaire pour quelque chose, même si celle‑ci était mineure. Le dernier courriel du DGR Scoville de la journée a été envoyé au directeur Hewson à 20 h 34. La ligne objet avait été modifiée de [traduction] « Re : Séquence vidéo de Coutts » à [traduction] « Responsabilisation » et il se lit comme suit :

[Traduction]

Prenez‑le à partie pour cette divergence. Ces petites incohérences […] constituent un risque de dérive qui donne lieu à encore d’autres problèmes.

Une mesure rapide et décisive est nécessaire.

[…]

Ce n’est pas tout qui est transmis aux ENP […] je veux voir les problèmes de cette nature réglés immédiatement, rapidement et de manière appropriée.

La culture doit changer.

Kim

 

[231] La [traduction] « divergence » ou les [traduction] « petites incohérences » auxquelles fait référence le DGR Scoville ne sont pas claires, mais ce qui est clair par les termes qu’il a utilisés pour les décrire est qu’elles sont mineures. Il est également clair qu’elles pourraient servir de motif pour imposer une mesure disciplinaire afin d’envoyer un message au milieu de travail que [traduction] « la culture doit changer ». Je fais également remarquer que cette correspondance ordonnant que les surintendants de la chef par intérim St. Onge fassent l’objet d’une mesure disciplinaire a eu lieu uniquement entre le DGR Scoville et le directeur Hewson. Une copie conforme ne lui a même pas été envoyée.

[232] En contre‑interrogatoire, on a demandé au directeur Hewson s’il avait été sous pression d’imposer des mesures disciplinaires aux employés. Il a répondu que le DGR Scoville avait des attentes élevées, mais qu’il ne l’avait jamais mis sous pression de tenir les employés responsables. Compte tenu de ce courriel, et de l’absence de toute autre explication ou de témoignage de la part du DGR Scoville, je conclus que la réponse du directeur Hewson n’était pas crédible.

[233] En contre‑interrogatoire, le directeur Hewson, tout comme la chef par intérim St. Onge, ne pouvait identifier aucun agent ou surintendant qui avait fait l’objet d’une mesure disciplinaire dans des incidents antérieurs de fuyards pour avoir poursuivi des fuyards au‑delà de la frontière. Cela comprenait deux incidents très dangereux concernant un fuyard et une jeune fille de 16 ans qui avait été enlevée, l’autre concernait un surintendant portant son uniforme et deux agents qui avaient quitté le PDE pour poursuivre une personne traversant clandestinement la frontière. Il ne pouvait pas expliquer pourquoi, dans ni l’un ni l’autre de ces incidents graves, dont les deux sont survenus dans son district, n’ont donné lieu à l’imposition d’aucune mesure disciplinaire ou même à une recherche des faits.

[234] Le directeur Hewson savait également que lui et la chef par intérim avaient appuyé entièrement l’utilisation du véhicule de poursuite, tout comme les anciens directeurs et chefs à Coutts. Il s’agissait d’une pratique en vigueur avant leur arrivée. Le rapport de recherche des faits a indiqué que la direction avait déplacé les clés de l’arrière du bureau à l’avant du bureau à proximité de la porte afin de permettre un accès rapide par les agents. De plus, le directeur Hewson savait, évidemment, qu’il avait allumé les feux du véhicule de poursuite lui‑même, même s’il ne ressort aucunement de la preuve qu’il en avait informé le DGR Scoville de ce fait.

[235] Une note d’information du 18 septembre 2011 ordonne aux agents de se familiariser avec l’activation de l’équipement d’urgence :

[Traduction]

Objet : Jeep Grand Cherokee – Noir avec une cage

Feux et sirènes effectués la semaine dernière. Le klaxon actionne les sirènes, chaque pression passe à une autre sirène. Appuyer deux fois sur le klaxon pour arrêter la sirène. Veuillez vous familiariser avec le fonctionnement des sirènes, du microphone, etc.

 

[236] En résumé, le directeur Hewson savait que l’utilisation d’un véhicule de poursuite à Coutts, ce qui constituait clairement le principal problème pour le directeur général régional, n’avait rien à voir avec le fonctionnaire. Il s’agissait de la responsabilité de la direction.

[237] Il savait également que M. Paolini avait donné des renseignements erronés au DGR Scoville au sujet que le fonctionnaire avait clignoté les feux d’urgence sur un véhicule qui n’en avait pas.

[238] De plus, selon son témoignage, il savait que le fonctionnaire était un excellent employé.

[239] Malgré tout cela, le directeur Hewson n’était pas prêt à contester le directeur général régional. Il a répondu à 21 h 37 comme suit :

[Traduction]

D’accord.

Il est également le surintendant qui a autorisé les ASF d’aller obtenir de la bière. Il souhaite également une rétrogradation.

 

[240] En passant, l’employeur a précisé dans sa plaidoirie finale que le fonctionnaire avait demandé une mutation à un poste d’ASF bien avant cette procédure disciplinaire. La chef par intérim St. Onge et le directeur Hewson ont tous les deux confirmé que la demande était entièrement volontaire de sa part et qu’elle avait été présentée pour d’autres raisons et qu’elle n’était pas liée à une mesure disciplinaire.

[241] Le lundi 23 novembre 2015, le directeur Hewson a écrit à M. Paolini (dont aucune copie conforme n’a été envoyée au DGR Scoville) pour corriger les renseignements erronés que M. Paolini avait communiqués au directeur général régional :

[Traduction]

Bonjour Bill,

Le deuxième véhicule qui a quitté (camionnette blanche) l’immeuble à 18 h 42 n’est doté d’aucun feu d’urgence.

Seulement le premier véhicule portuaire qui a quitté le PDE était doté de feux d’urgence qui avaient été activés lorsqu’il a quitté le parc de stationnement devant le bâtiment.

Kevin

 

[242] M. Paolini a répondu quelques minutes plus tard, n’envoyant pas lui non plus une copie conforme au DGR Scoville :

[Traduction]

Merci, Kevin. J’ai visionné la séquence à maintes reprises et il semblait qu’il y avait des feux qui ont été allumés à la sortie. Désolé.

William A. Paolini

 

[243] Il ne ressort aucunement de la preuve que le directeur Hewson ou M. Paolini ont informé le DGR Scoville de l’erreur.

[244] Le surintendant Fogarty a été affecté à la recherche des faits environ au même moment de cette correspondance, soit une semaine après l’incident. Toutefois, sans explication, un mois plus tard, soit le 11 décembre 2015, le directeur Hewson a envoyé une [traduction] « demande d’information » au fonctionnaire, comme suit :

[Traduction]

Je cherche à obtenir des renseignements sur l’incident du fuyard du 12 novembre 2015 où un résident américain a omis d’arrêter au kiosque d’inspection primaire à Coutts.

Veuillez me fournir un rapport décrivant votre participation à cet incident ce soir‑là. Veuillez inclure les renseignements suivants dans le rapport :

Ce qui s’est passé

La date et les heures de ces événements

Les mesures que vous et d’autres avez prises

Les conversations et les décisions prises

La distance parcourue

L’activation de l’équipement d’urgence, etc.

Tout autre renseignement pertinent.

[Je mets en évidence]

 

[245] Tous ces renseignements (à l’exception de la question concernant l’activation de l’équipement d’urgence) avaient été fournis un mois avant lorsque le fonctionnaire avait signalé immédiatement l’incident par téléphone à la chef par intérim St. Onge et au directeur Hewson. Ils avaient été fournis de nouveau dans le rapport complet de l’AEI qu’il avait présenté deux heures plus tard. Quoi qu’il en soit, le fonctionnaire a répondu consciencieusement à chaque question et y a joint les rapports antérieurs, indiquant que le contenu des renseignements qu’il avait fournis était fourni en double.

[246] Il a répondu à une question qui sollicitait de nouveaux renseignements comme suit : [traduction] « J’ai conduit le Ford F150 blanc de l’ASFC, qui n’est doté d’aucun équipement d’urgence. »

[247] Évidemment, le directeur Hewson savait déjà ce fait et il en avait déjà informé M. Paolini. La raison pour laquelle cette question a été ajoutée à la liste de question à répondre par le fonctionnaire n’est pas claire.

V. Motifs de décision

[248] Afin de trancher la présente affaire, je dois répondre aux trois questions suivantes : existait‑il un motif pour imposer une mesure disciplinaire? Dans l’affirmative, une suspension de trois jours constituait‑elle une réponse excessive dans toutes les circonstances? Dans l’affirmative, quelle solution devrait y être substituée? (Voir Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24 (CanLII) et William Scott & Co. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P‑162, [1976] B.C.L.R.B.D. No. 98 (QL).)

A. Existait‑il un motif pour imposer une mesure disciplinaire?

[249] À mon avis, il existait un motif pour imposer une mesure disciplinaire pour le rôle du fonctionnaire dans l’incident de l’obtention de la bière. À titre de surintendant, il n’aurait pas dû l’avoir autorisé et je suis d’accord avec l’employeur pour dire que le fait qu’il y ait participé en commandant deux caisses constituait un facteur aggravant.

[250] Les éléments de preuve de l’employeur n’ont pas permis d’établir définitivement que les agents ont quitté le PDE pendant qu’ils étaient en service. Toutefois, les réponses honnêtes du fonctionnaire dans ses rapports et l’entrevue de recherche des faits ont établi que lui, en tant que surintendant, ne s’était pas assuré que les agents étaient en pause et qu’il n’a pas pris note de la durée pendant laquelle ils étaient absents du lieu de travail. Le témoignage de la chef par intérim St. Onge a également établi qu’il les a autorisés à y aller pendant une période relativement occupée sans tenir compte des besoins opérationnels. Même si un temps d’attente de 15 minutes dans une voie commerciale est courant, cela ne signifie pas qu’il est logique d’autoriser trois agents à partir pendant une telle période. Comme l’a dit la chef par intérim St. Onge, il n’est pas acceptable pendant une période occupée, ils auraient dû y aller après la fin de leur quart à 18 h.

[251] Toutefois, je conclus qu’il s’agit de la seule inconduite dont a fait preuve le fonctionnaire.

[252] L’employeur ne s’est pas acquitté de son fardeau d’établir que les droits de douane et les taxes auraient dû être payés sur la bière et, dans l’affirmative, par qui. Le témoignage du directeur Hewson selon lequel le seuil du passage accéléré en franchise était de 3 $ et que les employés n’avaient pas droit aux mêmes avantages du passage accéléré en franchise que ceux accordés au public n’était pas du tout crédible. Les diverses propositions quant à qui était responsable de payer étaient déroutantes et contradictoires. Il s’agissait d’une approche en tir dispersé, alléguant la culpabilité de tous, mais en imposant des mesures disciplinaires de manière sélective.

[253] L’employeur a mis l’accent sur les importateurs, et non sur les agents chargés de l’inspection primaire et non sur les receveurs de la bière. L’employeur n’a pas suspendu les agents chargés de l’inspection primaire pour avoir accordé un passage accéléré en franchise à leurs collègues, dépassant apparemment leurs seuils non officiels ni même pour avoir saisi des données erronées et trompeuses dans le système. Il n’a pas non plus enquêté, interrogé ou imposé une mesure disciplinaire aux receveurs de la bière, sauf le fonctionnaire. Il n’a même pas pris la peine d’en identifier un. Si les autres receveurs de bière n’ont rien fait de mal lorsqu’ils n’ont pas payé les droits de douane et les taxe, le fonctionnaire n’a donc rien fait de mal lui non plus.

[254] L’employeur n’a pas non plus établi que, si des droits de douane et des taxes devaient être payés, le fonctionnaire était responsable d’en assurer leur paiement. En tant que surintendant, le fonctionnaire était chargé de veiller à ce que les agents soient présents pendant une période occupée. Il n’était pas chargé, dans ces circonstances, de veiller à ce que le groupe de trois paie les droits et les taxes dès leur retour, tout comme il n’était pas chargé de veiller à ce que l’agent WM ne remplisse pas lui‑même son formulaire B15 dès son retour.

[255] En ce qui concerne l’incident de fuyard, je conclus que le fonctionnaire n’a fait preuve d’aucune inconduite que ce soit et n’a pas violé les parties B et D du Code de conduite, tel qu’il a été allégué. Au contraire, compte tenu de l’absence d’un protocole ou de toute ligne directrice dans les politiques, deux agents inexpérimentés et l’électricité statique de la radio, il devrait être félicité de sa réponse pratique et rapide et du fait qu’il se souciait de ses agents subalternes.

[256] Je fais remarquer que la partie C, Conduite d’un leader, du Code de conduite, se lit comme suit, en partie :

Pour assurer un leadership éthique, nous devons, devant toute situation, explorer, comprendre et poser des jugements avant d’agir et :

• tenir compte de notre santé, sûreté et sécurité et de celles de nos collègues;

[…]

[…] les employés et gestionnaires plus expérimentés, peu importe leur niveau, ont un rôle primordial à jouer pour ce qui est de démontrer les normes de conduite attendue qu’on retrouve dans le Code de conduite à l’intention des nouveaux employés, des recrues et des autres employés de l’Agence. Ils :

• ont des communications et relations de travail ouvertes et positives;

• reconnaissent la contribution des nouveaux employés et recrues et leur offrent leur appui;

• favorisent l’apprentissage en étant disponible et en offrant conseils et avis au besoin.

 

[257] À mon avis, le fonctionnaire a fait preuve de tout cela. Il a assumé une responsabilité pratique de la santé et sécurité de ses agents, a obtenu rapidement des renseignements qui ont peut‑être empêché qu’un agent de la GRC ou des membres du public ne subissent un préjudice et a dit aux ASF qu’ils étaient allés trop loin, mais les a assurés que ce qu’il importait était qu’ils apprennent de leur erreur. Il a favorisé un apprentissage en étant sociable et en reconnaissant aux agents subalternes sa propre incertitude dans le cadre de la situation. Il leur a offert des conseils et des lignes directrices et, constatant que l’incident constituait un moment d’apprentissage, il a offert ces conseils et lignes directrices aux autres employés et il a immédiatement tenu des séances d’information. Il a tenu son chef et son directeur entièrement au courant et rien dans leur échange de courriels ne laisse entendre qu’ils estimaient qu’il avait fait quoi que ce soit de mal.

[258] Il ressort de la preuve que le problème du DGR Scoville à l’égard de l’incident concernait réellement l’utilisation d’un véhicule de poursuite à Coutts. Cela ne relevait pas de la responsabilité du fonctionnaire. Si le DGR Scoville avait des préoccupations et souhaitait mettre fin à son utilisation, une directive à cet effet à l’intention du directeur de district ou à la chef par intérim aurait suffi. La prise d’une mesure disciplinaire contre un surintendant qui avait fait de son mieux pour répondre à une situation qui concernait l’utilisation de longue date de ce véhicule était inéquitable, punitive et entièrement inutile.

[259] De plus, le fait que le directeur Hewson était disposé à imposer une telle mesure disciplinaire, sans s’assurer que le directeur général disposait de tous les renseignements, semble correspondre plus à une mesure d’autopréservation qu’autre chose.

[260] Toute partie de la suspension de trois jours qui peut être attribuée en théorie à l’incident de fuyard est annulée.

B. La mesure disciplinaire était‑elle excessive?

[261] Compte tenu de ma conclusion selon laquelle il n’y a eu aucune inconduite dans l’incident de fuyard, cette question porte uniquement sur l’incident d’obtention de la bière.

[262] Le directeur Hewson a témoigné qu’il avait travaillé étroitement avec les Relations de travail et qu’il avait adopté la mesure la plus faible de la recommandation d’une suspension de trois à cinq jours. Étant donné que ce nombre visait les deux incidents, il doit être considéré comme modeste, surtout en tenant compte de la responsabilité de gestion du fonctionnaire. L’employeur a soutenu que les agents qui y ont participé se sont vu imposer une mesure disciplinaire comparable. Par conséquent, la mesure disciplinaire imposée au fonctionnaire devrait être maintenue, car l’employeur souhaitait envoyer un message aux employés et au milieu de travail.

[263] Le souhait de l’employeur d’envoyer un message ne constitue pas un motif en fonction duquel une mesure disciplinaire doit être fondée. Un message devrait être envoyé par note de service, et non au moyen d’une mesure disciplinaire. La politique de l’ASFC énonce à maintes reprises que la mesure disciplinaire doit être corrective et non punitive. L’employeur demande essentiellement à la Commission de l’aider à en faire un exemple en vue de donner une leçon à tous les employés et de changer la culture en milieu de travail. Il ne s’agit pas du rôle de la Commission.

[264] À mon avis, le regroupement de deux incidents distincts et le fait de parvenir à une suspension de trois jours sont inappropriés. Les Lignes directrices concernant la discipline du gouvernement du Canada, sous la rubrique Détermination de la mesure disciplinaire appropriée, énonce ce qui suit :

Chaque incident d’inconduite présumée est examiné sur une base individuelle. Compte tenu des circonstances, de l’avis de la direction, quelles mesures s’imposent pour corriger le comportement indésirable? Les mesures disciplinaires ne doivent pas être punitives.

[Je mets en évidence]

 

[265] En contre‑interrogatoire, on a demandé au directeur Hewson s’il était normal que deux recherches des faits soient regroupées aux fins d’une mesure disciplinaire. Il a répondu que, selon son expérience, ce n’était pas commun et il a reconnu qu’il n’était au courant d’aucun autre cas semblable.

[266] À la toute fin de la procédure, on a demandé à la chef par intérim St. Onge de gérer la procédure prédisciplinaire. C’était la première fois au cours d’une procédure d’un an que le fonctionnaire se voyait accorder une équité procédurale. La chef par intérim St. Onge a prévu de manière appropriée une réunion distincte pour chaque incident et a donné au fonctionnaire l’occasion de fournir des déclarations écrites distinctes qu’elle a examinées minutieusement. Elle a rédigé deux rapports prédisciplinaires détaillés, dont chacun comportait une longue liste de facteurs atténuants. Toutefois, le directeur Hewson n’a jamais lu ses rapports; il a simplement eu un appel téléphonique avec le consultant en relations de travail qui lui a communiqué ces renseignements.

[267] Je crois que le fonctionnaire estimait que le fait d’autoriser les employés à utiliser leurs pauses pour se rendre dans le Sud était la norme au PDE, qu’il faisait confiance aux agents qu’ils utilisent leurs pauses et n’avait pas complètement constaté qu’en tant que surintendant, il devait le vérifier, ainsi que de tenir dûment compte des besoins opérationnels. Je crois la déclaration du fonctionnaire selon laquelle il n’aurait pas autorisé l’obtention de la bière s’il avait constaté que cela était contraire à la politique. Le fonctionnaire a commis une erreur, mais n’avait aucune mauvaise intention de contrevenir à la politique ou d’éviter quoi que ce soit. Il comprend maintenant qu’il s’agissait d’un manque de jugement et je doute fortement qu’il répète son erreur. Il a reconnu pleinement son erreur, a fait preuve de remords et a présenté ses excuses comme suit dans ses commentaires prédisciplinaires.

[Traduction]

En ce qui concerne le fait que j’ai autorisé les employés à utiliser leurs pauses pour traverser la frontière, je suivais la pratique passée que j’avais observée pendant que je travaillais au PDE de Coutts. Je ne pouvais réellement pas le savoir et j’ai autorisé ce que j’ai vu être autorisé au fil des ans. Je ne savais pas que cela était inacceptable ou inapproprié. J’ai commis une erreur et je suis désolé.

 

[268] Compte tenu de tout ce qui précède, ainsi que de l’excellent dossier de rendement du fonctionnaire, de son dossier disciplinaire vierge et des nombreux facteurs atténuants énumérés dans le rapport prédisciplinaire de la chef par intérim St. Onge, je conclus qu’une réprimande écrite aurait constitué une mesure disciplinaire appropriée pour cette conduite. Toutefois, étant donné le retard d’un an et de trois mois avant d’imposer une mesure disciplinaire, je conclus que toute partie de la suspension de trois jours qui peut être attribués (en théorie) à l’incident d’obtention de la bière devrait être annulée, plutôt que de la réduire à une réprimande écrite.

[269] Le fonctionnaire est un excellent employé qui a commis une erreur. Il ne méritait pas ce type de traitement de la part de son employeur.

[270] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[271] Le grief est accueilli.

[272] La suspension de trois jours est annulée et toute mention de celle-ci doit être radiée du dossier personnel du fonctionnaire et de tout autre dossier à son égard.

[273] L’employeur est tenu de payer au fonctionnaire ses traitements perdus en raison de sa suspension de trois jours, ainsi que tous les avantages sociaux, cotisations, primes ou autres ajustements, et des intérêts simples calculés chaque année selon le taux de base de la Banque du Canada, à compter du 20 octobre 2016, soit le premier jour de suspension du fonctionnaire, jusqu’au 19 juillet 2019, soit la dernière date de l’audience.

[274] Je demeurerai saisie de l’affaire pour une période de 90 jours si les parties éprouvent des difficultés à mettre la présente ordonnance en œuvre.

Le 29 janvier 2021.

Traduction de la CRTESPF

Nancy Rosenberg,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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