Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a déposé une plainte en vertu de l’article 187 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral selon laquelle son agent négociateur, soit l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« Institut »), l’a représentée de façon négligente et de mauvaise foi en raison d’un conflit d’intérêts – afin de déterminer si l’Institut a agi de façon arbitraire et de mauvaise foi, il était nécessaire de déterminer s’il avait traité le dossier de la plaignante avec sérieux et avait cherché à protéger ses intérêts – les éléments de preuve ont laissé entendre que les agents des relations de travail qui avaient traité les griefs et les plaintes antérieurs de la plaignante connaissaient bien son dossier et étaient attentifs à ses demandes – la Commission a également déterminé que l’Institut n’avait pas pris parti dans le conflit opposant ses membres et qu’il avait représenté les droits de la plaignante face à l’employeur d’une manière qui l’a beaucoup aidée – par conséquent, en plus de conclure qu’il n’existait aucun conflit d’intérêts, la Commission a également conclu que l’Institut n’avait pas agi de manière arbitraire ou de mauvaise foi.

Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Date: 20210309

Dossier: 561-02-41835

 

Référence: 2021 CRTESPF 23

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Sonia Richard

plaignante

 

et

 

Institut professionnel de la fonction publique du Canada

 

défendeur

Répertorié

Richard c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Éric Le Bel et Gabrielle Harvey, avocats

Pour le défendeur : Allison Tomka, avocate

Affaire entendue par vidéoconférence,

du 12 au 14 janvier 2021.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Plainte devant la Commission

[1] Sonia Richard, la plaignante, a déposé une plainte contre son agent négociateur, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« Institut » ou le « défendeur ») en vertu de l’article 187 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »). Elle allègue que le défendeur l’a représentée de façon négligente et avec mauvaise foi, notamment en raison d’un conflit d’intérêts qui minait fondamentalement la relation de confiance entre la plaignante et le défendeur.

[2] Pour les motifs qui suivent, la plainte est rejetée.

II. Résumé de la preuve

[3] La plaignante a témoigné, et le défendeur a cité à témoigner les personnes suivantes : Robert Melone et Frédéric Durso, agents des relations de travail à l’Institut; Jean Ouellette, retraité mais embauché ponctuellement par l’Institut; Isabelle Roy, conseillère générale et chef des services des relations de travail de l’Institut.

[4] La plaignante est travailleuse sociale au ministère de la Défense nationale (l’« employeur »), et, depuis 2012, elle travaille dans l’Unité de santé mentale de la base militaire de Bagotville, au Québec. Depuis 2014, elle est agréée comme psychothérapeute.

[5] L’Unité de santé mentale est composée de différents professionnels. Ses bureaux sont situés au sous-sol de la clinique médicale de la base militaire de Bagotville. La plaignante a témoigné qu’elle avait un bureau au sein de l’Unité de 2012 à 2018. En octobre 2017, elle a été placée en arrêt de travail par son médecin, qui a diagnostiqué un trouble d’adaptation et un trouble de stress post-traumatique (TSPT).

[6] Les problèmes de santé de la plaignante ont été précipités par le traitement infligé par une de ses collègues, « AB », à partir de juillet 2015. Selon la plaignante, AB la traitait avec froideur ou lui faisait des commentaires désobligeants, ce qui a suscité beaucoup d’anxiété chez elle. Elle en a parlé à d’autres collègues, qui ont nié l’existence d’un problème quelconque. Selon ces collègues, aux dires de la plaignante, tout était pour le mieux et l’équipe s’entendait très bien. Cette réaction n’a fait qu’accroître l’anxiété de la plaignante, jusqu’à son arrêt de travail.

[7] Dès octobre 2017, la plaignante a cherché l’aide de l’Institut, comme en témoignent plusieurs courriels adressés à M. Melone. Elle a déposé une plainte de violence en milieu de travail contre AB. Il est clair d’après les échanges que M. Melone était au courant de la teneur de la plainte, et qu’il a donné des conseils à la plaignante sur la façon de présenter ses renseignements si elle voulait maintenir une certaine confidentialité. Il est clair aussi qu’il se rendait disponible pour discuter des différents aspects de la plainte de harcèlement avec la plaignante.

[8] À son retour au travail, le 24 avril 2018, la plaignante a réintégré son bureau pendant une demi-journée. Sa gestionnaire lui a fait comprendre dès le lendemain qu’elle serait déplacée ailleurs, dans un autre bâtiment de la base militaire de Bagotville. Il semble que les collègues de la plaignante ne voulaient pas la voir revenir à l’Unité de santé mentale, et l’employeur a pris la décision de la placer ailleurs. Le 1er mai 2018, elle a obtenu une note de son médecin qui insistait pour qu’elle reprenne ses tâches et revienne dans son propre bureau. En fait, d’avril à septembre 2018, la plaignante n’avait ni bureau ni fonctions cliniques. On l’a installée dans un bureau qui servait également aux entrevues d’embauche, de sorte qu’il arrivait assez souvent qu’elle doive le quitter. Elle se retrouvait alors sans poste de travail, désœuvrée, assise sur une chaise dans un couloir ou, pendant l’été, dehors à une table de pique-nique.

[9] M. Melone a eu plusieurs échanges courriels avec l’employeur pour insister sur le droit de la plaignante de revenir dans son bureau. L’employeur invoquait les difficultés dans le climat de travail compte tenu de la plainte de la plaignante contre une collègue, mais M. Melone a souligné que la plainte avait été déposée en novembre 2017, et que l’employeur n’avait rien fait pour la traiter entre novembre 2017 et la fin avril 2018, quand la plaignante est revenue au travail. En mai 2018, l’enquête sur la plainte de violence en milieu de travail n’avait toujours pas débuté. Dans un courriel daté du 3 mai 2018 adressé à la direction, M. Melone, après avoir passé en revue les problèmes de retour au travail de la plaignante, conclut comme suit :

[…] Mme Richard a toujours été disposée à coopérer avec la gestion afin de favoriser à la fois un retour réussi au travail, mais aussi de façon générale un climat de travail plus sain.

Elle est soucieuse de maintenir des relations de travail harmonieuses avec ses collègues, mais aussi avec sa gestion. C’est ainsi qu’elle a confirmé sa disponibilité à participer au besoin à une éventuelle activité visant à promouvoir le dialogue avec ses collègues.

Partant de là nous n’aimerions pas que ce courriel soit interprété comme un désaveu de notre part de la gestion. Nous ne mettons pas en cause la bonne foi de Mme Mercier [la gestionnaire de l’Unité de santé mentale] et de son équipe. Nous considérons tout simplement qu’il est nécessaire de corriger au plus vite ce qui nous apparait comme étant des éléments susceptibles de mettre à mal l’objectif que nous partageons tous à savoir : le retour réussi de Mme Richard dans son environnement de travail et l’amélioration du climat de travail pour tous.

Aussi, nous demandons :

1) Que l’employeur respecte intégralement les conditions de retour au travail prescrit par le médecin traitant de Mme Richard et qu’elle retrouve dès son prochain retour au travail son bureau.

Comme je vous le soulignais, c’est pour nous un élément non négociable.

2) Que l’employeur nous présente très clairement les actions qu’il compte prendre d’ici le début de l’enquête pour s’assurer d’une amélioration du climat dans le milieu de travail.

[10] Le retour progressif conseillé par le médecin aurait dû se terminer en juin 2018, mais à cette date, la plaignante n’avait toujours pas de bureau, ni de tâches cliniques. M. Melone, l’a aidée à rédiger un grief qui a été déposé le 30 mai 2018.

[11] Le grief de la plaignante était libellé comme suit :

Je déplore la gestion qui est faite de mon retour progressif au travail.

Je conteste notamment le fait que :

- Mon employeur refuse de mettre en place les mesures d’accommodement tel que prescrit par mon médecin traitant, et ce depuis la date de mon retour au travail.

Ce faisant, l’employeur met en péril mon plan médical de retour au travail et crée un risque évident pour ma santé.

J’allègue faire l’objet d’un traitement discriminatoire fondé sur mon état de santé. J’allègue également faire l’objet de mesures de représailles suite au dépôt de ma plainte pour violence en milieu de travail.

Cette attitude de l’employeur constitue une violation de la convention collective notamment, mais sans s’y limiter de l’article 43.

Elle constitue également une violation des conditions d’emploi dans la fonction publique et de toute législation et politique applicables notamment, la Loi canadienne sur les droits de la personne (la loi).

[12] La plaignante demande dans son grief les mesures correctives suivantes :

Je demande :

- que l’employeur reconnaisse avoir manqué à son obligation légale d’accommodement et mette en place sans aucun délai les recommandations de mon médecin traitant;

- que le traitement discriminatoire dont je fais l’objet depuis mon retour au travail cesse;

- que mon employeur fasse en sorte que les mesures de représailles que je subis depuis mon retour au travail prennent fin;

- à être indemnisée pour tout préjudice moral occasionné par la conduite de mon employeur conformément à l’article 53(1)e) de la loi;

- toute autre mesure de redressement nécessaire pour remédier à la situation.

[13] Malgré la note de M. Melone qui disait que la plaignante était disposée à discuter de modes de solution, elle a refusé l’offre de l’employeur d’utiliser le mode alternatif de résolution des conflits.

[14] Le grief a été renvoyé au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, et il a été rejeté à la fin de juin 2018. La plaignante a tout de suite demandé à l’Institut d’appuyer le renvoi du grief au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, ce qui a été fait.

[15] M. Melone était en congé quand la plaignante a reçu la réponse au grief, mais dès son retour, en juillet 2018, il a proposé à la plaignante de tenter de négocier une entente avec le nouveau commandant de la base militaire de Bagotville. Il a indiqué à la plaignante qu’il était sans doute souhaitable qu’elle n’y soit pas, pour permettre des négociations plus franches et aisées avec l’employeur.

[16] Ces négociations ont donné lieu à un changement dans les conditions de travail de la plaignante. On lui a attribué un bureau bien à elle, dans l’immeuble de la clinique médicale, et on lui a donné des tâches cliniques.

[17] Toutefois, la plaignante estimait que la solution offerte par l’employeur était encore imparfaite. Elle n’avait pas réintégré l’Unité de santé mentale au sous-sol, son bureau se trouvant au rez-de-chaussée. Elle ne participait pas aux réunions d’équipe, une composante très importante de son travail pour être au fait des nouveaux clients, des nouvelles méthodes, et des événements concernant la clinique. Elle estimait également que le grief devait encore procéder, puisque les mesures prises à la suite de la rencontre entre M. Melone et l’employeur n’incluaient pas une mesure de dédommagement pour le tort qu’elle avait subi d’avril à septembre 2018, soit : ne pas avoir de bureau, être délocalisée, ne pas avoir de tâches cliniques, bref, vivre une situation profondément humiliante alors qu’elle revenait d’un arrêt de travail dû au TSPT.

[18] La plaignante a témoigné que lorsqu’elle a demandé à M. Melone à quel moment le grief procéderait au troisième palier, il lui a répondu qu’il fallait faire montre de patience, que cela pouvait prendre jusqu’à deux ans, et qu’il fallait attendre que l’employeur fixe une date.

[19] En juillet 2018, deux de ses collègues de l’Unité de santé mentale, AB et « CD », ont déposé des plaintes de harcèlement contre elle. Les faits remontaient essentiellement à la période de septembre 2014 à juillet 2015, lorsque la plaignante avait eu une affectation intérimaire en tant que chef d’équipe. Il semble bien que le déplacement de la plaignante de son bureau à l’autre bâtiment était dû à l’inconfort que ressentaient AB et CD de la voir revenir au travail : elles se sont absentées le 24 avril 2018, le jour de son retour, et elles ont envoyé un courriel le lendemain pour manifester leur inconfort d’avoir à la côtoyer.

[20] L’employeur a fait faire une enquête sommaire sur le climat de travail dans l’Unité de santé mentale, en attendant des enquêtes plus approfondies sur les plaintes de la plaignante (violence en milieu de travail) et celles de AB et CD qui alléguaient du harcèlement de la part de la plaignante. Le rapport de l’enquête, daté du 30 août 2018, a confirmé le malaise de l’équipe par rapport à la plaignante. L’enquête concluait qu’il n’était pas recommandé que la plaignante réintègre l’équipe ou occupe son bureau au sous-sol de la clinique médicale.

[21] Les plaintes déposées par AB et CD ont aussi fait l’objet d’une enquête. La plainte de CD n’était pas fondée, d’après les conclusions de l’enquête, mais cinq des six allégations dans la plainte de AB ont été jugées fondées.

[22] Finalement, il y a eu enquête sur la plainte de violence en milieu de travail déposée par la plaignante, qui a été jugée non fondée. Avec l’appui de l’Institut, la plaignante a obtenu de l’employeur qu’il y ait un complément d’enquête. Ce complément d’enquête a été interrompu par la pandémie, et en date de l’audience, il n’avait pas été terminé.

[23] Par ailleurs, la plaignante a déposé une demande d’indemnisation à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). La demande a été rejetée, et le rejet a été maintenu en révision. M. Melone a déconseillé à la plaignante de faire appel de la décision au Tribunal administratif du Travail, parce que les chances de succès seraient très minces. Dans un long courriel du 30 mai 2019, M. Melone expose en détail ce qu’il considère comme étant les faiblesses du dossier.

[24] M. Melone a envoyé une copie de ce courriel à sa gestionnaire à l’Institut, Valérie Charrette. Or, la plaignante a déposé en preuve un courriel adressé à l’employeur de la part de Mme Charette, du 16 novembre 2017, qui se lit partiellement comme suit :

[…]

Je viens de m’entretenir avec les employés dont le nom figure en copie à ce courriel [plusieurs collègues de la plaignante]. Ces derniers m’ont avisée qu’une plainte formelle venait d’être déposée par Mme Sonia Richard en regard d’allégations de harcèlement en milieu de travail.

Par conséquent, je demande au nom des employés qui sont visés par cette plainte, qu’ils puisent recevoir sans délai une copie de la plainte en question. […]

Aussi, comme il s’agit d’une plainte de harcèlement et que le harcèlement en milieu de travail constitue une forme de violence en milieu de travail et est par conséquent couvert par la Partie XX du Règlement canadien sur la santé et sécurité au travail, je demande à ce que nous soyons, moi-même en tant que représentante et les employés mis en cause, consultés sur le choix de l’enquêteur […].

[25] Dans un courriel subséquent, Mme Charrette a précisé ce qui suit :

[…]

Également, comme des représentants différents sont assignés présentement pour [la plaignante], [AB] ainsi que pour le reste des employés, j’apprécierais que les communications se fassent séparément avec chacun des représentants, ceci dans un souci de préserver la confidentialité pour toutes les parties impliquées dans ce processus.

[26] M. Melone a témoigné qu’à sa connaissance, les collègues de la plaignante étaient représentées par Sandra Guéric, également une agente des relations de travail à l’Institut, dès novembre 2017. M. Melone n’a jamais discuté avec Mme Guéric du dossier de la plaignante, ce qui aurait été contraire aux normes de confidentialité de l’Institut.

[27] M. Melone est parti en congé de paternité et il a été remplacé vers la fin janvier 2019 par Frédéric Durso, un autre agent des relations de travail de l’Institut. M. Durso a témoigné qu’il avait étudié le dossier avec soin. De nombreux échanges de courriels confirment le suivi assuré par M. Durso. C’est avec M. Durso que la plaignante a discuté de son grief contre le rapport d’enquête concernant les plaintes de harcèlement déposées par CD et AB.

[28] M. Durso a tenté de convaincre la plaignante des avantages qu’offrirait le mode alternatif de résolution des conflits par rapport à la poursuite du grief, mais elle tenait à poursuivre le grief. M. Durso s’est rangé à cette décision; le grief a été déposé en janvier 2020, et il a été renvoyé au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, à la demande de la plaignante.

[29] Le 19 février 2020, Me Éric Le Bel (qui représente la plaignante dans la présente plainte) a adressé une lettre à MM. Durso et Melone au sujet des griefs du 29 mai 2018 et du 17 janvier 2020 (dates auxquelles la plaignante a signé les griefs, non la date de réception par l’employeur).

[30] Dans cette lettre, Me Le Bel déclare ce qui suit :

Dans ces circonstances, il est nécessaire que notre cliente puisse être représentée par l’avocat de son choix et que les honoraires soient pris en charge par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada. En effet, il est clair que l’Institut est en conflit d’intérêts, considérant que les griefs concernent des situations d’harcèlements en milieu de travail, opposant notamment deux employées représentées toutes deux par l’Institut.

Ainsi, nous vous demandons de nous confirmer, au plus tard dans les cinq (5) jours de la réception de la présente, que notre cliente peut être représentée par l’avocat de son choix concernant les deux griefs déposés à ce jour ainsi que pour tous autres griefs que pourraient déposer cette dernière en lien avec la situation de harcèlement vécu au travail et que vous payerez les honoraires qui en résultent.

À défaut par l’Institut de se conformer à ce qui précède dans le délai imparti, veuillez prendre note que notre cliente n’aura d’autre choix que de prendre toutes procédures judiciaires utiles, sans autre avis ni délai.

[31] Mme Charrette, gestionnaire de MM. Durso et Melone, a répondu deux jours plus tard pour indiquer que l’Institut prenait des mesures pour éviter les conflits d’intérêts, car il n’était pas rare que deux membres se trouvent en conflit, ayant tous deux droit aux services de représentation de l’Institut. La plaignante avait parfaitement le droit de se faire représenter par un avocat de l’extérieur, pour les questions qui ne touchaient pas l’interprétation de la convention collective (où la représentation par l’Institut serait obligatoire), mais elle devait le faire à ses frais.

[32] M. Durso a demandé à la plaignante si elle souhaitait toujours être représentée par l’Institut. Elle a répondu comme suit :

[…] Je veux bien que le syndicat continue à me représenter même si j’estime toujours que vous êtes en conflit d'intérêt apparent ou réel. En effet, le fait que le syndicat soutienne que les plaintes de [AB] et [CD] ne soient pas prescrites, ni de mauvaise foi, est très révélateur sur les réelles intentions du syndicat. En effet, tous les juristes indépendants consultés sont d’avis que ces plaintes sont manifestement prescrites, et constituent en fait des actes de mauvaise foi et de représailles. Dans les circonstances, je ne souhaite plus avoir de longues discussions téléphoniques pénibles avec le syndicat et avoir à contre argumenter sur des évidences et à répéter des faits que le syndicat devrait très bien connaître étant donné les nombreux écrits produits sur le sujet et que le syndicat a en sa possession. Je n’ai tout simplement plus l’énergie pour ces discussions inutiles. Je souhaite seulement que le syndicat assume son rôle de défendre mes droits sans tenter de saboter mes arguments ou atténuer les actes de l’employeur ou de mes collègues. De plus, vous m’avez demandé à plusieurs reprises de reconnaître ma responsabilité dans les événements, ce que j’ai refusé et ce que je vais continuer de refuser puisque j’estime être l’objet d’un traitement injuste, illégal et tout à fait disproportionné dans les circonstances. […]

[33] M. Durso a témoigné avoir eu des conversations avec la plaignante pour tenter de la convaincre de l’avantage de procéder par médiation (le mode alternatif de résolution des conflits) pour régler une situation qui ne ferait que s’envenimer davantage, selon lui, en multipliant les procédures de grief et de plainte. Il avait également tenté de faire comprendre à la plaignante qu’il pourrait être dans son intérêt de reconnaître les conflits créés lorsqu’elle était chef d’équipe et de s’expliquer avec ses collègues. Cependant, puisque la plaignante ne souhaitait pas utiliser le mode alternatif de résolution des conflits ni tenter de s’expliquer avec ses collègues, M. Durso était prêt à l’appuyer dans ses démarches contre l’employeur (contestation d’une sanction disciplinaire et grief de harcèlement).

[34] Le 19 mars 2020, la plaignante apprend de M. Durso que son grief sur le refus d’accommodement (déposé en mai 2018 et renvoyé au troisième palier en juillet 2018) a été mis en suspens. Elle est fort mécontente de cette nouvelle, puisqu’elle n’a jamais été informée que l’audition au troisième palier était suspendue, et qu’elle n’y aurait jamais consenti. Elle s’adresse d’abord à M. Durso, qui demande des explications à M. Melone.

[35] À l’audience, M. Melone a expliqué que compte tenu des dossiers en cours pour la plaignante, et notamment les plaintes de harcèlement de sa part et contre elle, il n’avait pas poussé pour obtenir de l’employeur de tenir l’audition au troisième palier. Il n’y avait pas eu une « mise en suspens » comme telle, qui aurait exigé l’accord de l’employeur, mais M. Melone a reconnu qu’il aurait pu faire avancer le dossier du grief de refus d’accommodement, et qu’il ne l’avait pas fait, parce cette stratégie, selon lui, n’était pas à l’avantage de la plaignante. Les dossiers de plainte n’étaient pas réglés, et le grief ne pourrait donc pas être traité correctement.

[36] Dans un courriel adressé à M. Durso, la plaignante dit que le grief de refus d’accommodement est tout à fait indépendant des plaintes. Pourtant, en même temps, la plaignante reproche au syndicat d’avoir soutenu AB et CD contre elle. Plus encore, elle dénonce le syndicat qui aurait été à l’origine de sa délocalisation, l’objet même de son grief.

[37] Un des rapports d’enquête indique que Mme Guéric, l’agente des relations de travail qui représentait AB et CD, aurait conseillé à l’employeur de ne pas réintégrer la plaignante dans son bureau lors de son retour au travail en avril 2018, mais plutôt de l’éloigner des plaignantes. La plaignante blâme donc le syndicat pour son rôle dans sa délocalisation, liée au dossier de plaintes.

[38] Dans un courriel daté du 31 mars 2020, M. Durso résume de la façon suivante la position de l’Institut :

[…]

De ce que je comprends, le grief a été présenté au 2e palier et une réponse a été émise le 28 juin 2018. À ce moment, la venue prochaine du Major Simard avait été annoncée. Selon ce qui m’est rapporté, il y avait alors eu des discussions entre Robert et toi et il avait été décidé de profiter de l’arrivée du Major afin de tenter de régler la situation. Avec son arrivée, des discussions ont été amorcées sur une base régulière, ce qui aurait eu pour conséquence qu’un bureau adéquat te soit assigné et que ta charge de travail clinique soit remise en place suite à une première rencontre entre le Major, Robert Melone et Pierre Potvin. Des suivis réguliers auraient ensuite été faits. Je comprends que cette situation n’était pas idéale, mais somme toute plus acceptable dans les circonstances. Par la suite, ce sont les enquêtes de violence en milieux de travail et de harcèlement psychologique qui ont été enclenchées avec les conséquences que l’on connaît aujourd’hui, mais que l’on aurait souhaitées différentes. Comme tu sais, ces rapports ont également été contestés par griefs. L’audition qui devait avoir lieu la semaine prochaine au 2e palier a été reportée en raison de la pandémie qui sévit actuellement.

Dans ce contexte, je présume que cette question avait été discutée avec Robert à l’époque. Cela dit, le grief pourra être réactivé dès que les choses reprendront avec un peu plus de normalité. Cela aura pour conséquence que l’ensemble de la situation pourra être présentée au 3e palier, ce qui, selon moi, aura un poids supplémentaire.

[…]

[39] À l’audience, M. Durso et M. Melone ont maintenu cette explication. M. Melone a toutefois admis qu’il n’en avait pas discuté clairement avec la plaignante. Celle-ci a continué de manifester son mécontentement, du fait qu’elle n’avait jamais consenti à la mise en suspens du grief. M. Durso a tenté d’expliquer la situation comme suit :

[…] Sur une note plus générale, il faut mentionner qu’il n’est pas exceptionnel que des griefs soient mis en attente dans certaines circonstances. Généralement, lorsque nous faisons face à une situation complexe présentant diverses ramifications, il arrive régulièrement que nous choisissions de ne pas aller au palier suivant immédiatement, afin de permettre la poursuite des discussions en cours avec le niveau de gestion local. Comme tu dois t’en douter, il est toujours souhaitable, et bien souvent plus facile, de régler les situations problématiques ou conflictuelles au niveau local. […]

[40] Le 10 avril 2020, la plaignante écrit à M. Durso pour avoir plus d’explications. Son courriel se lit comme suit :

[…] Suite à ton dernier courriel, je ne comprends toujours pas comment mon grief pour refus d’accommodement a pu être suspendu et ta réponse ne m’éclaire pas beaucoup. En effet, jamais je n’ai été informée de cette suspension ni même consultée par écrit ou verbalement pour autoriser cette suspension. Ta présomption à l’effet que la question de la suspension du grief avait été discutée avec Robert est complètement non fondée. En effet, jamais la suspension de ce grief n’a été discutée avec Robert Melone. Je réitère ainsi mes questions, et Robert pourrait peut-être y répondre directement puisque c’était lui qui était assigné à la représentation de ce grief à l’époque :

1-) À quelle date exactement le grief a t-il été suspendu?

2-) Qui a demandé la suspension de ce grief?

2-) [sic] Existe-t-il un écrit (courriel ou autre) qui confirme ou mentionne la suspension de ce grief? Si oui, puis-je avoir une copie de cet écrit?

3-) En l’absence d’écrit, comment le grief a-t-il été suspendu (lors d’une rencontre ou par téléphone) et quelles personnes étaient présentes lors de cette rencontre? Puis-je avoir les noms de ces personnes et leurs fonctions?

Aussi, il faut ajouter que le grief a été déposé pour contester une décision de major Casey-Campbell, et surtout, demander une réparation pour le préjudice causé par le refus de l’employeur de m’accommoder dans le cadre de mon retour progressif au travail. L’arrivée de major Simard n’a rien changé à cette décision et au préjudice que j’ai subi lors de ma délocalisation. En fait, quand major Simard est arrivé, il était déjà trop tard pour m’accommoder puisque mon retour progressif au travail était terminé. Après la rencontre du mois de juillet 2018 avec le major Simard, Robert Melone et Pierre Potvin, à laquelle j’étais absente, les suivis réguliers qui ont été faits visaient seulement à s’assurer que l’employeur me réintègre dans mes fonctions de travailleuse sociale et ils n’avaient rien à voir avec le grief pour refus d’accommodement. Par la suite, dans les mois suivants, j’ai demandé à plusieurs reprises à Robert qu’est-ce qui se passait avec mon grief et Robert me répondait que c’était normal que les délais soient longs. Jamais Robert ne m’a informé que le grief était suspendu. Il n’était aucunement dans mon intérêt que ce grief soit suspendu. Ce grief n’avait aucun lien non plus avec les enquêtes en violence ou en harcèlement psychologique. Les conclusions de ces enquêtes ne changent rien au bien fondé de ce grief.

Merci de répondre clairement et rapidement à mes questions puisque je pense qu’il est normal que je sois tenue informée de toutes les démarches entourant la représentation de mes griefs.

[…]

[41] Le 16 avril 2020, M. Melone lui répond de la façon suivante :

[…]

À la lecture de ton courriel ci-dessous, je comprends qu’il y a une certaine confusion quant au statut actuel de ton grief pour refus d’accommodement. J’aurais peut-être dû valider davantage ta compréhension lors de nos discussions à ce sujet.
Je me permets donc de clarifier :
Tout d’abord, je ne dirais pas que ton grief est suspendu, mais plutôt en attente d’une audition par le décideur désigné au troisième palier.

Dans les faits, une fois que le grief est transmis au palier suivant par l’employé, la pratique mise en place par les parties veut que l’employeur contacte le syndicat pour suggérer une date d’audition en fonction des disponibilités des parties. Lorsque l’employeur tarde à le faire, il arrive que nous le contactions pour nous assurer qu’un grief soit entendu rapidement.

Pour revenir à ton grief, nous avons obtenu une réponse au deuxième palier le 28 juin 2018. Il a été transmis au troisième palier le 29 juin et l’employeur en a accusé réception le 3 juillet 2018.

Le grief est donc de ce fait resté en attente au troisième palier, notamment pour les raisons suivantes :

- Il est généralement plus long d’obtenir des dates d’audition au dernier palier du fait des disponibilités plus serrées des sous-ministres. De plus, nous étions en période d’été.

-Sachant que le major Casey Campbell allait être remplacé par le major Erik Simard, il m’apparaissait important de saisir cette opportunité pour engager des discussions avec ce dernier. J’espérais qu’il porterait un regard nouveau sur ta situation et agirait pour que tu retrouves au plus vite tes tâches cliniques et un bureau décent. Ce qui fut fait. Il s’agissait pour moi de la priorité à l’époque compte tenu de la situation que tu vivais au travail.

-De plus, compte tenu de la nature des dossiers, il m’apparaissait plus indiqué d’attendre les rapports d’enquêtes.

Dans le pire des cas, nous aurions eu à déposer éventuellement des griefs pour les contester. Ces griefs auraient possiblement pu se rendre au troisième palier. Partant de là, il était préférable de faire entendre l’ensemble des griefs en même temps.

Dans le meilleur des cas, l’issue des enquêtes qui venaient de démarrer aurait pu avoir pour conséquence de nous mener vers des discussions visant à obtenir un règlement, incluant pour ce grief.

Malheureusement, les conclusions des enquêtes n’ont pas été celles que nous espérions.

Il me semblait que nous avions à l’occasion de nos nombreuses discussions téléphoniques et en personne abordé ce sujet.

Je suis convaincu de m’être à chaque fois assuré de t’exposer à la fois la stratégie et les objectifs derrière toute démarche que j’entreprenais dans le cadre du traitement de tes dossiers. Je ne me souviens d’ailleurs pas avoir jamais reçu de ta part une quelconque plainte à ce sujet. Bien au contraire, j’ai toujours senti que tu adhérais à mes propositions quant aux démarches proposées et à la manière de les mettre en place. Si tu estimes cependant que je n’ai pas été suffisamment clair pour ce qui est de ce grief spécifique, j’en suis désolé.

Cela étant dit, et tel que mentionné plus haut, ton grief est en attente au troisième palier, tu n’as donc perdu aucun recours. Je comprends du courriel de Frédéric ci-dessous qu’il sera entendu avec tous les autres griefs lorsque nous aurons retrouvé une certaine normalité.

[…]

[42] La plaignante lui a répondu que les raisons données « ne tiennent pas la route ». Selon elle, au contraire, si le grief avait procédé au troisième palier, une bonne partie de la problématique avec l’employeur aurait pu être réglée.

[43] Le 24 avril 2020, la plaignante a adressé une lettre à Mme Charrette pour se plaindre de la représentation qu’elle avait reçue de MM. Durso et Melone. Elle a réitéré la demande de Me Le Bel qu’elle puisse être représentée par un avocat de son choix, aux frais de l’Institut. Au soutien de sa demande, la plaignante a donné les motifs suivants.

[44] Au-delà du conflit d’intérêts pour l’Institut de représenter à la fois la plaignante et les personnes qui ont porté plainte contre elle, la plaignante a maintenant l’impression que l’Institut a refusé de faire avancer son grief pour refus d’accommodement pour se protéger parce qu’il a pris part à la décision de la délocaliser. En outre, MM. Melone et Durso n’ont pas pleinement défendu ses intérêts. Par exemple, M. Melone était d’avis que l’employeur avait le droit de faire enquête sur les plaintes de AB et CD, même si les événements donnant lieu aux plaintes remontaient à plus de trois ans, de sorte que les plaintes étaient prescrites, selon la plaignante.

[45] La plaignante reprochait également à M. Melone de ne pas avoir soulevé les manquements de l’enquêteur pour les plaintes de AB et CD, et à M. Durso d’avoir tenté de la convaincre d’accepter les conclusions de l’enquête pour passer à la réconciliation.

[46] La plaignante a donc demandé à Mme Charrette d’accepter qu’elle engage l’avocat de son choix aux frais de l’Institut; en cas de refus, elle demandait qu’on suive la procédure prévue dans la Politique de représentation de l’Institut et que la conseillère générale et chef des services des relations de travail en soit saisie.

[47] La conseillère générale et chef des services des relations de travail est Isabelle Roy, qui a témoigné à l’audience. Elle a confirmé qu’elle avait effectivement était saisie de la demande de la plaignante. Après étude du dossier, et après avoir passé en revue les arguments de la plaignante, elle a recommandé à la présidente de l’Institut de maintenir le refus de payer les frais d’un avocat choisi par la plaignante. Selon elle, les agents des relations de travail avaient bien agi, et défendu avec diligence les intérêts de la plaignante. Le fait pour l’Institut de représenter des membres en conflit ne constituait pas en soi, selon Me Roy, un conflit d’intérêts. Des mesures étaient en place pour assurer une représentation entière et confidentielle à la plaignante. Les agents des relations de travail qui travaillaient sur son dossier ne communiquaient rien du dossier à l’agente qui représentait AB et CD. Ce genre de situation, d’après Me Roy, n’est pas inusitée, et l’Institut est bien conscient de ses obligations à l’endroit de tous ses membres.

[48] Avant que Me Roy soit saisie, Mme Charrette a d’abord transmis la demande à Nancy Lamarche, directrice des Services des relations du travail régionales. Celle-ci a écrit à la plaignante le 11 mai 2020 pour lui dire qu’elle avait révisé le dossier, qu’elle estimait que MM. Melone et Durso s’étaient bien acquittés de leurs tâches, mais qu’elle constatait que la confiance de la plaignante s’était effritée. Par conséquent, elle avait assigné le dossier de la plaignante à un autre représentant, Jean Ouellette, qui ne travaillait pas dans le même bureau que MM. Melone et Durso. Dès le lendemain, la plaignante a demandé à Me Roy de réviser la décision de Mme Lamarche.

[49] M. Ouellette a tout de même commencé à s’occuper du dossier de la plaignante. Afin de bien saisir l’ensemble du dossier, M. Ouellette a d’abord dressé un tableau des différents éléments du dossier, soit les plaintes et griefs de la plaignante. Le tableau fait état des dossiers suivants pour la plaignante dont s’occupe l’Institut :

• grief d’accommodement, renvoyé au 3e palier le 29 juin 2018; suivi : prévoir l’audition au 3e palier.

• grief quant au rapport sur les plaintes de harcèlement de AB, déposé 21 janvier 2020, transmis au 2e palier vers le 19 février 2020; suivi : prévoir l’audition au 2e palier (l’audition prévue pour le 9 avril a été annulée par l’employeur).

• grief – mesure disciplinaire du 19 février 2020 (lettre de réprimande); suivi : l’Institut n’a pas reçu de copie du grief, s’il a été déposé. Obtenir une copie du grief et prévoir l’audition au 1er palier.

• plainte pour harcèlement psychologique déposée par la plaignante le 14 novembre 2017; rapport préliminaire déposé le 16 novembre 2018. L’enquête n’est pas terminée. La plaignante et son représentant doivent rencontrer l’enquêteur; suivi : communiquer avec la plaignante et l’enquêteur afin de procéder à la rencontre.

• évaluation du rendement; la dernière communication est un courriel de la plaignante le 14 avril 2020; suivi : à clarifier.

• Visite d’aide d’état-major – rapport reçu par l’employeur – courriel du major Simard du 12 mai 2020; suivi : attendre la convocation à la téléconférence – prévue pour la semaine du 1er juin.

[50] M. Ouellette envoie un courriel à la plaignante le 3 juin 2020, joignant le tableau, et lui demande si elle souhaite être représentée par l’Institut dans ces divers dossiers. Un seul des griefs, celui relatif à l’évaluation du rendement qu’elle conteste, doit avoir l’appui de l’Institut pour procéder, conformément au paragraphe 208(4) de la Loi. Pour tous les autres griefs, elle peut se représenter elle-même ou se faire représenter par un avocat de son choix, à ses frais.

[51] Il répète sa demande le 16 juin, en donnant 24 heures à la plaignante pour répondre. Entre-temps, la plaignante a déposé sa plainte contre l’Institut. Il y a échange de courriels, mais M. Ouellette comprend que la plaignante ne souhaite plus être représentée par l’Institut. Il en informe l’employeur, et indique que le retrait de la représentation rend le grief contre l’évaluation du rendement caduc.

[52] Il semble que M. Ouellette ait agi un peu vite. La plaignante est fâchée de perdre son grief contre l’évaluation du rendement. M. Ouellette rattrape le tout et confirme à l’employeur que le grief est maintenu avec l’appui de l’Institut. Les autres dossiers de la plaignant sont mis en suspens en attendant l’issue de la présente plainte.

[53] Une fois la preuve de l’Institut terminée, la plaignante a demandé de présenter une contre-preuve. J’ai accepté d’entendre cette preuve, sous réserve de sa pertinence.

[54] La plaignante a d’abord présenté les notes de son médecin, à partir du 1er mai 2018, qui montrent que le médecin recommande que la plaignante soit réintégrée dans son bureau (au sous-sol de la clinique médicale) et qu’elle reprenne ses tâches cliniques. Le but de cette preuve est de démontrer que l’Institut n’avait pas entièrement réglé le problème soulevé dans le grief.

[55] Je n’ai aucune difficulté à reconnaitre que le grief concernant le refus d’accommodement demeurait pendant et n’était pas entièrement réglé. Toutefois, les notes du médecin n’établissent pas que l’Institut a agi de mauvaise foi en n’insistant pas que la plaignante réintègre son bureau au sous-sol de la clinique médicale. Le médecin n’a pas témoigné. Je tiens pour acquis qu’il n’a eu que la version de la plaignante dans cette affaire. Je n’ai aucune indication qu’il connaissait à fond la situation et la dynamique particulière de l’Unité de santé mentale. De toute façon, ces notes ne peuvent établir la mauvaise foi de l’Institut.

[56] La plaignante a également déposé en preuve le courriel que M. Melone lui a envoyé au moment où il partait en congé et confiait son dossier à M. Durso. Dans ce courriel, M. Melone écrit que M. Durso « […] a une grande expérience avec DND », et qu’elle sera donc entre bonnes mains. Or, fait remarquer la plaignante, M. Durso a témoigné qu’il ne connaissait pas le ministère de la Défense nationale.

[57] Ce n’est pas exactement le témoignage de M. Durso. Celui-ci a témoigné qu’au moment où M. Melone lui confie le dossier de la plaignante, le ministère de la Défense nationale ne fait pas partie de ses dossiers attitrés. On ne lui a pas posé de question sur son expérience du ministère. Plus important encore, on n’a pas posé de question à M. Melone pour qu’il explique son courriel. Par conséquent, je ne peux retenir cette preuve, qui cherche à mettre en doute la crédibilité de M. Melone sans qu’il ait eu l’occasion de s’expliquer.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

[58] Le critère pour établir que l’Institut a contrevenu à son obligation de représentation juste et équitable n’exige pas que l’action soit intentionnelle. Ici, il y a eu négligence grave et faute grossière dans le traitement du dossier de la plaignante. M. Melone n’a pas assuré le suivi du grief concernant le refus d’accommodement.

[59] Plus important encore, l’Institut est clairement en situation de conflit d’intérêts. La délocalisation de la plaignante, qui est à l’origine de son grief pour refus d’accommodement, lui a été imposée à la suite d’une recommandation faite par une agente des relations de travail de l’Institut, un fait qui ressort clairement de l’enquête sommaire sur le milieu de travail menée à l’été 2018.

[60] L’Institut a créé la problématique, il est donc impossible pour l’Institut de représenter la plaignante dans ses différends avec l’employeur. L’Institut refuse de reconnaître son conflit d’intérêts. Tous les témoins l’ont nié. Le conflit d’intérêts explique l’inaction de l’Institut dans le grief concernant le refus d’accommodement.

[61] Non seulement M. Melone n’a rien fait pour faire avancer le dossier, mais il n’a donné aucune information à la plaignante pour lui laisser savoir que le grief était suspendu.

[62] Un courriel de novembre 2017 montre que Mme Charrette représentait AB et CD. Mme Charrette est la gestionnaire à qui M. Durso et M. Melone se rapportent.

[63] Le conflit d’intérêts est patent. La plaignante a cité deux décisions de tribunaux du Québec sur lesquelles je reviendrai dans mon analyse.

[64] L’Institut n’a nullement cherché à régler le conflit d’intérêts, il l’a simplement nié. La démarche suivie à la suite de la demande de la plaignante d’être représentée par un avocat indépendant était vide de sens – l’Institut n’a pas fait enquête, la plaignante n’a pas pu plaider sa cause, bref, l’Institut n’a nullement tenu compte des préoccupations de la plaignante.

B. Pour le défendeur

[65] La plaignante a déposé une plainte contre l’Institut le 15 juin 2020, pour ne pas avoir traité un grief qu’elle avait déposé en mai 2018. Elle savait qu’il n’y avait pas eu d’audition au 3e palier, pourtant, elle a attendu jusqu’en mars 2020 pour se renseigner. M. Durso lui a alors offert de réactiver le dossier pour obtenir l’audition, mais elle n’a pas répondu à cette offre. Le retard était le sien, et elle a largement dépassé le délai de rigueur de 90 jours pour déposer sa plainte.

[66] Quant au fond de la plainte, la plaignante n’a pas établi qu’il y avait conflit d’intérêts pour l’Institut. Celui-ci a l’obligation de représenter tous ses membres, ce qu’il a fait. Dans une situation où il y a conflit entre deux membres, comme dans le présent cas, l’Institut prend des mesures pour que les agents des relations de travail s’occupent des dossiers de façon indépendante. C’est ce qui a été fait ici. M. Melone et M. Durso s’occupaient uniquement du dossier de la plaignante, et ne représentaient que ses intérêts.

[67] Mme Charrette protégeait les intérêts de membres, mais dès le départ, c’est une autre agente des relations de travail qui a défendu les intérêts de AB et de CD. Il n’y a aucune indication que M. Durso ou M. Melone a communiqué avec cette agente de relations de travail au sujet des dossiers de la plaignante. En tout temps, ils ont défendu les intérêts de celle-ci.

[68] MM. Durso et Melone ont agi de leur mieux pour la plaignante. Celle-ci n’a nullement établi que l’Institut ou ses représentants avaient agi de manière discriminatoire ou arbitraire ou avec mauvaise foi.

IV. Analyse

[69] L’institut a soulevé une objection quant au délai pour le dépôt de la plainte. Il est bien établi, dans la Loi et la jurisprudence, que le délai de 90 jours prévu à l’article 190 pour porter plainte contre le syndicat est de rigueur et ne peut être prolongé. Le paragraphe 190(2) se lit comme suit :

190(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu – ou, selon la Commission, aurait dû avoir – connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

[70] La plaignante a déposé sa plainte contre l’Institut le 15 juin 2020. D’après toute la preuve entendue et les arguments de la plaignante, je conclus qu’il y a deux faits principaux qui motivent la plainte : le fait que les agents des relations de travail de l’Institut, M. Melone en particulier, n’ont pas poussé pour faire entendre son grief de refus d’accommodement au troisième palier, et le fait que l’Institut a refusé de reconnaître un conflit d’intérêts et de payer les frais d’un avocat choisi par la plaignante pour la représenter.

[71] La plaignante a appris le 19 mars 2020 que le grief sur le refus d’accommodement avait été mis en attente ou en suspens. Peu importe la formule utilisée, il est clair que M. Melone n’avait pas insisté pour le faire entendre au troisième palier et qu’il pensait qu’il fallait d’abord régler les autres éléments du dossier de la plaignante relatifs aux plaintes et au climat de travail. L’autre élément de la plainte est le refus de l’Institut de payer les frais d’avocat de la plaignante, refus confirmé le 27 mai 2020 par une décision finale de la présidente de l’Institut.

[72] Au regard des deux principaux faits ayant donné lieu à la plainte, j’estime que celle-ci a été déposée dans le délai prévu par la Loi.

[73] Le recours devant la Commission en matière de représentation par l’agent négociateur est une plainte. Le plaignant a le fardeau de prouver que l’agent négociateur a failli à son devoir de représentation juste et équitable en contrevenant à l’article 187 de la Loi, qui se lit comme suit :

187 Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

[74] La question dont je dois décider n’est pas de savoir si la plaignante a droit à un avocat de son choix, payé par l’Institut. Je dois plutôt décider si l’Institut a failli à son devoir de représentation juste et équitable. Je n’ai aucun doute que la plaignante préfèrerait être représentée par l’avocat de son choix. C’est tout à fait sa prérogative. Cependant, même si je devais conclure que l’Institut a agi de façon discriminatoire ou arbitraire, ou de mauvaise foi, la mesure de redressement ne serait pas nécessairement d’ordonner à l’Institut de payer les honoraires de l’avocat choisi par la plaignante. La Commission entend la plainte, et si elle y fait droit, décide ensuite de la mesure de redressement compte tenu des circonstances. De toute façon, je n’en arrive pas là, puisque je conclus que l’Institut n’a pas contrevenu à l’article 187 de la Loi.

[75] Pour justifier sa demande d’un avocat de son choix, la plaignante s’appuie sur deux décisions de tribunaux du Québec, dans lesquelles la Commission des relations de travail (CRT) reconnaît que le conflit d’intérêts évident du syndicat empêche une représentation juste et équitable de la salariée en cause, et ordonne que le syndicat paie les frais d’un avocat de son choix à la salariée. Les décisions ont été confirmées par la suite, l’une par la Cour supérieure du Québec, l’autre par la Cour d’appel du Québec.

[76] Le Code du travail (L.R.Q., ch. C-27) comporte une disposition semblable à l’article 187, qui se lit comme suit :

47.2 Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l’endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu’elle représente, peu importe qu’ils soient ses membres ou non.

[77] C’est en vertu de cet article que la CRT a tranché dans Alliance des syndiquées interprofessionnelles du CHUQ (FIQ) c. Commission des relations du travail (CRT), 2011 QCCS 6171 (« Alliance des syndiquées interprofessionnelles ») et Vallières c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (CPS et APTMQ), 2011 QCCA 588 (« Vallières »).

[78] Dans Alliance des syndiquées interprofessionnelles, la CRT a conclu que la plaignante en cause, Mme DS-A, n’avait nullement été soutenue par son syndicat quant au harcèlement qu’elle alléguait de la part de son superviseur, qui a culminé en mesures disciplinaires et finalement, un congédiement. Le syndicat a conclu, après que Mme DS-A ait déposé une plainte pour défaut de représentation, qu’il n’y avait pas eu de harcèlement psychologique. La CRT a ordonné au syndicat de payer les frais d’un avocat au choix de Mme DS-A pour la représenter devant un arbitre de travail dans son différend contre l’employeur. La CRT a conclu que le syndicat avait abandonné Mme DS-A aux mains de son harceleur, en ne lui offrant aucun soutien.

[79] Plus important encore, la CRT a conclu que la conduite du superviseur aurait justifié le dépôt d’un grief pour harcèlement. Or, le syndicat, après sa propre enquête, a conclu qu’il n’y avait pas eu harcèlement. Il devenait intenable pour cette raison de demander au syndicat de représenter les intérêts de Mme DS-A devant un arbitre de travail. De là la décision d’ordonner au syndicat de payer les frais d’un avocat choisi par Mme DS-A.

[80] Dans cette affaire, le harcèlement se poursuivait, mais le syndicat n’agissait pas. Dans le présent cas, l’Institut a agi. Le grief contre le refus d’accommodement était important pour la plaignante, selon ses propres dires, pour punir l’employeur de la façon dont il l’avait traitée à son retour au travail. La solution apportée en juillet 2018 n’était pas parfaite, mais elle avait réglé certains aspects de la situation pénible vécue par la plaignante. Par ailleurs, on ne peut dire que l’Institut a abandonné la plaignante. Il n’y a aucune preuve qu’elle se soit inquiétée de son grief jusqu’à ce qu’elle le soulève en mars 2020. Ses énergies, et celles de l’Institut, étaient beaucoup plus concentrées sur la situation avec ses collègues, avec plaintes et enquêtes afférentes. En outre, les agents des relations de travail qui ont travaillé sur son dossier n’ont jamais mis en doute son droit de contester les décisions de l’employeur.

[81] Le conflit d’intérêts soulevé par la plaignante en l’espèce n’est pas de la même nature que le conflit d’intérêts constaté par la CRT et confirmé par la Cour supérieure du Québec. Dans ce cas-là, le syndicat n’a pas défendu les intérêts de Mme DS-A. Pire encore, il pouvait être dans son intérêt que Mme DS-A perde sa cause devant un arbitre de travail, pour prouver qu’il avait raison de conclure qu’il n’y avait pas eu harcèlement. Rien de tel ici. L’Institut n’a pas pris parti contre la cause de la plaignante : il lui a offert les services de représentants qui avaient à cœur de défendre au mieux ses intérêts.

[82] Il est vrai que l’Institut offrait également un service de représentation aux collègues en conflit avec la plaignante. Il semble aussi que la représentante de ces collègues a insisté pour empêcher que la plaignante réintègre son bureau, et elle a donc joué un rôle dans sa délocalisation. Toutefois, M. Melone a toujours agi pour défendre les intérêts de la plaignante, en insistant auprès de l’employeur qu’elle devait réintégrer un bureau convenable, dans l’immeuble de la clinique médicale. Si la plaignante n’a pas réintégré son bureau au sous-sol, ce n’est pas en raison de l’action de l’Institut. Il s’agit d’une décision de l’employeur, qui gérait une dynamique difficile. Le réalisme de ne pas insister pour le bureau au sous-sol n’est pas l’équivalent de l’abandon que l’on note de la part du syndicat dans Alliance des syndiquées interprofessionnelles.

[83] Dans l’affaire Vallières il s’agissait, un peu comme en l’espèce, d’une situation conflictuelle entre deux employées, représentées par le même syndicat. Celui-ci avait adopté une politique de représentation dans les cas de violence ou de harcèlement sexuel, qui prévoyait que la contestation d’une sanction disciplinaire pouvait ne pas être appuyée par le syndicat, si celui-ci, après enquête, jugeait la sanction méritée.

[84] Le comité du syndicat chargé d’examiner la plainte a entendu seulement les représentantes des deux employées, celle qui avait porté plainte et celle qui s’en défendait (appelante devant la Cour d’appel du Québec). La représentante de l’appelante a déclaré au comité qu’elle ne trouvait pas crédible la défense de l’appelante. Le comité a décidé que le syndicat ne représenterait pas l’appelante si un grief était déposé contre la sanction disciplinaire imposée par l’employeur.

[85] La CRT a jugé que le syndicat était en situation de conflit d’intérêts. La Cour supérieure du Québec a accueilli la demande de révision judiciaire, mais la Cour d’appel du Québec a cassé le jugement de la Cour supérieure, et donné raison à la CRT. Il était raisonnable pour celle-ci de conclure que le syndicat avait failli à son obligation de représentation juste et équitable.

[86] L’employeur avait retenu une plainte contre l’appelante, malgré une procédure déficiente et une absence de faits objectifs. Le syndicat n’a rien fait pour s’opposer aux conclusions de l’employeur, bien au contraire. Il a conclu de la même façon, avec une procédure tout aussi déficiente.

[87] L’erreur du syndicat dans cette affaire a été de s’instituer arbitre entre les deux membres en conflit, ce qui n’est pas son rôle. Son rôle est de défendre les membres, et de considérer avec sérieux les chances de succès d’un grief. Ayant décidé (sans preuve objective, avec une procédure déficiente) que l’appelante avait tort, il lui était impossible de la représenter adéquatement devant l’employeur.

[88] Dans le présent cas, la position de l’Institut n’était pas de prendre parti dans le conflit opposant ses membres, mais bien de représenter leurs droits face à l’employeur. M. Durso a beaucoup aidé la plaignante avec son grief contre la sanction disciplinaire résultant de l’enquête, et les échanges courriels semblent indiquer que la plaignante appréciait ses commentaires. M. Melone et M. Durso n’ont jamais cessé d’appuyer la plaignante, et grâce à leurs efforts, l’employeur a permis la réouverture de l’enquête sur la plainte de harcèlement déposée par la plaignante. Si, à un certain moment, M. Durso lui a conseillé de tenter la médiation pour régler le problème, ce n’était pas pour dire qu’elle avait tort, mais parce que la négociation va souvent plus loin qu’une décision qui tranche un litige.

[89] M. Melone n’a pas insisté auprès de l’employeur pour que le grief relatif au refus d’accommodement procède plus rapidement au troisième palier. Il a expliqué son raisonnement à la plaignante. Celle-ci n’était pas d’accord, mais je ne crois pas que M. Melone a agi de cette façon en raison d’un conflit d’intérêts. Son raisonnement montre qu’il cherchait la meilleure solution pour la plaignante, et le fait que l’Institut représentait aussi AB et CD ne figurait tout simplement pas dans ce raisonnement.

[90] La plaignante a fait grand cas d’un courriel envoyé en novembre 2017 par la gestionnaire de MM. Durso et Melone, Mme Charrette, qui demande que les personnes mises en cause reçoivent des détails sur la plainte déposée par la plaignante et qui demande qu’on l’informe, comme représentante, du nom de l’enquêteur.

[91] Je ne vois pas dans ce courriel un intérêt contraire aux intérêts de la plaignante; Mme Charrette cherche à préserver les droits des collègues. Par la suite, il est clair que ce n’est pas elle qui a représenté AB et CD, et je n’ai aucune preuve qu’elle ait donné des directives à MM. Durso et Melone contre les intérêts de la plaignante. Au contraire, encore une fois, je considère que MM. Durso et Melone ont été attentifs aux demandes de la plaignante. M. Melone est intervenu dès le rejet du grief d’accommodement pour changer la situation de la plaignante, ce qu’il a réussi en négociant avec l’employeur. Il a appuyé la plaignante dans ses démarches pour contester les résultats des enquêtes, tout comme l’a fait M. Durso. Celui-ci a considéré avec soin les autres griefs que voulait déposer la plaignante.

[92] Bref, je ne considère pas que les conflits d’intérêts apparents dans les deux décisions citées, qui justifient l’octroi d’une ordonnance contre le syndicat pour payer les frais d’avocat, soient présents dans la situation de la plaignante.

[93] Il reste à juger si l’Institut a agi de façon arbitraire ou de mauvaise foi dans la représentation de la plaignante. La plaignante n’a pas allégué de discrimination de la part de l’Institut.

[94] La jurisprudence a défini l’obligation de représentation juste et équitable des membres de l’unité de négociation par leur syndicat, et cette obligation est reprise par la législation à l’article 187 de la Loi. L’arrêt de principe est Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509 (« Gagnon »), qui définit comme suit les obligations du syndicat (p. 527) :

De la jurisprudence et de la doctrine consultées se dégagent les principes suivants, en ce qui touche le devoir de représentation d’un syndicat relativement à un grief :

1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

[95] La Commission s’est souvent prononcée sur la question, reprenant les principes de Gagnon. La représentation faite de bonne foi, sans discrimination ni caractère arbitraire, n’a pas à être parfaite.

[96] Dans Ouellet c. St-Georges et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 107, le plaignant reprochait à sa représentante syndicale de ne pas avoir suffisamment agi pour lui. Toutefois, la Commission a conclu qu’il n’avait pas fait la preuve que l’agent négociateur avait agi contrairement à l’article 187. Il ne s’agit pour la Commission de décider si le syndicat a pris les bonnes décisions, mais plutôt s’il a agi avec sérieux, sans discrimination, sans mauvaise foi et non de manière arbitraire.

[97] La Commission a écrit ce qui suit :

[39] Bref, le devoir du syndicat est de s’acquitter de son devoir de représentation de façon raisonnable, en tenant compte de tous les faits qui l’entourent, en enquêtant sur la situation, en pesant les intérêts contradictoires du fonctionnaire, en tirant des conclusions réfléchies quant aux résultats envisageables du grief, puis en informant le fonctionnaire de sa décision de donner suite ou non au grief.

[98] En l’espèce, ce n’est pas que le syndicat ne voulait pas donner suite au grief de la plaignante. C’est plutôt que dans un calcul stratégique, les agents des relations de travail, M. Melone et M. Durso, mettaient leurs énergies dans ce qui semblait être les problèmes pressants de la plaignante, soit les plaintes et les enquêtes sur le milieu de travail.

[99] L’employé représenté peut ne pas être d’accord avec sa représentation ou ne pas en être satisfait. Là n’est pas la mesure de l’obligation (voir Bergeron c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2019 CRTESPF 48). Il faut plutôt, pour conclure à une violation de l’article 187 de la Loi, constater une atteinte au droit de l’employé d’être représenté sans discrimination, sans mauvaise foi, d’une manière qui n’est pas arbitraire.

[100] Dans Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, la Cour suprême du Canada écrit ce qui suit sur le caractère arbitraire et la mauvaise foi dans la représentation :

50 Se reliant étroitement, les concepts d’arbitraire et de négligence grave définissent la qualité de la représentation syndicale. L’élément de l’arbitraire signifie que, même sans intention de nuire, le syndicat ne saurait traiter la plainte d’un salarié de façon superficielle ou inattentive. Il doit faire enquête au sujet de celle-ci, examiner les faits pertinents ou obtenir les consultations indispensables, le cas échéant, mais le salarié n’a cependant pas droit à l’enquête la plus poussée possible. On devrait aussi tenir compte des ressources de l’association, ainsi que des intérêts de l’ensemble de l’unité de négociation. L’association jouit donc d’une discrétion importante quant à la forme et à l’intensité des démarches qu’elle entreprendra dans un cas particulier. […]

[…]

52 Mauvaise foi et discrimination impliquent toutes deux un comportement vexatoire de la part du syndicat. L’analyse se concentre alors sur les motifs de l’action syndicale. Dans le cas du troisième ou du quatrième élément, on se trouve devant des actes qui, sans être animés par une intention malicieuse, dépassent les limites de la discrétion raisonnablement exercée. La mise en œuvre de chaque décision du syndicat dans le traitement des griefs et de l’application de la convention collective implique ainsi une analyse flexible, qui tiendra compte de plusieurs facteurs.

[101] Un de ces facteurs est l’importance du grief pour l’employé. La plaignante insiste que le grief pour le refus d’accommodement était important pour elle. Je ne doute pas que cela soit vrai, mais il s’agit d’un facteur parmi d’autres, et notamment, l’appréciation de l’ensemble du dossier par l’agent négociateur.

[102] La situation de la plaignante était particulièrement complexe, du fait de la dynamique dans le milieu de travail. Je n’ai pas à me prononcer sur les actions des parties en cause – la plaignante, l’employeur, les collègues. Mon seul propos est de déterminer si l’Institut a traité le dossier de la plaignante avec sérieux, en cherchant à protéger les intérêts de la plaignante.

[103] La preuve m’indique que tel est le cas. M. Melone l’a accompagnée dans sa première plainte en novembre 2017. Il l’aide avec son grief en mai 2018. Il négocie de meilleures conditions de travail avec l’employeur en juillet 2018. Il aide la plaignante dans sa contestation des rapports d’enquête. M. Durso aide la plaignante à rédiger le grief contre la mesure disciplinaire, et tente d’organiser des rencontres avec l’enquêteur pour un complément d’enquête. Il est clair des échanges entre la plaignante et les agents de relation de travail de l’Institut que ceux-ci connaissaient bien son dossier, étaient attentifs à ses demandes, et qu’ils faisaient de leur mieux pour y répondre.

[104] M. Melone aurait pu être plus transparent quant à sa réticence à faire avancer le grief relatif au refus d’accommodement au troisième palier. Toutefois, je n’ai pas de preuve que le grief occupait l’esprit de la plaignante, par rapport à tous les autres sujets dont elle traitait avec MM. Melone et Durso. La correspondance montre des courriels détaillés et loquaces de la part de la plaignante. Si le grief avait été un sujet de préoccupation constante, on en trouverait des traces entre juillet 2018 et mars 2020. Or, il n’en est rien.

[105] Lorsque MM. Durso et Melone sont remplacés par M. Ouellette, celui-ci tente d’établir un contact avec la plaignante. Il dresse un tableau complet de ses différends avec l’employeur, il cherche à savoir comment la plaignante veut procéder.

[106] Il semble qu’il soit déjà trop tard, et que la plaignante préfère procéder avec les conseils de son avocat. La plaignante est mécontente du fait que M. Ouellette la bouscule, lui demandant un jour de répondre dès le lendemain. En fait, il avait correspondu avec elle deux semaines plus tôt, et n’avait pas eu de réponse.

[107] M. Ouellette a agi un peu vite pour retirer le seul grief qui nécessitait l’appui du syndicat, mais il s’est rattrapé quand l’erreur a été signalée. Encore une fois, je ne peux constater ni de caractère arbitraire ni de la mauvaise foi dans la représentation par l’Institut.

[108] Les dossiers de la plaignante avec l’employeur ont été suspendus, d’un commun accord, en attente de la présente décision. La plaignante devra décider qui la représentera. L’Institut, par l’entremise de ses représentants, a agi avec sérieux et bonne foi pour représenter la plaignante. Celle-ci n’est pas satisfaite, mais encore une fois, ce n’est pas la mesure de l’obligation de l’agent négociateur. L’Institut n’a aucune obligation d’assumer les frais de l’avocat choisi par la plaignante.

[109] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[110] La plainte est rejetée.

Le 9 mars 2021.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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