Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La convention collective conclue entre l’agent négociateur et l’employeur prévoyait un droit à un congé unique de 37,5 heures pour les employés ayant deux années de service dans la fonction publique – le fonctionnaire s’estimant lésé s’est vu refuser le congé parce qu’il avait déjà obtenu un congé semblable lorsqu’il occupait un poste différent visé par une convention collective différente entre un autre agent négociateur et l’employeur – la Commission a conclu que, selon le libellé clair et sans ambiguïté de la convention collective, le fonctionnaire s’estimant lésé avait droit au congé – le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé a pu bénéficier d’un congé sensiblement similaire lorsqu’il était membre d’une autre unité de négociation et qu’il était assujetti à une convention collective négociée par un autre agent négociateur n’était pas pertinent – s’il avait été prévu que le congé unique devait survenir une seule fois dans la carrière d’un employé dans la fonction publique plutôt qu’un avantage défini par la convention collective, cela aurait été mentionné dans le texte, mais ce n’était pas le cas.

Grief accueilli.

Contenu de la décision


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Elie Haddad, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a contesté la décision de l’Agence du revenu du Canada (ARC ou l’« employeur ») de ne pas lui accorder le congé unique de 37,5 heures prévu à la clause 34.18 de la convention collective conclue par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) et l’ARC qui régit son emploi et qui a expiré le 31 octobre 2016 (la « convention collective AFPC‑ARC »).

[2] Pour les motifs exposés ci-dessous, le grief est accueilli.

II. Résumé de la preuve

[3] La présente affaire a été décidée sur la foi d’arguments écrits. Les arguments comprenaient un énoncé conjoint des faits des parties. Il convient de noter que les références aux documents munis d’onglets dans l’énoncé sont incluses pour assurer l’exhaustivité. Les documents ne sont pas inclus dans la présente décision. L’énoncé se lit comme suit :

[Traduction]

1. Elie Haddad, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), conteste la décision de l’employeur, l’Agence du revenu du Canada (ARC), de rejeter sa demande de congé unique en vertu de la clause 34.18 de sa convention collective.

a. Le fonctionnaire a déposé son grief le 11 avril 2017. Le formulaire de présentation du grief est joint aux présentes à titre d’ONGLET 1.

2. Le fonctionnaire a été membre de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC) de sa date d’embauche le 14 décembre 2009 au 2 septembre 2013. La convention collective conclue par l’IPFPC et l’ARC applicable à ce moment-là, signée le 10 juillet 2012 et expirant le 21 décembre 2014, est jointe aux présentes à titre d’ONGLET 2.

a. Au cours de sa période d’affiliation à l’IPFPC, le fonctionnaire a pris trente-sept heures et demie (37,5) de son droit à un congé unique en vertu de la clause 15.17a) de la convention collective IPFPC‑ARC du 20 décembre 2012 au 28 décembre 2012. Les rapports sur l’état des congés du fonctionnaire sont joints aux présentes à titre d’ONGLET 3.

3. Le 3 septembre 2013, le fonctionnaire a accepté un poste d’agent des contacts pour les recouvrements SP-04 et est devenu membre de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC). La lettre d’offre du fonctionnaire est jointe aux présentes à titre d’ONGLET 4. Le fonctionnaire est demeuré membre de l’AFPC du 3 septembre 2013 jusqu’à ce jour.

4. La convention collective applicable au fonctionnaire en l’espèce est la convention collective de l’Exécution des programmes et des services administratifs signée par l’AFPC et l’ARC le 25 octobre 2016, dont la date d’expiration est 31 octobre 2016. La présente convention collective est jointe aux présentes à titre d’ONGLET 5.

a. Bien que la convention collective ait une date d’expiration du 31 octobre 2016, elle reste la convention collective applicable à ce jour jusqu’à la signature d’une nouvelle convention collective.

5. Le grief et la mesure corrective ont été rejetés le 22 juin 2017. La réponse au grief final est jointe aux présentes à titre d’ONGLET 6.

6. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 27 septembre 2017.

7. Il y a 127 autres griefs individuels semblables relatifs à cette interprétation qui sont en suspens en attendant l’issue du grief du fonctionnaire.

 

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[4] L’argumentation du fonctionnaire repose sur l’interprétation de la clause 34.18 de la convention collective AFPC-ARC. Elle prévoit ce qui suit :

34.18 Droit à un crédit unique

a) L’employée a droit une seule fois à un crédit de trentesept virgule cinq (37,5) heures de congé annuel payé le premier (1er) jour du mois suivant l’anniversaire de sa deuxième (2e) année de service, comme le précise le paragraphe 34.03.

b) Disposition transitoire

À compter de la date de signature, l’employé-e ayant plus de deux (2) années de service, comme le précise le paragraphe 34.03, aura droit une seule fois à un crédit de trente-sept virgule cinq (37,5) heures de congé annuel payé.

c) Les crédits de congé annuel prévus aux paragraphes 34.18a) et b) ci-dessus sont exclus de l’application de la clause 34.11 visant le report et épuisement des congés annuels.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[5] Le fonctionnaire a demandé le droit unique prévu à la clause 34.18. Sa demande a été refusée. Il a déposé un grief qui a été rejeté. Le grief a été renvoyé à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») pour arbitrage.

[6] Il n’est pas contesté que le fonctionnaire était un employé de l’ARC et un membre de l’unité de négociation de l’AFPC et que, lorsqu’il a présenté sa demande de congé, son emploi était régi par la convention collective sur l’Exécution des programmes et des services administratifs. Il a fait valoir qu’il satisfaisait à toutes les conditions d’admissibilité et qu’il avait droit de bénéficier de la disposition en cause.

[7] Auparavant, le fonctionnaire était membre d’une autre unité de négociation qui était représentée par un autre agent négociateur. Les dispositions de la convention collective qui le visaient dans cette situation ne sont pas pertinentes pour déterminer le bien-fondé du présent grief.

B. Pour l’employeur

[8] L’employeur affirme que la convention collective AFPC-ARC ne permet pas au fonctionnaire de recevoir de nouveau le droit au congé unique qu’il avait déjà reçu. Il serait absurde d’envisager le contraire. Lus ensemble, le droit unique à un congé et la référence à la durée du service montrent l’intention d’accorder une seule compensation d’une semaine de congé pour l’ensemble de la carrière d’un employé dans la fonction publique. Si les parties avaient eu l’intention d’accorder une semaine supplémentaire de congé annuel aux employés après qu’ils l’eurent pris et qu’ils eurent changé d’unité de négociation, elles auraient pu le préciser dans la convention collective. En l’état actuel des choses, le congé unique est accordé à un employé qui franchit le seuil des deux ans d’emploi dans la fonction publique. Cela démontre que la compensation n’est pas accordée simplement parce qu’un employé est membre d’une unité de négociation.

[9] L’employeur invoque Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2011 CRTFP 46 (IPFPC c. CT), où l’arbitre de grief a conclu que, dans une clause rédigée de façon similaire, l’expression « une seule fois » ne permettait pas au congé en cause de se reproduire lorsqu’un employé changeait d’unité de négociation. Il s’agissait d’un droit unique à l’échelle de la fonction publique, qui devait être pris une seule fois.

IV. Motifs

[10] Le libellé de la clause 34.18b) est normatif : si un employé de cette unité de négociation remplit les conditions définies, l’employeur crédite à l’employé 37,5 heures de congé payé. Il n’est pas contesté que le fonctionnaire était un employé ayant plus de deux ans de service lorsque la convention collective AFPC-ARC est entrée en vigueur et qu’il a demandé le droit à un congé unique.

[11] Je trouve inutile d’aller au-delà des dispositions de la clause 34.18. Le libellé est clair et sans ambiguïté. Le fait que le fonctionnaire a pu bénéficier d’un congé sensiblement similaire lorsqu’il était membre d’une autre unité de négociation et était assujetti à une convention collective négociée par un autre agent négociateur n’est pas pertinent. S’il avait été prévu que le droit unique devait survenir une seule fois dans la carrière de l’employé dans la fonction publique plutôt qu’un avantage défini par la convention collective, cela serait mentionné dans le texte, mais ce n’est pas le cas. La seule restriction ou limitation est qu’un employé doit établir l’existence d’une période de service avant l’octroi du crédit unique.

[12] Je précise que la convention collective AFPC-ARC contient des dispositions qui interdisent explicitement ce qu’on appelle la « double accumulation » des droits. Par exemple, la clause 33.08 prévoit que :

L’employé-e n’acquiert aucun crédit de congés en vertu de la présente convention au cours d’un mois à l’égard duquel un congé a déjà été porté à son crédit en vertu des conditions d’une autre convention collective à laquelle l’Employeur est partie, ou en vertu des autres règles ou règlements édictés par l’Employeur.

 

[13] Le libellé est clair et empêche un employé d’obtenir un crédit de congé mensuel deux fois. Toutefois, aucune limite de ce genre n’est exprimée ou implicite dans la clause 34.18. Je ne suis pas convaincue par l’argument de l’employeur selon lequel la présence de la clause 33.08 signifie que les parties n’avaient pas l’intention d’accorder deux fois le même type de congé en général. Si les parties l’avaient fait, elles auraient dû le dire expressément dans la clause 34.18. De plus, la clause 33.08 traite des crédits de congé qui sont gagnés chaque mois et non pas du droit spécial tel qu’il est convenu à la clause 34.18.

[14] La Commission a examiné une question similaire de congé par rapport à un employé qui change d’unité de négociation. Dans Delios c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 133 (décision confirmée dans 2015 CAF 117), l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) a examiné la question de savoir si un fonctionnaire s’estimant lésé qui avait pris un congé personnel annuel pendant qu’il était membre d’une unité de négociation avait de nouveau droit à un congé personnel après avoir changé d’unité de négociation.

[15] En confirmant le grief dans Delios, l’arbitre de grief a conclu que le congé personnel provenait de la convention collective applicable à tous les employés de l’unité de négociation. Il n’était pas important que le fonctionnaire s’estimant lésé ait pris plus tôt un congé du même type dans le cadre d’un emploi régi par une convention collective différente et une autre unité de négociation.

[16] Le fonctionnaire s’estimant lésé avait droit au bénéfice de la convention collective régissant son poste. Le libellé de la convention collective était clair et net. Rien ne laissait entendre que le congé personnel accordé devait être considéré comme une disposition applicable à l’ensemble de la fonction publique, disponible une seule fois. Enfin, les congés ne s’accumulent pas au fil du temps, et aucune limitation, comme la disposition sur la double accumulation, n’a été exprimée dans le contexte de la disposition sur les congés personnels.

[17] Dans Fehr c. Agence du revenu du Canada, 2017 CRTESPF 17, la Commission a abordé la question du congé payé pour obligations familiales lorsqu’une employée avait été mutée d’un poste représenté par l’AFPC à un poste représenté par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC) et avait demandé un congé. L’employée avait déjà pris un tel congé alors qu’elle était membre d’une unité de négociation représentée par l’AFPC et avait demandé un autre droit dans le cadre de son nouveau poste, représenté par l’IPFPC. La Commission n’a trouvé aucune limitation qui empêchait le congé et l’application de dispositions relatives à la double accumulation. L’employée avait droit au congé qui existait en vertu des modalités explicites de la convention collective régissant le nouveau poste.

[18] Dans Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2016 CRTEFP 77 (IPFPC c. ARC), l’arbitre de grief a conclu que lorsque les parties à une convention collective voulaient imposer des restrictions ou des exclusions à une disposition, elles les prévoyaient expressément dans la convention collective. Conformément à ce raisonnement, j’estime que, lorsqu’il n’y a pas de restrictions ou d’exclusions, elles ne devraient pas être implicites. Pour ce faire, il faudrait modifier la convention collective, ce qui dépasserait le mandat légal de la Commission.

[19] L’employeur a fait valoir qu’il est absurde de considérer qu’un droit unique pourrait être acquis à un employé plus d’une fois au cours d’une carrière dans la fonction publique. Toutefois, son argument ne tient pas compte de la fluidité d’un milieu de travail dans lequel un employé peut passer d’un poste à un autre et changer en conséquence d’agents négociateurs et de convention collective applicable, comme cela s’est produit dans le présent cas. Si le droit à un congé unique était censé viser d’autres employés que les membres de l’unité de négociation, la disposition de la convention collective nécessiterait une mention sans ambiguïté de cette intention.

[20] Pour accepter l’argument du congé unique à l’échelle de la fonction publique avancé par l’employeur, je serais tenue de supposer des modalités qui n’existent pas et qui ne serviraient qu’à modifier l’énoncé d’intention sans ambiguïté des parties. Bien que l’employeur se fonde sur la décision rendue dans IPFPC c. CT pour appuyer cette position, je dois souligner qu’elle ne me lie pas et je ne la trouve pas convaincante dans les circonstances du présent cas.

[21] La décision IPFPC c. CT dépendait grandement de la preuve admise sur consentement selon laquelle le droit à un congé unique avait été convenu en échange de la suppression du crédit pour congé de mariage prévu dans les conventions collectives antérieures. L’arbitre de grief a conclu que son interprétation donne à la clause un sens qui est « davantage compatible » avec les faits convenus et avec le cadre de la convention collective.

[22] En revanche, le contexte factuel d’IPFPC c. CT est absent. Même si des éléments de preuve contextuels avaient été présentés, je n’aurais considéré qu’il serait utile de les interpréter que si j’avais jugé que les modalités de la convention collective manquaient de clarté. Comme je l’ai dit, je trouve le libellé clair et sans ambiguïté. Par conséquent, le recours au contexte aurait été inutile.

[23] L’employeur a également souligné les modalités de la clause 34.03, à laquelle la clause 34.18 renvoie pour définir le terme « service », et la façon dont des dispositions similaires ont été interprétées dans IPFPC c. CT. La clause 34.03a) est rédigée comme suit :

34.03a) Aux fins du paragraphe 34.02 seulement, toute période de service au sein de la fonction publique, qu’elle soit continue ou discontinue, entrera en ligne de compte dans le calcul des crédits de congé annuel sauf lorsque l’employé-e reçoit ou a reçu une indemnité de départ en quittant la fonction publique. Cependant, cette exception ne s’applique pas à l’employé-e qui a touché une indemnité de départ au moment de sa mise en disponibilité et qui est réaffecté dans la fonction publique pendant l’année qui suit la date de ladite mise à pied. Pour plus de précision, les indemnités de départ reçues en vertu des paragraphes 61.04 et 61.07, ou de dispositions similaires dans d’autres conventions collectives, ne réduisent pas le calcul du service des personnes qui n’ont pas encore quitté la fonction publique.

[Je mets en évidence]

 

[24] L’employeur fait valoir que, puisque la clause 34.03a) parle de « toute période de service au sein de la fonction publique », le droit unique mentionné à la clause 34.18 signifie nécessairement que le droit ne peut être reçu qu’une fois dans la carrière d’un employé dans la fonction publique. Je trouve cette interprétation indéfendable. Le renvoi à la clause 34.03 vise simplement à déterminer ce qui constitue deux années de service pour avoir droit à l’indemnité. Il est clair que le fonctionnaire a accumulé des années de service « au sein de la fonction publique ». Je ne vois pas comment la simple référence à cette définition du service influe sur le droit clair du fonctionnaire à l’indemnité énoncée à la clause 34.18b).

[25] Je suis convaincue, d’après le libellé clair de la clause 34.18, que la bonne interprétation est que le congé unique consiste à accorder une allocation de 37,5 heures de congé à un employé de l’unité de négociation qui satisfait aux exigences. Cette interprétation est conforme aux décisions antérieures de la Commission et de ses prédécesseurs dans Delios, Fehr et IPFPC c. ARC.

[26] À première vue, la clause 34.18 est complète. Bien qu’elle renvoie à la période de service comme condition d’admissibilité, elle ne sous-entend pas une application plus large au-delà de l’unité de négociation à la carrière complète dans la fonction publique d’un employé.

[27] Lorsque l’employeur et l’agent négociateur ont accepté des restrictions ou des limitations, par exemple la double accumulation, elles étaient explicites. Dans le cas du congé unique qui fait l’objet du présent grief, il n’y a pas de restriction ou de limitation de ce genre. Le grief doit être accueilli.

[28] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[29] Le grief est accueilli.

[30] Le fonctionnaire a droit aux crédits de congé prévus à la clause 34.18 de la convention collective AFPC-ARC.

[31] Je demeurerai saisie de la question pendant une période de 90 jours pour traiter des questions découlant de la mise en œuvre de la présente ordonnance.

Le 10 mars 2021.

Traduction de la CRTESPF

Joanne B. Archibald,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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