Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’agent négociateur a renvoyé à l’arbitrage un grief de principe contre la directive de l’employeur de travailler des heures supplémentaires – il a allégué que l’ordre d’effectuer des heures supplémentaires sur une base non volontaire en l’absence d’exigences opérationnelles constituait une violation de la convention collective – l’agent négociateur a demandé une ordonnance enjoignant l’employeur à cesser d’ordonner des heures supplémentaires sur une base non volontaire en l’absence d’exigences opérationnelles, comme les urgences – la Commission a conclu qu’un agent négociateur peut déposer un grief de principe même si les actions en cause sont limitées à un seul établissement ou à un seul lieu de travail – la Commission a déclaré que même si l’employeur est en mesure d’ordonner des heures supplémentaires sur une base non volontaire dans des situations d’urgence ou pour satisfaire aux exigences de sécurité, l’utilisation soutenue et chronique d’heures supplémentaires sur une base non volontaire pour remédier aux pénuries de personnel constitue une violation de la convention collective et un exercice déraisonnable des droits de la direction – la Commission a également fait remarquer qu’elle ne peut pas ordonner à l’employeur de reprendre une utilisation plus active des ajustements opérationnels à son établissement pour remédier aux pénuries de personnel, puisque la convention collective ne contient aucun libellé sur l’utilisation des ajustements opérationnels, et l’article 229 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, article 2) empêche la Commission de rendre une ordonnance qui exige une modification à la convention collective – la Commission ne peut ordonner à l’établissement d’embaucher davantage de personnel – elle recommande que les parties utilisent le processus de consultation syndicale-patronale ou les services de médiation préventive et qu’elles améliorent les systèmes de rapports qui permettent de suivre les heures supplémentaires sur une base non volontaire – la Commission a ordonné que les pièces relatives aux procédures de sécurité de l’établissement soient scellées, car le fait de les rendre publiques pourrait compromettre la sécurité des détenus, des employés et du public.

Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision

Date : 20210304

Dossier : 569-02-39393

 

Référence : 2021 CRTESPF 22

Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN

agent négociateur

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Service correctionnel du Canada)

 

employeur

Répertorié

Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief de principe renvoyé à l’arbitrage

Devant : David Orfald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour l’agent négociateur : Corinne Blanchette, conseillère syndicale

Pour l’employeur : Viviane Beauregard, avocate

Affaire entendue par vidéoconférence du 8 au 10 décembre 2020.

(Arguments écrits déposés le 17 décembre 2020 et le 4 janvier 2021.)

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction

[1] Il s’agit d’un grief de principe au sujet des heures supplémentaires dites « obligatoires », « sur une base non volontaire » ou « imposées ». Le grief a été déposé le 30 août 2018 par l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (UCCO-SACC-CSN ou le « syndicat »).

[2] L’UCCO-SACC-CSN est l’agent négociateur accrédité pour représenter les agents correctionnels (CX) qui travaillent pour le Conseil du Trésor (l’« employeur ») au Service correctionnel du Canada (SCC).

[3] Au fil des ans, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et ces prédécesseurs (collectivement, la « Commission ») ont entendu de nombreux griefs sur la question des heures supplémentaires. La plupart des décisions de la Commission portaient sur des griefs dans lesquels les employés cherchaient à accroître leur accès aux possibilités de faire des heures supplémentaires. La présente affaire est très différente; il s’agit d’une situation dans laquelle les employés ne veulent pas se voir ordonner de faire des heures supplémentaires.

[4] Le syndicat a déposé le présent grief de principe au nom des CX qui travaillent à l’Établissement de Kent (« Kent » ou l’« établissement »), un pénitencier à sécurité maximale situé à Agassiz, en Colombie-Britannique. Kent fonctionne avec des niveaux minimums d’effectif requis, 24 heures par jour, 365 jours par an. Les CX travaillent selon un horaire de quart par rotation. La durée des quarts est comprise entre 8 et 16 heures.

[5] Si un CX n’est pas en mesure de se présenter à un quart de travail, par exemple en raison d’une maladie ou d’un congé pour raisons familiales, la direction locale demandera à des volontaires d’effectuer ce quart. La plupart des exigences relatives aux heures supplémentaires sont satisfaites par les CX qui se portent volontaires pour effectuer le travail supplémentaire, qui est rémunéré à tarif et trois quarts (1,75 fois).

[6] La question en l’espèce est celle de savoir ce qui se passe lorsque les gestionnaires correctionnels ne peuvent pas trouver suffisamment de volontaires pour effectuer tous les quarts vacants. En juillet 2018, la directrice de Kent a informé le président de la section locale du syndicat qu’une nouvelle approche visant à ordonner la réalisation d’heures supplémentaires serait mise en œuvre. La directrice a énoncé certaines conditions selon lesquelles les gestionnaires correctionnels pouvaient ordonner à un CX de faire un quart de travail supplémentaire sur une base non volontaire si un quart vacant ne pouvait être effectué par un volontaire.

[7] Le syndicat a déposé ce grief de principe en réponse à cette directive. Il a soutenu que l’imposition d’heures supplémentaires sur une base non volontaire en l’absence d’exigences opérationnelles (comme une urgence ou un incident de sécurité) constituait une violation de la convention collective conclue entre lui et l’employeur (date d’expiration : le 31 mai 2018; la « convention collective »). Entre autres choses, le syndicat a demandé une ordonnance pour que le SCC cesse et s’abstienne d’ordonner des heures supplémentaires sur une base non volontaire en l’absence d’exigences opérationnelles, comme les urgences.

[8] Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 22 octobre 2018. La réplique de l’employeur n’a été envoyée que le 4 juillet 2019. Dans sa réplique, l’employeur estimait que le SCC avait fait tous les efforts raisonnables pour répartir les heures supplémentaires de façon équitable, conformément à la convention collective, mais qu’il devait veiller à ce que certains postes obligatoires ne soient pas laissés vacants en raison d’une pénurie de personnel. L’employeur a déclaré que le SCC suivait son bulletin no 2013-06, Directive nationale – Politique sur la gestion des heures supplémentaires effectuées par les agents correctionnels, qui contient une section sur les cas où des heures supplémentaires sur une base non volontaire peuvent être ordonnées à la discrétion du gestionnaire sur place. Bien que l’employeur ait rejeté le grief, il a dit qu’il était ouvert au règlement de la question par la consultation ou la médiation syndicale-patronale.

[9] À l’audience, les parties ont présenté deux théories très différentes concernant l’affaire. Le syndicat a fait valoir qu’en vertu de la convention collective, toutes les heures supplémentaires se font sur une base volontaire et que l’employeur n’a pas le pouvoir de les ordonner. L’employeur a soutenu que la convention collective ne mentionne pas les heures supplémentaires sur une base volontaire et que, par conséquent, la direction a le droit de les ordonner de la façon qu’elle juge appropriée.

[10] Pour les raisons qui suivent, je considère qu’aucune des deux positions n’est appuyée par le libellé de la convention collective. Par conséquent, j’examinerai l’argument subsidiaire du syndicat, à savoir que la façon dont les heures supplémentaires sur une base non volontaire ont été ordonnées à Kent est incompatible avec la convention collective et qu’il s’agit d’un exercice déraisonnable des droits de la direction.

[11] Il s’agit d’une analyse assez compliquée, mais je conclus que le recours soutenu et chronique aux heures supplémentaires sur une base non volontaire pour remédier à ce qui est en fait une pénurie de personnel n’est pas conforme à la convention collective. J’en suis arrivé à cette conclusion après avoir examiné à la fois les dispositions de la convention collective relatives aux heures supplémentaires et le libellé portant sur la durée du travail et les horaires de travail, ainsi que la jurisprudence soumise par les parties.

[12] Bien que la pratique consistant à ordonner des heures supplémentaires sur une base non volontaire se soit poursuivie et soit devenue chronique à Kent, il n’est pas possible de déterminer l’ampleur exacte du problème, compte tenu des éléments de preuve présentés. Pour cette raison, je limite mon ordonnance à une déclaration. Je comprends que cela obligera les parties à trouver des solutions pour réduire le nombre d’heures supplémentaires sur une base non volontaire ordonnées. Toutefois, je ne crois pas qu’il soit possible d’aller plus loin, compte tenu du contenu de la convention collective et des limites du pouvoir de la Commission en la matière en vertu de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, article 2; la « Loi »). J’offre toutefois certaines recommandations qui pourraient être utiles aux parties.

[13] En plus de traiter du bien-fondé du grief, les motifs qui suivent expliquent également ma décision d’accueillir la demande de l’employeur visant à sceller certaines pièces pour en assurer la confidentialité .

II. Résumé de la preuve

A. Introduction

[14] Les parties ont collaboré à la préparation d’un recueil conjoint de documents comprenant des conventions collectives, des documents de politique nationale, des descriptions de travail, de la correspondance par courriel, des plans opérationnels et plusieurs rapports sur les heures supplémentaires. Une grande partie du résumé de la preuve qui suit s’appuie sur ces éléments et n’est pas contestée.

[15] Le syndicat a cité deux témoins, tous deux CX et membres de la direction de la section locale de l’UCCO-SACC-CSN à Kent. CX depuis 2011, Mitch Hammond est le coordonnateur des griefs et le vice-président de la section locale. CX depuis 1998, Eli Raymond a commencé comme président de la section locale en 2018, peu après que la directrice eut annoncé le changement dans la pratique des heures supplémentaires.

[16] L’employeur a également cité deux témoins. Michael Velichka a commencé à travailler au SCC en 1991 et, pendant la plus grande partie des 20 dernières années, il a occupé différents postes à la Direction de la sécurité à l’administration centrale du SCC, où il a participé à l’élaboration des politiques de sécurité et des normes de mutation du SCC. À l’audience, il occupait le poste de gestionnaire de projet à la Division des opérations de sécurité du SCC. John Kearney travaille en relations de travail au SCC depuis 2004 et a contribué à l’élaboration des politiques, des bulletins, des lignes directrices et des systèmes de gestion des heures supplémentaires du SCC. Au moment de l’audience, il était le directeur principal, Modernisation des ressources humaines et gouvernance.

[17] Les témoins cités par les parties ont exposé leurs deux théories très différentes concernant l’affaire. Les témoins du syndicat ont témoigné de la situation locale à Kent et de la façon dont les quarts vacants ont été pourvus avant et après le changement de politique à l’été 2018. Ces témoignages indiquent la position de base du syndicat selon laquelle la pratique d’ordonner des heures supplémentaires sur une base non volontaire à Kent n’est pas justifiée, n’est pas nécessaire sur le plan opérationnel et n’est pas conforme à la convention collective ou à la politique nationale. L’employeur n’a pas cité les gestionnaires locaux à témoigner; ses témoins se sont plutôt concentrés sur les politiques nationales que devaient suivre les gestionnaires locaux. Cette façon de faire illustrait sa position de base selon laquelle le fait d’ordonner des heures supplémentaires est autorisé par la convention collective et la politique nationale et que les décisions de la direction locale de Kent ne peuvent être abordées au moyen du présent grief de principe.

[18] Par conséquent, très peu d’éléments de preuve sont en fait contestés. Je vais donc en résumer une partie importante sans faire référence aux témoins.

B. Opérations correctionnelles et horaires de quarts

[19] Kent est le seul pénitencier à sécurité maximale en Colombie-Britannique. Il abrite quelques centaines de détenus dans huit unités. Les CX remplissent des fonctions de sécurité; ils supervisent les détenus, l’établissement et les visiteurs et ils interviennent en cas d’urgence. Ils ont le statut d’agent de la paix. Ils travaillent par quarts, qui peuvent avoir une durée de 8, de 12,5, de 12,75 ou de 16 heures.

[20] L’affectation d’agents à des quarts suit un processus qui est énoncé dans la convention collective, en particulier dans les articles 21 (Durée du travail) et 34 (Horaire de travail modifié) et à l’annexe « K ». L’annexe est une lettre d’entente entre les parties « [...] concernant l’établissement efficace des horaires pour le service correctionnel du Canada » (« annexe K »).

[21] Les témoins du syndicat et ceux de l’employeur ont tous témoigné de l’importance du processus énoncé à l’annexe K et de son lien avec la mutation des CX et les exigences du SCC. L’annexe K exige que la direction et le syndicat s’entendent au niveau local sur la façon dont les employés doivent être affectés à un horaire de quarts. Une fois qu’un horaire local est établi, l’annexe K exige qu’un comité national l’examine, pour vérifier s’il satisfait aux principes énoncés dans l’annexe. L’annexe stipule également qu’« [a]près avoir été approuvé et mis en application, un horaire de quarts de travail pourra uniquement être modifié d’un commun accord des parties patronale et syndicale locales et après avoir été examiné et approuvé par le comité national ».

[22] M. Raymond a déclaré que selon l’horaire de quarts de travail de Kent, les CX travaillent six jours de suite, prennent quelques jours de repos, puis travaillent de nouveau six jours de suite pour ensuite prendre d’autres jours de repos. L’horaire commence normalement par des quarts de deux ou trois jours débutant à partir de 6 h 30, suivis d’un quart de 16 heures, puis de deux ou trois quarts de nuit. Le comité mixte s’efforce de trouver des modèles de quart qui fonctionnent à la fois pour ce qui est du total des heures moyennes de travail et des autres dispositions de la convention collective. Par exemple, l’annexe K prévoit que les agents ne doivent pas être affectés à plus d’un quart de travail de 16 heures par période de six jours.

[23] M. Raymond a également témoigné que l’horaire doit respecter la règle de la convention collective (à la clause 21.02b)) de ne pas fixer le début du prochain quart de travail d’un employé dans les huit heures qui suivent la fin de son quart de travail précédent. Toutefois, dans l’établissement des horaires, on tente souvent de prévoir plus de huit heures. Par exemple, selon M. Raymond, [traduction] « vous n’auriez pas une heure de fin à 22 h 30 suivie d’une heure de début à 6 h 30 le lendemain ».

[24] Pour chaque quart normalement prévu à l’horaire, un agent est affecté à un poste particulier. Chaque poste est composé de deux ou de trois affectations précises. Par exemple, un agent affecté à un quart de jour de 12,75 heures peut travailler de 6 h 30 à 11 h 30 dans la salle de sport, de 11 h 30 à 14 h 30 dans la cuisine et de 14 h 30 à 19 h 15 dans la tour. Un agent affecté à un quart de soir de huit heures peut être affecté de 14 h 30 à 18 h dans une unité, puis de 18 h à 22 h 30 dans un poste de contrôle.

[25] Les affectations individuelles sont régies par les normes nationales relatives à la mutation des agents correctionnels. Elles indiquent le nombre d’agents requis pour les différents types de postes, les fonctions de chaque poste et la possibilité d’apporter des ajustements opérationnels à chaque poste.

C. Doter des postes vacants au moyen d’offres d’heures supplémentaires

[26] Compte tenu des horaires de quarts et des normes de mutation du SCC, les gestionnaires correctionnels doivent prendre des mesures pour doter un poste vacant lorsqu’un ou plusieurs CX ne sont pas en mesure de se présenter au travail. Un choix consiste à doter le poste avec une personne faisant des heures supplémentaires. Un autre choix est de procéder à un ajustement opérationnel qui permet de réaffecter les agents d’un poste à un autre, évitant ainsi de recourir aux heures supplémentaires.

[27] Lorsqu’un gestionnaire dote un poste avec une personne qui fait des heures supplémentaires, il cherche d’abord des volontaires en utilisant le « Système des horaires de travail et du déploiement » (SHD) du SCC. Le SHD avise les CX d’une possibilité d’heures supplémentaires. Les offres s’adressent d’abord aux CX qui ont le moins d’heures supplémentaires travaillées cette année-là. Si un agent refuse l’offre, les heures supplémentaires sont offertes à la personne suivante dans la file.

[28] M. Kearney a témoigné que le SHD a été élaboré en 2007 et qu’il a été mis en œuvre en 2009. Il a déclaré qu’il a évolué au fil des ans en fonction des changements apportés aux conventions collectives et aux politiques et en réponse aux décisions d’arbitrage portant sur des griefs relatifs aux heures supplémentaires.

D. Ajustements opérationnels

[29] Un ajustement opérationnel est défini dans un document de l’employeur comme étant [traduction] « [...] un processus dans lequel l’effectif chargé de la sécurité est réduit pendant la totalité ou une partie d’un quart de travail. Il faut également procéder à un ajustement correspondant de la routine opérationnelle et/ou des fonctions de l’établissement accomplies par les employés pour appuyer l’effectif réduit ».

[30] En raison de la nature de certains postes, il n’est pas possible de procéder à des ajustements opérationnels qui leur permettraient d’être vacants, sauf en cas d’urgence. En d’autres termes, la dotation de ces postes est obligatoire.

[31] D’autres postes peuvent être laissés vacants sans qu’un ajustement opérationnel ayant une incidence sur la routine de l’établissement soit nécessaire. Par exemple, un CX affecté au poste d’escorte peut être réaffecté à un poste vacant ailleurs dans l’établissement si aucun détenu n’a besoin d’escorte ce jour-là. Aucun changement n’est nécessaire dans la routine et il n’y a aucune incidence sur les détenus.

[32] La troisième catégorie d’ajustements opérationnels nécessite des changements de routine à l’établissement. Par exemple, une pénurie d’agents pourrait entraîner la décision de ne pas doter un poste de gymnase pour ce quart, ce qui signifie que la routine de gymnase pourrait être annulée. Ou encore, si une pénurie d’agents signifie que tous les postes liés au travail ou aux activités éducatives des détenus ne peuvent pas être dotés, une unité pourrait devoir suivre un programme d’activités de fin de semaine, ce qui nécessite peu de postes.

[33] Les ajustements opérationnels qui nécessitent un changement de routine sont parfois appelés des « confinements continus ». Cela peut signifier qu’on empêche les détenus de participer à certains types de programmes ou d’activités pendant une période donnée. Ces mesures se distinguent des isolements cellulaires qui peuvent être nécessaires en cas d’urgence.

[34] Lorsqu’un gestionnaire correctionnel procède à un ajustement opérationnel qui nécessite un changement de routine, la politique du SCC exige l’utilisation d’un « outil d’évaluation des risques opérationnels », également appelé « évaluation de la menace et des risques » ou « formulaire EMR ».

[35] Dans ces situations, le formulaire demande aux gestionnaires de [traduction] « [...] tenir compte de la santé et de la sécurité du personnel et de s’assurer que les besoins de base des détenus sont satisfaits ».

E. La pratique à Kent avant juillet 2018

[36] M. Hammond et M. Raymond ont tous deux témoigné de la pratique en vigueur à Kent avant l’été 2018 lorsqu’un poste devenait vacant. Premièrement, le SHD était utilisé pour rechercher des volontaires. Si aucun volontaire n’était trouvé, les gestionnaires avaient accès à un cahier qui énumérait les employés qui souhaitaient faire des heures supplémentaires additionnelles. Ils téléphonaient à ces employés et les invitaient à accepter le quart vacant.

[37] Avant l’été 2018, l’autre stratégie de gestion d’un poste vacant consistait à procéder à un ajustement opérationnel qui réduisait le nombre d’employés nécessaires à un quart donné. Un gestionnaire fermait d’abord un poste qui n’exigeait pas de changement de routine, comme le poste d’escorte mentionné plus tôt dans la présente décision. L’agent qui était censé occuper ce poste était alors affecté à un poste vacant plus essentiel. Toutefois, si cette solution ne résolvait pas le cas du poste vacant, le gestionnaire envisageait de procéder à un ajustement opérationnel qui nécessitait un changement de routine.

[38] M. Hammond et M. Raymond ont témoigné qu’avant juillet 2018, il était rare qu’on ordonne à quiconque de faire des heures supplémentaires. Il était entendu qu’en cas d’urgence, comme un confinement de sécurité, un CX pouvait devoir faire des heures supplémentaires le quart suivant. Des heures supplémentaires pouvaient également être nécessaires à la suite d’un incident de sécurité, pour remplir un rapport ou pour s’assurer que des éléments de preuve ont été obtenus, par exemple après une fouille de cellule ou après avoir placé un détenu soupçonné de possession de drogue dans une cellule nue. Toutefois, les heures supplémentaires n’étaient normalement pas ordonnées pour effectuer un quart régulier.

[39] M. Hammond a témoigné que, dans une situation d’urgence, comme une surveillance de nuit ou une exigence soudaine d’une escorte, un gestionnaire peut aller à l’établissement et demander à des volontaires de rester pour un quart supplémentaire. Il a témoigné que [traduction] « [...] nous étions 20, et le message était “désignez quelqu’un ou je devrai ordonner à quelqu’un de les faire”, et nous avons toujours réglé la question ». M. Raymond a témoigné que la seule fois où il a vu des heures supplémentaires être imposées était lorsque l’établissement avait épuisé les ajustements qu’il pouvait faire. Il a dit qu’en neuf ans de travail avant 2018, il n’avait effectué qu’un seul quart de nuit imposé sur une base non volontaire.

F. Le changement de pratique de juillet 2018 à Kent

[40] Le 28 juin 2018, la directrice de Kent, Marie Cossette, a lancé un processus de consultation officiel avec la section locale du syndicat sur la question de [traduction] « l’imposition d’heures supplémentaires ». Dans une note de service au syndicat, elle a déclaré que la Politique sur la gestion des heures supplémentaires effectuées par les agents correctionnels permet d’imposer des heures supplémentaires sur une base non volontaire une fois que les procédures d’offre d’heures supplémentaires sur une base volontaire sont épuisées. Elle a déclaré que Kent voulait élaborer un système pour assurer la transparence et l’équité dans le processus d’imposition des heures supplémentaires. Elle a présenté deux options pour ce faire : (1) les gestionnaires correctionnels se serviraient de leur pouvoir discrétionnaire pour déterminer à qui les imposer, ou (2) un tableur serait élaboré pour déterminer le nombre de fois où chaque CX s’en est vu imposer, et le gestionnaire correctionnel imposerait les heures supplémentaires à l’agent s’en étant fait imposer le moins.

[41] Au cours de l’été 2018, le processus de consultation syndicale-patronale s’est rompu, selon Mr. Hammond. Il n’y avait pas de réunion en personne du comité syndical-patronal. Par conséquent, le processus de consultation n’a eu lieu que par écrit.

[42] M. Hammond a témoigné qu’en réponse à la demande de consultation de Mme Cossette sur l’imposition d’heures supplémentaires, il a examiné les documents de politique du SCC et a consulté les conseillers syndicaux d’autres régions. Il a aidé l’ancien président de la section locale à préparer la réponse de la section locale de l’UCCO-SACC-CSN, datée du 4 juillet 2018.

[43] Le syndicat était d’avis qu’ordonner aux CX de faire des heures supplémentaires directement après leurs quarts de travail était contraire à la convention collective et à la politique du SCC et que cela ne devrait se produire qu’en cas d’urgence. Il a dit que les pénuries de personnel ne constituent pas une urgence et qu’il s’opposait à l’imposition d’heures supplémentaires sur une base non volontaire pour faire face aux pénuries de personnel. Le syndicat a prévenu que l’imposition d’heures supplémentaires aurait une incidence sur la santé mentale, contribuerait à l’épuisement du personnel et exacerberait les pénuries de personnel. Il a proposé de continuer à recourir à des confinements continus en cas de pénurie de personnel et a recommandé que tous les CX qui n’ont pas de grade soient retournés à leur poste d’attache pour doter des postes vacants.

[44] Le 25 juillet 2018, Mme Cossette a répondu à la position du syndicat et a annoncé qu’elle adopterait une directive modifiée d’imposition d’heures supplémentaires, comme suit :

[Traduction]

1. L’Établissement de Kent fera tout effort raisonnable pour répartir les heures supplémentaires de façon équitable, tout en respectant le bulletin sur les relations de travail et la convention correctionnelle no 2013-06, Politique sur la gestion des heures supplémentaires effectuées par les agents correctionnels;

2. Lorsque des heures supplémentaires deviennent disponibles, elles seront offertes aux agents correctionnels (AC) qui se sont inscrits dans le SHD;

3. Une fois que la liste d’heures supplémentaires sur une base volontaire est épuisée, le gestionnaire correctionnel (GC) du bureau de service peut demander à tous les autres AC sur place s’ils souhaitent rester pour faire des heures supplémentaires;

4. Le GC du bureau de service peut faire des appels sans préavis ou envoyer des messages à d’autres AC afin d’offrir des heures supplémentaires;

5. Une fois que la liste d’heures supplémentaires sur une base volontaire est épuisée, on peut ordonner aux AC en poste de faire des heures supplémentaires sur une base non volontaire;

6. Une fois qu’un AC se voit imposer des heures supplémentaires, son nom et l’heure de l’ordre sont enregistrés sur une feuille de calcul. La personne qui a le nombre le plus faible d’heures supplémentaires imposées peut se voir imposer d’en faire en premier. Cette liste sera réinitialisée à chaque début d‘exercice.

7. Si quelques AC se sont vu imposer des heures supplémentaires le même nombre de fois, la personne qui a le moins d’années d’ancienneté peut se voir imposer d’en faire en premier.

G. Le grief de principe

[45] Comme je l’ai déjà mentionné, l’UCCO-SACC-CSN a déposé ce grief de principe en réponse à la directive de Mme Cossette du 30 août 2018. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 22 octobre 2018.

[46] Comme je l’ai déjà indiqué en l’espèce, l’employeur n’a répondu au grief que le 4 juillet 2019. La réponse énonçait ce qui suit :

[Traduction]

[...]

En l’espèce, l’employeur a ordonné aux agents correctionnels de faire des heures supplémentaires conformément au bulletin no 2013-06 (Directive nationale – Politique sur la gestion des heures supplémentaires effectuées par les agents correctionnels), qui donne des directives sur la gestion des heures supplémentaires. Plus précisément, l’article 2 : « Heures supplémentaires sur une base non volontaire imposées » indique que la détermination de la personne qui travaillera des heures supplémentaires est assujettie aux exigences opérationnelles et à la discrétion du gestionnaire sur place.

Afin de veiller à ce que les postes obligatoires ne soient pas laissés vacants et à la suite de tentatives infructueuses de tenir des consultations syndicales-patronales pour résoudre le problème de la pénurie de personnel, la direction a évalué les plans d’ajustement opérationnel, les ordres de poste et les normes (c.‑à‑d., les postes qui pourraient être laissés vacants sur le plan opérationnel et les postes qui devaient être dotés en raison des besoins opérationnels et de sécurité). Malgré ces efforts, certains postes obligatoires étaient toujours vacants. La direction n’avait d’autre choix que d’imposer des heures supplémentaires obligatoires. Toutefois, nous avons fait tout effort raisonnable pour répartir les heures supplémentaires de façon équitable, tout en respectant la disposition de la convention collective portant sur les heures supplémentaires.

[...]

H. La nouvelle politique en pratique

[47] M. Hammond et M. Raymond ont témoigné que différents gestionnaires correctionnels ont appliqué la directive de Mme Cossette différemment. Certains ont utilisé davantage les appels sans préavis, les messages textes et les demandes de volontaires (étapes 3 et 4 du processus susmentionné). D’autres ont été plus rapides à passer à l’étape 5 et à ordonner aux agents de travailler un quart supplémentaire.

[48] M. Hammond a reconnu que certains gestionnaires correctionnels ont fait des efforts importants pour organiser des heures supplémentaires sur une base volontaire une semaine à l’avance, mais que cela n’a pas été fait de façon uniforme.

[49] Ce qui a pris fin le 26 juillet 2018, selon leur témoignage, était l’utilisation de tout ajustement opérationnel nécessitant des changements de routine. Le syndicat a fait remarquer qu’il demandait la divulgation de tout formulaire EMR rempli depuis juin 2018, mais que l’employeur n’en avait aucun à divulguer. Il s’agit de la preuve que les gestionnaires de Kent ont cessé d’effectuer des ajustements opérationnels, a soutenu le syndicat. L’employeur a déclaré qu’il n’était pas toujours nécessaire de remplir un formulaire EMR.

[50] Le recueil conjoint de documents contenait des éléments de preuve contradictoires sur l’utilisation des ajustements opérationnels à Kent. Le directeur adjoint a envoyé des courriels demandant aux gestionnaires correctionnels d’apporter des ajustements opérationnels à l’utilisation du gymnase avant d’ordonner au personnel de faire des heures supplémentaires sur une base non volontaire. En même temps, un rapport sur les ajustements opérationnels consignés dans le SHD a également été soumis sur consentement. Il énumérait environ 60 événements au cours desquels les postes ont fait l’objet d’ajustements opérationnels entre novembre 2018 et mars 2019. Cependant, la grande majorité des événements étaient liés à la [traduction] « construction de l’unité » en mars 2019.

[51] M. Hammond a témoigné que le syndicat avait fait des renvois croisés à des données sur l’utilisation des heures supplémentaires imposées en les comparant aux données brutes de [traduction] « l’appel nominal », qui énumère les affectations de postes et les remplacements. Il était clair que les heures supplémentaires imposées étaient utilisées au lieu d’ajustements opérationnels.

[52] Dans sa réponse au grief de principe, l’employeur avait dit que l’exigence de faire des heures supplémentaires obligatoires était liée à la pénurie de personnel. Il a également indiqué que la direction avait pris de nombreuses mesures avant d’imposer des heures supplémentaires, y compris de faire des ajustements opérationnels. L’employeur a déclaré que les heures supplémentaires n’étaient ordonnées que parce que [traduction] « [...] certains postes obligatoires étaient toujours vacants ».

[53] Je fais remarquer que cette réponse n’était pas conforme aux témoignages des témoins du syndicat. Ces derniers ont indiqué que des heures supplémentaires sur une base non volontaire étaient régulièrement utilisées pour des postes qui pouvaient faire l’objet d’un ajustement opérationnel. L’employeur n’a pas appelé de témoins qui pouvaient témoigner de l’utilisation d’ajustements opérationnels à Kent. On ne m’a fourni aucune preuve expliquant pourquoi la direction de Kent estimait nécessaire de réduire ou d’éliminer l’utilisation des ajustements opérationnels et d’accroître son utilisation des heures supplémentaires sur une base non volontaire.

I. Le nombre d’heures supplémentaires sur une base non volontaire effectuées

[54] En ce qui concerne le nombre d‘heures supplémentaires sur une base non volontaire effectuées depuis le changement de politique, les éléments de preuve présentés ont pris des formes très différentes. Les parties ont fourni deux exemples de feuilles de calcul utilisées pour consigner les cas d’heures supplémentaires imposées, l’une pour les CX-01 et l’autre pour les CX-02. Toutefois, les témoins du syndicat ont déclaré qu’il y avait des erreurs dans les feuilles de calcul, en particulier des données manquantes.

[55] Malgré ses préoccupations quant à l’exactitude des feuilles de calcul, le syndicat a compilé les fois où des heures supplémentaires sur une base non volontaire avaient été imposées entre juillet 2018 et septembre 2020. Il les a transcrites à la main sur des feuilles de calendrier mensuelles. Ces données indiquent que l’utilisation d’heures supplémentaires sur une base non volontaire a tendance à être plus élevée durant les mois d’été et en octobre. M. Hammond a déclaré que les pénuries de personnel étaient plus élevées durant les mois d’été en raison des horaires de vacances et à l’automne en raison de la saison de la chasse.

[56] Selon un examen des décomptes mensuels du calendrier soumis en preuve par le syndicat, il semble que le nombre total d’ordres consignés sur une période de 26 mois commençant en juillet 2018 était de 1 232, soit une moyenne de 47 par mois.

[57] Il est difficile d’évaluer l’exactitude de ce décompte, mais je dois l’accepter tel quel. Aucun autre rapport n’a été produit en preuve par l’une ou l’autre des parties qui documente le nombre des heures supplémentaires sur une base non volontaire effectuées depuis juillet 2018. M. Kearney a déclaré que le SHD est conçu pour fournir à la direction locale et aux agents de la section locale du syndicat l’accès à une série de rapports. M. Raymond a déclaré qu’à titre de président de la section locale, il n’a pas accès aux rapports du SHD au-delà de son propre horaire et ceux des agents qui sont énumérés. Aucun rapport du SHD n’a été déposé en preuve.

[58] On ne m’a présenté aucune preuve qui aurait permis de comparer le nombre d’heures supplémentaires sur une base non volontaire effectuées au nombre total de quarts de travail prévus à l’horaire ou au nombre total de quarts de travail sur une base volontaire effectués.

J. Les heures supplémentaires dans la politique nationale et d’autres documents

[59] La Politique sur la gestion des heures supplémentaires effectuées par les agents correctionnels a fait l’objet de plusieurs modifications au fil des ans. La version en vigueur au moment des événements en question était le bulletin no 2013-06, daté du 5 novembre 2013.

[60] M. Kearney a témoigné qu’il a participé à la rédaction de cette politique et de ses versions antérieures. L’article 2 traite des [traduction] « Heures supplémentaires sur une base non volontaire (imposées) » et est rédigé comme suit :

[Traduction]

9 Ordre donné aux employés qui travaillent par quart

Une fois que les procédures d’offre d’heures supplémentaires sur une base volontaire ont été épuisées, les employés qui travaillent par quart peuvent se voir imposer de faire des heures supplémentaires sur une base non volontaire.

La détermination de la personne qui travaillera dans ces circonstances est assujettie aux exigences opérationnelles et à la discrétion du gestionnaire sur place.

On peut ordonner à certains employés de faire des heures supplémentaires immédiatement après leur quart régulier, afin d’accomplir une tâche précise requise de la part de l’employé (c.-à-d. remplir un rapport d’incident, etc.).

10 Situations d’urgence ou de crise

Si d’autres employés doivent être appelés sur place en cas d’urgence, les employés qualifiés qui vivent le plus près du site devront être les premiers invités à faire des heures supplémentaires.

En cas d’urgence, la direction se réserve le droit de décider la façon d’imposer des heures supplémentaires.

 

[61] L’alinéa 2b) du bulletin politique stipule que les gestionnaires [traduction] « s’assureront qu’ils ont épuisé toutes les options opérationnelles avant d’envisager des heures supplémentaires [...] ». Quand M. Kearney a été interrogé à ce sujet lors du contre-interrogatoire, il a témoigné qu’il n’était pas d’accord que le SCC devait [traduction] « épuiser » toutes les options opérationnelles. Il a dit que, même si les gestionnaires doivent contrôler et réduire l’utilisation des heures supplémentaires, ils doivent aussi considérer les changements opérationnels qui sont permis et qui peuvent être effectués. Il a déclaré que le SCC imposait des heures supplémentaires sur une base non volontaire avant que l’UCCO-SACC-CSN ne soit certifié comme agent négociateur des CX.

[62] Les descriptions de travail des CX-01 et des CX-02 déposées en preuve n’abordent pas précisément la question des heures supplémentaires, mais traitent des heures de travail. Par exemple, la description de travail des CX-01 indique que [traduction] « travailler un horaire de quart par rotation (y compris les fins de semaine) perturbe la vie personnelle du titulaire, sa routine ainsi que ses réseaux de soutien social et familial. Le travail par quart peut aussi consister à travailler en isolement pendant des périodes variables (p. ex., le quart de nuit) ». La description de travail se poursuit ainsi : [traduction] « Le titulaire peut être appelé à travailler pendant un certain nombre d’heures consécutives dans des situations exceptionnelles ou d’urgence ».

[63] On a montré à M. Hammond la lettre d’offre qu’il avait signée lorsqu’il a été embauché comme CX. Entre autres conditions d’emploi, la lettre précisait que la [traduction] « capacité de travailler par quart, de faire des heures variables et des heures supplémentaires, de travailler les fins de semaine et les jours fériés est une exigence opérationnelle pour ce poste ». Il a reconnu qu’il avait accepté cette exigence; cependant, il a témoigné qu’il avait compris que les heures supplémentaires ne seraient imposées qu’en cas d’urgence.

[64] Plusieurs offres d’emploi récentes pour des postes CX ont été déposées en preuve. Entre autres, elles indiquent que [traduction] « [l]es employés peuvent être tenus de faire des heures supplémentaires ».

[65] Un questionnaire d’auto-évaluation utilisé dans le cadre du processus de recrutement des CX a été déposé en preuve. L’une des questions qu’il contient est rédigée comme suit : « 26. Des situations inattendues peuvent entraîner certaines conséquences pour le personnel en devoir, tel que l’exigence de poursuivre un quart de travail afin de résorber un incident. Accepteriez-vous un emploi qui exige de faire des heures supplémentaires à très court préavis? ».

[66] M. Raymond a été interrogé au sujet de ce document et a reconnu que l’exigence de poursuivre un quart en raison d’un incident était présentée comme un [traduction] « exemple ». Toutefois, il a également déclaré que, même si de nombreux documents et conversations traitent des besoins en cas d’urgence, il n’a jamais été question d’avoir à travailler un quart supplémentaire pour garder une unité ouverte.

[67] M. Kearney et M. Raymond ont tous les deux témoigné au sujet du contenu du bulletin no 2006-02 sur le Personnel travaillant des heures excessives. Il a été publié à la suite d’un rapport du coroner suivant le décès d’un employé du SCC après une sortie de route alors qu’il rentrait du travail. Le bulletin établit un maximum de 16,5 heures de travail pour une période de 24 heures. Lorsque cela n’est pas possible [traduction] « en raison de situations urgentes ou exceptionnelles », le bulletin indique que la direction locale doit prendre [traduction] « toutes les précautions raisonnables dans les circonstances pour assurer la santé et la sécurité de son personnel ». Pour ce faire, le bulletin ordonne aux gestionnaires locaux de prendre des [traduction] « mesures spéciales », comme des périodes de repos, le transport à domicile et l’hébergement de nuit dans la région.

K. Préoccupations des employés et questions de santé et de sécurité

[68] M. Hammond et M. Raymond ont déclaré que les CX ont déposé un certain nombre de plaintes au sujet de l’obligation de faire des heures supplémentaires sur une base non volontaire. La plainte la plus importante concerne le fait que quelqu’un sur la liste a été laissé de côté. De nombreuses plaintes ont été déposées lorsque l’imposition des heures supplémentaires entrait en conflit avec des événements personnels, des rendez-vous médicaux ou des responsabilités en matière de garde d’enfants. Les membres se sont plaints que certains gestionnaires correctionnels ne tentaient pas de recruter des volontaires par l’entremise du système de messagerie texte. Ils se sont plaints que certains ordres visaient un quart complet même s’ils n’étaient pas nécessaires.

[69] M. Raymond a témoigné que l’imposition des heures supplémentaires était [traduction] « la principale question » qui préoccupait les membres de l’unité de négociation de sa section locale. Il a dit que la section locale du syndicat avait commandé un sondage auprès des employés qui indiquait des problèmes importants liés au moral, à la satisfaction au travail et à la confiance en la direction. Le sondage a été effectué par un consultant organisationnel ayant de l’expérience à la Gendarmerie royale du Canada. Il a conclu le rapport en déclarant ce qui suit : [traduction] « Une chose semble très claire d’après les données du sondage. Si aucune mesure rapide n’est prise en ce qui concerne les préoccupations des employés, la situation risquera alors d’empirer, ce qui comportera des risques importants ».

[70] Le niveau de préoccupation a placé la section locale du syndicat dans une situation difficile, selon M. Raymond. Il a déclaré qu’il était au courant de nombreuses situations où des employés se sont portés volontaires pour faire des quarts de travail supplémentaires consécutifs, ce qui les obligeait à travailler plus de 16,5 heures pour une période de 24 heures, même jusqu’à 36 heures d’affilée. En tant que coprésident du Comité de la santé et de la sécurité au travail, il savait que les employés ne devaient pas faire autant d’heures supplémentaires. Toutefois, si cette règle était appliquée, la direction n’aurait qu’à imposer plus d’heures supplémentaires sur une base non volontaire. Il a témoigné qu’il n’avait pas de bonne réponse sur la façon d’équilibrer ces éléments.

[71] Certains CX ont déposé des griefs individuels au sujet de l’imposition d’heures supplémentaires sur une base non volontaire. Dix formulaires de grief ont été déposés en preuve, mais M. Hammond a déclaré qu’il ne s’agissait pas de tous les griefs individuels. Il avait présenté les griefs aux premier et deuxième paliers, mais il comprenait qu’ils étaient en suspens au dernier palier en attendant le résultat de ce grief de principe.

[72] L’opposition de la section locale à l’imposition d’heures supplémentaires sur une base non volontaire l’a également amenée à déposer, le 2 août 2018, une plainte en vertu de l’article 127.1, partie II, du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2; le « Code »). La plainte portait sur les employés qui ont reçu l’ordre de faire un deuxième quart de huit heures (pour un total de 16 heures) et qui n’ont reçu qu’une pause de huit heures avant le début de leur quart suivant (normalement prévu à l’horaire). La section locale a fait valoir qu’un écart de huit heures ne permet pas à un employé de dormir suffisamment, étant donné le besoin de rentrer chez lui et de retourner au travail. Un employé qui doit effectuer une heure de trajet pourrait avoir seulement quatre ou cinq heures de sommeil. Un employé qui doit faire un trajet de 30 minutes pourrait obtenir aussi peu que cinq ou six heures de sommeil, a mentionné la section locale dans la plainte.

[73] La directrice a répondu à la plainte en vertu de l’article 127.1 le 7 mai 2020, environ 18 mois après son dépôt. Après avoir examiné la convention collective, la Politique sur la gestion des heures supplémentaires effectuées par les agents correctionnels, la description de travail des CX et le « questionnaire d’auto-évaluation » du SCC, la directrice a déterminé qu’il n’y avait aucun danger.

[74] M. Raymond a reconnu que la section locale ne s’est pas encore adressée à Emploi et Développement social Canada pour contester la décision de la directrice.

L. Consultation subséquente

[75] Au cours du contre-interrogatoire de M. Hammond, on lui a demandé s’il avait déjà amorcé une consultation avec le commissaire du SCC au sujet des obligations excessives de faire des heures supplémentaires, comme le prévoit la clause 21.11 de la convention collective. Il a témoigné qu’il ne participe qu’à la consultation syndicale‑patronale locale. La question a été soulevée localement et a été portée à un niveau régional.

[76] Il a également reconnu qu’à Kent, les réunions du comité de gestion du travail en personne ont repris et que la question des heures supplémentaires sur une base non volontaire est examinée dans le cadre de ce processus. Il a reconnu que certaines améliorations avaient été apportées; par exemple, la création d’un système de courriel pour les appels sans préavis afin d’augmenter le nombre de possibilités d’heures supplémentaires faites par des volontaires. Cependant, selon lui, la question fondamentale reste non résolue.

M. Heures supplémentaires sur une base non volontaire ailleurs au pays

[77] Les parties ont cité un autre exemple de la question des heures supplémentaires sur une base non volontaire survenant dans un établissement du SCC. Un protocole sur le recours à des heures supplémentaires sur une base non volontaire, adopté en juillet 2017 dans le cadre d’une entente entre le directeur par intérim et le président local du Centre régional de réception du SCC au Québec, a été déposé en preuve sur consentement. Il fournit aux gestionnaires un processus en six étapes pour imposer des heures supplémentaires. Ils doivent premièrement [traduction] « [...] s’assurer que tous les ajustements opérationnels possibles ont été apportés », deuxièmement [traduction] « s’assurer que tous les volontaires [...] ont été contactés » et troisièmement [traduction] « retenir le personnel du quart précédent et demander s’il y a un volontaire [...] ».

[78] À la suite de ces étapes, le gestionnaire peut (étape 4) imposer des heures supplémentaires en fonction de l’ancienneté inversée, à condition que le gestionnaire (à l’étape 5) prenne en compte les heures supplémentaires imposées de sorte que [traduction] « [...] le CX qui a été retenu sur une base non volontaire sera le dernier la prochaine fois ». Enfin, à l’étape 6, le protocole stipule que, si un employé est obligé de faire des heures supplémentaires sur une base non volontaire et qu’il n’est pas en mesure de le faire, il doit fournir les motifs par écrit et obtenir l’approbation du gestionnaire correctionnel.

III. Résumé de l’argumentation

[79] Je vais résumer très brièvement les arguments des parties dans cette section. L’analyse plus détaillée de leurs arguments se trouve dans les motifs qui suivent.

[80] Pour l’UCCO-SACC-CSN, la question est de savoir si la convention collective permet à l’employeur d’obliger un employé à faire des heures supplémentaires lorsqu’il ne veut pas les faire. Tout en reconnaissant l’obligation de faire des heures supplémentaires dans des situations d’urgence, le syndicat a soutenu qu’à la clause 21.10, la convention collective ne permet pas à l’employeur d’ordonner à un employé de faire des heures supplémentaires. Lorsqu’il ordonne aux employés de travailler un deuxième quart entier, le SCC enfreint la convention collective.

[81] Subsidiairement, si la Commission conclut que l’employeur peut imposer des heures supplémentaires, le syndicat a soutenu que l’exercice de ce droit par l’employeur dans cette situation était déraisonnable. Avant le changement de juillet 2018, l’employeur a eu recours régulièrement à des ajustements opérationnels nécessitant un changement de routine et a été en mesure de satisfaire aux exigences en matière d’heures supplémentaires au moyen d’offres d’heures supplémentaires sur une base volontaire. Les CX doivent parfois faire des heures supplémentaires en cas d’urgence ou pour terminer une tâche à la fin de leur quart de travail, mais Kent a commencé à recourir à des heures supplémentaires sur une base non volontaire pour doter des quarts entiers. Il ne s’agit pas d’une décision raisonnable, compte tenu de la convention collective dans son ensemble, y compris les dispositions qui énoncent la façon dont les horaires de quarts sont élaborés, ainsi que l’article sur la santé et la sécurité.

[82] L’UCCO-SACC-CSN a demandé que la Commission déclare que l’employeur a enfreint la convention collective et qu’elle lui ordonne de cesser et de s’abstenir d’ordonner aux CX de faire des heures supplémentaires sur une base non volontaire. Le syndicat a également demandé que la Commission remédie à la violation en indemnisant les employés qui ont reçu l’ordre de travailler par un congé équivalant au nombre d’heures supplémentaires sur une base non volontaire qu’ils ont effectuées.

[83] L’employeur a soutenu que la convention collective ne l’empêche pas d’imposer des heures supplémentaires. L’obligation pour les employés CX de faire des heures supplémentaires est mentionnée à la fois dans la convention collective et dans ses documents de politique et ses bulletins. Le SCC a d’importantes obligations en matière de sécurité à remplir et, lorsqu’il embauche des CX, il précise clairement qu’ils peuvent devoir faire des heures supplémentaires. Étant donné que la convention collective est muette sur la question des heures supplémentaires obligatoires, les droits de la direction ont préséance.

[84] L’employeur a soutenu que, parce qu’il s’agit d’un grief de principe, la présente affaire porte sur la question de savoir si l’employeur, dans l’ensemble du pays, est autorisé à imposer des heures supplémentaires pour doter des postes vacants. Il ne s’agit pas d’un grief collectif ou individuel où l’on cherche à savoir si une quantité déraisonnable d’heures supplémentaires ont été imposées à Kent. Des griefs individuels ont été déposés sur la question. Le caractère raisonnable de la directive de la direction ne devrait pas être abordé dans un grief de principe.

[85] Le SCC a le droit d’imposer des heures supplémentaires et il a utilisé ce droit pendant des décennies, et la Commission aurait tort de le retirer au moyen de ce grief. La Commission ne peut pas modifier la convention collective pour indiquer que les heures supplémentaires ne peuvent être imposées qu’en cas d’urgence, comme à le stipule l’article 229 de la Loi. Si l’UCCO-SACC-CSN veut modifier les règles relatives à l’imposition d’heures supplémentaires, l’endroit pour le faire est la table de négociation.

[86] L’employeur s’est également opposé, pour des raisons de compétence, à ce que le syndicat invoque l’article sur la santé et la sécurité de la convention collective. Il existe un autre processus administratif pour porter plainte au sujet d’un lieu de travail dangereux, en vertu duquel le syndicat a déposé une plainte. Selon l’employeur, en vertu du paragraphe 220(2) de la Loi, le syndicat ne peut pas déposer un grief de principe lorsqu’un autre processus administratif prévoit une mesure corrective.

[87] Enfin, l’employeur a soutenu que la Commission devrait sceller certains documents déposés en preuve concernant la mutation des agents correctionnels.

IV. Motifs

[88] J’examinerai plus en détail les arguments des parties sous les rubriques suivantes :

a) L’utilisation d’un grief de principe empêche-t-elle le syndicat de tenir compte des circonstances particulières de Kent?

b) La convention collective empêche-t-elle l’employeur d’imposer des heures supplémentaires sur une base non volontaire?

c) L’imposition d’heures supplémentaires à Kent est-elle contraire à la convention collective?

d) Les objections de l’employeur concernant l’article de la convention collective sur la santé et la sécurité sont-elles fondées?

e) Quelle ordonnance la Commission devrait-elle rendre dans l’éventualité où une violation de la convention collective est constatée?

f) La Commission devrait-elle sceller les pièces demandées par l’employeur?

A. L’utilisation d’un grief de principe empêche-t-elle le syndicat de tenir compte des circonstances particulières de Kent?

[89] Il s’agit d’un grief de principe déposé en vertu de l’article 220 de la Loi, qui donne aux deux parties à une convention collective le droit de « [...] présenter à l’autre un grief de principe portant sur l’interprétation ou l’application d’une disposition de la convention ou de la décision relativement à l’un ou l’autre ou à l’unité de négociation de façon générale ».

[90] L’employeur a soutenu que, parce que le syndicat a déposé un grief de principe, la question dont la Commission est saisie est celle de savoir si, dans l’ensemble du pays, l’employeur est autorisé à imposer des heures supplémentaires pour doter des postes vacants. La cause du syndicat devrait échouer parce qu’il n’a fourni des éléments de preuve que pour Kent. Il a soutenu que, si le syndicat veut contester le caractère raisonnable des décisions de l’employeur à Kent, il devrait le faire au moyen d’un grief collectif ou de griefs individuels, et non d’un grief de principe.

[91] Le syndicat n’a pas répondu en détail à cet argument. Toutefois, il a soutenu que la Commission pourrait enquêter sur les détails de la situation à Kent et déterminer si la politique établie par la direction du SCC est conforme à la convention collective.

[92] Je n’accepte pas l’argument de l’employeur. Il a essentiellement soutenu qu’un syndicat ne peut pas déposer un grief de principe si les actions en cause sont limitées à un seul établissement ou à un seul lieu de travail. Il s’agit d’une interprétation inutilement restrictive du paragraphe 220(1) de la Loi. La Commission s’est souvent prononcée sur des griefs de principe dans lesquels la question en litige ne concernait qu’un seul lieu de travail ou un seul établissement.

[93] Par exemple, dans une décision rendue en 2011, la Commission a accueilli un grief de principe concernant les mêmes parties et portant sur l’application des dispositions relatives aux horaires de travail à l’annexe K, bien qu’il ne concernait que des CX-01 travaillant un seul quart de travail (le quart de nuit) dans un seul établissement; voir Union of Canadian Correctional Officers-Syndicat des agents correctionnels du Canada-CSN c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 120 (« Centre régional de traitement de l’Ontario »).

[94] La Commission a également accueilli un grief de principe concernant le SCC et un autre agent négociateur et qui portait sur un sous-groupe d’employés (personnel de cuisine) dans certaines régions du pays; voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 10. Dans cette décision, la Commission a déterminé que l’employeur appliquait incorrectement les dispositions relatives à la protection salariale de l’annexe sur le rajustement des effectifs à la convention collective en cause dans cette affaire.

[95] Je reconnais que les conclusions de la Commission en l’espèce pourraient s’appliquer à l’ensemble du pays pour le SCC et que la Commission doit être attentive à cette réalité lorsqu’elle rendra sa décision. Toutefois, ce n’est pas une raison pour ne pas formuler de conclusions sur un grief de principe qui découle de cette situation de fait particulière.

[96] Les griefs de principe peuvent offrir aux parties un processus plus efficace pour régler les différends découlant d’une convention collective, ce que la Commission a reconnu peu de temps après qu’ils ont été incorporés à la Loi en 2005 (voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2008 CRTFP 84, au paragraphe 64). Cette reconnaissance est conforme au préambule de la Loi, qui stipule que « [...] le gouvernement du Canada s’engage à résoudre de façon juste, crédible et efficace les problèmes liés aux conditions d’emploi [...] » (je mets en évidence). En l’espèce, cet objectif est renforcé par le fait que plusieurs griefs individuels ont été mis en suspens, en attendant la présente décision à l’égard du grief de principe.

[97] Il n’y a pas d’obstacle à la présentation d’un grief de principe et d’un grief individuel sur la même question (voir Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2019 CRTESPF 7, aux paragraphes 92 et 93). Toutefois, l’article 232 de la Loi limite les recours qui peuvent être ordonnés si « [...] un grief de principe qui porte sur une question qui a fait ou aurait pu faire l’objet d’un grief individuel ou d’un grief collectif [...] ».

B. La convention collective empêche-t-elle l’employeur d’imposer des heures supplémentaires sur une base non volontaire?

[98] Je vais maintenant aborder le premier argument du syndicat, soit que la convention collective empêche l’employeur d’ordonner aux employés de faire des heures supplémentaires.

[99] Les parties de la convention collective les plus pertinentes à cet égard sont les clauses 21.10 et 21.11, qui sont rédigées comme suit :

21.10 Répartition des heures supplémentaires

L’Employeur fait tout effort raisonnable pour :

a. répartir les heures supplémentaires de travail sur une base équitable parmi les employé-e-s qualifiés facilement disponibles,

b. attribuer du travail en temps supplémentaire aux employé-e-s faisant partie du même groupe et niveau par rapport au poste à combler, par exemple, agent correctionnel 1 (CX-1) à agent correctionnel 1 (CX-1), agent correctionnel 2 (CX-2) à agent correctionnel 2 (CX-2), etc.

Cependant, il est possible pour une section locale de convenir par entente écrite avec le directeur de l’établissement d’une méthode différente en ce qui a trait à l’attribution du temps supplémentaire. et

c. donner aux employé-e-s, qui sont obligés de travailler des heures supplémentaires, un préavis suffisant de cette obligation.

21.11 Le Syndicat a le droit de consulter le commissaire ou son représentant chaque fois qu’il est allégué que les employé-e-s sont tenus de faire un nombre d’heures supplémentaires qui n’est pas raisonnable.

 

[100] L’UCCO-SACC-CSN a soutenu que, puisque la clause 21.10 exige que l’employeur fasse tout effort raisonnable pour répartir les heures supplémentaires « parmi les employés facilement disponibles », les parties à la convention collective ont voulu que toutes les heures supplémentaires soient volontaires. Un employé qui ne veut pas faire d’heures supplémentaires n’est pas « facilement disponible » et ne devrait donc pas être obligé d’en faire.

[101] Le syndicat a reconnu que les CX ont l’obligation de faire des heures supplémentaires dans une situation telle qu’une urgence ou lorsqu’ils doivent accomplir des tâches liées à un incident de sécurité. Cela fait partie de l’obligation professionnelle des CX, qu’ils acceptent de plein gré.

[102] L’employeur a soutenu que la clause 21.10 ne stipule pas que toutes les heures supplémentaires doivent être faites sur une base volontaire. Il a fait remarquer le libellé de la clause 21.10c), qui indique que les employés sont « obligés de travailler des heures supplémentaires ». De plus, l’article 21.11 énonce un processus pour traiter les situations où les employés « [...] sont tenus de faire un nombre d’heures supplémentaires qui n’est pas raisonnable ». L’utilisation des mots « obligés » et « tenus » dans les deux clauses indique que les heures supplémentaires peuvent être faites sur une base non volontaire.

[103] Par ailleurs, selon l’employeur, la convention collective ne dit rien sur la façon d’imposer des heures supplémentaires. Par conséquent, la direction conserve le droit d’établir des règles en ce qui concerne l’imposition des heures supplémentaires, ce qu’elle a fait au moyen de sa politique nationale, de ses descriptions de travail, de son matériel d’orientation et, en l’espèce, de la directive de la directrice émise en juillet 2018.

[104] La clause 21.10 n’indique pas explicitement que toutes les heures supplémentaires doivent être faites sur une base volontaire. Elle n’indique pas non plus explicitement que l’employeur peut imposer des heures supplémentaires obligatoires, bien que je trouve que l’utilisation de l’expression « obligés de travailler des heures supplémentaires » signifie que des heures supplémentaires peuvent être imposées. J’en tiendrai compte tout en faisant référence à la jurisprudence citée par les parties.

[105] À l’appui de son argument, le syndicat a cité Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 5e édition, au paragraphe 5:3210, qui stipule que [traduction] « [...] si la convention indique que la direction peut attribuer des heures supplémentaires à ceux de ses employés qui sont disposés et prêts à en faire, les heures supplémentaires seront nécessairement considérées comme étant faites sur une base volontaire ». Je trouve cette référence utile, mais je crois qu’il est possible de faire une distinction entre l’expression « facilement disponibles » utilisée à la clause 21.10 et l’expression [traduction] « disposés et prêts » mentionnée par Brown et Beatty. Le mot [traduction] « disposés » laisse entendre qu’un employé accepte d’effectuer les heures supplémentaires d’une manière qui n’est pas reflétée par l’expression « facilement disponibles ».

[106] Le syndicat a également renvoyé à un certain nombre d’affaires où les arbitres de différends ont confirmé que les heures supplémentaires ne peuvent pas être imposées.

[107] Dans Canadian Pacific Railway Company v. Teamsters Canada Rail Conference, 2014 CanLII 51685 (CA LA) (« CPR/Teamsters »), une politique de la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (la « Compagnie ») a été contestée parce qu’elle indiquait qu’elle pouvait imposer des heures supplémentaires obligatoires pour certains travailleurs de [traduction] « l’entretien de la voie ferrée ». Dans cette affaire, la convention collective contenait un libellé stipulant que les demandes d’heures supplémentaires seraient émises par ordre d’ancienneté. Elle ne contenait pas de libellé explicite indiquant que des heures supplémentaires pouvaient être imposées; elle ne contenait pas non plus de libellé explicite indiquant que toutes les heures supplémentaires étaient faites sur une base volontaire.

[108] La Compagnie a soutenu qu’elle conservait le droit d’ordonner aux employés qui ont le moins d’ancienneté d’effectuer des heures supplémentaires si elle ne pouvait pas trouver des volontaires. Après avoir entendu la preuve que l’employeur n’avait jamais imposé des heures supplémentaires, l’arbitre de différends a conclu ce qui suit : [traduction] « Compte tenu des dispositions pertinentes de la convention collective et de la pratique antérieure entre les parties, je suis convaincu que par leur conduite et par leurs paroles, les parties ont clairement indiqué leur intention de faire en sorte que les heures supplémentaires soient facultatives ». La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a confirmé cette décision (voir Canadian Pacific Railway Company v. Canadian Railway Office of Arbitration, 2016 ABQB 179).

[109] En l’espèce, les deux parties ont clairement démontré que les CX peuvent être obligés de faire des heures supplémentaires pour lesquelles ils ne se sont pas portés volontaires. Les témoins du syndicat ont témoigné qu’ils comprennent qu’il est nécessaire de faire des heures supplémentaires en situation d’urgence ou pour remplir une tâche essentielle après leur quart de travail (par exemple, obtenir des éléments de preuve ou remplir une obligation de sécurité urgente). Bien qu’ils puissent les accepter comme une obligation professionnelle, cela ne signifie pas qu’elles sont faites sur une base volontaire. Les témoins du syndicat ont également témoigné qu’avant le changement de politique de juillet 2018, il était rare qu’on leur ordonne d’effectuer un quart de travail complet à titre d’heures supplémentaires, et qu’on ne le faisait que si aucun ajustement opérationnel ne pouvait être effectué. En raison de CPR/Teamsters et compte tenu de la pratique antérieure, je conclus que la clause 21.10 permet d’effectuer des heures supplémentaires sur une base non volontaire dans des circonstances particulières, telles que des situations d’urgence ou l’accomplissement de tâches essentielles après un quart.

[110] La convention collective dans Canada Post Corporation v. Canadian Union of Postal Workers, 2012 CanLII 51069 (CA LA) (« Canada Post »), contenait un libellé précis qui permettait à la Société canadienne des postes d’imposer des heures supplémentaires. Toutefois, la convention précisait également que la société prendrait [traduction] « [...] des mesures raisonnables pour s’assurer que les affectations pour faire des heures supplémentaires [...] seront réduites au minimum ». Dans cette affaire, l’arbitre de différends a conclu que l’employeur avait commis une erreur en n’utilisant pas de facteurs temporaires plutôt que d’imposer des heures supplémentaires et a ordonné à la société d’annuler une directive qui obligeait les travailleurs touchés à faire des heures supplémentaires.

[111] Dans Canadian Paperworkers Union Local 101 v. Quebec and Ontario Paper Company, Thorold Division, 1992 CarswellOnt 1167 24 LAC (4th) 163 (« Canadian Paperworkers Union »), l’employeur exploitait une usine de papier 24 heures par jour grâce à trois quarts de huit heures. Il a essayé d’utiliser les heures supplémentaires sur une base volontaire pour encourager les travailleurs à assister à une réunion hebdomadaire sur la sécurité. Face à une faible fréquentation, la société a imposé une heure en temps supplémentaire obligatoire chaque quart du lundi, de sorte que le quart de soir entrant puisse assister à la réunion de sécurité. Dans cette affaire, la convention collective contenait un libellé sur les heures supplémentaires obligatoires (selon lequel les travailleurs devraient rester à leur poste si leur [traduction] « collègue » ne se présentait pas à temps). Toutefois, en accueillant le grief, le conseil d’arbitrage a conclu que l’employeur n’imposait pas d’heures supplémentaires comme l’indiquait la convention collective et qu’il modifiait plutôt unilatéralement les heures de début et de fin du quart.

[112] La difficulté de s’en remettre trop étroitement à Canada Post et à Canadian Paperworkers Union réside dans le fait que les décisions des arbitres de différends dépendaient de façon importante du libellé précis des conventions collectives très distinctes. Les clauses sur les heures supplémentaires en cause n’étaient pas semblables à ceux de la convention liant l’UCCO-SACC-CSN et l’employeur. À ce titre, aucune des deux affaires ne me permettrait de conclure que le SCC n’est absolument pas en mesure d’imposer des heures supplémentaires.

[113] Les parties ne m’ont présenté qu’une seule décision de la Commission portant sur la question des heures supplémentaires sur une base non volontaire. Baldasaro c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 54, concernait les mêmes parties et le même libellé à la clause 21.10 que ceux en cause en l’espèce, bien que le libellé provienne d’une convention collective antérieure. Baldasaro a été entendue à titre de cas type pour environ 500 griefs individuels concernant l’accès aux offres d’heures supplémentaires. Le syndicat souhaitait faire un suivi des heures supplémentaires sur une base non volontaire parallèlement aux heures supplémentaires sur une base volontaire pour déterminer quels employés devraient se voir offrir des heures supplémentaires.

[114] Dans Baldasaro, au paragraphe 55, la Commission a conclu que « [s]i les parties avaient voulu établir une distinction entre la répartition des heures supplémentaires facultatives et obligatoires, elles auraient prévu cela par écrit dans la convention collective [...] ». Elle a également conclu que l’employeur devrait faire le suivi des heures supplémentaires sur une base non volontaire dans son SHD, de sorte que les heures supplémentaires sur une base non volontaire soient considérées comme étant l’exécution par l’employeur de son obligation prévue par la convention collective de répartir équitablement les heures supplémentaires.

[115] Dans son témoignage devant moi, M. Kearney a confirmé qu’à la suite de la publication de la décision de la Commission dans Baldasaro, le SCC a apporté des modifications au SHD afin qu’il puisse faire le suivi des deux types d’heures supplémentaires.

[116] La conclusion de la Commission dans Baldasaro indique que les deux types d’heures supplémentaires sont visés par la clause 21.10. De plus, l’argument du syndicat dans Baldasaro selon lequel l’employeur devrait effectuer le suivi des heures supplémentaires sur une base non volontaire n’a de sens que si la quantité de ces heures travaillées était suffisamment élevée pour toucher les personnes qui se voyaient offrir des heures supplémentaires sur une base volontaire.

[117] Enfin, je tiens à souligner que le contenu du protocole négocié entre le directeur par intérim et la section locale de l’UCCO-SACC-CSN du Centre régional de réception du Québec précise clairement que le syndicat a déjà fait face à des heures supplémentaires sur une base non volontaire et qu’il a négocié des conventions avec la direction sur la façon de les gérer dans un contexte local.

[118] En conclusion, je ne trouve aucun motif me permettant de conclure que la clause 21.10 empêche l’employeur d’imposer des heures supplémentaires sur une base non volontaire. Par conséquent, il n’y a aucune raison d’ordonner à l’employeur de cesser et de s’abstenir d’imposer des heures supplémentaires sur une base non volontaire.

C. L’imposition d’heures supplémentaires à Kent est-elle contraire à la convention collective?

[119] Qu’en est-il alors de l’argument subsidiaire du syndicat selon lequel la façon d’imposer des heures supplémentaires à Kent est incompatible avec la convention collective ou constitue un exercice déraisonnable des droits de la direction, même si la convention collective permet d’imposer des heures supplémentaires sur une base non volontaire?

[120] Il s’agit d’une question beaucoup plus complexe. L’examiner signifie non seulement examiner la clause 21.10, mais également le libellé de la convention collective dans son ensemble, en particulier les dispositions relatives aux heures de travail et aux horaires de quarts.

[121] Pour examiner cette question, je commencerai par revoir la preuve que j’ai entendue.

[122] Les témoignages non contredits des témoins du syndicat, M. Hammond et M. Raymond, démontrent que jusqu’au 26 juillet 2018, le nombre d’heures supplémentaires sur une base non volontaire était faible et presque entièrement limité aux situations d’urgence. La preuve a révélé que les heures supplémentaires imposées étaient très rarement utilisées pour des quarts entiers, jusqu’à ce que la directrice modifie la politique.

[123] M. Kearney a témoigné que, dans l’ensemble du pays, l’employeur utilise les heures supplémentaires sur une base non volontaire pour doter des quarts de travail réguliers, mais aucune preuve ou donnée précise n’a été fournie à l’appui.

[124] Je précise qu’en 2012, M. Kearney avait également témoigné dans Baldasaro au sujet de l’utilisation d’heures supplémentaires sur une base non volontaire. Au paragraphe 7, la Commission a rapporté son témoignage comme suit :

7 M. Kearney a témoigné que l’employeur établissait une distinction entre les heures supplémentaires facultatives et les heures supplémentaires obligatoires. Certains employés doivent travailler des heures supplémentaires pour satisfaire des besoins opérationnels très précis, à la discrétion de l’employeur. Par exemple, les employés membres d’une équipe pénitentiaire d’intervention d’urgence (EPIU) sont tenus de travailler des heures supplémentaires sans droit de refus lorsqu’ils sont appelés dans le cadre de leur affectation à une EPIU. Ces heures supplémentaires sont comptabilisées séparément, et il n’en est pas tenu compte aux fins du calcul et de l’évaluation de la répartition équitable des heures supplémentaires.

 

[125] Ce témoignage antérieur est conforme à celui des témoins du syndicat en l’espèce. Il est également conforme au message global de la Politique sur la gestion des heures supplémentaires effectuées par les agents correctionnels, soit que les CX peuvent devoir faire des heures supplémentaires sur une base non volontaire dans des situations d’urgence, et il est conforme au message global contenu dans leurs descriptions de travail et leur matériel de recrutement.

[126] Il ne fait aucun doute dans mon esprit que le message de la directrice Cossette du 26 juillet 2018 représentait un changement de politique et de pratique pour les CX à Kent. Il s’agissait de passer d’une situation dans laquelle les heures supplémentaires sur une base non volontaire étaient normalement utilisées uniquement pour des urgences ou des incidents de sécurité à une situation où elles étaient imposées régulièrement pour doter des quarts de travail complets.

[127] Je ne pense pas qu’il soit possible de déterminer le nombre précis d‘heures supplémentaires sur une base non volontaire effectuées à Kent en fonction des éléments de preuve présentés par les parties. La meilleure estimation fournie provient de M. Hammond, qui avait transcrit sur un calendrier mensuel le relevé des heures supplémentaires sur une base non volontaire tenu par l’employeur. Comme il a été mentionné plus haut, cette preuve indique une moyenne de 47 quarts par mois constituant des heures supplémentaires imposées depuis juillet 2018 – en moyenne, plus d’un quart par jour. Aucun témoin de l’employeur n’a témoigné du nombre d’heures supplémentaires sur une base non volontaire effectuées à Kent, et aucun rapport de son SHD n’a été déposé en preuve.

[128] La réponse de l’employeur au grief de principe était que Kent a adopté la nouvelle politique sur les heures supplémentaires en raison des pénuries de personnel et après avoir tenté en vain de tenir des réunions syndicales-patronales locales pour résoudre le problème. J’ai entendu les témoins du syndicat dire que les problèmes du milieu de travail et le faible moral contribuaient aux pénuries de personnel. Ce témoignage a été renforcé par le sondage auprès des employés effectué par un consultant organisationnel pour le compte du syndicat. Je n’ai entendu aucun témoignage des témoins de l’employeur à ce sujet. Il se peut qu’il y ait d’autres causes profondes aux pénuries de personnel. Toutefois, l’explication selon laquelle les pénuries de personnel sont le problème sous-jacent n’a pas été contredite.

[129] L’employeur a également déclaré que la direction n’avait d’autre choix que d’imposer des heures supplémentaires obligatoires pour doter certains postes obligatoires en raison des pénuries de personnel. Je conviens qu’une pénurie de personnel peut causer une urgence qui exige l’imposition d’heures supplémentaires. La réponse de l’employeur pose toutefois deux problèmes. Tout d’abord, elle laisse entendre qu’il s’agit d’un problème temporaire. La preuve fournie par le syndicat montre que la pratique d’imposer des heures supplémentaires s’est poursuivie au fil du temps. En fait, selon les données de septembre 2020 (le dernier mois déposé en preuve), des heures supplémentaires ont été imposées à 81 reprises ce mois-là. Deuxièmement, les témoins du syndicat ont fait valoir que l’employeur avait effectivement cessé d’utiliser des ajustements opérationnels pour remédier aux pénuries de personnel. En d’autres termes, les heures supplémentaires sur une base non volontaire sont utilisées au-delà du fait de doter [traduction] « certains postes obligatoires » (selon la réponse de l’employeur).

[130] Selon les témoignages que j’ai entendus, je suis amené à conclure que les heures supplémentaires sur une base non volontaire sont passées d’un phénomène rare avant juillet 2018 à un phénomène régulier depuis. Aucune autre explication du problème sous-jacent n’a été fournie, sauf la pénurie de personnel. Je conclus que la direction de Kent a recours de façon continue et chronique aux heures supplémentaires sur une base non volontaire pour remédier à ces pénuries.

[131] Si le présent grief de principe avait été déposé comme une plainte relative au gel en vertu de l’article 107 de la Loi, une analyse entièrement différente aurait découlé de cette conclusion.

[132] En tant que grief de principe, l’analyse doit se fonder sur la convention collective. La question qui doit être examinée est celle de savoir si l’utilisation soutenue et chronique des heures supplémentaires sur une base non volontaire par l’employeur est conforme à la convention collective ou s’il s’agit d’un exercice déraisonnable des droits de la direction.

[133] Je commencerai par revenir à la clause 21.10. Bien que j’aie conclu qu’elle n’empêche pas l’employeur d’imposer des heures supplémentaires sur une base non volontaire, je note également qu’elle indique que l’employeur « [...] fait tout effort raisonnable pour [...] répartir les heures supplémentaires de travail sur une base équitable parmi les employé-e-s qualifiés facilement disponibles [...] ». Il faut donner un sens aux mots « facilement disponibles ». Bien que, selon mon analyse, ils ne donnent pas le droit de refuser une demande particulière, ils exigent que les employés soient « facilement disponibles ». Selon les arguments du syndicat, le nombre d’heures supplémentaires sur une base non volontaire effectuées est à l’origine de graves problèmes pour les employés. Ses témoins ont témoigné que l’imposition des heures supplémentaires sur une base non volontaire constituaient la principale plainte de ses membres. Les employés se sont plaints du fait que l’obligation d’accomplir ces heures supplémentaires à court préavis a créé des problèmes au niveau des engagements personnels et familiaux, comme la garde des enfants.

[134] Il faut aussi donner un sens aux mots « sur une base équitable » mentionnés à la clause 21.10. Les données des fiches de suivi présentées indiquent que des heures supplémentaires ont été imposées à certains CX plusieurs fois, alors que la majorité d’entre eux ne s’en sont pas vu imposer ou ne s’en sont vu imposer qu’une seule fois. Les témoins du syndicat ont affirmé que certains gestionnaires correctionnels font un effort pour éviter d’en imposer, tandis que d’autres ne le font pas. L’équité exige la transparence et l’impartialité.

[135] Il faut également donner un sens aux mots « tout effort raisonnable » mentionnés à la clause 21.10. Ils fournissent un fondement permettant à la Commission d’examiner la question de savoir si la direction envisage correctement des solutions de rechange à l’imposition d’heures supplémentaires, c’est-à-dire si la nouvelle politique de Kent est en fait raisonnable.

[136] Le syndicat a fait remarquer qu’une version antérieure de la clause 21.10 (dans la convention collective qui a expiré le 31 mai 2002) était précédée des mots « Sous réserve des nécessités du service, l’Employeur doit faire tout son possible [...] » (je mets en évidence). Ces mots ont été retirés de la convention collective signée le 26 juin 2006 (date d’expiration : le 31 mai 2010), et ne figurent pas dans la convention collective actuelle (date d’expiration : le 31 mai 2018). La suppression des mots « Sous réserve des nécessités du service » signifie que l’employeur doit remplir toutes les obligations de la clause 21.10, selon le syndicat. Il ne peut pas utiliser les nécessités du service pour réduire ces obligations.

[137] L’employeur a fait valoir que, même si les mots « Sous réserve des nécessités du service » ont été supprimés de la clause 21.10, le concept a toujours du sens, et il a souligné une définition d’« exigences opérationnelles » figurant à l’article I-A de l’Entente globale entre SCC et UCCO-SACC-CSN (l’« Entente globale ») signée le 1er février 2018. L’Entente globale est une forme de négociation à deux niveaux qui a lieu entre le syndicat et le SCC (voir l’article 110 de la Loi).

[138] La difficulté de cet argument réside dans le fait que la définition d’« exigences opérationnelles » à l’article I-A se trouve dans une section de l’Entente globale qui porte sur l’article 14, « Congé payé ou non payé pour les affaires du syndicat ». Rien n’indique qu’elle s’applique à d’autres dispositions de l’Entente globale, sans parler des dispositions de la convention collective en général ou de la clause 21.10 en particulier. Même si cette définition s’appliquait au-delà de l’article 14, l’article I-A définit les exigences opérationnelles comme une « situation d’urgence », telle qu’une évasion ou une prise d’otage, ou une « [...] situation immédiate qui compromet la vie, la sécurité ou la santé des employé-es, des détenu-es ou du public [...] ». Si elle visait l’application de la clause 21.10, elle renforcerait l’argument du syndicat selon lequel les heures supplémentaires ne devraient être imposées que dans des situations d’urgence, plutôt que de s’en servir pour remédier aux pénuries de personnel continues.

[139] Comme je l’ai déjà mentionné, la clause 21.11 doit également être prise en considération dans la présente analyse. Elle indique que le syndicat « a le droit de consulter le commissaire ou son représentant chaque fois qu’il est allégué que les employé-e-s sont tenus de faire un nombre d’heures supplémentaires qui n’est pas raisonnable ». L’existence de cette clause dans la convention collective m’indique que les parties reconnaissent qu’il peut être nécessaire d’effectuer des heures supplémentaires, qu’elles ont examiné cette question dans le cadre de la négociation collective et qu’elles ont prévu un processus consultatif pour en discuter.

[140] Selon la preuve en l’espèce, le processus syndical-patronal s’était rompu avant l’été 2018, de sorte que les parties ne se sont jamais rencontrées en personne pour discuter de la nouvelle politique de la directrice. Cependant, j’ai aussi entendu des témoignages selon lesquels les réunions en personne de comités syndicaux-patronaux ont repris et que la question des heures supplémentaires sur une base non volontaire est un sujet de discussion continu.

[141] L’employeur a laissé entendre que, depuis la consultation, ses obligations en vertu de la clause 21.11 ont été respectées. J’ai entendu très peu de choses sur la qualité et la nature de cette consultation, si ce n’est qu’elle n’a manifestement pas résolu le problème, et que le syndicat a fait valoir que les choix offerts par la direction en juillet 2018 n’étaient qu’entre deux formes d’heures supplémentaires sur une base non volontaire (imposées entièrement à la discrétion du gestionnaire, ou imposées avec un système de suivi). Je reconnais que des consultations ont lieu; je ne suis pas d’accord pour dire que l’existence de cette clause signifie que la direction a un droit illimité d’ordonner des heures supplémentaires.

[142] Il y a une autre clause à considérer dans les dispositions relatives aux heures supplémentaires de la convention collective, soit la clause 21.16, qui est rédigée comme suit :

21.16 Situation d’urgence

Dans le cas d’une situation d’urgence, tel que déterminé par l’employeur, un-e employé-e qui travaille un quart de travail normalement prévu à son horaire et qui est tenu de travailler en continu durant toute la période entre la fin dudit quart et le début du prochain quart de travail normalement prévu à son horaire a droit à une rémunération à tarif et trois-quarts (1 3/4) pour toutes les heures de travail effectuées en continu après la fin dudit premier quart normalement prévu à son horaire.

 

[143] L’employeur a soutenu que cette disposition ne porte que sur la rémunération. Cependant, je ne l’interprète pas ainsi. Elle indique clairement que les parties comprennent que l’obligation de travailler en continu d’un quart régulier jusqu’au prochain quart normalement prévu à l’horaire surviendra en cas d’urgence, bien que cette situation soit déterminée par l’employeur. Si l’on considère les témoignages sur la pratique antérieure et le libellé des documents de politique de l’employeur, cela confirme l’affirmation du syndicat selon laquelle les heures supplémentaires sur une base non volontaire sont normalement limitées aux urgences.

[144] Outre les dispositions relatives aux heures supplémentaires de la convention collective, le syndicat a soutenu que l’imposition d’heures supplémentaires est incompatible avec les dispositions qui exigent une entente mutuelle lors de l’établissement des horaires de quarts. Cet argument nécessite l’examen de plusieurs autres articles de convention collective.

[145] L’article 21 de la convention collective traite à la fois des heures de travail et des heures supplémentaires. La clause 21.01 s’intitule « Travail de jour » et établit une semaine de travail de 40 heures. Les CX à Kent ne sont pas des travailleurs de jour et sont donc couverts par la clause 21.02, intitulée « Travail par quarts », qui stipule que lorsqu’un employé travaille par rotation ou sur une base irrégulière, il doit travailler en moyenne 40 heures par semaine. Toutefois, la clause 21.02 stipule également que les travailleurs par quart travaillent 8,5 heures par jour, ce qui n’est pas vrai pour les CX à Kent. Il faut se reporter à l’article 34, intitulé « Horaire de travail modifié », pour connaître les dispositions qui permettent de modifier l’horaire de 8,5 heures par jour de la clause 21.02.

[146] La première condition de l’article 34 est rédigée comme suit :

1. Conditions générales

Les heures de travail figurant à l’horaire d’une journée quelconque peuvent être supérieures ou inférieures à l’horaire de travail de la journée normale de travail qu’indique la présente convention; les heures du début et de la fin du travail, des pauses-repas et des pauses-repos sont fixées par entente entre le Syndicat et l’Employeur au niveau local et approuvées conformément à l’annexe « K ». Les heures de travail journalières sont consécutives.

 

[147] Comme il est indiqué dans le résumé de la preuve présenté plus haut, l’annexe K décrit le processus par lequel les horaires de quarts sont établis à l’échelle locale, soit par voie d’entente entre la direction et le syndicat, puis ils sont approuvés à l’échelle nationale comme étant conformes à la convention collective.

[148] Les dispositions de l’article 34 sont en général présentées comme des modifications à certaines autres dispositions de la convention collective, dont la plupart ne sont pas pertinentes en l’espèce. Toutefois, l’article 34 contient également le libellé suivant :

[...]

3. Champ d’application particulier

Pour plus de précision, les dispositions suivantes sont appliquées comme suit :

[...]

Nombre minimal d’heures d’un quart à l’autre

La disposition de la présente convention collective relative au nombre minimal d’heures entre la fin d’un quart et le début du quart suivant de l’employé-e, s’applique à l’employé-e assujetti à l’horaire de travail modifié.

[...]

 

[149] Par conséquent, l’article 34 ne modifie pas et, en fait, renforce certaines dispositions de la clause 21.02, qui énonce les règles de l’horaire par quarts. Les dispositions étaient ainsi rédigées :

21.02 Lorsque le quart d’un-e employé-e est établi suivant un horaire irrégulier ou par roulement :

[...]

b. l’Employeur prendra toutes les mesures raisonnables possibles :

i. pour ne pas fixer le début du quart de travail dans les huit (8) heures qui suivent la fin du quart de travail précédent de l’employé-e,

ii. pour veiller à ce qu’un-e employé-e affecté à un cycle de quarts réguliers, ne doive pas changer de quart plus d’une fois au cours de ce cycle de quarts sans son consentement, sauf en situation d’urgence survenant dans un pénitencier. Un changement de quart suivi du retour au quart d’origine ne constitue qu’un seul changement,

et

iii. pour éviter toute variation excessive de la durée du travail.

[...]

 

[150] Selon la clause 21.02b)(i), l’employeur doit prendre toutes les mesures raisonnables possibles pour ne pas fixer le début du quart d’un employé dans les huit heures qui suivent la fin du quart de travail précédent de l’employé. J’ai entendu des témoignages selon lesquels cette obligation était respectée lorsque des heures supplémentaires étaient imposées, bien que le syndicat ait soutenu qu’une pause de huit heures entre les quarts de travail ne donnait pas à un employé suffisamment de temps pour se déplacer.

[151] La clause 21.02b)(ii) exige de l’employeur qu’il prenne toutes les mesures raisonnables possibles pour ne pas changer le quart de l’employé plus d’une fois par cycle, sauf si une urgence l’exige. La clause 21.02b)(iii) exige qu’il prenne toutes les mesures raisonnables possibles pour éviter toute variation excessive de la durée du travail.

[152] Je ne citerai pas toute l’annexe K, mais je pense qu’il est important de noter les dispositions suivantes, qui s’appliquent à la situation à Kent :

[...]

(B) Horaire de quarts de travail modifié (article 34)

Établir des horaires de quarts de travail permettant d’affecter des employé-e-s selon les heures de travail prévues dans la convention collective

Établir des horaires de quarts de travail qui permettent de répondre aux besoins opérationnels de l’établissement. Les besoins opérationnels actuels nécessitent des activités de sécurité de huit (8), seize (16) et vingt-quatre (24) heures et les horaires de quarts de travail doivent être établis en conséquence.

Affecter les employé-e-s aux besoins opérationnels connus. Par exemple : pour les horaires de de quarts de travail de douze virgule sept cinq (12,75) heures, la majorité des quarts doivent compter douze virgule sept cinq (12,75) heures pour les activités correctionnelles de douze (12) heures.

Pour maximiser l’utilisation des postes de remplacement, il ne devrait pas y avoir de chevauchement dans les horaires de quarts de travail. Il devrait y avoir une répartition équitable des postes de remplacement pour chaque jour de la semaine, c’est-à-dire des postes de remplacement de douze virgule sept cinq (12,75) heures pour des activités correctionnelles de douze (12) heures.

Les employé-e-s qui ont un horaire de quarts de travail modifié de douze (12) heures ou plus ne devraient pas être affectés à plus de quatre (4) quarts de travail consécutifs.

Les employé-e-s qui ont un horaire de quarts de travail modifié comportant un quart de travail de seize (16) heures devraient normalement être affectés à un seul quart de travail de seize (16) heures par cycle.

Le processus d’affectation des employé-e-s à un horaire de quarts de travail modifié doit être établi d’un commun accord au niveau du comité local patronal/syndical. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur un système de classement des priorités, les responsables de l’établissement devront désigner, parmi tous les employé-e-s intéressés par le poste qui satisfont aux exigences établies, celui qui a accumulé le plus grand nombre d’années de service à titre d’agent correctionnel.

[...]

 

[153] Ce libellé contient plusieurs principes importants. Les horaires de quarts doivent répondre aux besoins de l’établissement. En même temps, ils doivent respecter les dispositions de la convention collective relatives à la durée du travail. De nouveaux critères sont ajoutés; par exemple, le principe selon lequel un employé qui travaille un quart de 16 heures ne doit normalement travailler qu’un seul quart de ce genre par horaire. Il faut se rappeler que M. Raymond a témoigné que c’est ainsi que les horaires à Kent sont établis : normalement, les employés travaillent six jours de suite et font deux ou trois quarts de jour, suivis d’un quart de 16 heures, puis de deux ou trois quarts de nuit.

[154] Toutefois, le principe qui se démarque le plus est le dernier, soit que le processus d’affectation des employés aux horaires de quarts doit être déterminé d’un commun accord entre la direction et le syndicat au niveau local. Ce principe a été confirmé dans la décision de la Commission sur un grief de principe entre ces mêmes parties, soit Centre régional de traitement de l’Ontario, mentionnée précédemment.

[155] La relation entre les questions des heures supplémentaires, de la durée du travail et des horaires de quarts est abordée dans bon nombre des affaires que les parties m’ont présentées.

[156] Il faut se rappeler que, dans Canadian Paperworkers Union, l’employeur avait ordonné aux employés qui travaillaient chaque quart de jour le lundi de travailler une heure supplémentaire pour que les employés du quart soir entrant puissent assister à une réunion de sécurité obligatoire, ce qui permettait à l’usine de papier de continuer à fonctionner pendant la réunion. Dans cette affaire, le conseil d’arbitrage a reconnu que la convention collective pertinente autorisait l’imposition d’heures supplémentaires obligatoires, mais a conclu que l’action unilatérale de l’employeur enfreignait le libellé de la convention collective établissant un horaire de quarts fixe. Au paragraphe 25, le conseil a écrit ce qui suit :

[Traduction]

25 Selon l’essentiel de ces affaires, une clause négociée sur les droits de la direction (s’il y en a une – ici, il n’y en a pas) et un horaire de quarts négocié doivent être lus ensemble. À moins que la convention ne prévoie un droit qui éclipse totalement l’autre, un droit explicite ou implicite de prévoir des heures supplémentaires ne peut être exercé de manière aussi régulière, routinière et prévisible, de façon à modifier efficacement un horaire de travail négocié; l’interpréter ainsi au sens large nierait une clause négociée de la convention et la viderait de son sens. Les heures supplémentaires peuvent être prévues au besoin, mais un employeur ne peut pas faire des « heures supplémentaires » une partie obligatoire et routinière de l’horaire de travail régulier des employés sans modifier ainsi cet horaire. Et ce genre de changement nécessite le consentement du syndicat.

 

[157] L’employeur a fait valoir que la Commission a déterminé que les règles régissant l’établissement des quarts de travail ne s’appliquent pas aux heures supplémentaires. Dans Munroe c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 56, un fonctionnaire avait accepté d’assister à une séance de formation (en 2007) de 7 h à 15 h pendant des heures supplémentaires, avant le début d’un quart normalement prévu à l’horaire à 18 h 30 ce jour-là. Le fonctionnaire avait fait valoir qu’il n’aurait pas dû se présenter au travail avant 22 h 30 afin d’avoir une pause de huit heures. Tout en accueillant le grief pour motif de préclusion, la Commission a conclu qu’une pause de huit heures ne s’appliquait pas aux quarts normalement prévus à l’horaire, en précisant au paragraphe 16 ce qui suit :

16 La clause 21.02 de la convention collective s’applique lorsque les heures de travail des employés sont établies suivant un horaire irrégulier ou par roulement. Pour ces employés, l’employeur doit s’efforcer de ne pas prévoir le début d’un quart de travail moins de huit heures après la fin du quart précédent. Cette règle ne s’applique pas aux quarts faits en heures supplémentaires; elle s’applique plutôt aux quarts réguliers. De fait, la convention collective n’empêche pas un employé de faire un quart en heures supplémentaires qui débute ou se termine dans les huit heures d’un quart régulier [...]

 

[158] Dans Munroe, la Commission a poursuivi en citant Lauzon c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 126, soit la deuxième affaire invoquée par l’employeur. Dans Lauzon, l’employeur avait refusé les heures supplémentaires à quelqu’un en raison de la règle exigeant une pause de huit heures entre les quarts. La Commission a conclu que la décision de l’employeur était erronée. Elle a dit que la règle de la clause 21.02b) ne devrait pas s’appliquer aux heures supplémentaires.

[159] Toutefois, il est important d’examiner de près les motifs de la Commission dans Lauzon. Au paragraphe 23, elle a conclu que les heures supplémentaires en question étaient volontaires, comme suit :

23 Un employé visé par la convention collective travaille en moyenne 40 heures par semaine. Les clauses 21.01 à 21.09 ont notamment trait à la façon dont cet horaire de travail est fixé. La clause 21.02b)(i) impose à l’employeur une restriction quant à la fixation des heures de travail, en sorte qu’un employé, lorsque des mesures raisonnables peuvent être prises à cet effet, ne soit pas obligé de commencer un quart de travail moins de huit heures après la fin de son quart précédent. Une logique différente s’applique à la disponibilité des heures supplémentaires; c’est l’employé qui prend la décision d’être disponible, et non l’employeur. L’employé peut donc décider de se rendre disponible à n’importe quel moment, même si c’est moins de huit heures après la fin d’un quart précédent. Si les parties avaient voulu imposer pareille restriction aux employés, elles l’auraient spécifiée dans la clause 21.10 ou dans une autre clause de l’article 21 traitant des heures supplémentaires; or, elles ne l’ont pas fait.

[Je mets en évidence]

[160] La logique de la conclusion de la Commission est que lorsque les heures supplémentaires sont volontaires, le libellé sur la restriction des quarts ne s’applique pas, parce que l’employé prend la décision de travailler. La Commission a appliqué le même raisonnement dans Munroe, affirmant qu’elle aurait rejeté le grief sans les arguments du syndicat sur la préclusion.

[161] Le corollaire logique de ce principe est que lorsque les heures supplémentaires sont faites sur une base non volontaire et que l’employeur décide qu’elles seront effectuées, les restrictions relatives à l’horaire de quarts prévues à la clause 21.02 s’appliqueraient.

[162] Le libellé de l’annexe K doit également être pris en considération. Il stipule que les horaires de quarts doivent être établis au moyen d’un processus conjoint, sous réserve d’un accord au niveau local, sous réserve d’un examen et d’une certification au niveau national, et sous réserve de changements possibles uniquement dans le cadre de cette discussion conjointe. Combiné au libellé de l’article 21, l’objectif global est de donner au syndicat et à ses membres une voix forte dans le processus d’établissement des horaires de quarts et de réduire au minimum les perturbations involontaires du processus d’affectation afin que les employés puissent planifier leur vie en conséquence.

[163] Cette approche est également reflétée dans une autre affaire qui m’a été soumise par le syndicat, soit United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America, Local 1386 v. Strescon Ltd., 2019 CanLII 121448 (NB LA) (« Carpenters »). Il s’agissait d’une société privée qui avait ordonné à ses charpentiers de faire des heures supplémentaires sous forme de jours de 12 heures (du lundi au vendredi) et les samedis également, pour essayer de respecter un calendrier de production de cadres en bois pour un travail de production de béton. Les employés ont refusé de faire les heures supplémentaires. On leur a remis des lettres d’avertissement. En fin de compte, ils n’ont pas fait les heures supplémentaires; néanmoins, le grief de principe a fait l’objet d’un arbitrage.

[164] Le libellé de la convention collective pertinente était muet quant à savoir si l’employeur pouvait imposer des heures supplémentaires ou si elles devaient être faites sur une base volontaire. Toutefois, la clause sur les heures de travail stipulait que les heures normales de travail [traduction] « [...] doivent être composées de 40 heures, du lundi au vendredi, huit heures par jour » (citation tirée du paragraphe 6 de la décision). L’arbitre de différends a conclu que l’imposition par l’employeur d’heures supplémentaires, [traduction] « [...] si elles étaient répétées et imposées, seraient contraires à la convention collective » (au paragraphe 98).

[165] La décision de l’arbitre de différends découle de son analyse de la jurisprudence, dont il est fait état au paragraphe 76, comme suit :

[Traduction]

76 Comme il a été indiqué, lorsque l’imposition d’heures supplémentaires est devenue récurrente et soutenue, ce qui peut être obligatoire, il ne s’agit plus d’heures supplémentaires légitimes, mais d’un changement réel apporté aux « heures de travail » régulières ou normales. Il s’agit d’une situation où les arbitres de différends ont déterminé qu’il était juste et équitable d’examiner la nature et l’essence du travail supplémentaire, au cas par cas.

 

[166] La décision de l’arbitre de différends dans Carpenters reposait en grande partie sur une décision d’arbitrage similaire rendue dans Unisource Canada Inc. v. C.E.P., Local 539 (2005), [2005] A.G.A.A. No 123 (QL); 84 C.L.A.S. 287 (« Unisource »). Au paragraphe 95 de Carpenters, l’arbitre de différends approuve la conclusion de l’arbitre de différends dans Unisource, qui avait conclu ce qui suit au paragraphe 56 :

[Traduction]

56 [...] Bien qu’il ne fasse aucun doute que les exigences normales de l’entreprise exigeront un certain nombre d’heures supplémentaires, l’employeur doit organiser son effectif et ses activités de façon à ce que les heures supplémentaires obligatoires ne deviennent pas courantes et routinières au point de vider de son sens la semaine de travail de 40 heures, à laquelle il est contractuellement engagé. La façon dont il choisit d’organiser ses affaires pour atteindre cet objectif et se conformer au contrat relève de la direction tant que son approche est conforme à la convention collective.

 

[167] Je ferai remarquer que la décision de l’arbitre de différends dans Unisource reposait sur un ensemble de données et de témoignages riches en éléments de preuve concernant le nombre d’heures supplémentaires travaillées, en particulier que [traduction] « [...] le travail supplémentaire d’au moins plusieurs heures par semaine par employé est habituellement attendu au cours d’une année » (au paragraphe 40).

[168] Je ne dispose pas du même niveau de données au sujet des heures supplémentaires sur une base non volontaire à Kent que l’arbitre de différends dans Unisource. Il est donc plus difficile d’évaluer si le nombre d’heures supplémentaires sur une base non volontaire a atteint le point où il a rendu les dispositions relatives aux heures de travail [traduction] « vides de sens », comme l’a dit l’arbitre de différends dans Unisource.

[169] D’autre part, les CX font déjà un grand nombre d’heures supplémentaires sur une base volontaire. Bien qu’aucune donnée précise ne m’ait été présentée, les témoins du syndicat ont témoigné que des heures supplémentaires sont régulièrement offertes et sont régulièrement effectuées sur une base volontaire, non pas nécessairement parce que les employés veulent vraiment faire des heures supplémentaires, mais parce qu’il y a une volonté d’aider à s’assurer que les postes sont couverts. Toute heure supplémentaire sur une base non volontaire effectuée s’y ajoute. Je fais également remarquer que la décision de l’arbitre de différends dans Carpenters était une analyse purement théorique, effectuée en l’absence d’heures supplémentaires travaillées.

[170] Compte tenu de toute cette analyse, je conclus que l’utilisation soutenue et chronique d’heures supplémentaires sur une base non volontaire pour remédier aux pénuries de personnel constitue une violation de la convention collective. De toute évidence, la convention permet d’ordonner des heures supplémentaires sur une base non volontaire dans des situations d’urgence ou pour assurer l’accomplissement de fonctions de sécurité, comme l’obtention d’éléments de preuve. Elles peuvent également être utilisées légitimement pour remédier aux pénuries de personnel à court terme ou imprévues lorsque d’autres solutions de rechange pour doter les postes obligatoires n’existent pas, ce qui a été en fait mentionné dans la réplique de l’employeur à ce grief de principe. Cependant, la façon dont les heures supplémentaires sur une base non volontaire sont utilisées à Kent dépasse les limites du mécanisme permettant de doter les postes vacants et ce, sur une base soutenue et chronique. Ce faisant, compte tenu du libellé sur les heures supplémentaires des clauses 21.10 à 21.16 et de celui sur les heures de travail de l’article 34, de la clause 21.02 et de l’annexe K, je dois conclure que la pratique de l’employeur constitue une violation de la convention collective.

[171] Compte tenu de cette conclusion, je suis d’avis que la décision à Kent constituait un exercice déraisonnable des droits de la direction, et que ce motif est déterminant pour l’issue. Les éléments de preuve montrent clairement que le message prédominant de la direction aux CX est que des heures supplémentaires peuvent être nécessaires dans des situations d’urgence. La Politique sur la gestion des heures supplémentaires effectuées par les agents correctionnels stipule clairement que le gestionnaire épuisera [traduction] « toutes les options opérationnelles » avant d’envisager des heures supplémentaires. La description de travail des CX indique que [traduction] « Le titulaire peut être appelé à travailler pendant un certain nombre d’heures consécutives dans des situations exceptionnelles ou d’urgence ». Kent ne respecte pas cet énoncé. Le questionnaire de recrutement des CX dont il a été question plus tôt demandait aux employés éventuels s’ils étaient prêts à faire des heures supplémentaires à très court préavis en raison de « situations inattendues » et d’« incidents ». Aucun des documents de l’employeur ne mentionne que les employés doivent faire des heures supplémentaires en raison d’une pénurie de personnel. Enfin, la pratique antérieure à Kent a clairement démontré un engagement à maintenir les heures supplémentaires sur une base non volontaire à un minimum.

[172] Le syndicat a présenté des arguments convaincants selon lesquels il n’était pas raisonnable pour la direction de s’écarter de ses documents de politique nationale et de sa pratique antérieure à Kent.

D. Les objections de l’employeur concernant l’article de la convention collective sur la santé et la sécurité sont-elles fondées?

[173] Outre ses arguments concernant les articles de la convention collective portant sur les heures supplémentaires et la durée du travail, le syndicat a soutenu que la Commission devrait examiner le libellé de l’article 18, qui est rédigé comme suit :

18.01 L’Employeur prend toute mesure raisonnable concernant la santé et la sécurité au travail des employé-e-s. Il fera bon accueil aux suggestions du Syndicat à cet égard, et les parties s’engagent à se consulter en vue d’adopter et de mettre rapidement en œuvre toutes les procédures et techniques raisonnables destinées à prévenir ou à réduire les risques d’accidents ou de maladies reliés au travail.

 

[174] L’employeur s’est opposé à la compétence de la Commission de trancher ce grief en se fondant sur l’article de la convention collective portant sur la santé et la sécurité. Il a soutenu qu’un autre processus administratif pour porter plainte au sujet d’un lieu de travail dangereux existe, soit celui qui est prévu à l’article 127.1 du Code. Selon l’employeur, en vertu du paragraphe 220(2) de la Loi, le syndicat ne peut pas déposer de grief de principe lorsqu’un autre processus administratif existe et prévoit une mesure corrective. Le syndicat pouvait porter plainte en vertu du Code; il l’a d’ailleurs fait en l’espèce.

[175] Selon la preuve dont je dispose, le 2 août 2018, soit avant le dépôt du présent grief, le président local a déposé une plainte selon laquelle l’imposition d’heures supplémentaires sur une base non volontaire était dangereuse. Selon la plainte, la pause minimale de huit heures entre les quarts de travail ne permettait pas aux employés de se déplacer et de dormir suffisamment. La directrice de Kent a répondu à la plainte le 7 mai 2020. Elle a déterminé que l’imposition d’heures supplémentaires sur une base non volontaire n’était pas dangereuse. La section locale examine encore la question de savoir si elle s’adressera à Emploi et Développement social Canada pour contester la décision de la directrice.

[176] L’employeur a également soutenu que Ristivojevic c. Agence du revenu du Canada, 2020 CRTESPF 79 appuie la proposition selon laquelle l’article sur la santé et la sécurité de la convention collective n’est que consultatif et ne crée pas de droits substantifs (aux paragraphes 242 à 244).

[177] Le syndicat a soutenu que son cas ne repose pas sur l’article portant sur la santé et la sécurité. Il a déclaré qu’il ne demande pas à la Commission de décider si le Code a été enfreint. Toutefois, l’article fait partie de la convention collective. Lors de l’interprétation de cette convention, la Commission doit en tenir compte dans son intégralité. Les témoins du syndicat ont fait valoir que les heures supplémentaires sur une base non volontaire sont une préoccupation majeure des employés, qu’elles ont des répercussions sur la santé et que les employés sont stressés au travail, ce qui entraîne un plus grand nombre de congés et une plus grande imposition d’heures supplémentaires. Le syndicat a soutenu qu’il s’agissait d’un cercle vicieux.

[178] Le syndicat a également soutenu qu’il existe une jurisprudence indiquant que des griefs peuvent être déposés relativement à l’article sur la santé et la sécurité de la convention collective. Les décisions Galarneau c. Canada (Procureur général), 2004 CF 718, et Galarneau c. Canada (Procureur Général), 2005 CF 39, portaient sur une demande de certains CX visant à intenter un recours collectif sur l’incidence de la fumée secondaire. La Cour fédérale y a rejeté la demande, concluant que Mme Galarneau pourrait déposer un grief au sujet de l’article sur la santé et la sécurité et le faire renvoyer à la Commission pour arbitrage.

[179] Je ne trouve pas que l’objection de l’employeur est fondée. Le grief de principe vise clairement les heures supplémentaires sur une base non volontaire. Il n’allègue pas une violation du Code. Je reconnais les préoccupations du syndicat en matière de santé et de sécurité, mais elles ne sont pas la question centrale du présent grief. Cela dit, la Commission doit interpréter chaque article dans le contexte de la convention collective dans son ensemble, et l’article sur la santé et la sécurité tient compte d’un engagement important des parties à discuter des préoccupations soulevées par le syndicat et à y donner suite. La santé et la sécurité sont reconnues comme importantes dans le bulletin de l’employeur sur les heures de travail excessives (no 2006-02). Toutefois, ma décision en l’espèce ne repose pas sur l’article 18. Mon analyse repose sur l’interprétation correcte des articles 21 et 34 et de l’annexe K.

E. Quelle ordonnance la Commission devrait-elle rendre dans l’éventualité où une violation de la convention collective est constatée?

[180] Le pouvoir de la Commission de rendre une ordonnance dans le présent grief de principe est restreint par l’article 232 de la Loi, puisque ce grief de principe fait également l’objet de griefs individuels. L’article est rédigé comme suit :

232 Dans sa décision sur un grief de principe qui porte sur une question qui a fait ou aurait pu faire l’objet d’un grief individuel ou d’un grief collectif, l’arbitre de grief ou la Commission ne peut prendre que les mesures suivantes:

a) donner l’interprétation ou l’application exacte de la convention collective ou de la décision arbitrale;

b) conclure qu’il a été contrevenu à la convention collective ou à la décision arbitrale;

c) enjoindre à l’employeur ou à l’agent négociateur, selon le cas, d’interpréter ou d’appliquer la convention collective ou la décision arbitrale selon les modalités qu’il fixe.

 

[181] Le processus décisionnel de la Commission est également limité par l’article 229 de la Loi, qui est rédigé comme suit :

229 La décision de l’arbitre de grief ou de la Commission ne peut avoir pour effet d’exiger la modification d’une convention collective ou d’une décision arbitrale.

 

[182] Ces restrictions, en plus de la nature de l’affaire, limitent la portée de l’ordonnance que je peux rendre.

[183] J’ai remarqué que les parties ont abordé cette affaire sous des angles fondamentalement différents. Le syndicat a commencé par faire valoir qu’aucune heure supplémentaire sur une base non volontaire ne devrait jamais être ordonnée, tandis que l’employeur a soutenu que l’imposition de ces heures relève des droits de la direction, étant donné sa position selon laquelle la convention collective est [traduction] « muette » en ce qui concerne les heures supplémentaires sur une base non involontaire.

[184] Je suis d’avis qu’aucun de ces arguments n’est défendable, compte tenu de la convention collective. J’ai conclu que, même si l’employeur a la possibilité d’imposer des heures supplémentaires sur une base non volontaire dans des situations d’urgence ou pour répondre à des exigences de sécurité, l’utilisation soutenue et chronique des heures supplémentaires sur une base non volontaire pour remédier à ce qui semble être une pénurie de personnel n’est pas conforme à la convention collective.

[185] Une solution évidente au problème de pénurie de personnel est que la direction de Kent reprenne l’utilisation, ou du moins l’utilisation plus active, des ajustements opérationnels nécessitant un changement de routine lorsqu’elle est confrontée au problème des postes vacants. La preuve du syndicat a révélé un lien direct entre le retrait de cette option par la direction et l’utilisation accrue des heures supplémentaires sur une base non volontaire.

[186] Toutefois, la Commission ne peut pas ordonner au SCC de reprendre une utilisation plus active des ajustements opérationnels à Kent pour remédier aux pénuries de personnel. La convention collective ne contient aucun libellé sur l’utilisation des ajustements opérationnels, et l’article 229 de la Loi m’empêche de rendre une ordonnance qui exige une modification à la convention collective.

[187] Même si je pouvais rendre une telle ordonnance, la question de savoir quand les routines opérationnelles touchant les détenus devraient être modifiées relève de l’expertise des parties. Il incombe à la direction d’assumer des fonctions opérationnelles tout en tenant compte des besoins des détenus et du personnel.

[188] La section locale du syndicat a également démontré qu’elle comprenait clairement quels ajustements opérationnels étaient possibles en vertu des normes de mutation de l’employeur et qu’elle avait fait un effort évident pour essayer de travailler avec la direction locale sur cette question.

[189] Les parties doivent discuter de la question de savoir comment et quand il est possible d’utiliser plus fréquemment les ajustements opérationnels pour réduire les heures supplémentaires sur une base non volontaire et la résoudre.

[190] Une autre solution évidente au problème auquel Kent est confronté serait d’embaucher plus de CX ou de créer plus de postes de relève. Encore une fois, la Commission ne peut pas ordonner à l’employeur de le faire. Les niveaux de dotation ne sont pas établis dans la convention collective, et je ne peux pas les ajouter.

[191] En outre, une fois de plus, les parties détiennent l’expertise. M. Velichka a longuement témoigné sur la relation entre les normes de mutation du SCC et la formule utilisée pour calculer le nombre de membres du personnel qu’il doit embaucher dans chaque établissement. La section locale comprend également bien les besoins en personnel, compte tenu de son rôle dans l’établissement conjoint de l’horaire de quarts.

[192] Bien qu’il semble évident qu’il puisse y avoir un problème à Kent en ce qui concerne la façon dont fonctionne la formule de dotation, étant donné l’utilisation soutenue et chronique des heures supplémentaires sur une base non volontaire, le bon endroit pour discuter du problème est aux réunions du comité syndical-patronal des parties.

[193] J’ai examiné la mesure corrective proposée par le syndicat, à savoir que tous les employés qui ont été obligés de faire des heures supplémentaires sur une base non volontaire soient indemnisés d’un congé payé. Bien qu’il reconnaisse que les employés ont reçu une rémunération au taux des heures supplémentaires pour ce travail, le syndicat a soutenu que les heures supplémentaires sur une base non volontaire ont soustrait les employés de leurs responsabilités familiales et personnelles et que le paiement de ces heures est le seul moyen de leur rendre ces périodes. Il a soutenu que la Cour fédérale a confirmé la capacité d’un arbitre de griefs de se prononcer sur la rémunération, dans le contexte d’un grief de principe, dans Canada (Procureur général) c. Guilde de la Marine Marchande du Canada, 2009 CF 344.

[194] Je ne crois pas qu’il soit approprié pour moi d’accorder la compensation demandée par le syndicat. Tout d’abord, j’ai conclu que les impositions d’heures supplémentaires sur une base non volontaire n’enfreignent pas toutes la convention collective. Deuxièmement, le niveau de preuve présenté ne permettrait tout simplement pas à la Commission d’examiner la question de savoir si des impositions particulières des heures supplémentaires étaient « raisonnables », selon le libellé de la convention collective. Troisièmement, il est clair que les parties ne disposent pas d’un ensemble de données fiables sur le moment où des heures supplémentaires sur une base non volontaire ont été ordonnées, ce qui signifie que toute mesure corrective de ce genre serait difficile à mettre en œuvre sur le plan administratif. Enfin, et c’est le plus important, il reste que les employés qui ont fait des heures supplémentaires sur une base non volontaire ont déjà été payés au tarif 1,75.

[195] Je comprends que des griefs individuels restent en suspens. Même si je voulais que le présent grief de principe serve de moyen plus efficace de régler le différend, ces griefs peuvent être l’outil le plus approprié pour permettre aux parties de déterminer les impositions qui étaient raisonnables et déraisonnables.

[196] Comme j’ai constaté que la convention collective n’empêche pas l’employeur d’ordonner des heures supplémentaires dans certaines circonstances, je ne peux pas non plus rendre l’ordonnance de cesser et de s’abstenir demandée par le syndicat.

[197] Par conséquent, mon ordonnance se limite à une déclaration selon laquelle l’imposition d’heures supplémentaires sur une base non volontaire de façon soutenue et chronique constitue une violation de la convention collective. L’employeur a établi qu’il peut ordonner des heures supplémentaires dans des situations d’urgence et pour accomplir des tâches après un quart de travail, et j’accepte qu’un poste vacant subitement puisse constituer une urgence qui exige l’imposition d’heures supplémentaires. Cependant, l’utilisation continue d’heures supplémentaires sur une base non volontaire pour remédier à ce qui est une pénurie chronique de personnel n’est pas conforme à la convention collective.

[198] En formulant cette déclaration et sans rendre d’ordonnance, il se trouve que je suis d’accord avec l’arbitre de différends dans Carpenters, qui a terminé sa décision (au paragraphe 98) comme suit :

[Traduction]

98 Bien que je ne sois pas disposé à rendre une décision favorable sur la réparation demandée par le syndicat, je valide le grief dans la mesure où je déclare que l’imposition d’heures supplémentaires de la manière décrite dans le formulaire de grief, si elle est répétée et imposée, serait contraire à la convention collective. Bien que cela puisse sembler coûteux aux parties, cela pourrait, à mon avis, leur être utile à l’avenir.

 

[199] La solution à ce différend repose sur le processus de consultation syndical-patronal. J’encourage vivement les parties à intensifier leurs efforts au niveau local. Compte tenu des difficultés qu’elles ont éprouvées, elles pourraient peut-être bénéficier d’un apprentissage conjoint sur l’efficacité de la consultation syndicale-patronale ou de l’utilisation de services de médiation préventive.

[200] Je ferai une dernière recommandation. Étant donné l’importance de cette question comme point de conflit entre le syndicat et la direction, le SCC devrait améliorer les systèmes de rapports qui permettent de suivre les heures supplémentaires sur une base non volontaire. Le système créé à Kent était loin d’être fiable et complet, selon le syndicat. Aucun gestionnaire local n’a été appelé pour témoigner de son exactitude. Le seul moyen de donner une image globale des heures supplémentaires sur une base non volontaire travaillées était pour M. Hammond de transcrire manuellement ces rapports dans un calendrier. D’après la preuve dont je dispose, je reconnais que c’est un problème grave.

[201] J’ai noté plus haut que M. Kearney a témoigné que le SCC avait modifié le SPS après la publication de la décision de la Commission dans Baldasaro, afin que les heures supplémentaires sur une base volontaire et non volontaire puissent être suivies. Il a également témoigné que les rapports sur les heures supplémentaires étaient accessibles aux agents syndicaux locaux. M. Raymond a contesté ce fait, déclarant que le SHD ne lui offre pas de rapports globaux sur le nombre d’heures supplémentaires que ses membres effectuent.

[202] Je me contenterai de réitérer l’évaluation de la Commission dans Baldasaro selon laquelle le manque d’échange efficace de renseignements entre les parties sur la question des heures supplémentaires contribue à des relations de travail conflictuelles. Je répéterai aussi la recommandation de la Commission selon laquelle « [i]l y aurait lieu de faire rapport et de discuter de façon continue, plus transparente, plus intelligible et plus systématique avec le syndicat » (au paragraphe 73).

F. La Commission devrait-elle mettre sous scellés les pièces demandées par l’employeur?

[203] L’employeur a demandé que j’ordonne la mise sous scellés des pièces figurant dans le recueil conjoint de documents des parties qui contiennent des renseignements sur les normes de mutation des CX et les plans d’ajustements opérationnels à Kent. Quatre pièces étaient en format PDF, dont une était également fournie en format Microsoft Excel, que j’ai marquée comme pièce distincte. Le syndicat n’a fait aucune observation sur la demande de l’employeur.

[204] Normalement, les dossiers de la Commission sont accessibles au public, conformément au principe de transparence judiciaire et à sa Politique sur la transparence et la protection de la vie privée. Toutefois, la Commission peut envisager de sceller des pièces comme étant confidentielles lorsque c’est justifié.

[205] Le critère juridique applicable est généralement appelé le critère Dagenais/Mentuck (en référence à Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 RCS 835, et R. c. Mentuck, 2001 CSC 76). Ce critère a été élaboré dans le contexte du droit pénal. La Cour suprême du Canada a reformulé le critère dans Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, au paragraphe 53, dans le contexte d’une procédure de droit administratif. Dans Canada (Procureur général) c. Philps, 2019 CAF 240, la Cour d’appel fédérale a déterminé que le critère à appliquer est celui énoncé dans Sierra Club.

[206] La Cour suprême a conclu que les ordonnances de confidentialité ne devraient être rendues que si elles sont nécessaires pour éviter un risque sérieux à un intérêt important. Le risque en question doit être réel et important. Le décideur doit également évaluer la question de savoir si les effets bénéfiques (ou avantages) du maintien de la confidentialité de certains renseignements l’emportent sur les effets préjudiciables (ou négatifs) de la prévention de l’accès du public aux procédures judiciaires.

[207] En l’espèce, les pièces en question concernent d’importantes procédures de sécurité au sein du SCC. Je suis convaincu que le fait de les rendre publiques pourrait compromettre la sécurité des détenus, des employés et du public. Le maintien de la confidentialité de ces renseignements l’emporte sur l’intérêt public de connaître les détails des procédures de sécurité dans le cadre de la présente instance. Bien que les présents motifs de décision portent sur le contenu des pièces à un niveau général, je crois qu’elles peuvent être comprises sans que le public ait accès aux pièces en question.

[208] Par conséquent, j’ordonne la mise sous scellés des cinq pièces.

[209] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[210] Le grief est accueilli en partie. La Commission déclare que l’imposition soutenue et chronique d’heures supplémentaires sur une base non volontaire constitue une violation de la convention collective.

[211] Les onglets 15, 16, 17 et 20 de la pièce J-2 (« Recueil conjoint de documents – Volume II ») et la pièce J-5 (la version Excel de l’onglet 16 de la pièce J-2) sont mis sous scellés.

Le 4 mars 2021.

Traduction de la CRTESPF

David Orfald,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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