Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La présente décision provisoire porte sur la demande de l’employeur d’obtenir une ordonnance de production de tout le dossier médical de la fonctionnaire s’estimant lésée, ainsi que ses fiches médicales, ses résultats d’analyses et ses notes cliniques en la possession de son médecin traitant – la principale question dont la Commission était saisie était celle de savoir si l’employeur avait pris des mesures d’adaptation lors du retour au travail de la fonctionnaire s’estimant lésée conformément à la convention collective et à la Loi canadienne sur les droits de la personne – la Commission a conclu que la demande de divulgation des renseignements médicaux de la fonctionnaire s’estimant lésée n’était pas pertinente au processus d’adaptation qui s’est déroulé à son retour au travail – pour prouver que les documents demandés étaient pertinents, l’employeur devait démontrer que les documents et les griefs dont la Commission était saisie étaient rationnellement liés, ce qui signifie qu’il doit y avoir une possibilité réaliste que les documents soient pertinents à une question en litige – la simple spéculation quant à leur pertinence éventuelle ne suffit pas – l’information que la fonctionnaire s’estimant lésée peut avoir fournie au médecin au sujet de son état ou de son travail, à laquelle le médecin a pu se fier, n’était pas pertinente à la question de savoir quelles étaient ses limitations fonctionnelles, leur durée et son pronostic général, qui, comme l’indique la politique de l’employeur en matière de prise de mesures d’adaptation, est l’information pertinente à une analyse des mesures d’adaptation – par leur nature même, les dossiers médicaux d’une personne sont confidentiels – la demande de tout le dossier médical peut constituer une recherche à l’aveuglette.

Demande de production modifiée rejetée.

Contenu de la décision

Date : 20210312

Dossiers : 566-02-11685 à 11687,

12194 et 12195

 

Référence : 2021 CRTESPF 26

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

enTRE

 

TRACY DREW

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

CONSEIL DU TRÉsOR

(Service correctionnel du Canada)

 

employeur

Répertorié

Drew c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : Chantal Homier-Nehmé, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Corinne Blanchette, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des Agents Correctionnels du Canada – CSN (UCCO-SACC-CSN)

Pour l’employeur : Alexandre Toso, avocat

 

Affaire entendue par vidéoconférence à Abbotsford (Colombie‑Britannique) et à

Ottawa (Ontario) le 16 octobre et le 26 novembre 2020.

(Arguments écrits déposés les 23 et 30 octobre,

le 2 novembre et les 7, 15 et 21 décembre 2020.)

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction

[1] Tracy Drew, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), a déposé cinq griefs concernant son retour au travail après un long congé non payé pour raisons médicales. Au moment du dépôt de ces griefs, la fonctionnaire était agente correctionnelle de niveau 2 à l’Établissement du Pacifique (l’« établissement ») du Service correctionnel du Canada à Abbotsford, en Colombie-Britannique. La présente décision provisoire traite de la demande du Conseil du Trésor du Canada (l’« employeur ») d’une ordonnance de production de tout le dossier médical de la fonctionnaire, accompagné des fiches médicales, des résultats d’analyses et des notes cliniques la concernant et qui sont en la possession de sa médecin traitante.

[2] Le 3 juin 2015, la fonctionnaire a déposé trois griefs. Le premier allègue ce qui suit :

[Traduction]

La direction n’a pas respecté l’entente conclue le 2 février 2015 concernant les mesures d’adaptation liées à mon retour au travail. Le 11 mai 2015, j’ai reçu des renseignements de la direction qui indiquaient clairement que je pouvais retourner au travail à temps plein à compter du 30 mars 2015. En date du 28 mai 2015, la direction continue à manquer de bonne foi quant à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, et je n’ai toujours pas reçu de date de début ni d’horaire aux fins de mon retour au travail soutenu par des mesures d’adaptation.

 

[3] En guise de mesure corrective, la fonctionnaire demande ce qui suit :

[Traduction]

[...] A) un retour au travail dans les plus brefs délais, à temps plein, et conformément aux mesures d’adaptation convenues lors de la rencontre du 2 février 2015. Je demande aussi le remboursement des heures que j’aurais pu travailler à compter du 30 mars 2015. Je devais travailler à temps plein en étant inscrite sur une liste pour effectuer des quarts de 12 heures, les soirs et les fins de semaine seulement. B) Je demande la prime de quart associée à ces heures, ainsi que les heures de congé de maladie et les heures de vacances que j’aurais acquises. Et C), je demande une rémunération conforme au minimum d’heures payées pour avoir participé aux rencontres de retour au travail auxquelles j’ai assisté.

 

[4] Le deuxième grief a trait aux allégations de harcèlement psychologique découlant du défaut présumé de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation en vue du retour au travail de la fonctionnaire. Dans ce grief, la fonctionnaire déclare ce qui suit :

[Traduction]

La direction a fourni des renseignements contradictoires au sujet des exigences applicables à mon retour au travail. De plus, la direction n’a pas participé de bonne foi aux rencontres de retour au travail (RT) me concernant. La direction a interprété étroitement mes exigences en matière de mesures d’adaptation. Cette manière d’interpréter mes exigences a contribué à créer des rencontres de RT de nature non consensuelle. La direction a davantage cherché à bloquer mon retour au travail qu’à le faciliter. L’effet cumulatif satisfait à la définition du harcèlement psychologique, conformément au Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada.

[...]

La mesure corrective que je demande est un règlement financier. Une grande détresse peut être attribuée à la différence de pouvoir et à la pression financière que j’ai subies. Le montant des dommages devra être déterminé par le représentant qui sera désigné pour moi ultérieurement dans le cadre des négociations avec la direction de l’établissement et du CRT. J’exige en outre la garantie par écrit que la direction ne me traitera plus de façon inéquitable.

 

[5] Le troisième grief porte sur des allégations de représailles subies par suite du dépôt d’une plainte de la fonctionnaire auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. La fonctionnaire y déclare ce qui suit :

[Traduction]

La direction a adopté un comportement de représailles, par suite d’une plainte déposée auprès de la Commission des droits de la personne, comme le démontrent les efforts qu’elle a déployés pour bloquer mon retour au travail. La direction est consciente de la différence de pouvoir entre elle et moi, ainsi que de la détresse financière dans laquelle je me trouve, qui est exacerbée par le fait que la direction retarde mon retour au travail.

[...]

La mesure corrective que je demande est la cessation immédiate de ces pratiques qui ont entraîné un retard injustifié à me permettre de retourner au travail.

[6] Le quatrième grief concerne les allégations de la fonctionnaire selon lesquelles l’employeur s’est fondé, en ces termes, sur son échec à l’accréditation au tir à l’arme de poing pour ne pas avoir facilité son retour au travail :

[Traduction]

La direction a prétendu que mon échec au tir à l’arme de poing (même si l’« échec » est contesté) avait retardé mon retour au travail. Entre‑temps, même si le grief concernant l’« échec » est en cours, j’ai demandé le 5 mai 2015 une autre date aux fins de la formation au tir à l’arme de poing. Des dates de formation ont été disponibles depuis lors, mais aucune autre possibilité ne m’a été offerte.

[...]

La mesure corrective que je demande est le renvoi immédiat de mon grief au processus d’arbitrage afin qu’il soit entendu à l’extérieur de la direction de cet établissement et la possibilité immédiate de suivre une nouvelle formation au tir à l’arme de poing.

[Le passage en évidence l’est dans l’original.]

 

[7] Le cinquième grief allègue en ces termes le défaut présumé de l’employeur de faciliter le retour au travail de la fonctionnaire, alors que ses collègues se voyaient offrir d’autres possibilités de travail :

[Traduction]

J’ai été avisée (le 11 juin 2015) du fait que la direction avait offert des possibilités de travailler dans d’autres secteurs de l’établissement à d’autres agents qui retournaient au travail. Ces possibilités procurent un revenu à ces agents pendant qu’ils attendent de retourner au front. J’ai clairement exprimé ma détresse financière et je ne me suis pas vu offrir une telle possibilité.

[...]

La mesure corrective que je demande est la possibilité immédiate de retourner au travail et de toucher un revenu.

 

[8] Les griefs portent essentiellement sur le défaut présumé de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation pour la fonctionnaire afin de faciliter son retour au travail du 2 février au 6 août 2015. Elle est retournée au travail à temps plein le 7 août 2015.

[9] Par conséquent, la question dont la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») est saisie consiste à déterminer si l’employeur a manqué à son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de la fonctionnaire à compter du 2 février 2015 et jusqu’à son retour au travail à temps plein, en août 2015. Les seuls documents médicaux potentiellement pertinents à la question à trancher sont les renseignements que les parties ont échangés au cours de cette période.

[10] Veuillez noter que, dans la présente décision, le terme « Commission » désigne la Commission actuelle et toutes celles qui l’ont précédée.

[11] Pour les motifs énoncés ci‑dessous, je ne suis pas convaincue que les documents demandés et les principales questions en litige devant la Commission sont liés de manière rationnelle. L’employeur n’a pas établi en quoi ces documents pouvaient être pertinents aux principales questions.

II. Contexte

[12] Les griefs avaient été mis au rôle du 28 avril au 1er mai 2020, à Abbotsford, en Colombie-Britannique. L’audience a été remise en raison de la pandémie de COVID-19. Lorsque la Commission a repris ses activités par vidéoconférence, au cours de l’été 2020, j’ai communiqué avec les parties afin de déterminer leur intention de poursuivre l’affaire. Elles ont confirmé leur intention de poursuivre et la Commission a communiqué avec elles afin de sonder leurs dates de disponibilité les plus rapprochées pour une conférence de gestion de cas.

[13] Le 12 octobre 2020, j’ai tenu une conférence de gestion de cas visant à mettre ces questions au rôle et à discuter de la procédure à l’audience. Pendant la conférence, l’employeur a mentionné qu’il présenterait une demande de divulgation de tous les dossiers médicaux de la fonctionnaire, des dossiers de la Sun Life et des dossiers du Régime de pensions du Canada (RPC). La fonctionnaire s’y est opposée au motif qu’il s’agit de renseignements confidentiels qui ne sont pas en sa possession et qui ne sont pas pertinents aux questions dont la Commission est saisie. J’ai invité l’employeur à présenter sa demande par écrit, accompagnée d’arguments écrits à l’appui, afin d’obtenir une ordonnance de production de la Commission. La fonctionnaire s’est vu offrir la possibilité de répondre. L’employeur a eu la possibilité de rétorquer.

[14] Le 26 novembre 2020, j’ai tenu une autre conférence de gestion de cas lors de laquelle j’ai offert aux parties la possibilité de présenter oralement des arguments supplémentaires et de m’aider à mieux comprendre les questions dont la Commission est saisie. Sur ce fondement, j’ai invité l’employeur à soumettre de nouveau sa demande de divulgation et à expliquer en quoi les documents demandés sont potentiellement liés aux griefs dont la Commission est saisie. Le 7 décembre 2020, l’employeur a présenté une demande modifiée, accompagnée d’arguments écrits. Le 15 décembre 2020, la fonctionnaire a répondu à la deuxième demande de divulgation. L’employeur a rétorqué brièvement le 21 décembre 2020.

III. Faits au dossier, comme allégués par les parties dans leurs arguments

[15] Au milieu de l’année 2012, la fonctionnaire a pris un congé non payé à long terme pour des raisons médicales. Pendant cette période, elle a demandé et reçu des prestations d’invalidité. En juin 2014, l’employeur lui a envoyé une lettre indiquant en détail les possibilités applicables à son poste. À la fin de 2014, la fonctionnaire a communiqué avec l’employeur afin d’entreprendre un processus de retour au travail. En février 2015, elle a signé une entente de retour au travail prévoyant des mesures d’adaptation, et elle a accepté d’achever intégralement la formation et le renouvellement de la certification au tir, puis de suivre une formation de rappel sur la sécurité personnelle, avant de retourner au travail à temps plein.

[16] La fonctionnaire a allégué que, le 3 février 2015, une rencontre avait eu lieu afin de discuter de son retour au travail. Lors de cette rencontre, l’employeur avait confirmé qu’il n’avait pas besoin d’obtenir de plus amples renseignements médicaux. La fonctionnaire prétend que l’employeur a accepté de l’affecter au poste principal de contrôle et des communications. Selon l’entente qui a été conclue, la fonctionnaire devait suivre la formation d’agente correctionnelle et la formation du poste principal de contrôle et des communications. Le 5 février 2015, la fonctionnaire a échoué à l’examen de renouvellement de la certification au tir au pistolet.

[17] Le 4 mars 2015, la fonctionnaire a pris un congé de maladie non payé de deux semaines. Le 23 avril 2015, l’employeur a effectué un suivi auprès d’elle et il a demandé des renseignements sur son état de santé. Le 11 mai 2015, l’employeur a confirmé que la fonctionnaire était apte à travailler à temps plein, avec des mesures d’adaptation, à compter du 30 mars 2015. Le 20 mai 2015, l’employeur s’est renseigné auprès de la fonctionnaire au sujet de son besoin de travailler dans un environnement à température contrôlée. La fonctionnaire a allégué que, en date du 28 mai 2015, elle n’avait pas obtenu les mesures d’adaptation et qu’aucune date n’avait été fixée pour son retour au travail.

[18] Le 3 juin 2015, la fonctionnaire a déposé les trois premiers griefs contestant le défaut présumé de l’employeur de respecter l’entente de retour au travail conclue en février 2015, le harcèlement psychologique découlant du défaut présumé de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation pour son retour au travail, et les présumées représailles de l’employeur parce qu’elle avait présenté une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Le 22 juin 2015, l’employeur et la fonctionnaire se sont rencontrés au sujet du retour au travail de cette dernière. L’employeur a demandé un compte rendu détaillé des contraintes médicales d’ordre physique et cognitif de l’employée qui s’appliquaient au travail sous toutes ses formes.

[19] Le 13 juillet 2015, la fonctionnaire a déposé un grief contre l’employeur parce qu’il se serait fondé sur son échec à l’examen de certification au tir pour ne pas faciliter son retour au travail. La fonctionnaire a aussi déposé un grief contestant le défaut présumé de l’employeur de la réintégrer dans ses fonctions, même si ses collègues se voyaient offrir d’autres possibilités de travail.

[20] Le 21 juillet 2015, la médecin de la fonctionnaire a confirmé que celle‑ci avait besoin de travailler dans un environnement à température contrôlée, afin d’éviter les températures trop chaudes. La médecin traitante a déclaré ce qui suit : [traduction] « [...] Tracy peut s’acquitter correctement de ses fonctions et responsabilités, à condition de commencer ses quarts après 14 h en raison du problème de santé qui affecte son cycle veille‑sommeil ».

[21] Le 6 août 2015, la fonctionnaire a réussi l’examen de renouvellement de la certification au tir au pistolet et elle a été inscrite à l’horaire de travail en vigueur le 7 août 2015. Elle est retournée au travail à temps plein.

[22] Le 23 septembre 2015, la fonctionnaire a consenti à faire l’objet d’une évaluation de Santé Canada et à ce que l’employeur discute directement avec sa médecin traitante. Cependant, le 13 octobre 2015, elle a révoqué son consentement à faire l’objet d’une évaluation de Santé Canada.

IV. Résumé de l’argumentation

A. La demande de production initiale de l’employeur

[23] À la suite de la conférence de gestion de cas tenue le 12 octobre 2020, l’employeur a demandé, le 23 octobre 2020, la divulgation de [traduction] « [...] tous les renseignements médicaux potentiellement pertinents à la question des mesures d’adaptation et du retour au travail, y compris, mais sans s’y limiter », les documents suivants :

[Traduction]

[...]

• le dossier médical concernant la fonctionnaire qui est en la possession de la Dre Fadyeyeva, notamment tous les documents sur lesquels elle a pu s’appuyer pour rédiger les notes médicales ou les lettres relatives à la fonctionnaire;

• le dossier médical concernant la fonctionnaire qui est en la possession du Dr Hyams, notamment tous les documents sur lesquels il a pu s’appuyer pour rédiger les notes médicales ou les lettres relatives à la fonctionnaire;

• le dossier médical concernant la fonctionnaire qui est en la possession de ses psychologue et psychiatre traitants, notamment tous les documents sur lesquels ils ont pu s’appuyer pour rédiger les notes médicales ou les lettres relatives à la fonctionnaire;

• les dossiers de la SunLife concernant la fonctionnaire, notamment les demandes, les décisions et les appels concernant le versement des prestations d’invalidité à la fonctionnaire;

• les dossiers du Régime de pensions du Canada concernant la fonctionnaire, notamment les demandes, les décisions et les appels concernant le versement des prestations d’invalidité à la fonctionnaire;

Depuis le départ en congé à long terme de la fonctionnaire au milieu de l’année 2012, et ce jusqu’en 2016.

[...]

 

[24] L’employeur prétend qu’il est en droit de vérifier si et dans quelle mesure le ou les problèmes de santé de la fonctionnaire l’ont empêché de retourner au travail ou d’accepter les mesures d’adaptation qu’il lui avait offertes, et d’examiner les renseignements sur lesquels la médecin praticienne s’est fondée pour émettre les notes médicales à son intention. De plus, l’employeur fait valoir que les décisions de la SunLife et du RPC selon lesquelles la fonctionnaire devait recevoir ou non des prestations d’invalidité sont pertinentes à l’égard du type de mesure d’adaptation qu’il pourrait offrir. Cet examen permettrait aussi de vérifier si les renseignements médicaux présentés à l’appui des prestations d’invalidité sont compatibles avec ceux présentés à l’appui du processus de retour au travail. La fonctionnaire a certainement obtenu durant ce processus des renseignements médicaux dont elle aurait pu faire part à l’employeur afin de faciliter son retour au travail.

[25] Il ressort clairement de la jurisprudence qu’à cette étape des procédures préalables à l’audience, l’employeur doit seulement démontrer qu’il existe une possibilité réaliste que les documents soient pertinents à une question en litige dans une affaire dont est saisie la Commission. L’employeur s’appuie sur le raisonnement suivi dans Canada (Procureur général) c. Quadrini, 2011 CAF 115, au paragraphe 37; Gallinger c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2020 CRTESPF 54, aux paragraphes 16 et 17; et Lapointe c. Agence du revenu du Canada, 2020 CRTESPF 19, aux paragraphes 56 à 97. La fonctionnaire a mis sa santé en cause dans la présente procédure de novo. Pour ce motif, l’employeur a droit à la divulgation de tout renseignement médical potentiellement pertinent. L’employeur cite Schwartzenberger c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2011 CRTFP 4, aux paragraphes 34 à 36.

[26] L’employeur soutient que la fonctionnaire tente de lui imputer le fardeau du retard lié à son retour au travail. La fonctionnaire allègue que le défaut de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de son problème de santé a entraîné des retards. Les cinq griefs ont tous été déposés en vertu de l’article de [traduction] « non‑discrimination » de la convention collective pertinente. Par conséquent, il est difficile de voir comment la fonctionnaire pourrait soutenir que les renseignements médicaux sur lesquels elle s’est fondée pour présenter ses demandes d’indemnités ne sont pas à tout le moins potentiellement pertinents à la présente affaire. L’employeur fait valoir que la divulgation ne causera aucun préjudice. De plus, il affirme qu’il prendrait des mesures de confidentialité afin d’assurer la protection des renseignements.

B. La réponse de la fonctionnaire à la demande de production initiale de l’employeur

[27] Le 30 octobre 2020, la fonctionnaire a répondu à la demande de production initiale de l’employeur. Elle affirme que, pendant la réunion concernant son retour au travail tenue le 3 février 2015, elle a demandé à l’employeur s’il avait besoin d’autres documents en plus des notes médicales qu’elle avait présentées. L’employeur l’a informé qu’il n’avait besoin d’aucun autre document. Ils ont convenu qu’elle serait affectée au poste principal de contrôle et des communications, mais qu’elle devait achever sa formation d’agente correctionnelle et la formation particulière à ce poste.

[28] En outre, la fonctionnaire affirme avoir fourni à l’employeur toutes les notes et les précisions qu’il avait demandées au moment pertinent. Elle a fourni six notes médicales. Elle a déjà consenti à ce que l’employeur discute directement avec sa médecin, et elle a consenti à faire l’objet d’une évaluation de Santé Canada. L’employeur n’a pris aucune disposition aux fins de son évaluation, et il n’a jamais remis en question le fait qu’elle souffrait d’une incapacité avant le renvoi à l’arbitrage. Il n’a jamais demandé l’accès à ses dossiers médicaux avant l’audience. À aucun moment entre la fin de 2014 et le début 2015 l’employeur n’a contesté que la fonctionnaire souffrait d’une incapacité.

[29] La fonctionnaire fait valoir qu’elle voulait désespérément retourner au travail, et que, chaque fois que l’employeur avait demandé une note ou une précision, elle l’avait fournie. En vertu de sa politique, l’employeur n’a pas le droit de s’enquérir d’un diagnostic qu’un employé a reçu, et il a encore moins le droit de demander les dossiers médicaux de ses employés.

[30] La fonctionnaire soutient que l’employeur spéculait sur la pertinence des renseignements. Les affaires qu’il a invoquées ne sont pas pertinentes aux circonstances de l’espèce. Les demandes d’ordonnance de production sont tranchées en fonction des circonstances de chaque cas. Il n’existe aucune possibilité réaliste que les documents soient pertinents.

[31] Étant donné leur nature, les dossiers médicaux sont hautement sensibles et confidentiels, et leur confidentialité doit être protégée. En raison de son caractère très général et de son manque total de précisions, il est facile de qualifier la demande de l’employeur de recherche à l’aveuglette. Elle forcerait la divulgation de tous les dossiers médicaux de la fonctionnaire, y compris les ordonnances et les recommandations, entre autres. La demande est également déraisonnable en raison de la période excessive que viserait l’ordonnance de production. L’employeur demande des renseignements qui sont antérieurs aux premières discussions sur le retour au travail de la fonctionnaire. De plus, la demande de l’employeur visant à obtenir les dossiers de la Sun Life et du RPC concernant la fonctionnaire témoigne du manque de pertinence possible. Les décisions de ces deux organismes portant sur le droit de la fonctionnaire de toucher des indemnités ne sont pas exécutoires. De plus, le droit de toucher des indemnités dépend de critères d’admissibilité qui dépassent le fait de souffrir d’une incapacité. À titre d’exemple, dans le cas d’une personne qui aurait reçu un diagnostic d’apnée du sommeil, ce qui est reconnu comme une incapacité en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6), à lui seul ce diagnostic ne donnerait pas droit automatiquement aux indemnités du RPC ou de la Sun Life.

[32] La fonctionnaire invoque le principe énoncé dans Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.). L’employeur n’est pas autorisé à modifier sa position à cette étape du processus. La Commission et ses prédécesseurs ont souscrit aux principes énoncés dans Burchill, qui a déterminé qu’une partie n’a pas le droit de modifier la nature d’un grief. Ce raisonnement a aussi été appliqué à l’employeur. La fonctionnaire invoque les affaires suivantes à l’appui de sa position : Gill c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2018 CRTESPF 55 et Jassar c. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 54.

[33] En outre, la fonctionnaire affirme qu’elle ne possède pas les documents demandés; ses médecins praticiens, la Sun Life et le RPC les possèdent. L’obliger à divulguer les documents serait un fardeau énorme pour elle. Afin d’être pertinents, tous les documents demandés doivent être liés à l’objet du litige et à la nécessité d’équilibrer les intérêts. Par conséquent, la fonctionnaire estime respectueusement que la demande devrait être rejetée. L’employeur a eu amplement l’occasion de vérifier et de contester le problème de santé de la fonctionnaire durant le processus de retour au travail, mais il en a décidé autrement.

C. La deuxième demande de production de l’employeur

[34] Le 7 décembre 2020, l’employeur a présenté une demande modifiée de production de tout le dossier médical de la fonctionnaire, accompagné des fiches médicales, des résultats d’analyses et des notes cliniques qui sont en la possession de la Dre Inna Fadyeyeva, y compris ce qui suit :

[Traduction]

[...]

- Tous les renseignements qui ont été fournis à la fonctionnaire ou que celle-ci a reçus concernant l’incapacité alléguée pour laquelle elle requérait des mesures d’adaptation;

- Tous les renseignements que la fonctionnaire a reçus au sujet de son emploi;

- Tous les renseignements sur lesquels la Dre a pu s’appuyer pour rédiger les notes médicales ou les lettres relatives à la fonctionnaire;

- Tous les renseignements relatifs à la capacité de la fonctionnaire de retourner au travail à un poste quelconque entre février et août 2015.

[...]

 

[35] Par souci de clarté, l’employeur affirme qu’il ne demande pas la production des résultats des analyses sanguines ou dentaires, ni des autres renseignements de ce genre qui ne se rapportent pas à l’incapacité alléguée de la fonctionnaire, dans la mesure où ces renseignements ne sont pas potentiellement pertinents à la question du retour au travail et des mesures d’adaptation.

[36] L’employeur s’appuie sur les faits qui ont été allégués dans les arguments présentés le 23 octobre et le 2 novembre 2020. Il affirme comprendre que la question dont la Commission est saisie concerne le retour au travail de la fonctionnaire entre février 2015 et le moment où elle est retournée à un horaire à temps plein, en août 2015. L’employeur comprend que le défaut présumé de s’acquitter de son obligation de prendre des mesures d’adaptation vise principalement la période écoulée entre avril 2015 et la mi‑juin 2015. Au cours des autres périodes, la fonctionnaire a touché un salaire ou a été en congé pour des motifs sans rapport avec le motif illicite de discrimination allégué dans les griefs.

[37] L’employeur fait valoir que le critère applicable à une ordonnance de production de documents potentiellement pertinents est plus général que celui de l’admissibilité de la preuve à une audience. La divulgation complète permet à une partie de comprendre les arguments qu’elle doit réfuter et de s’y préparer. Les documents demandés constituent le strict minimum qui permettrait à l’employeur de participer utilement à l’affaire.

[38] Les documents demandés sont potentiellement pertinents puisqu’ils sont directement liés à l’affirmation de la fonctionnaire selon laquelle elle souffrait d’un problème de santé qui déclenchait l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. La nature et l’importance de ce problème ne peuvent être présumées à l’arbitrage, puisqu’il s’agissait d’une audience de novo.

[39] Il incombe à la fonctionnaire de prouver qu’elle a eu une incapacité, qu’elle a subi un effet préjudiciable, et que l’incapacité a été un facteur de l’effet préjudiciable. La fonctionnaire doit prouver tout cela avant que l’employeur ne soit tenu d’établir sa preuve.

[40] Deuxièmement, le processus d’adaptation nécessite l’intervention de plusieurs parties, et la fonctionnaire a l’obligation d’y collaborer. Les documents demandés sont pertinents pour ce qui est de la collaboration de la fonctionnaire au processus d’adaptation et de l’obtention des renseignements médicaux demandés.

[41] Troisièmement, les documents demandés sont pertinents pour déterminer la crédibilité de la fonctionnaire à l’égard du témoignage qu’elle doit livrer, qu’il porte sur le motif illicite de discrimination allégué ou sur ses efforts de collaboration à la recherche de mesures d’adaptation raisonnables.

[42] Quatrièmement, les renseignements demandés sont aussi directement liés aux notes de la médecin que l’employeur a reçues. Les documents demandés sont pertinents compte tenu de la position de l’employeur selon laquelle les notes de la médecin ne donnaient pas suffisamment de précisions au sujet des contraintes médicales de la fonctionnaire. De plus, l’employeur souligne que le contenu des notes de la médecin constitue un ouï‑dire si la médecin n’est pas citée comme témoin.

[43] Les questions soulevées au cours de la procédure interne de règlement des griefs concernaient les mesures d’adaptation et le retour au travail. Afin d’assurer l’arbitrage équitable de ces griefs, l’employeur est en droit de savoir dans quelle mesure le problème de santé a empêché la fonctionnaire d’accepter les mesures d’adaptation proposées ou de retourner au travail.

[44] Afin de préparer ses arguments, notamment pour ce qui est des questions de crédibilité, l’employeur a le droit de savoir dans quelle mesure la fonctionnaire a été entièrement franche lorsqu’elle a fourni des renseignements à sa médecin ou à l’employeur. Par conséquent, le contenu de son dossier médical est directement lié aux questions soulevées dans les griefs.

[45] Pour ces motifs, la demande modifiée de l’employeur visant à obtenir une ordonnance de production devrait être accueillie.

D. La réponse de la fonctionnaire à la demande de production modifiée de l’employeur

[46] Le 15 décembre 2020, la fonctionnaire a répondu à la demande modifiée de l’employeur. Elle a maintenu sa position et elle a invoqué les arguments qu’elle avait présentés le 30 octobre 2020.

[47] La fonctionnaire fait valoir qu’une fois de plus, l’employeur n’a pas établi le lien entre les documents demandés et le litige. Les quatre motifs que l’employeur a avancés à l’appui de sa demande étaient les suivants : l’impossibilité de présumer la nature ou l’importance du problème de santé de la fonctionnaire à l’arbitrage, l’obligation de la fonctionnaire de collaborer au processus d’adaptation, la nécessité de mettre à l’épreuve la crédibilité de la fonctionnaire, et le manque de précision des notes médicales, qui ne répondent pas aux exigences permettant de les qualifier de potentiellement pertinentes.

[48] La bonne foi doit être présumée de la part de toutes les parties, y compris la fonctionnaire. L’employeur ne peut pas simplement demander la divulgation de renseignements médicaux confidentiels en invoquant la crédibilité sans ensuite présenter des faits laissant présumer un manque de crédibilité. En ce qui concerne l’obligation de collaborer de la fonctionnaire, cette obligation ne signifie pas qu’elle doive accorder le libre accès à ses dossiers médicaux. Il est loisible à l’employeur de faire valoir à l’arbitrage que la fonctionnaire n’a pas fourni les notes médicales demandées durant le processus de retour au travail, mais cela n’autorise pas l’employeur à avoir accès à ses dossiers médicaux cinq ans plus tard.

[49] La demande modifiée indique clairement que l’employeur cherche à contester l’incapacité de la fonctionnaire. Il ne l’a pas fait lors du processus d’adaptation, ni au cours de la procédure interne de règlement des griefs. L’employeur n’a jamais contesté le fait que la fonctionnaire avait souffert d’une incapacité au cours des cinq dernières années. Il semble maintenant que l’employeur ait enjoint son avocat à présenter cet argument.

[50] L’employeur a intentionnellement décidé de ne pas répondre au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Il a eu amplement l’occasion de présenter une réponse, dans laquelle il aurait pu soulever cette question, mais il a choisi de ne pas le faire avant l’audience. Comme cette question n’a pas été soulevée lors du processus d’adaptation ni lors de la procédure interne de règlement des griefs, l’employeur ne devrait pas être autorisé à présenter maintenant un pareil argument.

[51] En ce qui concerne le manque de précision des notes médicales fournies au cours du processus de retour au travail, l’accès aux dossiers médicaux n’aura aucun effet sur la teneur des notes. La suggestion selon laquelle les notes présentées à l’audience d’arbitrage seraient considérées comme des ouï-dire est très préoccupante pour la fonctionnaire.

[52] Si cet argument constitue le fondement de la demande de divulgation, celle‑ci ne peut en aucun cas être jugée potentiellement pertinente. Elle se fonde en grande partie sur une simple spéculation. De plus, le principe énoncé dans Burchill s’applique à l’encontre de l’employeur. La fonctionnaire n’a jamais eu à se défendre contre la nouvelle allégation selon laquelle elle n’aurait pas souffert d’une incapacité. Il est hautement inéquitable pour elle de l’y forcer plus de cinq ans plus tard.

[53] Dans l’éventualité où la Commission serait disposée à ordonner la production des documents médicaux demandés, la fonctionnaire et sa représentante ne devraient pas avoir à assumer le fardeau de la divulgation des renseignements. La fonctionnaire et sa représentante ne possèdent pas les documents. L’ordonnance devrait viser le bureau de la médecin directement. S’il y avait des coûts, l’employeur devrait les assumer. Si la divulgation était ordonnée, des mesures de confidentialité rigoureuses devraient être imposées.

E. La réplique de l’employeur à la réponse de la fonctionnaire à sa demande modifiée

[54] Il incombe à la fonctionnaire d’établir une preuve prima facie en ce qui a trait aux mesures d’adaptation. Il ne suffit pas de prétendre qu’il existe un problème de santé. La fonctionnaire doit établir la nature et l’importance de ce problème pour déclencher l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. Il lui incombe de démontrer que des raisons médicales l’ont empêché d’exécuter les fonctions essentielles de son poste. Manifestement, les dossiers médicaux demandés sont pertinents à cette question.

[55] La fonctionnaire laisse entendre que l’employeur devrait reconnaître que toutes les conditions de travail jugées recommandables par sa médecin constituaient des contraintes médicales, et cela sans avoir vu un seul des documents potentiellement pertinents qui pourraient appuyer ou contredire ce point.

[56] La fonctionnaire laisse entendre que l’employeur devrait reconnaître qu’elle a fourni tous les renseignements disponibles et pertinents à son retour au travail, encore une fois sans avoir vu un seul des documents potentiellement pertinents qui pourraient appuyer ou contredire ce point. Les dossiers médicaux peuvent contenir de plus amples renseignements qui permettraient de déterminer si la fonctionnaire s’est acquittée de son obligation de collaborer au processus d’adaptation. À l’audience, l’employeur pourrait lui poser des questions ou les poser à sa médecin, en fonction du contenu de ces dossiers médicaux.

[57] Bien que l’employeur ait l’intention de faire valoir que les notes médicales que la fonctionnaire a fournies étaient insuffisantes, il est en droit de préparer pleinement sa réfutation de l’allégation attendue de la fonctionnaire selon laquelle ses dossiers médicaux contiennent des renseignements qui étayent les notes médicales. Dans le cadre de cette préparation, l’employeur a aussi le droit d’examiner s’il existait des renseignements supplémentaires qui auraient pu et auraient dû être fournis au moment pertinent.

[58] La position de l’employeur à l’arbitrage est conforme à celle qu’il a eue avant et pendant la procédure de règlement des griefs. Il ne remet pas en question l’existence d’un problème de santé sous‑jacent. Il souhaite seulement comprendre dans quelle mesure il y a des contraintes et des limites médicales qui en découlent. Ses réponses au grief y font allusion. Par conséquent, l’affirmation de la fonctionnaire selon laquelle l’employeur soulève de nouvelles questions est sans fondement.

[59] Dans l’éventualité où la Commission ordonnerait la divulgation des renseignements demandés, l’ordonnance devrait viser la fonctionnaire et sa représentante. Une ordonnance de production par un tiers n’est pas justifiée. La représentante de la fonctionnaire tente de se soustraire à ses obligations en matière de divulgation. Si elle souhaite appuyer le renvoi des présents griefs à l’arbitrage, elle doit honorer toutes ses obligations en matière de divulgation préalable à l’audience.

[60] En ce qui concerne les mesures de confidentialité, la fonctionnaire n’a allégué aucun préjudice si les renseignements médicaux étaient divulgués à l’employeur et à ses représentants. Le contenu de ses dossiers médicaux est directement lié aux questions touchant les mesures d’adaptation qui sont soulevées dans les griefs. Pour tous ces motifs, la demande modifiée de l’employeur devrait être accueillie.

V. Analyse

A. Les renseignements médicaux de la fonctionnaire, qui sont précisés dans la demande de production de l’employeur, sont‑ils potentiellement pertinents aux questions soulevées dans les griefs?

[61] Le pouvoir de la Commission d’ordonner la production de documents avant une audience est fondé sur sa loi habilitante. Une formation de la Commission a le pouvoir d’exercer tous les pouvoirs de la Commission, lesquels sont établis aux articles 20 à 23 et 39 de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 40, art. 365; la « Loi »), y compris le pouvoir d’obliger, en tout état de cause, toute personne à produire les documents ou pièces qui peuvent être liés à toute question dont elle est saisie. L’article 20 indique en partie ce qui suit :

20 Dans le cadre de toute affaire dont elle est saisie, la Commission peut :

[...]

e) accepter des éléments de preuve, qu’ils soient admissibles ou non en justice;

f) obliger, en tout état de cause, toute personne à produire les documents ou pièces qui peuvent être liés à toute question dont elle est saisie.

 

[62] Lorsqu’il s’agit de déterminer si des documents doivent être produits, la première étape consiste à déterminer s’ils peuvent être pertinents aux griefs dont la Commission est saisie. Pour prendre cette décision, les questions en litige et les documents demandés doivent être rationnellement liés.

[63] Dans Quadrini, au paragraphe 37, la Cour d’appel fédérale a déclaré que le critère juridique à appliquer pour présenter une demande de divulgation est de démontrer qu’il existe une possibilité réaliste que les documents soient liés à une question en litige dans l’affaire dont est saisie la Commission. Il ne suffit pas de formuler de simples hypothèses quant à leur pertinence éventuelle.

[64] Dans Zhang c. Conseil du Trésor (Bureau du Conseil privé), 2010 CRTFP 46, la Commission a cité Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition, au paragraphe 3.1400, qui décrit en ces termes les paramètres applicables pour déterminer si une ordonnance de production s’impose :

[Traduction]

[...]

3:1400 Divulgation préalable à l’audience

[...]

[...] la justice naturelle exige que les parties ne se prennent pas par surprise, et c’est pourquoi certains arbitres ont exigé la divulgation avant l’audience des renseignements et des documents nécessaires pour qu’elles puissent participer correctement au processus d’arbitrage des griefs.

[...]

3:1420 Production de documents

La raison pour laquelle il faut produire des documents diffère quelque peu de celle pour laquelle on doit produire des détails, en ce que la production de documents aide une partie à préparer effectivement ses arguments, alors que les détails l’informent simplement de la preuve qu’elle devra réfuter [...]

[...]

3:1422 Ordonner la production

Le critère fondamental pour ordonner la production de documents consiste à déterminer s’ils peuvent être pertinents relativement aux questions en litige. À cet égard, le critère à l’étape de la divulgation préalable à l’audience consisterait à déterminer si l’on peut prétendre qu’ils sont « vraisemblablement pertinents » ou « potentiellement pertinents ».

[...]

 

[65] Cet extrait est conforme à la jurisprudence de la Commission. Comme la Commission l’a déclaré dans Sather c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 45, à l’audience préliminaire, il suffit de conclure que la pertinence des documents demandés est défendable. La Commission dispose d’un vaste pouvoir pour exiger la production de documents, lequel se fonde sur les exigences de la justice naturelle.

[66] Les griefs ont trait au défaut présumé de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de la fonctionnaire entre le 2 février et le 6 août 2015 afin de faciliter son retour au travail. La fonctionnaire est retournée au travail à temps plein le 7 août 2015. Comme j’en ai discuté avec les parties à l’occasion des deux conférences de gestion de cas, la Commission est chargée d’examiner le processus d’adaptation entrepris par l’employeur au cours de la période en question.

[67] Il incombe en premier lieu à la fonctionnaire d’établir qu’en raison de son incapacité, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, elle ne pouvait pas retourner au travail en l’absence de mesures d’adaptation. Si la fonctionnaire s’acquitte de son fardeau de la preuve, il incombera à l’employeur d’établir qu’il a effectivement pris des mesures d’adaptation raisonnables pour la fonctionnaire, que celle‑ci n’a pas fourni suffisamment de renseignements au moment pertinent pour lui permettre d’évaluer comment s’adapter à ses contraintes médicales, ou que la prise de mesures d’adaptation pour la fonctionnaire aurait entraîné pour lui une contrainte excessive. Dans le cadre d’un processus d’adaptation, un employé doit divulguer les contraintes médicales qui constituent une incapacité l’empêchant de s’acquitter pleinement des fonctions de son poste. L’employé doit fournir à l’employeur suffisamment de renseignements pour lui permettre de prendre des mesures d’adaptation raisonnables. Si les renseignements sont vagues ou insuffisants, ou si l’employeur a des questions à leur sujet, ce dernier peut demander des renseignements supplémentaires à l’employé et à sa médecin traitante. L’employeur n’a pas droit au diagnostic mais seulement à un pronostic, ce qui n’englobe généralement pas les dossiers médicaux de l’employé. Par conséquent, seuls les documents qui étaient en cause au cours de la période d’adaptation sont potentiellement pertinents.

[68] La demande de production modifiée de l’employeur précise ce qui suit :

[Traduction]

Tout le dossier médical de la fonctionnaire, les fiches médicales, les résultats des analyses et les notes cliniques qui sont en la possession de la Dre Inna Fadyeyeva, notamment :

• Tous les renseignements qui ont été fournis à la fonctionnaire ou que celle-ci a reçus concernant l’incapacité alléguée pour laquelle elle requérait des mesures d’adaptation;

• Tous les renseignements que la fonctionnaire a reçus au sujet de son emploi;

• Les renseignements sur lesquels la Dre Fadyeyeva a pu s’appuyer pour rédiger les notes médicales ou les lettres relatives à la fonctionnaire;

• Tous les renseignements relatifs à la capacité de la fonctionnaire de retourner au travail à un poste quelconque entre février et août 2015.

Par souci de clarté, l’employeur a affirmé qu’il ne demandait pas la production des résultats des analyses sanguines ou dentaires, ni des renseignements de ce genre qui ne se rapportent pas à l’incapacité alléguée de la fonctionnaire, dans la mesure où ces renseignements ne sont pas potentiellement pertinents à la question du retour au travail et des mesures d’adaptation.

 

[69] En raison de leur nature même, les dossiers médicaux d’une personne sont confidentiels. Je ne souscris pas à la position de l’employeur selon laquelle la fonctionnaire n’a pas démontré que la divulgation de ses dossiers médicaux entraînerait un préjudice. La fonctionnaire n’avait pas à démontrer un préjudice pour affirmer que ses renseignements médicaux sont confidentiels. Les propres lignes directrices de l’employeur concernant son programme de retour au travail, qui sont énoncées dans le document intitulé « Lignes directrices no 254-2 », au paragraphe 29, qui traite des mesures d’adaptation, limitent l’étendue des documents qui peuvent être demandés en prévoyant que l’employeur peut demander des renseignements médicaux tels que :

[...]

a. un pronostic (mais non un diagnostic)

b. la date prévue du retour au travail

c. les détails de toute restriction ou mesure d’adaptation nécessaire pour rester au travail ou reprendre le travail

d. durée des restrictions médicales en question et indication si celles-ci sont temporaires ou permanentes.

 

[70] Au cours du processus d’adaptation, un employeur n’a généralement pas le droit d’obtenir tout le dossier médical d’un fonctionnaire ni le diagnostic qu’il a reçu. L’employeur le reconnaît dans ses propres lignes directrices traitant des mesures d’adaptation. Cependant, il avait besoin des renseignements médicaux qui ont trait aux limites fonctionnelles de la fonctionnaire. Ces renseignements devaient être suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’évaluer comment s’adapter aux limites fonctionnelles de la fonctionnaire, ou de déterminer qu’il ne pouvait pas s’adapter à son état sans que cela n’entraîne pour lui une contrainte excessive, ce qui constituerait une véritable nécessité du service (article 15 de la Loi canadienne sur les droits de la personne).

[71] La principale question dont la Commission est saisie est celle de savoir si la fonctionnaire a bénéficié de mesures d’adaptation conformément à la convention collective et à la Loi canadienne sur les droits de la personne, et si les renseignements qu’elle a fournis à l’employeur entre février 2015 et août 2015 étaient suffisamment précis pour permettre à celui‑ci d’évaluer comment s’adapter à ses limites fonctionnelles. La fonctionnaire conteste la suffisance du processus d’adaptation de l’employeur. À tous les paliers de la procédure de règlement des griefs, l’employeur n’a pas remis en question l’existence de l’incapacité ou des limites fonctionnelles de la fonctionnaire. Il a simplement prétendu qu’il avait pris des mesures d’adaptation à l’égard de la fonctionnaire. Le processus d’adaptation est une recherche où interviennent de multiples parties, à laquelle la fonctionnaire, l’agent négociateur et l’employeur ont l’obligation de collaborer. Voilà la question dont la Commission est saisie.

[72] Si j’applique les principes énoncés dans Quadrini, je ne suis pas convaincue que les renseignements que l’employeur demande au moyen de sa demande de divulgation modifiée répondent au critère de la « [...] possibilité réaliste que les documents soient liés à une question en litige dans l’affaire dont est saisie la Commission ». Plus particulièrement, les renseignements que la fonctionnaire a éventuellement fournis à la médecin au sujet de son état ou de son emploi, sur lesquels la médecin peut s’être fondée, ne sont pas pertinents à la question de savoir quels étaient les limites fonctionnelles de la fonctionnaire, leur durée et son pronostic général, lesquels constituent, comme le souligne la politique de l’employeur en matière de mesures d’adaptation, des renseignements pertinents à l’analyse des mesures d’adaptation. Si l’employeur met en doute la crédibilité de la fonctionnaire en ce qui concerne ses limites fonctionnelles, il aura amplement l’occasion de la contre‑interroger au sujet de cet élément de preuve.

[73] Dans sa demande modifiée, l’employeur demande la divulgation de tout le dossier médical de la fonctionnaire, des fiches médicales, des résultats des analyses et des notes cliniques en la possession de la Dre Inna Fadyeyeva. L’employeur demande aussi les renseignements échangés entre la fonctionnaire et sa médecin traitante au sujet de son emploi. Il demande la divulgation de tous les renseignements sur lesquels la médecin traitante s’est fondée pour rédiger les notes médicales et les renseignements relatifs à la capacité de la fonctionnaire de retourner au travail à un poste quelconque entre février et août 2015. L’employeur demande tout le dossier médical, y compris les points détaillés, ce qui veut dire qu’il demande tout y compris ces précisions. Je conviens avec la fonctionnaire que cela constitue une recherche à l’aveuglette.

[74] Par conséquent, je conclus que la demande de divulgation de l’employeur visant à obtenir les renseignements médicaux de la fonctionnaire qui sont précisés dans la demande de production modifiée n’est pas potentiellement pertinente au processus d’adaptation qui s’est déroulé de février à août 2015.

VI. Conclusion

[75] La demande de production modifiée de l’employeur est rejetée.

[76] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[77] La demande de production modifiée de l’employeur est rejetée.

[78] L’audience se tiendra, comme prévu, les 30 et 31 mars et le 1er avril 2021.

Le 12 mars 2021.

 

Traduction de la CRTESPF

 

Chantal Homier-Nehmé,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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