Décisions de la CRTESPF

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Date: 20200121

Dossier: 566-02-09383

 

Référence: 2020 CRTESPF 5

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Valérie Ross

fonctionnaire s'estimant lésée

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Service correctionnel du Canada)

 

employeur

Répertorié

Ross c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

Devant : Chantal Homier-Nehmé, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée : Olivier Rousseau, UCCO-SACC-CSN

Pour l'employeur : Marc Séguin, avocat

Affaire entendue à Québec (Québec),

du 4 au 6 avril et à Montréal (Québec) du 3 au 4 octobre 2018.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

[1] Valérie Ross, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), une agente correctionnelle (CX-01) à l’établissement Port-Cartier de Québec, a déposé un grief contre l’employeur au motif qu’elle n’a pas été accommodée en raison de son incapacité physique à la suite d’un accident au travail, et ce, contrairement à l’article 37 de la convention collective et aux dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6).

[2] Le 26 novembre 2010, en sortant d’une formation obligatoire offerte par l’employeur, la fonctionnaire est tombée sur le dos dans l’escalier enneigé d’une roulotte de chantier. Par conséquent, elle a subi une entorse lombaire qui lui a causé une douleur intolérable. Elle a dû s’absenter du travail pendant un certain temps afin de récupérer. À son retour au travail, elle a avisé son employeur qu’elle avait besoin d’une veste pare-pics moulée et ajustée et qu’elle ne pouvait pas avoir de contact avec les détenus. Plus tard, elle a ajouté qu’elle devait éviter les contacts directs et indirects avec les détenus. Elle allègue que l’employeur n’a pas mis en place les mesures d’adaptation recommandées par son médecin.

[3] Comme mesure corrective, la fonctionnaire demande le remboursement des crédits de congé de maladie qu’elle a dû prendre pour s’absenter du travail. Elle réclame également des dommages de 10 000$ pour préjudice moral en vertu de l’article 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la « LCDP ») et de 10 000$ en vertu de l’article 53(3) de la LCDP pour indemnité spéciale.

[4] L’employeur soutient qu’il n’y a pas eu de discrimination à l’égard de la fonctionnaire puisqu’elle a été accommodée de façon raisonnable. Il demande que le grief soit rejeté.

[5] Pour les motifs qui suivent, j’accueille le grief de Mme Ross et je conclus que l’employeur a manqué à son obligation de prendre des mesures d’adaptation, allant ainsi à l’encontre de la convention collective.

[6] Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission »), qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l'« ancienne Commission ») et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l'article 393 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013.

[7] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique et d'autres lois et comportant d'autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique et les titres de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique, de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et du Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu'ils deviennent, respectivement, la Commission des relations de travail et de l'emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l'emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi ») et le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (le « Règlement »).

II. Question préliminaire – ordonnance de confidentialité

[8] À l’audience, l’employeur a demandé que les certificats médicaux des employées enceintes soient mis sous scellés. L’agent négociateur ne s’y est pas opposé. Les trois certificats médicaux identifiés à la pièce G-23 sont mis sous scellés.

[9] La même approche a été prise concernant les billets et rapport médicaux de la fonctionnaire puisqu’on y retrouve la même sorte d’information. J’ordonne que les pièces suivantes soient également mises sous scellés : les pièces G-2, G-5, G-8, G11 et G-17, l’onglet 1 du cahier de l’employeur et la pièce E-2 du cahier de l’employeur.

[10] Toutes les informations personnelles de la fonctionnaire doivent aussi être caviardées.

[11] Dans des circonstances exceptionnelles, la Commission peut déroger au principe de transparence judiciaire et accorder des demandes pour maintenir la confidentialité de certaines preuves lorsque ses demandes sont conformes aux principes juridiques reconnus. Dans Pajic c. Opérations des enquêtes statistiques, 2012 CRTFP 70, un arbitre de grief a dû examiner une demande semblable de mise sous scellés. Il a résumé les principes applicables ainsi, aux paragraphes 9 et 10 :

[...] Pour trancher cette question, je dois suivre les paramètres qui sont devenus le critère connu sous le nom de « Dagenais/Mentuck ». Selon la règle, les audiences des cours et des tribunaux quasi judiciaires sont publiques, de même que les documents au dossier, comme les pièces. Toutefois, une cour ou un tribunal quasi judiciaire peuvent imposer des restrictions concernant l’accès à leurs audiences ou à leurs dossiers dans certaines circonstances, s’il est établi que le besoin de protéger un autre droit important a préséance sur le principe de transparence judiciaire. Dans Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, la Cour suprême du Canada a reformulé le critère Dagenais/Mentuck :

[…]

a) lorsqu’elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque, et

b) lorsque ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[...]

[12] Dans Vancouver Sun (Re), 2004 CSC 43, la Cour suprême du Canada a statué que le critère Dagenais/Mentuck s’appliquait à toutes les décisions discrétionnaires qui limitent le droit à l’information pendant les procédures judiciaires. La Cour suprême du Canada a confirmé dans Société Radio-Canada c. La Reine, 2011 CSC 3 (paragraphe 13), que « [l] a grille d’analyse établie dans les arrêts Dagenais et Mentuck s’applique à toutes les décisions discrétionnaires touchant la publicité des débats [...] » De plus, comme je n’ai entendu dans la présente affaire aucun argument appuyant l’intérêt du public à l’égard de la transparence des débats, je dois évaluer cet intérêt sans argument (voir R. c. Mentuck, 2001 CSC 76, au paragraphe 38 et Vancouver Sun (Re), au paragraphe 48).

[13] Je juge qu’il est nécessaire de mettre sous scellés les pièces contenant les informations personnelles de la fonctionnaire et des employées enceintes afin de prévenir un risque important aux intérêts de ces dernières en matière de protection de la vie privée. Les effets bénéfiques de cette ordonnance sur l’efficacité de l’administration de la justice surpassent aussi ses effets préjudiciables sur le droit à la liberté d’expression, qui comprend l’intérêt du public dans des procédures judiciaires transparentes et accessibles. En outre, ne pas sceller les pièces ne serait pas avantageux pour le fond de la décision et pourrait enfreindre le droit à la protection de la vie privée des fonctionnaires en question. En conséquence, les pièces ont été mises sous scellés.

III. Résumé de la preuve

[14] La fonctionnaire a témoigné pour elle-même. Elle a également cité Jimmy Blainville et Mylène Dupuis à témoigner. Au moment des événements qui ont mené au dépôt du grief, M. Blainville était agent correctionnel (CX-02) et occupait le rôle de représentant syndical. En 2013, il était représentant en santé et sécurité. Mme Dupuis est agente correctionnelle (CX-02) et elle est active au sein du syndicat, plus particulièrement en ce qui concerne la condition féminine.

[15] L’employeur a cité Josée Turgeon, Christine Lévesque, Suzanne Robitaille et Diane Ouellette à témoigner. Mme Turgeon était gestionnaire correctionnelle par intérim (CX-04), responsable de la gestion du retour au travail de la fonctionnaire. Mme Lévesque était gestionnaire correctionnel (CX-04) au bureau opérationnel, à Port-Cartier, et la superviseure de Mme Ross. Au moment des événements qui ont mené au dépôt du grief, Mme Robitaille était la conseillère régionale responsable des Plans de retour au travail (« PRT »), soit de mai 2011 à août 2013. Mme Robitaille offrait des avis et des conseils aux gestionnaires pour faciliter le retour au travail des employés. Mme Ouellette est directrice adjointe pour le Directeur adjoint, Interventions (DAI). Le DAI supervisait le département de l’intervention de la psychologie de l’aumônerie responsable de l’équipe d’aide lors d’incidents critiques et de la gestion du stress et était responsable du programme d’aide aux employés pendant environ 12 ans. Mme Ouellette a été responsable du dossier PRT de 2007 à environ 2013. Le directeur de l’établissement était son conjoint.

[16] Port-Quartier est un établissement à sécurité maximale pour hommes. Selon la fonctionnaire, la responsabilité d’un CX-01 est de s’assurer que les détenus sont vivants, qu’ils respirent et qu’il n’y ait pas de chicane entre eux. Il faut également voir au bon fonctionnement de l’unité spéciale, qui compte des détenus qui ne peuvent pas être en contact avec d’autres détenus. Les agents correctionnels doivent souvent y faire des interventions physiques.

[17] Lorsqu’elle travaille, son équipement consiste en un uniforme, une ceinture, un masque, des menottes, des clés, une veste pare-pics et ses bottes à embout d’acier. La veste pare-pics doit être portée par-dessus l’uniforme en tout temps, peu importe le lieu de travail.

[18] Le 26 novembre 2010, lors d’une formation annuelle de tir, la fonctionnaire est tombée sur le dos dans les marches, en sortant de la roulotte de chantier de l’employeur. Elle a eu mal immédiatement et elle a entendu un craquement. Elle a pris quelques minutes pour bouger et ses collègues l’ont aidé à se relever. Elle s’est dite capable de continuer la formation et de tolérer la douleur. Le lendemain, elle s’est rendue à l’hôpital et a appris qu’elle avait une entorse lombaire.

[19] Depuis sa chute, Mme Ross a éprouvé des douleurs intolérables. Il y avait des semaines où il y avait des améliorations et d’autres semaines où elle ne pouvait pas fonctionner. Le 6 décembre 2010, la fonctionnaire a été mise en arrêt de travail. Lors de suivis auprès de plusieurs médecins, l’arrêt de travail a été prolongé.

[20] Mme Ross est retournée au travail entre le 4 et 9 novembre 2011. Toutefois, elle avait un billet médical qui indiquait qu’elle ne pouvait pas porter sa veste pare-pics. Elle a donc été assignée aux effets personnels où ses tâches consistaient à répertorier les effets personnels des détenus et où il n’y avait pas de contact avec les détenus. Elle n’avait pas à porter sa veste pare-pics ni sa ceinture. Selon Mme Ross, Richard Poulin, gestionnaire, lui avait dit que la fonctionnaire n’avait pas le droit d’être là et qu’elle devait mettre sa veste pare-pics puisqu’il pouvait y avoir des détenus. Elle lui a expliqué qu’elle avait un billet médical indiquant qu’elle ne pouvait pas porter sa veste pare-pics. M. Poulin lui a dit d’aller voir Mme Levesque, gestionnaire correctionnel, pour obtenir d’autre travail.

[21] Mme Levesque a réussi à trouver du travail de classement de documents à la fonctionnaire, et ce, à titre d’agente de renseignements de sécurité. Une fois le classement de documents terminé, la fonctionnaire devait mettre à jour le tableau des détenus, ce qui exigeait qu’elle monte sur un bureau pour aller chercher les documents et accéder au tableau. Après un certain temps, elle n’en pouvait plus, et elle a demandé s’il y avait une autre façon d’aller chercher les documents. En réponse, un escalier lui a été offert, mais cette solution ne convenait pas non plus puisqu’elle devait grimper et s’étirer.

[22] La fonctionnaire a communiqué avec l’adjointe de Mme Ouellette et lui a demandé de l’appeler à la maison, mais elle n’a jamais reçu d’appel de Mme Ouellette. Le 9 novembre 2011, le médecin lui a fourni un billet médical indiquant qu’elle devait être en arrêt de travail encore une fois.

[23] Le travail de Mme Ouellette consistait à aider les gestionnaires à s’occuper des postes de PRT en leur fournissant des avis et des conseils. Elle avait organisé une formation conjointe avec le syndicat pour que les employés soient au courant des PRT. Elle s’assurait de la gestion des PRT, mais elle n’était pas spécialiste des PRT. Elle se référait toujours à Mme Robitaille.

[24] Mme Ouellette a été impliquée dans le cas de Mme Ross. Elle a organisé une rencontre avec Mme Turgeon et le représentant syndical dans le but de voir si la fonctionnaire pouvait occuper un poste d’agent correctionnel avec limitations fonctionnelles. La personne-ressource de la CSST leur a expliqué chaque définition et ils ont regardé ensemble toutes les limitations qui permettaient à la fonctionnaire d’occuper un poste d’agent correctionnel. De plus, elle a eu une discussion avec l’administration régionale à Ottawa concernant la question de la veste pare-pics.

[25] Plusieurs billets médicaux stipulaient que la fonctionnaire devait avoir une veste pare-pics moulée. Il ne devait pas y avoir de pression au niveau de la colonne vertébrale. Une fois la veste reçue, la fonctionnaire devait retourner voir le médecin pour lui montrer afin qu’il puisse déterminer si elle était appropriée à sa condition physique. De plus, elle ne devait pas avoir de contact avec les détenus sans risque de détérioration. Elle n’avait plus la même force qu’auparavant.

[26] Le 26 septembre 2012, la fonctionnaire a présenté son billet médical indiquant qu’elle avait besoin d’une veste pare-pics moulée et ajustée à sa poitrine. À partir de ce moment-là, Mme Ouellette a commencé à faire des démarches auprès de l’administration centrale. Elle a indiqué que Port-Cartier reconnaissait la nécessité de la veste pare-pics ajustée et moulée. Selon elle, c’est ce qui existait déjà et ce que Port-Cartier fournissait.

[27] M. Cowell et Mme Ouellette ont tenté de trouver une solution. Ils ont eu plusieurs conversations et ils ont consulté les normes pour agents correctionnels au sujet de la veste pare-pics. D’après sa compréhension, la veste des agents correctionnels n’est pas confectionnée avec le même matériel que la veste pare-balles des policiers et, par conséquent, la veste policière n’était pas suffisante. Elle ne se souvenait pas s’ils avaient discuté d’autres fournisseurs.

[28] Un rapport médical en date du 1er novembre 2012, rendue à la demande de la CSST, a identifié les limitations fonctionnelles de la fonctionnaire comme suit :

[]Éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente les activités qui impliquent de :

  • Ø soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 15 à 25 kg;

  • Ø travailler en position accroupie;

  • Ø ramper, grimper;

  • Ø effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire;

  • Ø subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale (ex : provoquées par du matériel roulant sans suspension).

[…]

[Le passage en caractère gras l’est dans l’original]

 

[29] Ce rapport consolidait également le dossier de la fonctionnaire à partir du 11 septembre 2012. La fonctionnaire a indiqué que le médecin qui avait fait l’examen médical n’avait pas posé de question au sujet de l’équipement qu’elle devait porter. L’employeur a reconnu que des mesures d’adaptation étaient nécessaires en dépit du fait que le dossier de la fonctionnaire fût consolidé et que le médecin de la CSST n’avait pas fait l’évaluation de la mesure d’adaptation en fonction des outils.

[30] Vers le 18 novembre 2012, des discussions ont été tenues entre la fonctionnaire, l’employeur et la CSST concernant son retour au travail. Mme Robitaille a expliqué qu’il existait une différence entre « éviter » et « ne pas faire ». Selon elle, la fonctionnaire pouvait travailler dans un poste adapté, suivant la conclusion de la CSST à la suite de l’évaluation du poste.

[31] Mme Dupuis était attitrée au comité PRT en tant que représentante syndicale. C’est un comité mixte syndical-patronal, qui est composé de représentants du syndicat, de Mme Ouellette, de même que de toute la direction. Ce comité étudie les cas des employés qui reviennent au travail après avoir été blessés et fournit des conseils.

[32] Mme Dupuis a expliqué qu’elle avait demandé la création du comité PRT et qu’elle avait demandé que les gestionnaires reçoivent de la formation à cet égard. Lors d’une formation patronale-syndicale sur les PRT, des gestionnaires se moquaient des blessures subies par des agents dans le passé. Il y avait une insensibilité de leur part, ils se mettaient à rire et prenaient cela beaucoup trop à la légère.

[33] Mme Dupuis a indiqué que c’est la responsabilité de l’employeur de proposer le PRT en fonction des limitations fonctionnelles de l’employé. Le syndicat est là pour l’employé, mais il revient à l’employeur de faire les démarches adéquates pour établir un PRT convenable selon les limitations fonctionnelles identifiées par le médecin. Elle a également précisé que, à toutes les fois qu’il y a un billet du médecin, le PRT est révisé.

[34] Ainsi, le dossier de la fonctionnaire a été géré au niveau local, puisque la responsabilité revenait au gestionnaire. L’établissement local était responsable de trouver la mesure d’adaptation. La fonctionnaire ne faisait que fournir des avis et des recommandations à la direction. Mme Ouellette était la personne-ressource pour le PRT et elle faisait le lien avec l’administration régionale.

[35] Étant donné que Port-Cartier est un établissement à sécurité maximale, Mme Robitaille a expliqué qu’il y avait des défis quant aux options en ce qui concerne les mesures d’adaptation. Il y avait donc plus de dossiers PRT que d’autres établissements.

[36] Le 30 janvier 2013, Mme Turgeon a eu une discussion avec Mme Ouellette, Mme Ross, Mme Dupuis, et la représentante de la CSST pour discuter de l’évaluation des postes qui avait été faite. À la suite de cette rencontre, la fonctionnaire a réintégré le travail en faisant des tâches cléricales, mais elle n’était pas formée et n’était pas à jour à cause de son absence, donc elle ne pouvait pas occuper un poste d’agent correctionnel. Le médecin de la fonctionnaire avait confirmé à la CSST qu’elle peut faire tous les postes standards CX. À ce moment-là, Mme Turgeon n’avait toujours pas commandé la veste.

[37] Le 12 février 2013, la CSST a avisé la fonctionnaire que ses versements d’indemnités avaient pris fin le 6 février 2013, étant donné qu’elle était capable d’exercer son emploi auprès du SCC.

[38] Selon les billets médicaux en date du 5 et 13 février 2013, la fonctionnaire pouvait retourner au travail à temps partiel, mais pas dans une position d’autorité. Elle devait avoir un contact restreint avec les détenus, respecter les limitations et porter la veste pare-pics ajustée et moulée.

[39] Tel qu’il est indiqué dans le Plan de retour au travail et plan de mesure d’adaptation en date du 19 février 2013, la fonctionnaire effectuait du travail non CX, par exemple du travail clérical, en attendant sa veste pare-pics ajustée et moulée. Elle a également été assignée aux plaintes et aux griefs des détenus.

[40] Mme Dupuis a indiqué que toutes les vestes étaient pareilles – il y avait une couture dans le milieu pour la poitrine, mais ce n’était pas idéal puisque cette couture exerçait une pression inconfortable sur la poitrine. Il y avait aussi une pression dans le bas du dos.

[41] Mme Robitaille a eu une discussion avec Aly Alexandre, conseiller national pour le PRT et son superviseur fonctionnel. Le 21 février 2013, Mme Robitaille a communiqué avec M. Alexandre par courriel pour qu’il vérifie la problématique relative au dossier de la fonctionnaire et qu’il l’avise s’il y avait des démarches à effectuer afin que Mme Ross puisse obtenir la veste pare-pics ajustée. Il n’a pas été question d’une veste moulée. Mme Robitaille ne sait pas pourquoi elle a omis le mot « moulée » dans son courriel, mais le certificat médical, qui était en pièce jointe, y faisait référence. Selon elle, M. Aly a fait des démarches auprès de l’administration centrale à la suite de son courriel.

[42] Mme Ouellette a expliqué qu’elle avait dû réactiver le dossier de la fonctionnaire avec Ottawa. L’employeur a donc pris les mensurations de la fonctionnaire au mois de mars pour sa veste pare-pics.

[43] Un deuxième Plan de retour au travail et plan de mesure d’adaptation en date du 18 avril 2013, précisait que la fonctionnaire pouvait faire du travail de bureau, participer aux formations des agents correctionnels et occuper les postes d’agent en charge de la poterne et d’entrée de service, en attendant sa veste pare-pics ajustée et moulée.

[44] Mme Lévesque était au courant qu’on attendait une veste pare-pics, conformément aux limitations identifiées par le médecin. En contre-interrogatoire, elle a confirmé que le PRT en date du 18 avril 2013 indiquait « en attente de la nouvelle veste pare-pics » malgré le fait qu’elle savait qu’une telle veste n’existait pas.

[45] Mme Robitaille a expliqué que Mme Turgeon avait dit qu’il y avait plusieurs postes que la fonctionnaire pouvait occuper sans veste. Toutefois, son rôle n’était pas d’évaluer les postes. Lorsque la fonctionnaire a reçu sa nouvelle veste en juillet 2013, elle ne rencontrait pas les conditions du billet médical. Elle a recommandé à la direction de regarder à toutes les options afin de garder la fonctionnaire au travail.

[46] Le PRT en date du 18 avril 2013 a fonctionné jusqu’en juillet, alors que la fonctionnaire attendait sa veste. Elle travaillait aux plaintes et aux griefs et faisait les commandes des détenus. La direction lui trouvait des tâches. D’après elle, tout allait bien.

[47] La fonctionnaire a expliqué que, le matin, elle allait chercher la pile de documents remplis au bureau des effets personnels, qui était situé au premier étage à côté du bureau des gestionnaires. Selon elle, il n’y avait jamais de détenus qui circulaient dans cet endroit. Lorsqu’elle allait au local des effets personnels, elle téléphonait avant d’arriver pour voir s’il y avait des détenus. Si c’était le cas, elle attendait qu’ils partent avant d’y aller. Si un détenu arrivait pendant qu’elle était là, ce qui est arrivé à deux ou trois reprises, elle allait dans le local situé à l’arrière et verrouillait la porte jusqu’à ce qu’il parte. Une fois, M. Poulin l’a aperçue et lui a dit qu’elle devait mettre sa veste pare-pics et qu’elle n’avait pas d’affaire-là.

[48] Elle a demandé à Mme Lévesque une dérogation du port de la veste à certains endroits dans l’établissement, mais cela lui a été refusé. En 2012, à Port-Cartier, si l’agent n’avait pas de contact avec les détenus, il ou elle n’était pas obligé de porter sa veste. Il y avait une entente avec l’administration à cet égard. Toutefois, Mme Lévesque a exigé le port de la veste et la fonctionnaire ne pouvait pas être autorisée à ne pas la porter.

[49] Mme Turgeon a expliqué qu’à cette époque (de novembre 2011 à 2013), les gestionnaires n’étaient pas tenus de porter une veste pare-pics. Elle n’a fait aucune démarche pour obtenir une veste pare-pics ajustée et moulée. C’était la responsabilité du Directeur adjoint, Opérations (DAO), Guy Pelletier, et de Mme Ouellette. Ils effectuaient la recherche pour obtenir la veste pour la fonctionnaire. Mme Turgeon dit n’avoir jamais vu une veste pare-pics moulée et que les fabricants de vestes ne pouvaient pas faire la veste pare-pics moulée selon les exigences du médecin. Elle n’avait pas posé de questions à Mme Ouellette, ni fait de suivi. Elle était au courant que les mensurations de la fonctionnaire avaient été reprises par la même compagnie.

[50] Elle a expliqué qu’il y a environ 15 postes d’agent correctionnel qui peuvent être occupés sans le port de la veste pare-pics, tels que : passerelle armée, agent de contrôle, la tour, les patrouilles motorisées, les postes de contrôle, entrée de service à la poterne, contrôles d’unités, contrôle carrefour.

[51] En ce qui concerne le télétravail, Mme Lévesque a indiqué que la gestion des dossiers des détenus est attitrée aux travailleurs occupant des postes de classifications AC-02. Les AC-01 n’ont pas accès aux dossiers. Elle ne se souvient pas d’avoir eu une discussion avec la fonctionnaire concernant le télétravail.

[52] Selon Mme Robitaille, l’option du télétravail a été explorée, toutefois, il fallait avoir un besoin pour ce travail et ce ne sont pas toutes les tâches qui se prêtent bien au télétravail. C’était du cas par cas.

[53] Lorsque la fonctionnaire a reçu sa nouvelle veste, celle-ci ne lui faisait pas. Elle l’a montrée à son médecin, tel qu’il a été convenu. Ce dernier a conclu que la veste n’était pas moulée, tel qu’il a été recommandé. Par conséquent, le médecin a de nouveau indiqué, le 12 juillet 2013, que la fonctionnaire ne devait pas avoir de contact avec les détenus et qu’elle ne pouvait pas porter la veste pare-pics puisqu’elle ne convenait pas à sa condition physique, en raison de problèmes liés au mouvement et à l’extension du dos. La veste était lourde et poussait sur la poitrine ce qui faisait arquer le dos. La fonctionnaire a donc refusé de porter la veste.

[54] M. Blainville a 23 ans d’expérience en santé et sécurité au travail. Il est donc très familier avec ce qui constitue un emploi convenable et les mesures d’adaptation. Il a indiqué que la condition médicale de la fonctionnaire exigeait qu’elle porte une veste moulée adaptée à sa situation. Toutefois, elle ne l’a jamais reçue. Il avait vu le formulaire de mensuration pour la veste pare-pics qui était similaire pour tous les employés. Tous les agents ont une veste ajustée, qui n’est pas comme une veste moulée. Il a dit qu’il existait des cas particuliers. D’après lui, les vestes étaient standards pour le personnel féminin et masculin.

[55] Mme Dupuis a indiqué que les vestes sont similaires à toutes les autres vestes. La veste laisse un gros vide dans le bas et, par conséquent, les poitrines des femmes ne sont pas apparentes. La veste exerce une pression sur la poitrine, ce qui est inconfortable en raison de la pression dans le bas du dos que ça entraîne. Les femmes policières portent une veste par balles qui est ajustée et moulée à leur poitrine. La direction avait dit qu’elle ne pouvait pas avoir une veste autre que celle qui était donnée aux agents correctionnels. Cette réponse était incompréhensible pour Mme Dupuis puisque les autres corps de métier ont des vestes moulées. Pour les policières, la poitrine est couverte. La fonctionnaire avait un espace de quatre pouces en dessous de sa veste à cause de sa poitrine.

[56] Lorsque la fonctionnaire a avisé Mme Turgeon que sa nouvelle veste n’était pas moulée, Mme Turgeon n’était pas d’accord avec elle. M. Cowell s’occupait d’obtenir la veste pare-pics pour la fonctionnaire. La fonctionnaire lui a dit que sa veste ne lui faisait pas puisqu’elle ne correspondait pas aux restrictions médicales. Mme Lévesque a expliqué qu’ils ont une entente de marché avec les fournisseurs d’équipement. Lorsqu’elle s’est informée auprès de M. Cowell pour obtenir une veste moulée, il a dit que cela n’existait pas.

[57] Selon Mme Turgeon, le fournisseur ne faisait pas de veste pare-pics moulée. Il lui a dit de reprendre les mesures pour refaire la veste. Elle a décrit la veste comme étant lourde, rigide et épaisse et qu’elle tenait au moyen d’attaches velcro au niveau des épaules et de la taille. Lorsqu’on s’assoit, la veste remonte tout si elle n’est pas faite sur mesure. Entre six et huit semaines sont nécessaires pour recevoir une veste. Elle a aussi confirmé que les achats ergonomiques se faisaient ailleurs que chez le fournisseur.

[58] Mme Lévesque a dit que si la fonctionnaire avait eu une permission spéciale de ne pas porter la veste pare-pics, les autres employés auraient jasé. Selon elle, il y avait de la pression de la part de la direction pour qu’il y ait un traitement équitable entre les agents correctionnels, et ce, afin de maintenir un lien de confiance. Il ne pouvait pas y avoir de favoritisme. Tout comme le traitement des détenus où il ne doit pas y avoir de favoritisme.

[59] Entre les mois de janvier et juillet 2013, l’employeur n’a pas eu besoin de clarification concernant les billets médicaux. Cependant, la direction a essayé de comprendre pourquoi la veste ne rencontrait pas les besoins de la fonctionnaire. Ce n’est qu’après avoir considéré les options avec M. Alexandre, qu’une lettre de clarification a été envoyée au médecin de la fonctionnaire en juillet 2013 pour avoir des options quant aux mesures d’adaptation appropriées. Toutefois, le fait que la veste ne pouvait pas être moulée et ajustée n’a pas été communiqué à la fonctionnaire ni au médecin.

[60] Le 25 juillet 2013, Mme Lévesque a envoyé une lettre au médecin de la fonctionnaire pour obtenir plus de clarification au sujet de la veste. Elle lui a posé les questions suivantes :

[…]-Qu’elles sont les limitations de Mme Ross qui fait en sorte qu’elle ne peut porter la veste anti-pic?

-Qu’elles sont les critères que cette veste doit rencontrer pour lui convenir ?

-Est-ce qu’il s’agit d’une limitation fonctionnelle temporaire ou permanente?

-S’il s’agit d’une limitation temporaire, quelle est la durée de celle-ci et/ou à quelle date -cette limitation sera réévaluée?

[…][Sic pour l’ensemble de la citation]

 

[61] Le but de la lettre du 16 juillet 2013 qui a été envoyée au médecin de la fonctionnaire était d’obtenir des informations pour savoir comment la réintégrer dans ses fonctions. Mme Robitaille voulait des précisions à savoir pourquoi la fonctionnaire ne pouvait pas porter la veste. Selon elle, le port d’un corset sous la veste pouvait être une solution de rechange. Mme Lévesque croyait que cela était excessif.

[62] Mme Ouellette était d’avis que la lettre de juillet 2013 envoyé au médecin de la fonctionnaire avait pour but d’obtenir des précisions quant à la restriction concernant la veste, à savoir si elle était temporaire ou permanente.

[63] Le PRT a été modifié le 18 juillet 2013, puisque la fonctionnaire avait complété sa formation sur les armes, ce qui lui donnait la possibilité d’être assignée, en attendant sa veste pare-pics moulée, à d’autres tâches en conformité avec ses restrictions, comme les postes sans contacts avec les détenus qui ne nécessitaient pas le port de la veste pare-pics, par exemple les postes de patrouille motorisée, de contrôles armés et de passerelles.

[64] Lors du contre-interrogatoire, le représentant de la fonctionnaire a précisé qu’au mois de mars 2013, Mme Turgeon et Mme Lévesque savaient que la veste n’était pas moulée et que Mme Robitaille, Mme Ouellette et M. Cowell savaient dès le début qu’il était impossible de faire mouler la veste. La veste policière est moulée et ajustée, mais M. Cowell a dit à Mme Robitaille que la veste policière ne rencontrait pas les normes de sécurité du SCC. Il ne savait pas pourquoi. M. Alexandre lui avait également dit que la veste ne pouvait pas être moulée au niveau de la poitrine. D’après Mme Robitaille, M. Alexandre n’est pas un spécialiste des vestes ou de l’équipement de sécurité.

[65] Le 21 juillet 2013, le médecin a répondu à l’employeur et a souligné qu’il y avait une limitation additionnelle, soit d’éviter les contacts indirects avec les détenus. La réponse de l’employeur se lit comme suit, en partie :

[…]Une demande a été faite pour l’utilisation d’une veste pare-pic moulée et ajustée qui ne fait pas de pression exagérée au buste et à la région dorso-lombaire.

 

Comme cette demande n’a pas encore été satisfaite, madame Ross ne peut utiliser une veste pare-pic conventionnelle dans son travail.

 

En attendant, elle doit donc :

-Éviter les contacts directs et indirects avec les détenus

-Éviter les postes de travail où elle est en situation d’autorité face aux détenus.

[…][Le passage en caractère gras l’est dans l’original]

 

[66] Après avoir pris connaissance de la réponse du médecin en date du 21 juillet 2013, une nouvelle contrainte s’est ajoutée la fonctionnaire devait éviter les contacts indirects avec les détenus. D’après Mme Ouellette et Mme Lévesque, elles ne voyaient pas comment la fonctionnaire pouvait revenir à l’établissement. Ces limitations additionnelles n’étaient pas claires. Selon Mme Lévesque, il était problématique d’éviter les contacts indirects avec les détenus, puisqu’ils étaient partout. Elle a indiqué qu’il n’y avait pas de contacts directs dans une unité de travail de bureau, mais qu’il y avait quand même un contact indirect du fait qu’il y a des fenêtres d’où il est possible de voir les détenus. De plus les dossiers concernaient les détenus. L’administration (DAO Poulin, Marie Cossette) avait conclu qu’il était impossible d’accommoder « le contact indirect ».

[67] Mme Ouellette ne savait pas si la direction avait communiqué avec le médecin de la fonctionnaire pour savoir la raison pour laquelle la veste pare-pics devait être moulée. Selon ses souvenirs, M. Alexandre aurait dit le 24 juillet 2013 qu’il n’avait pas de veste moulée.

[68] Ainsi, la restriction qui posait le plus de difficulté était celle concernant l’absence de contacts directs et indirects avec les détenus. Selon Mme Ouellette, tous les dossiers concernent les détenus. Tout le monde a un contact indirect avec les détenus, soit par le biais des appels avec les conjointes, les détenus à la poterne, à la grille d’administration pour les effets personnels, le travail dans un dossier d’un détenu. Elle était d’avis que « sans contact » et « aucun contact direct et indirect » veulent dire la même chose. Seul le télétravail était possible et, à ce moment-là, il n’y en avait pas. Certains agents correctionnels faisaient du télétravail, mais aucun d’entre eux n’avait cette restriction. Selon elle, le télétravail comportait aussi un contact indirect avec les détenus. Elle a exprimé que la direction ne comprenait pas la restriction concernant l’absence de contact direct et indirect avec les détenus et la veste pare-pics. Elle ne pouvait donc pas accommoder la fonctionnaire.

[69] En ce qui concerne la restriction d’éviter les postes où elle serait en situation d’autorité face aux détenus, Mme Lévesque a expliqué que ce ne sont pas seulement les agents correctionnels qui sont en position d’autorité, mais tous les travailleurs, par exemple les commis, les cuisiniers et les employés puisqu’ils ont souvent des détenus qui travaillent avec eux. Ainsi, pour assurer la sécurité de la fonctionnaire et respecter les limitations fonctionnelles, la décision de la retourner à la maison a été prise en attendant de voir ce qu’ils pouvaient faire pour elle. Mme Lévesque ne se souvient pas d’avoir discuté du contact direct et indirect avec la fonctionnaire.

[70] Mme Dupuis a expliqué qu’une fois que l’agent est en uniforme, il ou elle est en position d’autorité. De plus, lorsque l’agent est responsable d’un bloc ou en contrôle du département ou du travail, cette personne est en position d’autorité.

[71] Selon Mme Robitaille, le fait de ne pas mettre la veste signifie qu’elle ne peut pas être en situation d’autorité à l’égard d’un détenu. Selon elle, les agents correctionnels sont toujours en situation d’autorité à l’égard des détenus. Elle précise toutefois que les employées enceintes n’ont pas de contact direct avec les détenus. Il y a des endroits où les employées enceintes peuvent travailler, par exemple le secteur de la formation. La majorité des employées enceintes travaillent à l’extérieur du périmètre de l’établissement.

[72] Mme Ouellette a expliqué qu’un protocole avait été élaboré avec le syndicat en ce qui concerne les employées enceintes. Il y avait des postes spécifiques auxquelles elles pouvaient être assignées qui comprenaient aucun contact avec les détenus. Lorsque le certificat médical est remis à la direction, l’employée enceinte peut commencer immédiatement à occuper le poste. Le protocole est différent de celui du PRT. D’après elle, les billets médicaux remis par les employées enceintes précisaient seulement qu’aucun contact avec les détenus n’était permis. Il n’y avait pas de mention de « direct et indirect ». Elles pouvaient alors être assignées à d’autres tâches comprenant un contact indirect avec les détenus. Le dossier de Mme Ross ressemblait à un dossier d’employée enceinte, c’est pour cette raison qu’elle en a eu la responsabilité.

[73] En décrivant la démarche en vue de mettre en place des mesures d’adaptation pour la fonctionnaire, Mme Robitaille a expliqué qu’une liste de toutes les options possibles avait été dressée. En 2013, à Port-Cartier, les postes à rotation lente n’étaient pas considérés comme une option en guise de mesure d’adaptation puisque le syndicat n’était pas d’accord. Cependant, elle a précisé que le syndicat n’avait pas refusé de collaborer et qu’il n’y avait pas eu de résistance. Lorsqu’il n’est pas possible d’accommoder un employé dans son poste d’attache, une option est de regarder dans d’autres établissements. Le risque qu’un employé peut prendre est évalué à une autre étape. À Port-Cartier, dans certains postes où il n’y avait aucun contact avec des détenus, il était accepté que l’employé ne porte pas sa veste pare-pics. Cependant, il y avait des risques à gérer. Elle a admis que personne, y compris elle, n’a fait les démarches auprès de la fonctionnaire pour voir si elle accepterait ce risque.

[74] Les postes à rotation lente ne comprennent aucun contact avec les détenus, toutefois, ils nécessitent l’accord du syndicat. Selon elle, ce poste ne correspondait pas au billet médical car il y avait un contact indirect, ce qui inclut le visuel. La direction ne comprenait pas le contexte de cette limitation, elle ne savait pas ce que le médecin voulait dire. Elle se posait la question à savoir si le médecin voulait dire que la fonctionnaire ne pouvait même pas voir les détenus.

[75] Mme Turgeon était familière avec les lésions permanentes de la fonctionnaire. Une évaluation de tous les postes d’agent correctionnel (CX-01) dans l’établissement a été faite et aucun poste n’était approprié aux limitations de la fonctionnaire. Toutefois, elle a indiqué qu’à Port-Cartier, la fonctionnaire pouvait effectuer du travail d’agent correctionnel (CX-01) malgré ses limitations fonctionnelles permanentes. Elle n’a pas fait l’évaluation du poste aux effets personnels puisque ce n’était pas un poste que la fonctionnaire pouvait occuper, car ce sont des gens qui sont là de façon permanente. Cependant, avec une entente, il était possible d’avoir un arrangement.

[76] Elle a indiqué lors du contre-interrogatoire qu’il était possible d’adapter un poste en fonction des limitations fonctionnelles. L’employeur est tenu de suivre les lignes directrices 254-2 Programme de retour au travail afin d’accommoder une personne. Toutefois, elle a confirmé que le seuil de la contrainte excessive dans ce cas-ci était le contact indirect avec les détenus. Il est toujours possible d’avoir un contact indirect puisqu’il est possible de voir les détenus. Selon elle, la restriction voulait dire que la fonctionnaire n’avait pas le droit de voir, de ses propres yeux, les détenus.

[77] Au mois d’août 2013, M. Blainville a été convoqué à une rencontre avec l’administration où il a été informé que la fonctionnaire n’aurait plus le droit de venir à l’établissement sans avertissement. Aucune discussion n’a été tenue avec la fonctionnaire. Il a indiqué qu’il y avait eu quelques occasions dans le passé où l’accès à l’établissement avait été interdit, par exemple dans le cas d’une agente qui avait entretenu une relation amoureuse avec un détenu.

[78] Selon l’employeur, c’était à la suite de la lettre du 21 juillet 2013, du médecin de la fonctionnaire, qu’il a décidé d’interdire l’accès de la fonctionnaire à l’établissement. Ainsi, le 8 août 2013, l’employeur a remis une lettre à la fonctionnaire, signée par Mme Lévesque, indiquant qu’il avait l’obligation de lui retirer son accès à l’établissement afin de la protéger tout en respectant ses limitations :

[…]

Le 2013-08-07, je prenais connaissance de la lettre de votre médecin, […], datée du 2013-07-21.

Compte tenu des limitations indiquées par votre médecin, à savoir, éviter les contacts directs et indirects avec les détenus et éviter les postes de travail où vous êtes en situation d’autorité face aux détenus, nous nous voyons dans l’obligation de vous retirer l’accès à l’établissement afin de vous protéger tout en respectant vos limitations.

[…]

Soyez assurée qu’advenant tout changement de votre état de santé ou de vos limitations, il nous fera plaisir de discuter avec vous et votre représentant, des mesures d’adaptation possibles.

[…]

[79] Selon Mme Robitaille, dans le même mois d’août 2013, un gestionnaire lui a dit qu’il avait vu la fonctionnaire arriver au travail en moto. Lorsque Mme Robitaille a été contre-interrogée par le représentant de la fonctionnaire, à savoir si l’histoire de la moto avait joué un rôle dans la décision d’interdire d’accès de la fonctionnaire à l’établissement, elle a répondu que cette dernière avait des limitations physiques et qu’il paraissait y avoir une incongruence avec l’utilisation de la moto et ses limitations. La direction s’interrogeait à savoir s’il y avait un impact sur sa condition physique lorsqu’elle était en moto. Toutefois, elle a admis que cette question n’a jamais été posée au médecin de la fonctionnaire.

[80] Mme Ouellette ne sait pas pourquoi la direction a attendu au 8 août pour interdire l’accès à l’établissement. Elle a dit qu’il n’y avait aucun lien avec le fait que la fonctionnaire était arrivée en moto. Tout le monde à l’établissement savait qu’elle faisait de la moto. Il n’y avait aucun impact sur la mesure d’adaptation de la fonctionnaire.

[81] Selon Mme Robitaille, toutes les options ont été examinées. Des démarches ont été faites pour obtenir la veste et, par la suite, lorsque la veste s’est avérée insuffisante, des démarches ont été entreprises auprès du médecin pour obtenir des clarifications, ce qui a mené à un nouveau billet médical avec la restriction relative à l’absence de contact direct ou indirect avec les détenus. La direction n’arrivait pas à comprendre ce qui se passait.

[82] La fonctionnaire a expliqué qu’elle avait été escortée hors l’établissement et qu’elle s’était sentie démolie pendant le trajet; elle pleurait. Elle avait croisé plusieurs personnes avant de se rendre à l’extérieur. Elle a été humiliée et elle avait honte.

[83] M. Blainville a confirmé que l’escorte de la fonctionnaire à l’extérieur de l’établissement ne s’était pas bien déroulée. La fonctionnaire avait pleuré tout le long. Il est d’avis que la fonctionnaire a été traitée de façon cavalière. Il a questionné ardemment pourquoi elle ne pouvait plus avoir accès à l’établissement. Le lendemain, la photo de la fonctionnaire était à la poterne. Il a expliqué qu’on met à la poterne les photos des agents qui n’ont plus accès à l’établissement pour des raisons disciplinaires. Mme Turgeon a indiqué qu’elle ne savait pas que la photo de la fonctionnaire était à la poterne.

[84] De plus, la direction n’a pas avisé les agents lors des briefings au début des quarts de travail de la raison pour laquelle la fonctionnaire avait été escortée hors l’établissement. Il y eu un silence à cet effet. Le briefing est une partie importante du début du quart de travail qui sert à faire une mise à jour de ce qui s’est passé pendant le quart de travail précédent. Ce manquement a entraîné des rumeurs – comme si la fonctionnaire était une criminelle, et la direction a dû intervenir à la fin de la semaine pour faire cesser ces rumeurs.

[85] M. Blainville a expliqué que des agents correctionnels ont accès à l’établissement même s’ils ont des limitations fonctionnelles, et qu’ils n’ont aucun contact avec les détenus.

[86] Mme Ouellette ne se souvenait pas d’une discussion avec M. Blainville au sujet du fait que la fonctionnaire s’était fait escorter hors de l’établissement. En fait, elle ne se souvenait pas que la fonctionnaire ait été escortée à l’extérieur de l’établissement, mais elle se souvenait qu’elle pleurait. Elle ne souvenait pas non plus que la photo de la fonctionnaire ait été affichée à la poterne. Elle croyait qu’il s’agissait d’une procédure de sécurité, mais elle n’était pas au courant.

[87] D’après Mme Dupuis, parmi les 42 autres personnes en arrêt de travail, aucune d’entre elles ne s’étaient vus retirer leur accès à l’établissement en raison de leurs limitations fonctionnelles. Dans le cas des employées enceintes, elles n’ont pas de contact direct ou indirect avec les détenus. Elles font seulement du travail de bureau. Il n’y a jamais eu d’interdiction pour une employée enceinte de travailler à l’établissement. Mme Dupuis a décrit la procédure pour les employées enceintes qui se promènent dans l’établissement comme suit: l’employée enceinte se présente à la poterne et un agent correctionnel vient la chercher pour aller travailler. C’est la même procédure pour la pause. L’agent correctionnel (CX-02) appelle au contrôle B et il s’assure qu’il n’y pas de détenus alentour et la fait passer. Il y avait d’autres employés qui ne pouvaient pas être en contact avec les détenus, donc ils travaillaient seulement à la poterne. Elle a dit qu’ils avaient toujours réussi à accommoder tout le monde. L’accès à l’établissement n’a été interdit qu’à la fonctionnaire.

[88] Après cet événement, la fonctionnaire a eu une discussion avec Marie Cossette, directrice intérimaire, pour savoir pourquoi elle avait été escortée à l’extérieur de l’établissement et pourquoi le télétravail ne lui avait pas été offert. Elle ne comprenait pas la décision de l’employeur étant donné qu’elle faisait du travail de bureau depuis des mois. Soudainement, elle était escortée hors l’établissement, comme si elle avait commis une inconduite. Ce traitement était réservé aux agents correctionnels qui, par exemple, avaient couché avec un détenu, avaient rentré de la drogue dans l’établissement, etc. Selon la fonctionnaire, ils l’ont fait sortir comme si elle était « une pas bonne », ce qui était complètement inapproprié dans le contexte d’une demande de mesure d’adaptation.

[89] Lors de la discussion, Mme Cossette a présenté la politique à la fonctionnaire. Elles ont discuté de la veste. La fonctionnaire a indiqué avoir dit qu’elle voulait tout simplement obtenir une veste adaptée à ses besoins pour être une employée productive. Selon elle, elle recevait toujours des réponses politisées. Elle s’était fait dire qu’elle devrait peut-être envisager d’aller travailler dans un autre établissement à sécurité minimum, à Montréal par exemple. Il n’a pas été question d’adapter ou de mouler une veste.

[90] La fonctionnaire a noté que cette rencontre avait eu lieu dans le bureau de Mme Cossette, à l’établissement. Elle n’a pas été escortée pour cette rencontre, ni pour se rendre au bureau ou en sortir. Mme Lévesque a également indiqué qu’il n’y avait pas d’autres cas d’interdiction d’accès à l’établissement pour raisons médicales. Elle ne se souvenait pas si, dans les situations d’employées enceintes, les billets médicaux indiquaient « pas de contact direct ou indirect avec détenus ». Les employées enceintes travaillent à la poterne ou à la visite. Ce sont des postes moins stressants. Il y a un contrôle à la visite, donc un certain contact avec les détenus.

[91] Le 14 août 2013, Mme Lévesque a écrit une lettre à la fonctionnaire dans laquelle elle précisait ce qui suit : « nous continuons actuellement les démarches afin de trouver un accommodement qui convient à vos limitations ». La lettre précisait aussi que tous les efforts raisonnables étaient déployés afin de faciliter son retour au travail.

[92] Le 23 août 2013, Mme Robitaille a eu une discussion avec J.F. Davidson, coordonnateur régional PRT – région du Québec, puisqu’il faisait partie du comité régional patronal syndical pour voir ce qui pouvait être fait pour accommoder la fonctionnaire.

[93] Mme Dupuis a avisé la direction que le syndicat essayait de ramener la fonctionnaire au travail en lui trouvant un PRT convenable avec l’accord de son médecin.

[94] La fonctionnaire a expliqué qu’elle avait dit à son médecin que, à ce point, elle n’était plus capable, qu’elle ne pouvait plus se battre car elle était épuisée de vivre tout cela et qu’il fallait que cela arrête. Ainsi, Mme Dupuis a rédigé un PRT proposant que la fonctionnaire travaille de nuit puisqu’il s’agissait d’un quart où il y avait peu de contact avec les détenus. Son médecin était d’accord avec cette approche et a signé ce PRT le 26 août 2013. Cependant, il a précisé que la veste pare-pics devait seulement être portée de façon sporadique.

[95] L’employeur a accepté cette solution. Son horaire régulier était de travailler de nuit, du lundi au vendredi, ce qui a eu un gros impact sur sa vie familiale. Elle portait également sa veste de façon sporadique – lorsqu’elle était dans le contrôle barré, elle pouvait l’enlever. Selon la fonctionnaire, l’employeur n’a rien offert pour l’accommoder.

[96] Mme Lévesque ne se souvient pas si les deux lettres liées à l’expulsion de la fonctionnaire de l’établissement ont été retirées de son dossier lorsqu’elle est retournée au travail.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

[97] La fonctionnaire effectuait toutes ses tâches et ses compétences n’étaient pas remises en question. En novembre 2010, elle s’est blessée au travail. Son retour au travail s’est mal déroulé puisque M. Poulin avait passé outre la mesure d’adaptation en insistant qu’elle porte sa veste pare-pics. Ainsi, sa première tentative de retour au travail n’a duré que quelques jours.

[98] Sa deuxième tentative de retour au travail s’est effectuée en février 2012. Elle était assignée aux plaintes et aux griefs, de même qu’aux achats des détenus. Elle faisait un bon travail. Malgré cela, la situation avec M. Poulin, Mme Lévesque et Mme Turgeon était toujours déplaisante.

[99] Mme Ouellet a tenté de communiquer avec la fonctionnaire puisqu’elle était la personne responsable du PRT, mais elle ne se souvenait pas des tâches de la fonctionnaire, ni des difficultés lors du deuxième retour. En septembre 2012, la fonctionnaire a su qu’elle avait besoin d’une veste particulière, mais Mme Ouellette s’attendait à une veste standard mise à jour. Tous les autres témoins ont indiqué que la fonctionnaire avait besoin d’une veste pare-pics moulée et ajustée.

[100] Mme Robitaille a indiqué qu’il n’y avait pas de lien avec l’accident au travail. Le représentant de la fonctionnaire a plaidé que Mme Robitaille aurait dû jouer un rôle-conseil à Port-Cartier. Il est reconnu que peu importe l’origine de la limitation, soit un accident de travail ou une limitation personnelle, l’obligation de prendre des mesures d’adaptation est la même.

[101] Mme Lévesque avait un rôle de premier plan dans la mise en place des mesures d’adaptation. Elle a indiqué que la veste était désagréable pour tous, qu’elle était lourde, chaude, épaisse et trop longue lorsque la personne qui la porte est assise. Elle a expliqué que la réponse à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation résidait dans le fait qu’il existait une entente tacite à Port-Cartier selon laquelle si la personne n’était pas en contact avec les détenus, il était permis de ne pas porter la veste, ce qui était le cas de la fonctionnaire en 2013. À la fin de son témoignage, Mme Lévesque a expliqué que l’accommodement pour obtenir la veste moulée et ajustée n’était pas offert par l’employeur. Plusieurs témoins ont attesté au fait que cela a pris un certain temps pour prendre les mesures de la fonctionnaire à partir de septembre 2012 et le témoignage de Mme Ouellette qui indique que le dossier a été réactivé en mars 2013, le SCC a donc trainé de la patte.

[102] De plus, Mme Robitaille avait omis le terme « moulée » à deux reprises dans ces communications. Il y avait un énorme problème de communication entre les intervenants de l’employeur. La fin du processus relatif aux mesures d’adaptation est basé sur du ouï-dire, étant donné que Mme Robitaille a entendu dire de la part de M. Alexandre, qui lui, avait entendu de M. Cowell, qu’il n’était pas possible d’avoir une veste pare-pics moulée et ajustée. Mme Ouellette et Mme Robitaille étaient incapables d’en préciser la raison. L’employeur n’a pas fourni de témoin expert pour expliquer pourquoi il n’était pas possible d’avoir une veste pare-pics moulée et ajustée, et pourquoi il s’agissait d’une contrainte excessive.

[103] Mme Ouellette a partagé l’information à l’interne qu’une veste pare-pics moulée et ajustée ne respectait pas la norme nationale. Cette demande de mesure d’adaptation n’était pas habituelle. Est-ce que c’est trop coûteux? Est-ce que cette veste existe? La négligence de l’employeur constitue un défaut à son obligation de prendre des mesures d’adaptation.

[104] Le seul effort tangible de l’employeur s’est manifesté dans l’obtention d’une veste avec une couture. Toutefois, Mme Lévesque savait que cela n’était pas suffisant car la veste n’était pas moulée. Au printemps 2013, elle a dit qu’il n’y avait pas de veste moulée et que, en raison du barème du SCC, une telle veste n’existait pas. Cependant, cette information n’a pas été communiquée au médecin de la fonctionnaire. Lorsqu’elle a su que la veste ne satisfaisait pas aux limitations de la fonctionnaire, elle n’a fait aucune démarche pour savoir comment elle était insuffisante, ni comment elle aurait pu être modifiée.

[105] Il existait un billet médical dans lequel le médecin a refusé la veste; Mme Ouellette n’avait même pas examiné ce billet. L’insouciance de Mme Ouellette constitue un autre défaut à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. Elle était privilégiée avec Mme Robitaille et avec la région de par sa relation avec la gestion, mais elle a affirmé que ce n’était pas sa responsabilité, qu’elle ne vérifiait pas le travail des gestionnaires et qu’elle n’avait aucun pouvoir sur eux. Elle est la conjointe du directeur de l’établissement et c’est ce dernier qui lui a confié ce mandat des PRT.

[106] La démarche proposée par l’employeur était d’obtenir des clarifications auprès du médecin de la fonctionnaire sans lui fournir de détails pour qu’il prenne une décision éclairée. Après plusieurs mois, Port-Cartier a obtenu la veste du même fournisseur, mais plus ajustée. Mme Dupuis et Mme Lévesque ont indiqué que le seul changement à sa veste, comparativement à l’autre veste, était esthétique – elle était mieux ajustée.

[107] L’employeur a été négligent puisqu’il a renversé le fardeau sur la fonctionnaire. Sa preuve est basée sur la demande de clarification faite auprès du médecin, le 16 juillet 2013. Il n’y a pas eu de question pour comprendre le sens de « aucun contact indirect ». Le médecin a répondu à cette lettre et a renvoyé l’employeur à son obligation de prendre des mesures d’adaptation.

[108] Mme Ouellette a justifié la lettre du 7 août 2013, interdisant l’accès de la fonctionnaire à l’établissement, en l’absence d’une réponse du médecin, même si rien n’indiquait que le médecin devait faire quoi que ce soit. Le représentant de la fonctionnaire a fait valoir que la preuve prépondérante porte sur le fait qu’un gestionnaire a vu la fonctionnaire en moto. L’employeur utilise donc le billet du 21 juillet 2013 à l’encontre de la fonctionnaire. Ainsi, l’escorte hors de l’établissement était une punition pour l’intransigeance de la fonctionnaire en ce qui concerne ses caprices. Cette punition n’était pas fondée et était hautement reprochable étant donné que ce genre de punition est habituellement réservé aux agents déchus.

[109] Aucun témoin n’a pu dire quelles démarches ont été poursuivies en août 2013. En fait, c’est la démarche du syndicat à la suite de cette lettre qui a permis de trouver une mesure d’adaptation, bien qu’imparfaite, et qui a aidé l’employeur à remplir son obligation de prendre des mesures d’adaptation.

[110] Mme Dupuis a indiqué qu’il y avait d’autres agents qui travaillaient sans aucun contact direct avec les détenus, et qui entraient et sortaient de l’établissement. Toutefois, Mme Ouellette a affirmé le contraire. Il revient à la Commission d’évaluer la crédibilité.

[111] Selon la logique de l’employeur, l’interdiction d’avoir des contacts directs et indirects avec les détenus était indépendante de la veste pare-pics, alors que le médecin a indiqué que cette mesure était nécessaire en attendant que la fonctionnaire reçoive la veste pare-pics. Il a laissé entendre que c’était temporaire. À la demande de l’employeur, le médecin a ajouté des précisions, soit une veste qui n’exerce aucune pression au niveau de la poitrine et de la région dorso-lombaire. L’employeur aurait pu effectuer d’autres recherches et demander d’autres clarifications. Cependant, il a manqué à son obligation de fournir l’équipement approprié. Il aurait pu examiner la question du télétravail mais, selon l’employeur, c’était impossible.

[112] Tous les documents ont établi l’existence du besoin d’une veste moulée et ajustée. La mesure d’adaptation était clairement médicale et fondée sur la déficience, conformément à ce qui est reconnu dans la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6) (la « LCDP »). L’employeur devait prendre des mesures d’adaptation à l’égard de la fonctionnaire jusqu’au seuil de la contrainte excessive (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536 (O’Malley)). L’employeur n’a pas fait preuve de contrainte excessive – il n’a jamais poussé ses démarches jusqu’au bout. Mmes Lévesque, Turgeon, Ouellette et Robitaille savaient que les démarches seraient sans succès et elles n’ont pris aucune démarche supplémentaire. À plusieurs reprises, l’employeur a dit qu’il attendait la veste pare-pics moulée et ajustée.

[113] Le défaut de prendre des mesures d’adaptation a eu un impact sur la fonctionnaire. Elle a dû prendre 16 jours de congé de maladie (du 9 au 30 août). Par conséquent, elle réclame le remboursement de ses congés de maladie et des dommages moraux de 10 000$, étant donné les difficultés dans le processus de mise en place de mesures d’adaptation. Elle a subi une perte d’estime de soi, de la tristesse et de l’insomnie pendant des mois, et ce, jusqu’à l’audience.

[114] Elle demande également des dommages punitifs de 10 000$ à cause de la négligence et de la mauvaise foi de l’employeur. Le représentant de la fonctionnaire explique qu’il y a eu négligence de l’employeur de septembre 2012 à août 2013. La décision de l’employeur de ne plus offrir de mesures d’adaptation du 7 au 30 août alors que c’était possible auparavant constitue également de la négligence. Il y eu atteinte flagrante à la réputation de la fonctionnaire lorsque son accès à l’établissement lui a été retiré et qu’elle a été escortée hors de l’établissement. L’accident de travail découle du fait que l’employeur n’avait pas déneigé les marches. L’exigence d’une veste pare-pics moulée et ajustée n’était pas un caprice, mais bien un besoin reconnu par le médecin de la fonctionnaire dans le formulaire de PRT. On ne peut rien reprocher à la fonctionnaire. Elle a coopéré dans le processus de mise en place d’une mesure d’adaptation.

[115] Mme Ouellette a reconnu, un peu tardivement, que l’employeur n’avait pas respecté les demandes présentées dans le formulaire. Elle a blâmé le médecin de la fonctionnaire. Même si ces actes sont limités dans le temps, l’impact durera jusqu’à la décision. Pour toutes ces raisons, les dommages de 10 000$ sont nécessaires pour assurer que cela ne se répète plus.

[116] De plus, la fonctionnaire demande que toute référence à l’interdiction d’accéder à l’établissement qui se retrouve dans son dossier soit enlevée. L’employeur ne peut se décharger de sa propre obligation de prendre des mesures d’adaptation sous prétexte que le syndicat en est responsable, car il a refusé le poste à rotation lente pour la fonctionnaire. La fonctionnaire demande que le grief soit accueilli.

B. Pour l’employeur

[117] En septembre 2012, le médecin a indiqué qu’une veste pare-pics moulée et ajustée était requise. En février 2012, le dossier a été consolidé par la CSST avec limitations. La fonctionnaire est ainsi retournée au travail, mais seulement pour quelques jours puisqu’elle ne pouvait pas faire le travail régulier de CX-01. Il était donc impossible de prendre les mensurations de la fonctionnaire car elle n’était pas au travail. Les mensurations ont été prises en mars 2013. Elle a ensuite été assignée à des tâches cléricales et sa nouvelle veste lui a été fournie au mois de juin 2013. Comme il a été démontré par la preuve, une veste pare-pics moulée et ajustée est hors norme et moins courante pour les agents. En attendant la veste, elle est retournée au travail, elle a donc été accommodée. Seul le congé du 9 au 26 août 2013, soit le temps de trouver une mesure d’adaptation raisonnable, constitue une perte pour la fonctionnaire.

[118] M. Alexandre et M. Cowell ont fait des enquêtes au sujet de la veste et certaines options ont été discutées. La fonctionnaire a fait l’objet de mesures d’adaptation jusqu’à son retrait de l’établissement. Le 28 août 2013, le dossier de la fonctionnaire a été réglé puisqu’elle est retournée au travail à la fin novembre 2013, faisant des quarts de travail de nuit où elle avait peu de contact avec les détenus et pouvait porter la veste de façon sporadique.

[119] L’employeur a soutenu que le grief de la fonctionnaire ne découlait pas du fait qu’elle n’avait pas eu une veste pare-pics moulée et ajustée, car elle a été accommodée à cet égard. L’élément déclencheur a été la note de son médecin, en date du 21 juillet 2013, qui a mené à son retrait de l’établissement. Il était difficile d’accommoder la limitation ne permettant aucun contact direct ou indirect avec les détenus.

[120] Afin que son grief soit accueilli, la fonctionnaire doit démontrer qu’elle avait une déficience qu’il y a eu un impact négatif sur son emploi et que la déficience était un facteur dans l’impact négatif qu’elle aurait subi. En l’espèce, on examine une période de trois semaines (c’est-à-dire 16 jours de congé de maladie). Il s’agit d‘un accommodement tripartite (Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 RCS 970) entre le syndicat, l’employeur et la fonctionnaire. Mme Dupuis et M. Davidson ont trouvé une solution.

[121] L’employeur a fait des efforts pendant ces trois semaines. Mme Ouellette a parlé de postes à rotation lente, mais ce n’était pas une option pour le syndicat. Elle a aussi parlé de la mobilité de la fonctionnaire. Mme Ouellette a dit qu’ils n’ont pas cessé de tenter de trouver une mesure d’adaptation pendant cette courte période.

[122] On ne peut dire que l’employeur était déraisonnable. Il n’y a pas eu de discrimination contre la fonctionnaire. Le grief doit donc être rejeté.

C. Réplique de la fonctionnaire

[123] L’employeur a fait valoir qu’il était impossible de faire les démarches pour prendre les mesures d’adaptation de la fonctionnaire en ce qui concerne une nouvelle veste en février 2013, ce qui est faux puisque Mme Ross aurait pu se rendre à l’établissement pour que les mensurations soient prises. Toutefois, la direction n’a jamais communiqué avec la fonctionnaire pour prendre ces démarches avant son retour au travail. L’employeur aurait pu vérifier auprès d’autres fournisseurs pour une veste moulée.

[124] Il est à noter que la direction n’a jamais posé de question au sujet de la restriction concernant les contacts indirects avec les détenus. Étant donné que l’employeur croyait que la question de la veste était réglée, la question du contact indirect n’était plus pertinente.

[125] L’acte discriminatoire a eu lieu le 7 août 2013, lorsque Mme Ross a été escortée hors de l’établissement. Un événement troublant qui mérite des excuses quant à la mesure d’adaptation reçue. Mme Ross n’a jamais reçu de veste pare-pics moulée et ajustée, elle devait donc se débrouiller par elle-même.

V. Motifs

[126] Le présent grief découle du refus de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de la fonctionnaire à la suite de sa demande de réintégration au travail suivant son accident au travail. Elle allègue que cela constitue de la discrimination, en violation de l’article 37 de la convention collective et des dispositions de la LCDP.

[127] Voici une brève chronologie des faits saillants :

Ø Le 26 novembre 2010 : la fonctionnaire est tombée au travail et a subi une entorse lombaire.

Ø Du 6 décembre 2010 au 3 novembre 2011 : la fonctionnaire est en arrêt de travail.

Ø Du 4 au 9 novembre 2011 : la fonctionnaire est retournée au travail – mais elle ne peut pas porter sa veste pare-pics. Elle a fait du travail de bureau sans contact direct avec les détenus.

Ø Le 9 novembre 2011 : la fonctionnaire est en arrêt de travail encore une fois.

Ø Le 4 juin 2012 : un billet médical indiquant que la fonctionnaire a besoin d’une veste pare-pics moulée et ajustée est présenté.

Ø Le 26 septembre 2012 : le billet médical de la fonctionnaire indiquait qu’elle devait avoir une veste pare-pics moulée et ajustée. Mme Ouellette a donc commencé à faire les démarches auprès de l’administration centrale.

Ø Le 1er novembre 2012 : un rapport médical rendu à la demande de la CSST identifie les limitations fonctionnelles de la fonctionnaire. Ce rapport consolide également le dossier de la fonctionnaire en date du 11 septembre 2012.

Ø Le 18 novembre 2012 : des discussions sont tenues entre la fonctionnaire, l’employeur et la CSST concernant son retour au travail.

Ø Le 10 décembre 2012 : un billet médical qui indique que la fonctionnaire ne peut avoir de contact avec les détenus est présenté.

Ø Le 30 janvier 2013 : Mme Turgeon a une discussion avec Mmes Ouellette, Ross et Dupuis, et la représentante de la CSST, au sujet de l’évaluation des postes qui a été faite. À la suite de cette rencontre la fonctionnaire réintègre le milieu de travail.

Ø Le 12 février 2013, la CSST a avisé la fonctionnaire que ses versements d’indemnités avaient pris fin le 6 février 2013 étant donné qu’elle était capable d’exercer son emploi à la SCC.

Ø Les 5 et 13 février 2013 : les billets médicaux indiquaient que la fonctionnaire pouvait retourner au travail à temps partiel, mais pas dans une position d’autorité. Elle devait avoir un contact restreint avec les détenus en respectant les limitations et en portant la veste pare-pics ajustée et moulée.

Ø Février 2013 : la fonctionnaire a reçu sa veste pare-pics mais celle-ci ne correspondait pas aux exigences du médecin.

Ø Le 19 février 2013 : selon le Plan de retour au travail et plan de mesure d’adaptation la fonctionnaire pouvait effectuer du travail non CX comme du travail de bureau, en attendant sa veste pare-pics ajustée et moulée. Elle a également été assignée aux plaintes et aux griefs des détenus.

Ø Le 21 février 2013 : Mme Robitaille communique avec M. Alexandre pour qu’il puisse s’informer au sujet de l’obtention de la veste pare-pics ajustée pour la fonctionnaire.

Ø Mars 2013 : les mensurations de la fonctionnaire ont été prises pour sa veste pare-pics.

Ø Le 18 avril 2013 : le Plan de retour au travail et plan de mesure d’adaptation indique qu’en attendant la veste pare-pics moulée et ajustée, la fonctionnaire pouvait faire du travail de bureau, participer aux formations des agents correctionnels et occuper les postes d’agent en charge de la poterne et d’entrée de service.

Ø Juin 2013 : la fonctionnaire a reçu sa nouvelle veste pare-pics, mais elle n’était pas moulée.

Ø Le 12 juillet 2013 : réception d’un billet médical qui indiquait que la fonctionnaire ne devait pas avoir de contact avec les détenus et qu’elle ne pouvait pas porter la veste pare-pics car celle-ci ne convenait pas à sa condition physique.

Ø Le 16 juillet 2013 : l’employeur a envoyé une lettre au médecin pour obtenir des clarifications concernant la veste, mais le fait que la veste ne peut être moulée n’a pas été communiqué.

Ø Le 18 juillet 2013 : le PRT de la fonctionnaire est modifié puisqu’elle avait complété sa formation sur les armes. Il est toutefois indiqué qu’elle doit avoir une veste pare-pics ajustée et moulée.

Ø Le 21 juillet 2013 : la réponse du médecin à la lettre du 16 juillet 2013. Il est indiqué qu’en attendant la veste pare-pics moulée et ajustée, la fonctionnaire devait éviter les contacts directs et indirects avec les détenus et les postes de travail où elle est en situation d’autorité face aux détenus.

Ø Le 7 août 2013 : la fonctionnaire a été escortée hors l’établissement puisque son accès lui a été retiré.

Ø Le 8 août 2013 : lettre de l’employeur à la fonctionnaire indiquant que son accès à l’établissement est retiré.

Ø Du 9 au 26 août 2013 : l’employeur impose un congé de maladie à la fonctionnaire.

Ø Le 14 août 2013 : Mme Lévesque écrit à la fonctionnaire précisant que la direction continuait les démarches afin de lui trouver une mesure d’adaptation qui convient à ses limitations.

Ø Le 23 août 2013 : discussion entre Mme Robitaille et M. Davidson concernant la mesure d’adaptation de la fonctionnaire.

Ø Le 26 août 2013 : Nouveau PRT proposé par le syndicat permettant le retour au travail de la fonctionnaire, accepté par le médecin et la direction (travail de nuit avec port de la veste de façon sporadique).

Ø Le 28 août 2013 : le dossier de Mme Ross a été réglé.

Ø Fin novembre 2013 : la fonctionnaire est retournée au travail conformément au PRT.

[128] La déficience fait partie des motifs de distinction illicite énumérés à l’article 3 de la LCDP. Pour établir qu’il y a eu discrimination, la fonctionnaire doit présenter d’abord une preuve prima facie de discrimination.

  • [129] La Cour suprême du Canada a établi le critère dans O’Malley, comme suit :

[…]

[…] Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé […]

[…]

[130] Comme il est indiqué ci-dessus, la fonctionnaire a le fardeau de présenter une preuve suffisante, jusqu’à preuve du contraire, de discrimination. Il suffit pour la fonctionnaire de démontrer que la présumée discrimination était un des facteurs, non le seul facteur ni même le facteur principal, pour satisfaire au critère de la preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire. (Voir Holden c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada (1991), 14 C.H.R.R. D/12, au paragraphe 7 (F.C.A.).) Le fardeau de la preuve dans les cas concernant la discrimination est celui de la prépondérance des probabilités.

[131] La Commission ne peut pas examiner la réponse de l’employeur avant de déterminer si une preuve prima facie de discrimination a été démontrée (voir Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204, au paragraphe 22). Si la fonctionnaire établit une preuve suffisante de discrimination jusqu’à preuve du contraire, il incombe alors à l’intimé de donner une explication raisonnable de ses actes. En vertu de l’article 15 de la LCDP, un employeur peut répondre à une preuve prima facie de discrimination en indiquant que sa mesure découlait d’une exigence professionnelle justifiée; cette analyse comprend l’examen de la mesure d’adaptation raisonnable jusqu’au seuil de la contrainte excessive.

[132] À la lumière des faits, je suis d’avis que les trois éléments du test prima facie sont présents : (1) la fonctionnaire fait partie d’un groupe dont la caractéristique (déficience) est un motif illicite de discrimination; il n’est pas contesté que la fonctionnaire avait des limitations fonctionnelles au niveau de son dos qui nécessitaient une mesure d’adaptation au niveau de ses outils de travail, plus précisément une veste pare-pics ajustée et moulée (2) elle a subi un traitement défavorable lorsque son accès à l’établissement lui a été retiré, alors qu’elle pouvait faire du travail de bureau et (3) il existe un lien entre ces deux faits puisque c’est sa déficience qui rend nécessaire la recherche d’un travail et de l’équipement nécessaire, dont sa veste pare-pics, à ses limitations fonctionnelles. Sa déficience et son besoin d’une mesure d’accommodement, la veste par pics moulée et ajustée, est la raison pour laquelle elle fut retirée de l’établissement. (Voir Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39).

[133] Dans Toronto (City) v. Canada Union of Public Employees, Local 79 (Wilson Grievance), [2001] O.L.A.A. No. 688 (Q.L.), au paragraphe 70, l’arbitre de grief a énuméré certains critères qui permettent d’évaluer si la mesure d’adaptation est raisonnable :

[Traduction]

  • Ø la nature du travail effectué par l’employé avant le début de la déficience;

  • Ø la nature de la déficience;

  • Ø les renseignements disponibles sur les limitations fonctionnelles;

  • Ø la coopération de l’employé blessé;

  • Ø la nature de l’entreprise et sa taille;

  • Ø les connaissances de l’employeur en matière d’accommodement;

  • Ø la disponibilité d’un accommodement adéquat;

  • Ø le nombre de mesures d’adaptation requises.

 

[134] L’employeur a expliqué qu’après avoir effectué une recherche, il a conclu qu’il n’était pas possible d’obtenir une veste pare-pics ajustée et moulée. De plus, lorsqu’il a reçu la réponse du médecin en date du 21 juillet 2013 indiquant que la fonctionnaire ne pouvait pas avoir de contact direct et indirect avec les détenus, il ne comprenait pas ce qui se passait et, par conséquent, ne pouvait pas l’accommoder. Sa réaction a été de retirer l’accès de Mme Ross à l’établissement sous prétexte de la nécessité de la protéger.

[135] La fonctionnaire avait un billet médical en date du 4 juin 2012, qui indiquait qu’elle avait besoin d’une veste pare-pics moulée et ajustée. Ainsi, l’employeur était au courant dès juin 2012 qu’une telle veste était requise. Toutefois, ce n’est que lorsque Mme Ouellette a reçu le billet médical en date du 26 septembre 2012, qu’elle a commencé à faire les démarches auprès de l’administration centrale. Ainsi, la première veste de la fonctionnaire n’était pas ajustée et moulée, tel qu’il a été recommandé par le médecin. D’autres mensurations ont été prises. Cette deuxième veste ne respectait toujours pas les restrictions médicales de la fonctionnaire.

[136] Ainsi, entre septembre 2012 et août 2013, les efforts de l’employeur pour obtenir une telle veste ont été futiles. Selon l’employeur, il n’existait pas de veste pare-pics moulée et ajustée. La preuve démontre que la direction a seulement consulté un fournisseur et aucun témoin n’a pu expliquer avec précision la raison pour laquelle il n’était pas possible de faire affaire avec un autre fournisseur dans cette situation et en quoi la veste des agents correctionnels différait des vestes des autres corps de métiers, tels les policiers. Aucune preuve n’a été présentée à savoir pourquoi une veste pare-balles, comme celle des policiers, n’était pas adéquate dans un milieu carcéral comme Port Cartier. Mme Robitaille a renvoyé au fait que la veste policière ne rencontrait pas les normes du SCC, mais aucune preuve et aucun détail n’ont été fournis à l’appui de cette déclaration.

[137] Ce qui ressort de manière flagrante est le fait que la direction savait dès le mois de mars 2013 qu’il n’était pas possible d’obtenir une veste pare-pics moulée et ajustée. Cependant, tous les PRT de la fonctionnaire indiquaient qu’elle était en attente d’une veste pare-pics moulée et ajustée. Pourquoi la direction n’en a-t-elle pas avisé la fonctionnaire et son syndicat? De plus, il est incompréhensible que la direction n’en ait pas informé le médecin dans sa lettre du 16 juillet 2013. Cette omission a mené la fonctionnaire, le syndicat et son médecin à croire que c’était possible puisque les restrictions quant au contact avec les détenus étaient temporaires jusqu’à l’obtention de la veste.

[138] L’employeur aurait pu faire une recherche auprès d’autres fournisseurs pour obtenir la veste. Si une telle veste n’était pas disponible, il revenait à l’employeur d’en informer la fonctionnaire le plus tôt possible pour ainsi être en mesure de trouver d’autres mesures d’adaptation. Ce manquement n’a que reporté la réintégration de la fonctionnaire dans son travail et délibérément entravé le processus de mise en place d’une mesure d’adaptation.

[139] La restriction qui semble avoir posé le plus gros défi pour l’employeur était celle concernant l’absence de contact indirect avec les détenus. D’après Mme Turgeon, il s’agissait d’une contrainte excessive puisqu’il était toujours possible de voir les détenus ou de traiter avec ceux-ci, notamment lors de contacts avec les dossiers de détenus. Selon elle, la restriction voulait dire que la fonctionnaire n’avait pas le droit de voir, de ses propres yeux, les détenus ou même peut-être traiter le dossier d’un détenu. Mme Lévesque a confirmé qu’il y avait un contact indirect avec les détenus dans l’unité de travail de bureau étant donné qu’il y a des fenêtres à partir desquelles on pouvait les voir. Mme Ouellette a expliqué que tous les dossiers concernent les détenus, et qu’il y a donc toujours un contact indirect.

[140] Ce raisonnement est extrême et démontre, selon moi, de la mauvaise foi. La direction n’a jamais demandé à la fonctionnaire ou à son médecin d’explication quant à cette nouvelle restriction. La fonctionnaire et son syndicat ont été impliqués et ont coopéré tout au long du processus de réintégration, il aurait été simple de communiquer avec eux ou avec le médecin de la fonctionnaire pour obtenir une précision quant à cette nouvelle limitation. Malheureusement, cette démarche n’a pas été entreprise et la direction a tout simplement décidé d’expulser la fonctionnaire de l’établissement. La fonctionnaire n’en a pas été avisée au préalable, mais M. Blainville du syndicat l’a été. Il a indiqué qu’il avait interrogé la direction à savoir pourquoi elle ne pouvait plus avoir accès à l’établissement. Les témoins ont tous confirmé que personne n’avait perdu accès à l’établissement à cause de leurs limitations fonctionnelles et que ce traitement était plutôt réservé aux agents coupables d’une inconduite. Cet événement a été humiliant pour la fonctionnaire et il y a eu atteinte à sa réputation. Le SCC a laissé trainer les rumeurs en milieu de travail à savoir pourquoi elle avait été expulsée du pénitencier.

[141] La preuve a démontré que les employées enceintes peuvent continuer à travailler dans l’établissement sans avoir de contact avec les détenus et sans porter leur veste pare-pics. Elles sont assignées à du travail de bureau ou à des postes où il n’y a pas ou peu de contact avec les détenus, comme à la poterne. La situation de la fonctionnaire pouvait être comparée à celle d’une employée enceinte. En fait, Mme Ouellette avait été assignée à son dossier étant donné que celui-ci ressemblait au dossier d’une employée enceinte.

[142] La fonctionnaire a effectivement travaillé, d’avril 2013 à juillet 2013, aux plaintes et aux griefs des détenus et en plaçant les commandes pour les détenus en attendant sa veste pare-pics moulée et ajustée. Selon Mme Robitaille, la direction lui trouvait du travail et il n’y avait pas de problème. Alors, pourquoi ne pas continuer avec cette mesure d’adaptation?

[143] Je conclus que l’employeur a commis un acte discriminatoire en retirant l’accès de la fonctionnaire à l’établissement à Port-Cartier et en la forçant à prendre un congé de maladie. En plus de lui avoir retiré son accès, elle a été escortée à l’extérieur devant tous ces collègues comme si elle était coupable d’une inconduite. La situation n’a été expliquée aux agents qu’une semaine plus tard afin de mettre fin aux rumeurs. Je conclus que la plaignante a été humiliée et sa dignité impactée.

[144] De plus, la lettre du 8 août 2013 ne laissait pas entendre que l’employeur cherchait des mesures d’adaptation puisqu’il a rendu la fonctionnaire responsable de l’obligation de communiquer avec lui advenant un changement dans son état de santé ou de ses limitations. Ce n’est que le 14 août 2013 que l’employeur a corrigé le tir et qu’il a précisé qu’il continuait les démarches afin de trouver une mesure d’adaptation convenable pour la fonctionnaire. Toutefois, aucun témoin n’a pu expliquer de quelles démarches il s’agissait. Je conclus que l’employeur n’avait aucune intention de trouver une mesure d’adaptation pour la fonctionnaire. Je suis d’accord avec l’allégation de la fonctionnaire que la vraie raison pour l’expulsion de l’établissement était le fait qu’elle était arrivée en moto à l’établissement. Mme Turgeon a clairement indiqué dans son témoignage qu’il semblait avoir une incongruence entre les limitations fonctionnelles de la fonctionnaire et le fait qu’elle arrivait en moto. S’il y avait incongruence, Mme Turgeon n’avait qu’à demander des précisions au médecin traitant. Toutefois, elle a préféré expulser la fonctionnaire de l’établissement et cela 8 jours après avoir reçu le certificat médical qui indiquait aucun contact direct et indirect avec les détenus.

[145] Tel qu’il a été établi dans Renaud, une mesure d’adaptation raisonnable est une préoccupation non seulement pour l’employeur mais également pour l’employé et son agent négociateur, le cas échéant. L’employeur et l’employé avec son agent négotiateur ont un rôle à jouer afin de veiller à ce qu’une mesure d’adaptation raisonnable soit prise, l’employeur en offrant la mesure d’adaptation et l’employé en fournissant des renseignements nécessaires et en collaborant à la recherche de solutions raisonnables. L’agent négociateur a également un rôle dans la recherche de solutions raisonnables. L’obligation d’accommodement est donc une obligation tripartite dans un milieu de travail syndiqué.

[146] Dans le présent cas, l’employeur a manqué à ce devoir puisqu’il n’a pas communiqué le fait que la veste pare-pics moulée n’existait pas et il a pris la décision de retirer l’accès à la fonctionnaire dans l’absence de clarification. Il n’y avait pas de collaboration avec la fonctionnaire ou le syndicat sur ces points importants. De plus, le fait qu’il voulait éviter du favoritisme n’est pas une explication raisonnable en l’espèce. L’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’est pas du favoritisme, mais plutôt une obligation légale. Le syndicat était au courant du besoin de la veste pare-pics moulée et ajustée et ne semblait pas croire que cela allait créer du favoritisme ou offusquer les autres employés. Une des raisons d’inclure l’agent négociateur dans le processus de mise en place d’une mesure d’adaptation est de s’assurer que les mesures d’adaptation soient acceptables pour l’ensemble de ses membres.

[147] Il est important de regarder l’ensemble des faits en l’espèce. Le médecin a imposé la restriction concernant l’absence de contact direct ou indirect avec les détenus de manière temporaire, en attendant que la fonctionnaire obtienne sa veste pare-pics moulée et ajustée. Une fois la veste reçue, cette restriction aurait été éliminée. L’obtention de la veste pare-pics moulée et ajustée était directement liée à cette restriction. À mon avis, l’explication de l’employeur à savoir qu’il n’avait aucune idée d’où venait cette nouvelle restriction concernant le contact indirect n’est pas crédible. Depuis 2012, la fonctionnaire revendiquait une veste pare-pics moulée et ajustée pour répondre à ses limitations fonctionnelles physiques. Il n’a jamais été question de limitation fonctionnelle psychologique. Il n’y a eu aucun événement, en milieu de travail ou dans la vie personnelle de la fonctionnaire, qui aurait pu amener l’employeur à croire que le contact indirect avec les détenus constituait une nouvelle limitation. S’ils avaient eu des doutes ou des questions, ils auraient pu tout simplement rencontrer la fonctionnaire et son syndicat et lui poser la question et ainsi éviter le cirque qui a consisté en l’envoi de lettres et l’expulsion de la fonctionnaire de l’établissement.

[148] Ainsi, je ne peux accepter l’argument de l’employeur que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation a été déclenchée lorsque l’accès de la fonctionnaire à l’établissement lui a été retiré. L’employeur avait eu plus que trois semaines; il avait eu plusieurs mois. Il a brusquement mis fin à ses démarches quand il a retiré l’accès de la fonctionnaire à l’établissement, sans même demander des clarifications par rapport aux restrictions. L’employeur s’est conduit de manière cavalière envers la fonctionnaire et a fait preuve de mauvaise foi.

[149] Par conséquent, l’explication de l’employeur n’est pas raisonnable. Il n’a pas réussi à démontrer qu’il avait atteint le seuil de la contrainte excessive.

A. Mesures correctives

[150] La fonctionnaire demande le remboursement des crédits de congé de maladie qu’elle a dû prendre pour s’absenter du travail à la suite de son expulsion de l’établissement (du 9 au 26 août 2013). Elle réclame également des dommages en vertu de l’article 53(2)e) de la LCDP de 10 000$ pour préjudice moral et de 10 000$ en vertu de l’article 53(3) de la LCDP pour indemnité spéciale.

[151] Le pouvoir de la Commission d’ordonner des mesures correctives est prévu à l’article 226(2)b) de LRTFP. Ceci inclue les ordonnances prévues à l’alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de la LCDP.

[152] En vertu de l’article 53(2)e), la Commission peut ordonner à la partie trouvée coupable d’un acte discriminatoire d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000$ la victime qui a souffert un préjudice moral en raison d’un acte discriminatoire. L’article 53(3) prévoit quant à lui une autre indemnité maximale de 20 000$ pour la victime, si la Commission en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

[153] Bien que l’article 53(2)e) de la LCDP confère à la Commission le pouvoir discrétionnaire d’accorder cette réparation lorsqu’un grief est accueilli, son pouvoir discrétionnaire doit être exercé de façon judicieuse et à la lumière de tous les éléments de preuve dont elle est saisie. Voir Commission canadienne des droits de la personne c. Dumont, 2002 CFPI 1280 (CanLII), au paragraphe 14.

[154] Par conséquent, je conclus que la fonctionnaire a démontré qu’elle avait été humiliée lorsqu’elle a été escortée hors de l’établissement. L’employeur a pris une semaine avant d’intervenir et expliquer pourquoi la fonctionnaire avait été escortée à l’extérieur de l’établissement. Aucune explication n’a été fournie à savoir pourquoi la photo de la fonctionnaire était affichée à la poterne. Les rumeurs qui ont surgi à la suite de cet événement ont eu un impact sur elle et sa réputation. Ce genre de traitement dans une situation d’accommodement est déplorable. De plus, le processus concernant sa réintégration à ses fonctions d’agent correctionnel a été long et ardu en raison de l’omission de l’employeur d’aviser la fonctionnaire qu’une veste pare-pics moulée et ajustée n’existait pas. Elle a subi une perte d’estime de soi, de l’insomnie et de la tristesse. La fonctionnaire voulait que retourner au travail et être productive.

[155] J’estime qu’il est justifié de lui verser une indemnité de 10 000$ pour préjudice moral (art. 53(2)e)) et une indemnité de 10 000$ en raison de l’acte délibéré et inconsidéré de l’employeur (art. 53(3)).

[156] De plus, toute référence à l’interdiction d’accès à l’établissement qui se trouve dans le dossier de la fonctionnaire doit être supprimée et les crédits de congé de maladie pour la période du 9 au 26 août 2013, doivent être remis dans sa banque de crédits de congé de maladie.

[157] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[158] Le grief est accueilli.

[159] L’employeur doit verser à la fonctionnaire une indemnité de 10 000$ pour préjudice moral (art. 53(2)e)) et une indemnité de 10 000$ en raison de l’acte délibéré et inconsidéré de l’employeur (art. 53(3)).

[160] Toute référence à l’interdiction d’accès à l’établissement qui se trouve dans le dossier de la fonctionnaire doit être supprimée.

[161] Les crédits de congé de maladie pour la période du 9 au 26 août 2013, doivent être remis dans sa banque de crédits de congé de maladie.

[162] J’ordonne que les pièces suivantes soient scellées : pièces G-2, G-5, G-8, G11 et G-17, l’onglet 1 du cahier de l’employeur, la pièce E-2, et l’onglet 22 du cahier de l’employeur.

[163] J’ordonne que les informations personnelles de la fonctionnaire, telles que son adresse, son numéro d’assurance social et son code d’identification personnel, soient caviardés.

[164] Le tout doit être fait dans les 90 jours suivant la date de cette décision.

Le 21 janvier 2020.

Chantal Homier-Nehmé,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

 

 

 

 

 

 

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