Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Une employée s’est réinstallée d’Ottawa à Toronto, étant entendu qu’aucun frais de réinstallation ne serait remboursé – environ un an et demi plus tard, elle a présenté une demande de remboursement des frais de réinstallation en vertu de la Directive sur la réinstallation du Conseil national mixte – l’employeur a soutenu que la fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas été autorisée à se réinstaller en vertu de la Directive et qu’elle n’a pas satisfait pas aux obligations qui y étaient imposées – la Commission a conclu que la lettre d’offre de la fonctionnaire s’estimant lésée indiquait qu’on lui offrait une mutation et que l’employeur comprenait clairement qu’elle devrait se réinstaller à Toronto pour le poste – l’employeur a autorisé la fonctionnaire s’estimant lésée à cesser de travailler à Ottawa et à commencer à travailler à Toronto – la Commission a conclu qu’aucune disposition de la Directive n’accordait à l’employeur le pouvoir discrétionnaire, après avoir autorisé un employé à commencer à occuper un autre poste dans un autre lieu, de ne pas autoriser ce déplacement comme une réinstallation – le déménagement de la fonctionnaire s’estimant lésée correspondait à la définition de « réinstallation » contenue dans la Directive – la Commission a conclu que la section 1.4.2 de la Directive était prescriptive et non permissive – si la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait pas accepté le poste, l’employeur aurait mené un processus de nomination en zone fermée qui n’aurait pas entraîné de frais de réinstallation – la fonctionnaire s’estimant lésée a clairement demandé le déménagement pour des raisons personnelles – l’employeur a également soutenu que la Commission devrait rejeter le grief fondé sur le principe de la préclusion promissoire qui, selon la Commission, ne peut s’appliquer à la promesse de la fonctionnaire s’estimant lésée de se réinstaller sans remboursement – l’employeur savait que ses décisions étaient assujetties à la procédure de règlement des griefs et que le coût de l’arbitrage de griefs fait partie des frais liés à l’exercice de ses activités dans un environnement syndiqué – une promesse faite par un employé à l’embauche ne peut pas être utilisée comme motif par la Commission pour permettre à un employeur d’enfreindre une convention collective – la fonctionnaire s’estimant lésée a accepté de déménager à Toronto, étant entendu qu’aucun coût de réinstallation ne serait payé par son employeur, mais son accord était fondé sur l’affirmation de l’employeur selon laquelle la Directive ne s’appliquait pas à sa situation parce qu’il n’avait pas les fonds nécessaires – la promesse de la fonctionnaire s’estimant lésée ne peut être considérée comme étant claire et sans équivoque – elle a accepté l’affirmation de l’employeur selon laquelle elle aurait à assumer les coûts de réinstallation et une lettre d’offre qui ne mentionnait pas ces coûts – enfin, l’employeur n’a pas démontré qu’il s’était appuyé sur la promesse de la fonctionnaire s’estimant lésée parce qu’il aurait peut-être pris une décision différente s’il avait su que les coûts de réinstallation auraient pu constituer un problème – la Commission a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée devrait se voir rembourser le montant maximal autorisé en vertu de la partie XII de la Directive pour une réinstallation demandée par l’employé, et qu’elle devrait recevoir 5 000 $ en remboursement de ses frais de déménagement – la Commission a jugé juste et raisonnable d’accorder huit jours de rémunération au niveau maximal du barème de rémunération du groupe et du niveau CO-02 qui était en vigueur l’année où la fonctionnaire s’estimant lésée s’est réinstallée à Toronto.

Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision

Date : 20210331

Dossier : 566-02-12654

 

Référence : 2021 CRTESPF 34

 

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

eNTRE

 

Lee Nowlan

fonctionnaire s’estimant lésée

 

 

et

 

CONSEIL DU TRÉsOR

(Ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement)

 

employeur

Répertorié

Nowlan c. Conseil du Trésor (Ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : David Orfald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Tony Micallef-Jones, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l’employeur : Philippe Giguère, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence

les 12 et 13 janvier 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction

[1] La présente affaire concerne l’application de la Directive sur la réinstallation du Conseil national mixte (CNM) (la « Directive »), qui constitue une partie de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor (l’« employeur ») et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC) pour l’unité de négociation du groupe Vérification, commerce et achat (groupe AV) (date d’expiration : le 21 juin 2014).

[2] La question concerne une fonctionnaire qui s’est réinstallée d’Ottawa à Toronto (Ontario) en 2010, étant entendu qu’aucune dépense de réinstallation ne serait remboursé. Environ un an et demi plus tard, la fonctionnaire a présenté une demande de remboursement des dépenses de réinstallation en vertu de la Directive. Les questions à trancher sont les suivantes : (1) La fonctionnaire devrait‑elle avoir droit au remboursement des dépenses de réinstallation en vertu de la Directive? (2) Dans l’affirmative, à quelle somme a‑t‑elle droit?

[3] Au cours de l’été 2010, Lee Nowlan, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), travaillait pour le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, aujourd’hui connu sous le nom d’Affaires mondiales Canada (AMC ou le « Ministère »). Elle a présenté sa candidature à un poste au groupe et au niveau CO-02, qui fait partie de l’unité de négociation du groupe AV, même si le poste constituait une rétrogradation. Le nouvel emploi se trouvait à Toronto, ce qui devait permettre à la fonctionnaire de vivre et de travailler plus près de sa famille. À ce moment‑là, elle a été avisée qu’aucune dépense de réinstallation ne serait remboursé, et elle a accepté d’occuper le poste compte tenu de cela.

[4] En 2011, la fonctionnaire a produit sa déclaration de revenus pour 2010 et elle a demandé le remboursement de ses dépenses de réinstallation à titre de déduction pour frais d’emploi autofinancés. L’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») a toutefois refusé cette demande de remboursement.

[5] En 2012, après que l’ARC eut refusé sa déduction, la fonctionnaire a demandé à AMC s’il couvrirait ses dépenses de réinstallation. Le Ministère a examiné sa demande, mais il a mis plus de deux ans à lui présenter une réponse finale. En rejetant sa demande de remboursement, le Ministère a affirmé qu’il n’avait pas le pouvoir de couvrir les dépenses de réinstallation de la fonctionnaire parce que celle‑ci n’avait pas reçu d’autorisation par écrit avant de les engager.

[6] Le 13 juin 2014, la fonctionnaire a déposé un grief contestant la décision d’AMC. Après avoir été soumis à la procédure de règlement des griefs du CNM, le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 27 mai 2016.

[7] Il ne fait aucun doute que la fonctionnaire n’a pas suivi les étapes exigées d’un fonctionnaire dans la Directive, à savoir demander l’approbation de toutes les dépenses avant de les engager. Cependant, je suis d’avis que les omissions de la fonctionnaire ont découlé d’une décision erronée de l’employeur selon laquelle il pouvait approuver une réinstallation sans approuver les dépenses de réinstallation. Je suis d’avis que la fonctionnaire aurait dû recevoir le remboursement de la somme maximale admissible au titre de la disposition de la Directive prévoyant la « Réinstallation à la demande du fonctionnaire ». Je suis également d’avis que la fonctionnaire aurait dû bénéficier d’un congé payé de huit jours en vertu des dispositions de la Directive.

II. Résumé de la preuve

[8] Je commencerai par présenter une brève chronologie des évènements, qui repose principalement sur l’énoncé conjoint des faits et le recueil conjoint de documents que les parties ont fournis. Trois témoins ont par ailleurs livré un témoignage. La fonctionnaire a témoigné pour elle‑même. L’employeur a cité à témoigner Katharine Funtek et Marcel Lebleu. Au moment des faits en question, Mme Funtek était directrice à la Direction générale de la réglementation commerciale (« DGRC »), la direction générale d’AMC dans laquelle Mme Nowlan a été embauchée en 2010. M. Lebleu, qui est ambassadeur en Colombie à l’heure actuelle, était directeur général des Opérations régionales à AMC au moment où la demande de remboursement de la fonctionnaire a été refusée, en 2014.

[9] Avant de déménager à Toronto, Mme Nowlan occupait un poste EC-07pour une période indéterminée en qualité de directrice adjointe de la planification et des politiques stratégiques à AMC, poste qui était basé à Ottawa. Mme Nowlan avait cherché un poste à Toronto ou dans le sud‑ouest de l’Ontario — au sein ou à l’extérieur de la fonction publique fédérale — afin de mieux s’acquitter de ses responsabilités familiales à London, en Ontario.

[10] Au début de juillet 2010, la fonctionnaire a rencontré un directeur adjoint afin de discuter de son intérêt pour l’un des deux postes d’agent commercial principal qu’AMC venait de créer à Toronto. Ces postes étaient classifiés au sein du groupe Commerce au niveau CO-02. À ce titre, ils avaient un taux de rémunération maximal moins élevé que le poste au niveau EC-07.

[11] Le directeur adjoint a avisé la fonctionnaire que le Conseil du Trésor interdisait le paiement d’une aide à la réinstallation pour ces postes, qui faisaient partie d’un examen stratégique appelé « SR32 ». Le directeur adjoint a aussi dit à la fonctionnaire que si le Ministère procédait à un processus de nomination, le Conseil du Trésor exigerait la tenue d’un processus en zone fermée.

[12] Mme Funtek a témoigné que le SR32 était une initiative ayant pour but de déménager en région 32 postes de l’administration centrale. Parallèlement, un examen stratégique distinct, appelé « SR400 », obligeait AMC à déplacer 400 postes à l’étranger. Mme Funtek a affirmé que le SR32 avait pour but d’implanter des postes en région, où ils seraient plus près des clients. Elle a témoigné qu’AMC avait l’intention de doter les postes SR32 à l’échelle locale, et que le Ministère n’avait pas de fonds aux fins des réinstallations.

[13] Le 30 juillet 2010, la fonctionnaire a reçu et signé une lettre d’offre pour le poste CO-02, dont la date d’entrée en fonction était fixée au 7 septembre 2010. La lettre indiquait que le poste se trouvait à Ottawa. Cependant, Mme Funtek a témoigné que cela était attribuable au fait qu’AMC n’avait pas encore officiellement créé une [traduction] « place » pour ce poste en région. À ce moment‑là, il y avait une place vacante à Ottawa seulement, mais AMC voulait que le poste soit situé en région.

[14] Mme Funtek a témoigné que six postes CO-02 avaient été créés au sein de la DGRC, soit deux dans chacune des villes de Toronto, Montréal et Vancouver. Sur les six, trois postes ont été dotés par des employés qui ont déménagé d’Ottawa : celui de la fonctionnaire, plus les deux à Montréal. Les frais de réinstallation liés à ces déménagements n’ont pas été payés.

[15] À la suite d’une courte période d’orientation à Ottawa, en septembre 2010, la fonctionnaire a déménagé à Toronto afin d’y travailler au bureau d’AMC. Elle a pris cinq jours de congé à ses frais pour effectuer un voyage de recherche de logement avant son déménagement, puis trois autres jours de congé après son entrée en fonction à son nouveau poste afin de finaliser la vente de sa maison et d’exécuter d’autres tâches liées au déménagement.

[16] La fonctionnaire a témoigné qu’elle avait accepté le poste, même s’il constituait une rétrogradation, en raison de sa situation familiale. Elle a reconnu qu’on lui avait dit qu’AMC ne couvrirait aucune dépense de réinstallation et qu’elle avait accepté le poste en fonction de cela. Elle a reconnu que la lettre d’offre ne faisait pas mention des dépenses de réinstallation. Elle a affirmé avoir eu du mal à gérer les répercussions financières de sa décision, mais qu’elle avait rencontré son comptable, qui avait affirmé qu’elle pouvait demander le remboursement de certaines dépenses à titre d’exemptions fiscales.

[17] En 2011, la fonctionnaire a produit sa déclaration de revenus pour 2010, et elle a demandé le remboursement de ses dépenses de réinstallation à titre de déduction pour frais d’emploi autofinancés. Le 8 novembre 2011, l’ARC lui a écrit pour lui annoncer qu’elle refusait sa déduction pour le motif suivant : [traduction] « Vous n’avez présenté aucune lettre de votre employeur confirmant que vous avez reçu ou non le remboursement de la totalité ou d’une partie de vos dépenses de déménagement ».

[18] La fonctionnaire a demandé une telle lettre à son employeur, et il en a fourni une le 22 novembre 2011. La lettre indiquait ce qui suit : [traduction] « Compte tenu du fait que Mme Nowlan allait occuper un poste permanent basé au bureau régional de Toronto [d’AMC], elle n’a reçu aucune aide financière du gouvernement pour couvrir les dépenses de réinstallation ».

[19] La fonctionnaire a témoigné qu’après avoir fourni la lettre à l’ARC, elle avait parlé à l’un de ses vérificateurs. Ce dernier lui a posé de questions sur la justification donnée par le Ministère pour ne pas l’avoir remboursée, des questions auxquelles elle ne pouvait pas répondre. En définitive, l’ARC n’a pas accepté les déductions des dépenses de déménagement de la fonctionnaire.

[20] En février 2012, la fonctionnaire a demandé si le Ministère assumerait ses dépenses de réinstallation. Celui‑ci lui a demandé de détailler ses frais et de fournir les reçus, ce qu’elle a fait. Les frais s’élevaient à 26 124 $ en tout, dont la plus grande partie consistait en la commission immobilière sur la vente de sa maison à Ottawa.

[21] À peu près au même moment, AMC officialisait les dispositions applicables aux postes de la DGRC en région. Un protocole d’entente (PE) intraministériel a été signé en décembre 2011 entre la direction générale responsable du programme de la DGRC et la direction générale responsable des opérations régionales. L’un des coûts qui devaient être couverts par le bureau régional était [traduction] « le financement des frais de réinstallation à l’intérieur du pays, le cas échéant ». Le 13 février 2012, AMC a présenté à la fonctionnaire une deuxième lettre d’offre concernant son poste. Aucun changement n’avait été apporté à la structure hiérarchique, ni aux fonctions du poste ou à son groupe et niveau, mais la deuxième lettre indiquait que l’emplacement se situait à Toronto. La lettre précisait que la nomination était rétroactive au 19 août 2011. Pendant son témoignage, Mme Funtek ne se souvenait pas des raisons pour lesquelles la deuxième lettre était rétroactive à cette date.

[22] La fonctionnaire a témoigné qu’elle avait demandé au Ministère d’envisager le remboursement de ses frais de réinstallation après que l’ARC lui eut dit qu’elle ne l’autoriserait pas à en demander le remboursement dans sa déclaration de revenus et qu’elle‑même eut constaté qu’il était fait allusion aux frais de réinstallation dans le PE.

[23] Pendant plus de deux ans, le Ministère et la fonctionnaire ont entretenu une correspondance au sujet de la demande de remboursement de celle‑ci. Éventuellement, le 21 mai 2014, M. Lebleu lui a présenté la réponse finale d’AMC, qui refusait sa demande de remboursement. Selon le motif principal invoqué, la demande de la fonctionnaire ne relevait pas des limites de la Directive : « […] Les responsabilités du fonctionnaire sont les suivantes : […] Il obtient, conformément au cadre de délégation applicable, une autorisation écrite avant d’engager quelque dépense de réinstallation que ce soit ».

[24] La fonctionnaire a déposé son grief le 13 juin 2014. M. Lebleu l’a entendu au premier palier de la procédure de règlement des griefs, et il l’a rejeté essentiellement pour les mêmes raisons fournies dans son courriel antérieur. Il a ajouté qu’au moment où la fonctionnaire avait accepté le poste, en 2010, elle avait été informée du fait qu’il était interdit au Ministère de payer des frais de réinstallation.

[25] Le grief a été entendu au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs par Claude Houde, l’agent de liaison ministériel d’AMC pour le CNM. Celui‑ci a rendu sa décision le 26 février 2015. Il a souscrit à la décision rendue au premier palier, qui indiquait que la fonctionnaire n’avait pas obtenu une autorisation écrite avant d’engager des dépenses, comme l’exigeait la Directive. Cependant, comme il a constaté que des erreurs administratives avaient été commises lorsque le poste à Toronto avait été offert à la fonctionnaire, M. Houde a consenti à lui rembourser l’indemnité maximale (5 000 $) prévue à la partie XII de la Directive, qui traite de la réinstallation à la demande du fonctionnaire.

[26] La fonctionnaire n’était pas satisfaite de ce résultat. Conformément au Règlement du CNM, le dernier palier de la procédure de règlement des griefs est le Comité exécutif du CNM. La fonctionnaire a renvoyé son grief à ce comité. Agissant sous la recommandation du Comité sur la réinstallation du CNM, le Comité exécutif du CNM a conclu que la fonctionnaire avait été traitée selon l’esprit de la Directive. Le 6 mai 2014, la lettre lui signifiant le rejet de son grief indiquait par ailleurs ce qui suit : [traduction] « […] même si le Ministère n’a pas respecté les mesures de dotation approuvées, la fonctionnaire n’était pas autorisée à se réinstaller ».

[27] Le 27 mai 2016, la fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage. Initialement, il devait être entendu en janvier 2020. Les dates d’audience initiales ont été reportées en juillet 2020. Ces dates ont été reportées en raison de la pandémie de COVID-19, et l’affaire a été remise au rôle et entendue par vidéoconférence en janvier 2021.

[28] Au moment de l’audience, la fonctionnaire ne travaillait plus pour le gouvernement fédéral.

[29] La décision rendue par M. Houde au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs, soit de rembourser la fonctionnaire en vertu des dispositions de la Directive traitant de la réinstallation à la demande du fonctionnaire, n’a jamais été mise en œuvre, puisque le grief de la fonctionnaire a été transmis au CNM et qu’il a ensuite été renvoyé à un prédécesseur de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »).

III. Résumé de l’argumentation

[30] Dans la présente section, je résumerai très brièvement l’argumentation des parties. L’analyse plus détaillée de leur argumentation se trouve dans les motifs qui suivent.

[31] Pour la fonctionnaire, l’IPFPC a soutenu qu’il ne devrait y avoir aucun différend sur la question de savoir si la Directive s’applique. Le Ministère a en partie fait droit au grief au deuxième palier lorsqu’il a dit que la fonctionnaire devait recevoir l’indemnité maximale prévue aux dispositions sur la réinstallation à la demande du fonctionnaire, à la partie XII de la Directive. En vertu de ces dispositions, l’employeur doit prendre certaines mesures pour déclarer la réinstallation à la demande de la fonctionnaire. Comme l’employeur ne les a pas prises, l’IPFPC a soutenu que la réinstallation de la fonctionnaire doit relever de la catégorie des réinstallations à la demande de l’employeur.

[32] La fonctionnaire a reconnu qu’elle n’avait pas demandé l’approbation avant d’engager des dépenses de réinstallation, comme l’exigeait la Directive. Cependant, l’IPFPC a soutenu qu’AMC avait mal informé la fonctionnaire dès le début, en lui disant qu’elle n’était pas admissible au remboursement des dépenses de réinstallation. En vertu de la Directive, l’employeur doit s’acquitter d’une série d’obligations, qui précèdent celles de la fonctionnaire. Celle‑ci ne peut pas être blâmée pour ne pas avoir pris les mesures énoncées dans la Directive parce que l’employeur n’a jamais pris les mesures qu’il devait prendre en premier.

[33] Même si l’IPFPC a reconnu que la fonctionnaire avait accepté le poste à Toronto en comprenant que les dépenses de réinstallation ne lui seraient pas remboursés, l’IPFPC a soutenu que la Commission doit interpréter la convention collective. La fonctionnaire ne peut pas être liée par une entente secondaire entre elle et Mme Funtek qui ne concorde pas avec la convention collective (voir Syndicat des agents correctionnels – Union of Canadian Correctional Officers – CSN c. Conseil du Trésor, 2016 CRTEFP 47, aux paragraphes 205 à 210).

[34] La fonctionnaire a demandé le remboursement de ses dépenses de réinstallation s’élevant à 26 124,37 $, ainsi que le remboursement des huit jours de congé qu’elle a pris en août et en septembre 2010 afin d’organiser son déménagement.

[35] L’employeur a soutenu qu’il s’agit d’une audience de novo (qui doit être entendue depuis le début), et que ni lui ni la Commission ne devraient être liés par la décision que l’agent de liaison ministériel a rendue au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. Les faits de la présente affaire sont clairs. La fonctionnaire a accepté de déménager à Toronto et elle a compris que le Ministère ne paierait pas ses dépenses de réinstallation. L’employeur a soutenu que la fonctionnaire avait attendu passivement que lui soient reconnus ses droits, et qu’elle s’était renseignée au sujet du remboursement seulement près d’un an et demi après son déménagement. La Directive n’autorise le remboursement que si les dépenses de réinstallation sont approuvés à l’avance. Elle exige qu’un fonctionnaire collabore avec l’entrepreneur embauché pour gérer le processus de réinstallation, et qu’il reçoive l’approbation de ses dépenses avant de les engager. La fonctionnaire n’a pas suivi ce processus. La Directive n’autorise pas l’employeur à la rembourser après le fait. La Commission doit appliquer la Directive telle qu’elle est rédigée (voir Chafe c. Conseil du Trésor (Ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112, aux paragraphes 50 et 51, et Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, aux paragraphes 36 et 37).

[36] De plus, l’employeur a soutenu que le grief devrait être rejeté sur le fondement de la préclusion promissoire. La fonctionnaire a assuré à l’employeur qu’elle absorberait les frais de déménagement. L’employeur s’est appuyé sur cette assurance lorsqu’il a pris la décision de lui offrir le poste à Toronto. Si la fonctionnaire n’avait pas fait cette promesse, l’employeur aurait peut-être agi différemment pour doter le poste. L’employeur a déjà subi un préjudice en raison des dépens afférents à la présente audience. La fonctionnaire devrait être empêchée de présenter sa demande de remboursement devant la Commission.

[37] L’employeur a demandé que la Commission rejette le grief.

IV. Motifs

[38] J’examinerai l’argumentation des parties de façon plus détaillée, et je présenterai mes motifs de décision sous les titres suivants :

a) La Directive devrait-elle s’appliquer à la réinstallation de la fonctionnaire?

b) La réinstallation doit-elle être considérée comme étant à la demande de la fonctionnaire ou à la demande de l’employeur?

c) Le grief devrait-il être rejeté sur le fondement de la préclusion promissoire?

d) Quelle ordonnance faut-il rendre?

 

A. La Directive devrait-elle s’appliquer à la réinstallation de la fonctionnaire?

1. La nature distincte de la Directive

[39] La partie de la convention collective du groupe AV qui est en litige dans le présent grief est la Directive, qui est incorporée dans la convention par le truchement de l’article 35. Cet article prévoit que les directives du CNM, dans leur version modifiée de temps à autre, font partie de la convention collective.

[40] La Directive en cause à tous les moments pertinents du présent grief est celle qui est entrée en vigueur le 1er avril 2009. Toutes les citations de la Directive font renvoi à cette version. Je prends note qu’une nouvelle version de la Directive est entrée en vigueur le 1er janvier 2021. Cependant, il ne s’agit pas de la version que je dois interpréter.

[41] Le CNM est un forum d’« amélioration conjointe du milieu de travail » à la fonction publique fédérale (voir les articles 9 et 11 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2, la « Loi »)). La Directive sur la réinstallation est l’une des nombreuses directives élaborées conjointement par les employeurs participants et les agents négociateurs, qui est incorporée dans diverses conventions collectives sous le régime de la Loi. Le Comité sur la réinstallation du CNM est le forum par l’intermédiaire duquel les dispositions de la Directive sont élaborées conjointement.

[42] Conformément à la convention collective et à la Directive, tous les griefs qui se rapportent à la Directive suivent un processus établi à l’article 15 du Règlement du CNM. Le grief de la fonctionnaire a suivi ce processus. La première étape est celle du représentant de l’employeur autorisé à trancher les griefs au premier palier, soit M. Lebleu dans la présente affaire. La deuxième étape est celle de l’agent de liaison ministériel, soit M. Houde dans la présente affaire. La dernière étape de la procédure de règlement des griefs est celle du Comité exécutif du CNM, lequel, dans la présente affaire, a rendu sa décision en se fondant sur une recommandation de son Comité sur la réinstallation. Si un fonctionnaire individuel n’est pas satisfait de la décision du Comité exécutif du CNM, il peut la renvoyer à l’arbitrage au titre de l’alinéa 209(1)a) de la Loi. C’est ce que la fonctionnaire a fait dans la présente affaire.

[43] À mon avis, la Commission doit porter attention au processus d’élaboration conjointe particulier qui a été utilisé pour rédiger la Directive, ainsi qu’à la procédure de règlement des griefs particulière qui a été suivie avant le renvoi à l’arbitrage. En l’espèce, l’organisme conjoint qui a élaboré la Directive (le Comité sur la réinstallation du CNM) est également celui qui a recommandé au Comité exécutif du CNM de rejeter le grief, au motif que la fonctionnaire avait été traitée selon l’esprit de la Directive.

[44] Cependant, la réponse du CNM est d’autant plus complexe puisqu’il a été fait droit au grief en partie au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. Comme je l’ai déjà précisé, l’agent de liaison ministériel a reconnu que [traduction] « des erreurs administratives » avaient été commises lorsque la fonctionnaire avait été nommée et qu’il avait [traduction] « consenti » à lui rembourser une partie des dépenses en vertu des dispositions de la Directive traitant de la réinstallation à la demande du fonctionnaire. La réponse du Comité exécutif du CNM n’abordait pas directement la décision de M. Houde.

[45] L’IPFPC a soutenu que la réponse de M. Houde revenait à admettre que la fonctionnaire avait droit aux indemnités en vertu de la Directive et que l’analyse de la Commission devrait se baser sur cette présomption. Le seul aspect du grief que la fonctionnaire a renvoyé au CNM, et qu’elle renvoie maintenant à la Commission, est la question de savoir si elle aurait dû avoir droit au remboursement intégral de ses dépenses, c’est-à-dire, si son déménagement aurait dû être traité comme une réinstallation à la demande de l’employeur.

[46] L’employeur a soutenu que la Commission n’est pas liée par la réponse de M. Houde et qu’elle doit entendre l’affaire de novo.

[47] Même si, à mon avis, la Commission doit examiner avec soin les décisions rendues à chacun des paliers de la procédure de règlement des griefs, je conviens avec l’employeur que la Commission doit entendre l’affaire de novo et rendre sa décision, compte tenu du libellé de la Directive et des faits liés à la situation.

2. Interprétation de la Directive

[48] Il est important de noter que la Directive compte près de 100 pages et que, par conséquent, elle constitue pratiquement une convention collective en soi. Elle est régie par les principes fondamentaux de la confiance, de la souplesse, du respect, de la valorisation des gens et de la transparence, qui visent tous à « […] établir des pratiques de réinstallation justes, raisonnables et modernes dans toute la fonction publique ». En quelques mots, voici les points essentiels de la Directive :

 

1) l’employeur doit autoriser une réinstallation à l’avance et par écrit (article 2.1.1);

2) le processus de réinstallation est administré par un « fournisseur de services de réinstallation » (FSR; actuellement, une société nommée Brookfield);

3) l’employeur doit diriger les fonctionnaires vers le FSR et lui conseiller de ne pas entreprendre les activités de réinstallation avant d’avoir consulté le FSR (article 2.2.1);

4) le fonctionnaire doit obtenir l’autorisation par écrit avant d’engager des dépenses de réinstallation (article 2.2.2) et suivre les instructions du FSR concernant le processus de réinstallation (article 2.2.2);

5) une partie considérable de la Directive est consacrée à l’énumération des dépenses qui sont admissibles au remboursement, qui vont des frais de déménagement et de déplacement aux frais liés à la vente ou à l’achat d’une maison (parties IV à XI).

 

[49] L’employeur a soutenu que la réinstallation est un processus tripartite auquel participent le FSR (Brookfield), le fonctionnaire et lui‑même. Je conviens que la Directive attribue des responsabilités importantes à chacun des trois, et que normalement, elle le fait en termes clairs et non équivoques.

[50] À l’article 1.2.3, la Directive limite clairement, pour un fonctionnaire ou un gestionnaire, la possibilité de déroger à ses dispositions :

1.2.3 Les dispositions de réinstallation énoncées dans le présent document et les restrictions qui s’y rattachent constituent une Directive. Il ne s’agit pas de lignes directrices facultatives. Le fonctionnaire, les gestionnaires ou les ministères ne peuvent exercer un pouvoir discrétionnaire que dans les cas où ils sont dûment autorisés à le faire.

 

[51] Comme dans tout autre grief se rattachant à une convention collective, la Commission doit appliquer les principes bien établis de l’interprétation des contrats, selon lesquels il faut donner aux mots leur sens ordinaire, lire les dispositions d’une entente ou d’un contrat dans leur ensemble, tenir compte de chaque mot, et accorder la préséance aux dispositions particulières plutôt qu’aux dispositions générales (voir Palmer et Snyder, Collective Agreement Arbitration in Canada, 5e édition, aux pages 21 à 55, ou Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition, au paragraphe 4:2000). Lorsque le libellé de la convention est clair, il doit être appliqué, même si le résultat peut sembler inéquitable ou imposer des frais supplémentaires (voir Chafe et Delios).

3. La fonctionnaire n’a pas suivi la Directive

[52] L’essentiel de l’argumentation de l’employeur est que la fonctionnaire n’était pas autorisée à se réinstaller en vertu de la Directive et qu’elle ne s’est pas acquittée des obligations que celle-ci lui imposait. À titre d’exemple, l’article 2.2.2 prévoit ce qui suit :

[…]

Les responsabilités du fonctionnaire sont les suivantes :

2.2.2.1 Il lit le présent document et consulte le FSR avant d’entreprendre toute activité de réinstallation.

2.2.2.2 Il obtient, conformément au cadre de délégation applicable, une autorisation écrite avant d’engager quelque dépense de réinstallation que ce soit. Le fonctionnaire qui conclut des opérations reliées à la réinstallation avant d’obtenir une telle autorisation ou qui engage des dépenses excédant les seuils prévus dans la présente directive doit assumer personnellement ces dépenses et risque de ne plus pouvoir se prévaloir de la présente Directive.

2.2.2.3 Le fonctionnaire peut renoncer à se prévaloir de la totalité ou de certaines des dispositions de la présente directive s’il conclut un contrat (courtier immobilier, avocat, estimateur, vente préalable, etc.) ou si l’employeur le défraie directement de frais de réinstallation.

[…]

2.2.2.10 Il présente dans les 90 jours qui suivent son arrivée au nouveau lieu de travail ou à l’arrivée des personnes à sa charge, le dernier en date de ces jours étant retenu, une demande de remboursement de toutes ses dépenses de réinstallation, accompagnée des pièces justificatives requises aux termes de la présente directive.

[…]

 

[53] L’employeur a soutenu que la fonctionnaire ne s’était acquittée d’aucune de ces obligations. Elle a accepté d’occuper le poste à Toronto étant entendu que les dépenses de réinstallation ne seraient pas payées. Elle a questionné l’employeur au sujet du remboursement de ses dépenses seulement un an et demi après les avoir engagées. Elle ne s’est jamais renseignée sur l’application de la Directive avant d’accepter le poste, elle n’a jamais retenu les services de Brookfield afin d’obtenir son aide, et elle a engagé toutes ses dépenses entièrement de sa poche, sans avoir obtenu l’approbation de l’employeur ou de Brookfield au préalable.

[54] L’employeur a soutenu que les responsabilités des fonctionnaires ne sont pas des lignes directrices; il s’agit d’obligations qui ont été établies d’un commun accord par les parties, et auxquelles il faut donner une signification qui est liée au fait que les dépenses de réinstallation sont payées à même les deniers publics. Les fonctionnaires ne peuvent pas simplement dépenser des fonds sans autorisation, puis en demander le remboursement à l’employeur par la suite. Ils doivent demander l’approbation au préalable. La Directive prévoit que l’approbation rétroactive des dépenses doit avoir une portée très limitée, puisqu’elle indique ce qui suit à l’article 2.1.1 :

2.1.1 […] Dans des circonstances exceptionnelles, le coordonnateur ministériel national peut autoriser a posteriori les dépenses de réinstallation engagées jusqu’à 30 jours avant la date d’inscription auprès du fournisseur de services. Dans les cas d’autorisation a posteriori de dépenses engagées au-delà du délai de 30 jours, il est nécessaire d’obtenir l’approbation du responsable du programme au SCT.

 

[55] La Directive indique aussi clairement ce qui arrive en cas de manquement aux règles, à l’article 1.2.6 : « Les dépenses découlant d’une erreur d’interprétation ou d’une autre forme d’erreur ne seront pas nécessairement remboursées ».

[56] Compte tenu de toutes ces dispositions claires, il semblerait que le refus du Ministère à l’égard de la demande de remboursement des frais relatifs au déménagement de la fonctionnaire effectué en 2010, que cette dernière a présentée au début de 2012, soit solidement fondé. M. Lebleu a témoigné que le Ministère requérait un fondement juridique pour effectuer un remboursement. Il a témoigné qu’il n’en avait trouvé aucun dans la Directive. Son refus de la demande de remboursement présentée par la fonctionnaire, son rejet du grief au premier palier, et, en fait, le rejet du grief par le Comité exécutif du CNM au dernier palier, étaient tous fondés sur ce manquement primordial, qui n’est pas contesté.

4. L’employeur ne s’est pas conformé à la Directive non plus

[57] Cependant, je dois aussi tenir compte de l’argumentation de l’IPFPC selon laquelle les responsabilités de la fonctionnaire en vertu de la Directive découlent de celles de l’employeur. Il incombe à ce dernier d’autoriser que les dépenses de réinstallation soient payées (article 2.2.1), conformément aux dispositions de la Directive. Il doit diriger chaque fonctionnaire vers le FSR (article 2.2.1.3), et il doit aviser le ou la fonctionnaire de ne pas entreprendre une activité avant d’avoir consulté le FSR (article 2.2.1.2). L’IPFPC a fait valoir que Mme Funtek n’avait rien fait de cela. Elle a seulement dit à la fonctionnaire qu’aucune dépense de réinstallation ne serait payée. La fonctionnaire ne peut pas être blâmée pour ne pas s’être conformée aux dispositions de la Directive qui, selon l’employeur, ne s’appliquaient pas.

[58] L’IPFPC n’a pas soutenu que Mme Funtek avait délibérément induit la fonctionnaire en erreur, mais il a soutenu que, néanmoins, elle avait commis une erreur lorsqu’elle avait décidé d’offrir le poste de Toronto à Mme Nowlan à la condition qu’aucune dépense de réinstallation ne soit payée.

[59] L’IPFPC a soutenu que Mme Funtek n’avait pas le pouvoir discrétionnaire de ne pas souscrire à la Directive, qui définit en ces termes une réinstallation :

Réinstallation (relocation) – Déménagement autorisé d’un fonctionnaire d’un lieu de travail à un autre ou d’une personne nommée à un poste dans la fonction publique de son lieu de résidence à son premier lieu de travail.

 

[60] L’article 1.4.2 de la Directive indique ce qui suit : « Le remboursement des frais de réinstallation est autorisé pour les fonctionnaires : à temps plein et à temps partiel nommés pour une période indéterminée […] » (je mets en évidence). En citant Gagnon c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTESPF 48, aux paragraphes 36 à 38, l’IPFPC a soutenu qu’il ne s’agit pas d’une disposition discrétionnaire. Dans Gagnon, le fonctionnaire s’était vu refuser le remboursement des dépenses de réinstallation lors d’une mutation d’un poste pour une période déterminée à un poste pour une période indéterminée. La Commission a conclu que selon l’article 1.4.2, l’employeur devait autoriser la réinstallation, puisque le fonctionnaire était visé par la définition d’une réinstallation.

[61] À la présente étape, il convient d’examiner les faits non contestés de l’affaire. En 2010, Mme Nowlan travaillait à Ottawa, mais elle souhaitait déménager à Toronto ou dans le sud‑ouest de l’Ontario. Elle avait entendu dire que le Ministère avait l’intention de doter des postes CO-02 de la DGRC créés depuis peu à Toronto. Elle a d’abord eu une discussion avec le directeur adjoint, qui a été suivie d’une rencontre avec Mme Funtek, la directrice. Au cours des deux discussions, on lui a dit qu’aucune dépense de réinstallation ne serait payée. Mme Nowlan a accepté ces conditions. L’employeur lui a présenté une offre d’emploi, et même si la lettre de nomination initiale indiquait que le poste était basé à Ottawa, il n’est pas contesté que le poste était basé à Toronto. La fonctionnaire devait déménager à Toronto pour entrer en fonction, ce qu’elle a fait en septembre 2010.

[62] J’ai demandé aux parties de me présenter leurs arguments sur l’étendue du pouvoir discrétionnaire de l’employeur lorsqu’il s’agit d’autoriser une réinstallation. L’employeur a souligné que diverses possibilités s’offrent à lui pour doter des postes en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, articles 12 et 13; la « LEFP »). Il peut annoncer des postes à l’échelle nationale, il peut annoncer que des postes seront dotés localement, il peut utiliser un processus non annoncé, ou bien muter des gens. Ces possibilités sont énoncées dans la LEFP. La Directive ne fait pas mention de ces possibilités. L’employeur a soutenu qu’il doit quand même autoriser une réinstallation en vertu de la Directive et qu’il ne l’a pas fait en l’espèce.

[63] J’estime que l’employeur a tort sur ce point crucial. La lettre d’offre adressée à la fonctionnaire le 30 juillet 2010 indique qu’on lui offre une mutation, ce qui est l’une des possibilités à la disposition de l’employeur pour doter un poste. L’employeur a manifestement compris que la fonctionnaire aurait à se réinstaller à Toronto pour occuper le poste. La conséquence de la lettre était claire : elle autorisait la fonctionnaire à cesser d’occuper un poste classifié EC-07 à Ottawa et à commencer à occuper un poste classifié CO-02 à Toronto, à compter du 7 septembre 2010.

[64] Dans la Directive, je ne vois aucune disposition conférant à l’employeur, après avoir autorisé un fonctionnaire à commencer à travailler dans une autre localité, le pouvoir discrétionnaire de ne pas autoriser ce déménagement à titre de réinstallation. Le déménagement de la fonctionnaire répondait à la définition de « réinstallation » énoncée dans la Directive — un déménagement autorisé d’un lieu de travail à un autre. De plus, conformément au raisonnement de la Commission dans Gagnon, j’estime que l’article 1.4.2 est prescriptif, et non permissif. Lorsque l’employeur présente une offre d’emploi qui suppose une réinstallation, selon l’article 1.4.2 il doit autoriser la réinstallation dans le cas d’un fonctionnaire à temps plein nommé pour une période indéterminée.

[65] Bref, je conclus que Mme Funtek a commis une erreur lorsqu’elle a dit à la fonctionnaire qu’aucune dépense de réinstallation ne serait couverte si la fonctionnaire acceptait le poste à Toronto. La Directive ne confère pas à l’employeur le pouvoir discrétionnaire de décider s’il doit rembourser les dépenses.

[66] Je ne vois aucun motif de conclure que Mme Funtek a délibérément induit la fonctionnaire en erreur. La preuve démontre qu’elle a agi suivant les instructions du Conseil du Trésor qui s’appliquaient à l’initiative SR32. Manifestement, le Ministère était pressé de doter les postes rapidement; des fonctionnaires ont été recrutés à ces nouveaux rôles en septembre 2010, mais AMC a mis plus d’un an à les officialiser sous la forme du PE et de l’offre d’emploi révisée indiquant le bon emplacement.

[67] Mme Funtek a toutefois témoigné qu’AMC [traduction] « n’avait pas les sommes d’argent nécessaires » pour payer la réinstallation, et qu’il devait doter les postes SR32 sur cette base. Cette excuse ne l’autorisait pas à offrir le poste de Toronto à la fonctionnaire tout en niant ses droits en vertu de la Directive.

[68] Il importe vraiment peu que les obligations de l’employeur prévues dans la Directive précèdent celles de la fonctionnaire, comme l’a fait valoir l’IPFPC, ou que la Directive exige un partenariat tripartite, comme l’employeur l’a soutenu. D’une façon ou d’une autre, en l’absence de l’autorisation initiale de l’employeur, les responsabilités découlant de la Directive ne peuvent pas être déclenchées. Dans la présente affaire, la fonctionnaire n’a jamais eu la possibilité de remplir ses obligations en vertu de la Directive. Il ne serait pas juste de rejeter son grief sur ce seul fondement.

[69] Je conclus que Mme Nowlan aurait dû être autorisée à obtenir des dépenses en vertu de la Directive lorsqu’on lui a offert le poste CO-02 débutant en septembre 2010, étant donné qu’elle était autorisée à se réinstaller.

B. La réinstallation de la fonctionnaire doit-elle être considérée comme étant à sa demande ou à la demande de l’employeur?

[70] La question est donc celle de savoir si la réinstallation de la fonctionnaire doit être considérée comme une réinstallation à sa demande ou comme une réinstallation à la demande de l’employeur.

[71] La principale disposition en cause se trouve à l’article 12.1.2, qui est rédigé en ces termes :

12.1.2 Une mutation demandée par le fonctionnaire qui donne lieu à une réinstallation autorisée pour qu’il occupe un poste du groupe et du niveau pertinents vacant à son arrivée au nouveau lieu de travail sera considérée comme une réinstallation à la demande de l’employeur.

a) On remboursera au fonctionnaire les frais de réinstallation en respectant les limites prévues par la présente directive, à moins que l’administrateur général ou un cadre supérieur investi du pouvoir nécessaire soumette un certificat attestant que, si le poste vacant n’avait pas été pourvu par suite d’une mutation demandée par le fonctionnaire, il l’aurait été par la voie normale de dotation en personnel sans entraîner de frais de réinstallation.

b) Lorsqu’un tel certificat est présenté pour le poste, le fonctionnaire a droit à :

• jusqu’à cinq mille dollars (5 000 $) dans sa composante sur mesure;

• les composantes de base et personnalisée ne s’appliquent pas;

• les sommes inutilisées ou restantes sont retournées au Receveur général du Canada/ministère et ne peuvent être payées au fonctionnaire par décaissement;

• un contrat avec un fournisseur de services de réinstallation qui offre au fonctionnaire des services professionnels d’information sur les avantages en matière de réinstallation, des conseils sur l’hébergement au nouveau lieu de travail et des conseils en matière de gestion des dépenses.

 

[72] L’IPFPC a soutenu que l’alinéa a) de l’article 12.1.2 impose à l’employeur une obligation dont AMC ne s’est pas acquitté. L’administrateur général n’a fourni aucun certificat indiquant que le poste de la fonctionnaire « […] aurait été [pourvu] par la voie normale de dotation en personnel sans entraîner de frais de réinstallation ». Parce qu’aucun certificat écrit de ce genre n’a été fourni, l’IPFPC a affirmé que la réinstallation de la fonctionnaire ne peut pas être considérée comme une réinstallation à sa demande. À ce titre, la fonctionnaire devrait avoir droit au remboursement de toutes ses dépenses, et non jusqu’à concurrence de 5 000 $ comme il est indiqué à l’alinéa 12.1.2b).

[73] L’IPFPC a soutenu que la Commission a confirmé l’importance de cet article de la Directive dans Gresley-Jones c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2020 CRTESPF 65. Dans cette affaire, l’employeur avait autorisé deux fonctionnaires à utiliser l’allocation de 5 000 $ qu’ils avaient demandée pour se réinstaller en Colombie‑Britannique. L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) avait fourni le certificat écrit exigé en vertu de l’article 12.1.2, mais la Commission a conclu que les certifications étaient « sans fondement factuel » (au paragraphe 80). Elle a déclaré que les réinstallations des fonctionnaires devaient être traitées comme des réinstallations à la demande de l’employeur.

[74] L’employeur a soutenu que l’analyse effectuée par la Commission dans Gresley-Jones partait du fondement que la réinstallation avait été autorisée à l’avance par l’employeur, que les fonctionnaires avaient présenté leurs plaintes dès qu’on leur avait dit que l’ASFC considérait que leurs réinstallations étaient à leur demande, et qu’ils s’étaient acquittés de toutes leurs obligations en vertu de la Directive. L’employeur a affirmé qu’aucune de ces conditions ne s’applique à la situation de la fonctionnaire.

[75] À mon avis, Gresley-Jones ne m’est pas utile pour trancher la présente affaire, parce que ni l’employeur ni la fonctionnaire n’ont porté attention à la Directive.

[76] L’IPFPC a raison sur un point très technique : AMC n’a pas fourni le certificat écrit mentionné à l’article 12.1.2. Cependant, si je me fondais entièrement sur une approche technique pour statuer sur le présent grief, j’aurais pu le rejeter au motif invoqué par l’employeur, à savoir que la fonctionnaire n’a pas obtenu à l’avance la permission d’engager des dépenses.

[77] J’ai conclu que les omissions de la fonctionnaire en vertu de la Directive sont pardonnées, parce qu’on lui avait dit qu’aucune dépense ne serait payée. Dans le même ordre d’idées, j’estime qu’il convient de pardonner l’omission de Mme Funtek de fournir le certificat écrit qui est exigé au titre de l’article 12.1.2. Elle menait ses activités dans le cadre de la même méprise que la fonctionnaire, selon laquelle la Directive ne s’appliquait pas.

[78] Même si l’employeur n’a pas fourni le certificat écrit qu’il aurait dû fournir, son intention est ressortie clairement de l’énoncé conjoint des faits et du témoignage de Mme Funtek : si la fonctionnaire n’avait pas accepté le poste, l’intention de l’employeur était de tenir un concours en zone fermée qui n’aurait pas entraîné de frais de réinstallation. En outre, rien n’indique que cette conviction était une fiction, comme la Commission l’a conclu dans Gresley-Jones. Même si Mme Funtek a témoigné que trois postes sur six avaient initialement été pourvus par voie de réinstallations, les trois autres l’ont été par l’embauche à l’échelle locale. Mme Funtek a aussi témoigné que, subséquemment, l’embauche à ces trois postes avait été effectuée à l’échelle locale. L’IPFPC n’a présenté aucune preuve pour réfuter ce témoignage.

[79] Il arrive parfois que la Commission doive dépasser les règles purement techniques de l’interprétation des contrats et s’en remettre au bon sens (voir Carroll c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux et ministère de l’Industrie), 2019 CRTESPF 23, aux paragraphes 74 et 85). En l’espèce, la fonctionnaire a clairement présenté une demande de déménagement. Elle était disposée à accepter le poste même s’il constituait une rétrogradation, et elle comprenait que le Ministère ne rembourserait pas ses frais de réinstallation. Elle a eu une entrevue avec Mme Funtek. Selon leurs témoignages respectifs, elles ont discuté des difficultés liées à la conciliation des responsabilités familiales et professionnelles. Il s’agissait du motif pour lequel la fonctionnaire souhaitait décrocher le poste à Toronto.

[80] Les parties qui ont élaboré conjointement la Directive avaient un motif pour rédiger les dispositions traitant des réinstallations à la demande du fonctionnaire à la partie XII. Ces dispositions permettent à un fonctionnaire de demander une réinstallation pour des raisons personnelles, même dans une situation qui n’entraînerait pas de frais de réinstallation par ailleurs. En échange, les dépenses sont plafonnées à 5 000 $.

[81] Ce principe est reflété dans la définition de « réinstallation à la demande du fonctionnaire » qui est énoncée dans la Directive :

Réinstallation à la demande du fonctionnaire (employee-requested relocation) – Réinstallation résultant d’une demande officielle présentée par le fonctionnaire pour des raisons familiales ou autres et à l’égard de laquelle les dépenses engagées doivent être remboursé en conformité avec la Partie XII.

 

[82] La demande de déménagement à Toronto de la fonctionnaire a clairement été présentée pour des raisons personnelles. J’estime qu’il est raisonnable de conclure que si sa réinstallation avait été traitée correctement dès le début, le Ministère aurait été en mesure d’établir qu’elle satisfaisait aux exigences énoncées à l’article 12.1.2. Je souscris à la décision rendue par M. Houde à la deuxième étape de la procédure de règlement des griefs, décision qu’il a prise après avoir reconnu que l’employeur avait commis des erreurs dans son processus de dotation.

[83] Je souligne que dans la version révisée de la Directive, qui a pris effet le 1er janvier 2021, l’article 12.1 a été révisé. Selon le nouveau libellé, l’intention sous‑jacente aux dispositions est de permettre à un fonctionnaire de demander une réinstallation pour des motifs personnels ou de compassion. L’article énonce les conditions en vertu desquelles les employeurs peuvent approuver une réinstallation à la demande du fonctionnaire. Je ne suis pas saisi de la question de savoir comment la situation de la fonctionnaire serait gérée en vertu de cette nouvelle version de la Directive.

C. Le grief devrait-il être rejeté sur le fondement de la préclusion promissoire?

[84] L’employeur a aussi soutenu que la Commission devrait rejeter le grief selon le principe de la préclusion promissoire. Il m’a présenté un cas récent ayant fait jurisprudence en matière de préclusion, soit Weston c. Conseil du Trésor (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), 2020 CRTESPF 88, aux paragraphes 42 et 43. Sommairement, la partie qui demande la préclusion doit démontrer qu’elle a subi un préjudice par suite d’un acte de confiance préjudiciable, en se fondant sur une promesse qui lui a été faite par une autre partie dans le cadre d’une relation juridique. Cela exige qu’une promesse claire et sans équivoque ait été faite. Si une promesse est établie, la partie qui demande la préclusion doit d’abord démontrer qu’elle s’est fondée sur cette promesse ou qu’elle a agi en fonction d’elle, et deuxièmement, elle doit démontrer qu’elle subira un préjudice si cette promesse est modifiée.

[85] Dans Weston, la fonctionnaire avait décidé de démissionner de la fonction publique à la suite d’un réaménagement des effectifs, en se fondant sur les assurances qui lui avaient été données par le personnel de la rémunération et des ressources humaines selon lesquelles elle devait bénéficier d’une mesure de soutien à la transition (MST) de 52 semaines. Après avoir fait son choix, la fonctionnaire avait été avisée qu’elle n’aurait droit qu’à une MST de 28 semaines. Même si la Commission a estimé que la MST de 28 semaines était correcte en vertu de la convention collective, elle a ensuite appliqué le principe de la préclusion promissoire. La Commission a conclu que le calcul sur 52 semaines avait constitué une promesse claire et sans équivoque. Elle a déterminé que la fonctionnaire s’était fondée sur cette promesse lorsqu’elle avait pris la décision de partir à la retraite, et qu’elle avait subi une perte de 24 semaines de rémunération en conséquence. La Commission a ordonné à l’employeur de verser à la fonctionnaire la différence de 24 semaines entre la MST de 52 semaines et la MST de 28 semaines.

[86] Dans la présente affaire, l’employeur a soutenu que la fonctionnaire avait accepté clairement et sans équivoque d’occuper le poste à Toronto sans recevoir d’indemnité de réinstallation. L’employeur s’est fondé sur cette promesse. Il a offert le poste à la fonctionnaire sur ce fondement. En l’absence de cette promesse, il aurait pu doter le poste à l’échelle locale. Il a subi un préjudice en assumant les coûts associés au renvoi à l’arbitrage du grief de la fonctionnaire. Il subira un préjudice financier si la Commission accorde des frais de réinstallation à la fonctionnaire. Par conséquent, l’employeur a soutenu que la fonctionnaire devrait être empêchée de présenter une demande de remboursement de ses frais de réinstallation.

[87] L’IPFPC a soutenu que, selon le principe de la préclusion, une promesse doit avoir été faite par les parties au contrat, qui, en l’espèce, sont le Conseil du Trésor et l’IPFPC. La fonctionnaire n’est pas partie au contrat. L’employeur est très bien renseigné, et il aurait dû savoir qu’il n’était pas possible de se fonder sur une promesse faite par la fonctionnaire pour enfreindre la convention collective. La Commission a appliqué la préclusion dans des affaires où les employeurs avaient fait une promesse, qui les liait parce qu’ils étaient partie. L’employeur ne peut pas demander la préclusion alors que la source du problème est une erreur qu’il a commise 11 ans plus tôt, soit celle d’avoir offert une réinstallation à la fonctionnaire sans lui donner accès aux frais de réinstallation.

[88] La demande de préclusion promissoire de l’employeur semble être un nouvel argument. Les parties ne m’ont présenté aucune affaire ayant fait jurisprudence dans laquelle un employeur a demandé la préclusion en raison d’une promesse qu’un fonctionnaire lui a faite.

[89] J’estime que le premier aspect de l’argumentation de l’IPFPC est trop restreint. L’argument selon lequel la préclusion s’applique uniquement aux promesses échangées entre des [traduction] « parties au contrat » limiterait considérablement l’application du principe. Après tout, la Commission a appliqué le principe dans Weston en tenant compte des promesses que le personnel de la rémunération et des ressources humaines avaient faites à la fonctionnaire dans cette affaire. Même si ce personnel a fait des interprétations au nom de l’employeur, la promesse qu’il a faite à la fonctionnaire ne constitue pas une entente entre des [traduction] « parties au contrat », comme l’a soutenu l’IPFPC. Néanmoins, la Commission a conclu que les assurances que le personnel de la rémunération avait données obligeaient l’employeur à verser une MST de 52 semaines, même si la convention collective ne prévoyait pas ce résultat.

[90] En ce qui concerne tous les autres aspects de son argumentation, j’estime que l’IPFPC a raison. Le principe de la préclusion promissoire ne peut pas s’appliquer à la promesse de la fonctionnaire de se réinstaller sans obtenir de remboursement. Cet employeur sait que ses décisions sont assujetties à la procédure de règlement des griefs, et que les frais d’un renvoi à l’arbitrage font partie des frais liés à ses activités dans un milieu syndiqué. Plus important encore, une promesse faite par un fonctionnaire au moment de l’embauche ne peut pas constituer un motif justifiant que la Commission autorise un employeur à enfreindre une convention collective. Poussée à l’extrême, cette argument lierait un fonctionnaire à une promesse d’accepter un poste dont le taux de rémunération serait inférieur aux taux de salaire négociés.

[91] La fonctionnaire a accepté de se réinstaller à Toronto, étant entendu que les frais de réinstallation ne lui seraient pas remboursés par son employeur (quoiqu’elle s’attendait à bénéficier de la déduction des dépenses relatives à son déménagement dans ses impôts). Cependant, son accord était fondé sur l’affirmation de l’employeur selon laquelle la Directive ne s’appliquait pas à sa situation, parce qu’il ne disposait pas des fonds nécessaires. La fonctionnaire n’avait pas le pouvoir de négocier un avantage moins élevé que ceux prévus dans la convention collective des parties.

[92] En outre, la promesse de la fonctionnaire ne peut pas être considérée comme étant claire et sans équivoque. Oui, elle a accepté l’affirmation de l’employeur selon laquelle elle aurait à absorber le coût de la réinstallation. Oui, elle a accepté une lettre d’offre qui ne faisait pas mention des frais de réinstallation. Cependant, le fait de n’avoir jamais prétendu que l’employeur n’avait pas respecté sa convention collective ne constitue pas une promesse claire et sans équivoque.

[93] En dernier lieu, l’employeur n’a pas démontré qu’il s’était fondé sur la promesse de la fonctionnaire. Il a soutenu qu’il aurait pu prendre une décision différente s’il avait su que les frais de réinstallation pouvaient poser un problème, c’est-à-dire, qu’il aurait pu afficher le poste en imposant une restriction géographique. Cette stratégie aurait pu réussir (rappelons‑nous que trois postes CO-02 régionaux sur six ont été dotés par des fonctionnaires qui ont été mutés d’Ottawa). Cela ne satisfait pas au critère de la confiance préjudiciable, c’est-à-dire que l’employeur n’a pas démontré qu’il avait modifié son orientation ou sa conduite en agissant sur la foi de cette supposition.

[94] Étant donné que l’employeur n’a pas démontré qu’il avait modifié son orientation, je n’ai pas à examiner s’il a dû engager des frais supplémentaires. Quoi qu’il en soit, à la deuxième étape de la procédure de règlement des griefs, il s’est montré disposé à faire droit au grief et à verser à la fonctionnaire l’allocation maximale de 5 000 $ en vertu de la partie XII de la Directive, ce que j’accorde dans la présente décision.

[95] En résumé, je ne peux trouver un seul fondement me permettant d’accepter l’argumentation de l’employeur selon laquelle la fonctionnaire est empêchée de présenter sa demande de remboursement.

[96] Ma décision en l’espèce concorde avec l’exemple suivant, que j’ai trouvé dans la jurisprudence de la Commission et de ses prédécesseurs concernant une demande de préclusion promissoire présentée par un employeur, dans Trempe c. Conseil du Trésor (Commission de la fonction publique du Canada), dossier de la CRTFP 166-02-14978 (19860117), [1986] C.R.T.F.P.C. no 2 (QL). Après avoir examiné plusieurs décisions arbitrales portant sur ce sujet, l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique a rejeté en ces termes la demande de l’employeur :

 

[…]

[] Le principe qui sous-tend ces dernières affaires veut qu’un employeur ne puisse, en signant un contrat individuel avec ses employés, les priver des droits que leur confère la convention collective. Sans ce principe, est-il allégué, l'intégrité des négociations collectives serait menacée par les abus que pourraient très bien commettre des employeurs réactionnaires, particulièrement au stade de l'embauchage.

Je partage l'opinion exprimée dans les jugements plus récents. Même si aucun des éléments de preuve dont je suis saisi ne porte à croire que l'employeur a agi autrement que par un réel désir de protéger les intérêts de ses employés en tant que groupe j'établirais un dangereux précédent en décidant que l'employeur pourrait, par un contrat privé, enlever à des employés des droits qui leur sont garantis par la convention collective. Une telle décision équivaudrait à ne tenir aucun compte du fait que le syndicat est l'agent négociateur exclusif des employés et qu'il a été reconnu comme tel en l'espèce, par la loi et la convention. []

[]

 

D. Quelle ordonnance faut-il rendre?

[97] J’ai conclu que la fonctionnaire devrait recevoir le remboursement de la somme maximale prévue à la partie XII de la Directive aux fins d’une réinstallation à la demande du fonctionnaire. Il n’a pas été contesté que ses dépenses de réinstallation s’élevaient à 26 124,37 $ et, par conséquent, il n’a pas été contesté que la fonctionnaire avait engagé au moins 5 000 $ en dépenses admissibles. Je décide donc que la fonctionnaire doit recevoir un montant de 5 000 $ au titre du remboursement de ses dépenses de déménagement.

[98] Il n’est pas contesté non plus que la fonctionnaire a pris huit jours de congé à ses frais pour effectuer un voyage de recherche de logement à Toronto et revenir à Ottawa afin de finaliser la vente de sa maison.

[99] L’article 2.2.1.10 de la Directive prévoit, dans les termes qui suivent, que l’employeur doit accorder à un fonctionnaire le congé nécessaire pour mener les activités relatives à la réinstallation : « L’employeur accorde au fonctionnaire et à son conjoint ou conjoint de fait, le cas échéant, le congé nécessaire pour procéder à toutes les activités relatives à la réinstallation ».

[100] J’estime que l’employeur aurait dû offrir un congé à la fonctionnaire en vertu des dispositions de la Directive, et que celle‑ci n’aurait pas dû être obligée de prendre le congé à ses frais. Je cherche à remédier à cela, en gardant à l’esprit que la fonctionnaire n’est plus à l’emploi de la fonction publique fédérale.

[101] Si la fonctionnaire n’avait pas pris le congé à ses frais, il aurait encore été à sa disposition au niveau CO-02. Compte tenu des circonstances de l’affaire, j’estime qu’il est juste et raisonnable de lui accorder huit jours de rémunération à l’échelon maximal de l’échelle salariale du groupe et du niveau CO-02 qui était en vigueur pendant l’année de sa réinstallation. Il s’agirait du taux de rémunération qui est entré en vigueur le 22 juin 2010.

[102] Comme cela constitue un revenu d’emploi, la somme doit être versée sous réserve des déductions auxquelles l’employeur doit procéder.

[103] L’IPFPC a demandé que l’employeur ait 90 jours pour effectuer les versements que la Commission accorde, et l’employeur n’a présenté aucun argument à cet égard.

[104] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[105] Le grief est accueilli en partie.

[106] L’employeur doit verser un montant de 5 000 $ à la fonctionnaire au titre des dépenses de réinstallation, ce qui correspond à la somme maximale admissible en vertu des dispositions traitant de la réinstallation à la demande du fonctionnaire à la partie XII de la Directive.

[107] L’employeur doit aussi rembourser à la fonctionnaire les huit jours de congé qu’elle a pris aux fins de sa réinstallation, qui doivent être payés à l’échelon maximal de l’échelle de rémunération CO-02 en vigueur au 22 juin 2010, sous réserve des déductions auxquelles il doit procéder.

[108] L’employeur a 90 jours pour effectuer ces paiements.

Le 31 mars 2021.

Traduction de la CRTESPF.

 

David Orfald,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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