Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le demandeur a renvoyé à l’arbitrage un grief qui contestait une décision de l’employeur de le placer en congé sans solde – le grief était hors délai – le demandeur a présenté une demande de prorogation de délai – la Commission était aussi saisie d’une plainte pour pratique déloyale que le demandeur avait déposée contre l’employeur – il y avait des raisons claires, logiques et cohérentes pour le retard – le contexte bien particulier de la pandémie était important – la Commission a pris connaissance d’office du fait qu’à partir du 16 mars 2020, les fonctionnaires du gouvernement fédéral ne pouvaient se présenter aux bureaux, et qu’une consigne semblable était donnée dans les bureaux de l’agent négociateur – à la date de l’audience, la situation n’était pas revenue à la normale – le télétravail continuait d’être la règle en raison des consignes de santé publique – le demandeur n’avait pas été informé de la réponse, ni par l’agent négociateur ni par l’employeur – il n’était pas évident d’assurer un suivi adéquat alors que la consigne sanitaire prescrivait le moins d’interactions possibles au travail – il était impossible de savoir à quelle date la réponse de l’employeur quant au grief avait été reçue au bureau de l’agent négociateur – il était clair que le demandeur et l’agent négociateur avaient l’intention de renvoyer le grief à l’arbitrage pour qu’il soit entendu avec la plainte – l’employeur a joué un rôle dans le retard en ne communiquant pas la décision du palier final au demandeur lui-même, comme il l’avait fait pour les deux premiers paliers, ensuite, en ne réagissant pas lorsque l’agent négociateur a demandé des mises à jour sur les griefs qui attendaient une réponse – le demandeur attendait une réponse de l’employeur, sur les conseils de son représentant qui jugeait préférable d’avoir la réponse de l’employeur avant de procéder à l’arbitrage – la volonté du demandeur et de l’agent négociateur était de faire entendre la plainte et le grief en même temps par la Commission – dès que le représentant a pris connaissance de la réponse, il a communiqué avec l’avocate de l’agent négociateur pour que le grief soit renvoyé à l’arbitrage – la diligence du demandeur et du représentant à poursuivre le grief n’était pas en doute – la Commission ne voyait pas de préjudice causé à l’employeur si le grief procédait à l’arbitrage : l’employeur était prêt à procéder sur la plainte pour pratique déloyale de travail pour laquelle les faits étaient essentiellement les mêmes – si le grief ne procédait pas, le demandeur perdait l’occasion de réclamer des dommages – faute de preuve, la Commission n’a pu se prononcer sur les chances de succès du grief – ce dernier point sert plutôt à écarter les griefs qui ne semblent avoir aucun fondement – il y avait, à tout le moins, une cause défendable.

Demande de prorogation de délai accueillie.

Contenu de la décision

Date: 20210414

Dossier: 568-02-42709

XR: 566-02-42734

 

Référence: 2021 CRTESPF 41

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Steeve Fortier

demandeur

 

et

 

Ministère de la Défense nationale

 

défendeur

Répertorié

Fortier c. ministère de la Défense nationale

Affaire concernant une demande visant la prorogation d’un délai visée à l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le demandeur : Kim Patenaude, avocate

Pour le défendeur : Philippe Giguère, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence,

le 22 mars 2021.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Demande devant la Commission

[1] Steeve Fortier, le demandeur, est pompier à la base militaire de Valcartier. Il est représenté par son agent négociateur, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur »), qui a conclu une convention collective avec l’employeur, le Conseil du Trésor. Pour les fins de la présente décision, le terme « employeur » désigne le ministère de la Défense nationale, à qui le Conseil du Trésor a délégué ses pouvoirs pour la gestion des ressources humaines.

[2] Le 12 mars 2021, le demandeur a renvoyé à l’arbitrage un grief qui contestait une décision de l’employeur de le placer en congé sans solde. L’employeur a rendu une décision sur ce grief au troisième et dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 23 juin 2020. Le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, DORS/2005-79 (le « Règlement ») prévoit, à l’article 90, que le renvoi à l’arbitrage peut se faire au plus tard quarante jours après la réception de la réponse du dernier palier ou après la date à laquelle cette réponse aurait dû être reçue. Le renvoi à l’arbitrage est donc à première vue hors délai. Le demandeur a demandé que le grief soit néanmoins entendu, en présentant une demande de prorogation de délai.

[3] En effet, en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») peut, par souci d’équité, proroger tout délai, prévu par la Partie 2 du Règlement ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour le renvoi d’un grief à l’arbitrage.

[4] Il est important de préciser que je suis saisie d’une plainte pour pratique déloyale que le demandeur, avec l’appui de l’agent négociateur, a déposée contre l’employeur. Les faits de la plainte sont les mêmes que les faits donnant lieu au grief. Le demandeur allègue que l’employeur a agi de façon déraisonnable en l’obligeant à prendre un congé sans solde en attendant les résultats d’une évaluation médicale pour certifier qu’il était en mesure d’exercer ses fonctions de pompier. La plainte pour pratique déloyale comprend une allégation que les actions de l’employeur seraient motivées par un sentiment anti-syndical, le demandeur ayant été actif au sein de l’Union des employés de la défense nationale (UEDN), un élément de l’agent négociateur.

[5] L’audition de la plainte était prévue du 22 au 26 mars 2021. La première journée d’audition a été consacrée à la présente demande de prorogation. J’ai rendu une décision orale le 23 mars 2021 afin de trancher si l’audience traiterait non seulement de la plainte mais également du grief.

[6] Dans ma décision orale, j’ai accueilli la demande de prorogation de délai. J’ai indiqué que mes motifs seraient consignés dans une décision écrite, que voici.

II. Résumé de la preuve

[7] Dès le dépôt de la plainte, en mars 2019, l’agent négociateur avait signalé qu’un grief avait été déposé, et il avait demandé qu’il soit joint au dossier s’il était renvoyé à l’arbitrage. À la conférence préparatoire de l’audition de la plainte, le 11 février 2021, j’ai demandé à l’avocate du demandeur où en était le grief, puisque la Commission n’avait pas reçu de renvoi à l’arbitrage. L’avocate a fait le suivi auprès de l’agent négociateur, comme nous le verrons dans la preuve qui suit.

[8] Le demandeur a témoigné et a cité à témoigner Daniel Verreault, agent de relations de travail à l’UEDN.

[9] M. Verreault a témoigné que son rôle était d’aviser au niveau national et de fournir un appui aux sections locales. Le grief du demandeur a été entendu aux deux premiers paliers de la procédure de règlements des griefs, et le demandeur était représenté par une représentante de la section locale, Johanne Roberge. Pour l’audition au troisième et dernier palier, c’est M. Verreault qui représentait le demandeur. L’audition a eu lieu en février 2020. En mars 2020, l’agente de relations de travail de l’employeur a communiqué avec M. Verreault pour lui demander une extension pour la réponse au troisième palier. La convention collective prévoit une réponse dans les 20 jours de l’audition, mais l’employeur ne pouvait respecter ce délai. M. Verreault a accordé l’extension, tout juste avant le déclenchement des mesures de confinement imposées en raison de la pandémie de la COVID-19.

[10] À partir de la mi-mars 2020, les fonctionnaires fédéraux et les employés et représentants de l’agent négociateur travaillaient de leur domicile. M. Verreault a expliqué qu’il n’allait pas au bureau, et qu’il n’y avait qu’occasionnellement un ou une commis qui s’y présentait pour recevoir et ordonner le courrier.

[11] C’est dans ce contexte que la réponse de l’employeur au troisième palier (datée du 23 juin 2020) a été reçue par l’UEDN. Personne n’a communiqué avec M. Verreault ni avec le demandeur pour les informer que la réponse avait été reçue.

[12] En octobre 2020, l’UEDN a dressé une longue liste de griefs pour lesquels on attendait une réponse de l’employeur. Dans cette liste figurait le grief du demandeur. En novembre 2020, la présidente de l’UEDN a demandé à M. Verreault la liste de ses dossiers qui étaient en attente d’une réponse de l’employeur; encore une fois, le grief du demandeur figurait sur cette liste, puisque M. Verreault n’avait toujours pas reçu de réponse du troisième palier. Je n’ai reçu aucune preuve que l’employeur avait indiqué à ce moment-là avoir répondu au grief au palier final en juin 2020.

[13] Ce n’est qu’au début mars 2021, lorsque l’avocate du demandeur lui a demandé si le grief avait été renvoyé à l’arbitrage, que M. Verreault s’est rendu au bureau pour vérifier le dossier papier. Il a constaté à ce moment-là que la réponse de l’employeur se trouvait dans le dossier. La lettre, adressée au demandeur et indiquant une copie conforme à M. Verreault, avait simplement été glissée dans le dossier. Contrairement à la pratique habituelle, elle ne portait pas la date de réception, et elle n’avait pas été entrée dans un registre.

[14] M. Verreault a été fort consterné de voir la lettre et de ne pas en avoir été informé plus tôt. Il a immédiatement communiqué avec l’avocate, qui à son tour a renvoyé le grief à l’arbitrage le 12 mars 2021, 10 jours avant le début de l’audience prévue pour la plainte.

[15] Le demandeur, pour sa part, a témoigné qu’il avait reçu en mains propres les réponses des premier et deuxième paliers de la procédure de règlement des griefs; il a déposé en preuve les copies qu’il avait signées. Le demandeur a témoigné ne jamais avoir reçu la réponse du troisième palier.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le demandeur

[16] Le demandeur a présenté deux décisions à l’appui de son argumentation : Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1 (« Schenkman ») et Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 c. Conseil du Trésor, 2013 CRTFP 144 (« Fraternité internationale des ouvriers en électricité »). Je reviendrai sur cette deuxième décision dans mon analyse.

[17] La décision Schenkman est fondamentale pour l’analyse des demandes de prorogation de délai par la Commission. Toutefois, comme le souligne le demandeur, les critères de Schenkman ne sont pas exhaustifs, et le principe qui doit guider la Commission est le souci d’équité dont parle l’article 61 du Règlement en vertu duquel la Commission peut accorder la prorogation.

[18] Les critères prévus par Schenkman pour l’analyse d’une demande de prorogation de délai sont les suivants :

1) Existe-t-il des raisons claires, logiques et convaincantes pour expliquer le délai?

2) Quelle est la durée du délai?

3) L’employé qui a déposé le grief a-t-il fait preuve de diligence raisonnable?

4) Qui subit le pire préjudice, l’employeur si on accorde la prorogation, ou l’employé si on ne l’accorde pas?

5) Quelles sont les chances de succès du grief?

[19] Le demandeur plaide qu’il y a des raisons claires et convaincantes pour expliquer le délai. La situation de la pandémie a bouleversé les pratiques du bureau de l’UEDN, de sorte que la réponse du troisième palier n’a jamais été reçue.

[20] Selon le demandeur, le délai de huit mois n’est pas si long, compte tenu du fait que, dans les circonstances actuelles de pandémie, tout a été retardé. Il est arrivé à la Commission d’accorder la prorogation malgré des délais beaucoup plus importants.

[21] Le demandeur et l’agent négociateur ont fait preuve de diligence – le grief a été renvoyé à l’arbitrage dès que M. Verreault a pris connaissance de la réponse du troisième palier. Il avait été prévu dès le dépôt de la plainte que le grief, s’il était renvoyé à l’arbitrage, serait joint à la plainte.

[22] Le préjudice subi par l’employeur si le grief procède est bien moindre que celui que subirait le demandeur s’il ne procède pas. Les faits du grief sont les mêmes que ceux de la plainte, pour laquelle les deux parties sont sur le point de procéder. Selon le demandeur, ne pas pouvoir présenter son grief à l’arbitrage signifierait qu’il ne peut plaider la violation des droits de la personne qu’il allègue.

[23] Pour des raisons d’équité, la Commission devrait accorder la prorogation de délai.

B. Pour l’employeur

[24] L’employeur plaide également la décision Schenkman. Selon l’employeur, il n’y a pas de raisons claires, logiques et convaincantes pour expliquer le retard. L’employeur invoque deux décisions de la Commission, soit Brassard c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2013 CRTFP 102 (« Brassard ») et Copp c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2013 CRTFP 33 (« Copp »), pour étayer son argument que ce premier critère de Schenkman est fondamental à l’analyse.

[25] Le demandeur aurait pu procéder en l’absence d’une réponse de l’employeur; or, il ne l’a pas fait. L’inconvénient causé au demandeur de ne pas entendre son grief est mineur, puisque la Commission entendra sa plainte, qui porte sur les mêmes faits. Pour l’employeur, par contre, il devra se défendre sur deux fronts, et a appris le renvoi à l’arbitrage peu de temps avant l’audience. En outre, la demande de prorogation aurait pu être faite plus tôt, puisque le renvoi du grief a fait l’objet d’une discussion lors de la conférence préparatoire du 11 février 2021.

IV. Analyse

[26] Les deux parties ont présenté de la jurisprudence à l’appui de leurs arguments. Sauf pour la décision Schenkman, la jurisprudence ne m’éclaire pas vraiment dans la présente situation, compte tenu de la trame factuelle en l’espèce. Toutefois, il peut être utile d’en donner un rapide aperçu.

[27] Dans Fraternité internationale des ouvriers en électricité, une erreur administrative a été commise et l’agent négociateur a omis de renvoyer à l’arbitrage un grief collectif. La demande de prorogation a été déposée environ 19 mois après l’échéance pour le renvoi à l’arbitrage. Je retiens de cette décision l’énoncé suivant, auquel je souscris :

[…]

62 […] il importe de souligner que les critères dans Schenkman servent uniquement à aider le décideur à déterminer s'il accorde ou non une prorogation. Ces cinq critères sont issus de la jurisprudence ainsi que des décisions de la présente et de l’ancienne Commission. Ils ont été confirmés par l’ancienne Commission dans Schenkman et ont ensuite été examinés dans une enquête devant la Commission en vertu du Règlement. Avec le plus grand respect, j’ajouterais que ces critères ne doivent pas être considérés comme une supposée formule péremptoire qui empêcherait un décideur d’envisager d’accorder une prorogation par souci d’équité. Les critères qui orientent un tel examen reposent sur des faits et sont fondés sur le principe de ce qui est juste dans les circonstances.

[…]

[28] L’employeur a mis en lumière le passage suivant dans la décision Brassard, qui parle de l’importance qu’il faut accorder au premier critère de la décision Schenkman, soit des « motifs clairs, logiques et convaincants » :

[…]

26 L’importance accordée à chacun de ces critères n’est pas nécessairement la même. En l’absence de motifs clairs, logiques et convaincants justifiant le retard, la durée du retard, le fait que le demandeur ait fait preuve de diligence ou que le rejet de la demande de la prorogation entraîne une injustice à l’égard du demandeur plus importante que le préjudice subi par le défendeur si la prorogation est accordée, ou encore que les chances de succès du grief soient bonnes ou non importe peu dans la plupart des cas. Il faut un motif sérieux pour justifier le retard. La Commission a adopté cette approche de façon constante au cours des deux dernières années (voir, par exemple, Lagacé, ou Callegaro c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 110). D’autre part, comme je l’ai observé dans Copp c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2013 CRTFP 33, par le passé, la Commission a rarement accepté d’accorder une prorogation du délai sans motifs clairs, logiques et convaincants justifiant le retard.

[…]

[29] Dans Copp, la Commission a refusé de conclure qu’une erreur administrative du syndicat pouvait constituer un motif clair, logique et convaincant pour le retard à renvoyer un grief à l’arbitrage. La Commission a écrit, au par. 27 : « Ni la demanderesse ni son syndicat n’ont été empêchés de renvoyer les griefs à l’arbitrage. »

[30] Les deux parties ont invoqué la décision Schenkman comme cadre d’analyse d’une demande de prorogation. La décision Schenkman est un outil commode, mais d’autant plus utile si on l’applique non pas de façon rigide, mais avec souplesse, en fonction des faits de la situation, dans une perspective d’équité comme le soulignait la Commission dans la décision Fraternité internationale des ouvriers en électricité.

[31] Or, les faits dans la présente affaire sont assez particuliers. Le contexte de la pandémie ne peut être négligé. Je prends connaissance d’office du fait qu’à partir du 16 mars 2020, les fonctionnaires du gouvernement fédéral ne pouvaient se présenter au bureau, et qu’une consigne semblable était donnée dans les bureaux de l’agent négociateur. Encore à la date de l’audience, le 22 mars 2021, les choses ne sont pas revenues à la normale. Le télétravail continue d’être la règle en raison des consignes de santé publique, et toutes les audiences de la Commission se tiennent en mode virtuel.

[32] L’employeur a soutenu qu’il n’y avait pas de raisons claires, cohérentes et convaincantes pour expliquer le retard à renvoyer le grief à l’arbitrage. Au contraire, il m’apparaît évident que le grief n’a pas été renvoyé à l’arbitrage plus tôt pour une simple raison : la réponse de l’employeur n’avait pas été reçue. Il est vrai que le demandeur ou son agent négociateur aurait pu renvoyer le grief à l’arbitrage une fois passée l’échéance pour la réponse de l’employeur, mais M. Verreault a bien expliqué la réticence de procéder ainsi, dans le cadre plus large du grand nombre de griefs qui attendaient toujours une réponse de l’employeur. De plus, M. Verreault avait donné son accord pour une extension du délai de réponse de l’employeur. Contrairement à la décision Copp, il me semble qu’ici le demandeur et son représentant ne pouvaient renvoyer le grief à l’arbitrage, en l’absence apparente d’une réponse de l’employeur.

[33] L’employeur a reproché au demandeur le délai à renvoyer le grief à l’arbitrage. Habituellement, le délai est évident. Il commence à courir à partir de la réception de la réponse par le fonctionnaire s’estimant lésé. C’est une des difficultés dans la présente situation : il est impossible de savoir à quelle date la réponse de l’employeur a été reçue au bureau de l’UEDN. Ce qui est certain, c’est que ni le demandeur ni M. Verreault n’étaient au courant que l’employeur avait répondu au grief au troisième palier. Il est clair que le demandeur et l’agent négociateur avaient l’intention de renvoyer le grief à l’arbitrage pour qu’il soit entendu avec la plainte. Cette volonté avait été manifestée dès le dépôt de la plainte en mars 2019.

[34] Il me semble qu’il faut également reconnaître que l’employeur a joué un rôle dans le retard, d’abord, en ne communiquant pas la décision du palier final au demandeur lui-même, comme il l’avait fait pour les deux premiers paliers, ensuite, en ne réagissant pas lorsque l’agent négociateur a demandé des mises à jour sur les griefs qui attendaient une réponse, en octobre et en novembre 2020.

[35] L’employeur a fait ressortir que l’agent négociateur aurait pu agir plus vite, au lendemain de la conférence préparatoire pour l’audition de la plainte du demandeur. Je ne pense pas que rendu à ce point, le retard soit significatif. Il y a eu un suivi, qui a permis à M. Verreault de constater qu’une réponse avait effectivement été reçue. Quelques semaines ne changeaient rien; la demande de prorogation aurait quand même été nécessaire.

[36] Il me semble donc qu’il y a des raisons claires, logiques et cohérentes pour le retard. Encore une fois, le contexte bien particulier de la pandémie est important. La réponse a été reçue, on ne sait ni par qui ni à quelle date. Le demandeur n’a pas été informé de la réponse, ni par l’agent négociateur ni par l’employeur. Il est clair qu’une erreur a été commise par quelqu’un chez l’agent négociateur, et cela est admis, mais cette erreur n’est attribuable ni au demandeur ni à son représentant M. Verreault. Vraisemblablement, dans le contexte de la pandémie, des personnes avec peu d’expérience ont pu recevoir le courrier et ne pas savoir comment le traiter. Je ne peux blâmer l’agent négociateur pour cet état de choses; il n’était pas évident d’assurer un suivi adéquat alors que la consigne sanitaire prescrivait le moins d’interactions possibles au travail.

[37] Les autres critères de la décision Schenkman me paraissent moins importants dans le cas présent (à l’instar de la décision Brassard). L’employeur a insisté sur l’importance de raisons claires et convaincantes, et je suis d’accord. Les autres points à considérer sont le délai, la diligence du demandeur et le préjudice subi par l’une ou l’autre partie selon que le grief procède ou non.

[38] Le délai dans ce cas n’est pas aussi clair que le prétend l’employeur ou que l’admet l’agent négociateur. La réponse de l’employeur est du 23 juin 2020, mais il n’y a aucune preuve quant à la date de réception. Ce qui est certain, c’est que ni le demandeur ni son représentant ne l’ont reçue, et que dès que M. Verreault en a pris connaissance, il a communiqué avec l’avocate de l’agent négociateur pour que le grief soit renvoyé à l’arbitrage. Le délai a été expliqué à ma satisfaction; je ne vois pas pourquoi il ferait obstacle au renvoi à l’arbitrage.

[39] La diligence du demandeur à poursuivre son grief n’est pas en doute. Le demandeur attendait une réponse de l’employeur, sur les conseils de son représentant qui jugeait préférable d’avoir la réponse de l’employeur avant de procéder à l’arbitrage. Je ne doute pas non plus de la diligence de M. Verreault, qui continuait à chercher une réponse de l’employeur, comme en témoigne sa correspondance de novembre 2020, avec l’employeur et avec le demandeur. En outre, il était clair que la volonté du demandeur et de l’agent négociateur était de faire entendre la plainte et le grief en même temps par la Commission, comme il avait été signalé au dépôt de la plainte.

[40] Finalement, je ne vois pas le préjudice causé à l’employeur si le grief procède à l’arbitrage. L’employeur est prêt à procéder pour la plainte, les faits sont essentiellement les mêmes. Cependant, si le grief ne procède pas, le demandeur perd l’occasion de réclamer des dommages en vertu de l’art. 226 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22 art. 2) qui renvoie à la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6 (LCDP)), puisqu’il allègue une violation de ses droits. La Commission peut entendre des représentations en vertu de la LCDP lorsqu’elle est saisie d’un grief, mais non lorsqu’elle est saisie d’une plainte.

[41] L’analyse en vertu de la décision Schenkman comprend un dernier point, soit les chances de succès. Faute de preuve, je ne peux me prononcer sur cette question. Comme le souligne la Commission dans la décision Fraternité internationale des ouvriers en électricité, ce dernier point sert plutôt à écarter les griefs qui ne semblent avoir aucun fondement. Il y a ici, à tout le moins, une cause défendable.

[42] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[43] La demande de prorogation de délai pour renvoyer à l’arbitrage le grief portant le numéro 566-02-42734 est accueillie.

Le 14 avril 2021.

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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