Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée était une agente correctionnelle – alors qu’elle assurait une surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation d’un détenu pendant deux quarts de travail de huit heures, on a constaté qu’elle n’avait pas maintenu une supervision directe et constante du détenu – pendant son deuxième quart de travail, le détenu s’est blessé et a été emmené à l’hôpital – l’employeur l’a licenciée en alléguant qu’elle avait fait preuve de négligence dans l’exercice de ses fonctions – la fonctionnaire s’estimant lésée a admis qu’il y avait eu faute de conduite – la Commission a conclu que le licenciement était excessif et non justifié – elle a conclu que, même si l’inconduite de la fonctionnaire s’estimant lésée a été grave et répétée, elle a exprimé des remords pour ses actes avant et après l’imposition de la mesure disciplinaire – la Commission a également mentionné son dossier d’emploi exempt de mesures disciplinaires, l’incidence qu’a eue pour elle le licenciement compte tenu de son âge, l’application irrégulière de la politique de l’employeur sur la surveillance du risque de suicide/d’automutilation et l’importante modification de cette politique deux semaines après les incidents, qui exige maintenant des pauses toutes les deux heures – une sanction moins sévère aurait suffi à corriger son comportement et aurait tout de même envoyé un message fort et clair aux employés – la Commission a annulé le licenciement et l’a remplacé par une suspension de 18 mois, ce qui, selon elle, constituait une sanction juste et équitable.

Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision

Date : 20210331

Dossier : 566‑02‑14365

 

Référence : 2021 CRTESPF 33

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

Entre

 

Aleksandra Besirovic

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

Administrateur général

(Service correctionnel du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Besirovic c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Ian R. Mackenzie, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Adam Cembrowski, avocat

Pour le défendeur : Richard Fader, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence

les 17, 18 et 20 novembre 2020.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Aleksandra Besirovic, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), était une agente correctionnelle (CX‑01) à l’Établissement d’Edmonton, un établissement à sécurité maximale (l’« Établissement »). Elle a été licenciée le 18 avril 2017. L‘inconduite alléguée consistait en une négligence dans l’exercice de ses fonctions les 24 et 27 février 2017, alors qu’elle était en surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation. L’administrateur général (l’« employeur ») a allégué que la fonctionnaire avait dormi pendant son service le 24 février et qu’elle avait fait des travaux scolaires pendant son service le 27 février. Il a allégué que, pendant les deux quarts de travail, elle n’avait pas surveillé de manière constante et directe un détenu et n’avait pas consigné ses activités, comme l’exige sa politique.

[2] La fonctionnaire a reconnu qu’une mesure disciplinaire était justifiée, mais que son licenciement était excessif dans les circonstances.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la mesure disciplinaire était effectivement excessive et qu’elle devrait être remplacée par une suspension prolongée.

II. Ordonnance de confidentialité et de mise sous scellés

[4] Le présent grief concerne la surveillance d’un détenu par la fonctionnaire. La preuve vidéo des événements en litige contient des images de lui et d’un autre détenu. De plus, des documents mentionnent son nom. L’employeur a demandé une ordonnance pour que la preuve vidéo soit mise sous scellées, ainsi que certains documents faisant état de l’incident en litige. La fonctionnaire ne s’y est pas opposée.

[5] Le principe du caractère public de la preuve et des audiences devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») est bien établi. Le critère pour limiter le principe de transparence judiciaire consiste à déterminer si la restriction est nécessaire pour écarter un risque sérieux à un intérêt important, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque, et si les effets bénéfiques de l’ordonnance l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris l’intérêt du public à la transparence et à l’accessibilité des processus judiciaires; voir N. J. c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 129, au paragraphe 48.

[6] Dans les circonstances actuelles, je conclus qu’il y a lieu de sceller les pièces. Il est dans l’intérêt public de protéger les renseignements personnels des détenus. Le fait de sceller les vidéos et les documents n’affecte en rien la transparence de la présente décision, ni du présent processus quasi‑judiciaire. Par conséquent, les pièces suivantes sont mises sous scellés : pièces E‑3 et E‑4 (vidéos) et le recueil de pièces de l’employeur, volume 2. D’autres pièces ont été caviardées par l’employeur afin de protéger l’identité du détenu qui faisait l’objet d’une surveillance.

[7] À plusieurs moments pendant l’audience, lorsque les vidéos ont été montrées aux témoins, l’audience a été tenue à huis clos.

III. Résumé de la preuve

A. Historique de travail de la fonctionnaire

[8] La fonctionnaire a été embauchée en tant qu’agente correctionnelle en octobre 2009. Elle a travaillé à l’Établissement jusqu’à son licenciement. Avant cela, aucune mesure disciplinaire ne figurait à son dossier.

[9] La fonctionnaire avait été en congé pendant deux ans avant son retour au travail à l’automne 2016. Elle a témoigné qu’elle avait obtenu de bonnes évaluations du rendement et une évaluation de rendement exceptionnel avant de partir en congé en 2014.

[10] Les deux agents correctionnels qui ont témoigné à l’audience, soit Alastair Sanderson et James Cochrane, ont témoigné au sujet de leur relation respective avec la fonctionnaire. M. Sanderson a témoigné que sa relation était [traduction] « cordiale » et M. Cochrane a témoigné que la sienne avait été [traduction] « indifférente ». Carmen Ings était la gestionnaire correctionnelle supervisant les quarts de nuit. Elle a témoigné qu’elle avait une bonne relation de travail avec la fonctionnaire et qu’il n’y avait eu aucun problème. Clovis Lapointe, le directeur, a témoigné qu’il n’avait eu aucun problème avec la fonctionnaire avant les événements qui ont donné lieu à sa mesure disciplinaire.

[11] La fonctionnaire est mariée et elle a deux jeunes enfants. En 2017, les enfants avaient 5 et 2 ans. Elle et son époux n’avaient pas les moyens de payer un service de garde d’enfants; ils devaient donc travailler des quarts de travail opposés. En raison de ces obligations familiales, l’employeur a accepté qu’elle travaille des quarts de huit heures (au lieu des quarts réguliers de 12 heures) et elle travaillait exclusivement des quarts de nuit, de 23 h à 7 h. Elle avait droit à deux pauses de 15 minutes et à une pause repas d’une demi‑heure.

[12] La fonctionnaire a témoigné qu’au début de chaque quart de travail, elle se rendait au bureau de la gestionnaire correctionnelle et ses fonctions lui étaient attribuées à ce moment‑là. Elle ne savait pas à quel poste elle serait affectée avant d’arriver au travail.

[13] La fonctionnaire suivait des cours à temps partiel en 2017.

B. Formation et politiques sur la surveillance du risque de suicide

[14] Les agents correctionnels suivent une formation sur la prévention du suicide et sur les interventions en cas de suicide et d’automutilation lors de leur formation initiale. Ils suivent également une formation de rappel dans ces domaines environ tous les deux ans. La fonctionnaire a suivi une formation de rappel en 2014.

[15] La Directive du commissaire 843, intitulée « Gestion des comportements d’automutilation et suicidaires chez les détenus », énonce le processus permettant de déterminer les risques de suicide ou d’automutilation et les exigences en matière de surveillance. Un professionnel de la santé évalue d’abord un détenu et lui attribue un niveau d’observation. Le professionnel remplit alors un formulaire d’observation. Le formulaire est fourni au gestionnaire correctionnel en service, qui doit s’assurer que le formulaire est à la disposition de tout le personnel qui interagit régulièrement avec le détenu. La directive précise deux niveaux d’observation : « Surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation » et « Surveillance modifiée du risque de suicide/d’automutilation ». Pour les deux niveaux de surveillance, l’agent correctionnel doit consigner les activités du détenu dans un « Rapport sur l’observation de l’isolement et de la contrainte », au besoin, « mais au moins toutes les 15 minutes ». Mme Ings a confirmé que les agents correctionnels sont tenus de consigner leurs observations toutes les 15 minutes.

[16] Un détenu fait l’objet d’une surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation s’il présente un risque imminent de suicide ou d’automutilation. La directive exige que les détenus faisant l’objet d’une telle surveillance soient « en observation constante et directe » par un agent correctionnel. Selon la directive, une surveillance par caméra ne satisfait pas à cette exigence.

[17] Mme Ings a témoigné qu’aucune formation n’est requise pour l’observation directe d’un détenu faisant l’objet d’une surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation. Selon son témoignage, la formation et la formation de rappel ont trait à la prévention et à la reconnaissance du suicide, et non à l’observation.

[18] M. Lapointe a témoigné que le Rapport sur l’observation de l’isolement et de la contrainte est remis par l’agent correctionnel terminant son quart et qu’il est ensuite placé dans un classeur.

C. Surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation à l’Établissement

[19] La surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation est effectuée dans ce qu’on a appelé l’unité d’isolement. Mme Ings a témoigné qu’il y avait 48 cellules à un seul occupant dans cette unité et qu’elle n’était jamais remplie à pleine capacité.

[20] Il y a aussi un poste de contrôle secondaire sécurisé, aussi appelé « bulle ». L’agent s’y trouvant a accès aux caméras qui montrent les différentes zones de cette partie de l’Établissement, notamment les caméras à l’intérieur de chaque cellule d’isolement. L’agent du contrôle secondaire contrôle les lumières et les portes de l’unité d’isolement. Mme Ings a témoigné que l’agent peut voir l’agent correctionnel chargé de la surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation à partir du poste. M. Cochrane a témoigné que, pour voir l’agent chargé de la surveillance, l’agent au contrôle secondaire doit s’accroupir.

[21] Il y a également un agent correctionnel multifonction en service, qui effectue des rondes et remplace les autres agents correctionnels lorsqu’ils prennent leurs pauses.

[22] Lorsqu’un détenu fait l’objet d’une surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation, un agent correctionnel est affecté à ce qu’on appelle un poste [traduction] « à fonction supplémentaire ». Une chaise est fournie à l’agent. M. Sanderson a témoigné que l’agent doit être en mesure de voir dans la cellule pendant qu’il est assis sur la chaise. Il a également témoigné que la plupart des surveillances accrues du risque de suicide/d’automutilation sont effectuées à partir d’une position assise. Il a également témoigné que les portes étaient mal conçues pour regarder les détenus.

[23] Mme Ings a témoigné que lorsque les lumières étaient allumées dans le couloir, il y avait un reflet sur la fenêtre de la cellule, et les agents devaient se lever et regarder dans les cellules qu’ils surveillaient. M. Lapointe a également témoigné qu’il était impossible pour un agent correctionnel chargé de la surveillance d’observer un détenu depuis une position assise. Il a déclaré que si un agent était assis, il ou elle [traduction] « ne serait pas en mesure de voir ce qu’il [le détenu] fait ». Il a témoigné que l’utilisation d’une lampe de poche pour regarder dans la cellule constituait la méthode appropriée pour observer un détenu faisant l’objet d’une surveillance.

[24] M. Sanderson a témoigné que si un agent chargé d’une surveillance du risque de suicide devait prendre une courte pause, un autre agent de l’étage le remplaçait. Si une pause plus longue était nécessaire, l’agent qui demandait la pause devait communiquer avec le gestionnaires correctionnel en service. Mme Ings a confirmé qu’il s’agissait de la pratique à l’Établissement.

[25] Mme Ings a témoigné que les règles relatives à la durée de la surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation ont été modifiées environ deux semaines après le licenciement de la fonctionnaire. La modification a été annoncée le 3 mai 2017 dans la note de service suivante provenant du commissaire adjoint des opérations correctionnelles (CAOC)et rédigée à l’intention des directeurs de la région des Prairies du SCC :

[Traduction]

Comme vous le savez, l’UCCO-SAC-CSN s’est entretenu avec le sous‑commissaire et moi‑même au cours de la dernière réunion du CRCPS concernant la rotation des agents correctionnels affectés à des fonctions de surveillance accrue du risque de suicide en vertu de la DC‑843. Plus particulièrement, la demande portait sur la question de savoir si nous serions disposés à restreindre ou à limiter le nombre d’heures pendant lesquelles un agent peut être affecté aux fonctions. Lors de la réunion du CRCPS, nous avons convenu que je consulterais chacun des directeurs à ce sujet, car nous croyons qu’il est effectivement justifié de limiter le nombre d’heures pendant lesquelles un agent peut être affecté à ces fonctions.

Après avoir consulté tous les sites de la région et le syndicat, il a été convenu que ces affectations à ces fonctions ne doivent normalement pas dépasser deux (2) heures à la fois. On estime que le fait de limiter le nombre d’heures pendant lesquelles un agent pourrait être affecté à ces fonctions particulières accroîtrait la diligence requise pour assurer le bien‑être du détenu faisant l’objet d’une surveillance accrue du risque de suicide.

Veuillez vous assurer que cette directive régionale est communiquée à vos gestionnaires correctionnels et vous assurer, dans toute la mesure du possible, que nous limitons de telles affectations à deux heures. Je comprends qu’il y aura des situations où il sera impossible de faire une rotation des agents, mais ces situations seront probablement rares. Dans de telles situations, je m’attendrais à ce que le gestionnaire correctionnel facilite l’échange de poste dès que possible après les deux heures.

[...]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[26] M. Lapointe a témoigné qu’il avait participé aux consultations portant sur cette modification. Il ne se souvenait pas de la date à laquelle les consultations avaient eu lieu, mais il a déclaré qu’il se rappelait que l’initiative avait été [traduction] « en cours d’élaboration depuis un certain temps ». Il a témoigné qu’il était au courant des préoccupations concernant la durée des surveillances accrues du risque de suicide/d’automutilation avant le licenciement de la fonctionnaire.

D. Inconduite alléguée

[27] L’employeur a invoqué deux incidents à l’appui de la mesure disciplinaire imposée à la fonctionnaire. Le directeur a témoigné qu’il avait d’abord examiné la vidéo de l’incident du 27 février 2017. Il avait ensuite examiné la vidéo du quart de travail précédent du 24 février 2017 de la fonctionnaire, au cours duquel elle était affectée à la surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation, et il y a observé une autre conduite qui, à son avis, justifiait une mesure disciplinaire. Il a témoigné qu’il avait visionné la vidéo du 24 février pour accorder à la fonctionnaire [traduction] « le bénéfice du doute ». J’ai résumé les éléments de preuve ayant trait aux deux incidents par ordre chronologique.

1. L’incident du 24 février 2017

[28] La fonctionnaire est arrivée au travail le 23 février 2017 et elle s’est présentée au bureau de Mme Ings pour recevoir son affectation. Elle a été affectée à la surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation.

[29] Mme Ings a témoigné que le détenu faisant l’objet d’une surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation était une personne qui s’automutilait fréquemment et qui était bien connu dans l’Établissement. Elle a déclaré que les agents correctionnels discutaient régulièrement du détenu. En contre‑interrogatoire, elle a convenu que la fonctionnaire ne connaissait peut‑être pas bien ce détenu. Elle ne se rappelait pas si elle avait informé la fonctionnaire au sujet du détenu au début de son quart. M. Cochrane a témoigné que le détenu était sournois et qu’il s’était déjà mutilé deux fois cette semaine‑là. Il a également témoigné qu’il ne croyait pas que le détenu était suicidaire.

[30] La fonctionnaire a témoigné que l’agent correctionnel chargé de la surveillance avant elle lui avait dit que le détenu s’était [traduction] « bien comporté toute la journée et qu'il n'avait pas eu de problèmes ». Elle a témoigné qu’à part cela, elle ne connaissait rien de l’histoire ou de la réputation du détenu.

[31] La vidéo sur laquelle le directeur s’est appuyé pour imposer la mesure disciplinaire a commencé à être enregistrée à 4 h 02 le 24 février 2017. Les lumières étaient éteintes dans le couloir de l’isolement ce soir‑là. Par conséquent, la vidéo est grise et granuleuse. Mme Ings a témoigné que l’agent chargé de la surveillance indiquait s’il ou elle souhaitait que les lumières soient allumées ou éteintes. En contre‑interrogatoire, elle a convenu qu’elle ne savait pas si la fonctionnaire avait demandé que les lumières soient éteintes. La fonctionnaire n’a pas été interrogée à cet égard.

[32] La fonctionnaire a témoigné qu’elle avait placé la chaise de manière qu’elle puisse voir le détenu. Elle a témoigné qu’elle pouvait le voir. Elle portait un parka. Elle a témoigné qu’il faisait souvent froid dans le couloir de l’unité d’isolement et qu’il faisait [traduction] « vraiment froid » cette nuit‑là. M. Sanderson a témoigné qu’il pouvait faire froid dans l’unité d’isolement. Lors de ses rondes ce soir‑là, on peut le voir sur la vidéo portant une tuque. M. Lapointe a témoigné qu’il n’avait jamais reçu de plaintes au sujet du fait qu’il faisait froid dans l’unité d’isolement.

[33] La fonctionnaire a ensuite utilisé une deuxième chaise pour poser ses jambes. Elle avait également un oreiller au cou. Elle a témoigné qu’elle amenait régulièrement l’oreiller au travail pour soutenir son cou. Elle a affirmé qu’elle avait des problèmes de cou en raison d’un accident de voiture.

[34] Pendant son quart de travail, elle s’est levée et a quitté son poste pendant environ une minute pour aller chercher une couverture. Elle a témoigné qu’elle s’était rendue au bureau au bout du couloir pour la récupérer parce qu’elle avait froid. Elle a également témoigné que si elle avait été informée de la réputation du détenu, elle n’aurait pas quitté le poste.

[35] Sur la vidéo, la fonctionnaire reste immobile de 4 h jusqu’à environ 4 h 20, soit lorsque M. Sanderson passe faire sa ronde. Une fois qu’il a terminé d’examiner les cellules, la fonctionnaire se repositionne avec ses pieds sur la chaise et s’y affale. Elle bouge de nouveau ses pieds vers 5 h 18, lorsque M. Sanderson passe faire sa ronde.

[36] La fonctionnaire a témoigné qu’elle ne s’était pas volontairement endormie. Elle a affirmé qu’elle était [traduction] « certaine à 99 % » qu’elle n’avait pas dormi, mais qu’elle avait commencé à en douter lorsque le directeur a dit qu’il avait une vidéo d’elle en train de dormir. À l’audience, elle a témoigné qu’elle ne pensait pas s’être endormie. En contre‑interrogatoire, elle n’a pas nié qu’elle ait pu s’endormir.

[37] M. Sanderson a témoigné qu’il avait visionné la vidéo avant l’audience. Il a affirmé dans son témoignage qu’avant de le voir, il se souvenait de très peu de cette nuit‑là. Il a témoigné qu’à ce moment‑là, il n’avait pas considéré le comportement de la fonctionnaire comme mettant le détenu en péril. Il a également témoigné qu’il ne croyait pas qu’il avait prêté attention à elle, étant donné que son seul objectif était de surveiller le détenu.

[38] Mme Ings a témoigné que, si M. Sanderson avait eu des préoccupations au sujet du sommeil de la fonctionnaire, il lui incombait de les porter à son attention.

[39] Mme Ings n’a pas observé la fonctionnaire pendant ce quart de travail. Elle a vu la vidéo de cet incident pour la première fois en préparation de la présente audience. Elle a témoigné qu’un agent correctionnel ne devrait jamais quitter son poste, à moins qu’il n’ait pris les dispositions nécessaires pour être remplacé.

[40] Mme Ings a témoigné que si un agent correctionnel n’est pas en mesure de s’acquitter de ses fonctions, il ou elle doit en informer le gestionnaire correctionnel. Elle a témoigné qu’elle est située à l’extérieur de la zone d’isolement et qu’elle ne saurait pas si quelqu’un n’est pas en mesure d’exercer ses fonctions. Elle a également témoigné que les agents correctionnels s’échangent constamment les postes, ce qui est acceptable, à condition que chaque poste soit couvert.

[41] Mme Ings n’a pas participé au processus disciplinaire lié à cet incident. À l’audience, on lui a demandé de faire part de sa réaction à la vidéo. Elle a témoigné qu’elle ne pouvait pas dire si la fonctionnaire était endormie ou non, mais qu’il était raisonnable de supposer que la fonctionnaire était endormie ou sur le point de s’endormir. Elle a également témoigné qu’elle avait été étonnée par la vidéo et que la fonctionnaire avait été négligente dans l’exercice de ses fonctions.

2. L’incident du 27 février 2017

[42] La fonctionnaire s’est présentée au bureau de Mme Ings avant le début de son quart et elle a été affectée de nouveau à la surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation. Elle a dit à Mme Ings qu’elle avait reçu un rappel au sujet de la formation de rappel sur la prévention du suicide et que son certificat avait expiré. La fonctionnaire a témoigné que Mme Ings avait déclaré que personne d’autre n’était disponible aux fins de la surveillance. Mme Ings ne se souvenait pas de cette conversation.

[43] La fonctionnaire a également témoigné qu’elle avait dit à Mme Ings que certains agents correctionnels n’appréciaient pas l’heure de début tardive de son quart de travail et qu’ils étaient contrariés à son égard. Mme Ings a témoigné que la fonctionnaire lui avait fait part de certaines préoccupations concernant le début de son quart de travail et que certains agents correctionnels [traduction] « n’avaient pas été polis à ce sujet ».

[44] Au début de sa surveillance, sur la vidéo, on peut voir la fonctionnaire parler à l’agent correctionnel qu’elle remplace. Elle a témoigné qu’il lui avait dit que le détenu avait fait preuve d’un bon comportement.

[45] Sur la vidéo, on peut voir à côté de la chaise un magazine ou un journal, mis là par l’agent correctionnel qu’elle a remplacé. Le directeur a déclaré qu’il était inapproprié pour l’agent d’avoir quelque chose à lire avec lui, mais qu’il n’avait pas lu et qu’ils n’avaient pas eu d’incidence sur ses fonctions.

[46] La fonctionnaire a témoigné qu’elle avait compris que lire pendant la surveillance du risque de suicide était [traduction] « acceptable » et qu’elle avait vu d’autres le faire. Sur la vidéo, on la voit sortir des livres et un cahier et commencer à lire.

[47] Mme Ings a témoigné que les agents apportent parfois des livres à leurs postes, mais que la surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation constituait un différent type de poste. Elle a déclaré qu’elle n’était au courant d’aucun agent correctionnel qui lisait pendant qu’il était affecté à la surveillance accrue du risque de suicide. M. Cochrane a témoigné qu’il aurait vu la fonctionnaire lire lorsqu’il a fait sa ronde. Il a témoigné qu’il ne l’avait pas signalé. Il a déclaré que certains agents correctionnels lisaient lorsqu’ils effectuaient la surveillance du risque de suicide et que d’autres ne le faisaient pas. Il a dit qu’il n’était [traduction] « pas inhabituel » de lire pendant la surveillance du risque de suicide. Il a également témoigné qu’un agent correctionnel s’assurerait qu’aucun livre ne soit visible si le directeur venait à l’unité.

[48] La fonctionnaire a témoigné qu’elle pouvait voir tout le matelas et la forme corporelle du détenu sous sa couverture. Sur la vidéo, on peut parfois voir la fonctionnaire parler (il n’y a pas d’audio). Elle a témoigné qu’elle parlait à la fois au détenu et à celui à côté de lui. En contre‑interrogatoire, la fonctionnaire a discuté de certaines parties de la vidéo et a indiqué quand elle avait regardé dans la cellule. Elle a témoigné que ces vérifications duraient deux ou trois secondes chacune.

[49] Mme Ings a témoigné qu’elle n’avait pas vu de radio sur le ceinturon de service de la fonctionnaire. Elle a témoigné que les agents correctionnels sont tenus de porter une radio en tout temps, aux fins d’un accès immédiat. La fonctionnaire a convenu que, pendant une partie du quart de travail, elle n’avait pas porté son ceinturon de service.

[50] M. Sanderson travaillait dans l’unité de contrôle secondaire le soir du 27 février 2017. Il a été en mesure d’observer l’intérieur de la cellule d’isolement à l’aide d’un moniteur vidéo. Il a préparé un rapport sur l’observation le 27 février 2017. Il a signalé qu’il avait constaté que le détenu [traduction] « agissait étrangement ». Il s’agitait sous sa couverture. Lorsque le détenu a déplacé la couverture, M. Sanderson a constaté une tache sombre sur le matelas qui, selon lui, ressemblait à du sang. Il en a informé son partenaire, M. Cochrane, qui est ensuite allé à la cellule.

[51] Mme Ings s’est également présentée à l’extérieur de la cellule. Elle a témoigné qu’avant d’entrer dans la cellule, elle et M. Cochrane ont essayé de convaincre le détenu d’appliquer une pression sur ses blessures. Ils ont attendu d’avoir l’équipement de protection individuelle approprié avant d’entrer dans la cellule – dans ce cas, des gants jetables.

[52] M. Cochrane a rédigé un rapport sur l’observation le 27 février 2017. Il a écrit que M. Sanderson lui avait demandé d’examiner de plus près le détenu, car il avait signalé que le détenu [traduction] « se comportait étrangement sous sa couverture de sécurité » et qu’il croyait avoir vu du sang sur le matelas. Dans son rapport, M. Cochrane a déclaré qu’après que le détenu eut enlevé la couverture de sécurité, il a observé une [traduction] « [...] quantité importante de sang coagulé sur son matelas et ses vêtements ». Lorsqu’il a administré les premiers soins au détenu, il a constaté que les coupures sur le bras gauche [traduction] « saignaient abondamment et semblaient profondes et graves ». Il a témoigné avoir appliqué un garrot au bras du détenu. Il a également témoigné qu’il n’avait jamais vu autant de sang. Il a témoigné que, selon lui, le détenu avait saigné pendant 10 à 15 minutes avant d’être découvert.

[53] Mme Ings a préparé un rapport sur l’observation le 27 février 2017. Elle a signalé que le détenu avait déclaré avoir coupé ses biceps avec des morceaux de tête de l’arroseur qu’il avait cassé la veille. M. Cochrane savait aussi que le détenu avait cassé une tête d’arroseur et il a fait référence à un rapport sur l’observation qu’il avait préparé la veille relativement à cet incident. On a demandé à Mme Ings s’il s’agissait d’un oubli de ne pas retirer une arme potentielle d’un détenu faisant l’objet d’une surveillance du risque de suicide. Elle a déclaré qu’elle ne connaissant pas le statut du détenu la nuit où il avait cassé la tête de l’arroseur. Elle a aussi indiqué que les détenus cachent des choses à l’intérieur de leur corps. Elle ne savait pas si des préoccupations au sujet de la présence de pièces de la tête de l’arroseur avaient été soulevées auprès d’elle avant l’incident.

[54] Mme Ings a également déclaré dans son rapport que lorsque le détenu a retiré la couverture de sécurité, il y avait ce qui semblait être une [traduction] « quantité importante de sang ». Le détenu lui avait dit qu’il ne voulait pas mourir. Elle a fait remarquer que, bien qu’il était pâle et étourdi, il parlait et réagissait et était en mesure d’exprimer clairement ce qu’il avait fait. Elle a témoigné que les blessures semblaient être [traduction] « assez graves » et que des bandages n’auraient pas suffi à arrêter l’hémorragie.

[55] Après l’arrivée du personnel des services médicaux d’urgence à l’unité d’isolement, le détenu a été transporté à l’hôpital pour y être traité. La fonctionnaire et un autre agent correctionnel ont escorté le détenu à l’hôpital et en sont revenus avec lui. Mme Ings a témoigné qu’il était logique d’envoyer la fonctionnaire, car elle n’était plus tenue d’effectuer une surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation.

[56] L’employeur n’a fourni aucun rapport sur l’observation rédigé par la fonctionnaire. Elle a témoigné qu’elle croyait avoir remis un rapport à Mme Ings avant d’emmener le détenu à l’hôpital, bien qu’elle n’en soit pas certaine.

[57] Un rapport préparé par l’agent du renseignement de sécurité indiquait que la gravité de la blessure du détenu était [traduction] « une blessure corporelle non grave ». L’agent n’a pas témoigné à l’audience.

[58] À son retour à l’Établissement, le détenu a fait de nouveau l’objet d’une surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation.

[59] On a demandé à Mme Ings si la fonctionnaire avait exprimé des remords. Elle a témoigné qu’elle n’avait eu aucune conversation avec la fonctionnaire après que le détenu a été envoyé à l’hôpital.

[60] Mme Ings a visionné la vidéo de cet incident pour la première fois en préparation à la présente audience. Elle a témoigné que, d’après son examen de la vidéo, elle ne croyait pas qu’il était possible que la fonctionnaire ait pu observer le détenu.

E. Audience disciplinaire et licenciement

[61] Le directeur, M. Lapointe, était le décideur de la mesure disciplinaire à imposer à la fonctionnaire. Mme Ings n’a pas participé au processus disciplinaire.

[62] M. Lapointe a témoigné qu’après avoir été informé de l’incident du 27 février 2017, il a décidé d’examiner le quart de travail précédent de la fonctionnaire (le 24 février) pour lui donner [traduction] « le bénéfice du doute ». Il n’a examiné aucun des autres quarts de travail, car, selon son témoignage, elle aurait pu être à un autre poste.

[63] M. Lapointe a témoigné que, lorsqu’il a visionné la vidéo du 24 février 2017, il a remarqué que la fonctionnaire se préparait à être confortable et qu’elle a quitté son poste pour récupérer la couverture. Il a également remarqué qu’elle avait apporté un oreiller à l’établissement. Il a témoigné qu’il avait conclu qu’elle se mettait dans une position confortable en vue de s’endormir.

[64] M. Lapointe a témoigné que d’après ce qu’il a observé dans la vidéo du 27 février, la fonctionnaire n’avait fait preuve d’aucune intention d’exercer ses fonctions d’observation et de surveillance du détenu. Il a témoigné qu’aucun autre agent correctionnel ne s’est vu imposer une mesure disciplinaire à la suite de cet incident.

[65] La fonctionnaire a fourni un document dactylographié au directeur le 13 mars 2017. L’employeur a qualifié ce document de [traduction] « réfutation », mais il a été fourni avant l’audience disciplinaire de la fonctionnaire. Il est rédigé comme suit :

[Traduction]

En premier lieu, je souhaiterais que nous procédions immédiatement à une audience accélérée; une enquête disciplinaire ne sera pas nécessaire puisque je reconnais que mes actes n’étaient pas acceptables et je regrette sincèrement que vous ayez dû me voir de cette manière négative : je suis mortifiée et plutôt gênée.

J’ai l’impression de vous devoir, ainsi qu’à moi, une explication de mon comportement.

Il y a deux mois, j’ai perdu deux membres de ma famille dans la même semaine : une de ces deux personnes était mon grand‑père, qui m’était très cher : j’étais dévastée et j’ai ressenti une immense douleur parce que je n’ai pas pu me rendre en Europe pour assister à ses funérailles et lui dire au revoir, pour faire le deuil de mon grand‑père. J’ai communiqué avec le travail et j’ai demandé un congé pour des raisons familiales, mais on m’a interrogé et on m’a dit que je n’étais pas admissible au congé pour raisons familiales, car je n’assistais pas aux funérailles de mon grand‑père, et que je devais plutôt utiliser mes propres congés. Me sentant déjà déprimée, je n’arrivais pas à croire que je doive expliquer comment je passerais mes journées de deuil et j’ai été étonnée par le manque de compassion de la part de mon gestionnaire et par la culpabilité que j’ai ressentie pour avoir pris un congé pour faire mon deuil.

J’ai senti de la pression pour retourner au travail avant d’avoir fait convenablement mon deuil et de m’en être remis. Au lieu de gérer mes émotions, elles m’ont envahi. J’ai commencé à ressentir une fatigue constante et à avoir de la difficulté à dormir, ce qui a eu des répercussions directes sur tous les aspects de ma vie, et au lieu de reconnaître mes émotions et d’en faire part, je les ai refoulés. Une fois que j’ai constaté l’ampleur réelle de ma perte, le chagrin a pris le contrôle de ma vie. Je me sentais seule, isolée, anxieuse, impuissante et triste. Je suis devenue dépendante de la caféine pour rester éveillée. Je me sentais particulièrement déprimée au cours des dernières semaines et mon corps était épuisé physiquement et mentalement. Nous étions à court de personnel depuis un certain temps et je savais que me plaindre auprès du gestionnaire du fait d’être affectée à la surveillance du risque de suicide aurait causé des problèmes supplémentaires pour tout le monde : l’état mental dans lequel j’étais a eu un impact sur mes décisions de me présenter au poste la nuit en question, plutôt que de me rendre chez moi et de prendre un congé de santé mentale.

J’ai deux jeunes garçons et je me sens souvent comme une mère seule, car mon conjoint travaille de longues heures pour subvenir aux besoins de notre famille. Je crains que le fait que ma relation soit déséquilibrée en ce qui concerne les responsabilités à l’égard des enfants et de l’entretien de la maison me cause souvent encore plus de détresse. Je poursuis également mes études afin d’obtenir ma maîtrise en psychologie et d’obtenir un meilleur poste en services correctionnels. Ma carrière au sein du service m’importe beaucoup. Je crois fermement à la réadaptation et à la réinsertion sociale des délinquants et je connais l’importance du SCC à cet égard; j’ai récemment postulé un poste d’agent des libérations conditionnelles qui me permettrait d’assumer une charge de travail et de faire quelque chose de plus stimulant, de travailler des heures raisonnables et de me reposer suffisamment en plus de réduire la pression sur ma santé mentale.

Je reconnais que le fait d’être une AC, une mère, une épouse et une étudiante met beaucoup de pression sur mon rendement et que ma perte personnelle, en plus de toute cette pression, m’a bouleversée. Mes sentiments non résolus ont eu une incidence importante sur ma carrière et, en tant que personne empathique et nouvelle formatrice du programme RVPM, je suis habituée à ce que les gens se tournent vers moi en matière de santé mentale et de soutien; je dois admettre qu’il m’est difficile de changer de rôle et d’être la personne qui demande de l’aide. Je n’étais pas préparée à l’intensité et à la durée de mes émotions et à leur incidence sur ma vie et ma santé mentale.

Le fait d’avoir été témoin lorsque le délinquant a mutilé son corps pendant mon dernier quart de travail alors que j’étais chargée de la surveillance du risque de suicide a provoqué des sentiments d’anxiété encore plus forts, un manque total de sommeil ou des cauchemars, des retours en arrière et un évitement des lieux et des gens. J’estime qu'il m'aurait été bénéfique de me voir proposer une GSIC après l'incident; j’ai atteint mon point de rupture et je voudrais améliorer ma santé mentale et reprendre une vie normale, avant que mon état mental actuel ne devienne normal. J’en ai assez de faire semblant et j’ai décidé d’obtenir de l’aide. J’ai eu un rendez‑vous avec mon médecin et il m’a prescrit des médicaments qui m’aideront à réguler mon sommeil et gérer mon anxiété, et il a fortement recommandé que je consulte un psychologue pour traiter ce que j’ai essayé de refouler au cours des derniers mois, ce que je ferai avec plaisir.

J’assume l’entière responsabilité de mes actes et je suis prête à accepter la mesure disciplinaire qui me sera imposée; je vous demande sincèrement de prendre en considération ma situation actuelle et de permettre de conserver mon emploi.

 

[66] La fonctionnaire a témoigné qu’il s’agissait d’une période difficile pour elle en raison de la perte de membres de sa famille et de la gestion de ses études. Elle a également témoigné qu’elle ne recevait aucune rémunération à l’époque en raison des problèmes liés au système Phénix et qu’elle éprouvait donc des problèmes financiers.

[67] L’audience disciplinaire a été tenue le 16 mars 2017. Elle avait pour but de donner à la fonctionnaire la possibilité de présenter ses commentaires et tout autre renseignement qu’elle estimait pertinent pour que le directeur puisse en tenir compte avant de prendre une décision sur la question de savoir si une mesure disciplinaire était justifiée. M. Lapointe a mené l’audience et un agent des relations de travail y a assisté par téléphone et a préparé des notes détaillées sur l’audience. La fonctionnaire n’a pas contesté l’exactitude des notes.

[68] La fonctionnaire était accompagnée d’un collègue à l’audience disciplinaire. M. Lapointe a fait remarquer que le collègue n’était pas présent à titre de représentant syndical et a déclaré à la fonctionnaire : [traduction] « il ne peut donc pas vous appuyer d’un point de vue syndical ».

[69] M. Lapointe a dit à la fonctionnaire qu’aucune enquête disciplinaire n’était nécessaire [traduction] « étant donné la preuve, nous avons estimé que nous pouvions passer directement à une audience ». Il a dit à la fonctionnaire qu’il lui montrerait les vidéos des deux quarts de travail. Elle a répondu qu’elle ne voulait pas les voir et qu’elle serait [traduction] « mortifiée ».

[70] La fonctionnaire a dit à M. Lapointe qu’elle ne se souvenait pas si le rapport sur l’observation de l’agent affecté au poste avant elle lui avait été remis.

[71] M. Lapointe a dit à la fonctionnaire que lorsqu’il a visionné la vidéo du 27 février 2017, il ne l’a vu [traduction] « à aucun moment » regarder dans la cellule. Les notes de l’agent des relations de travaillent indiquent ensuite ce qui suit :

[Traduction]

Aleksandra : D’où j’étais assise, je pouvais voir dans la cellule. Il était sur le lit sous une couverture. Nous avons parlé toute la nuit. Je pouvais le voir bouger sous la couverture.

Clovis : Je pense qu’il est très important que vous visionniez la vidéo. Elle est en haute définition. Il est très clair que vous n’avez pas regardé dans la cellule une seule fois. Donc, étant donné qu’il existait des problèmes importants liés à votre rendement, je voulais voir s’il s’agissait simplement d’une mauvaise nuit pour vous. Vous faisiez vos devoirs, alors s’agissait‑il simplement d’une occurrence unique? J’ai également regardé la vidéo de votre quart de travail précédent du 24 février. Sur celle‑là, vous êtes allée chercher une couverture, vous aviez un oreiller avec vous et il semble que vous dormiez pendant un peu plus d’une heure.

Aleksandra : Oui, quand vous êtes assis à ce poste, la durée peut être de 10 à 12 heures. La chaise est dure. Il fait très froid dans cette zone. Je porte des vêtements en double. On ne vous remplace pas pendant tout le quart de travail.

[...]

Clovis : Avez‑vous déjà demandé à être remplacée à ce poste?

Aleksandra : Lorsque vous êtes chargé de la surveillance du risque de suicide, habituellement personne ne souhaite y participer. La première nuit, j’ai demandé une pause. Alastair m’a donné une petite pause. Ils sont réticents à aider. Le gardien devrait s’assurer que quelqu’un vienne me remplacer.

[...]

Clovis : En fin de compte, si vous demandez une pause à un GC et qu’il ne vous en donne pas, nous pouvons nous en occuper.

[...]

Clovis : Vous avez quitté le poste pour aller chercher une couverture. D’où l’avez‑vous obtenu?

Aleksandra : Je l’ai obtenu du bureau. Je ne dors pas lorsque je suis au poste.

Clovis : Avez‑vous déjà dormi au poste auparavant?

Aleksandra : Non, surtout pas en surveillance accrue du risque de suicide.

Clovis : Vous saviez qu’il s’était déjà coupé deux fois cette semaine‑là. Y a-t-il autre chose que vous voulez dire?

Aleksandra : Je suis mortifiée.

Clovis : Qu’avez‑vous appris?

Aleksandra : J’ai appris que si je ne suis pas apte à travailler, je ne devrais pas me présenter au travail. Je n’ai pas de poste. Je fais l’objet d’une mesure d’adaptation en raison de ma vie personnelle. Je ne veux pas me plaindre. La nuit que j’ai travaillé, je n’ai eu aucune pause. Je n’estimais pas qu’il valait la peine de me plaindre au MC.

Clovis : Comprenez‑vous votre rôle? Il est un détenu éprouvant des troubles de santé mentale et faisant l’objet d’une surveillance accrue du risque de suicide. C’est pourquoi il fait l’objet d’une surveillance constante. Il essaiera de cacher ce qu’il fait. Il se cache souvent sous la couverture.

Aleksandra : Je comprends l’importance.

Clovis : Lorsqu’une personne fait l’objet d’une surveillance accrue du risque de suicide, il n’est pas question de faire preuve de complaisance. Vous lisiez ou faisiez simplement vos devoirs. Les vidéos ne comportent aucune preuve que vous avez exercé vos fonctions.

 

[72] Le collègue de la fonctionnaire a dit à M. Lapointe que lorsqu’il prendrait sa décision quant à la mesure disciplinaire, il devrait tenir compte de la carrière exemplaire de la fonctionnaire. Il a continué comme suit :

[Traduction]

[...] Elle a traversé une période personnelle difficile. Elle poursuit ses études pour obtenir sa maîtrise. Elle accepte ce qu’elle a fait et admet que c’était inacceptable. Elle a demandé une pause, mais ne l’a pas obtenu. Elle acceptera toute mesure disciplinaire. Elle avait consulté son médecin. Elle n’aurait pas dû se présenter au travail cette nuit‑là, elle aurait dû prendre un congé de maladie. Elle estime qu’elle a été poussée à accepter ce poste que personne ne veut. Ils sont tous concernés par ce qui s’est passé ici.

 

[73] M. Lapointe a demandé à la fonctionnaire si elle avait autre chose à dire. Elle a conclu en déclarant ce qui suit :

[Traduction]

Je sais que ça paraît mal. Les deux occasions ne saisissent pas ce que je fais habituellement. Je fais souvent des rondes pour les autres. Je suis mortifiée par cela. J’ai éprouvé des problèmes personnels. Deux personnes de ma famille sont décédées la même semaine. Je trouve qu’il m’est difficile de tout gérer, entre mes enfants, l’école et le travail.

 

[74] Son collègue a affirmé qu’elle ne voulait pas voir les vidéos, qu’elle assumait la responsabilité et qu’elle accepterait la mesure disciplinaire imposée pour l’inconduite.

[75] La fonctionnaire a témoigné que lors de l’audience disciplinaire, elle était en état de choc et déroutée. Elle a témoigné qu’elle se sentait horriblement mal et honteuse du fait que le détenu se soit mutilé pendant qu’elle le surveillait. Elle a affirmé dans son témoignage que si elle avait disposé des renseignements au sujet du détenu dont elle dispose maintenant, elle aurait fait les choses différemment.

[76] On a demandé à M. Lapointe si la fonctionnaire avait adopté la position selon laquelle elle n’avait pas dormi. Il a déclaré qu’elle [traduction] « avait assumé la responsabilité de ses actes ». Il ne se souvenait pas si elle avait nié avoir dormi. La fonctionnaire a témoigné qu’à l’audience disciplinaire, elle n’avait pas reconnu s’être endormie.

[77] En contre‑interrogatoire, on a montré à M. Lapointe plusieurs parties de la vidéo du 24 février 2017. Il a convenu qu’il ne pouvait pas savoir avec certitude si elle s’était endormie, mais il a déclaré qu’il était [traduction] « plus que probable » qu’elle s’était endormie. M. Lapointe n’a pas accepté que la fonctionnaire ait pris la couverture parce qu’elle avait froid. Après avoir examiné la tuque portée par M. Sanderson, le parka que portait la fonctionnaire et ses commentaires à l’audience disciplinaire selon lesquels il faisait très froid dans cette zone, il a admis qu’il avait peut‑être fait froid, mais a affirmé qu’il n’était toujours pas approprié que la fonctionnaire ait utilisé une couverture.

[78] En contre‑interrogatoire, M. Lapointe a été interrogé à l’égard de plusieurs parties de la vidéo du 27 février 2017. Il a admis qu’à certains moments, la fonctionnaire avait regardé dans la cellule et qu’à un moment donné, elle semblait avoir parlé avec le détenu. Il a ensuite témoigné que la méthode appropriée consistait à utiliser une lampe de poche pour regarder dans la cellule, comme l’avait fait l’agent pendant sa ronde.

[79] M. Lapointe a témoigné qu’il avait le pouvoir de mener une enquête disciplinaire si la personne ayant commis l’inconduite contestait ou niait les faits. Il a déclaré qu’une enquête n’est pas nécessaire lorsque les faits ne sont pas contestés et qu’il existe des éléments de preuve suffisants pour procéder directement à une audience disciplinaire. Il a fait remarquer que la fonctionnaire avait assumé la [traduction] « responsabilité » de ses actes et n’avait pas contesté ses erreurs.

[80] La fonctionnaire a assisté à une réunion disciplinaire le 18 avril 2017, au cours de laquelle elle a reçu une lettre de M. Lapointe mettant fin à son emploi. La lettre énonçait les conclusions d’inconduite suivantes :

[Traduction]

Le Service correctionnel du Canada (SCC) s’attend à ce que tous ses employés se comportent conformément aux Normes de conduite professionnelle et aux directives du commissaire. Après un examen approfondi des éléments de preuve, notamment les séquences vidéo des 24 et 27 février 2017, ainsi que des renseignements que vous avez fournis dans le cadre du processus disciplinaire, je conclus que vos actes n’étaient pas conformes au comportement attendu d’une employée du SCC. Vos actes étaient délibérés lorsque vous vous êtes endormie en service et que vous avez fait vos devoirs scolaires pendant que vous étiez en surveillance accrue du risque de suicide d’un détenu. Au cours des deux quarts, vous avez omis d’assurer une surveillance directe et constante du détenu et vous n’avez pas non plus consigné les activités du détenu, tel que vous êtes tenue de le faire. Votre comportement témoigne de votre mépris manifeste à l’égard des Normes de conduite professionnelle.

 

[81] Voici les dispositions du code de discipline de l’employeur auxquels il a été déterminé que la fonctionnaire a contrevenu :

  • Alinéa 6f), « omet de prendre les mesures voulues ou néglige ses fonctions d’agent de la paix d’autres façons ».
  • Alinéa 6g), « omet de respecter ou d’appliquer une loi, un règlement, une directive du commissaire, un ordre permanent ou une autre directive quelconque ayant trait à ses fonctions ». Plus particulièrement, selon la Directive du commissaire 843, consigner les activités du détenu dans un Rapport sur l’observation de l’isolement et de la contrainte, au moins toutes les 15 minutes, et effectuer une observation constante et directe du détenu.
  • Alinéa 6m), « exerce ses fonctions de façon négligente et par ce fait, soit directement ou indirectement, met en danger un autre employé du SCC ou une autre personne quelconque ou cause des blessures ou la mort ».
  • Alinéa 8i), « dort pendant qu’il est de service ».

 

[82] La lettre énonce ensuite ce qui suit :

[Traduction]

Après une étude approfondie, j’ai déterminé que vous ne démontrez pas les valeurs et l’éthique requises d’un employé du SCC, conformément à l’énoncé de la mission du SCC. Par vos actes, vous avez irrémédiablement brisé et compromis la relation de travail. Votre inconduite est si grave que vous avez contrevenu aux principes fondamentaux de l’équité, du professionnalisme et de la responsabilisation de la relation de travail qui doit exister entre vous et le SCC. Je ne suis donc pas en mesure d’assurer la confiance en votre capacité d’exercer vos fonctions en tant qu’employé du SCC et à titre d’agent de la paix.

Par conséquent, étant donné la gravité de votre inconduite, une décision de mettre fin à votre emploi pour des raisons disciplinaires a été prise [...]

 

[83] M. Lapointe a témoigné que la relation de confiance avait été rompue en raison de sa détermination selon laquelle la fonctionnaire s’était présentée au travail prête à dormir et à faire ses devoirs. Il a déclaré que si le détenu était décédé, cela aurait eu de graves répercussions sur la réputation de l’Établissement. Il a témoigné qu’à son avis, la fonctionnaire s’était livrée à une inconduite intentionnellement.

[84] M. Lapointe a affirmé dans son témoignage qu’il n’avait tenu compte ni du dossier disciplinaire vierge de la fonctionnaire ni de son rendement global au travail dans son évaluation de la mesure disciplinaire à imposer. Il a témoigné qu’il n’avait pas tenu compte de ses années de service, mais il a déclaré que, quoi qu’il en soit, ces éléments n’auraient pas atténué la sanction, à son avis.

[85] Dans la réponse au dernier palier du processus de règlement des griefs, le commissaire adjoint par intérim, Nick Fabiano, a déclaré que la direction avait tenu compte des années de service de la fonctionnaire, de son dossier disciplinaire et des commentaires qu’elle avait formulés lors de l’audience disciplinaire du 16 mars 2017.

F. Après le licenciement

[86] La fonctionnaire a touché des prestations d’assurance‑emploi après son licenciement. Elle est demeurée sans emploi jusqu’en juin 2019. Elle travaille actuellement comme conseillère en traumatisme.

IV. Motifs

[87] L’employeur a soutenu que le comportement de la fonctionnaire au cours des nuits des 24 et 27 février 2017 était à la fois odieux et ridicule. À son avis, le licenciement était justifié. La fonctionnaire a admis son inconduite, mais a soutenu que, dans les circonstances, le licenciement était excessif et qu’une mesure disciplinaire moins sévère devrait le remplacer.

[88] Dans les cas portant sur des mesures disciplinaires, le critère qui doit être appliqué par un arbitre de grief est énoncé dans William Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P‑162, [1977] 1 Can. LRBR 1, [1976] B.C.L.R.B.D. No. 98 (QL) (« WM. Scott ») et Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24, et déclare ce qui suit :

  • Le comportement de l’employé a‑t‑il justifié que l’employeur impose des mesures disciplinaires (c.‑à‑d. l’employé a‑t‑il fait preuve d’inconduite)?
  • Si c’est le cas, la mesure disciplinaire imposée par l’employeur était‑elle une sanction excessive dans les circonstances?
  • Si elle était excessive, quelle autre mesure, qui serait juste et équitable, peut-on y substituer dans les circonstances?

A. Y a‑t‑il eu une inconduite?

[89] L’employeur a invoqué ces trois allégations d’inconduite pour justifier le licenciement de la fonctionnaire :

  • s’endormir pendant son service, ne portant donc pas attention et ne s’acquittant pas de ses fonctions requises;
  • faire des devoirs pendant son service, ne portant donc pas attention et ne s’acquittant pas de ses fonctions requises;
  • ne pas préparer les rapports sur l’observation, tel qu’elle est tenue de le faire pendant la surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation.

 

[90] La fonctionnaire a admis qu’il y avait eu une inconduite. Elle a contesté la conclusion de l’employeur selon laquelle elle s’était endormie au travail le 24 février 2017.

[91] L’employeur a soutenu que, lors de son audience disciplinaire, la fonctionnaire avait admis s’être endormie. Cette conclusion était fondée sur une interprétation erronée du résumé de l’audience. Le directeur a fait référence au fait qu’elle est allée chercher une couverture et qu’elle avait un oreiller, puis il a déclaré que [traduction] « il semble que vous avez dormi pendant un peu plus d’une heure ». Il est indiqué que la fonctionnaire a répondu [traduction] « Oui », puis a indiqué qu’il faisait très froid dans cette zone et que la chaise était dure. Cette réponse laisse entendre que la fonctionnaire ne faisait que convenir qu’elle était allée chercher une couverture et qu’elle avait un oreiller. Le directeur ne l’a pas accusé de dormir – il a dit qu’il semblait qu’elle avait dormi. Au mieux, on pourrait dire que la fonctionnaire a convenu qu’elle avait l’air de dormir. Toutefois, plus tard au cours de l’audience disciplinaire, elle a déclaré sans équivoque qu’elle n’avait pas dormi à ce poste et qu’elle n’avait jamais dormi pendant la surveillance du risque de suicide. L’employeur a laissé entendre qu’elle faisait référence à d’autres fois où elle avait effectué une surveillance du risque de suicide. Je conclus, après avoir lu le résumé de l’audience disciplinaire dans son intégralité, que la fonctionnaire n’a pas admis qu’elle s’était endormie.

[92] Aucun témoin n’a vu directement la fonctionnaire en train de dormir. Toutefois, la vidéo la montre avec ses jambes sur une chaise, affalée et immobile pendant une longue période. Je conclus qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle s’est endormie pendant une partie de son quart du 24 février 2017. Si j’ai tort, la vidéo montre qu’elle n’était pas attentive à ses fonctions et qu’elle n’a pas observé directement le détenu pendant de longues périodes, ce qui constitue dans les deux cas une inconduite.

[93] L’opinion du directeur selon laquelle la fonctionnaire s’est présentée au travail avec l’intention de dormir n’a pas été établie selon la prépondérance des probabilités. Elle a témoigné qu’elle utilisait régulièrement un oreiller cervical en raison d’une blessure au cou. Le directeur était également d’avis que le fait d’aller chercher la couverture indiquait une intention de dormir. Toutefois, la fonctionnaire et M. Cochrane ont témoigné qu’il faisait froid dans l’unité, ce qui est appuyé par la tuque portée par M. Cochrane et par le parka porté par la fonctionnaire. Je conclus que l’employeur n’a pas établi que le sommeil de la fonctionnaire était intentionnel.

[94] La fonctionnaire a admis les autres allégations d’inconduite, même si elle conteste la gravité de cette inconduite. J’aborde cette gravité dans l’examen visant à déterminer si elle justifiait le licenciement.

[95] Dans ses arguments, l’employeur a fait référence au fait que la fonctionnaire n’avait pas porté son ceinturon de service en tout temps. Elle s’est opposée à ce qu’elle estimait être un élargissement des motifs de licenciement. Dans ses arguments en réponse, l’employeur a précisé que le renvoi à l’omission de porter le ceinturon de service constituait un exemple de son inattention au travail pendant qu’elle était chargée de la surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation.

[96] Je n’ai pas pris en compte cet élément de preuve pour deux raisons. En premier lieu, l’omission de porter le ceinturon de service a été soulevée pour la première fois à l’audience. Ce n’était pas juste pour la fonctionnaire de soulever de nouvelles allégations d’inconduite à ce stade de la procédure de règlement des griefs. En deuxième lieu, même si l’employeur a déclaré qu’il n’élargissait pas les motifs du licenciement, il a tenté d’utiliser cette omission pour étayer son argument selon lequel la fonctionnaire était inattentive à ses fonctions. L’inattention invoquée par l’employeur pour justifier le licenciement, telle qu’elle est énoncée dans la lettre de licenciement, était l’omission de la fonctionnaire de surveiller le détenu de manière constante. Le port d’un ceinturon de service n’était pas lié à la surveillance du détenu. Il n’était pas loisible à l’employeur d’inclure de nouvelles allégations d’inconduite à l’arbitrage pour étayer sa décision de licenciement.

B. L’inconduite justifie‑t‑elle le licenciement?

[97] L’employeur a soutenu qu’il y avait des raisons évidentes de licencier la fonctionnaire, soit que sa conduite était extrême et fondamentalement contraire à son statut d’agente de la paix, que les conséquences de son inconduite avaient été importantes et qu’elle n’avait exprimé aucun remords ni aucune compréhension réels. Elle a admis l’inconduite, mais a fait valoir qu’il existait des facteurs atténuants dont l’employeur aurait dû tenir compte qui justifieraient une mesure disciplinaire moins sévère que le licenciement.

[98] Tel qu’indiqué dans Lagacé c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), dossier de la CRTFP 166‑02‑16037 (19881007), [1988] C.R.T.F.P.C. no 275 (QL), les conséquences de la conduite du fonctionnaire s’estimant lésé ne sont pas le seul point à considérer lorsqu’il s’agit d’établir quelle serait la sanction juste à imposer dans les circonstances. D’autres facteurs peuvent également être pertinents et devraient être pris en compte pour déterminer la sanction appropriée.

[99] Les facteurs à prendre en considération sont bien établis dans la jurisprudence et des listes non exhaustives de ces facteurs ont d’abord été énoncées de manière détaillée dans des cas comme United Steelworkers of America, Local 3257 v. Steel Equipment Co. (1964), 14 L.A.C. 356, [1964] O.L.A.A. No. 5 (QL) et WM. Scott. La pertinence et le poids d’un facteur particulier varient selon les faits de chaque cas. Lorsqu’il s’agit de déterminer si un licenciement est justifié, il faut tenir compte à la fois des facteurs aggravants et des facteurs atténuants dans le cadre de l’évaluation de la pertinence de la mesure disciplinaire imposée par l’employeur. (Voir, par exemple, Yayé c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 51, au paragraphe 119.)

1. La gravité de l’infraction

[100] L’employeur a fait valoir que le suicide d’un détenu pendant qu’il fait l’objet d’une surveillance du risque de suicide constitue une question d’intérêt public importante et une priorité pour le SCC; voir Bridgen c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 92 (confirmée dans 2013 CF 956 et 2014 CAF 237). Le SCC offre une formation aux agents correctionnels sur la prévention du suicide et a des politiques claires sur la gestion des comportements suicidaires et d’automutilation. L’employeur a soutenu que ces politiques ne sont efficaces que si elles sont prises au sérieux. Il a également déclaré que le fait de [traduction] « jeter un coup d’œil rapide » dans une cellule n’est pas suffisant lorsqu’un détenu fait l’objet d’une surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation. Il soutient également que la fonctionnaire savait que le détenu s’était déjà automutilé deux fois cette semaine‑là et que le comportement d’automutilation du détenu était bien connu dans l’Établissement.

[101] Même si la fonctionnaire a admis son inconduite, elle a fait valoir qu’elle n’était pas grave. J’ai déjà abordé son affirmation selon laquelle il n’y a aucune preuve qu’elle dormait le 24 février 2017. Elle a également soutenu que, même si elle n’a pas été aussi diligente qu’elle aurait dû l’être, elle pouvait voir dans la cellule le 27 février 2017. Elle a également fait remarquer que l’activité suspecte du détenu n’était peut‑être pas visible de son point de vue. Elle a fait valoir qu’elle n’avait pas été informée du niveau de risque associé à ce détenu. En outre, elle a contesté la gravité de ses blessures.

[102] La fonctionnaire m’a également renvoyé à King c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 84, dans laquelle la commissaire a conclu que la séquence de vidéosurveillance était peu fiable parce qu’elle ne comportait pas d’enregistrement audio. Ce grief portait sur le recours à la force, et l’audio du détenu constituait un élément essentiel pour déterminer si le recours à la force avait été approprié. En l’espèce, l’audio du détenu n’est pas pertinent pour évaluer la gravité de l’inconduite. On peut voir la fonctionnaire parler avec le détenu, mais rien ne laisse entendre que le contenu de cette conversation est pertinent à l’inconduite.

[103] Les agents correctionnels sont tenus de répondre à une norme de conduite plus rigoureuse par rapport à d’autres professions, tel qu’indiqué dans Dekort c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2019 CRTESPF 75, au paragraphe 142 :

[142] [...] En tant qu’agents de la paix, les agents correctionnels sont chargés d’appliquer la loi. Leur désignation en vertu du Code criminel et le fait qu’ils sont armés et autorisés à recourir à la force afin de protéger la sécurité des détenus, d’autres membres du personnel et du public font en sorte que leur comportement doit répondre à une norme très élevée. En conséquence, un effort délibéré d’abandonner son poste ou de réduire de manière considérable sa capacité de répondre à une urgence soudaine est beaucoup plus grave dans un milieu correctionnel par rapport à la grande majorité des postes dans la fonction publique.

 

[104] Dans Yayé, la commissaire a fait remarquer l’importance de surveiller les détenus, soulignant la gravité de ne pas les surveiller. Au paragraphe 130, elle a déclaré ce qui suit : « En ce qui concerne la sécurité des détenus et l’Établissement, il n’y a aucune marge d’erreur. »

[105] La fonctionnaire m’a également renvoyé à Calgary (City) v. CUPE, Local 38, 2018 CanLII 67047 (AB GAA), 2018 CarswellAlta 1418, qui souligne la norme plus élevée qui s’applique aux agents de la paix.

[106] Selon la directive de l’employeur, un agent correctionnel chargé d’une surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation doit assurer une surveillance constante et directe du détenu. Selon la directive, l’observation uniquement par caméra n’est pas jugée suffisante. La fonctionnaire a réduit considérablement sa capacité d’intervenir en cas d’urgence soudaine et ne surveillait pas le détenu de manière constante et directe. Les vidéos des deux surveillances accrues du risque de suicide/d’automutilation montrent que ses coups d’œil dans la cellule étaient intermittents et courts. Je conviens que cette inattention à l’égard du détenu constituait une inconduite grave.

[107] L’inattention à l’obligation de surveiller n’a pas été rendue moins grave par l’ampleur des blessures subies par le détenu. Bien qu’il ait été identifié comme présentant un risque élevé d’automutilation et non un risque de suicide, il y avait un risque de blessure grave. En fin de compte, après avoir reçu des soins médicaux hors site, il a été déterminé que ses blessures n’étaient pas graves. Toutefois, j’accepte le témoignage de ceux qui ont observé les blessures qui, selon eux, semblaient être graves. Quoi qu’il en soit, elles ne pouvaient être traitées à l’Établissement.

[108] La gravité de l’inconduite a été légèrement réduite par l’absence d’une séance d’information appropriée pour la fonctionnaire portant sur la probabilité extrêmement élevée que le détenu s’automutile. Mme Ings et M. Cochrane ont tous deux témoigné que le détenu avait cassé la tête d’un arroseur la veille. À l’audience disciplinaire, M. Lapointe a dit à la fonctionnaire que le détenu s’était déjà automutilé deux fois cette semaine‑là. M. Cochrane a témoigné que le détenu était bien connu dans l’Établissement comme étant une personne susceptible de s’automutiler. Même si l’employeur a soutenu que la fonctionnaire était au courant de la réputation du détenu, il n’y a aucun élément de preuve qui permet d’étayer cette affirmation. À l’audience disciplinaire, M. Lapointe a déclaré qu’elle était au courant de cela, mais les notes d’audience ne confirment pas qu’elle l’a reconnu. En raison de la réduction de ses heures de travail par quart, la fonctionnaire n’a pas assisté à la séance d’information régulière tenue au début du quart de tous les agents correctionnels. De plus, elle était de retour au travail depuis seulement quelques mois après un long congé. Outre le fait qu’elle a été affectée à une surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation, Mme Ings n’a fourni aucun renseignement à la fonctionnaire au sujet du détenu. La directive exige que le gestionnaire correctionnel en service s’assure que le formulaire préparé par le professionnel de la santé soit accessible à tout le personnel qui interagit régulièrement avec le détenu. Mme Ings n’a pas témoigné au sujet des efforts qu’elle a déployés pour rendre le formulaire accessible à la fonctionnaire, qui a témoigné qu’elle avait été informée par l’agent correctionnel en surveillance avant elle que le détenu avait fait preuve d’un bon comportement. L’agent correctionnel n’a pas été cité à témoigner et je conclus que la fonctionnaire est crédible à cet égard. De plus, elle n’a pas été contre‑interrogée au sujet de ses connaissances de la réputation ou de l’historique du détenu.

[109] Ce manque de renseignements fournis à la fonctionnaire est troublant et contraire à la directive. L’employeur ne pouvait pas invoquer la réputation du détenu pour étayer sa décision de licencier la fonctionnaire sans preuve attestant qu’elle connaissait sa réputation ou en avait été informée. Tel qu’il est indiqué dans Matthews c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 38, la négligence de la fonctionnaire doit être évaluée à la lumière des manquements des autres qui aggravent la gravité des événements. Dans Matthews, la commissaire a fait remarquer qu’il incombait au gestionnaire correctionnel de fournir à l’agent d’escorte une mise à jour appropriée et de lui expliquer les niveaux et les conditions de surveillance ainsi que les exigences relatives à la fréquence des contacts. Comme en l’espèce, elle a conclu que cela n’a pas été effectué.

[110] Toutefois, cette omission d’informer la fonctionnaire ne l’a pas libérée de son obligation d’assurer une surveillance constante et directe du détenu. Son inconduite demeure grave.

[111] L’employeur n’a fourni que peu d’éléments de preuve sur la pratique de l’Établissement consistant à remplir des rapports sur l’observation de l’isolement et de la contrainte toutes les 15 minutes. À l’audience disciplinaire, la fonctionnaire a déclaré qu’il était normal que l’agent en surveillance remette le formulaire d’observation à l’agent qui le remplace. Cet agent n’a pas témoigné et il n’est pas clair, d’après le témoignage de la fonctionnaire, que le formulaire lui a été remis. Le rapport sur l’observation que l’agent précédent en surveillance aurait dû préparer n’a pas été présenté en tant que pièce à l’audience.

[112] La fonctionnaire a admis qu’elle n’avait pas rempli le rapport sur l’observation, comme l’exige la directive. Par conséquent, il y a eu inconduite, mais je ne suis pas en mesure de conclure qu’elle était grave. Je n’ai entendu aucun témoignage portant sur ces rapports ni aucun témoignage d’autres agents correctionnels quant à savoir s’ils les remplissaient régulièrement. L’employeur a eu l’occasion d’interroger M. Cochrane à cet égard lorsqu’il a été interrogé au sujet des fonctions d’un agent correctionnel affecté à une surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation, mais il ne l’a pas fait.

[113] Enfin, je conclus que le manquement à l’obligation de surveiller le détenu de manière constante les 24 et 27 février 2017 constituait une inconduite grave. L’omission de remplir les rapports sur l’observation, en l’absence d’éléments de preuve sur la pratique constante de l’Établissement, ne constituait pas une inconduite grave.

2. Conduite préméditée ou répétitive

[114] L’employeur a soutenu que la fonctionnaire avait eu l’intention de dormir en service, comme en témoigne son utilisation d’une couverture et d’un oreiller. Il a également fait valoir que la fonctionnaire s’était installée pour faire ses devoirs dès le début de son quart le 27 février 2017. De plus, il a soutenu que la conduite avait été répétitive, puisqu’elle est survenue pendant deux quarts de travail. La fonctionnaire a fait valoir qu’aucun élément de preuve indiquant qu’elle avait eu l’intention de dormir pendant son service n’a été présenté. Elle a également contesté le fait que sa conduite était préméditée.

[115] Comme je l’ai déjà conclu, l’employeur n’a pas établi que, selon la prépondérance des probabilités, la fonctionnaire avait eu l’intention de s’endormir.

[116] En l’espèce, l’inattention envers le détenu faisant l’objet de la surveillance accrue du risque de suicide était répétitive et s’est produite deux fois. Même si le fait de s’endormir n’a peut‑être pas été prémédité, il ressort clairement de la vidéo que la fonctionnaire ne s’est pas placée dans une position lui permettant de surveiller le détenu de manière constante. Le 27 février 2017, elle s’est installée de manière à faire ses devoirs, ce qui constituait une conduite préméditée. De plus, elle n’était pas attentive à ses fonctions pendant deux quarts de travail la même semaine, ce qui constituait un comportement répétitif.

3. L’application uniforme de la politique organisationnelle

[117] Même si chaque cas disciplinaire dépend de ses propres faits et circonstances, il est important de déterminer si un employé a été traité différemment en raison d’une sanction très sévère et si l’employeur a appliqué ses politiques et ses directives de manière uniforme.

[118] La fonctionnaire a soutenu que la lecture constituait une pratique courante lorsqu’ils sont affectés à une surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation. Elle a également fait remarquer que d’autres agents correctionnels l’avaient vue lire et que son comportement n’avait pas été signalé à la direction. L’employeur a fait valoir que cette pratique courante alléguée n’était étayée ni par le témoignage du directeur ni par celui de M. Cochrane. Il a également fait remarquer que l’omission des autres agents correctionnels de signaler son comportement n’était pas pertinente, en raison de l’existence d’un [traduction] « code du silence » dans le système correctionnel (voir, p. ex. Mackie c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada ‑ Service correctionnel), 2004 CRTFP 3).

[119] Il y aurait eu de meilleurs éléments de preuve d’une application uniforme de la directive sur la surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation si une enquête complète avait été effectuée. En l’espèce, le directeur n’a visionné que des vidéos des quarts de la fonctionnaire alors qu’elle était affectée à la surveillance du risque de suicide. La seule raison pour laquelle la vidéo du quart de travail du 24 février 2017 a été visionnée était les événements survenus pendant le quart de travail du 27 février 2017. Il est probable que si le détenu ne s’était pas automutilé le 27 février 2017, la fonctionnaire n’aurait fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire concernant son comportement du 24 février 2017.

[120] L’employeur a également invoqué une norme relative à la surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation qui n’était pas étayée par des éléments de preuve. L’employeur ne vérifie pas systématiquement la vidéo des agents en surveillance. Mme Ings et M. Lapointe ont tous les deux témoigné qu’il était impossible d’effectuer une surveillance depuis une position assise. Selon le témoignage de M. Cochrane, de même que celui de la fonctionnaire, la pratique habituelle à l’Établissement consistait à surveiller depuis une position assise. Mme Ings et M. Lapointe auraient observé cela s’ils avaient regardé les vidéos d’autres agents correctionnels affectés à cette surveillance ou si d’autres agents correctionnels avaient été interrogés.

[121] De plus, on ne peut dire avec certitude si la directive a été appliquée de manière uniforme à l’Établissement. La seule fois où la direction a vérifié le comportement d’un agent correctionnel en surveillance découlait de l’incident d’automutilation en question.

[122] Je n’accepte pas l’argument de la fonctionnaire selon lequel les agents correctionnels étaient tenus de signaler son inattention pendant qu’elle était en surveillance accrue du risque de suicide. Toutefois, leur manque d’intérêt à l’égard de son comportement à ce moment‑là appuie son argument selon lequel la directive sur la surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation n’était pas suivie de manière uniforme à l’Établissement et que les agents lisaient au cours de cette surveillance. De plus, la nuit du 27 février 2017, l’agent en surveillance avant la fonctionnaire avait un magazine ou un journal à portée de main, qui était visible sur le plancher. Le directeur n’a pas visionné la vidéo du quart de travail de cet agent pour déterminer s’il avait lu pendant sa surveillance.

[123] Je ne suis pas en mesure de conclure que la directive sur la surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation a été suivie et appliquée de manière uniforme à l’Établissement. J’ai déjà fait remarquer que l’exigence d’un gestionnaire correctionnel de s’assurer que tous les agents correctionnels reçoivent le rapport du professionnel de la santé n’a pas été respectée.

[124] L'employeur a également modifié sa pratique pour les surveillances accrues du risque de suicide/d'automutilation dans les mois qui ont suivi cet incident et seulement deux semaines après le licenciement de la fonctionnaire. Cette dernière a soutenu que le changement de politique était pertinent pour évaluer son inconduite. Le changement était important en ce sens qu'il exigeait désormais des pauses toutes les deux heures pour les agents correctionnels de garde. L'employeur a minimisé ce changement dans son argumentation, suggérant qu'il s'agissait d'une initiative syndicale. L'employeur a également fait valoir que le changement a simplement officialisé la façon dont les agents correctionnels en surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation prenaient leurs pauses.

[125] La note de service établissant la nouvelle limite de deux heures pour les surveillances ne reflète pas les arguments de l’employeur. Même si la question a été soulevée lors de consultations syndicales-patronales, le CAOC a fait remarquer [traduction] « qu’il était effectivement justifié de limiter le nombre d’heures pendant lesquelles une personne pourrait être affectée à ces fonctions ». Il a également déclaré que limiter le nombre d’heures [traduction] « renforcerait la diligence requise pour assurer le bien‑être du détenu faisant l’objet d’une surveillance accrue du risque de suicide ». Le sérieux avec lequel la direction a adopté cette modification de politique est mis en évidence par la déclaration qu’il pourrait ne pas être possible de faire la rotation des agents, mais que ces situations sont rares, et on s’attendait à ce que le gestionnaire correctionnel facilite l’échange de postes dès que possible après les deux heures.

[126] Aucune preuve cohérente selon laquelle les agents correctionnels organisaient des pauses régulières avant la modification de politique n’a été présentée. Selon un témoignage, un agent pouvait faire appel à un autre agent pour prendre une courte pause, mais aucun élément de preuve selon lequel il s’agissait d’une pratique constante à l’Établissement n’a été présenté, encore moins toutes les deux heures.

[127] Je conclus que la modification de politique, si peu de temps après le licenciement de la fonctionnaire, est importante. L’automutilation par le détenu s’est produite plus de deux heures après le début du quart de la fonctionnaire. De plus, le directeur était au courant des préoccupations concernant la durée des quarts de surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation avant le licenciement, mais n’en a pas tenu compte en tant que facteur atténuant dans le choix de la mesure disciplinaire à imposer à la fonctionnaire.

4. Remords et reconnaissance des conduites répréhensibles

[128] L’employeur a soutenu que la fonctionnaire n’avait exprimé aucuns remords ou aucune compréhension significatifs de son inconduite. Il a déclaré qu’elle avait tenté de minimiser tous les aspects de sa conduite et qu’elle n’avait admis que ce qui était incontestable. La fonctionnaire n’était pas d’accord et a fait valoir qu’elle avait exprimé des remords et une compréhension de sa conduite.

[129] Je conclus que la fonctionnaire a reconnu avoir eu une conduite répréhensible et qu’elle a exprimé des remords lorsqu’elle a été informée de l’audience disciplinaire à venir. Avant l’audience disciplinaire, elle a fourni une lettre détaillée exposant sa position. Elle a déclaré qu’une enquête n’était pas nécessaire puisqu’elle avait admis que ses actes n’étaient pas acceptables. Elle a également déclaré qu’elle était mortifiée et gênée. Elle a conclu sa lettre par ce qui suit : [traduction] « J’assume l’entière responsabilité de mes actes et je suis prête à accepter la mesure disciplinaire qui me sera imposée; je vous demande sincèrement de prendre en considération ma situation actuelle et de me permettre de conserver mon emploi. »

[130] À l’audience disciplinaire, elle a affirmé qu’elle avait appris à ne pas se présenter au travail si elle n’était pas apte à travailler. Elle a également déclaré qu’elle comprenait l’importance du rôle de surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation. À l’audience, elle a reconnu qu’elle s’était livrée à une inconduite et a exprimé des remords quant à son manque de vigilance.

[131] Je conclus que la fonctionnaire a exprimé des remords et a reconnu sa conduite répréhensible tant avant qu’après l’imposition de la mesure disciplinaire.

5. Situation personnelle, relations de travail et difficultés financières

[132] La fonctionnaire a fourni un contexte ou une explication de son comportement dans sa lettre à l’intention du directeur. À l’audience disciplinaire, elle a également mentionné certaines circonstances personnelles, dont le fait qu’elle éprouvait des difficultés à gérer ses obligations familiales, ses études et son travail. Le directeur n’a posé aucune question sur ses circonstances personnelles, qui n’ont pas été abordées dans la lettre de licenciement. Même si la réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs indiquait que ses commentaires formulés à l’audience disciplinaire avaient été pris en considération, le directeur a témoigné qu’il n’avait pas tenu compte de ses circonstances personnelles.

[133] Dans sa lettre au directeur, elle fait état d’une période de deuil qui a donné lieu à une fatigue constante et des troubles du sommeil. La fonctionnaire n’a fourni aucun témoignage sur l’incidence de son deuil sur son rendement au travail et elle n’a fourni aucune preuve médicale de troubles du sommeil. Dans la lettre, elle mentionne que son médecin lui avait prescrit des médicaments pour ses troubles du sommeil, mais à l’audience, elle n’a fourni aucune preuve d’une ordonnance ou d’un diagnostic de son médecin.

[134] Par conséquent, la preuve est faible quant à toute question médicale sous‑jacente qui aurait pu expliquer l’inattention de la fonctionnaire pendant les deux quarts de travail. Toutefois, l’employeur aurait dû tenir compte de l’ensemble de sa situation personnelle, y compris son deuil, dans sa détermination de la sanction appropriée.

[135] La fonctionnaire a fourni certains éléments de preuve concernant ses relations difficiles avec certains agents correctionnels qui auraient pu avoir une incidence sur sa volonté de demander une pause. Elle l’a mentionné à l’audience disciplinaire, mais le directeur n’y a pas donné suite. Mme Ings a témoigné qu’elle était au courant des préoccupations soulevées par la fonctionnaire. Mme Ings n’a pas participé à l’enquête ou au processus disciplinaires et n’a pas communiqué au directeur les préoccupations de la fonctionnaire. Il s’agissait d’un facteur atténuant qui aurait dû être pris en considération par l’employeur.

[136] Toutefois, j’accorde peu de poids à ce facteur atténuant. La fonctionnaire a témoigné au sujet des difficultés qu’elle éprouvait avec d’autres agents correctionnels, mais ces interactions ne concernaient aucun agent correctionnel en service pendant ses quarts. Plus particulièrement, elle n’a révélé aucun problème avec M. Cochrane, qui était en service cette nuit‑là et qui était donc la personne la plus susceptible de lui offrir une pause.

[137] Tel qu’il a été mentionné dans Matthews, lorsqu’on envisage le licenciement, il faut tenir compte de son incidence à long terme sur le fonctionnaire s’estimant lésé. Étant donné son âge (35 ans au moment de l’audience), il a eu une incidence importante. Il s’agissait également d’un facteur atténuant qui aurait dû être pris en considération par l’employeur.

6. Dossier disciplinaire et années de service

[138] La fonctionnaire n’avait fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire antérieure et avait été employée depuis huit ans au moment de son licenciement. Elle a soutenu que l’employeur aurait dû tenir compte de ses années de service et de son dossier disciplinaire vierge en tant que facteurs atténuants. L’employeur a soutenu que ses années de service devraient être considérées comme un facteur aggravant, car on s’attend à ce qu’un agent correctionnel chevronné soit plus avisé.

[139] Le directeur n’a fait aucun commentaire sur son rendement. Mme Ings a témoigné qu’elle n’avait eu aucun problème avec la fonctionnaire avant son inconduite. Les agents correctionnels qui ont témoigné ont déclaré que chacun avait eu une relation de travail cordiale ou indifférente avec elle. La fonctionnaire a témoigné que ses évaluations du rendement avaient été bonnes et qu’avant sa période de congé, elle avait obtenu une très bonne évaluation.

[140] Le directeur a témoigné qu’il n’avait pas tenu compte des années de service de la fonctionnaire ou de l’absence de dossier disciplinaire lorsqu’il a pris sa décision concernant la mesure disciplinaire. La réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs énonce que ses années de service et l’absence d’un dossier disciplinaire ont été prises en considération. Je privilégie le témoignage du directeur à cet égard, car il était le décideur, et il n’y avait aucune mention de ces facteurs dans la lettre de licenciement.

[141] L’employeur a laissé entendre que les années de service de la fonctionnaire constituaient un facteur aggravant. Toutefois, il n’est pas loisible à l’employeur d’ajouter des facteurs à l’arbitrage dont il n’a pas tenu compte dans sa décision disciplinaire.

[142] J’estime que l’employeur aurait dû tenir compte des antécédents professionnels de la fonctionnaire, de l’absence de mesures disciplinaires et des années de service pour déterminer si le licenciement était approprié.

7. Défaut de mener une enquête disciplinaire

[143] La fonctionnaire a soutenu qu’étant donné que le directeur n’a pas mené d’enquête significative sur les incidents, il y a eu une irrégularité procédurale qui a touché la mesure disciplinaire. L’employeur a fait valoir qu’elle était représentée par son syndicat lorsqu’elle a déclaré qu’aucune enquête n’était nécessaire et que, par conséquent, on ne devrait pas reprocher au directeur le fait qu’il n’en ait pas mené une. Il a également soutenu que tout vice de procédure dans le processus d’enquête avait été [traduction] « remédié » par la présente audience; voir Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (QL) (C.A.).

[144] Dans sa lettre à l’intention du directeur, la fonctionnaire a déclaré qu’une enquête disciplinaire n’était pas nécessaire. Elle l’a rédigé sans représentation syndicale et avant son audience disciplinaire. De plus, le directeur a reconnu au début de l’audience disciplinaire qu’elle n’était pas appuyée par son syndicat à cette audience. Je conclus que la déclaration de la fonctionnaire n’a pas été faite pendant qu’elle était représentée par son syndicat. Le directeur a également déclaré à cette audience qu’aucune enquête n’était nécessaire en raison de la preuve vidéo qu’il avait examinée. Selon les éléments de preuve, je conclus que la déclaration de la fonctionnaire selon laquelle aucune enquête n’était nécessaire ne constituait pas un facteur de la décision du directeur de ne pas mener une enquête complète.

[145] Je conviens que tout vice de procédure dans un processus disciplinaire est remédié par une audience devant la Commission. Toutefois, un employeur qui ne procède pas à une enquête appropriée risque de voir des erreurs exposées à l’arbitrage du grief, et ses conclusions peuvent être renversées; voir King, au paragraphe 106. C’est le cas en l’espèce, car le défaut de l’employeur de procéder à une enquête adéquate l’a amené à ne pas évaluer les facteurs atténuants lorsqu’il a imposé une mesure disciplinaire.

[146] Une enquête complète par l’employeur aurait permis d’aborder certains des facteurs atténuants dans l’imposition d’une mesure disciplinaire, que j’ai déjà abordés dans la présente décision, notamment les pratiques d’autres agents correctionnels alors qu’ils étaient en surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation et la situation personnelle de la fonctionnaire.

8. La discipline progressive, la dissuasion et le lien de confiance

[147] L’employeur a soutenu qu’il devait envoyer un message clair à tous les employés, à savoir que le comportement de la fonctionnaire était fondamentalement incompatible avec les exigences d’un agent correctionnel en surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation. Il a également fait valoir que le lien de confiance entre l’employeur et l’employée avait été irrémédiablement rompu par l’inconduite de la fonctionnaire, ce qui justifiait la mesure disciplinaire sans recourir à la discipline progressive. La fonctionnaire a soutenu qu’elle pouvait se racheter et que la discipline progressive était appropriée dans les circonstances.

[148] La dissuasion générale constitue une considération appropriée dans l’évaluation de la mesure disciplinaire, surtout en ce qui concerne une inconduite grave liée à la sécurité et à la sûreté des détenus; voir Ranu c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 89. Dans cette affaire, la commissaire a confirmé une suspension de 30 jours pour s’être endormi et avoir manqué à l’obligation de faire des rondes dans une unité d’isolement.

[149] L’intérêt de la fonctionnaire (et du syndicat) concernant la discipline progressive est pondéré par rapport à l’intérêt de l’employeur concernant la dissuasion générale.

[150] La discipline progressive est la norme dans les milieux syndiqués. Elle repose sur le principe selon lequel les employés méritent d’avoir l’occasion de démontrer qu’ils peuvent corriger leur comportement si la relation d’emploi n’est pas irrémédiablement compromise. L’employeur a soutenu que la relation d’emploi avait été rompue irrémédiablement par l’inconduite de la fonctionnaire. Je conclus que les éléments de preuve n’étayent pas une conclusion selon laquelle la relation a été rompue dans une telle mesure.

[151] L’employeur a fourni de nombreuses décisions concernant le sommeil au travail dans un milieu correctionnel et dans d’autres postes où la sécurité est importante. Peu de cas concernaient des licenciements. Dans Tousignant v. Treasury Board (Solicitor‑General of Canada), [1979] C.P.S.S.R.B. No. 26 (QL), une décision de 1979, le fonctionnaire s’estimant lésé avait déjà reçu des réprimandes verbales. Les autres décisions fournies par l’employeur ne concernaient pas des licenciements, mais comportaient des éléments de discipline corrective imposés avant que la mesure disciplinaire ne soit contestée; voir Ranu (une suspension de 30 jours après une suspension antérieure de trois jours); Belisle c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada), dossier de la CRTFP 166‑02‑15175 (19860505), [1986] C.R.T.F.P.C. no 116 (QL) (une suspension de 20 jours après une suspension antérieure); et MacLean c. Conseil du Trésor (ministère du Solliciteur général), dossier de la CRTFP 166‑02‑757 (19730608) (une suspension de neuf mois après une suspension antérieure pour avoir dormi au travail).

[152] Dans Yayé, le cas le plus semblable au présent cas, l’agent correctionnel avait été licencié pour omission de surveiller les détenus. Dans cette affaire, l’agent avait menti au sujet de sa conduite, n’avait admis aucune conduite répréhensible et n’avait fait preuve d’aucune appréciation ou compréhension des conséquences possibles de ses actes. En l’espèce, la fonctionnaire a reconnu qu’il y avait eu des conduites répréhensibles, même si elle a tenté de minimiser une partie de cette inconduite lorsqu’elle a déclaré qu’elle avait surveillé le détenu. Elle a également exprimé des remords et une compréhension des conséquences de ses actes.

[153] Je m’interroge sur la pertinence d’une décision disciplinaire rendue il y a plus de 40 ans (Tousignant) pour déterminer les mesures disciplinaires appropriées aujourd’hui. Toutefois, je fais remarquer que dans ce cas, le fonctionnaire s’estimant lésé avait reçu des avertissements disciplinaires auparavant. En outre, il avait tenté d’obtenir un congé spécial frauduleusement.

[154] L’employeur m’a également renvoyé à un cas de l’Ontario concernant le licenciement de deux agents correctionnels pour s’être endormis en service. Dans Management and Training Corp. of Canada (c.o.b. Central North Correctional Centre) v. Ontario Public Service Employees Union, [2006] O.L.A.A. No. 146 (QL), deux agents correctionnels avaient été licenciés parce qu’ils s’étaient endormis lors de l’escorte d’un détenu à l’hôpital. L’arbitre de grief a jugé important le contexte public dans lequel la négligence des agents risquait de mettre le public en danger. De plus, les agents n’avaient pas compris la gravité de leur inconduite et étaient des employés à court terme. L’arbitre de grief n’a pas non plus trouvé de preuve de facteurs atténuants.

[155] Dans Dekort, les gestionnaires correctionnels et le directeur ont affirmé dans leur témoignage qu’ils auraient de la difficulté à placer le fonctionnaire s’estimant lésé dans une situation de confiance dans laquelle d’autres employés devraient dépendre de la sagesse de ses décisions et de ses actes pour assurer leur sécurité. Le commissaire a fait remarquer qu’il s’agissait simplement de leurs opinions.

[156] En l’espèce, le seul témoin qui a témoigné au sujet du lien de confiance était le directeur. Mme Ings a déclaré qu’elle avait été [traduction] « étonnée » par ce qu’elle avait vu dans la vidéo. Je fais remarquer qu’elle a visionné la vidéo pour la première fois en préparation de l’audience et qu’elle n’a pas été interrogée avant l’imposition de la mesure disciplinaire. Toutefois, on ne lui a pas demandé si elle aurait eu des difficultés à superviser la fonctionnaire ou à la placer dans un poste de confiance. De même, M. Sanderson et M. Cochrane n’ont pas été interrogés quant à savoir s’ils auraient eu des préoccupations à continuer de travailler avec la fonctionnaire à la suite d’une suspension disciplinaire.

[157] Tel qu’il a été indiqué dans Dekort (au paragraphe 197), le principe du lien de confiance est étroitement lié à l’évaluation de l’honnêteté et de la responsabilisation du fonctionnaire s’estimant lésé. J’ai déjà abordé ces questions. Dans Dekort, le commissaire poursuit en disant que des éléments de preuve supplémentaires auraient été requis pour étayer une conclusion de rupture irrémédiable du lien de confiance. Dans ce cas, la nature limitée du processus d’établissement des faits et l’absence d’une enquête complète l’ont rendu impossible. En l’espèce, comme je l’ai déjà fait remarquer, aucune enquête sur l’attention des autres agents correctionnels en surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation n’a été effectuée. À la lumière des discussions en cours avec le syndicat sur les défis liés à la surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation, il est clair que le directeur savait qu’il existait des préoccupations quant au fait de rester vigilant pendant cette surveillance.

[158] Je suis convaincu, d’après son témoignage ainsi que la lettre qu’elle a envoyée au directeur peu après les événements en litige, que la fonctionnaire a appris de son inconduite et qu’il est très peu probable qu’elle la répète.

[159] À mon avis, une sanction moins sévère que le licenciement aurait suffi à corriger le comportement de la fonctionnaire tout en envoyant un message fort et clair à tous les employés.

9. Conclusion

[160] Par conséquent, selon la prépondérance des probabilités, je conclus que le licenciement constituait une pénalité excessive pour l’inconduite de la fonctionnaire.

C. Quelle pénalité serait juste et équitable au lieu du licenciement?

[161] Même si je suis d’accord avec l’employeur pour dire que d’autres cas portant sur la discipline d’agents correctionnels n’ont pas présenté la même myriade de faits, il existe certains éléments communs importants à prendre en considération dans l’évaluation de la sanction disciplinaire juste et équitable.

[162] Dans Dekort, une affaire dans laquelle un agent correctionnel s’était endormi à un poste, le licenciement a été remplacé par une suspension prolongée jusqu’à la date de la décision (soit un peu plus de deux ans). L’inconduite dans ce cas a été décrite comme suit (au paragraphe 222) :

Le matin du 24 février 2017, l’agent correctionnel William Dekort a délibérément enlevé ses bottes et son gilet, s’est incliné sur son siège dans le véhicule et a fermé ses yeux. Il s’est endormi pendant au moins une certaine période. Son attention et son bon jugement étaient gravement réduits. Il a effectivement abandonné son poste mobile armé et a donc omis d’exercer ses fonctions d’agent de la paix et il n’a pas suivi le décret sur les postes mobiles.

 

[163] La Commission a déterminé que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas abandonné son poste dans la mesure où l’employeur l’avait conclu. La Commission a également conclu que les mesures disciplinaires qui ne figuraient plus à son dossier auraient pu influencer la décision disciplinaire du directeur. La Commission a également tenu compte du fait que le processus disciplinaire avait consisté en une réunion de recherche des faits de 10 minutes et qu’il n’y avait pas eu d’enquête. Selon un facteur atténuant important, « à la première occasion », le fonctionnaire s’estimant lésé avait reconnu son méfait et avait exprimé le désir de s’améliorer. Le fonctionnaire s’estimant lésé comptait neuf ans de service.

[164] L’employeur m’a également renvoyé à une affaire concernant le licenciement d’un préposé aux bénéficiaires dans un foyer de groupe qui s’était endormi au travail : Canadian Union of Public Employees, Local 3207 v. Cheshire Homes of Regina Society, 2016 CanLII 152568 (SK LA). Le conseil d’arbitrage a conclu que le comportement était grave, mais qu’il existait des facteurs atténuants, notamment des expressions de remords et la reconnaissance de la gravité de l’inconduite; le vœu de ne pas répéter une telle inconduite, si on lui donnait une autre chance; le dossier de travail autrement bon; et les difficultés découlant du licenciement, qui a laissé le fonctionnaire s’estimant lésé sans emploi pendant les cinq mois suivants. Le licenciement a été remplacé par une suspension prolongée de 1,5 an (de la date de licenciement jusqu’à 15 jours suivant la communication de la décision).

[165] L’employeur m’a également renvoyé à Brink’s Canada Ltd. v. I.W.A., Loc. 1‑217, (1990) 13 L.A.C. (4th) 427, [1990] B.C.C.A.A.A. No. 113 (QL), une décision de la Colombie‑Britannique concernant le licenciement d’un garde de sécurité pour s’être endormi en service. L’arbitre de grief a remplacé la suspension de six semaines en se fondant sur le bon dossier de travail du fonctionnaire, l’absence d’une discipline progressive et d’autres circonstances connexes. En l’espèce, les circonstances sont clairement différentes, mais les points communs sont le bon dossier de travail de la fonctionnaire et l’absence de discipline progressive.

[166] L’employeur a également fourni des décisions plus anciennes concernant la suspension d’agents correctionnels pour s’être endormis. Dans MacLean, en plus d’avoir dormi au travail, l’agent correctionnel avait laissé ouverts une barrière et une fenêtre de tir. De plus, il avait fait l’objet d’une mesure disciplinaire auparavant pour avoir dormi au travail. Le licenciement a été remplacé par une suspension de neuf mois. Dans Belisle, l’agent correctionnel s’est vu imposer une suspension de 20 jours pour avoir dormi au travail. Il s’agissait de sa deuxième suspension de ce genre en trois mois. La suspension a été confirmée. En l’espèce, la fonctionnaire a un dossier disciplinaire vierge et aucun autre incident de sommeil au travail.

[167] Des décisions plus récentes concernant des agents correctionnels qui s’étaient endormis au travail ont donné lieu à des suspensions prolongées de 20 à 30 jours. Dans Ranu, l’agent correctionnel était chargé des rondes dans une unité d’isolement. Il s’est endormi et a manqué deux rondes, même s’il a indiqué dans le registre qu’il les avait effectués. L’employeur avait imposé une suspension de 30 jours. La commissaire a conclu qu’une sanction un peu moins sévère aurait pu être suffisante, mais elle a confirmé la mesure disciplinaire parce qu’elle n’estimait pas qu’elle était déraisonnable.

[168] L’employeur m’a fourni d’autres décisions en matière de licenciement d’agents correctionnels qui s’étaient livrés à des comportements différents de ceux en l’espèce. Je conclus que ces cas revêtent une valeur limitée; toutefois, dans tous les cas, je constate qu’il existait des facteurs aggravants qui n’existent pas en l’espèce.

[169] Kikilidis c. Conseil du Trésor (ministère du Solliciteur général), dossiers de la CRFTP 166‑02‑3180 à 3182 (19771011), concernait un licenciement après un incident culminant de manquement au devoir par un agent correctionnel. Dans cette affaire, l’agent s’était livré à quatre incidents de manquement au devoir. L’application claire d’une discipline progressive ou corrective était évidente dans cette affaire. L’arbitre de grief a également conclu qu’il n’existait aucune circonstance atténuante et a fait remarquer le service de courte durée du fonctionnaire s’estimant lésé.

[170] Dans McKenzie c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 26, une agente correctionnelle a été licenciée pour avoir imité la signature de son médecin sur neuf certificats médicaux. Le licenciement a été confirmé à l’arbitrage et a été étayé par sa négation soutenue de l’imitation, son bref historique d’emploi (4,5 ans) et un dossier disciplinaire comportant une sanction pécuniaire de 5 jours concernant une relation avec un détenu.

[171] Dans Baptiste c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 127, une infirmière a été licenciée d’un établissement correctionnel pour avoir administré de mauvais médicaments à plusieurs détenus et avoir falsifié les registres de médicaments. Dans cette affaire, le commissaire a déterminé que le manque de franchise et de coopération de la fonctionnaire s’estimant lésée dans le processus disciplinaire constituaient des facteurs déterminants de sa capacité à s’amender. Le commissaire disposait également de témoignages d’anciens collègues de la fonctionnaire s’estimant lésée selon lesquels ils demanderaient à être mutés à un autre établissement ou prendraient leur retraite si elle était réintégrée à l’établissement. Dans le grief dont je suis saisi, la fonctionnaire a été franche et coopérative. De plus, rien dans la preuve dont je suis saisi n’indique que ses collègues refuseraient de travailler avec elle.

[172] Dans Richer c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 10, un agent correctionnel a été congédié pour une conduite en dehors des heures de travail consistant en une surdose de drogues et une accusation pour possession de drogues pour en faire le trafic. De plus, l’agent correctionnel comptait trois ans de service. Les circonstances du grief dont je suis saisi ne concernent pas une conduite criminelle et la fonctionnaire compte plus de trois ans de service.

[173] L’employeur m’a également fourni des décisions concernant la suspension d’agents correctionnels pour défaut de surveiller les détenus, ainsi que pour inconduite connexe.

[174] Dans Buchanan c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada ‑ Service correctionnel), 2002 CRTFP 91, un surveillant correctionnel s’est vu imposer une suspension de 20 jours pour avoir exercé peu ou pas de surveillance des rangées (il regardait la télévision) et pour ne pas être intervenu lorsqu’un agent correctionnel a masqué la lentille de la caméra de sécurité avec du ruban. Dans cette affaire, le surveillant avait déjà fait l’objet d’une mesure disciplinaire, n’avait pas coopéré à l’enquête, avait un mauvais rendement au travail et n’avait exprimé aucun remords.

[175] Dans Stead c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 87, deux agents correctionnels n’avaient pas correctement compté les détenus, de sorte qu’un détenu a subi des blessures. Chacun des agents correctionnels s’est vu imposer une sanction pécuniaire de quatre jours. Le commissaire a fait remarquer que l’inconduite était très grave et que, bien qu’elle n’ait pas été la principale cause des blessures du détenu, elle a contribué à une situation marquée par un risque accru de blessures pour les détenus. La gravité de l’inconduite a été aggravée par les fausses déclarations au sujet des dénombrements. L’arbitre de grief a fait remarquer qu’une sanction pécuniaire de quatre jours figurait parmi les moins sévères, comparativement à d’autres cas. Il a également fait remarquer que le fait que les fonctionnaires s’estimant lésés aient assumé immédiatement la responsabilité de leur faute « revêt une importance considérable ». Il également fait remarquer ce qui suit :

[...]

D’après la preuve recueillie auprès de Mme Knopf [la directrice], un facteur déterminant de la décision du défendeur résidait dans l’initiative des fonctionnaires de la rencontrer et dans leur volonté d’assumer la responsabilité de ce qui s’était produit, en tout ou en partie. En fait, ses supérieurs l’ont exhortée à mettre fin à l’emploi des fonctionnaires. Toutefois, comme Mme Knopf l’a dit, les fonctionnaires ont montré leur capacité de changer et de tirer des enseignements de leurs erreurs, ce qui explique la sanction pécuniaire de quatre jours. Je reconnais que les actions des fonctionnaires après le 9 janvier 2009 étaient à leur honneur et qu’il faut leur accorder de l’importance au moment de déterminer la sanction pour ces griefs. Autrement dit, si les fonctionnaires n’avaient pas immédiatement reconnu leur responsabilité, la sanction appropriée aurait été plus grave. Cela s’inscrit dans une approche disciplinaire progressive pour les infractions graves.

[...]

 

[176] En l’espèce, la fonctionnaire a écrit une lettre à l’intention du directeur avant que toute audience disciplinaire ne soit tenue dans laquelle elle accepte la responsabilité de tout ou d’une partie de ce qui s’est passé. Cette acceptation de la responsabilité est un facteur atténuant important qui a été pris en compte par le directeur dans Stead, mais pas par le directeur en l’espèce, dans sa décision de licencier la fonctionnaire.

[177] Dans Desjarlais c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 88, une agente correctionnelle s’est vu imposer une sanction pécuniaire d’une journée pour avoir laissé une porte ouverte. Dans cette affaire, la sanction pécuniaire a été réduite à une réprimande écrite. Même si la gravité de l’inconduite dans cette affaire ne correspond pas au niveau de gravité de l’inconduite dans le grief dont je suis saisi, il convient de noter que, entre autres, l’arbitre de grief a tenu compte de l’appréciation par la fonctionnaire s’estimant lésée de la gravité de son erreur et de ses années de service.

[178] L’employeur m’a également renvoyé à des affaires provenant d’autres compétences et qui concernaient des suspensions d’employés chargés de la sécurité. Dans Canadian Union of Public Employees Local 38 v. Wood’s Homes, [1998] A.G.A.A. No. 17 (QL), la fonctionnaire s’estimant lésée a été suspendue pour avoir dormi pendant qu’elle supervisait un foyer de groupe. La durée de la suspension n’est pas mentionnée dans la décision d’arbitrage. Dans cette affaire, ce n’était pas la première fois qu’elle s’était endormie. Elle a également nié toute conduite répréhensible.

[179] La fonctionnaire m’a renvoyé à Canada Malting Co. v. UFCW, Local 1118, 2015 CanLII 34244 (AB GAA), 2015 CarswellAlta 1382, une affaire concernant des violations de sécurité. Même si les faits de cette décision ne sont pas pertinents aux faits dont je suis saisi, l’arbitre a fait remarquer qu’à l’exception du facteur de dissuasion, il n’y avait aucune raison de croire que la discipline progressive n’aurait pas servi son but. Il a également fait remarquer que les fonctionnaires s’estimant lésés avaient fait preuve d’une attitude positive envers l’employeur et avaient exprimé des remords sincères et une volonté d’apprendre de ce qu’ils admettaient être une grave erreur.

[180] Je conclus, dans les circonstances en l’espèce, que le licenciement devrait être substitué par une suspension prolongée. L’inconduite de la fonctionnaire, qui consiste à ne pas avoir surveillé de manière constante et attentive un détenu faisant l’objet d’une surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation, était grave et justifiait une mesure disciplinaire importante. La dissuasion d’un tel comportement est un facteur important dans ma détermination selon laquelle une suspension prolongée est justifiée. Toutefois, les facteurs atténuants que sont les remords de la fonctionnaire, son acceptation de la grande partie de son inconduite, ses circonstances personnelles, l’absence de preuve d’une application uniforme de la politique sur la surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation, ainsi que la modification importante apportée à la politique peu après l’inconduite de la fonctionnaire m’ont convaincu que le licenciement constituait une réponse disciplinaire excessive de la part de l’employeur.

[181] Je n’ai reçu aucun argument de la fonctionnaire au sujet de la durée appropriée de la suspension.

[182] Dans les cas d’inconduites graves, la Commission et d’autres arbitres de différends ont remplacé des licenciements par des suspensions jusqu’à la date de l’audience ou la date de la décision – parfois appelé « temps purgé » : voir, par exemple, les décisions de la Commission Matthews, Dekort et Andrews c. Administrateur général (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CRTFP 100. Le raisonnement qui sous‑tend l’imposition d’une suspension liée au début de l’audience ou à la prise d’une décision n’est pas toujours exposé.

[183] Dans Hughes c. Agence Parcs Canada, 2015 CRTEFP 75, citée dans Dekort, l’arbitre de grief a déclaré ce qui suit :

Dans la présente affaire, même si les fonctionnaires comptaient également de longues années de service sans avoir fait l’objet de mesures disciplinaires et, contrairement à Andrews, qu’ils ont agi impulsivement, je ne suis pas convaincue qu’ils ont exprimé des remords sincères relativement à ce qu’ils ont fait. Dans les circonstances, tout comme dans Andrews, j’éprouve de la réticence à imposer une sanction disciplinaire qui ferait en sorte qu’ils soient rémunérés pour le temps qu’ils n’ont pas travaillé. Par conséquent, j’ordonne que les fonctionnaires soient réintégrés dans leurs fonctions à compter de la date de la présente décision, mais sans paie rétroactive.

 

[184] Si je comprends bien le raisonnement dans Hughes, l’absence de remords sincères a mené l’arbitre de grief à hésiter à accorder une suspension plus courte qui aurait permis aux fonctionnaires s’estimant lésés de recevoir une paie rétroactive. Je n’ai pas de telles préoccupations en l’espèce, car la fonctionnaire a exprimé des remords sincères.

[185] Dans Dekort, la Commission a conclu qu’une suspension sans solde jusqu’à la date de la décision constituait la sanction appropriée :

[…] Analogue au raisonnement des arbitres de griefs dans ces affaires [Andrews et Hughes], je suis d’avis qu’un message clair compatible à la mesure de son inconduite doit être communiqué à M. Dekort dans l’espoir qu’il serve de rappel très clair de ses obligations en tant qu’agent de la paix de SCC. Pour ce motif, je rends une décision qui n’entraîne aucune rémunération rétroactive.

 

[186] En l’espèce, je crois qu’un message fort, conforme à l’ampleur de son inconduite, peut encore être envoyé à la fonctionnaire et pourrait donner lieu à une rémunération rétroactive.

[187] À mon avis, la détermination d’une sanction juste et équitable en cas d’inconduite ne devrait pas dépendre de l’organisation d’une audience où le fonctionnaire s’estimant lésé n’a aucun contrôle sur cette organisation. Je conviens que, si un fonctionnaire s’estimant lésé est responsable d’un retard dans l’organisation d’une audience, il peut y avoir des conséquences pour le fonctionnaire s’estimant lésé en ce qui concerne la réparation. Toutefois, ce n’est pas le cas ici. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage en avril 2017 et l’audience n’a pas été prévue avant novembre 2020. Ce retard était attribuable en partie à des problèmes systémiques et en partie au confinement à la suite de la déclaration de la pandémie de COVID‑19. Lorsqu’il détermine une sanction juste et équitable pour une inconduite, le décideur doit examiner la nature de l’inconduite, ainsi que les facteurs aggravants et atténuants. Même si chaque grief doit être tranché sur le fond, il peut aussi être instructif d’examiner des cas semblables pour déterminer la sanction juste et équitable. Les deux cas les plus semblables à l’inconduite en l’espèce sont Matthews et Dekort.

[188] Dans Matthews, le licenciement a été remplacé par une suspension prolongée jusqu’à la date de la décision (environ deux ans) et une rétrogradation. Le fonctionnaire s’estimant lésé escortait un détenu et il a autorisé un arrêt non approuvé à un pub. Il a ensuite collaboré avec le détenu et un agent de libération conditionnelle pour cacher l’arrêt non approuvé à ses supérieurs, en l’admettant seulement plus tard, au cours d’une enquête sur la conduite du détenu. La commissaire a conclu que le licenciement constituait une sanction trop sévère, compte tenu des remords du fonctionnaire s’estimant lésé et de sa capacité de se racheter. Dans Dekort, le licenciement a été remplacé par une suspension prolongée jusqu’à la date de la décision (un peu plus de deux ans). Comme il a été examiné antérieurement dans la présente décision, un facteur atténuant important était la reconnaissance par le fonctionnaire s’estimant lésé de son méfait.

[189] Ce qui distingue le grief dont je suis saisi de Matthews et de Dekort est l’expression immédiate de remords de la part de la fonctionnaire. Dans Matthews et Dekort, les fonctionnaires s’estimant lésés ont fini par exprimer des remords, mais pas aussi rapidement et de façon aussi complète que la fonctionnaire en l’espèce. Dans Matthews, le fonctionnaire s’estimant lésé a tenté activement de cacher son inconduite à l’employeur avant de finalement exprimer des remords pour ses actes. Dans Dekort, la Commission a fait remarquer ce qui suit (au paragraphe 157) :

[...] l’étendue de son expression de remords n’ait pas été communiquée à l’employeur avant sa décision de le licencier; ses déclarations les plus claires et les plus solides selon lesquelles il assumait la responsabilité de ses actes ont été prononcées uniquement durant la réunion portant sur la mesure disciplinaire tenue le 4 mai 2017 et à l’audience devant la Commission.

 

[190] Dans l’affaire dont je suis saisi, la fonctionnaire a fait une déclaration claire et ferme dans laquelle elle acceptait la responsabilité de ses actes avant l’audience disciplinaire du 16 mars 2017. Elle a pris l’initiative de préparer une lettre complète, qui est reproduite plus haut dans la présente décision (au paragraphe 65), et, contrairement à M. Dekort, elle n’a pas attendu la réunion sur les mesures disciplinaires. En fait, M. Dekort n’a fourni une déclaration claire et ferme d’acceptation de la responsabilité qu’après avoir reçu sa lettre de licenciement. La fonctionnaire en l’espèce a accepté la pleine responsabilité de ses actes avant qu’elle ne sache quelle serait la sanction. Il vaut la peine de citer à nouveau le dernier paragraphe de sa lettre à l’intention du directeur : [traduction] « J’assume l’entière responsabilité de mes actes et je suis prête à accepter la mesure disciplinaire qui me sera imposée; je vous demande sincèrement de prendre en considération ma situation actuelle et de me permettre de conserver mon emploi. » De plus, la fonctionnaire a fait preuve d’uniformité en ce qui concerne les remords qu’elle a exprimés depuis l’audience disciplinaire jusqu’à l’audience du présent grief.

[191] Compte tenu de la gravité de l’inconduite et de tous les facteurs atténuants énoncés dans la présente décision, surtout l’expression précoce de remords de la fonctionnaire, j’ai déterminé qu’une sanction juste et équitable pour l’inconduite de la fonctionnaire est une suspension de 18 mois (du 18 avril 2017 au 17 octobre 2019). Je suis convaincu que cette suspension prolongée enverra un message à la fois à la fonctionnaire et aux autres agents correctionnels selon lequel une inconduite pendant la surveillance accrue du risque de suicide/d’automutilation est très grave. Je crois également que la fonctionnaire a tiré une leçon et qu’elle sera donc une agente correctionnelle plus vigilante.

D. Réparation

[192] À la fin de l’audience, j’ai informé les parties que je conserverais ma compétence en ce qui a trait à la partie concernant la réparation. Les parties sont invitées à discuter de la réparation, compte tenu de mon ordonnance selon laquelle le licenciement de la fonctionnaire doit être remplacé par une suspension prolongée de 18 mois.

[193] Si les parties ne sont pas en mesure de parvenir à une résolution mutuellement acceptable dans les 120 jours suivant la date de la présente décision, d’autres dates d’audience seront fixées.

[194] Je demeure saisi du présent grief.

V. Conclusion

[195] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[196] Le grief est accueilli en partie. Le licenciement de la fonctionnaire est remplacé par une suspension du 18 avril 2017 au 17 octobre 2018.

[197] Les pièces E‑3 et E‑4 (vidéos) et le recueil de pièces de l’employeur, volume 2, sont mis sous scellés.

Le 31 mars 2021.

Traduction de la CRTESPF

Ian R. Mackenzie,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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