Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée occupait un poste de gestion – elle a été congédiée pour avoir recommandé à la gestion d’embaucher sa fille, sans divulguer ce lien de parenté – la fonctionnaire s’estimant lésée a contesté le caractère excessif du licenciement et le peu d’importance que l’employeur avait accordé à sa condition médicale – la Commission a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée avait admis à la fois sa conduite et qu’une mesure disciplinaire était justifiée – la Commission a déterminé que la fonctionnaire s’estimant lésée n’avait présenté aucune preuve indépendante, claire et convaincante qu’elle souffrait d’une condition médicale qui atténuait la gravité de sa conduite – la Commission a conclu que le licenciement n’était pas une mesure excessive dans les circonstances.


Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date: 20210413

Dossiers: 566-02-38279 et 38280

 

Référence: 2021 CRTESPF 37

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Christine Petit

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(ministère de l’Emploi et du Développement social)

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(ministère de l’Emploi et du Développement social)

 

défendeurs

 

Répertorié

Petit c. Administrateur général (ministère de l’Emploi et du Développement social)

Affaire concernant des griefs individuels

Devant : Nathalie Daigle, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Kim Patenaude, avocate

Pour les défendeurs : Marc Séguin, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),

du 13 au 16 octobre 2020 (par vidéoconférence).


MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

[1] Christine Petit, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), occupait un poste de gestionnaire (AS-05) chez Emploi et Développement Social Canada (EDSC ou l’« employeur »). Elle a été congédiée le 12 juillet 2017. La lettre de congédiement, qui a été signée par Élise Boisjoly, sous‑ministre adjointe, Services d’intégrité chez EDSC, précise que l’employeur reproche à la fonctionnaire d’avoir « [...] recommandé l’embauche de [sa] fille pour une offre d’emploi occasionnelle [sic] ainsi qu’une offre d’emploi non-annoncé [sic] à durée déterminée, et ce, sans dévoiler le lien de parenté qui [les] unit ». Cette lettre se lit comme suit :

[...]

La présente fait suite à la divulgation du conflit d’intérêts selon laquelle vous auriez recommandé l’embauche de votre fille pour une offre d’emploi occasionnelle ainsi qu’une offre d’emploi non-annoncé à durée déterminée, et ce, sans dévoiler le lien de parenté qui vous unit.

Après avoir soigneusement examiné les renseignements pertinents recueillis tout au cours de cette affaire, ainsi que les informations que vous avez communiquées lors de l’audition disciplinaire du 16 juin 2017, j’ai déterminé que vous vous êtes placée en position de conflit d’intérêts réels en accordant un traitement de faveur à un membre de votre famille.

Les faits recueillis ont révélé que les allégations sont fondées et que vous avez agi délibérément lorsque vous avez recommandé l’embauche de [votre fille] à deux (2) reprises. Il a aussi été confirmé que vous avez fait une fausse déclaration par rapport à votre lien de parenté avec celle-ci lorsque vous avez signé, le 22 décembre, 2016, la « Déclaration signée par les personnes responsables de la présélection/de l'évaluation ».

Ces inconduites sont des infractions graves au Code de conduite d’Emploi et Développement social Canada (ESDC) ainsi qu’au Code de valeurs et d’éthique du secteur public. Il s’agit d’un comportement inadmissible qui ne peut être ni approuvé ni toléré. En tant qu’employée de la fonction publique, vous devez vous conformer aux normes de conduite et au Code de valeurs et d'éthique de la fonction publique, qui constituent les principes selon lesquels nous exerçons nos rôles et nos responsabilités, et qui font partie de vos conditions d’emploi à la fonction publique.

Je me dois donc de déterminer une mesure disciplinaire appropriée dans les circonstances. De ce fait, j’ai considéré votre rendement au travail, l’absence de mesure disciplinaire antécédente à votre dossier, ainsi que les remords que vous avez exprimés lors de l’audition disciplinaire.

Malgré les circonstances atténuantes évoquées ci-dessus, je ne peux faire fi des facteurs aggravants présents dans ce dossier. En voici les principaux : d’abord, vous occupez un poste de gestionnaire et il était de votre devoir de montrer l’exemple à vos employés et d’avoir un comportement irréprochable. Ensuite, il ne s’agit pas d’un incident isolé puisque vous avez recommandé l’embauche de votre fille à deux (2) reprises et n’avez pas dévoilé votre lien de parenté pendant une période de dix (10) mois. De plus, vous avez admis connaitre le Code de conduite d’EDSC et le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique et, malgré cela, vous n’avez pas pris de mesure pour éviter ou déclarer la situation de conflit d’intérêts. Puis, j’ai tenu compte du fait que vous avez signe la « Déclaration signée par les personnes responsables de la présélection/de l’évaluation » dans laquelle vous affirmez ne pas être apparentée avec la candidate et des contradictions entre les informations que vous avez soumises dans votre courriel du 4 juin 2017 et celles que vous avez présentées lors de l’audition disciplinaire du 16 juin 2017.

Par conséquent, je suis d’avis que vous avez abusé de votre pouvoir de gestionnaire en recommandant votre fille à deux (2) reprises et que vous vous êtes placée en situation de conflit d’intérêts réels. Ainsi, vous avez commis des dommages irréparables à la relation de confiance mutuelle qui est à la base du contrat de travail entre un employé et son employeur ce qui constitue une rupture définitive du lien de confiance.

Compte tenu de ce qui précède, je mets fin à votre emploi immédiatement, le 12 juillet 2017, conformément aux pouvoirs qui me sont conférés par l’article 12(1)(c) de la Loi sur la gestion des finances publiques.

[...]

Je regrette que cette mesure soit nécessaire et j’en suis sincèrement désolée.

[...]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

[2] Le 3 août 2017, la fonctionnaire a déposé un grief contestant son licenciement disciplinaire et alléguant que l’employeur n’a pas respecté la clause de non‑discrimination de sa convention collective.

[3] Le 24 avril 2018, la fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage, à la fois comme grief portant sur une mesure disciplinaire entraînant le licenciement et comme grief portant sur l’interprétation ou l’application d’une disposition de sa convention collective. Elle a donné avis à la Commission canadienne des droits de la personne que son grief soulevait une question liée à l’interprétation ou l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6). La Commission canadienne des droits de la personne a informé la Commission qu’elle n’avait pas l’intention de présenter des observations dans cette affaire.

II. Contexte

[4] Puisque le licenciement était une mesure disciplinaire, il faut d’abord établir si la conduite reprochée à la fonctionnaire est établie. Dans l’affirmative, et lorsque l’affaire soulève une allégation voulant que l’imposition d’une mesure disciplinaire soit discriminatoire, l’analyse doit évaluer les obligations de l’employeur en matière de droits de la personne pour déterminer si la conduite reprochée à la fonctionnaire justifie l’imposition d’une mesure disciplinaire. Si c’est le cas, il faut alors décider si le licenciement est une mesure disciplinaire excessive dans les circonstances. Enfin, si le licenciement est excessif, il faut déterminer quelle autre mesure disciplinaire est appropriée.

[5] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la conduite reprochée à la fonctionnaire est établie. De plus, je conclus que la conduite de la fonctionnaire justifie l’imposition d’une mesure disciplinaire. Enfin, je conclus que le licenciement n’est pas excessif dans les circonstances.

III. Résumé de la preuve

[6] L’employeur a présenté 4 témoins, qui travaillent tous chez EDSC : 1) André Thivierge, qui, au moment des faits en question, était directeur des services, Direction générale de l’intégrité; 2) Pascal Savard, qui, au moment des faits, était chef des ressources; 3) Mme Boisjoly, sous-ministre adjointe, Services d’intégrité; 4) Louise Boucher, conseillère principale en relations de travail. Les témoins de l’employeur ont présenté leur preuve en premier afin d’établir que la conduite qu’on reproche à la fonctionnaire a eu lieu et que la mesure disciplinaire n’était ni discriminatoire ni excessive.

[7] La fonctionnaire a témoigné à l’audience d’arbitrage devant moi en son propre nom. Elle a présenté sa preuve après celle de l’employeur afin d’établir que le licenciement était une mesure discriminatoire et excessive dans les circonstances.

A. Pour l’employeur

[8] M. Thivierge a expliqué que, dans son poste de directeur des services au début de l’année 2016, il gérait une équipe d’environ 14 personnes. La fonctionnaire s’est jointe à son équipe et à EDSC à titre de gestionnaire (AS-05) le 18 juillet 2016, par l’entremise d’une mutation. La fonctionnaire était une experte dans le domaine des finances. Elle avait commencé sa carrière dans la fonction publique en 1997 et, selon ses références, elle excellait dans le domaine des finances. Au moment de son embauche, il n’y avait pas de signe de maladie mentale chez elle. Elle était rationnelle et très lucide.

[9] La cousine de la fonctionnaire travaillait déjà pour M. Thivierge, et c’est par l’entremise de cette dernière que la fonctionnaire avait appris que le poste de gestionnaire au groupe et au niveau AS-05 était à combler. La fonctionnaire avait donc fait parvenir son curriculum vitæ à M. Thivierge. Lors de l’entrevue qu’il a menée avec la fonctionnaire, M. Thivierge lui a demandé si elle voyait un inconvénient à superviser sa cousine. La fonctionnaire a répondu que non. M. Thivierge a ensuite informé le comité de la haute gestion de l’existence de ce lien de parenté entre la fonctionnaire et sa cousine. Le comité a toutefois accepté que la fonctionnaire soit embauchée pour combler le poste puisque ses qualifications et son expérience professionnelle étaient adaptées au besoin du poste et qu’elle ne prévoyait pas se heurter à des difficultés en supervisant sa cousine.

[10] M. Thivierge a précisé que, lorsqu’elle a accepté l’offre d’emploi, la fonctionnaire a confirmé par écrit avoir pris connaissance du Code de valeurs et d’éthique du secteur public (le « Code du secteur public »), du Code de conduite d’EDSC (le « Code d’EDSC ») et de l’annexe B de la Politique sur les conflits d’intérêts et l’après-mandat (l’« annexe B de la Politique »).

[11] M. Thivierge a décrit les nombreuses tâches de la fonctionnaire. Elle supervisait une équipe de trois employées aux groupe et niveau AS-03. À son arrivée, elle a dû pallier le départ d’une employée du groupe. Elle a aussi constaté qu’il existait une iniquité quant à la charge de travail de trois employées qu’elle supervisait. Avec l’appui de M. Thivierge, elle a procédé à une redistribution des tâches de travail auprès de ces employées. Deux de celles-ci se sont vu recevoir de nouvelles responsabilités. Or, cela a accentué une résistance au changement chez ces dernières, et elles ont peu coopéré aux changements imposés. M. Thivierge a reconnu qu’il y avait beaucoup de travail à faire, à ce moment-là, et cela, rapidement. L’équipe avait aussi un besoin criant pour de l’aide opérationnelle.

[12] Le 1er août 2016, la fonctionnaire a communiqué à M. Thivierge sa recommandation de procéder à l’embauche d’un employé à titre occasionnel. Par la même occasion, la fonctionnaire a dit à M. Thivierge qu’elle connaissait une candidate potentielle. Une semaine plus tard, la fonctionnaire a partagé le curriculum vitæ de sa fille. Au moment de soumettre la candidature de sa fille, la fonctionnaire a omis de déclarer leur lien de parenté. En l’absence de cette information, M. Thivierge et, par la suite, le comité de gestion, ont approuvé la demande d’embauche.

[13] Le 5 août 2016, la fonctionnaire a fait parvenir le document intitulé « Requête de dotation » à M. Thivierge en omettant, encore une fois, de divulguer son lien de parenté avec sa fille. Dans ce document, elle avait indiqué avoir évalué la candidate par l’entremise d’une discussion informelle. Une fois le document signé par M. Thivierge, la fonctionnaire a fait parvenir la documentation au coordonnateur administratif de la Direction générale des services d’intégrité avec une date de début d’emploi prévue le 29 août 2016.

[14] Le 29 août 2016, la fille de la fonctionnaire est entrée en fonction. Il s’agissait d’un emploi occasionnel au groupe et au niveau AS-02 sous la supervision de la fonctionnaire. La fin de son emploi occasionnel était prévue pour le 23 décembre 2016. Bien que sa fille se rapportait directement à la fonctionnaire, elle n’a jamais, elle non plus, fait part de leur lien de parenté. Les fonctions de la fille de la fonctionnaire étaient de fournir un soutien administratif et financier à un portefeuille en engageant des fonds, en payant des factures et en créant des rapports détaillés sur les engagements afin de permettre le suivi de toutes les dépenses, ainsi qu’en mettant à jour certains suppléments et en créant un tableau de synthèse du budget à l’aide d’Excel.

[15] Tard à l’automne 2016, M. Thivierge a appris que la fonctionnaire vivait un épisode de dépression. Il a autorisé qu’elle s’absente du travail une fois par semaine pour participer à des séances de thérapie. Son souhait était d’apporter un réconfort à la fonctionnaire par une approche respectueuse et empathique pendant cette période difficile. M. Thivierge, à ce moment-là, remplissait le rôle de champion pour les questions de santé mentale et il donnait des présentations sur le sujet.

[16] En novembre 2016, M. Thivierge a participé à une discussion de gestion avec la fonctionnaire. Ils ont abordé l’option de procéder à la création d’un poste de durée déterminée dans l’équipe de la fonctionnaire. Étant donné que la fille de la fonctionnaire offrait un excellent rendement dans son emploi occasionnel, M. Thivierge et la fonctionnaire ont convenu qu’il serait plus efficace que le poste de durée déterminée soit offert à la fille de la fonctionnaire, plutôt que de chercher une nouvelle personne. Le comité de gestion s’est dit en accord avec ce constat. La demande de création du poste a été émise le 8 novembre 2016.

[17] Vers la fin novembre ou au début décembre 2016, M. Thivierge a appris que la fonctionnaire avait développé une dépendance au jeu. Elle avait demandé, à ce moment-là, un congé de cinq semaines pour participer à une cure. M. Thivierge a demandé à la fonctionnaire si son absence pouvait être reportée au mois de janvier, car il était prévu qu’un nouveau gestionnaire, dont le poste était au groupe et au niveau AS-07, se joindrait à l’équipe à ce moment-là; il s’agissait de M. Savard. La fonctionnaire a accepté cette proposition.

[18] Le 22 décembre 2016, la fonctionnaire a remis à M. Thivierge la justification qu’elle avait rédigée afin de procéder à l’embauche de sa fille, à titre d’employée nommée pour une durée déterminée à un poste d’adjointe, services administratifs
(AS-01). M. Thivierge a signé cette justification le 12 janvier 2017. De même, le 22 décembre 2016, puisque M. Thivierge était absent de son bureau, la fonctionnaire a été invitée à signer le formulaire intitulé « Déclaration signée par les personnes responsables de la présélection/de l’évaluation » (la « déclaration »). La fonctionnaire a signé cette déclaration. La déclaration précisait entre autres ce qui suit :

[...]

JE, SOUSSIGNÉ(E), promets de remplir fidèlement et honnêtement la charge qui m’incombe relativement à cette évaluation [...]

J’ai pris connaissance de la liste du ou des candidat(s) et, selon ma connaissance, je ne suis apparenté(e) à aucun d’entre eux; [...]

[...]

 

[19] Au début de janvier 2017, M. Savard s’est joint à l’équipe de M. Thivierge pour occuper le poste de chef des ressources. Son mandat comportait celui de superviser trois employés qui étaient des gestionnaires au groupe et au niveau AS-05, dont la fonctionnaire. Il devait aussi améliorer le climat de travail. Les relations étaient tendues, entre autres, entre la fonctionnaire et deux de ses subordonnées.

[20] Dans les jours précédant le 9 janvier 2017, la fonctionnaire a préparé la demande de prolongation de l’emploi occasionnel de sa fille pour la période du 30 décembre 2016 au 5 mai 2017. M. Thivierge a signé la demande le 9 janvier 2017.

[21] Le 13 janvier 2017, la fille de la fonctionnaire a signé la lettre d’offre pour le poste AS-01 pour une durée déterminée. La période allait du 16 janvier 2017 au 12 janvier 2018. Conformément à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, la fonctionnaire a procédé à la lecture du serment à sa fille.

[22] Le 24 janvier 2017, la fonctionnaire a écrit à M. Thivierge qu’elle était malade et en crise de panique. À ce moment, elle avait des problèmes avec le traitement de sa paye à cause du système de paye Phénix. M. Thivierge s’est montré empathique dans sa réponse le même jour. Par la suite, la fonctionnaire s’est absentée en congé de maladie pour une durée d’un mois et demi en janvier et février 2017. Elle était de retour au bureau au début de mars 2017.

[23] Le 28 mars 2017, la fonctionnaire a écrit à M. Thivierge qu’elle serait absente du bureau et qu’elle serait de retour le lendemain. Elle a ajouté que sa famille avait appelé la police parce que sa famille avait craint une tentative de suicide de sa part.

[24] Depuis le début de janvier 2017, M. Savard supervisait la fonctionnaire. Il savait qu’elle avait vécu une séparation difficile, qu’elle avait eu des problèmes financiers à cause du système de paye Phénix, et qu’elle vivait des problèmes de santé mentale en partie à cause de son stress élevé au travail. Il ne savait pas qu’elle avait développé une dépendance au jeu. Il a expliqué qu’il avait à l’occasion consulté la section des Ressources humaines depuis son arrivée pour mieux accompagner la fonctionnaire.

[25] Le 19 avril 2017, M. Savard a autorisé un congé sans solde à la fonctionnaire pour lui permettre de suivre une thérapie.

  • [26] Le 17 mai 2017, M. Savard a fait parvenir une lettre à la fonctionnaire dans laquelle il l’informait de ce qui suit :

[...]

Ceci est pour faire un compte rendu de ta situation personnel et professionnelle des derniers mois.

Premièrement, les problèmes personnels que tu nous a fait part depuis 3 mois nous ont beaucoup inquiétés. Inquiet pour toi et ta santé mais aussi au niveau du travail, car ceci causait de l’absentéisme au-delà de ce qui est normal. Ceci a eu une incidence certes sur ton travail et fait en sorte que la dernière année, n’a pas été facile. Par contre, je constate énormément d’amélioration depuis quelques semaines. En effet, il semble que tu te soit prise en main afin de régler tes problèmes personnels et cela se reflète grandement sur ta performance au bureau. Tu me tiens au courant de tes démarches et cela me permet de mieux te supporter dans le processus.

Il y avait aussi certains problèmes avec ton équipe au niveau de la communication. La rencontre que tu as tenu le 25 avril avec eux à, selon moi, beaucoup amélioré les choses entre vous. Le fait de vous expliquer face à face semble avoir porté fruit. Dans tous les cas, je constate une meilleure synergie entre nous ce qui facilite grandement le travail.

Je voulais donc mettre ceci par écrit afin de clore cette épisode.

[...]

 

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

[27] M. Thivierge a expliqué que deux semaines plus tard, le vendredi 2 juin 2017, un incident est survenu. La fille de la fonctionnaire est venue le voir pour lui faire part qu’une autre employée se rapportant à la fonctionnaire venait de laisser sous-entendre à la fille de la fonctionnaire qu’elle était au courant de leur lien de parenté. La fille de la fonctionnaire reconnaissait ce lien de parenté et informait M. Thivierge que les membres de l’équipe étaient maintenant au courant de leur situation.

[28] Ce jour-là, la fonctionnaire était en congé. Toutefois, étant donné ce qui se passait, elle s’est précipitée au bureau afin de rencontrer M. Thivierge et M. Savard. Elle a reconnu son lien de parenté avec sa fille, que le fait de cacher ce fait n’était pas correct et elle s’est excusée. M. Thivierge, quant à lui, était abasourdi par cette découverte. Il se sentait trahi par la fonctionnaire. Selon lui, il s’agissait d’une faute grave étant donné les responsabilités de gestion de la fonctionnaire. M. Savard, quant à lui, était stupéfait et déconcerté par cette nouvelle.

[29] Le dimanche 4 juin 2017, la fonctionnaire a fait parvenir un courriel à M. Thivierge, dans lequel elle s’excusait pour la perturbation qu’elle avait causée dans leur milieu de travail. Elle offrait sa version des faits et expliquait pourquoi elle avait pris la décision d’embaucher sa fille. Selon ses propos, il fallait procéder à une embauche rapide, et la seule personne qui lui venait en tête, était sa fille. Elle a aussi écrit ne pas avoir fait part de ce lien de parenté à M. Thivierge, car elle savait qu’il ne serait pas d’accord avec l’embauche.

[30] Mme Boisjoly, qui est la sous-ministre adjointe à qui M. Thivierge se rapporte, a expliqué qu’elle a, pendant la même période de temps, été mise au courant de la situation de la fonctionnaire. Ensuite, elle a précisé que MM. Thivierge et Savard et
elle-même ont rencontré à quelques reprises des représentants des Ressources humaines pour discuter de la situation. Elle a confirmé que MM. Thivierge et Savard et elle-même se sont rencontrés régulièrement afin de discuter de la marche à suivre dans ce dossier et, plus tard, de la mesure disciplinaire la plus appropriée, étant donné leur conclusion qu’il y avait eu inconduite de la part de la fonctionnaire.

[31] Dès le lundi 5 juin 2017, à la suite du moment où la fonctionnaire a reconnu son lien de parenté avec sa fille, M. Savard a avisé la fille de la fonctionnaire et les autres membres de l’équipe de la fonctionnaire qu’ils avaient un nouveau superviseur, et que cela prenait effet immédiatement. L’équipe fut informée que dorénavant l’équipe se rapporterait à lui.

[32] Au même moment, M. Savard a été chargé de rencontrer les divers membres de l’équipe de la fonctionnaire afin de recueillir les faits pertinents à la situation. Il s’est acquitté de cette tâche. Lorsqu’il a demandé à la fille de la fonctionnaire pourquoi elle n’avait pas dévoilé avant le 2 juin leur lien de parenté, elle a répondu que la fonctionnaire lui avait demandé de ne pas dévoiler ce lien.

[33] Le 12 juin 2017, M. Savard a informé la fonctionnaire que la recherche des faits continuait dans cette affaire. Il a informé la fonctionnaire par la même occasion qu’elle recevrait sous peu une invitation pour une audience disciplinaire. Il a ajouté qu’elle aurait la chance de s’expliquer formellement lors de l’audience disciplinaire et qu’elle pouvait être accompagnée d’un représentant syndical. Il a aussi précisé dans son courriel que les dates du 15 ou du 16 juin étaient envisagées pour l’audience disciplinaire. Enfin, il avait ajouté ce qui suit : « Avise-moi de tout inconvénient majeur. »

[34] La fonctionnaire a demandé le report de l’audience disciplinaire parce qu’elle avait une charge de travail importante à ce moment-là. Toutefois, cette demande lui a été refusée.

[35] L’audience disciplinaire a eu lieu le 16 juin 2017. La fonctionnaire a été invitée à fournir sa version des faits et tout facteur atténuant à prendre en considération par l’équipe de gestion. Pendant l’audience disciplinaire, la fonctionnaire a fait part aux représentants de la gestion qu’au moment des faits, lorsqu’elle avait recommandé l’embauche de sa fille, elle était tourmentée et vivait un profond désarroi. Elle a aussi admis que si ce lien de parenté n’avait pas été découvert, elle ne l’aurait pas dévoilé.

[36] Par la suite, MM. Thivierge et Savard et Mme Boisjoly ont entrepris de discuter de la mesure disciplinaire qu’ils considéraient la plus appropriée dans les circonstances.

[37] La fonctionnaire a poursuivi son travail dans son poste par la suite.

[38] Mme Boisjoly a expliqué qu’un employé pouvait rester en poste malgré qu’un processus disciplinaire soit en cours. Dans de tels cas, la gestion doit s’assurer qu’il n’existe pas de facteur de risque pour la santé et la sécurité d’autrui. Dans la présente affaire, il n’y en avait pas. Donc, la fonctionnaire a été invitée à poursuivre son travail. Mme Boisjoly a reconnu qu’il y avait beaucoup de travail à faire et qu’il s’agissait d’une période critique pour ce qui est des budgets. La fonctionnaire a été très productive pendant cette période. Selon Mme Boisjoly, ses gestionnaires ont toutefois révisé attentivement son travail étant donné la conduite qu’on lui reprochait et l’impact que cela avait sur la confiance que l’employeur était en droit d’avoir en elle.

[39] Mme Boisjoly et MM. Thivierge et Savard se sont donc rencontrés à quelques reprises pour discuter de la mesure disciplinaire la plus appropriée dans les circonstances. Parmi eux, un consensus s’est peu à peu dégagé au sujet de la mesure disciplinaire la plus appropriée : le congédiement. Ils se sont entendus que le congédiement était la mesure la plus appropriée étant donné qu’ils jugeaient la conduite qu’on reprochait à la fonctionnaire très grave et qu’il s’agissait d’un bris de confiance fondamental. Ils n’ont pas tenu compte des problèmes de santé mentale de la fonctionnaire.

[40] M. Savard a précisé dans son témoignage que la gestion avait considéré la possibilité d’imposer une suspension de 20 à 30 jours. La gestion était consciente que cette mesure pouvait être appropriée si la confiance que l’employeur était en droit d’avoir en la fonctionnaire pouvait être rétablie. Ici, toutefois, l’équipe de gestion avait conclu que la confiance que l’employeur était en droit d’avoir en elle avait été irrémédiablement affectée, et que le congédiement était la seule mesure appropriée.

[41] Mme Boisjoly a expliqué que prendre la décision de licencier la fonctionnaire n’avait pas été facile. Tous les trois dans l’équipe de gestion avaient pris en compte des facteurs atténuants et d’autres facteurs lorsqu’ils ont envisagé le congédiement de la fonctionnaire. Ils avaient aussi pris en considération la jurisprudence. Leur avis était que les circonstances justifiaient une mesure à l’extrémité du spectre, puisque la confiance que l’employeur était en droit d’avoir en la fonctionnaire avait été irrémédiablement affectée. Selon eux, le régime disciplinaire appuyait la cessation d’emploi dans de telles circonstances.

[42] Les facteurs atténuants que Mme Boisjoly et MM. Thivierge et Savard ont pris en considération sont les suivants : 1) la fonctionnaire comptait 20 ans d’expérience; 2) elle n’avait aucun antécédent disciplinaire; 3) elle excellait dans son travail et était très appréciée par ses gestionnaires.

[43] Les facteurs aggravants que Mme Boisjoly et MM. Thivierge et Savard ont pris en considération, par contre, sont les suivants : 1) la fonctionnaire comptait 20 ans d’expérience (le même facteur que précédemment); 2) elle savait qu’elle violait le Code du secteur public et le Code d’EDSC (la fonctionnaire l’a admis lors de l’audience disciplinaire); 3) elle a caché son lien de parenté avec sa fille pendant une longue période (neuf mois); 4) elle a, à plusieurs occasions, omis de divulguer ce lien de parenté; 5) elle a menti en signant la déclaration dans laquelle elle attestait « ne pas être apparentée » à la candidate et en demandant à sa fille de cacher leur lien de parenté; 6) elle a incité un tiers, sa fille, à mentir (la fonctionnaire a admis lors de l’audience disciplinaire qu’elle avait encouragé sa fille à ne pas dévoiler leur lien de parenté et, en janvier 2017, elle lui a recommandé de se trouver un emploi ailleurs afin de « limiter les dégâts »); 7) la fonctionnaire occupait un poste de gestionnaire et devait montrer l’exemple en matière de conflit d’intérêts et d’éthique.

[44] Mme Boisjoly a précisé que quatre des occasions où la fonctionnaire avait omis de divulguer son lien de parenté avec sa fille correspondaient à diverses étapes du processus d’embauche telles que : 1) lorsque la fonctionnaire a demandé que sa fille soit embauchée et qu’elle a préparé le 5 août 2016 la requête de dotation; 2) lorsque la fonctionnaire a partagé le 22 décembre 2016 la justification à M. Thivierge pour la création du nouveau poste pour une durée déterminée AS-01; 3) lorsque la fonctionnaire a signé le 22 décembre 2016 la déclaration; 4) lorsque la fonctionnaire a préparé dans les jours précédant le 9 janvier 2017 la demande de prolongation de l’emploi occasionnel de sa fille pour la période du 30 décembre 2016 au 5 mai 2017.

[45] Mme Boisjoly a reconnu que la fonctionnaire avait présenté ses excuses lors de l’audience disciplinaire. Cependant, elle n’était pas certaine que la fonctionnaire avait exprimé de réels remords pour plusieurs raisons. Entre autres, la fonctionnaire avait déclaré à l’audience disciplinaire qu’elle n’avait pas démontré de favoritisme parce que le poste offert à sa fille en janvier 2017 était de niveau AS-01, et non de niveau AS-02. La fonctionnaire avait aussi déclaré qu’elle souhaitait que sa fille soit mutée ailleurs et que leur lien de parenté ne soit jamais découvert. Selon Mme Boisjoly, ce que la fonctionnaire regrettait principalement était que son lien de parenté avec sa fille avait été découvert, et non d’avoir enfreint les deux codes.

[46] Mme Boisjoly a aussi précisé que les problèmes de santé mentale de la fonctionnaire n’ont pas influencé sa décision, puisque la fonctionnaire a enfreint les deux codes en août 2016, puis de façon répétitive par la suite (en décembre 2016 et en janvier 2017). Or, la fonctionnaire n’a fait part de ses problèmes de santé mentale à M. Thivierge qu’à l’automne 2016. Il y a donc eu infraction aux deux codes avant que les problèmes de santé mentale ne fassent surface.

[47] Mme Boisjoly a expliqué en détails à l’audience d’arbitrage devant moi quelles étaient les dispositions des deux codes et de la Politique sur le conflit d’intérêts et l’après-mandat que la fonctionnaire avait enfreintes. Essentiellement, Mme Boisjoly a illustré comment la fonctionnaire avait utilisé son rôle pour obtenir l’embauche de sa fille. De plus, la fonctionnaire a reconnu qu’elle n’avait jamais envisagé prendre des mesures pendant la période de neuf mois pour dévoiler le conflit d’intérêts. Mme Boisjoly a expliqué que les codes et la politique visent à éliminer les traitements de faveur, et que les personnes qui y sont assujetties sont dans l’obligation de déclarer tout conflit d'intérêts, réel ou apparent. Or, dans le présent cas, la fonctionnaire n’a dévoilé ni le conflit réel (du fait qu’elle a embauché sa fille), ni le conflit apparent (du fait qu’elle a directement supervisé sa fille pendant la période de neuf mois).

[48] Le 12 juillet 2017, la fonctionnaire a été convoquée à une rencontre au cours de laquelle M. Thivierge lui a fait part de la décision de mettre fin à son emploi. La lettre de licenciement, signée par Mme Boisjoly, lui a été remise au même moment.

[49] Le 3 août 2017, la fonctionnaire a déposé son grief.

[50] Le 18 janvier 2018, le grief a été entendu au troisième palier de la procédure de règlement des griefs par Gail Johnson, sous-ministre adjointe de la Direction générale des services en ressources humaines (l’« audience du grief devant Mme Johnson » ou l’« audience du grief »). La fonctionnaire n’était pas présente à l’audience du grief, mais sa représentante a présenté des documents à l’appui de sa position. Les documents soumis par la fonctionnaire lors de l’audience du grief étaient les suivants : 1) un rapport psychologique préparé par la Dre Valérie Bourgeois-Guérin, de Psychologues Consultants Y2, du 16 avril 2013; 2) une lettre du Dr Yannick Mailloux, de Psychologues Consultants Y2, du 9 novembre 2015; 3) une lettre de l’Industrielle Alliance, du 11 février 2016; 4) une lettre de Josiane Nantel, agente de relations humaines du Centre Jellinek, le Centre de réadaptation en dépendance de l’Outaouais du Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais, du 17 février 2016; 5) un certificat médical d’incapacité signé le 23 mars 2016 par le Dr Renu Khullar; 6) une lettre de Mme Nantel du 15 septembre 2017.

[51] Mme Boucher, qui est conseillère principale en relations de travail, a expliqué lors de l’audience d’arbitrage devant moi que le sujet de la condition médicale de la fonctionnaire avait été soulevé à l’audience du grief devant Mme Johnson pour la première fois comme une cause possible de la conduite reprochée à la fonctionnaire. Le lendemain, le 19 janvier 2018, Mme Boucher, au nom de l’employeur, a envoyé un courriel à la représentante de la fonctionnaire en guise de suivi et de complément à l’audience du grief du 18 janvier. L’employeur demandait explicitement si des limitations fonctionnelles découlaient de la condition médicale de la fonctionnaire. Si oui, l’employeur demandait à la fonctionnaire si elle avait déjà demandé des mesures d’adaptation. Ainsi, dans son courriel, Mme Boucher précisait ce qui suit :

[...]

De plus, nous avons discuté de la possibilité que l’employeur envoie des questions au médecin de Mme Petit. Est-ce que vous pourriez en discuter avec Mme Petit et si le tout convient, nous indiquer les coordonnées du médecin à qui sera envoyée [sic] notre lettre? J’ai protégé le document par un mot de passe celui-ci suivra dans un autre courriel.

[...]

 

[52] Le même jour, la représentante de la fonctionnaire a répondu à Mme Boucher ce qui suit :

[...]

[...] nous refusons respectueusement de répondre à toutes questions additionnelles que l’employeur peut avoir concernant ce grief qui je dois le souligner ne porte pas seulement sur la fin d’emploi de Mme Petit mais aussi sur le fait que l’employeur a négligé son devoir de mettre en place des mesures d’accomodements (article 19) en ce qui traite des diverses maladies mentales dont Mme Petit souffrent, et pour lequel le syndicat considère que l’employeur n’a rien fait. [...]

[...]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

[53] Le 23 janvier 2018, Mme Boucher a répondu à la représentante de la fonctionnaire en lui demandant ce qui suit : « Est-ce que vous refusez [...] que l’employeur retourne au médecin pour obtenir des clarifications? » Le lendemain, la représentante de la fonctionnaire a répondu ce qui suit :

[...]

Oui c’est exact. La fonctionnaire considère qu’elle vous a déjà fourni beaucoup d’information médicale personnelle et si vous regardez les rapports des divers professionnels, je crois que vous allez être en mesure de trouver vos réponses sur l’impact des médicaments sur sa capacité d’exercer son jugement, entre autre [sic].

[...]

 

[54] Le 12 mars 2018, dans sa décision au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, Mme Johnson a rejeté le grief de la fonctionnaire.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

[55] La fonctionnaire a expliqué qu’elle a commencé sa carrière à la fonction publique fédérale le 9 juin 1997. Elle a travaillé à l’École de la fonction publique du Canada, à la Bibliothèque nationale du Canada et à Affaires mondiales Canada. Elle a expliqué qu’elle souffre de problèmes de santé mentale. Au cours de sa vie, elle a vécu de nombreux épisodes dépressifs, entre autres en 1998, en 2000, en 2005, en 2012 et en 2013.

[56] La fonctionnaire a expliqué qu’elle prenait l’antipsychotique Abilify, prescrit par son médecin pour stabiliser ses états d’anxiété depuis 2013. Au début tout se passait bien. Cependant, au fil du temps, ce médicament a créé chez elle des effets de compulsion. Elle a d’abord développé une dépendance aux achats en ligne. Puis, plus tard, cette dépendance s’est transformée en dépendance aux jeux d’argent.

[57] La fonctionnaire a déposé en preuve un avis du 2 novembre 2015 émis par le gouvernement du Canada et intitulé « Renseignements sur l’innocuité de l’antipsychotique Abilify et le risque de certains troubles du contrôle des impulsions ». Cet avis concernait le médicament que son médecin lui prescrivait depuis 2013. L’avis précise que les étiquettes de la prescription ont été mises à jour pour signaler un risque accru de comportements impulsifs de jeu pathologique et d’hypersexualité.

[58] En septembre 2015, la fonctionnaire a subi une nouvelle rechute de son trouble dépressif majeur, qui était récurrent. Elle a expliqué qu’elle souffre également de troubles anxieux, et qu’elle a des traits de personnalité dépendante. En octobre 2015, elle a consulté le Centre Jellinek, pour une première de deux séries de traitements.

[59] En décembre 2015, la fonctionnaire a fait une cure d’une semaine au Centre Jellinek.

[60] En 2016, après s’être absentée de son travail à Affaires mondiales Canada pendant une période de 24 mois, la fonctionnaire a entrepris des démarches pour retourner au travail.

[61] Le 1er avril 2016, la fonctionnaire a fait un retour progressif au travail à Affaires mondiales Canada. Elle était toujours sous les soins de son médecin de famille et du Centre Jellinek.

[62] Entre-temps, la fonctionnaire a appris par l’entremise de sa cousine, que la Direction générale Services d’intégrité chez ESDC était à la recherche d’une conseillère principale, dont le poste était au groupe et au niveau AS-05, dans la section Planification et Analyses.

[63] La fonctionnaire a fait parvenir son curriculum vitæ au directeur, M. Thivierge. Elle a par la suite été invitée à participer à une entrevue informelle avec trois représentants de l’employeur. Lors de l’entrevue, la fonctionnaire a précisé que sa cousine travaillait pour M. Thivierge et qu’elles étaient très proches. Selon la fonctionnaire, M. Thivierge l’a interrogée pour vérifier si elle y voyait un problème et si elle serait apte à superviser directement sa cousine. La fonctionnaire a répondu qu’elle n’y voyait pas de problème, et qu’elle serait apte à superviser sa cousine.

[64] La fonctionnaire a été jugée qualifiée pour le poste, et elle a été mutée dans celui-ci le 18 juillet 2016.

[65] La fonctionnaire est donc entrée dans ses nouvelles fonctions chez EDSC le 18 juillet 2016. Elle a expliqué qu’il n’y a pas eu de transfert de connaissances étant donné que l’ancienne titulaire du poste avait déjà quitté son emploi. La fonctionnaire a précisé que M. Thivierge était lui-même nouveau dans son poste à ce moment-là et qu’il avait peu de connaissances dans le domaine financier, ce qu’il a reconnu à l’audience d’arbitrage devant moi. Donc, dès le début de son emploi, la fonctionnaire s’est retrouvée rongée par le stress et débordée. Elle a expliqué qu’elle vivait beaucoup de difficultés, tant au travail que dans sa vie personnelle. Ce qui a fait qu’elle réfléchissait de façon moins optimale et qu’elle faisait preuve d’un moins bon jugement.

[66] La fonctionnaire a de plus expliqué qu’elle n’avait pas accès aux systèmes financiers et qu’elle ne pouvait pas se familiariser avec les budgets des différentes sections sous sa responsabilité. Elle était responsable des budgets de quatre directeurs généraux et d’une sous-ministre adjointe. Elle a expliqué qu’elle a dû avoir recours à des conseillers en gestion financière pour obtenir la majorité de l’information financière relative aux fonds de roulement qui lui était nécessaire pour préparer tous les rapports qu’elle devait faire. Selon son souvenir, cette situation a perduré pendant trois à quatre semaines.

[67] La fonctionnaire était aussi responsable d’une équipe de trois personnes, dont deux titulaires de poste AS-03 qui s’occupaient des opérations, et une titulaire de poste AS-03 qui s’occupait des salaires. En juillet 2016, l’une des titulaires d’un poste aux opérations lui a annoncé qu’elle quittait son poste dans trois semaines. Par la suite, l’autre titulaire d’un poste aux opérations l’a fermement avisée qu’elle refuserait toute augmentation de sa charge de travail résultant du départ de sa collègue. Selon la fonctionnaire, cette personne a aussi précisé qu’elle refusait d’offrir de la formation au remplaçant de sa collègue. Enfin, la fonctionnaire se souvient que cette employée lui a clairement communiqué qu’elle n’hésiterait pas à se procurer un billet d’absence motivé de son médecin si sa charge de travail devait augmenter.

[68] La fonctionnaire a ajouté que sa cousine, qui était responsable de la totalité de l’enveloppe salariale (et du trois quarts du budget de la section), l’avait aussi informée qu’elle avait besoin d’aide, sinon elle serait dans l’obligation de quitter, elle aussi, en congé de maladie prolongé. Il était absolument essentiel qu’une autre personne soit ajoutée à l’équipe pour réduire sa charge de travail puisque celle-ci était lourdement augmentée en raison des difficultés liées au système de paye Phénix.

[69] De plus, la fonctionnaire a expliqué que deux jours après son entrée dans ses nouvelles fonctions, soit le 20 juillet 2016, elle a vécu une séparation très difficile après une période d’union de 20 ans et un déménagement. Elle a fait part de ses difficultés à M. Thivierge, mais la situation était difficile de toute part. Elle avait de la difficulté à accéder aux systèmes financiers. Malgré tout, sa charge de travail était importante. Les Services corporatifs, la sous-ministre adjointe et M. Thivierge requéraient régulièrement des informations financières. Elle souffrait, à ce moment-là, d’une dépendance aux jeux d’argent. Son sentiment d’impuissance était si fort qu’elle éprouvait une véritable détresse et craignait alors de « craquer », et de perdre son équilibre.

[70] Malgré tout, au cours de sa deuxième semaine de travail, la fonctionnaire a œuvré afin de combler le poste AS-03 vacant le plus tôt possible. Le poste a été comblé par suite de mutation interne.

[71] La fonctionnaire a expliqué qu’après avoir rempli tous les documents nécessaires pour doter le poste AS-03, elle s’est résolue à trouver une personne supplémentaire pour aider sa cousine. Au début du mois d’août 2016, au cours d’une réunion de gestion, elle a soulevé le problème de surcharge de travail dans sa section et dans les équipes des ressources humaines et des services administratifs. Elle a proposé l’embauche d’un employé de groupe et niveau AS-02 occasionnel afin de répondre aux besoins des trois équipes. M. Thivierge et les chefs des autres équipes ont donné leur accord.

[72] La fonctionnaire a alors effectué le travail nécessaire pour embaucher cet employé occasionnel. D’abord, elle a communiqué avec la Section des ressources humaines pour déterminer si un bassin de candidats au niveau AS-02 existait, afin de recruter à même ce bassin. Elle a été informée qu’un bassin existait, mais qu’il datait de quelques années et ne contenait aucun candidat du niveau recherché.

[73] La fonctionnaire a ensuite examiné ses autres options. Elle s’est souvenue qu’une de ses anciennes subordonnées à son ancien ministère avait les compétences qu’elle recherchait. Elle a donc communiqué avec cette personne pour lui parler de cette possibilité (une affectation à niveau). Cette personne a cependant informé la fonctionnaire qu’elle occupait à ce moment un poste de niveau plus élevé et n’était donc pas intéressée par cette proposition.

[74] La fonctionnaire voulait à tout prix éviter que sa cousine ne quitte en congé de maladie. Il était urgent que la fonctionnaire règle ce problème. Ainsi, le 4 août 2016, la fonctionnaire a considéré la possibilité de recommander sa fille pour combler les besoins du poste occasionnel. La fonctionnaire jugeait que sa fille était une candidate compétente, qualifiée, avec une attitude proactive et un entregent hors pair.

[75] La fonctionnaire a donc communiqué avec sa fille dans le but de lui faire part de cette possibilité d’emploi occasionnel et des tâches à accomplir. La fonctionnaire a demandé à sa fille si cette dernière était disponible pour répondre à ce besoin urgent. Il y avait beaucoup de travail à faire. Sa fille a dit être intéressée et a fait parvenir son curriculum vitæ par courriel à la fonctionnaire le 5 août 2016.

[76] La fonctionnaire a fait parvenir le curriculum vitæ de sa fille à M. Thivierge, mais ne lui a pas qu’il s’agissait de sa fille. Elle a expliqué que les dispositions de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique ne s’appliquent pas aux employés occasionnels. Elle a donc estimé qu’il n’existait pas de conflit d’intérêts. De plus, sa fille était inscrite dans un programme d’études qui allait commencer en janvier 2017. Il ne s’agissait donc que d’un emploi temporaire.

[77] Ne connaissant pas le lien de parenté qui unissait la fonctionnaire et sa fille, M. Thivierge a proposé que la demande de dotation de la fille de la fonctionnaire soit présentée au comité de dotation.

[78] Lors de la réunion du comité de dotation du 22 août 2016, la nomination de la fille de la fonctionnaire a été approuvée. La fille de la fonctionnaire a signé l’offre d’emploi occasionnel le 27 août 2016.

[79] Le 29 août 2016, la fille de la fonctionnaire a commencé son travail. Elle s’est tout de suite mise à la tâche de produire les rapports financiers, de réunir la documentation pour les envois aux gestionnaires des divisions et d’émettre les convocations aux réunions de révision du budget. Elle a aussi accompli des tâches pour la chef de l’équipe des ressources humaines. De même, elle a accompli des tâches pour M. Thivierge dans le domaine des services administratifs. Elle s’est aussi chargée d’entrer les nouvelles lettres d’offre examinées par la section et de faire les changements demandés par la chef de l’équipe des finances (la fonctionnaire).

[80] En septembre 2016, après avoir bien examiné la structure interne de son équipe, la fonctionnaire a recommandé une réorganisation de cette structure. Elle a recommandé la réallocation des sections de responsabilité de ses employées afin que chaque titulaire d’un poste AS-03 soit responsable d’une certaine division et de sa masse salariale. Le but de cette démarche était de minimiser l’impact sur le groupe si l’une des titulaires de poste devait s’absenter. M. Thivierge était d’accord avec cette approche. Cependant, deux des titulaires de poste ont catégoriquement refusé d’entreprendre de nouvelles tâches. Selon la fonctionnaire, ces employées lui ont en plus manqué de respect.

[81] Par la suite, les relations entre la fonctionnaire et deux de ses employées se sont détériorées. La fonctionnaire a expliqué que, lorsqu’elle demandait à ces deux subordonnées, par exemple, de communiquer avec les gestionnaires de leurs secteurs de responsabilité respectifs afin d’obtenir des rapports ou des réponses à certaines questions, ces dernières lui répondaient que cela relevait de sa responsabilité. La fonctionnaire a demandé de l’aide à M. Thivierge sans grand succès. Elle s’est trouvée dans une situation très difficile.

[82] Au cours de l’automne 2016, la fonctionnaire a connu une rechute de ses problèmes de santé mentale. Elle a dû s’absenter à plusieurs reprises en congé de maladie. Elle a fait part de ses difficultés professionnelles et personnelles à M. Thivierge. Malgré tout, elle a continué à gérer sa section. Il y avait plusieurs défis importants à relever et elle devait faire une présentation importante concernant le budget.

[83] Le 4 octobre 2016, la fonctionnaire a commencé une deuxième série de traitements au Centre Jellinek. M. Thivierge savait qu’elle souffrait de dépression, et il a accepté qu’elle s’absente un après-midi par semaine pour participer à des rencontres de groupe. Il ne connaissait pas tous les détails de la condition de santé de la fonctionnaire.

[84] Au cours de l’automne 2016, la fonctionnaire a commencé à dévoiler à M. Thivierge certains aspects problématiques de sa vie personnelle qui l’affectaient au niveau professionnel. Elle estime que c’est à l’automne qu’elle lui a parlé de sa séparation, de sa dépression, du stress qu’elle vivait, de ses problèmes avec le système de paye Phénix (qui lui causait des problèmes financiers étant donné qu’elle n’avait pas reçu de paye entre le 1er avril et le 29 juin 2016). Après sa séparation, lorsque la fonctionnaire a entrepris de vendre sa maison, M. Thivierge lui a aussi accordé les congés qu’elle a demandés pour faciliter les visites de sa maison.

[85] La fonctionnaire a précisé, de même, que c’est vers la fin octobre, ou au début de novembre 2016, qu’elle a avisé M. Thivierge de la nature particulière de ses difficultés de dépendance. Elle s’en souvenait puisque c’est à ce moment-là qu’elle avait demandé à M. Thivierge une avance de congé de 25 jours de congés de maladie afin qu’elle puisse recevoir des soins additionnels au Centre Jellinek pour une dépendance. M. Thivierge lui a demandé s’il était possible d’attendre l’arrivée du nouveau gestionnaire, M. Savard, qui était attendu en janvier 2017. La fonctionnaire a accepté cette demande. Elle a précisé qu’il avait été difficile pour elle de dire à M. Thivierge qu’elle souffrait d’une dépendance aux jeux d’argent étant donné son rôle de gestionnaire des finances.

[86] La fonctionnaire a expliqué qu’elle avait commencé, en juillet 2016, son sevrage de l’antipsychotique Abilify qui avait contribué à causer ses dépendances. Elle a terminé son sevrage en novembre 2016.

[87] L’emploi occasionnel de la fille de la fonctionnaire devait prendre fin en décembre 2016. Lors d’une réunion de gestion tenue en novembre 2016, la fonctionnaire a avisé M. Thivierge que le service avait besoin d’une aide permanente. Il était entendu que beaucoup de travail devait régulièrement être fait. Entre autres, la préparation de divers rapports financiers allait commencer en janvier en prévision de la fin de l’exercice financier se terminant le 31 mars. Beaucoup de tâches étaient associées à la fin de l’année financière, entre autres la distribution budgétaire et la planification stratégique.

[88] La fonctionnaire a expliqué qu’elle a d’abord recommandé de pourvoir au besoin de soutien nécessaire par l’entremise de la dotation d’un poste déterminé de niveau AS-01 disponible dans l’équipe des ressources humaines. La personne embauchée dans ce poste aurait en fait pu desservir les trois équipes (ressources humaines, finances et services administratifs). La chef de l’équipe des ressources humaines a toutefois plutôt recommandé la création d’un nouveau poste, car elle prévoyait combler le poste AS-01 en ressources humaines dans le futur. Une autre option était de prolonger l’emploi occasionnel de la fille de la fonctionnaire. Toutefois, étant donné le besoin permanent de soutien nécessaire dans l’équipe, M. Thivierge a recommandé d’une part la prolongation de l’emploi occasionnel de la fille de la fonctionnaire, et d’autre part, la création d’un poste permanent. Il était entendu que la fille de la fonctionnaire pourrait postuler ce poste. De plus, tous les gestionnaires s’entendaient pour dire que cette dernière avait démontré sa capacité à fournir, en temps réel, un travail de bonne qualité dans un large éventail de services.

[89] La fonctionnaire a donc préparé la demande de prolongation de l’emploi occasionnel de sa fille, du 30 décembre 2016 au 5 mai 2017 sans, encore une fois, dévoiler leur lien de parenté.

[90] La fonctionnaire a signé, le 22 décembre 2016, la déclaration qui attestait qu’elle n’était pas apparentée à la candidate pour l’emploi occasionnel. Elle a expliqué qu’un représentant des Ressources humaines lui a demandé de signer ce formulaire puisque M. Thivierge était absent du bureau à ce moment-là, et que ce formulaire devait être signé avant que la lettre d’offre ne puisse être émise à sa fille. Selon la fonctionnaire, ce formulaire ne servait qu’à documenter le fait qu’un candidat dans un processus avait bel et bien été évalué. Selon elle, elle confirmait, par sa signature, que la candidate pour l’emploi occasionnel avait été évaluée. Ce n’est que lors de l’audience disciplinaire que la fonctionnaire a pris connaissance d’un paragraphe dans le document qui stipule que le gestionnaire délégué (ou son représentant) déclare ne pas être apparenté au candidat évalué.

[91] Le 5 janvier 2017, l’équipe a accueilli M. Savard. Il occupait le poste de gestionnaire opérationnel (ou chef des ressources). Il était responsable de trois équipes : finances, ressources humaines et services administratifs. Il était le nouveau superviseur de la fonctionnaire. Cette dernière a affirmé lui avoir fait part de ses difficultés professionnelles subies depuis sa propre arrivée en juillet 2016 avec son équipe. La fonctionnaire a dit avoir aussi confié à M. Savard certaines de ses difficultés personnelles en ce qui concerne sa santé et ses difficultés financières.

[92] Le 9 janvier 2017, M. Thivierge a signé la demande de prolongation de l’emploi occasionnel de la fille de la fonctionnaire.

[93] La chef des Ressources humaines a aussi préparé la demande de création d’un nouveau poste déterminé de groupe et niveau AS-01 dans la section Planification et Analyses auprès de l’équipe des finances, pour s’occuper d’un nombre important de tâches financières. M. Thivierge a demandé à la fonctionnaire, en tant que gestionnaire des finances, de préparer la justification pour la création du nouveau poste avec l’aide des Ressources humaines et des exemples fournis, ce qu’elle a fait.

[94] La fonctionnaire a expliqué qu’elle avait toutefois tenté de prendre du recul à l’égard de la situation, afin de ne pas influencer M. Thivierge. Le dernier paragraphe de la justification précise que M. Thivierge confirme qu’il s’est assuré que l’action de dotation est effectuée de bonne foi, sans favoritisme. La fonctionnaire a expliqué que ce paragraphe a été ajouté par une représentante des Ressources humaines après que la fonctionnaire eut terminé de préparer la justification.

[95] La fonctionnaire a expliqué qu’elle n’a pas dévoilé son lien de parenté avec sa fille parce que la fonctionnaire était mal en point tant mentalement que physiquement. Elle craignait de perdre l’aide de sa fille si elle dévoilait leur lien de parenté.

[96] Le 12 janvier 2017, M. Thivierge a signé la justification écrite pour l’embauche de la fille de la fonctionnaire.

[97] En janvier 2017, la paye de la fonctionnaire a encore été coupée sans préavis. Elle a donc entrepris des démarches pour tenter d’obtenir des explications du centre de la paye. Comme elle était toujours dans une situation financière difficile en raison des lacunes identifiées avec sa paye entre le 1er avril et le 29 juin 2016, elle a affirmé que le stress de cette situation a grandement affecté sa santé mentale et sa santé physique.

[98] La fonctionnaire a ajouté que ses difficultés au travail étaient aussi importantes à ce moment-là. En particulier, elle a essuyé un fiasco lors d’une présentation dans le cadre d’une réunion concernant le budget « pour la période P10 ». Les choses allaient de mal en pis pour la fonctionnaire. Elle a expliqué que le stress et l’anxiété causés par sa situation financière et ses difficultés au travail l’avaient épuisée moralement et physiquement au point où ses proches avaient craint qu’elle fasse une tentative de suicide.

[99] La fonctionnaire a indiqué qu’en fait, le 27 mars 2017, à la suite d’une conversation téléphonique avec sa fille, cette dernière a communiqué avec le service de police par crainte que la fonctionnaire ne mette fin à sa vie. La fonctionnaire a été emmenée par ambulance à l’hôpital où elle est demeurée jusqu’au lendemain afin qu’un psychiatre évalue son état.

[100] Le 28 mars 2017, à la mi-journée, la fonctionnaire a reçu son congé de l’hôpital.

[101] Le lendemain, le 29 mars 2017, malgré sa fragilité, la fonctionnaire est retournée au travail, étant donné qu’il y avait beaucoup de travail à compléter pour la fin de l’année financière.

[102] Le vendredi 2 juin 2017, le lien de parenté entre la fonctionnaire et sa fille a été dévoilé. Ce jour-là, la fonctionnaire a expliqué qu’elle était en congé. Elle a reçu un appel de sa fille en matinée, après qu’une des subordonnées de la fonctionnaire ait laissé sous-entendre à la fille de la fonctionnaire qu’elle connaissait le lien de parenté qui unissait la fonctionnaire et sa fille. Sa fille a tout de suite téléphoné à la fonctionnaire pour l’informer de ce récent développement. La fonctionnaire a répondu à sa fille qu’elle allait elle-même immédiatement, dans le cadre d’un appel conférence avec M. Thivierge, reconnaître leur lien de parenté.

[103] Après avoir parlé à la fonctionnaire, la fille de cette dernière a rencontré M. Thivierge pour l’informer que la fonctionnaire désirait lui parler. M. Thivierge a répondu, qu’étant donné que la fonctionnaire était en congé, il conseillait que la conversation se tienne le lundi. La fille de la fonctionnaire a cependant averti M. Thivierge qu’une conversation était nécessaire le plus tôt possible, car il allait être informé d’un fait important qu’il ignorait. Puis, elle lui a dit qu’elle était la fille de la fonctionnaire.

[104] La fonctionnaire, ne pouvant plus supporter cette situation désespérée à partir de chez elle, s’est rendue, le jour même, au bureau pour rencontrer MM. Thivierge et Savard. La fonctionnaire a affirmé que M. Thivierge était furieux. Il regrettait de lui avoir fait confiance puisqu’ils étaient maintenant en présence d’un important conflit d’intérêts.

[105] Le dimanche 4 juin 2017, la fonctionnaire a fait parvenir un long courriel intitulé [traduction] « Conflit d’intérêts » et comportant ses excuses à M. Thivierge et à M. Savard. Elle souhaitait fournir une explication pour son geste. La fonctionnaire a affirmé à l’audience d’arbitrage devant moi que son courriel résultait d’un mélange d’émotions et de logique. L’employeur a pris cela pour sa déposition, sans lui permettre de faire une déposition formelle et réfléchie. Dans son courriel, la fonctionnaire reconnaissait qu’il était clair que sa décision de ne pas communiquer son lien de parenté avec sa fille à l’équipe de gestion avant l’embauche de sa fille avait été une erreur de jugement, une erreur qui avait été répétée par la suite. La raison en était très simple, elle savait au fond d’elle-même que l’équipe de gestion n’appuierait pas l’embauche de sa fille, et ce à juste titre. Toutefois, elle avait besoin de l’aide de sa fille. Elle a précisé à l’audience d’arbitrage devant moi, toutefois, que c’est son ex-conjoint qui lui a suggéré d’ajouter cet aveu (l’erreur de jugement) dans son courriel. Il ne s’agissait pas des mots propres de la fonctionnaire.

[106] Par la suite, M. Savard a pris en charge la supervision de l’équipe de la fonctionnaire pendant l’enquête disciplinaire. Le travail quotidien en ce qui concerne les finances est demeuré sous la direction de la fonctionnaire.

[107] La fonctionnaire a expliqué qu’elle a fait beaucoup de temps supplémentaire par la suite, car elle devait effectuer tout le travail sans le soutien de son équipe, à part l’appui de sa fille. En particulier, jusqu’au 19 juin 2017, la fonctionnaire et sa fille ont travaillé d’arrache-pied afin de finaliser les budgets stratégiques et de préparer la présentation de ceux-ci prévue le 19 juin. Cette présentation était destinée aux directeurs généraux et à la sous-ministre adjointe, Mme Boisjoly.

[108] Pendant le mois de juin 2017, M. Savard a aussi demandé l’aide de la fonctionnaire afin de doter un des postes AS-03 dans son équipe. La fonctionnaire a révisé les candidatures, participé au processus de sélection et fait une recommandation d’embauche.

[109] Entre-temps, M. Savard a invité la fonctionnaire à une audience disciplinaire le vendredi 16 juin 2017. Cette dernière a demandé que la date de l’audience disciplinaire soit repoussée à une date ultérieure au lundi 19 juin 2017, étant donné qu’elle devait présenter la planification budgétaire à la sous-ministre adjointe, Mme Boisjoly, à cette date. MM. Thivierge et Savard ont refusé d’accorder un report de la date du 16 juin 2017.

[110] Lors de l’audience disciplinaire, la fonctionnaire a soulevé sa dépression, son anxiété et sa dépendance comme facteurs atténuant son manque de jugement. MM. Thivierge et Savard ont répondu qu’aucun rapport ou document n’existait pour appuyer ces allégations. La fonctionnaire a répondu qu’en raison du refus de reporter la date de l’audience disciplinaire, elle n’avait pas eu le temps de réunir la documentation nécessaire. La fonctionnaire a aussi affirmé qu’elle ne connaissait pas la nature de l’audience disciplinaire à laquelle elle avait participé le 16 juin 2017 et qu’elle était confuse ce jour-là.

[111] Le lundi 19 juin 2017, la fonctionnaire, comme prévu, a présenté la planification budgétaire à Mme Boisjoly. Pour y arriver, la fonctionnaire et sa fille avaient travaillé toute la fin de semaine afin de finaliser les budgets stratégiques pour leur présentation. La fonctionnaire a précisé que la raison pour laquelle elle avait dû travailler toute la fin de semaine en prévision de cette présentation du lundi était que Mme Boisjoly avait donné des instructions spécifiques de dernière minute à la fonctionnaire au sujet de l’enveloppe des salaires. La fille de la fonctionnaire lui est donc venue en aide au cours de la fin de semaine.

[112] Puis, pendant la semaine du 3 juillet 2017, à la demande de M. Thivierge, la fonctionnaire a préparé un résumé des faits financiers importants pour 2016-2017 en vue d’une présentation lors de sa réunion avec Mme Boisjoly.

[113] Le 12 juillet 2017, à la suite de l’enquête disciplinaire, la gestion a informé la fonctionnaire qu’EDSC mettait fin à son emploi. Dans la lettre de congédiement remise à la fonctionnaire, Mme Boisjoly concluait que la fonctionnaire s’était placée en position de conflit d’intérêts réel en accordant un traitement de faveur à un membre de sa famille. Mme Boisjoly précisait que la fonctionnaire avait commis des dommages irréparables à la confiance que l’employeur est en droit d’avoir en elle, qui est à la base du contrat de travail entre un employé et son employeur. Il s’agissait d’une rupture définitive de la confiance que l’employeur est en droit d’avoir en elle. La fonctionnaire s’est effondrée. Elle n’avait pas anticipé une telle mesure disciplinaire. Elle a été escortée hors du bureau.

[114] La fonctionnaire a insisté sur le fait qu’elle était désespérée au moment d’embaucher sa fille; elle a essayé d’arranger les choses de façon immédiate et temporaire, sans penser aux conséquences de ses gestes. Elle n’a pas pensé à demander à ses collègues s’ils connaissaient une personne qualifiée qui accepterait un emploi occasionnel d’une durée de 3 à 6 mois. Elle a insisté sur le fait qu’elle n’avait volé personne, qu’elle n’avait tiré aucun gain personnel de cette situation; il s’agissait simplement d’une erreur de jugement.

[115] La fonctionnaire a aussi reconnu que ses problèmes de santé étaient intermittents de 2012 à 2016, et qu’elle n’avait rien dévoilé à M. Thivierge jusqu’à tard en 2016, car elle craignait que la confiance qu’il avait en elle en soit affectée. Aujourd’hui, a-t-elle affirmé, elle voit la gravité de son geste. À l’époque, son regard était voilé par la maladie. Selon elle, sa condition a fait en sorte qu’elle ne pouvait pas voir les conséquences de ses décisions. Elle s’est dite abasourdie par la manière dont cette mauvaise décision avait démoli sa carrière bâtie sur 20 ans. En définitive, a-t-elle expliqué, elle n’a pas dévoilé le lien de parenté qui l’unit à sa fille au moment de la prolongation du poste temporaire de cette dernière, puisque sa loyauté envers l’équipe de gestion avait pesé plus lourd dans la balance. Sans l’aide de sa fille, la fonctionnaire n’aurait pas pu travailler à cause de sa condition mentale, mais elle ne voulait pas laisser tomber l’équipe de gestion qui était responsable de dispenser l’information demandée. Donc, c’est par désarroi et pour ne pas nuire à l’équipe de gestion que la fonctionnaire a choisi de ne pas divulguer le lien de parenté qui l’unit à sa fille.

[116] Selon la fonctionnaire, malgré sa condition mentale, elle pourrait reprendre certaines fonctions dans la fonction publique. Elle ne pourrait plus supporter de stress. Elle ne pourrait donc pas réintégrer son ancien poste. Toutefois, elle pourrait occuper un poste au groupe et au niveau AS-05, dans la mesure où elle n’aurait qu’un seul budget à gérer.

[117] Le 3 août 2017, la fonctionnaire a présenté son grief concernant le licenciement.

[118] Avant l’audience du grief devant Mme Johnson, la représentante de la fonctionnaire a demandé qu’une personne autre que Mme Johnson, sous-ministre adjointe, Direction générale des ressources humaines, soit nommée pour décider le grief. La représentante de la fonctionnaire a présenté cette demande puisqu’un courriel de Mme Johnson, du 5 juillet 2017, démontrait que cette dernière avait été consultée lors du processus disciplinaire et qu’elle avait indiqué son appui pour une décision de licenciement. Cette demande a été refusée.

[119] Le 9 janvier 2018, avant l’audience du grief devant Mme Johnson, la représentante de la fonctionnaire a recommandé à cette dernière de ne pas assister à l’audience du grief à cause de sa fragilité émotionnelle. Sa représentante a écrit ce qui suit à la fonctionnaire : « Je sais que tu désires assister, sauf que j’ai des réserves, des inquiétudes et une responsabilité face à ton état de santé, qui fait que je ne veux pas que ceci soit la raison d’une autre crise d’anxiété. »

[120] La fonctionnaire a été informée par la suite que l’employeur voulait interroger son médecin. Au début, elle voulait coopérer, et elle a demandé à voir les questions que l’employeur avait pour son médecin.

[121] Le 22 janvier 2018, la représentante de la fonctionnaire a répondu à cette dernière que les questions de l’employeur étaient des questions « de midi à quatorze heures », du genre qui demandait quelle était l’expérience de la fonctionnaire en supervision. Sa représentante a recommandé à la fonctionnaire de refuser cette proposition, car il s’agissait, selon elle, de « questions pièges pour qu’ils trouvent une façon de se justifier davantage avec leur décision de mettre fin à [l’emploi de la fonctionnaire] ».

[122] La fonctionnaire a précisé qu’ultimement, elle ne jugeait pas cela utile de répondre aux questions de l’employeur, entre autres, puisqu’elle avait changé quatre fois de médecin entre-temps. Elle a expliqué qu’entre autres, son premier médecin était parti à la retraite et que le 2e médecin était en congé de maladie. Ainsi, son médecin actuel ne connaissait pas ses antécédents médicaux. De toute façon, selon elle, sa vie entière était décrite dans le cartable que sa représentante avait présenté à Mme Johnson et dont faisaient partie les documents qui avaient servi dans le traitement de ses problèmes de santé mentale de 2012 à 2016.

[123] Le 12 mars 2018, Mme Johnson a décidé le grief au palier final de la procédure de règlement des griefs. Elle a rejeté le grief de la fonctionnaire.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

  • [124] Selon l’employeur, il a démontré ce qui suit : 1) il y a eu inconduite de la part de la fonctionnaire; 2) la mesure disciplinaire de licenciement était appropriée; 3) il n’a pas violé la clause de l’élimination de la discrimination de la convention collective.

  • [125] Premièrement, l’employeur a fait valoir qu’il avait un motif valable d’imposer une mesure disciplinaire à la fonctionnaire pour le comportement reproché et que le congédiement n’était pas excessif dans les circonstances.

  • [126] La fonctionnaire occupait un poste au groupe et au niveau AS-05. Elle a été licenciée parce qu’elle s’était mise en situation de conflit d’intérêts et qu’elle avait contrevenu au Code d’EDSC, au Code du secteur public et à l’annexe B de la Politique. De son propre aveu du 4 juin 2017, elle n’a pas fait part de son lien de parenté avec sa fille à M. Thivierge, car elle savait qu’il n’aurait pas appuyé l’embauche de sa fille.

  • [127] Un conflit d’intérêts constitue une infraction très grave au sein de la fonction publique et une violation claire des deux codes. La fonctionnaire a utilisé son pouvoir en tant que gestionnaire pour avantager sa fille, ce qui constituait une claire violation des codes.

  • [128] Bien que la fonctionnaire avait offert un bon rendement au travail, qu’elle n’avait pas d’antécédent disciplinaire et qu’elle avait offert ses excuses pour le comportement qui lui était reproché, il ne demeure pas moins qu’il s’agit d’un conflit d’intérêts important, et que les codes et l’annexe B de la Politique doivent être appliqués. L’employeur a pris en considération le fait qu’elle a eu une longue carrière, et qu’elle a été cadre pendant une dizaine d’années. Toutefois, le fait d’être un cadre comporte aussi des attentes de niveau plus élevé.

  • [129] L’employeur a donc considéré comme facteur aggravant le fait que la fonctionnaire connaissait les codes. De plus, bien qu’elle ait exprimé certains remords, elle a précisé qu’elle n’avait pas l’intention de divulguer son lien de parenté avec sa fille, et que, n’eut été de la dénonciation, elle n’aurait jamais dévoilé ce lien, puisqu’elle ne voulait pas perdre l’aide de sa fille. De plus, elle a, à plusieurs reprises, menti ou caché la vérité. C’était le cas lorsqu’elle a confirmé, dans sa déclaration signée le 22 décembre 2016, qu’elle n’était pas apparentée à la candidate pour l’emploi occasionnel. C’était le cas, aussi, lorsqu’elle a préparé la justification pour l’embauche de sa fille au poste pour une période déterminée et qu’elle a caché que la candidate qu’elle avait évaluée était sa fille.

  • [130] L’employeur a souligné que le Code du secteur public énonce les valeurs de la fonction publique et qu’il comporte des mesures pour le traitement de cas de conflit d’intérêts. De même, le Code d’EDSC définit ce qu’est la valeur d’intégrité. Il s’agit de la pierre angulaire de la bonne gouvernance et de la démocratie. L’employeur a fait valoir que la fonctionnaire a enfreint le comportement attendu au point ii) de ce code sous « c) Intégrité », qui se lit comme suit :

Les fonctionnaires servent l’intérêt public :

[...]

ii) ils n’utilisent jamais leur rôle officiel en vue d’obtenir de façon inappropriée un avantage pour eux-mêmes ou autrui ou en vue de nuire à quelqu’un.

  • § Vous ne devez pas vous servir de votre poste ou de votre titre pour exercer une influence sur la façon dont les autres vous traitent et traitent votre famille, vos amis ou n’importe qui d’autre. Par exemple, vous accordez un traitement préférentiel si vous fournissez à quelqu’un des renseignements qui ne sont pas accessibles publiquement.

  • § Si vous participez au processus décisionnel dans le cadre d’une mesure de dotation, vous ne pouvez pas aider des membres de votre famille ou des amis qui postulent pour [sic] cet emploi. Dans une telle situation, il peut s’avérer nécessaire de vous retirer du processus de recrutement du Ministère.

  • § Vous ne pouvez pas utiliser votre titre officiel pour obtenir des avantages personnels, ni pour d’autres personnes, comme des membres de votre famille ou des amis. Vous ne devez jamais vous présenter comme représentant officiel du gouvernement dans le cadre de vos activités personnelles, comme lorsque vous êtes en vacances à l’hôtel, en vue d’obtenir un avantage.

  • § Vous pouvez profiter de situations où une entreprise ou une organisation (p. ex. un centre de conditionnement physique ou une compagnie d’assurance-automobile) offre un rabais à tous les employés du gouvernement. Vous pouvez utiliser votre titre de fonctionnaire pour bénéficier d’un rabais quand :

  • - il n’y a aucun conflit d’intérêts réel, apparent ou potentiel qui affecte votre objectivité dans l’exécution de vos fonctions officielles;

  • - il n’y a aucune attente de la part de l’entreprise ou de l’organisation qu’elle obtiendra de vous quelque chose en retour.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

  • [131] Selon ces dispositions, il n’était pas permis à la fonctionnaire de recommander l’embauche de sa fille pour un emploi occasionnel, ainsi que pour un emploi non annoncé pour une période déterminée, et ce, sans dévoiler leur lien de parenté. La fonctionnaire aurait dû se retirer du processus de dotation.

  • [132] L’employeur a aussi porté à mon attention les comportements attendus aux paragraphes 3.2 et 3.3 du Code du secteur public qui énoncent sous la valeur « Intégrité », ce qui suit :

[...]

3. Intégrité

  • o Les fonctionnaires servent l’intérêt public.

[...]

  • o 3.2.Ils n’utilisent jamais leur rôle officiel en vue d’obtenir de façon inappropriée un avantage pour eux-mêmes ou autrui ou en vue de nuire à quelqu’un.

  • o 3.3Ils prennent toutes les mesures possibles pour prévenir et résoudre, dans l’intérêt public, tout conflit d’intérêts réel, apparent ou potentiel entre leurs responsabilités officielles et leurs affaires personnelles.

[...]

 

  • [133] L’employeur a de même porté à mon attention la section 2.5 de l’annexe B de la Politique. Cette section énonce la façon selon laquelle un fonctionnaire doit éviter tout traitement de faveur.

  • [134] En s’appuyant sur Gannon c. Conseil du Trésor (Défense nationale), 2002 CRTFP 32 (« Gannon (2002) »), l’employeur a fait valoir qu’un employeur n’est pas tenu d’adopter une politique sur le bon sens, ni d’inculquer du bon sens à ses fonctionnaires. Le paragraphe 127 se lit comme suit :

[127] Le bon sens implique qu’envoyer et recevoir au travail des messages à caractère extrêmement privé, voire intime, n’est pas acceptable, et l’employeur n’est pas tenu d’adopter une politique sur le bon sens, ni d’inculquer du bon sens à ses fonctionnaires.

 

  • [135] L’employeur a aussi porté à mon attention certains passages de certaines autres décisions. Ces décisions incluent notamment McIntyre c. Conseil du Trésor (Revenu Canada - Douanes et Accise), dossier de la CRTFP 166-02-25417 (19940718). Dans cette affaire, qui aborde aussi les conflits d’intérêts, un arbitre de grief a énoncé ce qui suit à la page 23 :

[...]

L’employé a la responsabilité de s’assurer qu’un conflit d’intérêts ne survienne pas. M. McIntyre n’a pas fait face à cette responsabilité, que ce soit à l’égard des entreprises de son beau-frère ou de l’une de ses propres sociétés. Il a clairement enfreint le Code de conduite de son employeur ainsi que le Code régissant les conflits d’intérêts. D’après le gros des preuves et des arguments présentés, je dois en conclure que les infractions du fonctionnaire s’estimant lésé justifient sa cessation d’emploi [...]

[...]

 

  • [136] En somme, selon l’employeur, le conflit d’intérêts dans lequel la fonctionnaire s’est placée constitue une inconduite extrêmement grave dans le présent cas, d’autant plus que la fonctionnaire était une superviseuse.

  • [137] Deuxièmement, l’employeur a fait valoir que, compte tenu de la gravité de l’inconduite, la mesure disciplinaire était raisonnable. Il a prétendu que la Commission ne devait intervenir pour modifier la mesure disciplinaire que si celle-ci était excessive. Or, selon lui, la mesure disciplinaire est proportionnelle à la gravité du geste.

  • [138] Mme Boisjoly a énoncé les facteurs aggravants, de même que les facteurs atténuants, qu’elle a examinés avant de choisir le licenciement comme étant la mesure qu’elle considérait la plus appropriée.

  • [139] L’employeur a souligné que, dans leur ouvrage intitulé Canadian Labour Arbitration, les auteurs Brown et Beatty affirment qu’un employeur doit décider si l’employé est réhabilitable. L’employeur a énoncé que la décision Brazeau c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62, au par. 180, aide à prendre cette décision :

[180] Brown et Beatty traitent comme suit du potentiel de réadaptation et de la méthode corrective :

[Traduction]

La question capitale que doivent se poser les arbitres qui recourent à une approche corrective est celle de la capacité du fonctionnaire s’estimant lésé de se conformer à des normes de comportement acceptables à l’avenir. Pour pouvoir répondre à la question, il faut évaluer la capacité et la volonté du fonctionnaire s’estimant lésé de s’amender et de se réadapter pour qu’il soit possible de rétablir une relation d’emploi satisfaisante. En un mot, il incombe à l’arbitre de décider si la personne est « récupérable ». À ce propos, comme l’a signalé un arbitre, l’aide-mémoire des facteurs atténuants « ne représente que les circonstances générales de considérations également générales qui déterminent le potentiel qu’a l’employé d’avoir un comportement acceptable à l’avenir », ce qui est le fond même de l’ensemble de l’approche corrective de la discipline.

Lorsqu’ils évaluent la possibilité qu’une relation d’emploi durable soit rétablie, les arbitres accordent énormément de poids aux excuses sincères que l’employé aurait offertes ou à l’authentique remords qu’il aurait exprimé. Il est supposé que les employés dont c’est le cas ont reconnu le caractère inacceptable de leur comportement et seront vraisemblablement capables de répondre aux attentes légitimes de l’employeur.

 

[140] Dans le présent cas, l’employeur a fait valoir qu’il ne pouvait pas conclure que la fonctionnaire avait le potentiel d’avoir un comportement acceptable à l’avenir. Plus particulièrement, le 4 juin 2017, la fonctionnaire a reconnu dans son courriel d’excuses, qu’elle avait fait une erreur de jugement. Toutefois, elle a précisé dans son courriel que, bien qu’il s’agissait d’un comportement interdit, elle avait choisi de maintenir le secret sur le lien de parenté qui l’unit à sa fille puisqu’elle savait que l’équipe de gestion n’autoriserait pas l’embauche de sa fille. Plus tard, à l’audience d’arbitrage devant moi, la fonctionnaire a affirmé que cet aveu dans son courriel ne venait pas d’elle, que c’était son ex-conjoint qui lui avait fait ajouter cette phrase et qu’elle n’était pas d’accord avec cet « énoncé » (c’est--à-dire, cet aveu). Donc, essentiellement, elle nie que son comportement était inadmissible. Selon l’employeur, cela jette un doute sur la sincérité des remords qu’elle a exprimés.

[141] L’employeur a maintenu que la fonctionnaire avait irrémédiablement perdu la confiance que l’employeur est en droit d’avoir en elle. Ainsi, la mesure disciplinaire imposée était appropriée selon l’employeur.

[142] Troisièmement, l’employeur a fait valoir qu’il n’existait pas de lien de causalité entre la condition médicale de la plaignante et le comportement qui lui est reproché. Dans son témoignage, la fonctionnaire n’a pas affirmé avoir communiqué à son employeur au moment des faits que ses erreurs de jugement étaient la conséquence de sa condition médicale. De plus, aucun rapport médical ni aucune preuve claire et convaincante n’a jamais établi un tel lien.

  • [143] Plus précisément, la fonctionnaire n’a pas présenté cette défense à l’employeur au moment des faits. Ce n’est qu’à l’audience du grief devant Mme Johnson que la fonctionnaire a, pour la première fois, allégué que ses erreurs de jugement étaient la conséquence d’une condition médicale. C’est à ce moment-là qu’elle a présenté à l’employeur des rapports médicaux établissant qu’elle avait souffert de dépression et de dépendance entre 2012 et 2016, une période qui précédait son embauche chez EDSC. Ces rapports médicaux, toutefois, ne précisaient pas s’il existait un lien de causalité entre son état de santé au moment des faits et le comportement qui lui était reproché.

  • [144] L’employeur a ajouté qu’il n’avait aucune raison de douter des capacités de la fonctionnaire chaque fois qu’elle recommandait l’embauche de sa fille sans dévoiler leur lien de parenté. Elle n’avait pas de problème de rendement, elle performait bien et elle était fiable.

  • [145] Bien que MM. Thivierge et Savard étaient réceptifs aux demandes de la fonctionnaire lorsque celle-ci demandait des congés pour pallier ses difficultés personnelles, ils ne connaissaient pas l’étendue de ses problèmes personnels et de ses problèmes de santé. Par exemple, lorsque la fonctionnaire s’est séparée de son conjoint et qu’elle a entrepris de vendre sa maison, M. Thivierge lui a accordé les congés qu’elle avait demandés pour faciliter les visites de sa maison. Puis, lorsqu’elle a demandé un congé pour participer à des séances en groupe concernant un problème lié à son état dépressif, MM. Thivierge et Savard lui ont accordé des congés afin de lui permettre de participer à des rencontres de groupe.

  • [146] L’employeur a ajouté qu’il avait fait tout ce qui lui était possible de faire pour appuyer la fonctionnaire dans le cadre de son travail. Or, jamais la fonctionnaire ne lui a communiqué qu’elle souffrait d’une condition qui pouvait affecter son jugement. Au contraire, elle était fiable, efficace et professionnelle dans ses fonctions. Elle gérait des budgets importants et cela de façon efficace.

  • [147] Ainsi, ce n’est que plus tard, à l’audience du grief devant Mme Johnson, que la fonctionnaire a soulevé la possibilité que sa condition médicale avait influencé son jugement au moment des faits qui lui étaient reprochés. L’employeur a alors accepté d’envisager cette possibilité, dans la mesure où une preuve appuyait les dires de la fonctionnaire. Il a donc proposé à la fonctionnaire qu’elle transmette des questions spécifiques à son médecin afin que ce dernier puisse préciser s’il existait un lien causal entre sa condition médicale et la conduite qu’on lui reproche. Ces questions étaient nécessaires puisque les rapports médicaux antérieurs qu’elle avait portés à l’attention de l’employeur à l’audience du grief n’étaient pas récents et dataient d’avant l’embauche de la fonctionnaire à EDSC (entre 2012 et début 2016). L’employeur ne connaissait donc pas quel était l’impact de la condition médicale de la fonctionnaire sur le jugement de cette dernière.

  • [148] L’employeur s’est appuyé sur des décisions pour justifier sa position.

  • [149] Dans Peterson c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 29 (« Peterson »), la Commission a précisé qu’il n’incombait pas à un employeur de prouver ou de réfuter l’existence de la défense médicale. Le fonctionnaire s’estimant lésé avait le fardeau de prouver une telle défense.

  • [150] Selon l’employeur, dans le présent cas (comme c’était aussi le cas dans Peterson) la fonctionnaire a omis d’établir l’existence d’un diagnostic ou d’une preuve claire et convaincante lié à son état qui aurait été rétroactif à la période de la conduite qu’on lui reproche. Elle a omis de présenter une telle preuve devant l’employeur et à l’audience d’arbitrage devant moi. Ainsi, l’employeur n’était pas au courant de l’existence d’un lien entre l’état de santé de la fonctionnaire et la conduite qu’on reproche à cette dernière, et il ne pouvait pas considérer ces faits en tant que facteurs atténuants. Dans Peterson, la Commission a énoncé ce qui suit au par. 126 :

[126] Comme l’a précisée la Cour suprême du Canada dans Cie minière, au par. 13 :

13 [...] un arbitre peut se fonder sur une telle preuve [l’existence de la défense médicale], mais seulement lorsqu’elle est pertinente relativement à la question dont il est saisi. En d’autres termes, une telle preuve ne sera admissible que si elle aide à clarifier si le congédiement en question était raisonnable et approprié au moment où il a été ordonné. Par conséquent, dès qu’un arbitre conclut que la décision de la compagnie de congédier un employé était justifiée au moment où elle a été prise, il ne peut plus annuler le congédiement pour le seul motif que des événements subséquents rendent, à son avis, cette annulation juste et équitable. [...]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

  • [151] L’employeur a souligné que, puisqu’il n’y a pas de lien ou une relation de causalité entre la condition médicale de la fonctionnaire et la conduite qu’on reproche à cette dernière, la fonctionnaire n’a pas établi de défense médicale. C’est ce que la Commission a aussi énoncé dans Shandera c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 26, au par. 349 :

[349] J’ai soigneusement étudié la jurisprudence présentée par l’employeur et j’ai conclu que, peu importe le critère appliqué aux circonstances de l’espèce, le fonctionnaire n’a pas établi de défense médicale, puisqu’il n’y a pas de lien ou d’une [sic] relation de causalité entre son affection et l’inconduite. En l’absence de lien, clairement, il n’y a pas eu de déplacement de la responsabilité du fonctionnaire pour rendre sa conduite moins coupable.

 

  • [152] L’employeur a ajouté que la fonctionnaire connaissait la différence entre le bien et le mal, et qu’elle comprenait ce qu’elle faisait, comme c’était le cas dans Chatfield c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 2. Dans cette affaire, l’arbitre de grief a énoncé ce qui suit au par. 57 :

[57] Comme l’a mentionné l’ancienne Commission dans Casey c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2005 CRTFP 46, aux par. 190 et 191, on ne peut conclure qu’une déficience comme l’alcoolisme a une incidence quelconque sur une inconduite grave en l’absence d’une preuve en ce sens. La seule conclusion qui peut être tirée dans de telles circonstances est que l’employé [sic] [traduction] « connaissait la différence entre le bien et le mal » et comprenait ce qu’elle faisait, notamment compte tenu du fait que la fonctionnaire a dit qu’elle avait cessé sa [traduction] « consommation excessive d’alcool » à la mi-janvier 2012.

 

  • [153] L’employeur a mis beaucoup d’accent sur le fait que la fonctionnaire avait omis de lui présenter une preuve claire et convaincante, par exemple, provenant d’un praticien qualifié, pour établir que les médicaments qu’elle prenait ou sa condition médicale pouvaient affecter son état d’esprit au point où elle devrait être dispensée de toute responsabilité pour ses actes. Ainsi, selon l’employeur, je ne devrais pas accorder beaucoup de poids à la défense de la fonctionnaire selon laquelle elle ne devrait pas être tenue responsable de la conduite qu’on lui reproche. C’est aussi ce que la Commission a conclu dans Gauthier c. Agence du revenu du Canada, 2017 CRTEFP 57, au par. 85 :

[85] Je ne suis pas disposé à accorder beaucoup de poids aux explications de la fonctionnaire selon lesquelles ses analgésiques affectaient son jugement et justifiaient ses actes. Aucune preuve provenant d’un praticien qualifié n’a été présentée pour établir que les médicaments qu’elle prenait pouvaient affecter son état d’esprit au point où elle devrait être dispensée de toute responsabilité de ses actes.

 

  • [154] L’employeur a insisté sur le fait que le lien entre une dépendance et le traitement préjudiciable ne peut être tenu pour acquis; il doit nécessairement reposer sur une preuve. En appui à cet argument, il a porté à mon attention Stewart c. Elk Valley Coal Corp., 2017 CSC 30. La Cour suprême du Canada a énoncé ce qui suit au par. 39 :

39 On ne saurait présumer que la dépendance de M. Stewart a réduit sa capacité de respecter la Politique. Dans certains cas, la personne souffrant d’une dépendance est tout à fait en mesure de respecter les règles en milieu de travail. Dans d’autres, la dépendance prive effectivement une personne de la capacité de les respecter, et la violation de la règle est alors inextricablement liée à la dépendance. Bien des cas peuvent se situer entre ces deux extrêmes. Le point de savoir si une caractéristique protégée est ou non un facteur de l’effet préjudiciable dépend des faits et doit être évalué au cas par cas. Le lien entre une dépendance et le traitement préjudiciable ne peut être tenu pour acquis; il doit reposer sur une preuve : Health Employers Assn. of British Columbia c. B.C.N.U., 2006 BCCA 57, 54 B.C.L.R. (4th) 113, par. 41.

 

  • [155] L’employeur a aussi porté à mon attention Aujla c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 38. Dans cette affaire, il est mentionné que l’on ne pouvait pas présumer qu’une dépendance réduit la capacité d’un employé à se conformer aux règles du lieu de travail. Le fardeau imposé à un employé qui cherche à établir un lien entre sa déficience et l’effet préjudiciable allégué pèse sur ses épaules. La Commission a écrit ce qui suit aux paragraphes 112 et 113 :

[112] Dans Stewart c. Elk Valley Coal Corp., [2017] 1 RCS 591(« Elk Valley »), le non-respect de la politique de la société en matière de drogues a entraîné le licenciement de l’employé. La Cour suprême du Canada a rejeté l’argument selon lequel la dépendance de l’employé était un facteur de licenciement. Au paragraphe 39, la Cour a conclu que l’on ne pouvait pas présumer qu’une dépendance réduit la capacité d’un employé à se conformer aux règles du lieu de travail. Cette affaire alourdit le fardeau imposé à un employé qui cherche à établir un lien entre son invalidité et l’effet préjudiciable allégué.

[113] On ne peut pas présumer que, parce que le fonctionnaire souffre d’un trouble de toxicomanie, le lien est automatique. Il n’existe aucune preuve que l’employeur était même au courant de son invalidité. L’employeur n’a jamais été informé qu’il avait ce trouble. En réalité, il a nié à plusieurs reprises qu’il consommait de la cocaïne. De plus, même s’il souffre d’un tel trouble, rien ne permet d’établir un lien avec son licenciement. Rien ne prouve qu’il n’avait pas la capacité de faire des choix rationnels ou qu’il n’avait pas la capacité de suivre la politique de l’employeur. La Dre Jack a affirmé qu’il savait faire la distinction entre le bien et le mal. Il a déclaré qu’il savait que la consommation de cocaïne était une erreur. Il a dit à la Dre Jack qu’il craignait pour son travail. Par conséquent, il n’y a aucune preuve prima facie de discrimination.

 

  • [156] Dans le présent cas, l’employeur reconnaît qu’il avait le devoir de se renseigner au sujet de l’incapacité alléguée par la fonctionnaire, ce qu’il a tenté de faire. Toutefois, la fonctionnaire ne lui a communiqué aucune preuve claire et convaincante d’un lien causal entre sa condition médicale et la conduite qu’on lui reproche.

[157] De plus, l’employeur a désiré répondre à l’affirmation de la fonctionnaire selon laquelle elle ne connaissait pas la nature de l’audience disciplinaire à laquelle elle avait participé le 16 juin 2017. L’employeur n’est pas d’accord avec cette affirmation. Il a déposé en preuve un courriel qui avait été envoyé à la fonctionnaire le 12 juin 2017. Dans ce courriel, M. Savard informait la fonctionnaire qu’elle allait recevoir une invitation pour une audience disciplinaire pour qu’elle ait « la chance de [s]’expliquer formellement ». Il ajoutait qu’elle pouvait être accompagnée d’un représentant syndical. Les dates du 15 et 16 juin étaient suggérées à moins « de tout inconvénient majeur ».

[158] Pour ces raisons, l’employeur a fait valoir que la fonctionnaire n’avait pas établi que sa condition médicale l’empêchait de se conformer aux deux codes et à l’annexe B de la Politique.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

[159] La fonctionnaire a fait valoir qu’elle reconnaît que l’employeur avait un motif valable de lui imposer une mesure disciplinaire pour le comportement qu’il lui reprochait. Cependant, le congédiement était excessif dans les circonstances. L’employeur n’a pas accordé suffisamment de poids aux facteurs atténuants.

[160] Premièrement, au sujet de la conduite qu’on lui reproche, la fonctionnaire ne conteste pas qu’elle a enfreint certaines dispositions des codes et de l’annexe B de la Politique. Toutefois, selon elle, tel qu’il a été mentionné, l’employeur n’a pas tenu compte des circonstances atténuantes.

[161] La fonctionnaire a fait valoir que son rendement au travail dans la fonction publique depuis 1997 était excellent. Toutefois, elle souffrait régulièrement d’épisodes de dépression. Son état s’était progressivement détérioré au travail en 2016 et en 2017. À cause de sa condition, elle était incapable de percevoir les conséquences de ses décisions.

[162] Deuxièmement, en ce qui concerne la mesure disciplinaire qui est la plus appropriée dans le présent cas, la fonctionnaire a fait valoir que l’employeur n’avait pas accordé suffisamment de poids aux facteurs atténuants. Les facteurs atténuants que l’employeur devait prendre en considération comprenaient le fait qu’elle avait 20 ans de service dans la fonction publique. Comme M. Thivierge l’a noté, les références de la fonctionnaire en 2016 précisaient entre autres qu’elle avait un excellent jugement, qu’elle était bien organisée et qu’elle avait un bon contrôle de ses dossiers. Elle a ajouté que, pendant 19 ans, elle était donc une employée performante qui avait un bon jugement. Comment expliquer, dans les circonstances, qu’elle avait fait preuve d’un fort mauvais jugement en 2016 et 2017? C’était d’une part, a-t-elle affirmé, à cause du médicament qu’elle prenait, et dont elle a finalement pu se sevrer en novembre 2016, et d’autre part, parce qu’à cette époque, elle éprouvait un profond désarroi personnellement et professionnellement à cause de son état dépressif. À cause de ce désarroi, la fonctionnaire a avancé qu’elle n’arrivait pas à accomplir toutes les tâches qu’elle devait accomplir au travail et, découragée et à bout de force, elle a demandé de l’aide à sa fille.

[163] La fonctionnaire a fait valoir que les trois témoins de l’employeur avaient tous confirmé qu’en choisissant de la licencier, ils n’avaient accordé aucun poids à sa condition médicale. Toutefois, son employeur savait depuis l’automne 2016 qu’elle souffrait d’une condition médicale. À ce moment, elle était en dépression et consultait pour une dépendance aux jeux d’argent. En mars 2017, elle a aussi subi une rechute. Selon elle, l’employeur avait le devoir de lui poser à cette époque-là des questions afin de vérifier si son manque de jugement était lié à sa condition médicale.

[164] La fonctionnaire a fait valoir que plusieurs indices montraient que ça n’allait pas dans sa vie. À son arrivée dans son poste, il y a eu la rupture de sa vie de couple après plus de 20 ans de mariage. De plus, selon elle, son état dépressif nuisait à sa façon de penser et sa mémoire était affectée. Elle a demandé à M. Thivierge l’autorisation d’assister à des thérapies de groupe à la fin de 2016. Elle s’est absentée en janvier et en février 2017 pour un congé de maladie. Dès janvier 2017, elle a aussi eu des difficultés avec sa paye, et ses questions relativement au système de paye Phénix ne recevaient pas de réponses. Je note cependant que la fonctionnaire n’a pas déposé de preuve à ce sujet. Elle a affirmé qu’elle était laissée pour compte. Compte tenu de toutes ces difficultés, elle a dit avoir subi un autre épisode de dépression et elle s’est retrouvée à l’hôpital en mars 2017. En avril 2017, elle a présenté une demande de congé pour suivre une thérapie. Puis, le dimanche 4 juin 2017, elle a exprimé tout son désespoir dans le courriel qu’elle a envoyé à ses superviseurs.

[165] La fonctionnaire a fait valoir qu’en sachant tout cela, l’employeur aurait dû prendre en considération le fait que son jugement pouvait avoir été affecté par sa condition. En plus, la fonctionnaire a fourni des informations médicales à l’employeur à l’audience du grief devant Mme Johnson.

[166] Selon la fonctionnaire, la confiance que l’employeur est en droit d’avoir en elle pouvait être rétablie. Toutefois, l’employeur n’a pas réellement examiné cette possibilité. Plutôt, la décision de l’employeur était uniquement basée sur la sévérité de la conduite qu’il reproche à la fonctionnaire, ou de la gravité de l’erreur de cette dernière.

[167] Plus particulièrement, la fonctionnaire a fait valoir que, si la confiance que l’employeur est en droit d’avoir en elle était réellement rompue, l’employeur ne lui aurait pas permis ou demandé qu’elle fasse des heures supplémentaires afin de préparer une présentation stratégique pour le 19 juin 2017 destinée à Mme Boisjoly. Plutôt, si la confiance que l’employeur est en droit d’avoir en la fonctionnaire était réellement affectée, l’employeur aurait suspendu cette dernière en attendant qu’il prenne sa décision au sujet de la mesure disciplinaire appropriée.

[168] La fonctionnaire a insisté qu’elle est logique lorsqu’elle est dans un état normal. C’est parce qu’elle était malade qu’elle avait fait preuve d’un mauvais jugement.

[169] La fonctionnaire a porté à mon attention Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24 (« Basra »), au par. 24. Dans cette affaire, apprenant directement du procureur de la Couronne que des accusations au criminel avaient été déposées contre l’appelant pour des événements survenus 18 mois plus tôt, l’employeur a suspendu l’appelant sans traitement pour une période indéfinie en attendant les résultats d’une enquête. Cette décision a été maintenue à plusieurs reprises et l’appelant a contesté sa suspension sans solde au motif qu’il s’agissait d’une mesure disciplinaire.

[170] Selon la fonctionnaire, dans le présent cas, elle aurait été suspendue, comme M. Basra l’a été, sans salaire si la confiance de l’employeur à son égard s’était détériorée de façon drastique. Au contraire, elle n’a pas été suspendue et l’employeur lui a fait confiance dans la présentation des budgets à Mme Boisjoly.

[171] La fonctionnaire a aussi porté à mon attention Da Cunha c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossier de la CRTFP 166-02-24725 (19931108). Dans cette affaire, le fonctionnaire s’estimant lésé était un conseiller en matière d’immigration. Il a été démis de ses fonctions pour être intervenu dans des affaires d’immigration impliquant des membres de sa famille. Le fonctionnaire s’estimant lésé avait envoyé des messages au bureau des visas de New Delhi, en Inde, concernant les demandes de son neveu et de la conjointe de son neveu, en utilisant la papeterie et l’équipement de télécommunications du gouvernement. Le fonctionnaire s’estimant lésé avait également traité son propre engagement de parrainage et l’avait approuvé. De plus, il n’avait pas vérifié pour voir si les droits appropriés avaient été payés à New Delhi. Ces actions étaient en violation du Code régissant les conflits d’intérêts et l’après-mandat s’appliquant à la fonction publique. D’une part, l’arbitre de grief dans Da Cunha n’était pas convaincue que le fonctionnaire s’estimant lésé appréciait vraiment la gravité de ses actes. D’autre part, elle a décidé que le licenciement était non justifié compte tenu du dossier du fonctionnaire s’estimant lésé; le fonctionnaire s’estimant lésé comptait 11 ans sans aucune mesure disciplinaire et il avait des lettres de recommandation. L’arbitre de grief avait également noté que le retard de 11 mois dans l’enquête était disproportionné. Ainsi, l’employeur ne semblait pas avoir perdu confiance dans les capacités du fonctionnaire s’estimant lésé. Ce dernier a été réintégré dans ses fonctions.

[172] La fonctionnaire a donc fait valoir que, si dans Da Cunha la confiance que l’employeur du fonctionnaire s’estimant lésé était en droit d’avoir en ce dernier pouvait être rétablie, la confiance que l’employeur dans la présente affaire est en droit d’avoir en la fonctionnaire peut aussi l’être.

[173] La fonctionnaire a aussi fait valoir que, dans leur ouvrage intitulé Canadian Labour Arbitration, les auteurs Brown et Beatty précisent au paragraphe 7:4424, au sujet de l’état d’esprit d’un employé, qu’une circonstance atténuante étroitement liée à la capacité de cet employé de modifier son comportement est l’intention et l’état d’esprit de l’employé au moment de la conduite reprochée. Selon cet extrait, une faute préméditée ou persistante est toujours considérée comme plus répréhensible qu’une défaillance momentanée et qu’une absence d’intention malveillante. Selon les auteurs, cela est particulièrement vrai lorsqu’il est allégué qu’un employé a agi frauduleusement, ou a abusé de l’autorité de son employeur ou a contesté cette autorité.

[174] Inversement, selon MM. Brown et Beatty, lorsque la faute d’un employé découle d’une erreur raisonnable et de bonne foi, de problèmes domestiques et émotionnels, d’une condition médicale, d’ordres erronés d’un supérieur, d’alcool ou de drogues, d’une habitude de jeu ou d’une provocation de la part de clients ou d’autres employés, les arbitres de grief ont, pour ces raisons et pour des raisons analogues, modifié la mesure disciplinaire imposée.

[175] MM. Brown et Beatty concluent que, lorsque l’état d’esprit d’un employé présente des caractéristiques à la fois répréhensibles et irréprochables et que cet état d’esprit soulève des considérations disciplinaires et d’autres considérations relatives aux droits de la personne, les arbitres de grief ont tenté de trouver un équilibre entre les deux. Toutefois, et quelle que soit l’approche adoptée, l’issue de ces affaires est fortement influencée par le degré de dépendance ou de détresse, et par la mesure dans laquelle l’employé en question a pu agir intentionnellement et contrôler son propre comportement.

[176] Dans le présent cas, la fonctionnaire a fait valoir que la preuve avait démontré l’absence d’une intention malveillante de sa part, que la fonctionnaire avait été fortement influencée par sa détresse psychologique qui résultait de sa condition médicale, et que, dans les circonstances, le licenciement était non justifié compte tenu du dossier de la fonctionnaire.

[177] Troisièmement, selon la fonctionnaire, la preuve a démontré qu’il y a eu discrimination. Les témoins de l’employeur ont témoigné qu’ils n’avaient été informés qu’à l’automne 2016 des problèmes de santé de la fonctionnaire. Selon cette dernière, l’employeur a plutôt choisi de fermer les yeux sur des signes de détresse évidents, notamment les nombreux congés de maladie qu’elle avait demandés. Selon elle, la conduite qu’on lui reproche valait sans doute une mesure disciplinaire, mais moindre que le licenciement.

[178] De même, la fonctionnaire a fait valoir que, le 16 juin 2017, pendant l’audience disciplinaire, elle était confuse. Sa demande de report de l’audience disciplinaire avait été refusée. Elle était débordée de travail et stressée à cause de la présentation stratégique des budgets qu’elle devait faire le lundi 19 juin 2017. Elle n’a donc pas été en mesure de bien présenter sa position à cette audience.

[179] La fonctionnaire a aussi porté à mon attention Douglas c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines Canada), 2004 CRTFP 60 (« Douglas »). Dans cette affaire, la fonctionnaire s’estimant lésée a été licenciée lorsqu’une enquête a révélé qu’elle avait participé au traitement de la demande de son ami de cœur, avec qui elle vivait au moment de la présentation de la demande de prestation de développement des compétences. L’employeur de la fonctionnaire s’estimant lésée a conclu qu’elle avait accordé un traitement de faveur à un membre du public qu’elle connaissait, qu’elle s’était placée en situation de conflit d'intérêts, qu’elle avait communiqué des renseignements confidentiels à cette personne, qu’elle avait falsifié des documents, qu’elle avait tenté d’obtenir de manière frauduleuse un avantage lié à l’emploi pour ladite personne, et qu’elle avait menti à son chef d’équipe et avait accédé à des renseignements confidentiels à des fins personnelles. La fonctionnaire s’estimant lésée attribuait ses gestes au fait qu'elle souffrait de trouble bipolaire et qu’elle était en proie à un épisode hypomaniaque, au moment de l’incident.

[180] L’arbitre de grief a conclu que l’employeur avait établi la conduite qu’il reprochait à la fonctionnaire s’estimant lésée. Au sujet de la défense de nature médicale, l’arbitre de grief a statué que la maladie de la fonctionnaire s’estimant lésée avait contribué à ce que cette dernière prenne des décisions impulsives. L’arbitre de grief était convaincu que la maladie de la fonctionnaire s’estimant lésée avait influencé le jugement de cette dernière au point de ne plus distinguer le bien du mal, de ne pas comprendre qu’elle commettait une fraude et qu’elle violait les politiques ministérielles et le code régissant les conflits d’intérêts. Pour en arriver à cette conclusion, il s’est fondé essentiellement sur la prépondérance des probabilités. Au sujet de la défense de nature médicale, l’arbitre de grief l’a rejetée, mais il a énoncé ce qui suit au paragraphe 116 :

[116] Je suis d’avis que la maladie de la fonctionnaire s’estimant lésée a contribué à lui faire prendre des décisions impulsives, comme le fait de mener la grande vie, d’acheter un camion de 20 000 $ et d’amorcer une relation avec M. « S ». Toutefois, selon la prépondérance des probabilités, je ne suis pas convaincu que sa maladie a influencé son jugement au point de ne pas comprendre qu’elle commettait une fraude et qu’elle violait les politiques ministérielles.

 

[181] L’arbitre de grief a donc conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée avait mal agi et que ses infractions étaient très graves, car elle occupait un poste de confiance et elle travaillait avec une supervision minimale. Cependant, il a conclu que les actes commis n’étaient qu’une unique et complexe indiscrétion. Il a retenu que la fonctionnaire s’estimant lésée travaillait depuis 20 ans et qu’elle avait un bon dossier professionnel ne contenant aucune infraction, qu’elle avait admis avoir réservé un traitement préférentiel et qu’elle s’était placée en situation de conflit d’intérêts. En bout de ligne, la fonctionnaire s’estimant lésée a été réintégrée dans son poste, mais elle n’a eu droit à aucune somme d’argent ni à aucune indemnité depuis la date de sa suspension. L’arbitre de grief a ordonné que la fonctionnaire s’estimant lésée continue de recevoir le traitement médical approprié et qu’elle participe à un programme de suivi en collaboration avec Santé Canada et son propre médecin.

[182] La fonctionnaire a aussi porté à mon attention Gannon c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 417, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a renversé la mesure de réparation qu’un arbitre de grief avait accordée dans Gannon (2002). M. Gannon était un agent des ressources humaines. Son ex-compagne l’avait poursuivi afin d’obtenir une pension alimentaire pour leur enfant. Dans le contexte de cette poursuite, M. Gannon avait déposé auprès du tribunal compétent des documents dans lesquels il déclarait faussement un revenu moins élevé que celui qu’il recevait. Ceci lui avait valu une suspension de cinq jours par son employeur. Par la suite, M. Gannon avait embauché son ex-compagne malgré le fait que la politique de son employeur interdisait aux agents des ressources humaines d’embaucher des membres de leur famille. M. Gannon avait demandé à son ex-compagne de ne pas révéler à son employeur la relation qu’ils avaient eue. Son employeur avait cependant fini par apprendre ce fait.

[183] M. Gannon avait été suspendu en attendant l’issue d’une enquête sur des allégations d’abus de pouvoir parce qu’il aurait intimidé et harcelé son ex-compagne durant l’emploi de celle-ci. Au cours de l’enquête, l’employeur de M. Gannon a constaté que ce dernier s’était porté candidat à des postes dans quatre ministères fédéraux en soumettant un curriculum vitæ dans lequel il déclarait faussement être titulaire d’un baccalauréat. L’employeur de M. Gannon a plus tard licencié ce dernier rétroactivement à la date de sa suspension. Dans le cadre de l’arbitrage de grief, l’employeur de M. Gannon a déclaré que ce dernier n’avait pas été franc et qu’il n'avait pas reconnu que sa conduite était inacceptable. De plus, M. Gannon occupait un poste de confiance, et son employeur ne pouvait plus lui faire confiance.

[184] L’arbitre de grief a conclu que la preuve ne confirmait pas l’allégation de l’employeur de M. Gannon voulant que ce dernier avait usé de pratiques d’embauche inacceptables. L’arbitre de grief a toutefois jugé que, même si l’ex-compagne de M. Gannon était qualifiée pour occuper le poste pour lequel il l’avait embauchée, cette embauche par M. Gannon n’était pas conforme à la politique de leur employeur, puisque M. Gannon et son ex-compagne continuaient à avoir une relation personnelle. L’arbitre de grief a conclu entre autres que le curriculum vitæ frauduleux que M. Gannon avait rédigé dans l’intention manifeste d’obtenir de l’avancement justifiait une mesure disciplinaire. Toutefois, elle a conclu que, dans les circonstances, le licenciement était une mesure disciplinaire excessive. Elle a conclu aussi que réintégrer M. Gannon dans ses fonctions n’aurait pas été justifié. Ainsi, plutôt que de le réintégrer, elle lui a accordé une indemnité de six mois de traitement. Un contrôle judiciaire de cette conclusion a toutefois été accordé. Étant donné la conclusion de l’arbitre de grief que le licenciement était une mesure disciplinaire excessive, l’arbitre de grief aurait dû, selon la Cour d’appel fédérale, annuler le congédiement et y substituer une pénalité moindre (plus tard, M. Gannon a été réintégré au lieu de recevoir une compensation de salaire).

[185] Dans Sample c. Conseil du Trésor (Revenu Canada), dossier de la CRTFP 166-02-27610 (19970604), la mesure disciplinaire a aussi été réduite à une suspension, ici de huit mois. Le fonctionnaire s’estimant lésé était un vérificateur qui avait acheté une semi-roulotte qui avait été livrée chez lui. Afin d’éviter de payer la TPS, le fonctionnaire s’estimant lésé avait fait enregistrer le véhicule au nom du neveu de sa conjointe (admissible au statut d’Indien inscrit). Pris de remords, il est retourné chez le concessionnaire environ un mois plus tard et il a payé la TPS applicable. Un autre mois plus tard, le fonctionnaire s’estimant lésé a appris que son employeur faisait enquête au sujet de l’achat de la semi-roulotte. Lors d’une réunion, le fonctionnaire s’estimant lésé a admis avoir effectué l’achat de la semi-roulotte. Il a subséquemment été congédié au motif que le public avait perdu confiance en son intégrité, et que ses actes étaient incompatibles avec la confiance que son employeur était en droit d’avoir en lui, un agent de Revenu Canada.

[186] L’arbitre de grief dans Sample avait reçu une preuve à savoir que la famille du fonctionnaire s’estimant lésé avait exercé beaucoup de pression sur lui pour qu’il enregistre la semi-roulotte au nom du neveu de sa conjointe. Bien que cela n’était pas une justification des gestes posés par le fonctionnaire s’estimant lésé, l’arbitre de grief a tenu compte du fait que le fonctionnaire s’estimant lésé avait beaucoup souffert sur les plans émotionnel et financier, qu’il avait volontairement payé la TPS avant d’être pris en faute par son employeur, qu’il comptait de longues années de service et qu’il n’avait pas de dossier disciplinaire. Dans les circonstances, l’arbitre de grief ne croyait pas que la confiance que l’employeur du fonctionnaire s’estimant lésé était en droit d’avoir en ce dernier avait été irrémédiablement affectée. L’arbitre de grief a donc jugé que le congédiement était une mesure disciplinaire excessive, et elle lui a substitué une suspension de huit mois.

[187] La fonctionnaire a aussi porté à mon attention Mellon c. Développement des ressources humaines Canada, 2006 TCDP 3 (« Mellon »), au par. 101. Dans cette affaire, la plaignante avait accepté d’occuper un nouveau poste et elle trouvait que ce poste était très difficile. Bien qu’elle appréciait son travail, à un certain moment, cela était devenu trop pour elle et avait commencé à affecter sa santé. Le médecin de la plaignante avait décidé de la mettre en arrêt de travail pour une période de trois semaines, et il lui a prescrit un antidépresseur.

[188] Le Tribunal canadien des droits de la personne a noté au paragraphe 101 que la plaignante avait alerté son supérieur et son superviseur pendant la période que le fait que son travail n’était pas effectué n’était pas dû au fait qu’elle n’était pas intéressée à le faire, mais à un problème de santé. Son employeur, pour sa part, avait décidé, sur la base des informations qu’il avait obtenu des collègues de la plaignante, qu’il s’agissait d’un problème de rendement, et non d’un problème de déficience. Le Tribunal canadien des droits de la personne a conclu que la plaignante avait été victime de discrimination fondée sur une déficience, en violation de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[189] La fonctionnaire a aussi fait référence à Rahmani c. Administrateur général (ministère des Transports), 2016 CRTEFP 10 (« Rahmani »). Dans cette affaire, l’employeur du fonctionnaire s’estimant lésé avait licencié ce dernier pour avoir commis un geste de violence en milieu de travail. Selon le fonctionnaire s’estimant lésé, son employeur n’avait pas tenu compte de son état de santé au moment de l’incident. La preuve avait démontré qu’il y avait eu une conduite justifiant une mesure disciplinaire sévère, mais que l’état d’esprit du fonctionnaire s’estimant lésé et la prise de médicaments avaient possiblement influencé le comportement de ce dernier ce jour-là.

[190] Au moment du licenciement, l’employeur du fonctionnaire s’estimant lésé était au courant de la condition médicale dont souffrait ce dernier. Il avait toutefois choisi d’imposer une mesure disciplinaire sans tenir compte de l’état de santé de ce dernier et en écartant plusieurs facteurs atténuants. La Commission a jugé que le licenciement était injustifié, et elle lui a substitué une suspension. De plus, la Commission a conclu que la déficience du fonctionnaire s’estimant lésé était un facteur dans la décision de le licencier. Le fonctionnaire s’estimant lésé avait ainsi établi une preuve prima facie de discrimination. Or, son employeur n’avait pas fait la preuve d’une exigence professionnelle justifiant sa décision d’imposer le licenciement en réponse à un geste isolé. Le fonctionnaire s’estimant lésé a été réintégré dans son poste.

[191] Enfin, la fonctionnaire a souligné que, dans Thompson Products Employee’s Association v. TRW Canada Ltd. (2013), 229 L.A.C. (4e) 382 (« Thompson Products Employee’s Association »), aux paragraphes 15, 16, 23 et 25, l’arbitre a pris en considération une preuve médicale faisant état du traitement suivi par l’employé après une période d’absentéisme. L’employé travaillait dans le secteur privé. Au total, l’employé avait été absent pendant 33 jours consécutifs. Sur ces 33 absences, l’employé n’avait notifié à son employeur qu’il serait absent qu’à 11 reprises.

[192] La fonctionnaire a fait valoir que, dans le présent cas, comme dans Thompson Products Employee’s Association, il n’y avait pas d’antécédent d’absence injustifiée ou de conduite répréhensible de la part de M. Lockhart, mais que le comportement de ce dernier et le respect de ses obligations professionnelles avaient plutôt connu un déclin clair et soudain. La fonctionnaire a fait valoir que sa propre maladie avait influencé son jugement au point de ne plus distinguer le bien du mal, de ne pas comprendre qu’elle commettait une erreur et qu’elle violait les politiques de l’employeur et le code régissant les conflits d’intérêts.

[193] À la lumière de cette jurisprudence et de tous ces arguments, la fonctionnaire a fait valoir que la mesure disciplinaire que l’employeur lui a imposée était excessive et qu’il y a eu discrimination. D’une part, son état de santé n’a pas été considéré et, d’autre part, l’équipe de gestion n’a pas examiné réellement si la relation d’emploi était réparable. Elle demande donc que le congédiement soit remplacé par une suspension de 20 à 30 jours.

V. Motifs

A. Conduite reprochée à la fonctionnaire s’estimant lésée

[194] La fonctionnaire ne conteste pas le fait qu’elle a enfreint certaines dispositions du Code d’EDSC, du Code du secteur public et de l’annexe B de la Politique. Elle a toutefois ajouté que les dispositions de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique ne s’appliquent pas aux employés occasionnels. Elle prétend donc avoir estimé à l’origine qu’il n’existait pas de conflit d’intérêts au moment où elle a recommandé l’embauche de sa fille pour un emploi occasionnel.

[195] Que j’accorde du poids à cet argument on non, il demeure que la fonctionnaire a clairement caché, de façon continue et répétée pendant neuf mois, son lien de parenté avec sa fille à l’équipe de gestion et que le Code d’EDSC prévoit qu’un fonctionnaire qui participe au processus décisionnel dans le cadre d’une mesure de dotation ne peut pas aider des membres de sa famille qui postulent un emploi. Dans le présent cas, en omettant de se retirer du processus de recrutement et en omettant de laisser la fonction d’évaluation du candidat à un tiers, la fonctionnaire a incité l’embauche de sa fille. Elle a ainsi aidé sa fille à obtenir, en premier lieu, un emploi occasionnel et, ensuite, un emploi pour une période déterminée. Ces seuls faits donnent lieu à un conflit d’intérêts.

[196] De plus, la fonctionnaire avait connaissance des règles traitant des conflits d’intérêts contenues dans les codes. Par exemple, dans son courriel du dimanche 4 juin 2017, elle a reconnu qu’il était inapproprié de cacher l’identité de sa fille à l’équipe de gestion. Elle a écrit ce qui suit : « [...] le serment m’a fait réaliser qu’il pouvait y avoir un problème, ça m’a fait penser au Code de conduite et à la politique des conflits d’intérêts. Je lui ai dit [à ma fille] de ne pas s’inquiéter pour moi, que j’assumerais les conséquences. »

[197] L’employeur a plaidé à l’audience d’arbitrage devant moi que les dispositions pertinentes des codes et de l’annexe B de la Politique incluent notamment ce qui suit : 1) le comportement attendu au point ii) du Code d’EDSC qui vise l’interdiction d’accorder un traitement de faveur à un membre de sa famille; 2) les comportements attendus aux paragraphes 3.2 et 3.3 du Code du secteur public qui visent l’intégrité et la prévention de tout conflit d’intérêts réel, apparent ou potentiel; 3) le paragraphe 2.5 de l’annexe B de la Politique qui énonce la façon selon laquelle un fonctionnaire doit éviter tout traitement de faveur.

[198] La preuve a démontré que la fonctionnaire a recommandé l’embauche de sa fille pour un emploi occasionnel ainsi que pour un emploi non annoncé pour une période déterminée, et ce, sans dévoiler leur lien de parenté à l’équipe de gestion. Ces gestes étaient contraires aux règles des deux codes et de l’annexe B de la Politique.

[199] Je conclus donc que la fonctionnaire a clairement enfreint les dispositions en question. Par sa conduite, c’est-à-dire en omettant de divulguer à l’équipe de gestion son lien de parenté avec sa fille, la fonctionnaire s’est placée en conflit d’intérêts. Bien qu’elle ait expliqué avoir omis de divulguer ce lien de parenté pour s’assurer d’obtenir une aide rapide étant donné l’ampleur des tâches qu’elle devait accomplir, elle a tout de même accordé un traitement de faveur à un membre de sa famille. Plus précisément, à cause de sa conduite, un emploi occasionnel et un emploi à durée déterminée ont été octroyés à sa fille, à l’insu de l’équipe de gestion. La conduite de la fonctionnaire heurte les principes de base relatifs à l’intégrité des fonctionnaires et de l’ensemble du secteur public fédéral.

[200] La conduite reprochée à la fonctionnaire est établie. De plus, la fonctionnaire a reconnu avoir posé des gestes regrettables.

B. Imposition d’une mesure disciplinaire

[201] Normalement, je devrais maintenant déterminer si, dans les circonstances et compte tenu de l’allégation de discrimination soulevée par la fonctionnaire, la conduite de la fonctionnaire justifiait l’imposition d’une mesure disciplinaire quelconque. En effet, l’imposition d’une mesure disciplinaire ne saurait être justifiée si le seul fait d’avoir recours à la discipline constitue un acte discriminatoire.

[202] Cependant, à l’audience d’arbitrage devant moi, la fonctionnaire a fait valoir qu’elle reconnaît que l’employeur avait un motif valable de lui imposer une mesure disciplinaire pour la conduite qu’il lui reproche. Compte tenu de cette admission de la fonctionnaire, et du fait qu’il n’existe vraiment aucun litige entre les parties sur cette question, je conclus que la conduite de la fonctionnaire justifie l’imposition d’une mesure disciplinaire.

C. Proportionnalité du licenciement

[203] Le cœur du litige entre les parties porte sur la proportionnalité de la mesure disciplinaire imposée par l’employeur à la fonctionnaire. En d’autres mots, la question à trancher est à savoir si le licenciement est excessif dans les circonstances.

[204] Selon l’employeur, le licenciement est raisonnable et la Commission ne devrait pas intervenir. D’emblée, je dois préciser que je ne suis aucunement restreinte par l’évaluation des circonstances faite par l’employeur. L’audience d’arbitrage devant moi est une audience de novo (voir Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] AC.F. no 818 (C.A.) (QL) (« Tipple »)). Ceci dit, ma tâche est donc de procéder à ma propre évaluation des circonstances, à la lumière de la preuve qui m’a été présentée. Tel que je l’ai déjà mentionné, je dois décider si le licenciement est excessif dans les circonstances.

[205] Selon la fonctionnaire, le licenciement est excessif et, en outre, l’omission de considérer sa condition médicale à titre de facteur atténuant est « discriminatoire ». La fonctionnaire m’invite à suivre une approche similaire à celle que la Commission a suivie dans Rahmani et à considérer la nature discriminatoire de la mesure disciplinaire précise que l’employeur lui a imposée.

[206] Je trouve qu’il est ambigu de traiter l’allégation de discrimination à l’étape de l’analyse de la proportionnalité de la mesure disciplinaire imposée. Il est sûrement plus utile de considérer la condition médicale d’un employé dans le cadre de l’évaluation de la conduite qu’on lui reproche plutôt qu’à l’étape de la sélection d’une mesure disciplinaire proportionnelle à la gravité de cette conduite. Par exemple, la condition médicale d’un employé pourrait donner lieu à une obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de cet employé. Comment l’imposition d’une mesure disciplinaire quelconque pourrait-elle donc être justifiée si l’employeur omet de prendre des mesures d’adaptation dans de telles circonstances?

[207] À tout évènement, la fonctionnaire m’a demandé de conclure que sa condition médicale explique, en partie, sa conduite et que le licenciement est excessif dans les circonstances. Essentiellement, la fonctionnaire m’a demandé de considérer que sa condition médicale atténuait la gravité de sa conduite : le débat n’est donc pas assujetti à une approche analytique classique des droits de la personne s’appliquant à une allégation de discrimination, mais plutôt à une évaluation coutumière des facteurs atténuants et aggravants qui entourent la conduite de la fonctionnaire. Pour les motifs qui suivent, j’arrive à la conclusion qu’il n’est pas établi que la condition médicale de la fonctionnaire atténue la gravité de sa conduite et que le licenciement n’est pas excessif.

[208] L’employeur a tenu compte des facteurs atténuants suivants : 1) les années de service et l’absence d’un dossier disciplinaire de la fonctionnaire; 2) la situation personnelle de la fonctionnaire; 3) la reconnaissance que la fonctionnaire a faite de ses erreurs; 4) les témoignages sur le travail sérieux et professionnel de la fonctionnaire. Selon la fonctionnaire, ces facteurs militaient en faveur d’une mesure disciplinaire moins sévère que le congédiement. Elle a également soutenu que je devrais tenir compte de son potentiel de réhabilitation et elle a soumis que la confiance que l’employeur est en droit d’avoir en elle n’avait pas été irrémédiablement affectée.

[209] La fonctionnaire a aussi fait valoir qu’elle n’avait pas eu l’occasion de bien présenter sa version des faits à l’employeur à l’audience disciplinaire du 16 juin 2017. L’employeur lui avait assigné la tâche de faire une présentation stratégique sur les budgets à Mme Boisjoly autour de la même période, soit le lundi 19 juin. De ce fait, elle a concentré tous ses efforts à la préparation de cette tâche, au détriment de la préparation de sa défense. Elle a donc fait valoir que le processus disciplinaire de l’employeur était inéquitable et injuste puisque l’employeur n’avait pas reçu toutes ses explications. Elle ne s’est pas sentie respectée et écoutée. Sa demande de remise de cette réunion prévue le 16 juin a été écartée sans explication.

[210] Je vais dans un premier temps aborder les circonstances entourant l’audience disciplinaire. Je reconnais que la fonctionnaire jonglait avec plusieurs responsabilités au moment où elle avait la responsabilité de présenter sa version des faits à l’employeur. L’audience disciplinaire était importante puisque les conclusions et recommandations de l’employeur serviraient de base au sort que l’employeur lui réserverait. Il aurait certainement été utile et avisé que l’employeur accorde l’occasion à la fonctionnaire de présenter pleinement sa version des faits à cette époque.

[211] En fait, l’audience disciplinaire était d’une importance certaine, et si l’employeur avait la responsabilité de gérer la conduite de la fonctionnaire, cette dernière méritait tout autant d’être respectée et écoutée. Selon moi, l’employeur avait la responsabilité de s’assurer que la fonctionnaire puisse présenter équitablement sa version des faits. Lorsque l’employeur a refusé de reporter l’audience disciplinaire du 16 juin 2017 sans explication, je considère que cela n’a pas été fait. De plus, l’employeur a considéré que le courriel de la fonctionnaire du dimanche 4 juin 2017 présentait une version suffisamment complète de sa position, et il n’a pas consulté la fonctionnaire dans le cadre de son enquête disciplinaire. Je constate qu’il s’agit, somme toute, d’entorses à la procédure disciplinaire.

[212] Par contre, il est de jurisprudence constante que tout vice de procédure entourant l’audience disciplinaire a été corrigé par l’audience d’arbitrage de novo devant moi (voir Tipple). En effet, dans le cadre de l’audience d’arbitrage devant moi, la fonctionnaire a eu l’occasion de donner sa version des faits et de présenter toute la preuve qu’elle croyait indiquée.

[213] La fonctionnaire a affirmé que la décision de l’employeur de la licencier était injustifiée puisqu’il n’a pas pris en considération sa condition médicale. Selon elle, c’est à cause de sa condition médicale que son jugement a été affecté et qu’elle a adopté la conduite qu’on lui reproche.

[214] Je suis de l’avis que la fonctionnaire a été invitée à l’étape de l’audience du grief devant Mme Johnson à expliquer en quoi la conduite qu’on lui reproche découlait d’une tendance comportementale attribuable à sa condition médicale. L’employeur lui a demandé l’autorisation d’envoyer des questions à son médecin afin que ce dernier puisse éclairer le sujet. Elle a refusé cette autorisation et a refusé de répondre à toute question additionnelle de l’employeur portant sur sa condition médicale. Comme il n’a reçu aucune réponse utile de la part de la fonctionnaire, l’employeur n’a pas retenu la condition médicale de cette dernière comme facteur atténuant.

[215] À l’audience d’arbitrage devant moi, la fonctionnaire a aussi eu l’occasion de démontrer en quoi la conduite qu’on lui reproche découlait d’une tendance comportementale attribuable à sa condition médicale. Or, bien que je comprenne que son état d’esprit et la prise du médicament Abilify puissent avoir modifié son comportement à l’époque, la fonctionnaire ne m’a toutefois présenté aucune preuve indépendante, claire et convaincante qui suggère que sa condition médicale ait affecté, même en partie seulement, la conduite qu’on lui reproche. Malgré toute l’empathie que je puisse avoir pour la fonctionnaire du fait des circonstances difficiles qu’elle vivait à l’époque, je dois toutefois conclure qu’elle n’a pas établi que sa condition médicale affectait son jugement à l’égard de la conduite qu’on lui reproche.

[216] De plus, j’estime que le présent dossier comporte des distinctions importantes avec les décisions soumises par la fonctionnaire. Selon cette dernière, elle devrait être réintégrée dans son poste ou un poste équivalent comme l’a été la fonctionnaire s’estimant lésée dans Douglas. Je note, toutefois, qu’une évaluation médicale avait été effectuée dans Douglas par un psychiatre qualifié indépendant, et ce témoin avait déclaré que les gestes posés par la fonctionnaire s’estimant lésée à l’égard de M. « S » pouvaient être attribués à sa maladie (voir le par. 46 de Douglas). Aucune preuve de cette sorte n’a été déposée dans le présent cas.

[217] Puis, dans Mellon, je note qu’une preuve de la déficience de la plaignante avait été présentée à son employeur, et que le médecin de la plaignante avait confirmé que cette dernière était incapable de travailler jusqu’à nouvel ordre à cause de sa déficience (un stress émotionnel lié à son travail). Une telle preuve n’a pas été présentée dans le présent cas.

[218] Enfin, dans Rahmani, la Commission a conclu que le comportement reproché au fonctionnaire s’estimant lésé était au moins partiellement attribuable à l’état de santé de ce dernier. Dans cette affaire, la preuve avait démontré la condition médicale du fonctionnaire s’estimant lésé (sa déficience). Comme je l’ai déjà mentionné, la fonctionnaire n’a présenté à l’audience d’arbitrage devant moi aucune preuve indépendante, claire et convaincante qui puisse me permettre de conclure dans le présent cas que sa condition médicale avait affecté la conduite qu’on lui reproche.

[219] Lors de l’audience d’arbitrage devant moi, la fonctionnaire a expliqué que son nouveau médecin ne connaissait pas ses antécédents médicaux. J’accepte cette affirmation. Cependant, il demeure que la fonctionnaire avait le fardeau de prouver la condition médicale qu’elle allègue pour atténuer la gravité de la conduite qu’on lui reproche. Elle aurait pu au moins discuter de ces circonstances avec son médecin. Or, puisque la fonctionnaire avait le fardeau de prouver la condition médicale sur laquelle elle fonde ses prétentions et qu’elle ne l’a pas fait, je ne peux conclure que cette condition médicale constituait un facteur atténuant dans les circonstances.

[220] De même, j’ai pris en considération les facteurs suivants pour en arriver à la conclusion que l’employeur a démontré que le licenciement n’était pas excessif.

[221] Premièrement, je reconnais qu’au moment des événements, la fonctionnaire vivait une période difficile sur le plan personnel. Elle était tourmentée et en désarroi lorsqu’elle a recommandé l’embauche de sa fille. Toutefois, la preuve n’a pas démontré de façon claire et convaincante que sa condition médicale était telle que son jugement aurait pu en être affecté, au point d’enfreindre les codes et l’annexe B de la Politique, ou de manquer d’intégrité. La fonctionnaire travaillait de façon efficace et elle faisait preuve de fiabilité. Le fait qu’elle ait utilisé des congés de maladie après avoir informé l’employeur de ses problèmes conjugaux, de ses épisodes de dépression et de sa dépendance aux jeux d’argent n’était pas suffisant pour démontrer une condition médicale affectant son jugement de gestionnaire.

[222] Deuxièmement, les nombreuses années de service de la fonctionnaire et l’absence d’un dossier disciplinaire constituent normalement des facteurs atténuants. Toutefois, bien que ce facteur soit généralement considéré comme militant en faveur d’une mesure disciplinaire moins sévère, j’estime que, comme cela a été noté dans Pagé c. Administrateur général (Service Canada), 2009 CRTFP 26, en matière d’abus de confiance et de conflit d’intérêts, la durée du service peut aussi jouer en défaveur de la fonctionnaire parce que la durée de service renforce la conclusion qu’elle savait, à l’époque en question, ce qui constitue un conflit d’intérêts et en comprenait la gravité objective.

[223] Dans Gannon (2002), je note que l’arbitre de grief a pris en compte les facteurs aggravants, mais elle a toutefois noté qu’elle ne pouvait pas négliger d’importantes circonstances atténuantes, soit les nombreuses années de service du fonctionnaire s’estimant lésé et ses antécédents professionnels. Elle a conclu que le licenciement était une mesure disciplinaire excessive dans les circonstances. La fonctionnaire a fait valoir que je devrais aboutir à la même conclusion dans le présent cas. Toutefois, je note que, bien que l’arbitre de grief dans Gannon (2002) ait conclu que l’embauche par le fonctionnaire s’estimant lésé de son ex-compagne n’était pas conforme à la politique de leur employeur, puisqu’ils continuaient à avoir une relation personnelle, l’arbitre de grief a aussi conclu que la preuve ne confirmait pas l’allégation de l’employeur du fonctionnaire s’estimant lésé que ce dernier avait usé de pratiques d’embauche inacceptables. Dans le présent cas, toutefois, l’employeur a démontré, et la fonctionnaire a admis, que la fonctionnaire avait enfreint, entre autres, le comportement attendu au point ii) du Code d’EDSC.

[224] Troisièmement, au sujet du remords qu’elle a éprouvé, la fonctionnaire a reconnu avoir commis une erreur en cachant son lien de parenté avec sa fille à l’équipe de gestion. Plus spécifiquement, dans son courriel du dimanche 4 juin 2017, elle a reconnu qu’il était inapproprié qu’elle cache l’identité de sa fille à l’équipe de gestion.

[225] Cependant, la fonctionnaire a aussi reconnu à l’audience disciplinaire que, n’eut été la découverte du lien de parenté par ses subordonnées, jamais elle n’aurait dévoilé ce lien de parenté, car elle tenait absolument à recevoir une aide immédiate. Sans cette aide immédiate, elle se sentait démunie et impuissante. Ainsi, selon moi, elle n’a pas vraiment reconnu la gravité de la conduite qu’on lui reproche. Bien que je compatisse avec elle lorsqu’elle affirme avoir enfreint les règles pour survivre dans son rôle de gestionnaire en des temps très difficiles, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un manque de jugement manifeste. Ainsi, je ne peux conclure que ce facteur milite en faveur d’une mesure disciplinaire moins sévère.

[226] Quatrièmement, bien que la fonctionnaire ait fait valoir qu’elle n’avait pas tiré d’avantage personnel en raison de la conduite qu’on lui reproche, je suis d’avis que je ne peux pas retenir qu’il s’agit d’un facteur atténuant. Selon moi, la preuve a démontré que l’embauche de la fille de la fonctionnaire était une solution rapide et pratique pour cette dernière, donc, qu’elle en a personnellement tiré un avantage certain. De plus, elle a aussi fourni un avantage financier et professionnel à sa fille.

[227] Cinquièmement, il n’est pas possible de considérer la conduite qu’on reproche à la fonctionnaire comme un acte isolé. La fonctionnaire a caché à l’équipe de gestion son lien de parenté avec sa fille, à plusieurs reprises et de façon continue pendant neuf mois. N’eut été de l’incident du 2 juin 2017 qui a mis au jour ce lien de parenté, il est difficile de conclure que la fonctionnaire l’aurait volontairement dévoilé à l’employeur.

[228] De plus, j’estime que le présent dossier comporte des distinctions importantes avec les décisions soumises par la fonctionnaire. Dans Sample, l’arbitre de grief a jugé que la confiance que l’employeur du fonctionnaire s’estimant lésé était en droit d’avoir en ce dernier n’avait pas été irrémédiablement affectée puisque le fonctionnaire s’estimant lésé avait volontairement corrigé son erreur avant d’être pris en faute par son employeur. Je constate qu’il s’agit d’une différence importante avec les faits de la présente affaire. Dans le présent cas, la fonctionnaire n’a pas divulgué le lien de parenté qui l’unit à sa fille avant d’être prise en faute.

[229] Selon la fonctionnaire, comme dans Basra, l’employeur l’aurait suspendue sans salaire pendant la procédure disciplinaire si la confiance qu’il est en droit d’avoir en elle s’était détériorée de façon drastique. Au contraire, ici, elle a insisté qu’elle n’avait pas été suspendue et l’employeur lui a fait confiance en lui demandant de faire une présentation stratégique des budgets à Mme Boisjoly.

[230] Je conviens que pendant que l’équipe de gestion s’interrogeait à savoir si la fonctionnaire était encore digne de confiance, l’équipe de gestion a demandé à la fonctionnaire de poursuivre son travail. Mme Boisjoly a expliqué que l’employeur n’avait pas de motif probable de croire que la fonctionnaire constituait un risque pour la santé ou la sécurité en milieu de travail. Cependant, Mme Boisjoly a expliqué que l’équipe de gestion avait minutieusement révisé le travail de la fonctionnaire pour s’assurer de sa qualité étant donné la procédure disciplinaire en cours. J’accepte que la fonctionnaire ne présentait pas de symptôme pouvant laisser croire à l’existence d’un risque pour la santé ou la sécurité en milieu de travail.

[231] La fonctionnaire a aussi fait valoir que, si dans Da Cunha la confiance que l’employeur du fonctionnaire s’estimant lésé était en droit d’avoir en ce dernier était réparable, la confiance que l’employeur est en droit d’avoir en elle est aussi réparable. Je note toutefois que si la preuve a démontré dans Da Cunha que l’employeur du fonctionnaire s’estimant lésé ne semblait pas avoir perdu confiance dans les capacités de ce dernier, dans le présent cas, la preuve est différente. En effet, Mme Boisjoly a témoigné que, puisque la fonctionnaire occupait un poste de gestionnaire, l’employeur attendait de cette dernière une conduite exemplaire en matière de conflit d’intérêts et d’éthique.

[232] En fait, j’estime que la présente situation est analogue à la situation dans McEwan c. Administrateur général (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), 2015 CRTEFP 53. Dans cette affaire, l’arbitre de grief a jugé que l’employeur de la fonctionnaire s’estimant lésée avait des motifs suffisants pour justifier le licenciement. La fonctionnaire s’estimant lésée occupait un poste au groupe et au niveau EX01. Elle a été licenciée après une enquête menée par la Commission de la fonction publique et une enquête consécutive menée par son employeur relativement à sa conduite liée à deux processus de dotation. Les deux enquêtes sont parvenues à la même conclusion. Le fonctionnaire s’estimant lésée a été congédiée pour s’être mise en situation de conflit d’intérêts et pour avoir contrevenu au Code du secteur public. Elle avait utilisé le pouvoir de dotation qui lui avait été sousdélégué dans le cadre de deux processus de nomination pour avantager des personnes avec qui elle avait des relations personnelles étroites. L’arbitre de grief a conclu qu’un conflit d’intérêts constitue une infraction très grave au sein de la fonction publique et une claire violation du Code. Elle a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée avait irrémédiablement perdu la confiance que l’employeur était droit d’avoir en cette dernière et ce, malgré l’existence de sa longue carrière, surtout à un niveau de cadre. En fait, étant donné sa longue carrière, l’employeur de la fonctionnaire s’estimant lésée avait à l’égard de cette dernière des attentes de niveau plus élevé au sujet de sa connaissance du Code.

[233] J’estime que, de façon similaire, compte tenu de la nature des fonctions occupées par la fonctionnaire et de la gravité de la conduite qu’on lui reproche, l’employeur était justifié de considérer que la confiance qu’il était en droit d’avoir en la fonctionnaire était irrémédiablement affectée. Ainsi, à la lumière des faits aggravants et atténuants devant moi, je considère que le licenciement n’est pas excessif dans le présent cas.

[234] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[235] Le grief est rejeté.

Le 13 avril 2021.

Nathalie Daigle,

une formation de la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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