Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Dans Hanna c. Conseil du Trésor (ministère de l’Environnement), 2020 CRTESPF 116, la Commission a ordonné le versement de la paie rétroactive « moins les retenues habituelles » et a conservé sa compétence sur le calcul des sommes dues à la fonctionnaire s’estimant lésée – l’employeur a demandé que la Commission évalue ces montants en tenant compte des principes d’atténuation – la Commission a déclaré que la portée de sa compétence de traiter les questions qui surviennent après qu’elle a rendu une ordonnance dépend du libellé particulier en vertu duquel la Commission a conservé sa compétence – la Commission a conclu que le cadre adopté dans la décision initiale pour conserver sa compétence ne comprenait pas la compétence de traiter les questions d’atténuation soulevée dans la demande de l’employeur – elle a précisé que le terme « retenues habituelles » est généralement compris dans le milieu des relations de travail comme étant les déductions prévues par la loi et les contrats, comme l’impôt sur le revenu, les cotisations au Régime de pensions du Canada, les cotisations à l’assurance emploi, les cotisations aux régimes de retraite, les cotisations syndicales, les primes d’assurance maladie, les primes d’assurance dentaire et les primes d’assurance-invalidité à long terme, etc.

Demande rejetée.

Contenu de la décision

Date : 20210421

Dossiers : 566-02-10066 et 11535

 

Référence : 2021 CRTESPF 44

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Micheline Hanna

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(ministère de l’Environnement)

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(ministère de l’Environnement)

 

défendeurs

Répertorié

Hanna c. Conseil du Trésor (ministère de l’Environnement)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Ian R. Mackenzie, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Fiona Campbell, avocate

Pour les défendeurs : Marc Séguin, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 22 février et les 4, 10 et 18 mars 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction

[1] Micheline Hanna, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), était employée au ministère de l’Environnement (l’« employeur ») en tant que gestionnaire de l’évaluation de sa Direction générale de la vérification et de l’évaluation, un poste classifié au groupe et au niveau EC-06. Elle a déposé deux griefs, l’un contre son licenciement pour rendement insatisfaisant, et l’autre alléguant que l’employeur n’a pas respecté son obligation de prendre des mesures d’adaptation en vertu de la convention collective.

[2] Dans une décision rendue le 17 décembre 2020, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») a accueilli les deux griefs (voir Hanna c. Conseil du Trésor (ministère de l’Environnement), 2020 CRTESPF 116). La Commission a conservé sa compétence à l’égard de l’affaire 60 jours après la date de cette décision. Le 22 février 2021, l’employeur a demandé à la Commission d’évaluer la question de l’atténuation des dommages-intérêts de la fonctionnaire depuis le dernier jour de l’audience jusqu’à ce que la décision soit rendue. La dernière journée d’audience pour ces griefs était le 9 février 2017. La fonctionnaire s’est opposée à cette demande.

[3] Je n’étais pas la formation de la Commission qui a rendu la décision 2020 CRTESPF 116. La présidente de la Commission m’a attribué l’affaire à titre de formation de la Commission pour me prononcer sur la demande de l’employeur.

[4] L’employeur a également déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision 2020 CRTESPF 116 auprès de la Cour d’appel fédérale. Je prends connaissance d’office que cette demande de contrôle judiciaire invoquait les motifs suivants :

[Traduction]

a) La Commission a enfreint les principes de justice naturelle et d’équité procédurale en omettant, dans ces circonstances, d’inviter d’autres arguments sur la mesure corrective appropriée compte tenu du délai considérable entre l’audience et la décision;

b) La Commission a commis une erreur de droit et a rendu une décision déraisonnable en omettant d’appliquer les principes d’atténuation pour déterminer la mesure corrective appropriée et, ce faisant, s’est écartée du consensus arbitral sans motif valable;

c) Les alinéas 18.1(4)b), c) et f) de la Loi sur les Cours fédérales; et/ou

d) Tout autre motif que recommande mon avocat et que la Cour estime approprié.

 

II. L’ordonnance de la Commission dans la décision 2020 CRTESPF 116

[5] Voici l’intégralité de l’ordonnance de la Commission dans la décision 2020 CRTESPF 116 :

[540] J’ordonne ce qui suit :

a. que dans les 60 jours suivant la date de la présente décision, l’employeur rétablisse les crédits de congé de maladie de la fonctionnaire pour la période du 29 mai au 14 octobre 2014;

b. que dans les 60 jours suivant la date de la présente décision, l’employeur indemnise entièrement la fonctionnaire relativement à toute perte de rémunération ou d’avantages sociaux pendant la période du 29 mai au 14 octobre 2014, moins les retenues habituelles;

c. que la fonctionnaire soit rétablie dans ses fonctions au groupe et au niveau EC06, avec rémunération et sans perte davantages sociaux, à compter du 12 juin 2015;

d. que dans les 60 jours suivant la date de la présente décision, l’employeur rembourse à la fonctionnaire son salaire au groupe et au niveau EC06 à compter du 12 juin 2015, moins les retenues habituelles;

e. qu’au moment de présentation des factures de la fonctionnaire, l’employeur lui rembourse les frais dentaires et de psychothérapie engagés par la fonctionnaire et qui ne sont pas visés par les régimes d’assurance de l’employeur, dans la mesure où la couverture à laquelle elle aurait eu droit n’a pas été annulée;

f. que dans les 60 jours suivant la date de la présente décision, l’employeur rétablisse le salaire de la fonctionnaire au groupe et au niveau EC06 et ses avantages sociaux à la date du remboursement ordonné à lalinéa 540d) de la présente décision;

g. que dans les 60 jours suivant la date de la présente décision, en ce qui concerne le dossier de la Commission 5660210066, lemployeur verse à la fonctionnaire une indemnisation spéciale de lordre de 5 000 $ en vertu du par. 53(3) de la LCDP;

h. que dans les 60 jours suivant la date de la présente décision, en ce qui concerne le dossier de la Commission 5660211535, lemployeur verse à la fonctionnaire la somme de 6 000 $ en dommagesintérêts pour douleur et souffrance en vertu de lal. 53(2)e) de la LCDP;

i. que dans les 90 jours suivant la date de la présente décision, l’employeur rétablit la fonctionnaire dans ses fonctions au sein d’un poste pour lequel elle est qualifiée au groupe et au niveau EC06 ou équivalent et qui se conforme à toute mesure dadaptation médicale avérée dont elle pourrait avoir besoin.

[541] J’ordonne à l’employeur d’ajouter des intérêts annuels aux sommes dues en vertu de l’alinéa 540b), calculés au taux annuel en fonction du taux officiel de la Banque du Canada (données mensuelles). Les intérêts ont commencé à s’accumuler le 14 octobre 2014.

[542] J’ordonne à l’employeur d’ajouter des intérêts annuels aux sommes dues en vertu de l’alinéa 540d), calculés au taux annuel en fonction du taux officiel de la Banque du Canada (données mensuelles). Les intérêts ont commencé à s’accumuler le 12 juin 2015.

[543] J’ordonne à l’employeur d’ajouter des intérêts annuels aux sommes dues en vertu de l’alinéa 540e), calculés au taux annuel en fonction du taux officiel de la Banque du Canada (données mensuelles). Les intérêts ont commencé à s’accumuler un mois suivant la date à laquelle les frais ont été engagés.

[544] La Commission demeure saisie pendant 120 jours suivant la date de la présente décision relativement au calcul des sommes dues en vertu des paragraphes 540 à 543.

[545] J’ordonne que le rapport du Dr Hébert du 11 septembre 2014 et indiqué comme pièce G21, onglet 25 soit mis sous scellés.

III. La demande de l’employeur et la réponse de la fonctionnaire

[6] L’employeur a demandé à la Commission de [traduction] « réexaminer » les efforts d’atténuation pour déterminer les sommes dues du salaire rétroactif, plus précisément entre la fin de l’audience et la date à laquelle la décision 2020 CRTESPF 116 a été rendue. Bien que l’employeur ait initialement présenté sa demande comme une demande de réexamen, c’est-à-dire qu’il [traduction] « demande que la Commission reconsidère son ordonnance en ce qui concerne le salaire rétroactif approprié à verser », il a par la suite précisé qu’il demandait à la Commission d’assumer la responsabilité de la mise en œuvre de son ordonnance afin de déterminer [traduction] « […] le montant approprié du salaire rétroactif à verser ». Les « sommes dues » aux paragraphes 540 à 543 de l’ordonnance qui sont en cause dans la demande de l’employeur concernent la période qui suit la fin de l’audience en février 2017.

[7] Dans sa demande, l’employeur a déclaré que la Commission n’avait pas invité l’une ou l’autre des parties à présenter des arguments sur les dommages-intérêts après l’audience et avant que la décision 2020 CRTESPF 116 ne soit rendue, et que cet aspect de son ordonnance était contraire à l’équité procédurale et aux principes de justice naturelle. L’employeur a demandé que les deux parties puissent présenter des arguments sur le montant approprié du salaire rétroactif à verser. L’employeur a également soutenu que la Commission [traduction] « était raisonnablement tenue de prendre en compte l’application possible des principes d’atténuation au moment d’évaluer la somme appropriée du salaire rétroactif à verser ».

[8] La fonctionnaire a soutenu que le [traduction] « calcul des sommes dues » prévu dans la décision 2020 CRTESPF 116 ne portait que sur des questions telles que l’utilisation du bon taux de rémunération et du bon nombre d’années, de mois et de jours. Elle ne donne pas à la Commission le pouvoir de modifier sa décision quant à la somme due en raison de mesures d’atténuation ou de quoi que ce soit d’autre. La fonctionnaire a fait remarquer que, lorsque la Commission a rendu son ordonnance sur le salaire rétroactif, elle était pleinement consciente de la preuve relative aux mesures d’atténuation à l’audience, ainsi que du temps qui s’était écoulé depuis l’audience. La Commission a ensuite décidé d’ordonner à l’employeur de rembourser la totalité du salaire à compter du 12 juin 2015; elle n’a pas demandé aux parties de présenter des arguments sur les mesures d’atténuation. La fonctionnaire a également soutenu que les questions soulevées par l’employeur au sujet de l’équité procédurale, des retards et des préjudices subis ne peuvent être tranchées que par la Cour d’appel fédérale.

IV. Motifs

[9] La Commission n’a pas de compétence générale sur la mise en œuvre d’une décision d’arbitrage : voir l’article 234 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2013, ch. 22, art. 2). Une fois qu’une décision est rendue, la Commission n’a pas d’autre compétence que celle prévue dans son ordonnance. La compétence conservée dans l’ordonnance en l’espèce est énoncée au paragraphe 544 de la décision 2020 CRTESPF 116, comme suit :

La Commission demeure saisie pendant 120 jours suivant la date de la présente décision relativement au calcul des sommes dues en vertu des paragraphes 540 à 543.

 

[10] Les « sommes dues » que l’employeur a demandé à la Commission d’examiner en l’espèce sont les montants indiqués aux alinéas 540c) et d) de la décision 2020 CRTESPF 116. Plus précisément, l’employeur aimerait que la Commission envisage d’atténuer les dommages-intérêts pour la période allant du dernier jour de l’audience (le 9 février 2017) jusqu’à la date de la décision (le 17 décembre 2020).

[11] La question soulevée dans la demande de l’employeur est de savoir si la compétence conservée de la Commission comprend le pouvoir d’examiner les efforts d’atténuation entre le dernier jour de l’audience et la date à laquelle la décision 2020 CRTESPF 116 a été rendue. En d’autres termes, quelle est la portée de la compétence conservée de la Commission à la lumière de l’expression « […] relativement au calcul des sommes dues » au paragraphe 544 de la décision de la Commission et « moins les retenues habituelles » au paragraphe 540d) de cette même décision?

[12] L’employeur a soutenu que l’omission présumée de la Commission de tenir compte des efforts déployés par la fonctionnaire pour atténuer ses pertes constitue une question d’équité procédurale et de justice naturelle. Les questions d’équité procédurale et de justice naturelle sont habituellement traitées dans le cadre d’un contrôle judiciaire. En fait, l’employeur s’est appuyé sur ces questions pour justifier un contrôle judiciaire dans sa demande à la Cour d’appel fédérale.

[13] La portée de la compétence conservée par la Commission dans la décision 2020 CRTESPF 116 est limitée par les termes exprès de son ordonnance. Je conclus que la compétence qui a été retenue se limitait au calcul du paiement d’un salaire rétroactif, à l’exclusion de toute prise en compte de mesures d’atténuation.

[14] La Commission a ordonné que « l’employeur rembourse à la fonctionnaire son salaire au groupe et au niveau EC06 à compter du 12 juin 2015, moins les retenues habituelles ». L’ordonnance de la décision 2020 CRTESPF 116 ne définissait pas les « retenues habituelles » et elle n’en avait pas l’obligation, parce que l’utilisation ordinaire de ce terme n’inclut pas une déduction pour les efforts d’atténuation. Le terme « retenues habituelles » est généralement compris dans le milieu des relations de travail comme étant les déductions prévues par la loi et les contrats, comme l’impôt sur le revenu, les cotisations au Régime de pensions du Canada, les cotisations à l’assurance-emploi, les cotisations syndicales, les primes d’assurance-maladie, les primes d’assurance dentaire et les primes d’assurance-invalidité à long terme, etc. Une déduction de sommes (soit d’autres revenus gagnés ou d’une réduction en raison d’un défaut d’atténuer) en lien avec les efforts d’atténuation n’est pas « habituelle »; il s’agit d’une déduction spéciale qui est prise en compte lorsqu’une mesure corrective appropriée est demandée pour les circonstances particulières d’une affaire.

[15] La portée du pouvoir de la Commission d’examiner les questions soulevées après la publication d’une décision dépendra du libellé de l’ordonnance par laquelle la Commission a conservé sa compétence. Dans Canada (Procureur général) c. Haydon, 2018 CAF 88, la Cour d’appel fédérale a déterminé que la demande de contrôle judiciaire de l’employeur était prématurée en raison de la formulation de la compétence conservée par un arbitre de grief, soit :

[…] Je n’ai pas entendu les arguments des parties relativement à la réparation appropriée dans l’éventualité où le grief de licenciement serait accueilli et remplacé par une sanction moindre. Je laisserai le soin aux parties de régler la question de la réparation appropriée. Je demeurerai saisi de l’affaire pendant 120 jours dans l’éventualité où les parties ne parviendraient pas à une entente.

 

[16] En se fondant sur cette formulation de la compétence conservée, la Cour d’appel fédérale a conclu ce qui suit au paragraphe 6 :

Par conséquent, le processus administratif ne sera pas terminé tant que l’arbitre n’aura pas exercé ou refusé d’exercer la compétence qu’il a conservée. Selon ce que l’arbitre décide concernant l’étendue de cette compétence et son exercice judicieux, les questions soulevées par le procureur général dans la présente demande pourraient ne plus se poser. Une décision judiciaire ne serait alors plus nécessaire.

[…]

 

[17] Dans la décision 2020 CRTESPF 116, la formulation de la compétence conservée est beaucoup plus précise que dans Haydon. L’arbitre de grief dans Haydon a laissé aux parties le soin de régler la question de la mesure corrective appropriée. Cette conservation étendue de la compétence a donné à l’arbitre de grief la possibilité de résoudre les problèmes liés à l’atténuation des dommages, ce qu’il a fait dans Haydon c. Administrateur général (ministère de la Santé), 2019 CRTESPF 26. Toutefois, dans la décision 2020 CRTESPF 116, la Commission a prévu une restriction de la compétence « relativement au calcul des sommes dues » en vertu de l’ordonnance. Les « sommes dues » étaient liées au rétablissement de la fonctionnaire avec solde au 12 juin 2015, avec remboursement de son salaire à cette date, « moins les retenues habituelles ». J’estime que cette formulation de la conservation de la compétence n’inclut pas la compétence pour aborder les questions de mesures d’atténuation soulevées par l’employeur dans sa demande.

[18] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[19] La demande de l’employeur qu’une formation de la Commission détermine les mesures d’atténuation à compter du dernier jour de l’audience jusqu’à la date de la décision 2020 CRTESPF 116 est rejetée.

Le 21 avril 2021.

Traduction de la CRTESPF

Ian R. Mackenzie,

une formation de la Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

 

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