Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La question soulevée par les griefs était de savoir ce qu’il advient de la protection salariale d’un fonctionnaire lorsque son ancien groupe et niveau cesse d’exister à la suite d’une conversion de classification qui s’appliquait à cet ancien groupe et niveau – jusqu’en novembre 2002, les fonctionnaires s’estimant lésés étaient classifiés au groupe et au niveau PM-06 – ils ont ensuite été reclassifiés au groupe et au niveau CO-02 – comme le taux de rémunération maximal correspondant au groupe et au niveau PM-06 était supérieur au taux de rémunération maximal correspondant au groupe et au niveau CO-02, les salaires des fonctionnaires s’estimant lésés bénéficiaient d’une protection salariale correspondant au taux de rémunération du groupe et niveau PM-06 – en 2007, l’employeur a mis en œuvre une nouvelle classification SP et la classification PM-06 a cessé d’exister – la plupart des postes PM-06 ont été convertis en postes SP-10 – les postes des fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas été convertis et ont continué d’être classifiés au groupe et au niveau CO-02, et ils ont bénéficié d’une protection salariale au taux de rémunération du groupe et niveau PM-06 – les fonctionnaires s’estimant lésés ont reçu deux avis et courriels au sujet de la conversion à la norme SP – ils pensaient que la conversion s’appliquait à eux – la Commission a conclu que les avis ne représentaient pas une garantie de la part de l’employeur qu’ils auraient dû s’attendre à être convertis ou payés au groupe et niveau SP-10 – la Commission a conclu que les fonctionnaires s’estimant lésés avaient bénéficié de la protection prévue au paragraphe 2 de la partie I d’un protocole d’entente conclu entre l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada et le Conseil du Trésor depuis leur reclassification à un poste CO-02 en 2002 – toutefois, elle a conclu que la conversion de la norme PM à la norme SP en 2007 ne faisait pas partie des conditions d’emploi des fonctionnaires lorsqu’ils ont été reclassifiés en 2002 – en ce qui concerne le Règlement concernant la rémunération lors de la reclassification ou de la transposition du Conseil du Trésor (le « Règlement »), la Commission n’a pas conclu que la conversion constituait une révision salariale occasionnelle – la Commission a conclu que l’établissement d’une nouvelle grille salariale pour un tout nouveau groupe et niveau ne constituait pas une révision salariale aux fins de l’art. 7 de ce Règlement – la Commission a également conclu que les fonctionnaires ne bénéficiaient pas d’une protection salariale pour des raisons d’équité ou par obligation légale générale – l’employeur a formulé une objection préliminaire quant au délai de dépôt des griefs, qui ont été déposés 10 ans après la reclassification des fonctionnaires et plus de 5 ans après la mise en œuvre des taux de rémunération correspondant au groupe SP – la Commission a conclu que, comme les griefs étaient de nature continue, ils étaient opportuns – l’employeur a également invoqué le principe de la préclusion – l’affaire répondait à la plupart des critères requis pour que l’objection de l’employeur soit accueillie – toutefois, la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire et a déterminé qu’il serait plus équitable de permettre aux parties de régler définitivement les griefs sur le fond – subsidiairement, l’employeur a soulevé une objection fondée sur l’abus de procédure ou la contestation indirecte – en ce qui a trait à l’abus de procédure, la Commission a conclu que les fonctionnaires s’estimant lésés n’avaient pas le droit de déposer une demande de contrôle judiciaire d’une décision antérieure de la Commission – en ce qui a trait à la question de la contestation indirecte, la Commission n’a pas conclu que les fonctionnaires s’estimant lésés avaient délibérément déposé leurs griefs en réponse à la décision précédente de la Commission au lieu d’une demande de contrôle judiciaire.

Griefs rejetés.

Contenu de la décision

Date : 20210429

Dossiers : 566-34-10054 à 10060

 

Référence : 2021 CRTESPF 48

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans

le secteur public fédéral

Entre

 

NABIL Farhan, SLAVEK KSHONZE, ANTHONY GREEN, YURI GRINCHUK, GARY KAKIS, DANIEL MACLEAN, et RAJ PATIL

fonctionnaires s’estimant lésés

 

et

 

AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

défenderesse

Répertorié

Farhan c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : David Orfald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour les fonctionnaires s’estimant lésés : Meira Gisser, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour la défenderesse : Alexandre Toso, avocat

 

 

Affaire entendue par vidéoconférence

le 30 novembre et le 1er décembre 2020.

(Arguments écrits déposés le 13 janvier, les 12 et 26 février, et le 12 avril 2021.)

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction

[1] La protection salariale à la suite d’une reclassification à la baisse est une condition d’emploi bien établie dans la majeure partie de la fonction publique fédérale. Grâce à la protection salariale, lorsque le poste d’un fonctionnaire est reclassifié à un groupe et un niveau dont le taux de rémunération maximal est inférieur, le fonctionnaire est rémunéré au taux correspondant à son ancien groupe et niveau.

[2] La question soulevée par les présents griefs est de savoir ce qu’il advient de la protection salariale d’un fonctionnaire lorsque son ancien groupe et niveau cesse d’exister à la suite d’une conversion de classification qui s’appliquait à cet ancien groupe et niveau.

[3] Jusqu’en novembre 2002, les sept fonctionnaires s’estimant lésés dans la présente affaire, soit Nabil Farhan, Slavek Kshonze, Anthony Green, Yuri Grinchuk, Gary Kakis, Daniel MacLean et Raj Patil, travaillaient pour l’Agence du revenu du Canada (ARC ou « l’employeur ») et étaient classifiés au groupe et au niveau PM-06 de l’unité de négociation représentée par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC). Ils ont ensuite été reclassifiés au groupe et au niveau CO-02 de l’unité de négociation représentée par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC).

[4] Étant donné que le taux de rémunération maximal correspondant au niveau PM‑06 était supérieur au taux de rémunération maximal correspondant au niveau CO-02, les fonctionnaires s’estimant lésés ont été informés qu’ils bénéficieraient d’une protection salariale correspondant au taux de rémunération pour le niveau PM-06.

[5] En 2007, l’ARC a mis en œuvre un nouveau plan de classification couvrant la plupart des employés de l’unité de négociation de l’AFPC, appelé le Groupe de services et programmes (SP). Le niveau PM-06 a cessé d’exister, et l’ARC et l’AFPC ont cessé de négocier un taux de rémunération correspondant au niveau PM-06. Après le 1er novembre 2007, les fonctionnaires s’estimant lésés ont été rémunérés selon un taux visé par la protection salariale applicable au niveau PM-06, calculé par l’ARC.

[6] La majorité des postes de niveau PM-06 ont été classifiés au groupe et au niveau SP-10. Les fonctionnaires s’estimant lésés ont fait valoir que la protection salariale leur donne le droit d’être payés au taux de rémunération SP-10, qui est supérieur d’environ 3 000 $ par année aux taux de protection salariale PM-06 qu’ils ont reçus. Ils ont déposé des griefs entre le 22 et le 29 mai 2013.

[7] L’employeur a formulé deux objections préliminaires.

[8] La première était que les questions soulevées dans ces griefs ont déjà été réglées dans une décision de l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) : Motamedi c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 50. L’employeur a déclaré que les griefs devraient être rejetés conformément au principe de la « préclusion » ou, à titre subsidiaire, en raison de l’« abus de procédure », qu’il a étroitement lié à la règle contre la « contestation indirecte ». Les fonctionnaires s’estimant lésés ont soulevé la même question, sur la base des mêmes faits, et demandent la même réparation que les fonctionnaires s’estimant lésés dans Motamedi. L’affaire ne devrait pas faire l’objet d’un nouveau procès, a fait valoir l’employeur.

[9] L’IPFPC a fait valoir qu’il n’est pas question de préclusion et d’abus de procédure dans la présente affaire. Ce ne sont pas les mêmes fonctionnaires s’estimant lésés que ceux de Motamedi. L’IPFPC a également déclaré que les fonctionnaires s’estimant lésés produiraient des preuves que l’ARC leur avait donné des « garanties » qu’ils seraient rémunérés selon le niveau SP‑10, des faits dont la CRTFP n’était pas saisie dans Motamedi.

[10] La deuxième objection de l’employeur était que les griefs étaient hors délai; ils ont été déposés plus de 10 ans après la reclassification des fonctionnaires s’estimant lésés et plus de 5 ans après la mise en œuvre des taux de rémunération correspondant au groupe SP.

[11] L’IPFPC a estimé que les griefs étaient de nature continue et qu’ils ne devraient pas être considérés comme tardifs.

[12] J’ai décidé d’entendre la preuve des parties, puis leurs arguments sur les objections préliminaires et le bien-fondé des griefs. Les éléments de preuve ont été fournis au moyen d’un énoncé conjoint des faits, d’un recueil conjoint de documents et de deux jours de témoignages. Les parties ont présenté leurs arguments par écrit.

[13] En ce qui concerne l’objection relative au délai, je conclus que les griefs étaient de nature continue et qu’ils sont donc opportuns.

[14] J’estime que les arguments de l’employeur en ce qui concerne la préclusion sont pertinents. L’affaire remplit la plupart des critères requis pour que l’objection soit accueillie. Toutefois, en l’espèce, j’ai exercé mon pouvoir discrétionnaire et j’ai décidé qu’il serait plus équitable de permettre aux parties de régler définitivement les griefs sur le fond.

[15] Par ailleurs, j’ai examiné les arguments de l’employeur concernant l’abus de procédure (lié à l’intégrité du processus juridictionnel) et la contestation indirecte (liée aux motivations des parties). Je ne trouve pas que ces griefs constituent un abus de procédure ou une contestation indirecte.

[16] Sur le fond des griefs, je conclus que l’ARC a appliqué correctement la protection salariale. La convention collective (entre l’ARC et l’IPFPC, dont la date d’expiration est le 21 décembre 2014) n’engendre pas le résultat recherché par les fonctionnaires s’estimant lésés, soit une rémunération au taux SP-10. J’estime que la preuve des fonctionnaires s’estimant lésés concernant les garanties fournies par l’ARC est à la fois peu fiable et non pertinente pour l’interprétation de la convention collective.

[17] Les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage le 29 septembre 2014. Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) (la LCRTEFP) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « CRTEFP ») pour remplacer l’ancienne CRTFP et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires contenues dans les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). Conformément à l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la LRTFP) avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la LRTFP, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

[18] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la CRTEFP et le titre de la LCRTEFP et de la LRTFP pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Loi sur la Commission ») et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »).

II. Résumé de la preuve

[19] Comme il a été indiqué, la plupart des éléments de preuve ont été fournis au moyen d’un énoncé conjoint des faits, étayé par un recueil conjoint de documents. En outre, deux des fonctionnaires s’estimant lésés ont été appelés à témoigner, soit Daniel MacLean et Gary Kakis. L’employeur a appelé un témoin, soit Odette Cyr, directrice adjointe de la classification et des opérations à l’ARC.

[20] Je commencerai par résumer les éléments de preuve tirés de l’énoncé conjoint des faits et du recueil conjoint de documents et par évaluer la similitude entre ces griefs et ceux en cause dans Motamedi. J’examinerai et évaluerai ensuite les preuves supplémentaires des fonctionnaires s’estimant lésés.

A. Les faits convenus de l’affaire

[21] Les fonctionnaires s’estimant lésés sont (ou étaient) employés dans le cadre du Programme de la recherche scientifique et du développement expérimental (RS&DE) de l’ARC. Jusqu’en novembre 2002, ils étaient classifiés au groupe et au niveau PM-06 et faisaient partie d’une unité de négociation représentée par l’AFPC. Le titre du poste qu’ils occupaient était conseiller scientifique régional et la description de poste était numérotée PM0757 dans la classification nationale.

[22] Par des lettres datées soit du 18 novembre 2002, soit du 22 novembre 2002, l’employeur a informé les fonctionnaires s’estimant lésés que leurs postes allaient être classifiés au groupe et au niveau CO-02, reflétant ainsi les changements apportés à l’orientation du programme. Ils ont reçu une nouvelle description de travail, intitulée « Conseiller en recherche et technologie », pour un poste numéroté CO0007. Le nouveau poste CO regroupait les anciens postes des groupes et niveaux PM-05 et PM‑06.

[23] Les parties ont convenu que les fonctions des fonctionnaires s’estimant lésés n’avaient pas été modifiées par le changement de classification et qu’il n’y en avait pas eu à la date du dépôt des griefs.

[24] Étant donné que le taux de rémunération maximal du CO-02 était inférieur au taux de rémunération maximal du PM-06, les lettres de l’employeur informaient les fonctionnaires s’estimant lésés qu’ils auraient droit à une protection salariale conformément au Règlement concernant la rémunération lors de la reclassification ou de la transposition du Conseil du Trésor (le « Règlement »). Les lettres précisaient ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Conformément au présent Règlement, vous continuerez à percevoir les droits à la rémunération correspondant au groupe et au niveau PM-06. Cette protection salariale sera maintenue jusqu’à ce que vous quittiez ce poste ou jusqu’à ce que le salaire maximal du CO-02 dépasse le salaire maximal du PM-06. Veuillez noter qu’à toutes autres fins, vos conditions d’emploi, y compris les congés et les heures de travail, découleront de la convention collective de l’IPFPC, à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente décision.

[…]

 

 

[25] L’ARC a [traduction] « défini » le poste PM0757 le 31 mai 2004. Mme Cyr a témoigné que cela signifiait que le poste était supprimé en tant que poste actif du système de ressources humaines de l’ARC, sauf à des fins historiques.

[26] Jusqu’au 31 octobre 2007, les fonctionnaires s’estimant lésés bénéficiaient d’une protection salariale au taux de rémunération PM-06 négocié entre l’ARC et l’AFPC.

[27] En 2007, l’ARC a terminé un programme complet de réforme de la classification pour les groupes professionnels représentés par l’AFPC afin de remplacer les systèmes de classification du Conseil du Trésor par un système conçu sur mesure pour elle. Comme il a été mentionné plus haut, la plupart des employés représentés par l’AFPC ont été affectés au groupe SP. La majorité des postes de niveau PM-06 ont été convertis au groupe et au niveau SP-10. Les postes des fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas été convertis; ils ont continué à être classifiés au groupe et au niveau CO-02.

[28] Le 3 décembre 2007, l’ARC et l’AFPC ont signé une convention collective (date d’expiration : le 31 octobre 2010; « la convention AFPC de 2010 »), qui comprenait les taux de rémunération du nouveau groupe SP et ses niveaux connexes. Le taux de rémunération maximal du SP-10, en vigueur le 1er novembre 2007, était de 96011 $. Cette convention collective ne contenait plus de taux de rémunération pour le groupe et niveau PM-06.

[29] Après le 1er novembre 2007, les fonctionnaires s’estimant lésés ont bénéficié d’une protection salariale à un taux de rémunération PM-06 calculé par l’employeur en fonction de son interprétation du Règlement. L’employeur s’est appuyé sur l’article 7 du Règlement, qui est rédigé comme suit :

7. Si le groupe ou le niveau de classification par rapport auquel le salaire protégé d’une personne est aboli, les droits salariaux seront rajustés de façon à refléter les révisions occasionnelles approuvées à l’égard du dernier niveau répertorié.

 

[30] En d’autres termes, l’ARC a occasionnellement rajusté les taux de rémunération PM-06 pour refléter les augmentations en pourcentage des taux de rémunération annuels qu’elle a négociés avec l’AFPC pour le groupe et le niveau SP-10. Au 1er novembre 2007, les fonctionnaires s’estimant lésés recevaient un salaire annuel de 93174 $, soit un peu moins de 3000 $ de moins que le taux de rémunération des SP‑10. Au fil du temps, la différence entre le taux de rémunération maximal PM-06 faisant l’objet d’une protection salariale et celui pour le groupe et niveau SP-10 a augmenté pour atteindre un peu plus de 3000 $.

[31] Dans leur énoncé conjoint des faits, les parties ont indiqué qu’aucune révision n’avait été apportée au salaire des fonctionnaires s’estimant lésés depuis le 1er novembre 2015. Toutefois, le 13 novembre 2020, peu de temps avant l’audience de la présente affaire, une nouvelle convention collective a été signée entre l’ARC et l’AFPC. Elle contenait des révisions de la rémunération rétroactives au 1er novembre 2016. La Commission a demandé aux parties de clarifier la situation des fonctionnaires s’estimant lésés. Dans des arguments présentés le 12 avril 2021, elles ont confirmé que les augmentations salariales accordées aux fonctionnaires s’estimant lésés à la suite de la signature de la nouvelle convention collective AFPC-ARC n’avaient pas encore été traitées.

[32] En d’autres termes, les fonctionnaires s’estimant lésés qui travaillent toujours pour l’ARC continuent de bénéficier d’une protection salariale au taux de rémunération PM-06 calculé par l’ARC.

[33] Les sept fonctionnaires s’estimant lésés ont présenté leurs griefs à l’employeur entre le 22 et le 29 mai 2013. Les griefs indiquaient que la protection salariale du groupe et du niveau PM-06 donnait droit aux fonctionnaires s’estimant lésés d’être payés aux taux de rémunération SP-10. Ils ont demandé un paiement correspondant à ce niveau rétroactivement au 1er novembre 2007. Cependant, devant la Commission, les fonctionnaires s’estimant lésés ont demandé un paiement aux taux de rémunération SP‑10 rétroactif à 25 jours avant le dépôt de leurs griefs.

[34] J’estime qu’il n’y a pas de différences notables entre ces faits essentiels et ceux de Motamedi (tels que résumés au paragraphe 2 de la présente décision). Ces deux fonctionnaires s’estimant lésés (M. Motamedi et M. Parmar) étaient également des conseillers scientifiques régionaux de l’ARC, rémunérés au groupe et au niveau PM-06. En novembre 2002, ils ont également été reclassifiés au groupe et au niveau CO-02. Après la création du groupe SP, ils ont également déposé des griefs et demandé une protection salariale au taux de rémunération SP-10. Ils étaient représentés par leur agent négociateur (IPFPC) lors de l’arbitrage. La seule différence significative est que les griefs dans Motamedi ont été déposés le 3 mars 2009, soit plus de quatre ans avant ceux dont je suis saisi.

B. Les garanties présumées pendant le processus de conversion

[35] J’en viens maintenant aux témoignages et à la question de savoir si les fonctionnaires s’estimant lésés ont reçu les garanties qu’ils bénéficieraient d’une protection salariale correspondant au groupe et au niveau SP-10.

[36] M. MacLean et M. Kakis ont tous deux témoigné que lorsqu’ils ont été reclassifiés en 2002, ils ont compris que pour les questions de salaire, ils continueraient à être considérés au groupe et au niveau PM-06. Ils pensaient que les lettres de reclassification qu’ils avaient reçues constituaient une promesse qu’ils continueraient à être traités comme s’ils faisaient partie du groupe et du niveau PM-06.

[37] Lorsque la norme SP était en cours de finalisation, les fonctionnaires s’estimant lésés ont reçu des informations sur le processus de conversion, tout comme d’autres employés de l’ARC. Le 6 novembre 2007, ils ont reçu une « notification préalable aux employés » (NPE) concernant la conversion à la norme SP. Elle s’adressait aux employés de 16 classifications, dont celle de l’Administration des programmes (PM). La NPE invitait les employés à suivre un lien qui les informerait de leur nouveau niveau de classification SP.

[38] Le 3 décembre 2007, soit le jour où l’ARC et l’AFPC ont signé une nouvelle convention collective contenant les taux de rémunération du groupe SP, l’ARC a envoyé un « avis officiel remis à l’employé » (AOE) destiné au même groupe d’employés que la NPE. La notification confirmait que [traduction] « […] tous les emplois actuellement classifiés dans les groupes professionnels susmentionnés sont convertis au nouveau groupe Services et programmes (SP) à compter du 1er novembre 2007 ». Les employés ont à nouveau reçu un lien leur permettant d’accéder à des informations sur leur nouveau niveau SP et leur salaire. Ils ont également reçu un lien vers des informations sur le projet de conversion, y compris les droits de grief. L’AOE indiquait que la mise en œuvre de la norme SP n’était pas un exercice de reclassification, mais une conversion.

[39] L’AOE stipulait que la conversion consistait à appliquer la nouvelle norme de classification aux emplois existants, sans incidence sur les descriptions de travail, les fonctions assignées ou les relations hiérarchiques.

[40] M. MacLean et M. Kakis ont tous deux témoigné qu’ils pensaient que la NPE et l’AOE s’appliquaient à eux, puisqu’ils bénéficiaient d’une protection salariale au groupe et au niveau PM-06. Ils ont affirmé que c’est ce qu’avaient compris tous les membres de leur groupe. Ils croyaient qu’ils seraient convertis au groupe et au niveau SP-10 parce que tous leurs anciens collègues PM-06 l’avaient été. Ils pensaient que c’est ce que promettaient la NPE et l’AOE. Ils comprenaient qu’ils étaient dans une situation unique et que le processus de conversion prendrait un certain temps à être mis en œuvre, mais ils croyaient qu’un jour ils recevraient eux aussi le taux de rémunération SP-10.

[41] Lors du contre-interrogatoire, il a été demandé à M. MacLean et à M. Kakis pourquoi ils ont témoigné que la NPE et l’AOE s’appliquaient à eux, alors que leurs griefs indiquaient que ces deux documents ne les concernaient pas. Ils ont déclaré que leurs griefs indiquaient que la NPE et l’AOE auraient dû les concerner.

[42] Il leur a également été demandé lors du contre-interrogatoire s’ils avaient consulté le lien fourni dans la NPE et l’AOE. Aucun des deux ne se souvenait l’avoir fait.

[43] Mme Cyr a témoigné que les liens fournis dans la NPE et l’AOE menaient les employés à une nouvelle description de poste [traduction] « abrégée » et au résultat de la classification (c’est-à-dire le niveau du groupe SP qu’ils occuperaient après la conversion). Elle a déclaré qu’aucune description de travail abrégée n’avait été créée pour les postes classifiés CO parce qu’ils n’étaient pas concernés par la conversion. Ni M. Kakis ni M. MacLean ne se souvenaient avoir reçu une description de travail abrégée.

[44] M. Kakis a également témoigné qu’il avait compris que le projet de réforme de la classification avait commencé avant qu’il ne reçoive sa lettre de reclassification en 2002. Il a déclaré qu’il pensait que la lettre de novembre 2002 aurait dû reconnaître le projet de l’employeur d’éliminer la classification PM.

[45] Mme Cyr a déclaré qu’un projet de réforme de la classification avait été lancé en 2003, mais qu’il avait été suspendu après le transfert de la partie douanière de l’Agence des douanes et du revenu du Canada à l’administration publique centrale à la fin de 2003. Elle a déclaré que le projet de conversion de la classification SP a été lancé en mai 2005 et qu’il s’est achevé en novembre 2007. Elle a expliqué que l’ARC a permis aux employés d’accéder à des informations sur le processus de conversion par le biais d’un site Web interne.

[46] Mes conclusions sur ces éléments de preuve sont les suivantes. Les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas établi que la NPE et l’AOE s’appliquaient à eux. Le libellé des deux avis indiquait clairement qu’ils s’appliquaient aux employés d’un des 16 groupes professionnels, dont le groupe PM. Lorsque la NPE et l’AOE ont été envoyés aux employés, les fonctionnaires s’estimant lésés occupaient des postes classifiés au groupe et au niveau CO-02. Il s’agit du groupe et du niveau figurant sur leur description de travail.

[47] Je ne doute pas que les fonctionnaires s’estimant lésés croient maintenant que la NPE et l’AOE auraient dû s’appliquer à eux. Toutefois, je ne suis absolument pas convaincu que les avis fournissent une garantie fiable à cet égard. Si les fonctionnaires s’estimant lésés avaient cru, à l’automne 2007, que les avis s’appliquaient à eux, il aurait été parfaitement logique de cliquer sur le lien figurant dans les avis, pour consulter le résultat. Aucun des deux témoins ne se souvient l’avoir fait. S’ils l’avaient fait, le témoignage de Mme Cyr me convainc qu’ils auraient constaté que les employés occupant des postes classifiés dans le groupe CO n’ont pas obtenu de résultat parce qu’ils n’ont pas été touchés par le processus de conversion. Il ne s’appliquait pas à eux.

[48] En d’autres termes, les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas établi que la NPE et l’AOE représentaient une garantie de la part de l’ARC qu’ils devaient s’attendre à être convertis au groupe et au niveau SP-10 ou à être payés à ce niveau.

C. Les garanties par courriel fournies par un conseiller en rémunération

[49] Les fonctionnaires s’estimant lésés m’ont également demandé de considérer comme preuve des garanties de l’ARC un courriel fourni à l’un de leurs collègues par l’un de ses conseillers en rémunération. Comme aucune de ces personnes ne s’est présentée devant moi, j’appellerai le collègue « M. M » et la conseillère en rémunération « Mme Y ».

[50] Le premier courriel est daté du 3 mars 2008 et son objet est le suivant : [traduction] « Concernant votre demande de renseignements sur […] le taux de rémunération pour un CO visé par la protection salariale et la date des changements dus à la conversion au SP ». Dans ce courriel, Mme Y a indiqué que si la rémunération de M. M ne reflétait pas les taux du groupe SP en juin 2008, il devait contacter les services de rémunération. Elle a également déclaré ce qui suit : [traduction] « La protection salariale ne relevant pas de ma spécialité, j’ai réacheminé votre demande à l’équipe d’assurance de la qualité (ÉAQ) de mon unité (semblable à une personne-ressource) pour obtenir des éclaircissements. »

[51] Deux jours plus tard, elle a écrit ce qui suit : [traduction] « J’ai récemment communiqué avec l’ÉAQ de mon unité au sujet de votre demande. Elle a confirmé mes calculs selon lesquels votre salaire de niveau CO-02 augmentera pour atteindre le taux de rémunération de niveau SP-10, échelon 4, soit 93215 $ ».

[52] La représentante des fonctionnaires s’estimant lésés a demandé une citation à comparaître en tant que témoin pour M. M., et je l’ai délivrée. Lors de l’audience, elle a indiqué que M. M avait accepté de témoigner, mais qu’il avait ensuite cessé de répondre aux demandes de l’IPFPC. L’IPFPC n’a pas pu signifier la citation à comparaître à M. M., et celui-ci n’a pas témoigné. L’employeur avait initialement l’intention de citer une conseillère en rémunération à comparaître comme témoin, mais ne l’a pas fait. L’IPFPC n’a pas demandé qu’elle soit appelée à comparaître.

[53] M. Kakis et M. MacLean ont tous deux témoigné que M. M était un de leurs collègues et un conseiller scientifique régional dont le salaire était protégé au groupe et au niveau PM-06. Bien qu’ils n’étaient pas les destinataires directs du courriel, les informations que ce dernier contenait ont été partagées au sein du groupe, ont-ils déclaré. Le courriel les avait convaincus qu’ils seraient finalement payés au niveau SP-10 et était la preuve que l’ARC le leur garantissait.

[54] L’employeur s’est opposé à ce que ce courriel soit accepté comme preuve. M. M n’était pas l’un des fonctionnaires s’estimant lésés, a-t-il fait valoir. Comme la demande de M. M à Mme Y n’a pas été incluse dans le courriel fourni à la Commission, il est impossible de connaître les hypothèses sur lesquelles la réponse de Mme Y a été fondée. Ni M. M ni Mme Y n’ont été appelés à témoigner de l’exactitude et de l’authenticité du courriel.

[55] Lors du contre-interrogatoire, l’employeur a demandé aux fonctionnaires s’estimant lésés quand ils avaient reçu pour la première fois une copie du courriel en question. M. MacLean a affirmé qu’il croyait que c’était en 2013. M. Kakis quant à lui a répondu qu’il ne s’en souvenait pas, mais que c’était probablement après avoir déposé son grief.

[56] L’employeur a également interrogé les deux fonctionnaires s’estimant lésés au sujet d’un autre courriel, daté du 12 mai 2009 et envoyé par une autre conseillère en rémunération, « Mme L », à M. Farhan. Ce courriel indiquait ce qui suit : [traduction] « Étant donné que vous exercez actuellement les fonctions de CO-02, la conversion ne s’applique pas et vous continuerez à recevoir les taux de rémunération révisés correspondant au niveau PM-06 ». Mme L a expliqué qu’il recevrait des augmentations économiques de 2,5 % par an pour chacune des années 2007, 2008 et 2009, et a joint un document contenant les taux de rémunération avec protection salariale pour le groupe PM. Aucun des deux témoins ne s’est souvenu avoir vu ce courriel avant l’audience.

[57] Je reconnais que le courriel adressé à M. M semble confirmer qu’il aurait dû s’attendre à être placé sur la grille salariale SP-10 au plus tard en juin 2008. Je ne le rejette pas entièrement en tant qu’élément de preuve, mais je ne l’accepte pas comme une preuve fiable que l’ARC avait l’intention d’appliquer la conversion avec le taux du groupe SP aux fonctionnaires s’estimant lésés. La réponse de Mme Y aurait pu être fondée sur des informations différentes. Il se peut également que sa réponse au sujet du processus de conversion avec le taux du groupe SP découlait de mauvais renseignements; dans le courriel, elle admet qu’elle n’est pas une experte en matière de protection salariale. Par ailleurs, sa réponse pourrait simplement être incorrecte.

[58] Dans tous les cas, je ne trouve pas crédible l’affirmation des fonctionnaires s’estimant lésés selon laquelle ils se sont appuyés sur ce courriel en tant que groupe. Ils ont témoigné qu’ils avaient été en communication régulière les uns avec les autres et qu’ils avaient cherché à obtenir des réponses claires de l’employeur quant à la date à laquelle leurs postes seraient convertis au groupe et au niveau SP-10. Ne parvenant pas à obtenir des réponses claires, le courriel a contribué à les convaincre qu’ils avaient raison. Cependant, ils n’ont fourni aucune explication quant à la raison pour laquelle le courriel du 5 mars 2008 adressé à M. M a été diffusé parmi eux, alors que le courriel du 12 mai 2009 adressé à M. Farhan ne l’a pas été. Je ne sais pas si M. Farhan n’a pas reçu ce courriel, s’il l’a oublié ou s’il a simplement choisi de ne pas le faire circuler dans le groupe.

[59] De plus, les fonctionnaires s’estimant lésés ne m’ont fourni aucun argument quant à la façon dont le courriel de Mme Y — même s’il constituait une garantie fiable des intentions de l’ARC — devrait orienter mon interprétation des dispositions sur la protection salariale énoncées dans la convention collective ou le Règlement. Ils n’ont pas fait valoir que son courriel représentait une promesse de l’employeur à laquelle ils se sont fiés (préclusion promissoire). Pour les motifs exposés ci-après, ma décision repose sur l’analyse de la convention collective et du Règlement.

D. Le délai de dépôt des présents griefs par rapport à ceux de Motamedi

[60] La dernière section de ce résumé de la preuve porte sur le moment où les griefs en cause ont été déposés par rapport à ceux de Motamedi, ce qui est pertinent pour mon analyse des objections préliminaires de l’employeur. Comme il a été indiqué, M. Motamedi et M. Parmar ont déposé leurs griefs le 3 mars 2009. Ceux-ci ont été entendus par Michael Bendel, siégeant à titre d’arbitre de grief pour la CRTFP, les 12 et 13 février 2013.

[61] M. MacLean a témoigné qu’en avril 2013, il avait examiné une convention collective signée par l’ARC et l’AFPC, qui contenait les taux du niveau SP-10, et qu’il avait constaté l’écart de rémunération entre son taux de rémunération et celui d’un SP-10. Il a affirmé que cela a donné lieu à la rédaction du libellé des griefs. Six des sept fonctionnaires s’estimant lésés ont signé leurs griefs le 3 mai 2013; le septième a été signé le 27 mai 2013. M. MacLean a déclaré que ce n’est que plus tard qu’il a appris l’existence des griefs de Motamedi. M. Kakis a témoigné que l’IPFPC leur avait parlé de l’affaire et qu’on leur avait conseillé d’attendre la décision relative à celle-ci avant de déposer leurs griefs.

[62] La décision de la CRTFP dans Motamedi a été rendue publique le 13 mai 2013.

[63] Un représentant de l’IPFPC a signé l’approbation de l’agent négociateur pour la présentation des griefs entre le 22 et le 28 mai 2013.

[64] L’employeur a soutenu que les griefs constituaient une contestation indirecte de la décision rendue dans Motamedi, étant donné qu’ils ont été déposés délibérément par l’IPFPC avant même que le délai de dépôt d’une demande de contrôle judiciaire ne soit écoulé.

[65] Je ne suis pas convaincu que les fonctionnaires s’estimant lésés avaient l’intention d’attaquer la décision de la CRTFP dans Motamedi en déposant leurs griefs. La preuve en est que la plupart d’entre eux ont signé leurs griefs le 3 mai, soit 10 jours avant la publication de la décision Motamedi. Je ne présume pas que la nouvelle de la publication de la décision serait parvenue au niveau pertinent de l’IPFPC lorsqu’il a signé son autorisation de déposer les griefs plus tard en mai.

[66] Toutefois, il est évident qu’à tous les niveaux de la procédure de règlement des griefs, l’employeur s’est appuyé sur la décision de la CRTFP dans Motamedi pour rejeter ces sept griefs. Il ressort également des notes de présentation du grief, soumises dans le cadre du recueil conjoint de documents, que les fonctionnaires s’estimant lésés et leurs représentants étaient au courant de cette décision et qu’à chaque niveau de la procédure de règlement des grief, ils ont adopté la position selon laquelle la décision dans Motamedi était erronée.

[67] Je souligne également que la publication de Motamedi sur le site Web de la Commission indique que les fonctionnaires s’estimant lésés dans cette affaire ont déposé une demande de contrôle judiciaire, mais qu’ils ont ensuite retiré leur demande (dossier de la Cour fédérale T-1049-13).

[68] Je reviendrai sur la pertinence de ces faits supplémentaires lorsque j’examinerai les objections préliminaires de l’employeur.

III. Motifs

[69] J’analyserai les arguments des parties et fournirai les motifs de ma décision sous les rubriques suivantes :

  • A) Les griefs devraient-ils être rejetés parce qu’ils sont tardifs?

  • B) Les griefs devraient-ils être rejetés sur la base de la préclusion ou, à titre subsidiaire, d’un abus de procédure ou d’une contestation indirecte?

  • C) L’ARC a-t-elle omis de fournir une protection salariale conformément à la convention collective?

A. Les griefs devraient-ils être rejetés parce qu’ils sont tardifs?

[70] J’ai mentionné plus haut l’argument de l’employeur selon lequel les griefs étaient hors délai. Cette objection a été soulevée à chaque niveau de la procédure de règlement des griefs et lors du renvoi à l’arbitrage.

[71] Les fonctionnaires s’estimant lésés ont fait valoir que leurs griefs sont de nature continue parce qu’ils portent sur leurs salaires. En réponse à l’argument de l’employeur, ils ont révisé la réparation demandée pour qu’elle soit rétroactive à 25 jours avant le dépôt des griefs.

[72] Les arguments de l’employeur selon lesquels les griefs étaient tardifs étaient axés sur les décisions de classification prises par l’employeur (la reclassification en 2002 et la conversion de la classification en 2007). Même si les fonctionnaires s’estimant lésés étaient manifestement contrariés par ces décisions, leurs griefs portaient sur la protection des salaires. Sur cette base, je suis prêt à accepter l’argument des fonctionnaires s’estimant lésés selon lequel leurs griefs étaient de nature continue. Comme je rejette les griefs sur le fond, je ne pense pas qu’une longue analyse des arguments des parties sur cette objection soit nécessaire.

B. Les griefs devraient-ils être rejetés sur la base de la préclusion ou, à titre subsidiaire, d’un abus de procédure ou d’une contestation indirecte?

[73] Comme il a été indiqué, l’employeur a soutenu que ces griefs devraient être rejetés pour cause de préclusion, ou encore pour cause d’abus de procédure ou de contestation indirecte. Il a fait valoir qu’à tous égards importants, ces griefs sont identiques à ceux déjà tranchés par la CRTFP dans Motamedi. Les questions sont tellement similaires que l’ensemble de l’énoncé des faits au paragraphe 2 de Motamedi pourrait être utilisé dans le contexte de ces griefs, a-t-il dit.

[74] L’IPFPC ne devrait pas pouvoir contester à nouveau cette affaire, a-t-il fait valoir. S’il n’était pas d’accord avec la décision de la CRTFP dans Motamedi, il aurait pu demander qu’elle fasse l’objet d’un contrôle judiciaire. Permettre à l’IPFPC de renvoyer le dossier à l’arbitrage reviendrait à [traduction] « […] approuver que les agents négociateurs contestent à nouveau des griefs identiques des années après qu’ils aient été tranchés, simplement en présentant des fonctionnaires s’estimant lésés différents », a-t-il déclaré.

[75] L’IPFPC a fait valoir que la préclusion ne devrait pas s’appliquer puisque ces sept fonctionnaires s’estimant lésés n’étaient pas parties à Motamedi. Ces fonctionnaires s’estimant lésés s’appuient sur des faits nouveaux qui n’avaient pas été présentés à la CRTFP et ont de nouveaux arguments à faire valoir qui n’ont pas été présentés dans Motamedi.

[76] L’employeur m’a demandé d’appliquer le principe de la préclusion, conformément à la décision de la Cour suprême du Canada (CSC) dans Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44. Au paragraphe 25, la CSC a énoncé ces trois conditions d’application de la préclusion :

[…]

(1) que la même question ait été décidée;

(2) que la décision judiciaire invoquée comme créant la [préclusion] soit finale; et

(3) que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la [préclusion] est soulevée, ou leurs ayants droit.

[…]

 

[77] Je conclus que la première condition préalable est facilement remplie en l’espèce. La question à trancher dans les présents griefs est identique à celle dans Motamedi. Elles impliquent le même agent négociateur, la même unité de négociation et la même convention collective. Par ailleurs, elles concernent les mêmes reclassifications (de PM-06 à CO-02, en 2002) et le même processus de conversion de classification (de PM-06 à SP‑10, en 2007). Enfin, la même réparation est demandée; dans les deux cas, les fonctionnaires s’estimant lésés ont fait valoir qu’ils devraient être payés aux taux figurant dans la grille salariale SP-10.

[78] La deuxième condition préalable est également remplie. Conformément à ce qui est désormais le paragraphe 34(1) de la Loi sur la Commission, les décisions de la Commission sont définitives, sous réserve uniquement du processus de révision par voie judiciaire. Une disposition similaire (dans la LRTFP elle-même) régissait les décisions de la CRTFP. Dans le cas de Motamedi, les fonctionnaires s’estimant lésés ont déposé une demande de contrôle judiciaire, mais ont ensuite retiré leur demande. Cette décision était définitive.

[79] En ce qui concerne la troisième condition préalable, l’employeur a fait valoir que, bien que les fonctionnaires s’estimant lésés soient différents, l’agent négociateur est leur ayant droit. Il a soutenu que la notion de lien de droit doit être décidée au cas par cas (voir Danyluk, au paragraphe 60, et Ontario c. S.E.E.F.P.O., 2003 CSC 64). Il a fait valoir que la Commission a accepté que les agents négociateurs agissent à titre d’ayants droit pour les fonctionnaires s’estimant lésés individuels (voir Bishop-Tempke c. Conseil du Trésor, 2017 CRTEFP 3, au paragraphe 35). Elle devrait faire de même en l’espèce, car les fonctionnaires s’estimant lésés ont besoin de l’appui de leur agent négociateur pour déposer un grief en vertu de la convention collective (selon le paragraphe 208(4) de la Loi) et pour le soumettre à l’arbitrage (selon le paragraphe 209(2)).

[80] La mesure dans laquelle un agent négociateur peut agir au nom d’un fonctionnaire s’estimant lésé a fait l’objet d’un certain débat dans les décisions de la Commission. J’ai pris note de la décision de la CRTEFP dans Bishop-Tempke, qui a accepté que l’agent négociateur soit l’ayant droit de la plaignante. Dans Godbout c. Conseil du Trésor (Bureau de la coordonnatrice de la condition féminine), 2016 CRTEFP 5, au paragraphe 64, la Commission a conclu que l’exigence qu’un agent négociateur représente un fonctionnaire s’estimant lésé dans le cadre d’un grief lié à une convention collective signifie que le grief appartient à l’agent négociateur. Dans Kruse c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2020 CRTESPF 85, au paragraphe 35, la Commission a conclu que lorsqu’un agent négociateur retire sa représentation, l’affaire ne peut pas faire l’objet d’une audience.

[81] En revanche, dans Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2020 CRTESPF 117, au paragraphe 22, la Commission a conclu que le fait de représenter un fonctionnaire s’estimant lésé à l’arbitrage ne fait pas d’un agent négociateur la même partie aux fins de déterminer l’application du concept de la chose jugée (un concept similaire à celui de la préclusion). De même, dans Renaud c. Association canadienne des employés professionnels, 2009 CRTFP 177, au paragraphe 51, il a été conclu que les griefs individuels [traduction] « n’appartiennent pas à l’agent négociateur », puisque la LRTFP indique clairement que c’est le fonctionnaire qui peut renvoyer son grief à l’arbitrage (tout comme la Loi actuelle). Dans Fontaine c. Robertson, 2021 CRTESPF 19, la Commission a statué que les griefs individuels appartiennent au fonctionnaire et que les agents négociateurs ne peuvent pas accepter de règlements au nom d’un fonctionnaire s’estimant lésé.

[82] Pour déterminer si la troisième condition préalable à l’application de la préclusion est remplie en l’espèce, je suis guidé par le raisonnement et les conclusions de la Commission et de son prédécesseur dans Godbout, Bishop-Tempke et Kruse. Dans une affaire relative à la convention collective comme celle-ci, la décision de l’agent négociateur d’appuyer le grief à chaque étape du processus, y compris à l’arbitrage, est fondamentale pour sa progression dans le système. Si l’agent négociateur avait décidé de ne pas appuyer le grief pendant la procédure de règlement des griefs ou de ne pas assurer la représentation à l’arbitrage, la présente affaire aurait été stoppée net. L’IPFPC a assuré la représentation à chaque étape du processus interne, en soutenant les arguments des fonctionnaires s’estimant lésés devant les décideurs de l’ARC. Il les a soutenus lors de l’arbitrage de griefs, tout comme il l’a fait dans Motamedi. Il est évidemment un ayant droit dans la présente affaire.

[83] Toutefois, le fait de conclure que les trois conditions préalables énoncées dans Danyluk sont remplies ne revient pas systématiquement à faire droit à l’objection de l’employeur. L’employeur a fait valoir que dans Danyluk, la CSC a établi un pouvoir discrétionnaire limité pour les décideurs de refuser d’appliquer le principe de préclusion une fois que les trois conditions préalables sont remplies. Elle a énoncé sept facteurs pour ce faire.

[84] Je souligne que dans Danyluk, la CSC a statué que les tribunaux inférieurs n’avaient pas utilisé leur pouvoir discrétionnaire alors qu’ils auraient dû le faire. Je note également que la CSC a adopté une approche plus souple de l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans l’application de la préclusion dans Penner c. Niagara (Commission régionale de services policiers), 2013 CSC 19. Au paragraphe 69, la CSC a conclu que « [l]a doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée sert à établir un équilibre entre le caractère définitif des décisions et l’économie des ressources d’une part, et d’autres considérations intéressant l’équité envers les parties d’autre part. Il s’agit d’une doctrine souple qui permet au tribunal d’apprécier le caractère équitable d’une affaire donnée. »

[85] Lorsque l’employeur a fait sa première objection sur la base de la préclusion, les fonctionnaires s’estimant lésés ont indiqué qu’ils avaient de nouvelles preuves à présenter et de nouveaux arguments à faire valoir qui n’étaient pas en cause dans Motamedi. J’ai jugé préférable d’entendre ces éléments de preuve et ces arguments lors de l’audience, en même temps que les arguments des parties sur les objections préliminaires et le fond de l’affaire. La seule économie supplémentaire des ressources à réaliser concerne mon analyse de leurs arguments et la rédaction des présents motifs de décision.

[86] À mon avis, le rejet des griefs sur la base de la préclusion, près de sept ans après qu’ils ont été renvoyés à l’arbitrage, serait injuste et ne permettrait pas aux fonctionnaires s’estimant lésés de comprendre définitivement pourquoi la convention collective ne leur donne pas droit au taux de rémunération SP-10. Après la conversion à la norme SP en 2007, ils ont cru que l’ARC finirait par conclure que l’équité exigeait de les payer au même taux que leurs anciens homologues de niveau PM-06. Depuis le dépôt de leurs griefs en 2013, ils cherchent à obtenir une suite à leur affirmation selon laquelle ils devraient être payés au niveau SP-10. Les fonctionnaires s’estimant lésés ont beau appliquer leurs connaissances scientifiques de niveau doctoral à leur travail pour l’ARC, ils ont toutefois témoigné ne pas avoir compris les motifs de la CRTFP dans Motamedi et toujours chercher une réponse à leurs griefs. Pour leur fournir cette réponse, il a fallu entendre toutes leurs preuves et peser tous les arguments qu’ils ont avancés.

[87] Le préambule de la Loi stipule que « […] le gouvernement du Canada s’engage à résoudre de façon juste, crédible et efficace les problèmes liés aux conditions d’emploi […] ». Je trouve qu’il est plus juste et plus efficace de donner un caractère définitif à ces griefs sur le fond.

[88] L’employeur a présenté un autre argument selon lequel si les [traduction] « exigences strictes de la préclusion ne sont pas satisfaites », la Commission devrait appliquer la doctrine de l’abus de procédure. Il a fait valoir que [traduction] « l’abus de procédure est étroitement lié à la règle contre la contestation indirecte, selon laquelle une ordonnance ne doit pas être remise en cause dans une procédure ultérieure, sauf dans les cas prévus par la loi dans le but exprès de l’attaquer ». Parmi les nombreuses affaires citées, mentionnons Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, aux paragraphes 51 et 52, Boucher c. Stelco Inc. 2005 CSC 64, au paragraphe 35, et Colombie-Britannique (Workers' Compensation Board) c. Figliola, 2011 CSC 52, au paragraphe 34.

[89] Je comprends que la CSC a statué que l’intention malveillante n’est pas nécessaire pour que l’abus de procédure soit établi. L’abus de procédure concerne l’intégrité du processus juridictionnel, comme le résume Toronto (Ville), au paragraphe 51 :

La doctrine de l’abus de procédure s’articule autour de l’intégrité du processus juridictionnel et non autour des motivations ou de la qualité des parties. Il convient de faire trois observations préliminaires à cet égard. Premièrement, on ne peut présumer que la remise en cause produira un résultat plus exact que l’instance originale. Deuxièmement, si l’instance subséquente donne lieu à une conclusion similaire, la remise en cause aura été un gaspillage de ressources judiciaires et une source de dépenses inutiles pour les parties sans compter les difficultés supplémentaires qu’elle aura pu occasionner à certains témoins. Troisièmement, si le résultat de la seconde instance diffère de la conclusion formulée à l’égard de la même question dans la première, l’incohérence, en soi, ébranlera la crédibilité de tout le processus judiciaire et en affaiblira ainsi l’autorité, la crédibilité et la vocation à l’irrévocabilité.

 

[90] Toutefois, les trois décisions de la CSC citées par l’employeur (Toronto (City), Boucher et Figliola) concernaient les mêmes parties — et non leurs ayants droit. En l’espèce, les fonctionnaires s’estimant lésés n’avaient pas le droit de déposer une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue dans Motamedi. Je suis d’avis que l’IPFPC est un ayant droit des fonctionnaires s’estimant lésés compte tenu du principe de la préclusion. Toutefois, ces fonctionnaires s’estimant lésés n’avaient pas le droit de demander le contrôle judiciaire de la décision rendue dans Motamedi.

[91] De plus, les arguments de l’employeur en l’espèce étaient que les fonctionnaires s’estimant lésés s’étaient livrés à une contestation indirecte de la décision rendue dans Motamedi, un acte qu’il a qualifié de [traduction] « particulièrement flagrant ». Il a soutenu que les fonctionnaires s’estimant lésés ont délibérément déposé leurs griefs en réponse à Motamedi, au lieu d’une demande de contrôle judiciaire. Je ne trouve pas que cela concorde avec la preuve. La plupart des fonctionnaires s’estimant lésés ont signé leurs griefs avant la publication de la décision de la CRTFP dans Motamedi. Les représentants de leur agent négociateur n’ont approuvé la présentation des griefs que très peu de temps après la publication de la décision. En fait, une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue dans Motamedi a été déposée par les fonctionnaires s’estimant lésés dans le cadre de l’affaire. Cependant, ces fonctionnaires s’estimant lésés sont différents, et cherchent une réponse aux griefs qu’ils ont signés.

[92] Je n’estime pas que les griefs dont je suis saisi constituent un abus de procédure ou une contestation indirecte.

C. L’ARC a-t-elle omis de fournir une protection salariale conformément à la convention collective?

[93] J’en viens maintenant au fond des griefs.

[94] Les arguments des fonctionnaires s’estimant lésés portaient sur deux documents. Le premier est un protocole d’entente (PE) entre l’IPFPC et le Conseil du Trésor, signé le 21 juillet 1982 et concernant la rémunération au moment de la reclassification (le « PE de l’IPFPC »). Le deuxième document est le Règlement susmentionné, qui est un document du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada daté du 1er novembre 1991, mais dont la date d’entrée en vigueur est le 13 décembre 1981.

[95] Le PE de l’IPFPC est intégré à la convention collective du groupe Vérification, finances et sciences (VFS), signée entre les parties et en vigueur au moment du dépôt des griefs (date d’expiration : le 21 décembre 2014), en vertu de la clause 44.06, qui est rédigée comme suit :

44.06 Le présent article est assujetti au protocole d’accord signé par le Secrétariat du Conseil du Trésor et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada le 21 juillet 1982, à l’égard des employés dont le poste est bloqué.

 

[96] L’article 44 est intitulé « Administration de la paye » et concerne la manière dont l’employeur administre la paye. Le libellé identique de cette disposition se retrouve dans les conventions collectives précédentes et suivantes du groupe VFS signées entre les parties (les dates d’expiration étant respectivement les 21 décembre 2007, 2010, 2018 et 2022).

[97] Bien que la clause 44.06 indique que le PE de l’IPFPC concerne « les employés dont le poste est bloqué », en fait, ce PE prévoit une protection salariale. Sa partie I s’applique aux titulaires de postes qui « […] après l’entrée en vigueur de ce protocole, seront reclassifiés dans un groupe et (ou) un niveau comportant un taux de rémunération maximal accessible inférieur ». La disposition clé en cause dans la présente affaire est le paragraphe 2 de la partie I, qui est rédigée comme suit :

2. Nonobstant la reclassification régressive, un poste occupé est réputé avoir conservé à toutes fins utiles, son ancien groupe et niveau. En ce qui concerne la rémunération du titulaire, on peut citer cette disposition comme régime de protection salariale et sous réserve du paragraphe 3b) ci-dessous, elle s’applique jusqu’à ce que le poste devienne vacant ou jusqu’à ce que le taux maximal accessible de l’ancien niveau de classification, révisé de temps à autre, dépasse celui applicable du nouveau niveau, également révisé de temps à autre. Le calcul du taux maximal de rémunération qu’il peut obtenir sera effectué conformément aux Règlements sur la rémunération avec effet rétroactif.

 

[98] L’AFPC et le Conseil du Trésor ont conclu un PE pratiquement identique, daté du 9 février 1982 (le « PE de l’AFPC »). Il est également intégré aux différentes conventions collectives entre l’AFPC et l’ARC (voir, par exemple, celle dont la date d’expiration est le 31 octobre 2021, à la clause 63.05, reproduite à l’annexe F). Le libellé du paragraphe 2 de la partie I du PE de l’AFPC est identique à celui du PE de l’IPFPC.

[99] L’employeur a fait valoir que le PE de l’IPFPC ne s’applique pas aux fonctionnaires s’estimant lésés; il ne s’applique qu’aux employés qui sont reclassifiés à partir des groupes de l’IPFPC. Lorsque les fonctionnaires s’estimant lésés ont été reclassifiés, ils faisaient partie de l’unité de négociation de l’AFPC, mais ils ne sont plus couverts par une convention collective AFPC-ARC. Selon Janveau c. Canada (Procureur général), 2003 CF 1337, le droit des fonctionnaires s’estimant lésés à la protection salariale découle uniquement du Règlement de l’employeur, qui ne relève pas de la convention collective et, par conséquent, de la compétence de la Commission.

[100] Je ne suis pas d’accord. Si l’on considère tant le libellé spécifique de la convention collective en cause que son régime global, il est clair que l’employeur a accepté, par le biais de la négociation collective, d’assurer une protection salariale aux fonctionnaires qui ont fait l’objet d’une reclassification régressive après 1982. Il a approuvé un libellé identique dans les conventions qu’il a signées avec les deux agents négociateurs, l’IPFPC et l’AFPC. La clause 44.06 prévoit clairement que la rémunération sera administrée conformément au PE de l’IPFPC; les conventions de l’AFPC prévoient la même chose en ce qui concerne le PE de l’AFPC. Les deux PE ont été signés en 1982, celui de l’AFPC couvrant toutes les unités de négociation de l’AFPC et celui de l’IPFPC couvrant toutes les unités de négociation de l’IPFPC. Le langage utilisé à la partie I, paragraphe 2 des deux PE est identique. L’ARC, en tant qu’organisme distinct, a maintenu la même disposition de la convention collective et les mêmes PE dans les conventions collectives qu’elle a signées avec l’AFPC et l’IPFPC.

[101] Janveau fournit des indications claires quant à la convention collective qui s’applique à un fonctionnaire lorsque celui-ci est reclassifié d’un poste représenté par un agent négociateur à un poste représenté par un autre agent négociateur et quant à l’agent négociateur qui doit représenter le fonctionnaire. Dans Janveau, le plaignant était un ancien employé du groupe Systèmes d’ordinateurs (CS), représenté par l’IPFPC. Il a été reclassifié à un poste du groupe Soutien technologique et scientifique (EG), représenté par l’AFPC. La Cour fédérale a jugé qu’il ne pouvait déposer un grief qu’en vertu de la convention collective couvrant son poste EG, et seulement avec l’appui de l’AFPC. Ce n’est pas la question en l’espèce — il n’est pas contesté que la convention collective qui s’applique aux fonctionnaires s’estimant lésés est la convention VFS conclue entre l’ARC et l’IPFPC et il n’est pas contesté que l’IPFPC est l’agent négociateur légitime qui les représente.

[102] L’idée selon laquelle les fonctionnaires s’estimant lésés qui passent d’une unité à l’autre se retrouvent dans une sorte de convention collective neutre en ce qui concerne la protection salariale ne transparaît pas dans la décision de la CRTFP dans Motamedi. L’argument est également incompatible avec la décision rendue dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2016 CRTEFP 61 (confirmée par 2017 CAF 111), qui concernait la protection salariale des employés transférés dans les unités de négociation du Conseil du Trésor à partir d’employeurs distincts. Au paragraphe 102, il a été conclu que « [l]’intention du Protocole de 1982 est claire : les fonctionnaires de l’APC devraient être protégés dans l’éventualité où, indépendamment de leur volonté, leurs postes soient reclassifiés à un groupe et niveau dont le taux de rémunération maximum est moins élevé […] ».

[103] Bien que j’aie conclu que les fonctionnaires s’estimant lésés ont bénéficié de la protection prévue par le paragraphe 2 de la partie I du PE de l’IPFPC depuis leur reclassification à un poste CO-02 en 2002, je ne trouve pas qu’il donne les résultats qu’ils recherchent concernant le niveau SP-10.

[104] Les fonctionnaires s’estimant lésés ont fait valoir que l’expression « […] avoir conservé à toutes fins utiles, son ancien groupe et niveau » devrait inclure la conversion ultérieure de tous les PM-06 au groupe et au niveau SP-10. Étant donné que les postes classifiés au groupe et au niveau PM-06 ont été convertis au groupe et au niveau SP-10 en 2007, l’expression « à toutes fins utiles » devrait donner droit aux fonctionnaires s’estimant lésés à une rémunération au niveau SP-10, ont-ils dit.

[105] Le problème avec cet argument est que la conversion de PM à SP en 2007 ne faisait pas partie des conditions d’emploi des fonctionnaires s’estimant lésés lorsqu’ils ont été reclassifiés en 2002. L’employeur a commencé à élaborer la norme SP en 2005, bien après que les fonctionnaires s’estimant lésés ont été reclassifiés au groupe et au niveau CO-02, au sein de l’unité de négociation VFS. La conversion au niveau SP a été achevée en décembre 2007. Les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas été soumis au processus de conversion.

[106] En outre, le groupe et le niveau SP-10 n’étaient pas réservés aux PM-06. Les employés précédemment classifiés dans les groupes et niveaux AS-07, IS-06 et PG-05 sont également devenus des SP-10. De nombreux niveaux du groupe SP regroupent des employés de plusieurs des 16 groupes professionnels touchés par la conversion, comme en témoigne l’annexe B de la convention de l’AFPC de 2010. Certains des niveaux du groupe SP combinaient des employés provenant de 6 groupes et niveaux précédents.

[107] De plus, même si la plupart des PM-06 sont devenus des SP-10, ce n’était pas le seul résultat possible du processus de conversion de la classification. Bien qu’il ne semble pas que des PM-06 aient fait l’objet d’une reclassification régressive, cela aurait pu se produire. En fait, dans la convention de l’AFPC de 2010, l’ARC et l’AFPC ont convenu de taux de rémunération avec protection salariale pour plusieurs anciennes classifications qui avaient cessé d’exister (p. ex., AS, DA, GS et PI). Les conventions collectives subséquentes entre l’ARC et l’AFPC ont maintenu ces taux de rémunération protégés.

[108] L’ancien groupe et niveau des fonctionnaires s’estimant lésés était PM-06, et non SP-10. Le PE de l’IPFPC ne leur donne droit qu’au salaire d’un PM-06, tel que révisé de temps à autre. Le concept de « rémunération à toutes fins utiles » ne donne pas aux fonctionnaires s’estimant lésés le droit à la conversion subséquente de la classification au groupe et au niveau SP-10 que connaissent la plupart des PM-06.

[109] Le PE de l’IPFPC ne fournit aucune information quant à ce qui se passe si l’ancien groupe et niveau cesse d’exister. Cependant, il existe une disposition spécifique pour ce scénario à l’article 7 du Règlement, qui est rédigé comme suit :

7. Si le groupe ou le niveau de classification par rapport auquel le salaire protégé d’une personne est aboli, les droits salariaux seront rajustés de façon à refléter les révisions occasionnelles approuvées à l’égard du dernier niveau répertorié.

 

[110] Dans Motamedi, les fonctionnaires s’estimant lésés avaient reconnu que l’article 7 avait été correctement appliqué, mais avaient fait valoir que le PE de l’IPFPC avait préséance sur le Règlement. En l’espèce, les fonctionnaires s’estimant lésés ont fait valoir que l’employeur n’a pas respecté l’article 7. Ils ont fait valoir que le terme « révisions occasionnelles » ne se limite pas aux augmentations annuelles, mais doit inclure la conversion de la classification.

[111] Je ne suis pas d’accord. Je ne trouve aucun appui à l’idée que la conversion était une révision salariale « occasionnelle ». Encore une fois, si la grande majorité des PM-06 ont été convertis au groupe et au niveau SP-10, ce n’était pas le seul résultat possible de la conversion de la classification. Lors d’une conversion de classification, certains employés peuvent se retrouver avec des taux de rémunération plus élevés, tandis que d’autres peuvent être convertis en un groupe ou un niveau avec un taux de rémunération inférieur, par exemple, si dans ce cas, certains PM-06 étaient devenus des SP-09.

[112] En outre, le premier taux de rémunération mis en place pour le groupe et le niveau SP-10 n’était pas une révision « occasionnelle ». Il ressort clairement de la convention de l’AFPC de 2010 que les parties ont d’abord convenu d’établir un nouveau taux [traduction] « de départ » pour le groupe et le niveau SP-10. Ensuite, ils ont négocié des augmentations économiques des taux de rémunération SP pour chaque 1er novembre de 2007, 2008 et 2009.

[113] Je conclus que l’établissement d’une toute nouvelle grille salariale pour un tout nouveau groupe et niveau ne constituait pas une révision salariale aux fins de l’article 7 du Règlement. Les augmentations économiques subséquentes représentaient des révisions salariales, et le dossier indique que ces augmentations économiques ont été utilisées lorsque l’ARC a calculé les taux PM-06 faisant l’objet d’une protection salariale versé aux fonctionnaires s’estimant lésés.

[114] Cette interprétation est conforme au sens donné à l’expression « révision de la rémunération » dans Harrison c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2004 CRTFP 178, au paragraphe 10. Dans cette décision, l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) a conclu qu’une révision salariale était un changement des taux de rémunération applicables à un groupe et à un niveau professionnel, et non une révision de salaire à la suite d’une promotion. Je pousse mon analyse plus loin en concluant qu’une révision salariale ne comprend pas l’établissement des taux de rémunération d’une classification nouvellement créée.

[115] L’argument des fonctionnaires s’estimant lésés concernant le Règlement ne tient pas compte non plus des dispositions claires des articles 13 à 16, qui s’appliquent aux conversions de classification. Ces dispositions prévoient une protection salariale pour les fonctionnaires si le taux de rémunération du nouveau régime est inférieur au taux de rémunération de leur groupe et niveau précédents. L’article 13 indique clairement que cette partie du Règlement s’applique « […] lorsqu’un employé fait l’objet d’une conversion à un nouveau groupe […] ».

[116] Les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas été soumis à la conversion SP. Ils ont été officiellement classifiés au groupe et au niveau CO-02 en 2002. Lorsque la conversion a eu lieu en 2007, ils n’étaient plus classifiés au groupe et au niveau PM-06. La NPE et l’AOE ne leur étaient pas destinés. Ils n’ont pas reçu de description de poste abrégée. Ils n’ont pas reçu de classification SP. Aucune des prétendues « garanties » de l’employeur ne m’a convaincu que l’ARC n’ait jamais eu l’intention de convertir les fonctionnaires s’estimant lésés à la norme SP.

[117] Comme l’a fait valoir l’employeur, contrairement à l’article 7, qui fait généralement référence aux révisions des taux de rémunération, les articles 13 à 15 indiquent précisément quel taux de rémunération doit être versé à un fonctionnaire faisant l’objet d’une conversion de classification. En d’autres termes, lorsque le Règlement cherche à préciser quel taux de rémunération doit être utilisé, il le fait. Ce n’est pas le cas de l’article 7; il ne parle que du concept plus général des révisions des taux de rémunération.

[118] Je ferai remarquer que l’employeur a soutenu que le Règlement ne fait pas partie de la convention collective et qu’il ne relève donc pas de la compétence de la Commission. Ce même argument a été abordé dans Motamedi. Bien que la CRTFP n’ait pas conclu qu’elle avait compétence sur le Règlement, elle a constaté que l’ARC l’avait appliqué correctement.

[119] Je m’inspire du raisonnement de la CRTFP dans Harrison, au paragraphe 12, où elle a conclu que les documents de politique de l’employeur peuvent être utiles pour déterminer l’interprétation commune des termes liés à la rémunération. Le Règlement est en place depuis avant la signature des PE de 1982. Il constitue, en fait, un document essentiel pour comprendre ce que signifie le « statut de protection salariale » lorsqu’il est mentionné dans les PE.

[120] Enfin, les fonctionnaires s’estimant lésés ont fait valoir que si la Commission jugeait le PE de l’IPFPC ou le Règlement ambigu, ils devraient être payés au taux SP-10 par souci d’équité. Tous leurs anciens collègues PM-06 ont été convertis en SP-10. L’ARC devrait les traiter de la même manière. L’ARC avait promis de les traiter comme s’ils étaient encore au niveau PM-06, mais à présent, ils ont beaucoup d’arriérés en termes de compensation.

[121] Tout d’abord, comme je l’ai déjà affirmé, je ne trouve pas la convention collective ambiguë.

[122] Deuxièmement, je pense que les arguments des fonctionnaires s’estimant lésés méconnaissent l’importance de la protection salariale en tant que disposition négociée dans la convention collective. Cette méconnaissance était également évidente dans le témoignage de M. Kakis, lorsqu’il a exprimé l’opinion que l’ARC était légalement tenu de protéger son salaire, sinon elle pourrait être accusée de l’avoir rétrogradé.

[123] Les fonctionnaires s’estimant lésés ne bénéficient pas d’une protection salariale par équité ou par obligation légale générale. L’ARC a le pouvoir de reclassifier les postes. La clause 44.06 et le PE de l’IPFPC ont été négociés par les agents négociateurs des fonctionnaires s’estimant lésés (anciens et actuels) pour décrire ce qu’il advient du salaire d’un fonctionnaire s’il fait l’objet d’une reclassification régressive.

[124] Le langage clair de la clause 44.06 et le contenu du PE de l’IPFPC indiquent que la protection salariale a été négociée pour remplacer les taux de retenue — ce que l’on appelle communément le blocage de poste. Cela ressort clairement de la partie II du PE de l’IPFPC (ainsi que du PE de l’AFPC), qui traite du statut des employés qui étaient assujettis à des « taux de retenue » au moment de la signature de ces documents. Ces employés n’ont pas bénéficié du statut de protection salariale. Cependant, eux aussi ont bénéficié d’un traitement supérieur aux taux de retenue; la partie II prévoyait le versement de montants forfaitaires équivalents à toute augmentation économique négociée pour l’ancien groupe et niveau de l’employé.

[125] En cas de reclassification régressive, le statut de protection salariale est bien supérieur à celui de blocage de poste. La protection salariale existe parce qu’elle a été négociée en 1982. Les fonctionnaires s’estimant lésés ne sont pas laissés au bon vouloir de l’ARC d’établir les taux de rémunération qui lui conviennent; l’employeur est tenu, en vertu du PE de l’IPFPC et du Règlement, de réviser à la hausse les taux de rémunération PM-06 de temps à autre, en appliquant les mêmes augmentations économiques qu’il a négociées avec l’AFPC pour le groupe SP.

[126] Enfin, je suis d’accord avec une dernière affirmation de l’employeur, à savoir que si l’IPFPC ne voulait pas que ses membres dépendent des taux de rémunération déterminés par l’ARC, il lui était toujours loisible de négocier des taux de rémunération protégés pour ces employés dans le cadre de la négociation de la convention collective du groupe VFS. L’AFPC n’avait pas le pouvoir de négocier au nom des fonctionnaires s’estimant lésés, qui étaient des employés CO-02 représentés par l’IPFPC. L’AFPC ne pouvait négocier des taux de rémunération protégés que pour ses membres, et elle l’a fait. L’IPFPC pourrait chercher à négocier les taux de rémunération PM-06 pour ses membres CO-02.

[127] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IV. Ordonnance

[128] Les griefs sont rejetés.

Le 29 avril 2021.

Traduction de la CRTESPF

David Orfald,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

 

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