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Date : 20210504

Dossier : 566-02-8059

 

Référence : 2021 CRTESPF 50

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Jeffrey Brown

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Service correctionnel du Canada)

 

employeur

Répertorié

Brown c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Ian R. Mackenzie, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Michael Fisher et Ann Lichty, avocats

Pour l’employeur : Phillipe Giguère, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 6 et 30 novembre 2020 et les 11 et 18 janvier 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Jeffrey Brown, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») a déménagé de Windsor, en Ontario, à Kingston, en Ontario, pour y travailler en 2009. À l’époque, il travaillait comme agent de libération conditionnelle (WP-04) pour le Service correctionnel du Canada (SCC ou l’« employeur »). En 2010, M. Brown a contesté le refus par l’employeur de sa demande de prolongation du délai pour l’achat d’une nouvelle résidence en vertu de la Directive sur la réinstallation du Conseil national mixte (CNM). Le fonctionnaire a également allégué qu’il lui avait refusé à tort l’indemnité pour les frais de logement provisoire, les frais de repas et les frais accessoires (« indemnités provisoires »). Le Comité exécutif du CNM a rejeté le grief. Le grief a été renvoyé à la Commission en février 2013.

[2] Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) est entrée en vigueur (TR/2014-84), créant ainsi la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (la « nouvelle Commission ») pour remplacer l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission ») ainsi que l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

[3] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et du Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi ») et le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (le « Règlement »).

II. Dispositions de la Directive sur la réinstallation du CNM

[4] La Directive sur la réinstallation du CNM (la « directive ») énonce les avantages offerts aux fonctionnaires fédéraux qui sont visés par la définition de réinstallation. La directive fait partie de la convention collective conclue entre les parties. L’objet de la directive est énoncé au paragraphe 1.2.1 :

1.2.1 Dans toute réinstallation, la politique du gouvernement est qu’il faut viser à réinstaller le fonctionnaire de la façon la plus efficace possible, c’est-à-dire en veillant à ce que le coût soit le plus raisonnable possible pour l’État et à ce que le processus engendre le moins possible de conséquences négatives pour le fonctionnaire, sa famille et les activités du ministère.

 

[5] Les « principes de la directive » sont énoncés dans la directive :

[…] Ces principes constituent la pierre angulaire de la gestion des réinstallations du gouvernement et devraient aider tous les membres du personnel et de la direction à établir des pratiques de réinstallation justes, raisonnables et modernes dans toute la fonction publique.

Confiance – accroître le pouvoir et la latitude des fonctionnaires et des gestionnaires d’agir d’une manière juste et raisonnable.

Souplesse – créer un environnement dans lequel les décisions de gestion respectent l’obligation d’adaptation, répondent au mieux aux besoins et aux préférences des fonctionnaires et tiennent compte des nécessités du service dans l’organisation des préparatifs de réinstallation.

Respect – créer un environnement sensible aux besoins des fonctionnaires et des processus favorables aux réinstallations.

Valorisation des gens – reconnaître les fonctionnaires d’une manière professionnelle tout en soutenant les fonctionnaires, leurs familles, leur santé et la sécurité dans les situations de réinstallations.

Transparence – assurer l’application cohérente, juste et équitable de la directive et de ses pratiques.

Pratiques de réinstallation modernes – adopter des pratiques de gestion des réinstallations qui soutiennent les principes et tiennent compte des tendances et des réalités de l’industrie des réinstallations; élaborer et mettre en œuvre le cadre et la structure appropriés de responsabilisation des réinstallations.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[6] La directive prévoit un délai d'un an pour le remboursement des frais de réinstallation (paragraphe 2.13.1). Une demande de prolongation de ce délai peut être présentée par un fonctionnaire « [d]ans des circonstances exceptionnelles ». L’approbation de ces demandes « ne doit pas être rejeté[e] sans motif raisonnable ».

[7] L’article 9.2 prévoit qu’un fonctionnaire peut demander une prolongation du délai d’achat d’une résidence « dans des situations où l’achat de la résidence est retardé en raison de circonstances exceptionnelles ». L’article prévoit également que les demandes de prolongation ne doivent pas être refusées sans raisons valables, « conformément aux principes établis dans la présente directive ». La directive dresse une liste non exhaustive des circonstances exceptionnelles, y compris la « [f]aiblesse du marché ».

[8] Pour obtenir la prolongation, le fonctionnaire doit soumettre une analyse de cas au coordonnateur ministériel national (CMN), qui l’achemine avec sa recommandation au responsable du programme du Secrétariat du Conseil du Trésor pour approbation. Le responsable du programme répondra alors par écrit à la demande, dès que possible, mais au plus tard dix (10) jours après la réception de l’analyse de cas.

III. Résumé de la preuve

[9] Les parties ont préparé un énoncé conjoint des faits et fourni des documents, que j’ai utilisés pour préparer le résumé de la preuve.

[10] Le 21 septembre 2009, le fonctionnaire a accepté une offre de réinstallation du Bureau de libération conditionnelle de la région de Windsor au Centre Portsmouth situé à Kingston. La lettre d’offre a été signée le 10 novembre 2009.

[11] Au départ, la réinstallation devait avoir lieu le 1er novembre 2009, mais en raison de contraintes budgétaires, l’employeur a reporté la réinstallation au 1er avril 2010. Le dossier de réinstallation du fonctionnaire a été enregistré auprès des services de réinstallation le 15 décembre 2009. À la demande du fonctionnaire, la date de réinstallation a été modifiée par la suite au 15 avril 2010.

[12] À l’automne 2009, le fonctionnaire a entrepris une exploration préliminaire du marché immobilier. Il avait l’intention de vendre sa propriété à Windsor et d’acheter une résidence à Kingston. Au cours de ces discussions préliminaires avec plusieurs agents immobiliers il a appris que le marché immobilier de Windsor était faible et qu’il serait très difficile de vendre sa résidence. Par conséquent, il a choisi d’annoncer simultanément sa propriété à vendre et à louer. Deux visites libres ont eu lieu. Le fonctionnaire n’a reçu aucune offre d’achat et a reçu cinq offres de location. Le 16 avril 2010, il a accepté un contrat de location pour sa propriété de Windsor à compter du 1er juin 2010. Il a choisi de recevoir la commission immobilière en vertu de la directive, qui aurait été payable s’il avait vendu sa maison.

[13] Du 6 au 14 mars 2010, le fonctionnaire était à Kingston pour un voyage à la recherche d’un logement, qui a été approuvé et pour lequel il a été remboursé. Vers le 18 mars 2020, le fonctionnaire a fait une offre d’achat conditionnelle d’une propriété à Kingston. La vente devait se conclure le 1er avril 2010. La vente ne s’est pas réalisée et le fonctionnaire a perdu son dépôt de 1 000 $. Dans un courriel adressé à l’employeur le 5 avril 2010, il a déclaré que le financement de l’achat a été refusé parce que le fait d’avoir une deuxième hypothèque a accru ses besoins de versement initial. Il a fait une réservation dans un hôtel le 1er avril 2020 et y est resté jusqu’au 2 juin 2010.

[14] En avril 2010, le fonctionnaire a signé un bail d’un an pour une maison de ville locale, avec une date d’emménagement fixée au 2 juin 2010. Il est resté dans cette résidence pendant plusieurs années.

[15] Le 26 avril 2010, le fonctionnaire a présenté par écrit une demande officielle de prolongation des avantages relatifs à la réinstallation, y compris une analyse de cas pour la prolongation. Il a informé l’employeur que lors de ses entretiens préliminaires avec des agents immobiliers à Windsor, il a appris qu’il serait très difficile de vendre sa maison en raison de la faiblesse du marché à Windsor, surtout pour la valeur de sa résidence (environ 300 000 $). Il a écrit qu’une fois qu’il a reçu le [traduction] « feu vert » du ministère, il a annoncé sa maison de Windsor :

[Traduction]

[…] La propriété a été annoncée de façon vigoureuse à la fois pour la vente et la location. Comme l’avaient prédit plusieurs agents immobiliers, malgré plusieurs visites libres, je n’ai pas reçu une seule offre d’achat, mais j’ai reçu plusieurs offres de location. Face à ces réalités, j’ai pris la décision d’accepter le contrat de location et de choisir l’option « de ne pas vendre » qui m’est offerte dans la directive du CNM […]

Je reconnais que les choses ne se sont pas déroulées aussi bien que je l’aurais espéré en ce qui concerne ma tentative d’acheter une maison au nouvel endroit, puisque les négociations ont échoué en raison de l’évolution des besoins financiers. Il est important de souligner que j’ai également perdu beaucoup dans les circonstances. Ces deux événements sont survenus de la manière la plus évidente, comme mon dépôt sur la propriété et mes dépenses continues en ce qui concerne l’hébergement temporaire (motel), tandis que je continue à me débattre pour trouver un endroit où vivre pour moi-même et mes enfants. J’ai puisé considérablement dans mes économies juste pour avoir un endroit temporaire où vivre tout en essayant de m’adapter à mes nouvelles responsabilités professionnelles […] Je suis contraint de louer une propriété au nouvel endroit pour une série de raisons. Mon objectif est toutefois d’acheter une propriété ici au nouvel endroit, et une prolongation d’un an m’aiderait beaucoup à en faire une réalité.

 

[16] Le 8 juin 2010, M. Luc Lemieux, le CMN, a rejeté la demande du fonctionnaire :

[Traduction]

Le choix de ne pas vendre a été fait au tout début de cette réinstallation. D’après les renseignements fournis dans un courriel de M. Brown en date du 5 avril 2010, […] il est clair que le problème de la garantie de cette hypothèque est dû à la décision du membre de ne pas vendre, décision personnelle qui a créé la question de la double hypothèque et l’exigence d’un acompte plus important qui a empêché M. Brown d’acheter une résidence au nouvel endroit.

Étant donné que les circonstances ne sont pas jugées exceptionnelles et que M. Brown a encore six mois du délai initial d’un an pour procéder à l’achat d’une résidence à destination, la demande de prolongation d’un an n’est pas appuyée par le CMN.

 

[17] Le 9 juin 2010, le fonctionnaire a demandé un deuxième examen de sa demande de prolongation de ses frais de réinstallation et a fourni des explications supplémentaires :

[Traduction]

[…]

J’ai remarqué dans la réponse qu’une partie de cette décision était fondée sur ma période de six mois restante dans mon dossier de réinstallation actuel. Cependant, parce que j’ai dû déménager dans un logement semi-permanent, j’ai dû signer un bail d’un an à compter du 1er juin 2010. Cela signifierait que même si j’étais en mesure de faire une autre offre sur une propriété dans les six prochains mois avant l’expiration de cette réinstallation, je devrais envisager de casser ce bail et d’en assumer les conséquences et pénalités.

[…] les ventes immobilières à Windsor sont documentées comme étant parmi les pires au pays (sans doute touchées par le taux de chômage supérieur à 12 %). En outre, cette condition pour les prolongations, selon la politique, « ne doit pas être refusée sans raisons valables ».

[…]

Si j’avais laissé passer l’occasion d’obtenir un bon locataire pour louer ma propriété à l’ancien emplacement pour le 1er juin (signature d’un contrat de 15 mois), je me serais probablement retrouvé avec une maison vide à Windsor qui n’a toujours pas été vendue et une hypothèque dont j’étais responsable, plus le coût d’un logement pour la vie à Kingston.

J’ai payé deux endroits pour tout le mois d’avril et tout le mois de mai et cela a été un fardeau financier très important pour moi et ma famille (d’où ma demande pour l’IHPRFA depuis la date du rapport du 1er avril au déménagement du 2 juin). Je n’aurais pas pu le faire indéfiniment, et le ministère ne m’accorde qu’un délai de six mois. En outre, comme je l’ai dit précédemment, le coût d’une IOTDR de six mois aurait été beaucoup plus élevé pour le SCC que les sommes qu’il doit verser.

[…]

 

[18] Le gestionnaire responsable a transmis la deuxième demande au CMN accompagnée de l’observation suivante :

[Traduction]

[…]

Je suis d’accord avec lui pour dire que, dans ces circonstances, il répond aux critères de « circonstances exceptionnelles » et je recommande certainement que la prolongation soit soumise au CT. Si la réponse est encore non, je vous demanderais de bien vouloir décrire ce qui pourrait être considéré comme des « circonstances exceptionnelles » qui justifieraient une présentation au CT pour examen. Merci de votre temps et de l’attention que vous porterez à cette importante demande.

 

[19] Le CMN a rejeté la demande du fonctionnaire le 8 juillet 2010 :

[Traduction]

La demande de prolongation a été examinée et elle n’est toujours pas appuyée par le CMN, car la situation découle d’une série de décisions personnelles et, à ce titre, ne répond pas à la définition de « circonstances exceptionnelles ».

L’argument selon lequel le marché du logement à Windsor est mauvais ne peut être invoqué comme étant une situation exceptionnelle, puisque M. Brown a choisi de ne pas vendre, ce qui est une décision personnelle. Cette décision a nui à sa capacité d’obtenir une hypothèque sur une maison de Kingston, ce qui, encore une fois, est le résultat d’une décision personnelle. M. Brown a décidé de louer un logement à Kingston et de signer un contrat de location d’un an. Il s’agit là encore d’une décision personnelle qui n’empêche pas M. Brown d’acheter une maison au cours des six prochains mois. Enfin, la décision d’attendre la fin du bail pour acheter à destination est de nouveau de choix personnel.

Des cas semblables, où les situations découlaient de décisions personnelles, ont été examinés et soumis dans le passé au SCT pour approbation et aucun n’a été approuvé. Dans ce cas particulier, les arguments présentés par M. Brown ne répondent pas à la condition de « circonstances exceptionnelles » énoncée à l’article 9.2 […]

 

[20] Le fonctionnaire a déposé un grief à l’égard de la réponse du CMN. Il a également contesté le refus des indemnités provisoires après le 1er avril 2010. Il a demandé une prolongation d’un an pour acheter une maison. Le 22 novembre 2012, le Comité exécutif du CNM a rejeté le grief au dernier palier. Le Comité exécutif du CNM a convenu que le CMN n’avait pas renvoyé l’analyse de cas au responsable du programme du SCT, comme l’exige la directive. Toutefois, il a également conclu que le fonctionnaire avait été traité conformément à l’esprit de la directive concernant sa demande de prolongation de la période de réinstallation.

[21] Le Comité exécutif du CNM a conclu que la faiblesse du marché n’expliquait pas pourquoi le fonctionnaire n’avait pas pu acheter une résidence à Kingston :

[Traduction]

[…]

Le Comité reconnaît que la faiblesse du marché constitue une circonstance exceptionnelle aux termes de l’article 9.2 justifiant la prolongation de la période de réinstallation conformément à l’article 2.13.1, que ce soit pour la vente ou l’achat d’une résidence. Cependant, dans la présente affaire, une fois que le fonctionnaire s’estimant lésé a décidé de ne pas vendre son ancienne résidence, la faiblesse du marché n’était plus un facteur dans sa réinstallation, conformément à la Directive.

[…]

 

[22] Le Comité exécutif a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait bénéficié des indemnités provisoires maximales admissibles en vertu de la directive. Le Comité exécutif a noté que la question de savoir si le fonctionnaire était en voyage ou en réinstallation du 1er au 14 avril 2010 n’était pas claire. Il a recommandé que l’employeur examine son statut et, le cas échéant, lui rembourse ses dépenses.

IV. Résumé de l’argumentation

[23] Les parties ont présenté des arguments écrits. Voici une version révisée de ces arguments.

A. Pour le fonctionnaire

[24] Le fonctionnaire avait droit à une prolongation des droits de réinstallation en vertu des articles 2.13.1 et 9.2 de la directive. À première vue, la directive vise à réinstaller un fonctionnaire de la façon la plus efficace possible, tout en engendrant le moins possible de conséquences négatives pour le fonctionnaire et sa famille. Elle comprend un cadre permettant de déterminer s’il y a lieu d’accorder une prolongation dans des circonstances où l’achat d’une résidence par un fonctionnaire est retardé en raison de circonstances exceptionnelles. Elle indique explicitement qu’une circonstance exceptionnelle comprend la faiblesse du marché. En rejetant sa demande, le SCC n’a pas tenu compte du lien évident entre la faiblesse du marché à Windsor et l’incapacité du fonctionnaire d’acheter une maison à Kingston, ainsi que des principes énoncés dans la directive.

[25] Pour interpréter la directive, la Commission doit tenir compte des mots choisis par les parties elles-mêmes. L’hypothèse fondamentale en matière d’interprétation, comme la Commission l’a indiqué, « est que les parties avaient l’intention de dire ce qu’elles ont dit et qu’il faut rechercher le sens de la convention collective dans ses dispositions expresses » (Porlier c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources naturelles), 2018 CRTESPF 77). Les dispositions doivent être interprétées selon leur sens normal et ordinaire, à moins que cette interprétation ne soit incompatible avec la convention dans son ensemble ou ne conduise à un résultat absurde.

[26] Afin d’éviter une contrainte excessive et des répercussions négatives sur les fonctionnaires qui se réinstallent, les parties ont élaboré des principes qui sous‑tendent l’interprétation de la directive. Ces principes reconnaissent qu’une réinstallation constitue une perturbation importante pour les fonctionnaires et leurs familles. Ils ont pour but de « créer un environnement sensible aux besoins des fonctionnaires et des processus favorables aux réinstallations » et de « reconnaître les fonctionnaires d’une manière professionnelle tout en soutenant les fonctionnaires, leurs familles, leur santé et la sécurité dans les situations de réinstallations ».

[27] Les parties avaient l’intention de mettre en place un processus de réinstallation avec souplesse et confiance afin d’« accroître le pouvoir et la latitude des fonctionnaires et des gestionnaires d’agir d’une manière juste et raisonnable ». Ce processus permettrait de créer « un environnement dans lequel les décisions de gestion respectent l’obligation d’adaptation, répondent au mieux aux besoins et aux préférences des fonctionnaires et tiennent compte des nécessités du service dans l’organisation des préparatifs de réinstallation ». Les parties ont adopté un cadre libéral et généreux pour déterminer s’il y a lieu d’accorder une prolongation lorsque l’achat d’une résidence est retardé en raison de circonstances exceptionnelles.

[28] Il convient de noter que la version antérieure de la directive prévoyait une approche plus restrictive pour approuver les prolongations des avantages en matière de réinstallation. Dans Hicks c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2006 CRTFP 60, l’arbitre de grief a examiné le contexte de la directive de 1993 sur la réinstallation, qui contenait la disposition suivante concernant la prolongation des droits à la réinstallation :

[…]

[…] L’employé pourra être exempté de cette limite si l’administrateur général ou son représentant donne son approbation. La période de deux ans pourra être prolongée si l’employé peut démontrer son incapacité à vendre sa résidence pour des raisons indépendantes de sa volonté, par exemple un marché immobilier limité ou ayant connu un ralentissement considérable.

 

[29] La Commission dans Hicks a rejeté le grief en déclarant que la prolongation doit « découler de facteurs externes n’ayant aucun rapport avec la situation personnelle de l’employé » et devrait être « basée sur l’incapacité démontrée de l’employé à vendre sa résidence ou pour en acheter une nouvelle ». L’arbitre de grief a fini par rejeter le grief parce que les circonstances invoquées par le fonctionnaire s’estimant lésé concernaient la maladie de sa belle-mère et les soins et visites de sa femme auprès d’elle.

[30] Depuis Hicks, les parties ont modifié de manière significative les droits prévus par la directive afin d’accroître la protection des fonctionnaires. Premièrement, elles ont ajouté des principes directeurs. Deuxièmement, les parties ont inclus l’article 9.2, qui prévoit que les demandes de prolongation des délais ne doivent pas être refusées sans raisons valables, conformément à ces principes. Elles ont supprimé le critère consistant à « démontrer son incapacité ». De plus, les principes présument que les fonctionnaires font valoir leurs revendications de bonne foi.

[31] Les modifications apportées à la directive depuis Hicks démontrent que l’employeur devrait approuver les demandes raisonnables de prolongation dans les situations où « l’achat de la résidence est retardé en raison de circonstances exceptionnelles » et que ces demandes devraient être examinées conformément à l’approche libérale et flexible énoncée dans les principes de la directive. Il s’agit d’une approche judicieuse, compte tenu du risque de perturbations importantes dans la vie des fonctionnaires qui entreprennent une réinstallation pour le travail et du souhait des deux parties de se protéger contre ce résultat.

[32] La directive est claire : un fonctionnaire peut demander une prolongation si l’achat d’une résidence est retardé en raison de circonstances exceptionnelles. Les circonstances exceptionnelles incluent expressément la faiblesse du marché. En outre, la directive prévoit que l’employeur doit agir d’une « manière juste et raisonnable ». L’omission de l’employeur de prolonger les avantages en matière de réinstallation dans les circonstances actuelles, alors que la faiblesse du marché a empêché le fonctionnaire de vendre et d’acheter une résidence, constitue une violation de l’article 9.2 de la directive.

[33] L’employeur doit fournir une raison convaincante de rejeter la demande de prolongation ou une explication raisonnable d’un tel refus. Dans Cianciarelli c. Conseil du Trésor (ministère de l’Environnement), 2017 CRTEFP 32, l’employeur avait rejeté une demande en vertu de la convention collective visant à fournir des fonds de mesures de soutien à la transition afin de réduire l’impôt à payer du fonctionnaire dans un contexte de réaménagement des effectifs. La Commission a conclu que l’employeur n’avait pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon juste et raisonnable :

[…]

[34] […] il m’apparaît qu’un principe d’équité n’a pas été pris en compte. L’employeur a accepté, dans la convention collective et dans l’ERE, de traiter les employés équitablement.

[…]

[40] […] l’employeur ne m’a fourni aucune explication raisonnable justifiant le défaut d’accorder l’option des deux versements, particulièrement lorsqu’il ressort clairement que cette option est en place depuis un certain temps […]

 

[34] En l’espèce, l’employeur n’a pas non plus fourni d’explication raisonnable pour rejeter la demande, étant donné que la directive précise clairement que la faiblesse du marché constitue une circonstance exceptionnelle qui justifie l’octroi des avantages à un fonctionnaire. L’employeur n’a fourni aucune explication à sa conclusion selon laquelle, malgré le libellé explicite de la directive, l’incapacité du fonctionnaire de vendre sa maison était une décision personnelle. C’est particulièrement le cas puisque l’employeur n’a jamais remis en question le fait que la demande du fonctionnaire ait été faite de bonne foi.

[35] Comme l’a confirmé le Comité exécutif du CNM, l’incapacité du fonctionnaire de vendre sa résidence était le résultat direct de la faiblesse du marché. Par sa décision, le Comité exécutif du CNM ne souscrivait pas à la justification de l’employeur selon laquelle les circonstances n’étaient pas considérées comme exceptionnelles, mais plutôt comme une décision personnelle. Plus précisément, le Comité exécutif du CNM a conclu que la faiblesse d’un marché, que ce soit pour la vente ou l’achat d’une résidence, constitue une circonstance exceptionnelle valable en vertu de la directive.

[36] Toutefois, le Comité exécutif du CNM a commis une erreur en décidant que la faiblesse du marché n’était plus un facteur dans sa réinstallation, une fois que le fonctionnaire a décidé de ne pas vendre sa maison. Ce raisonnement est circulaire, car le fonctionnaire n’avait guère d’autre choix que de louer, plutôt que de vendre sa résidence, lorsqu’il n’a reçu aucune offre d’achat. Il aurait été déraisonnable de s’attendre à ce qu’il vende sa maison considérablement à perte, ce qui aurait été sa seule option à l’époque. Compte tenu de la réalité du marché immobilier à Windsor, sa décision de ne pas vendre sa résidence était la seule option raisonnable dont il disposait. Par conséquent, il n’existe aucun fondement raisonnable qui permettrait à l’employeur de considérer son incapacité à vendre sa maison compte tenu de la faiblesse du marché comme une [traduction] « décision personnelle ».

[37] La faiblesse du marché à Windsor est aussi la raison pour laquelle le fonctionnaire n’a pas pu acheter une résidence à Kingston. Concrètement, il a été obligé de louer sa résidence à Windsor. Il n’y avait pas de marché pour sa résidence à l’époque et la vendre considérablement à perte n’est guère un choix dans ces circonstances. Comme il devait conserver l’hypothèque de sa propriété de Windsor, il n’a pas pu obtenir une hypothèque pour acheter une résidence à Kingston. Le CMN a notamment convenu que sa décision de ne pas vendre sa résidence avait eu une incidence sur sa capacité d’obtenir une hypothèque sur une résidence à Kingston, mais a conclu à tort qu’il s’agissait d’une décision personnelle.

[38] La décision de ne pas vendre, qui était fondée sur la faiblesse du marché, est la conséquence directe de l’incapacité du fonctionnaire à obtenir une hypothèque pour acheter une résidence à Kingston. Sa demande de prolongation des avantages en matière de réinstallation pour l’achat d’une résidence était donc directement liée à la faiblesse du marché à Windsor. D’ailleurs, le gestionnaire responsable a convenu que le fonctionnaire satisfaisait aux critères des « circonstances exceptionnelles » en vertu de la directive et a recommandé la prolongation des droits de réinstallation. Pour des raisons inexpliquées, l’employeur n’a pas tenu compte de cet avis et a rejeté la demande du fonctionnaire.

[39] La décision de l’employeur de refuser la demande du fonctionnaire était contraire aux termes explicites de la directive et à ses principes sous-jacents. L’employeur a refusé sa demande sans raisons valables et, par conséquent, le grief devrait être accueilli.

B. Pour l’employeur

[40] L’employeur a fait remarquer que le fonctionnaire n’avait présenté aucun argument sur la question du refus des indemnités provisoires. Il a soutenu que le fonctionnaire avait le fardeau de prouver cette allégation et qu’il ne devrait pas être autorisé à scinder son cas en soulevant des arguments sur cette question en réponse.

[41] Comme toute affaire d’interprétation de convention collective, il incombe au fonctionnaire de démontrer que l’employeur a contrevenu aux modalités de la convention, en l’espèce la directive (Denboer c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 58). La Commission doit vérifier l’intention des parties à la directive sur les questions en litige et y donner effet (Chafe c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112). L’interprétation de la Commission est limitée par les modalités explicites de la directive. Il ne lui appartient pas de modifier les conditions énoncées dans la directive (Outingdyke c. Canada (Conseil du Trésor), 2003 CRTFP 51 et Chafe) ni d’utiliser les dispositions plus générales de la directive pour modifier le sens de dispositions précises de la directive qui sont par ailleurs claires (Hicks).

[42] Le fardeau du fonctionnaire est double. Premièrement, il doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que la demande de prolongation des avantages était fondée sur des circonstances exceptionnelles qui n’ont aucun rapport avec une décision ou sa situation personnelle. Par la suite, il doit démontrer que l’employeur n’avait pas de raisons valables, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, de refuser la demande.

[43] La principale exigence d’une prolongation des avantages relatifs à la réinstallation est qu’il doit y avoir des circonstances exceptionnelles découlant de facteurs externes n’ayant aucun rapport avec la situation personnelle du fonctionnaire et qui sont indépendantes de sa volonté. Toutefois, même en cas de circonstances exceptionnelles, le droit à une prolongation des avantages relatifs à la réinstallation n’est pas absolu et l’octroi d’une telle demande demeure à la discrétion de l’employeur. Le pouvoir discrétionnaire de l’employeur n’est pas soumis à l’examen de la Commission, sauf pour s’assurer qu’il a été exercé de façon raisonnable (Dollar and Treasury Board (Canada Employment and Immigration Commission), [1979] C.P.S.S.R.B. No. 18). La conséquence doit être que la Commission ne doit pas s’ingérer dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’employeur s’il était raisonnable, même si la Commission avait pu prendre une décision différente et accorder la prolongation. La Commission devrait refuser de se mettre à la place de la direction et d’usurper le pouvoir discrétionnaire qui a été accordé aussi clairement à l’employeur en vertu de la directive. Dans tous les cas, une décision peu généreuse n’est pas nécessairement déraisonnable, et le fait que d’autres personnes puissent accorder la demande ne constitue pas une violation de la convention collective. Au contraire, il se pourrait bien que les deux décisions aient été également raisonnables, car il pourrait y avoir une différence d’opinions de bonne foi (voir Dollar).

[44] En l’espèce, le fonctionnaire ne satisfait pas aux premiers critères de prolongation du délai en vertu de la directive. Premièrement, il n’a pas établi qu’il existait des circonstances exceptionnelles lorsqu’il a présenté sa demande de prolongation du délai. À l’inverse, la situation du fonctionnaire découlait d’une série de décisions personnelles et stratégiques qu’il avait prises, ainsi que d’une mauvaise planification. Au début du processus de réinstallation, il a pris la décision personnelle de louer sa maison au lieu de continuer à la mettre en vente. Il a également pris une autre décision stratégique dès le début lorsqu’il a opté pour l’encouragement à ne pas vendre en vertu de la directive. Il a aussi loué avec succès sa maison à Windsor pour une période de deux ans à compter de juin 2010, à un taux qui, selon lui, était plus que suffisant pour couvrir tous ses frais de transport et toutes ses dépenses. Le fonctionnaire a ainsi transformé sa propriété de Windsor en propriété génératrice de revenus. De plus, il a choisi de louer sa propriété à compter de juin 2010, même s’il savait qu’il devait se présenter à Kingston en avril 2010. En raison de ces décisions, le fonctionnaire a accepté de continuer à assumer tous les coûts et les risques associés à la possession d’une hypothèque sur sa propriété à Windsor (Ontario).

[45] Bien que ses décisions aient été prises au début du processus de réinstallation, à son propre détriment, le fonctionnaire a été très lent à chercher une résidence convenable à Kingston. Il n’y avait aucune bonne raison pour qu’il attende aussi longtemps. Son dossier de réinstallation a été ouvert en décembre 2009 et, au début, il a choisi de ne pas vendre sa propriété à Windsor. Lorsqu’il a choisi d’entreprendre sa recherche si tard dans le processus, il ne s’est laissé aucune marge d’erreur pour régler les problèmes courants qui accompagnent l’achat et le financement d’une maison et la recherche de logements convenables. En fin de compte, des problèmes qui auraient pu être évités s’il avait été plus diligent sont survenus. À la fin de son voyage à la recherche d’un logement, il a fait une offre conditionnelle d’achat d’une propriété qui a avorté parce qu’il n’était pas en mesure d’obtenir le financement approprié. À son propre détriment, le fonctionnaire a présumé que le fait d’avoir reçu l’approbation préalable à l’obtention d’un prêt hypothécaire lui garantissait l’approbation d’une hypothèque aux mêmes conditions. Si le fonctionnaire s’était montré plus diligent, il aurait appris que l’approbation préalable d’une hypothèque ne garantit pas l’approbation d’une hypothèque aux mêmes conditions ou que le fait d’avoir déjà une hypothèque peut avoir une incidence sur ses chances d’obtenir une deuxième hypothèque à des conditions favorables. De plus, dans tous les cas, il lui incombait personnellement d’obtenir un financement approprié et d’organiser ses finances personnelles de manière à lui permettre d’acheter une deuxième propriété à Kingston.

[46] Peut-être que si le fonctionnaire avait commencé sa recherche d’un logement plus tôt, il aurait eu assez de temps pour régler les problèmes auxquels il a été confronté. Par exemple, il aurait réalisé plus tôt qu’il avait besoin d’un dépôt plus important. Il aurait eu plus de temps pour obtenir un financement convenable ou provenant d’une autre source ou il aurait pu réajuster son budget pour acheter une résidence à la mesure de ses moyens. Il a peut-être réalisé qu’il était préférable de louer des logements à Kingston plutôt que de procéder à l’achat d’une propriété, puis de prévoir plus de temps pour trouver des arrangements de location convenables ou souples. Malheureusement, sa mauvaise planification l’a privé de toute marge de manœuvre pour régler les problèmes courants qui accompagnent l’achat et le financement d’une résidence ou la recherche d’un logement convenable.

[47] Par la suite, le fonctionnaire a également pris d’autres décisions personnelles qui ont influé sur sa situation. Il a signé un bail d’un an sur une propriété à Kingston, même si elle n’était disponible que des mois plus tard et que sa date prévue pour se présenter au travail à Kingston était le 15 avril 2010. La décision du fonctionnaire de s’engager par un contrat de location d’un an plutôt que de louer une propriété en vertu d’arrangements plus souples était un choix personnel. De plus, cela ne l’a pas empêché d’acheter une propriété pendant cette même période ni pendant les six mois restants dans son dossier de réinstallation.

[48] En résumé, la situation du fonctionnaire était directement attribuable à sa mauvaise planification et à une série de décisions personnelles et calculées, dont certaines ont été prises à son propre détriment. Il n’y a rien d’exceptionnel dans ces circonstances. Le fonctionnaire n’a pas établi que ses circonstances relevaient des dispositions de la directive. Le grief devrait donc être rejeté pour cette seule raison.

[49] À titre subsidiaire, l’employeur a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une manière raisonnable qui n’était ni arbitraire, ni discriminatoire, ni de mauvaise foi. L’employeur a tenu compte de façon juste et complète du bien-fondé de la demande de prolongation des avantages relatifs à la réinstallation du fonctionnaire, ainsi que de sa situation personnelle. Il a donné au fonctionnaire la possibilité de fournir des renseignements et des justifications supplémentaires quant aux « circonstances exceptionnelles ». L’employeur a fait preuve de souplesse et d’ouverture d’esprit lorsqu’il a examiné la situation et la demande du fonctionnaire à plusieurs reprises. Il a examiné sa demande de façon équitable, mais n’a finalement pas été d’accord avec lui sur le fait que ses circonstances étaient « exceptionnelles ». Ce désaccord ne signifie pas que l’exercice du pouvoir discrétionnaire était déraisonnable ou constituait une violation de la directive. Au mieux, il montre qu’il peut y avoir une différence d’opinions de bonne foi. Dans tous les cas, une décision peu généreuse n’est pas nécessairement déraisonnable et le fait qu’une autre personne puisse faire preuve de retenue ne constitue pas une violation de la convention collective.

[50] Sur ce fondement, le grief devrait être rejeté.

C. Réponse du fonctionnaire

[51] L’argument principal de l’employeur, selon lequel la situation du fonctionnaire était le résultat de ses décisions personnelles ou stratégiques, ne tient pas compte du fait incontesté qu’il n’avait aucun contrôle sur le marché immobilier à Windsor. On ne pouvait guère s’attendre à ce que le fonctionnaire vende sa maison à une valeur inférieure à la valeur marchande et considérablement à perte.

[52] L’argument de l’employeur selon lequel le fonctionnaire doit établir que sa demande de prolongation des avantages était fondée sur des circonstances exceptionnelles sans rapport avec une décision personnelle ou sa situation est erroné parce qu’il est fondé sur la décision rendue dans Hicks. Cette dernière n’est plus pertinente, compte tenu des modifications ultérieures apportées à la directive. Plus précisément, la directive ne contient plus l’exigence selon laquelle une prolongation se rapporte à des facteurs externes sans rapport avec la situation personnelle de l’employé. Ce changement de libellé signifie un changement de sens qui touche l’exercice par l’employeur de son pouvoir discrétionnaire.

[53] Il n’est pas loisible à l’employeur d’écarter les principes de la directive dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en vertu de la directive, étant donné que l’article 9.2 exige expressément que ces principes soient pris en considération dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[54] L’employeur a invoqué des faits dans son argumentation qui ne sont pas conformes à l’énoncé conjoint des faits :

• La décision du fonctionnaire de louer sa maison à Windsor n’aurait pas pu être une décision stratégique et personnelle, parce que l’énoncé conjoint des faits confirme qu’il a toujours eu l’intention de vendre sa propriété à Windsor et d’acheter une résidence à Kingston.

 

• L’affirmation de l’employeur selon laquelle le fonctionnaire a décidé de ne pas vendre sa maison au début du processus de réinstallation est inexacte. Il a pris cette décision le ou vers le 16 avril 2010 et avait exploré le marché immobilier depuis l’automne 2009.

 

• Il n’y a aucune preuve à l’appui de l’affirmation de l’employeur selon laquelle le fonctionnaire a créé une résidence génératrice de revenus et que c’était son plan depuis le début.

 

[55] Si l’employeur voulait contester les motifs du fonctionnaire ou mettre en doute sa crédibilité, il avait la possibilité de demander une audience. L’employeur est lié par l’énoncé conjoint des faits et la Commission doit rendre sa décision en se fondant sur ces faits et non sur les conjectures de l’employeur.

[56] La raison pour laquelle l’employeur a présenté des arguments sur une deuxième question d’interprétation dont il est responsable n’est pas claire. Si la Commission fait droit au grief, le fonctionnaire cherche simplement à obtenir les droits dont il aurait pu bénéficier si l’employeur avait exercé correctement son pouvoir discrétionnaire dès le départ. La question des remboursements n’a besoin d’être abordée qu’après la décision de la Commission sur le fond.

V. Motifs

[57] Ce grief comporte deux points : le refus d’accorder une prolongation des avantages relatifs à la réinstallation en vertu de la directive du CNM et le refus d’accorder des indemnités provisoires. Avant d’aborder ces questions, je ferai une observation sur l’utilisation appropriée d’un énoncé conjoint des faits.

[58] Le fonctionnaire s’est opposé à certaines des déclarations de l’employeur qui, à son avis, s’ajoutent à l’énoncé conjoint des faits. Je n’ai examiné que les faits exposés dans l’énoncé conjoint des faits et les documents connexes fournis par les parties. L’employeur a des opinions sur ces faits en ce qui a trait aux motivations du fonctionnaire à l’égard de ses actions. Lorsqu’elles défendent une affaire fondée sur un énoncé conjoint des faits, chaque partie a droit à ses propres opinions – mais pas à ses propres faits. Je n’ai pas accepté les opinions de l’employeur sur les motivations du fonctionnaire comme faits. J’ai traité ces opinions comme d’habitude – comme des arguments.

A. Prolongation des avantages relatifs à la réinstallation

[59] La directive contient un délai général d’un an pour le remboursement en vertu de la directive (paragraphe 2.13.1). Ce paragraphe contient une disposition générale visant à prolonger ce délai. Une demande de prolongation de ce délai peut être présentée par un fonctionnaire « [d]ans des circonstances exceptionnelles ». L’approbation de ces demandes « ne doit pas être rejeté[e] sans motif raisonnable ». Le paragraphe 9.2 de la directive porte précisément sur la prolongation des délais d’achat d’une résidence. Il prévoit qu’un fonctionnaire peut demander une prolongation du délai d’achat d’une résidence « dans des situations où l’achat de la résidence est retardé en raison de circonstances exceptionnelles ». L’article prévoit également que les demandes de prolongation ne doivent pas être rejetées de manière déraisonnable, « conformément aux principes établis dans la présente directive ». La directive dresse une liste non exhaustive des circonstances exceptionnelles, y compris la « [f]aiblesse du marché ». Le paragraphe 9.2 est le paragraphe qui est le plus directement visé par le présent grief.

[60] J’accepte les principes généraux d’interprétation des contrats tels qu’ils sont énoncés par les parties dans leurs arguments.

[61] L’employeur s’est appuyé sur Hicks, une décision d’une ancienne Commission qui portait sur les délais prévus dans une version antérieure de la directive. La disposition pertinente en cause dans Hicks faisait référence au fait que l’employé avait démontré son incapacité à vendre une résidence « pour des raisons indépendantes de sa volonté ». L’arbitre de grief dans Hicks, s’appuyant sur le libellé de la directive, a conclu que les circonstances envisagées par les parties doivent découler de facteurs externes « n’ayant aucun rapport avec la situation personnelle de l’employé ».

[62] La version de la directive qui s’applique au présent grief est différente de la version applicable dans Hicks. Plus précisément, la directive dont je suis saisi ne fait pas référence à des « raisons indépendantes de [l]a volonté [de l’employé] », ou comme l’a résumé l’arbitre de grief dans Hicks, à des « facteurs externes n’ayant aucun rapport avec la situation personnelle de l’employé ». Pour cette raison, je ne peux accepter la position de l’employeur selon laquelle les circonstances exceptionnelles mentionnées dans la directive dont je suis saisi doivent [traduction] « découler de facteurs externes n’ayant aucun rapport avec la situation personnelle du fonctionnaire et qui sont indépendants de sa volonté ». Toutefois, la circonstance exceptionnelle invoquée par le fonctionnaire pour sa demande de prolongation est la faiblesse du marché – une situation qui n’a manifestement aucun rapport avec la situation personnelle d’un fonctionnaire ou qui est dépendante de sa volonté.

[63] Je dois donc d’abord déterminer si le fonctionnaire a démontré que la raison de la prolongation demandée était la faiblesse du marché à Windsor, en Ontario, en 2010. Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a établi l’existence de cette circonstance exceptionnelle.

[64] Les parties conviennent qu’il y avait faiblesse du marché à Windsor en 2010. Le fonctionnaire a consulté des agents immobiliers et a été informé du mauvais marché immobilier. Le Comité exécutif du CNM l’a reconnu dans sa réponse lorsqu’il a déclaré qu’une fois que le fonctionnaire avait décidé de ne pas vendre sa maison, la faiblesse du marché n’était plus un facteur dans sa réinstallation.

[65] Il s’agit donc de savoir si la faiblesse du marché était la véritable raison de la demande de prolongation du fonctionnaire. L’employeur est d’avis qu’il a décidé de louer sa propriété plutôt que de la vendre et qu’il s’agissait d’une décision personnelle. En l’absence de faiblesse du marché, je conviens qu’une décision de louer une propriété plutôt que de la vendre constitue une décision personnelle. Toutefois, la décision du fonctionnaire de louer en l’espèce était fondée sur le fait qu’il n’avait reçu aucune offre d’achat. Je considère que l’absence d’offre d’achat lors de la mise sur le marché de sa maison, associée aux conseils qu’il a reçus d’agents immobiliers, constitue une circonstance exceptionnelle liée à la faiblesse du marché, comme le prévoit la directive.

[66] Il n’y a aucune preuve à l’appui de l’affirmation de l’employeur selon laquelle le fonctionnaire a transformé sa maison de Windsor en une propriété génératrice de revenus. Le bail couvrait ses paiements hypothécaires et les coûts associés à la propriété – une démarche prudente en l’absence d’offre d’achat.

[67] Je conviens qu’en raison de son incapacité à vendre sa maison de Windsor en raison de la faiblesse du marché, le fonctionnaire n’a pas pu acheter une maison à Kingston. Le financement d’un achat a avorté en grande partie parce qu’il avait une hypothèque sur sa résidence de Windsor. Les rédacteurs de la directive doivent avoir envisagé un tel scénario – puisque l’exception relative à la faiblesse du marché fait référence au marché à l’endroit que le fonctionnaire quitte, et non au marché à destination.

[68] L’employeur a également soutenu que le fonctionnaire aurait pu louer une résidence à Kingston pendant moins d’un an. Toutefois, l’employeur n’a fourni aucune preuve à l’appui de la disponibilité d’arrangements de location aussi souples à Kingston. Il était raisonnable pour le fonctionnaire de louer une résidence pendant un an, dans des circonstances exceptionnelles l’empêchant de vendre sa résidence de Windsor en raison de la faiblesse du marché.

[69] Par conséquent, je conclus que le fonctionnaire s’est acquitté de son fardeau de prouver que sa demande de prolongation était fondée sur les circonstances exceptionnelles de la faiblesse du marché.

[70] Je passe maintenant à l’exercice par l’employeur de son pouvoir discrétionnaire. La directive exige que les demandes de prolongation ne soient pas refusées sans raisons valables. Depuis des décennies, la Commission et ses prédécesseurs ont interprété les mots « refusées sans raisons valables » dans le contexte des prestations discrétionnaires. Comme il est indiqué dans Close et Stevens c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CRTEFP 18, citant la décision rendue dans Barrett c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), dossier de la CRTFP 166‑02‑7738 (19800123), « [c]omme il a été souligné dans Barrett, l’employeur ne peut établir une norme dont la rigidité et la fermeté empêcheraient tout employé d’y satisfaire et, par conséquent, de rendre sans objet la disposition ».

[71] Le processus qu’un employeur doit suivre dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire a été énoncé dans Coppin c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 81, une affaire portant sur un congé discrétionnaire en raison de tempêtes hivernales. Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, l’employeur doit examiner séparément chaque demande ainsi que la série de faits afférents, et sa décision doit être basée sur le bien-fondé de chaque demande.

[72] Outre les principes généraux qui s’appliquent à l’exercice du pouvoir discrétionnaire, la directive contient une exigence supplémentaire : que ce pouvoir discrétionnaire soit exercé conformément aux principes établis dans la directive. Les principes sont énoncés au paragraphe 5 de la présente décision. Les principes consistent à aider tous les membres du personnel et de la direction à établir « des pratiques de réinstallation justes, raisonnables et modernes ». Les principes comprennent la souplesse, c’est-à-dire que les décisions de gestion « répondent au mieux aux besoins et aux préférences des fonctionnaires ». De plus, les principes consistent à « accroître le pouvoir et la latitude des fonctionnaires et des gestionnaires d’agir d’une manière juste et raisonnable ». Les principes comprennent aussi la transparence afin d’assurer « l’application cohérente, juste et équitable » de la directive. Ces principes doivent être pris en considération par l’employeur lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire de prolonger le délai d’achat d’une résidence.

[73] En l’espèce, je conclus que l’employeur n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable. Son refus d’exercer son pouvoir discrétionnaire n’était ni juste, ni raisonnable, ni équitable, ni adapté aux besoins du fonctionnaire.

[74] La demande de prolongation n’a pas été évaluée correctement par l’employeur. Le Comité exécutif du CNM a convenu que le fonctionnaire n’avait pas été traité « selon l’esprit » de la directive lorsque le CMN n’a pas transmis la demande du fonctionnaire au responsable du programme au SCT. Il est probable que l’exigence de transmettre la demande au responsable du programme a pour but d’assurer l’uniformité dans l’octroi des prolongations. Bien que la décision du responsable du programme soit fondée sur la recommandation du CMN, son rôle a été considéré par les rédacteurs de la directive comme une étape importante du processus. Dans le présent cas, le CMN a déterminé que le responsable du programme n’approuverait pas la demande en se fondant sur des cas antérieurs. Toutefois, le responsable du programme n’est pas lié par la recommandation du CMN. En outre, l’exercice du pouvoir discrétionnaire doit être fondé sur une évaluation individuelle de chaque demande, sur son propre bien-fondé. Le fait que le CMN n’ait pas renvoyé la demande du fonctionnaire (et la recommandation du CMN) constituait donc un mauvais exercice du pouvoir discrétionnaire de l’employeur tel qu’il est énoncé dans la directive. Néanmoins, le Comité exécutif du CNM a conclu, au dernier palier du processus de règlement des griefs, que le fonctionnaire avait été traité selon l’esprit de la directive.

[75] L’employeur a refusé la demande du fonctionnaire au motif qu’il avait fait un choix personnel de ne pas vendre sa propriété. L’employeur n’a pas tenu compte du fait que le fonctionnaire avait mis sa maison sur le marché et n’avait reçu aucune offre d’achat. Il n’est ni juste ni raisonnable de supposer qu’un fonctionnaire peut vendre une résidence s’il n’y a pas d’acheteur. Le CMN a créé une norme rigide et impénétrable en l’espèce, qui a rendu l’exception relative aux circonstances exceptionnelles dénuée de sens. Il est difficile d’imaginer une situation où l’employeur aurait autorisé l’exception relative à la faiblesse du marché si la demande est refusée lorsqu’un fonctionnaire démontre qu’il n’a reçu aucune offre d’achat pour sa maison dans un marché faible.

[76] Je conclus donc que l’employeur n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire correctement. J’estime qu’en examinant les circonstances particulières de la présente affaire, en tenant compte des faits établis, l’employeur aurait dû accorder la prolongation d’un an demandée.

B. Indemnités provisoires du 1er au 14 avril 2010

[77] Le fonctionnaire a demandé le paiement des indemnités provisoires après le 1er avril 2010. Cette partie de son grief a également été rejetée au dernier palier par le Comité exécutif du CNM. Ce dernier a également déterminé que le travailleur avait reçu l’indemnité maximale prévue par la directive.

[78] Le fonctionnaire n’a présenté aucun argument sur la question des indemnités provisoires. Le fonctionnaire a déclaré que les indemnités découlant d’une décision sur la prolongation d’un an demandée devraient être déterminées après la décision sur la prolongation. Je suis d’accord – les indemnités en vertu de la directive découlant de ma décision sur la prolongation seront retournées aux parties pour décision. La Commission conservera sa compétence pour régler toute question découlant de l’ordonnance, si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les indemnités découlant de la prolongation.

[79] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[80] Le grief relatif au refus de prolonger d’un an le délai prévu au paragraphe 9.2 de la Directive sur la réinstallation du CNM est accueilli.

[81] La Commission conserve sa compétence pendant une période de 60 jours pour déterminer les indemnités découlant de la Directive sur la réinstallation du CNM par suite de cette prolongation du délai, si les parties ne parviennent pas à s’entendre.

Le 4 mai 2021.

(Traduction de la CRTESPF)

Ian R. Mackenzie,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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