Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a renvoyé à l’arbitrage devant la Commission un grief contestant la décision de son employeur de ne pas lui payer une deuxième pause-repas alors qu’il effectuait 7 heures et 30 minutes en temps supplémentaire immédiatement après son quart de travail régulier – la Commission a déterminé, après sa lecture conjointe de la convention collective et d’un bulletin de l’employeur, qu’il est prévu expressément le paiement d’une deuxième pause-repas après sept heures de temps supplémentaire – la Commission a également souligné qu’il ne lui revient pas de modifier le texte de la convention collective pour rectifier des résultats qui n’étaient peut-être pas prévus au départ par les parties – cette tâche leur appartient et d’ici là, elles doivent accepter ce qu’elles ont négocié.

Grief accueilli.

Contenu de la décision

Date: 20210519

Dossier: 566-02-11579

 

Référence: 2021 CRTESPF 54

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

alexandre lavoie

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Service correctionnel du Canada)

 

employeur

Répertorié

Lavoie c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Renaud Paquet, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : François Ouellette, avocat

Pour l’employeur : Andréanne Laurin, avocate

Décision rendue sur la base des arguments écrits
déposés les 12 et 31 mars, et les 16 et 22 avril
2021.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Le 3 avril 2015, le fonctionnaire s’estimant lésé, Alexandre Lavoie, a déposé un grief contestant la décision du Service correctionnel du Canada (l’« employeur ») de ne pas lui payer une indemnité de 30 minutes de temps supplémentaire pour deux quarts de soir lors desquels il a travaillé en mars 2015.

[2] Le grief se lit comme suit :

Description du grief

Je conteste la décision de mon employeur de ne pas payer une indemnité de 30 minutes en temps supplémentaire (équivalent à une pause repas) pour les quarts de soir du 2015-03-29 et du 2015-03-27; pause à laquelle j’estime avoir droit puisque ce quart de soir en TS [temps supplémentaire], est contigu à mon quart régulier, prévu ce soir-là. L’employeur va à l’encontre du paragraphe 4 de l’annexe C de la convention collective CX et aussi du paragraphe 2 b) du bulletin sur les relations de travail de février 2012 (no 2012-01), qui stipule qu’un employé, lorsqu’il y a une probabilité raisonnable qu’il travaille pendant un quart complet, doit avoir une pause-repas accordée avant qu’il effectue les 3 premières heures de TS et la seconde après qu’il ait effectué 4 heures supplémentaires; or, pour ce quart de jour je n’ai qu’une seule pause-repas prévue dans l’horaire institutionnel, la 2e ne pouvant être offerte par l’employeur, elle se doit d’être payée.

 

[3] L’employeur a rejeté le grief à chacun des paliers de la procédure de règlement de griefs. M. Lavoie a renvoyé le grief à l’arbitrage le 15 septembre 2015, avec l’appui de l’agent négociateur, l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (l’« agent négociateur »). La convention collective applicable est celle entre l’employeur et l’agent négociateur pour le groupe Services correctionnels, expirant le 31 mai 2014.

[4] De l’avis même des deux parties, la question en litige dans cette affaire se résume ainsi : « M. Lavoie avait-il droit à une deuxième pause-repas alors qu’il effectuait sept heures et trente minutes en temps supplémentaire immédiatement après son quart de travail régulier? » M. Lavoie est d’avis qu’il avait droit à la deuxième pause-repas, alors que l’employeur soumet le contraire. Le grief ainsi que les arguments des parties renvoient à diverses dispositions de la convention collective qui sont reproduites au paragraphe 38 de la présente décision, ainsi qu’à une politique de l’employeur dont les extraits pertinents sont reproduits au paragraphe 49.

II. Demande particulière des parties

[5] Le 4 novembre 2020, les parties se sont adressées conjointement à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») pour lui demander ce qui suit :

Dossier : Alexandre Lavoie (566-02-11579)

À qui de droit,

La présente constitue une demande conjointe des parties relativement au grief en rubrique.

Ce grief concerne une question d’interprétation de la convention collective liant les parties sur la question de l’octroi des indemnités de repas pendant les heures supplémentaires.

Considérant le volume important de griefs traitant de la même problématique et des mêmes questions d’interprétation que le grief en rubrique, les parties conviennent qu’il serait approprié de procéder à l’audition d’un grief « type ». La décision qui en résulterait servirait de référence pour régler tous les dossiers similaires.

Dans l’esprit des principes de proportionnalité et d’économie des ressources judiciaires, les parties demandent conjointement que le dossier en rubrique constitue le dossier type en question et qu’il soit donc priorisé par rapport aux autres griefs de même nature.

[…]

 

[6] La Commission a accepté la demande conjointe des parties et les en a avisées. Par la suite, elle a fixé une audience pour les 23 et 24 mars 2021. Le 15 mars 2021, la Commission a accepté la demande conjointe des parties de procéder en se fondant sur les arguments écrits et sur un énoncé conjoint des faits signés par les parties le 12 mars 2021.

III. Résumé des faits

[7] Les faits relatifs au grief ne sont pas contestés. Les parties ont présenté un énoncé conjoint des faits signé par les avocats des deux parties le 11 mars 2021. Cet énoncé était accompagné d’une série de documents soumis conjointement par les parties. Dans les paragraphes qui suivent, je reprends l’essence de cet énoncé.

[8] M. Lavoie travaille pour l’employeur comme agent correctionnel de groupe et niveau CX-01 depuis le 9 janvier 2012. Au moment des faits à la base de ce grief, il travaillait à l’établissement correctionnel de Drummond, au Québec.

[9] Au moment des faits, M. Lavoie était affecté à un horaire de travail régulier sur un quart de jour de 8 heures et 30 minutes, soit de 7 h 30 à 16 h. M. Lavoie travaillait sept jours consécutifs, suivis de trois jours de congé. Par la suite, il travaillait sept jours consécutifs, suivis de quatre jours de congé. Sur un cycle de trois semaines, M. Lavoie travaillait en moyenne 40 heures par semaine. Durant ses quarts de travail régulier, il avait droit à une pause-repas non rémunérée de 30 minutes.

[10] La convention collective prévoit que la pause-repas du quart de jour doit être prise entre 10 h 30 et 13 h 30. Elle prévoit aussi que la pause-repas du quart de soir doit être prise entre 16 h 30 et 19 h 30.

[11] Le 27 mars 2015, M. Lavoie a travaillé un quart de travail régulier de 7 h 30 à 16 h. Avant ce quart de travail, il a travaillé 30 minutes en temps supplémentaire dans le cadre d’une escorte médicale de 7 h à 7 h 30. Vers 13 h 25, le 27 mars 2015, M. Lavoie a reçu un appel lui offrant de travailler en temps supplémentaire sur le quart de soir et il a accepté. Il a alors travaillé 7 heures et 30 minutes en temps supplémentaire de manière contiguë à son quart de travail régulier, soit de 16 h à 23 h 30. L’employeur a alors offert un repas gratuit à M. Lavoie et lui a accordé approximativement 30 minutes rémunérées pour lui permettre de prendre cette pause‑repas.

[12] Le 29 mars 2015, M. Lavoie a travaillé un quart de travail régulier de 7 h 30 à 16 h. Vers 13 h 18, le 29 mars 2015, M. Lavoie a reçu un appel lui offrant de travailler en temps supplémentaire sur le quart de soir et il a accepté. Il a alors travaillé 7 heures et 30 minutes en temps supplémentaire de manière contiguë à son quart de travail régulier, soit de 16 h à 23 h 30. L’employeur a alors offert un repas gratuit à M. Lavoie et il lui a accordé approximativement 30 minutes rémunérées pour lui permettre de prendre cette pause-repas.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

[13] M. Lavoie est en désaccord avec l’interprétation de l’employeur et soumet qu’en se basant sur une analyse rigoureuse de la convention collective et du droit applicable, la Commission doit conclure que l’employeur a contrevenu à la convention collective et que M. Lavoie avait droit à une deuxième pause-repas après la septième heure de temps supplémentaire effectuée immédiatement après son quart de travail régulier.

[14] L’interprétation d’une clause de convention collective s’articule autour du principe d’interprétation moderne voulant que les termes doivent être compris dans leur sens ordinaire en harmonie avec le contexte de la convention, son objet et l’intention des parties.

[15] Il appert que le litige opposant les parties tient sa source dans l’ambiguïté des termes « probabilité raisonnable » présents au paragraphe 4 de l’annexe « C » de la convention collective. En effet, ce paragraphe énonce le droit des employés à une deuxième pause-repas au cours d’un quart de travail en temps supplémentaire « […] lorsqu’il y a une probabilité raisonnable qu’un-e employé-e travaille pendant le poste complet de huit (8) heures supplémentaires […] ».

[16] L’analyse du sens ordinaire des mots « probabilité raisonnable » nous apprend qu’il n’est pas nécessaire que l’employé effectue, dans les faits, un quart de huit heures supplémentaires pour avoir droit à ses deux pauses-repas; il suffit qu’il y ait une probabilité raisonnable que cela se produise. Le concept de probabilité raisonnable, quant à lui, n’est présent nulle part ailleurs dans la convention collective.

[17] La jurisprudence s’est déjà penchée sur l’interprétation de termes similaires, notamment en droit criminel, mais peu de ces décisions sont réellement applicables dans le présent cas. Lorsqu’il est question de déterminer s’il existe une « probabilité raisonnable » que quelque chose se concrétise, la Cour suprême du Canada privilégie une approche individualisée, basée sur les faits spécifiques de chaque cas.

[18] Dans le cadre de son grief, M. Lavoie a accepté d’effectuer le quart de temps supplémentaire de soir, immédiatement après son quart régulier de huit heures et demie. Même si l’employeur avait l’intention de le faire travailler seulement sept heures et demie, existait-il une probabilité raisonnable qu’il travaille huit heures? En raison de la nature imprévisible du travail d’agent correctionnel et de la possibilité de devoir intervenir de façon urgente lors d’incidents, il faut répondre par l’affirmative à cette question. De par sa nature même, le travail d’agent correctionnel est imprévisible et requiert une disponibilité accrue lors d’évènements soudains et hors du contrôle des employés. La description de travail de M. Lavoie comprend d’ailleurs plusieurs dispositions à cet effet.

[19] Une autre source possible d’ambiguïté réside dans l’utilisation des termes « nonobstant les dispositions du paragraphe 21.15 », que l’on retrouve au début du paragraphe 4 de l’annexe « C » de la convention collective.

[20] Dans son sens ordinaire, le terme « nonobstant » est ici utilisé afin d’indiquer que le paragraphe 4 de l’annexe « C » s’applique malgré les dispositions de la clause 21.15. Cela implique que lorsque ces deux dispositions se trouvent opposées, le paragraphe 4 de l’annexe « C » a préséance. Ceci implique également que ces deux dispositions s’opposent effectivement sur certains points.

[21] À cet égard, la lecture en parallèle de ces deux dispositions permet de constater qu’elles s’opposent sur la question de la durée des pauses-repas. En effet, la clause 21.15c) de la convention collective prévoit que la pause-repas constitue « [u]ne période de temps payé raisonnable déterminée par la direction […] », présupposant une discrétion décisionnelle de l’employeur quant à la durée de celle-ci. À l’inverse, le paragraphe 4 de l’annexe « C » prévoit expressément que ces pauses-repas sont d’une durée « d’une demi-heure (½) ». Les termes « nonobstant les dispositions du paragraphe 21.15 » indiquent que la durée de la pause-repas est bel et bien d’une demi-heure dans les circonstances applicables, et non d’une durée laissée à la discrétion de l’employeur.

[22] À la lumière de ce qui précède, la lecture en parallèle de ces dispositions de la convention collective indique donc que les employés ont droit à une indemnité visant à rembourser les dépenses engagées pour les repas lors du temps supplémentaire, aux moments prévus à la clause 21.15 de la convention collective, en plus des pauses-repas aux moments prévus à l’annexe « C », ces dernières étant d’une durée d’une demi-heure « nonobstant » la clause 21.15.

[23] La recherche de l’intention des parties constitue le principe cardinal en matière d’interprétation des dispositions de la convention collective. Il apparait à la lecture du paragraphe 4 de l’annexe « C » de la convention collective que l’objectif recherché par les parties est de permettre une certaine flexibilité, tant pour l’employé que pour l’employeur. En effet, le texte de la disposition ne prévoit pas de moment précis pour prendre les pauses-repas, il ne fait qu’établir certaines balises : la première pause-repas doit être accordée avant les trois premières heures supplémentaires et la seconde pause-repas après que l’employé ait effectué environ quatre heures supplémentaires. Cette interprétation est d’ailleurs confirmée par les bulletins de relations de travail de l’employeur.

[24] Le régime général donnant droit aux pauses-repas se retrouve à la clause 21.07 de la convention collective. Un employé effectuant sept heures ou plus de temps supplémentaire a droit à deux repas gratuits fournis par l’employeur ou à deux indemnités de 10 $ lui permettant de défrayer les deux repas. Dans le présent cas, M. Lavoie ayant travaillé 7,5 heures supplémentaires, il est clair qu’il avait droit à deux repas gratuits ou deux indemnités de 10 $. Or, suivant l’interprétation de l’employeur, malgré le fait qu’il ait droit à deux repas, il n’aurait droit qu’à une seule pause-repas.

[25] Une telle interprétation serait contraire à l’économie générale de la clause 21.15 de la convention collective, qui prévoit le droit au remboursement d’un repas ou l’octroi d’un repas gratuit après trois heures, puis quatre heures supplémentaires, et prévoit qu’une période de temps doit être accordée à l’employé pour lui permettre de prendre une pause-repas. Lu dans son ensemble, il appert clairement que l’objectif de la convention collective est d'octroyer une pause-repas pour permettre à l’employé de prendre chacun des repas fournis ou remboursés par l’employeur.

[26] Certes, il est loisible à l’employeur de ne pas accorder de pause-repas afin de permettre à l’employé de prendre son deuxième repas, mais l’employeur doit alors verser 30 minutes de temps supplémentaire à l’employé. En somme, la seule approche cohérente est la suivante : un employé qui travaille sept heures et demie supplémentaires immédiatement après son quart régulier a droit à deux indemnités de repas (ou deux repas gratuits) ainsi qu’à deux pauses-repas afin de prendre ces repas. Si l’employeur n’accorde pas l’une de ces pauses-repas, il doit indemniser l’employé en fonction de la clause 21.07c) de la convention collective.

[27] M. Lavoie m’a renvoyé à Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration. 4e éd. (2012); Morin et Blouin, Droit de l’arbitrage de grief. 6e éd. (2012); et Côté P.A., Interprétation des lois. 2e éd. (1990). Il m’a aussi renvoyé aux décisions suivantes : Imperial Oil Strathcona Refinery v. Communication, Energy and Paperworkers’ Union of Canada, Local 777, 2010 CanLII 98276 (AB GAA); Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 SCC 57 (CanLII), [2005] 2 R.C.S. 706; Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (UCCO-SACC-CSN) c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2021 CRTESPF 22 (« UCCO-SACC-CSN »); Joly c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 112; Bernatchez c. Conseil du Trésor, 2014 FC 27; Kranson c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2009 CRTFP 76 (« Kranson »).

B. Pour l’employeur

[28] Selon l’employeur, en prenant en considération le contexte global de la convention collective, M. Lavoie avait droit à une seule pause-repas durant son temps supplémentaire. Il est nécessaire que l’application de la convention collective soit logique dans le contexte opérationnel. Il est aussi nécessaire de donner un sens à chacun des mots et à chacune des dispositions de la convention collective.

[29] Le fardeau incombe à M. Lavoie de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’employeur a contrevenu à la convention collective. L’employeur soumet qu’il n’a pas contrevenu à la convention collective et que M. Lavoie avait droit à seulement une pause-repas pendant son temps supplémentaire.

[30] La compétence de la Commission est limitée par les termes et les conditions prévues par la convention collective. La Commission doit déterminer l’intention des parties lors de la signature de la convention collective. Pour ce faire, la jurisprudence a établi une série de principes qui permettent d’effectuer l’exercice. Les termes de la convention collective doivent être considérés dans leur sens ordinaire et courant. La convention collective dans son ensemble forme le contexte dans lequel les mots utilisés doivent être interprétés. Autrement, le sens ordinaire pourrait devenir contradictoire avec d’autres dispositions. Chaque mot d’une disposition de la convention collective doit être interprété de façon à signifier quelque chose de manière à éviter toute redondance. Dans l’éventualité où une disposition confère un avantage financier, il doit y avoir une expression claire de cette intention. Une disposition plus détaillée de la convention collective a préséance sur une disposition d’ordre général. Enfin, le fait qu’une disposition semble injuste n’est pas une raison pour ignorer cette disposition lorsque celle-ci est claire.

[31] L’employeur soumet que l’annexe « C » de la convention collective constitue une disposition spécifique comparativement à la clause 21.15 de la convention collective qui constitue une disposition générale. L’annexe « C » vise uniquement les situations lorsqu’il y a une probabilité raisonnable que le fonctionnaire effectue huit heures en temps supplémentaires. Ce n’est pas le cas puisque M. Lavoie avait été assigné à des quarts de travail d’une durée de 7 heures et 30 minutes en temps supplémentaire. Dans les faits, M. Lavoie a seulement effectué un quart de 7 heures et 30 minutes et il n’a pas été appelé à travailler au-delà du quart prévu, ni le 27 mars, ni le 29 mars 2015.

[32] Puisqu’il n’y avait pas une probabilité raisonnable qu’il effectue huit heures en temps supplémentaires, l’annexe « C » n’était pas applicable en l’espèce. Elle demeure tout de même pertinente afin d’interpréter la clause 21.15 de la convention collective. Cette clause précise qu’un employé qui travaille trois heures ou plus en temps supplémentaire immédiatement avant ou après les heures de travail prévues à l’horaire doit recevoir un remboursement pour les dépenses engagées pour un repas au montant de 10 $, sauf lorsqu’un repas gratuit est offert. La clause 21.15b) précise que, lorsque le temps supplémentaire excède le temps prévu à l’alinéa a), un remboursement pour un repas supplémentaire au montant 10 $ doit être effectué, et ce pour chaque période de temps supplémentaire de quatre heures de travail par la suite, sauf lorsqu’un repas gratuit est offert. La clause 21.15c) n’indique aucunement que l’employé aurait droit à deux pauses-repas dans cette instance, mais plutôt qu’une période de temps raisonnable déterminée par la direction serait accordée pour lui permettre de prendre une pause-repas à son lieu de travail.

[33] L’annexe « C » vient alors préciser que, lorsqu’il existe une probabilité raisonnable qu’un employé travaille pendant le poste complet de huit heures supplémentaires, deux pauses-repas doivent être accordées; la première pause-repas d’une demi-heure doit être accordée avant d’effectuer les trois premières heures supplémentaires et la seconde pause-repas d’une demi-heure doit être accordée après avoir effectué environ quatre heures supplémentaires. L’employeur soumet qu’il faut donner un sens à toutes les dispositions afin d’éviter une redondance. Par conséquent, la probabilité raisonnable que le fonctionnaire effectue un quart de huit heures ou plus en temps supplémentaire est une condition sine qua non à l’octroi d’une seconde pause-repas pendant la période de temps supplémentaire.

[34] M. Lavoie soutient qu’en raison des diverses situations d’urgence auxquelles il est confronté dans le cadre de son travail, il est toujours possible de travailler au-delà des heures initialement prévues. Or, il n’y a aucun énoncé dans les faits qui supporte une telle affirmation. Bien que les agents correctionnels puissent être confrontés à devoir répondre à des situations d’urgence dans le cadre de leur emploi, rien n’indique que cette réponse devra être effectuée au-delà des heures de travail sur une base quotidienne.

[35] Par ailleurs, dans l’éventualité où il serait toujours probable qu’un agent correctionnel travaille pendant le poste complet de huit heures supplémentaires en raison de la nature de ses fonctions, l’utilisation des mots « lorsqu’il y a une probabilité raisonnable » à l’annexe « C » de la convention collective perdrait alors tout son sens. La convention collective dont il est question dans le présent cas est seulement applicable à des agents correctionnels. La nature de leur travail est donc nécessairement prise en compte dans le cadre de la négociation de la convention collective qui leur est applicable. Notamment, il est possible de constater que les situations d’urgence pouvant survenir dans un pénitencier ont été prises en considération lors de la négociation de la convention collective, puisqu’on y fait référence entre autres aux clauses 21.02b), 21.02c), 21.07, et 21.16 de la convention collective. Les parties ont choisi de ne pas reprendre ces termes, ni à la clause 21.15, ni à l’annexe « C ».

[36] L’employeur soumet que l’intention des parties sous-tendant la clause 21.15 de la convention collective visait à offrir une période de temps raisonnable déterminée par la direction aux personnes effectuant du temps supplémentaire de manière contiguë à leur quart de travail régulier. Le paragraphe 4 de l’annexe « C » vient quant à lui préciser que dans l’éventualité où il y a une probabilité raisonnable qu’un employé travaille pendant le poste complet de huit heures supplémentaires, l’employé a alors droit à deux pauses-repas durant son quart en temps supplémentaire. Puisque M. Lavoie n’a travaillé que 7 heures et 30 minutes en temps supplémentaire, il n’avait droit qu’à une seule pause-repas durant cette période.

[37] L’employeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : Arsenault c. Agence Parcs Canada, 2008 CRTFP 17 (« Arsenault »); Chafe c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 112 (« Chafe »); Doran c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2018 CRTESPF 1 (« Doran »); Wamboldt c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 55 (« Wamboldt »).

V. Motifs

[38] M. Lavoie a renvoyé à l’arbitrage un grief contestant la décision de l’employeur de ne pas lui payer une deuxième pause-repas alors qu’il effectuait 7 heures et 30 minutes en temps supplémentaire immédiatement après son quart de travail régulier. Le grief ainsi que les arguments des parties renvoient aux dispositions suivantes de la convention collective :

21.07 Sous réserve des cas d’urgence qui peuvent survenir dans un pénitencier, l’Employeur :

a) accorde à l’agent correctionnel une période de trente (30) minutes payée à l’extérieur de son poste de travail pour prendre son repas à l’intérieur de la réserve au cours de chaque période complète de huit (8) heures,

et

b) nonobstant l’alinéa a) ci-dessus, un agent correctionnel peut exceptionnellement être obligé de prendre son repas à son poste de travail lorsque la nature de ses fonctions le rend nécessaire.

c) Lorsque l’Employeur ne peut pas accorder à l’employé-e une pause-repas ce dernier touche, en remplacement, une demi-heure (1/2) de rémunération à tarif et trois-quarts (1 3/4).

[…]

21.15 Indemnité de repas pendant les heures supplémentaires

a) Un-e employé-e qui travaille trois (3) heures ou plus en temps supplémentaire immédiatement avant ou après les heures de travail prévues à l’horaire doit recevoir un remboursement pour les dépenses engagées pour un (1) repas au montant de dix dollars (10 $), sauf lorsqu’un repas gratuit est offert.

b) Lorsqu’un-e employé-e travaille en temps supplémentaire de façon continue et cette période excède le temps prévu à l’alinéa a) précédent, il ou elle doit recevoir un remboursement pour un (1) repas supplémentaire au montant de dix dollars (10 $) pour chaque période de temps supplémentaire de quatre (4) heures de travail par la suite, sauf lorsqu’un repas gratuit est offert.

c) Une période de temps payé raisonnable déterminée par la direction est accordée à l’employé-e pour lui permettre de prendre une pause-repas à son lieu de travail ou dans un lieu adjacent.

d) Lorsque l’employé-e est en situation de voyage, les indemnités de repas et de logement sont celles prévues à la Directive sur les voyages du Conseil national mixte.

[…]

ANNEXE « C »

INDEMNITÉ DE REPAS PENDANT LES HEURES SUPPLÉMENTAIRES

À compter du 1er janvier 2014, toutes les références et les droits en lien avec les jours fériés désignés payés ne s’appliqueront plus aux employé-e-s qui travaillent par quarts conformément au paragraphe 21.02 de cette convention.

L’Employeur convient à cause des besoins particuliers du Service correctionnel du Canada, pendant la durée de la convention collective du groupe des services correctionnels, de l’interprétation et de l’application suivantes de l’indemnité de repas pendant les heures supplémentaires.

1. L’indemnité de repas pendant les heures supplémentaires n’est pas payée lorsque l’employé-e reçoit un ou des repas aux frais du ministère.

2. Le « repas gratuit » qui doit être fourni à la place de l’indemnité de repas pendant les heures supplémentaires désigne un repas complet préparé dans l’établissement où l’employé-e est en poste.

3. Un casse-croûte ou des sandwiches ne sont pas considérés par l’Employeur comme un repas complet.

4. Nonobstant les dispositions du paragraphe 21.15, lorsqu’il y a une probabilité raisonnable qu’un-e employé-e travaille pendant le poste complet de huit (8) heures supplémentaires, la première (1ère) pause-repas d’une demi-heure (½) doit être accordée avant qu’il effectue les trois (3) premières heures supplémentaires et la seconde pause-repas d’une demi-heure (½) doit être accordée après qu’il a effectué environ quatre (4) heures supplémentaires.

5. Lorsque l’employé-e doit effectuer des heures supplémentaires un jour de repos ou dans le cas d’un-e travailleur-se de jour travaille un jour férié désigné payé, les dispositions du paragraphe 21.15 et de l’accord énoncé dans la présente lettre ne s’appliquent qu’en ce qui a trait aux heures supplémentaires effectuées sans préavis en sus des heures supplémentaires prévues pour ce jour-là.

6. Lorsque l’Employeur ne peut pas accorder à l’employé-e une période raisonnable de temps libre payé aux fins d’une pause-repas pendant les heures supplémentaires, ce dernier touche, en remplacement, une demi-heure (1/2) de rémunération au taux des heures supplémentaires du quart effectué.

 

[39] Selon l’énoncé conjoint des faits, M. Lavoie était affecté à un horaire de travail régulier sur un quart de jour de 7 h 30 à 16 h. Durant ses quarts de travail régulier, il avait droit à une pause-repas non rémunérée de 30 minutes. Le 27 et le 29 mars 2015, M. Lavoie a travaillé en temps régulier de 7 h 30 à 16 h. En début d’après-midi, le 27 et le 29 mars 2015, l’employeur a appelé M. Lavoie pour lui offrir de travailler en temps supplémentaire sur le quart de soir. M. Lavoie a accepté. Il a alors travaillé 7 heures et 30 minutes en temps supplémentaire de 16 h à 23 h 30 de manière contiguë à son quart de travail régulier. L’employeur lui a chaque fois offert un repas gratuit et il lui a accordé approximativement 30 minutes rémunérées pour lui permettre de prendre une pause-repas.

[40] L’employeur soutient qu’il a respecté la convention collective en accordant une seule pause-repas à M. Lavoie le 27 mars, puis le 29 mars 2015. M. Lavoie soumet que l’employeur aurait alors dû lui accorder ou lui payer deux pauses-repas le 27 mars, puis deux pauses-repas le 29 mars 2015.

[41] J’ai bien étudié les arguments soumis au nom de M. Lavoie, mais il n’y a rien dans les faits soumis qui me fait conclure que le paragraphe 4 de l’annexe « C » de la convention collective s’applique dans le présent cas.

[42] L’employeur a demandé à M. Lavoie de travailler 7 heures et 30 minutes de temps supplémentaire et non pas 8 heures. Certes, je suis d’accord avec l’argument qu’il peut se produire des situations imprévisibles ou d’urgence dans un établissement correctionnel, mais cela fait partie, comme le soumet l’employeur, du contexte général de travail des agents correctionnels. Aucun des faits soumis n’appuie l’argument qu’il y avait le 27 mars 2015, puis le 29 mars 2015, une probabilité raisonnable que M. Lavoie travaillerait un quart complet de huit heures supplémentaires. Dans les faits soumis, rien ne distingue la situation de ces deux jours des autres jours de travail dans un établissement correctionnel. Rien non plus n’appuie la thèse que dans la réalité, avec données à l’appui, une offre de 7 heures et 30 minutes de temps supplémentaire se traduit le plus souvent ou « probablement » ou « raisonnablement » par 8 heures ou plus de temps supplémentaire. À défaut de tels faits ou de telles données, je suis d’avis que le paragraphe 4 de l’annexe « C » de la convention collective ne s’applique pas. Sur ce, je suis d’accord avec l’employeur que la probabilité raisonnable que le quart de travail sera de huit heures ou plus est une condition sine qua non, c’est‑à‑dire indispensable, pour que le paragraphe 4 de l’annexe « C » s’applique.

[43] Qui plus est, j’ajouterai que le paragraphe 4 de l’annexe « C » de la convention collective renvoie à une probabilité raisonnable que l’employé travaille « […] pendant le poste complet de huit (8) heures supplémentaires […] ». Selon l’énoncé conjoint des faits, M. Lavoie était affecté à un horaire de travail régulier sur un quart de jour de 8 heures et 30 minutes, soit de 7 h 30 à 16 h. Sur un cycle de trois semaines, M. Lavoie travaillait en moyenne 40 heures par semaine. Durant ses quarts de travail régulier, il avait droit à une pause-repas non rémunérée de 30 minutes. Un quart de travail équivalait donc à 8 heures de travail. L’offre de temps supplémentaire les 27 et 29 mars 2015 n’était pas pour un poste complet de travail de 8 heures, mais plutôt pour 7 heures et 30 minutes.

[44] La disposition spécifique qu’est le paragraphe 4 de l’annexe « C » de la convention collective ne s’appliquant pas, il faut s’en remettre à la disposition générale qu’est la clause 21.15 pour déterminer le nombre de pauses-repas auxquelles M. Lavoie avait droit le 27 mars et le 29 mars 2015.

[45] Selon la clause 21.15a) de la convention collective, après trois heures de temps supplémentaire immédiatement après ses heures normales de travail, M. Lavoie aurait dû recevoir un repas gratuit offert par l’employeur ou un montant de 10 $ pour couvrir les dépenses d’un tel repas. M. Lavoie ayant commencé à travailler en temps supplémentaire à 16 h, c’est donc dire qu’il a obtenu un droit à un tel repas à partir de 19 h.

[46] Selon la clause 21.15b) de la convention collective, après quatre heures de temps supplémentaire suivant les trois heures dont il est question à la clause 21.15a), M. Lavoie aurait dû recevoir un second repas gratuit offert par l’employeur ou un montant de 10 $ pour couvrir les dépenses d’un tel repas. M. Lavoie ayant commencé à travailler en temps supplémentaire à 16 h, il a obtenu un droit à un premier repas à partir de 19 h et à un second repas à partir de 23 h.

[47] Selon la clause 21.15c) de la convention collective, M. Lavoie avait droit à une période de temps raisonnable déterminée par l’employeur pour lui permettre de prendre une pause-repas.

[48] Dans les faits, l’employeur n’a offert qu’un repas gratuit à M. Lavoie et il lui a accordé 30 minutes pour le prendre, autant le 27 mars que le 29 mars 2015. Mon interprétation de la convention collective est que l’employeur aurait dû offrir un deuxième repas gratuit à M. Lavoie ou encore lui rembourser 10 $. Quoiqu’il en soit, la question soulevée par les parties porte plutôt sur le nombre de pauses-repas applicable dans le présent cas, et non pas sur le nombre de repas payables, même si les deux questions pourraient être reliées.

[49] Le grief de M. Lavoie renvoie aussi au paragraphe 2b) du Bulletin 2012-01 de l’employeur. Je suis d’accord avec le commentaire du commissaire dans Doran à savoir que les bulletins de l’employeur « […] servent couramment à normaliser et clarifier une approche nationale relativement à certaines dispositions d’une convention collective […] ». J’ajouterai qu’ils permettent à tout le moins de mieux saisir l’interprétation qu’en fait l’employeur. Le paragraphe 2a) de ce bulletin est aussi utile pour mieux saisir cette interprétation. Ces deux paragraphes se lisent ainsi :

2. Pauses-repas pendant les heures supplémentaires immédiatement avant ou après les heures de travail prévues à l’horaire

a) Période de temps payé raisonnable pour prendre une pause-repas

Aux termes du paragraphe 21.15 (c), « Une période de temps payé raisonnable déterminée par la direction est accordée à l’employé-e pour lui permettre de prendre une pause-repas à son lieu de travail ou dans un lieu adjacent. » La période de temps sera déterminée en fonction des circonstances en vigueur dans l’établissement. Elle doit être raisonnable, c’est-à-dire, être suffisamment longue pour permettre à un employé de prendre son repas sans trop se hâter. Normalement, cette période peut être d’une durée allant jusqu’à 30 minutes. Les agents correctionnels peuvent se rendre dans la zone-fumeurs désignée à l’extérieur du périmètre pendant cette pause lorsque cela est possible sur le plan opérationnel. L’agent correctionnel doit pouvoir retourner rapidement à son poste.

b) Nombre de pauses-repas

Conformément à l’alinéa 21.15a), un employé qui travaille trois heures ou plus en temps supplémentaire immédiatement avant ou après les heures de travail prévues à l’horaire doit recevoir une indemnité de repas de 10 $. Lorsqu’un employé effectue des heures en temps supplémentaire de façon continue au-delà de la première pause-repas, cette personne a droit à une pause-repas supplémentaire pour chaque période de quatre heures en temps supplémentaire travaillées par la suite. La pause-repas doit être prévue pendant la période où l’indemnité de repas est payable, sauf pour la première pause-repas. En effet, conformément au paragraphe 4 de l’appendice C, lorsqu’il y a une probabilité raisonnable qu’un employé travaille pendant huit heures supplémentaires, la première pause-repas doit être accordée avant qu’il n’effectue les trois premières heures supplémentaires, et la seconde pause doit être accordée après quatre heures en temps supplémentaire travaillées.

[50] Ce bulletin est conforme aux dispositions de la convention collective. Il précise au paragraphe a) le concept de période raisonnable pour prendre une pause-repas. Cette période doit être suffisamment longue pour permettre à l’employé de prendre son repas, soit normalement allant jusqu’à 30 minutes. Le paragraphe b) reprend la clause 21.15 de la convention collective sur le nombre de repas. En plus, il précise que l’employé qui « […] effectue des heures en temps supplémentaire de façon continue au-delà de la première pause‑repas […] a droit à une pause-repas supplémentaire pour chaque période de quatre heures en temps supplémentaire travaillées par la suite […] ». Lorsqu’on applique ce paragraphe à la situation de M. Lavoie, c’est donc dire que ce dernier avait droit à une seconde pause-repas s’il fallait qu’il travaille sept heures de temps supplémentaire, d’autant plus que le bulletin stipule que « la pause-repas doit être prévue pendant la période où l’indemnité de repas est payable […] ». Il y a une exception à cette règle en ce qui a trait à la première période de repas payable en vertu du paragraphe 4 de l’annexe « C » de la convention collective qui ne s’applique pas dans le présent cas.

[51] C’est donc dire que, selon la convention collective et les précisions apportées par le Bulletin 2012-01, s’il y a une probabilité raisonnable que l’employé travaille un poste complet de huit heures en temps supplémentaire, il bénéficie d’une pause-repas avant de travailler ses heures supplémentaires et une autre pause-repas après quatre heures de temps supplémentaire (paragraphe 4 de l’annexe « C » de la convention collective). Si l’employé travaille trois heures ou plus de temps supplémentaire, il a droit à un repas (clause 21.15a) de la convention collective). Si l’employé travaille un autre quatre heures à la suite de ces trois heures, il a droit à un autre repas (clause 21.15b)). La clause 21.15c) prévoit qu’une période raisonnable est accordée pour prendre une pause-repas. Le Bulletin 2012-01 précise que cette période doit être suffisamment longue pour prendre son repas et qu’elle peut aller jusqu’à 30 minutes.

[52] Le litige entre les parties me semble se limiter aux situations où l’employé est appelé à travailler entre sept heures et huit heures de temps supplémentaire immédiatement avant ou après son quart de travail. Comme dans le cas de M. Lavoie, quand un employé est appelé à travailler sept heures ou plus de temps supplémentaire sans probabilité raisonnable de travailler huit heures, la clause 21.15 de la convention collective s’applique. L’employé a droit à un premier repas lorsqu’il a travaillé trois heures et un second lorsqu’il a travaillé sept heures, chaque repas devant nécessairement être assorti d’une pause-repas ou du paiement d’une pause-repas. Ce serait un non-sens que de prétendre que la clause 21.15c) ne s’applique pas qu’au premier repas. Si l’employeur paye ou fournit un repas, il faut bien que l’employé puisse le prendre.

[53] Rien ne dit que la clause 21.15c) de la convention collective ne s’appliquerait qu’au premier repas. À défaut d’une telle précision, il faut s’en remettre au contexte général de la convention collective, au Bulletin d’interprétation 2012-1 et, j’ajouterai, au gros bon sens. Un employé doit avoir une période de temps pour prendre le repas qu’on lui paye. La convention collective et le Bulletin 2012-1 font état d’une période raisonnable ou d’une période de 30 minutes. Le litige entre les parties ne porte pas sur la durée de la pause‑repas, mais plutôt sur le nombre de pauses-repas ou de 30 minutes payables.

[54] Sur la base de tout ce qui précède, je conclus donc que M. Lavoie avait droit à deux pauses-repas pour chacune des périodes de 7 heures et 30 minutes travaillées en temps supplémentaire le 27 mars, puis le 29 mars 2015.

[55] La jurisprudence soumise par les parties est d’une aide limitée compte tenu des faits sur lesquels reposent ces décisions. Dans Doran, la Commission avait déterminé que les agents correctionnels avaient droit à une seule pause-repas lors d’une escorte sur un quart de travail de plus de 12 heures. Il ne s’agissait pas de travail en temps supplémentaire comme c’est ici le cas. Dans Joly, il s’agissait aussi de repas et de pauses-repas lors d’une escorte. Dans de telles situations, ce sont des dispositions différentes de la convention qui s’appliquent. Dans UCCO-SACC-CSN, la Commission devait examiner l’imposition d’heures supplémentaires sur une base non volontaire, ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire. Dans Kranson, l’arbitre de grief a rappelé que les employés doivent pouvoir prendre leur pause-repas plutôt que de se les faire payer. Dans la présente affaire, ce principe n’est pas remis en question. Dans Arsenault et dans Chafe, les arbitres de grief ont rappelé les règles usuelles utilisées pour interpréter la convention collective. Ces règles ont été ici appliquées.

[56] L’employeur m’a aussi renvoyé à Wamboldt. Dans cette décision, l’arbitre de grief a mentionné qu’un avantage qui comporte un coût financier pour l’employeur doit avoir été clairement et expressément stipulé dans la convention collective. Je ne suis pas en désaccord avec une telle affirmation, mais elle doit être mise en contexte. Dans Wamboldt, le fonctionnaire s’estimant lésé voulait être rémunéré pour le temps qu’il avait consacré à se préparer avec son avocat ou son représentant syndical en vue de l’audience d’arbitrage de son grief. La convention collective ne prévoyant pas expressément le paiement du temps de préparation, l’arbitre de grief a rejeté le grief. Dans la présente affaire, le litige est tout autre. À mon avis, lus conjointement, la convention collective et le bulletin 2012-1 de l’employeur prévoient expressément le paiement d’une deuxième pause-repas après sept heures de temps supplémentaire.

[57] Il ne me revient évidemment pas de modifier le texte de la convention collective pour rectifier des résultats qui n’étaient peut-être pas prévus au départ par les parties. Cette tâche leur appartient. D’ici là, elles doivent accepter ce qu’elles ont négocié.

[58] Pour des raisons que j’ignore, M. Lavoie ne réclame pas, même s’il y avait droit, le paiement d’un second repas pour le temps supplémentaire travaillé les 27 et 29 mars 2015. Je laisse aux parties le soin de discuter de cette question.

[59] Pour tous ces motifs, j’accueille le grief de M. Lavoie.

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[60] Le grief est accueilli.

[61] J’ordonne à l’employeur de payer à M. Lavoie dans les 60 jours de ma décision deux demi-heures de temps supplémentaire au taux applicable.

[62] Je demeure saisi de l’affaire pour une période de 90 jours à compter de la date de la présente décision.

Le 19 mai 2021.

Renaud Paquet,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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