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Date : 20210511

Dossiers : EMP-2017-11567 et 11568

 

Référence : 2021 CRTESPF 52

Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et

Loi sur l’emploi dans la

fonction publique

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

eNTRE

 

CATHY tURNER

plaignante

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Gendarmerie royale du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Turner c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada)

 

Affaire concernant des plaintes d’abus de pouvoir déposées en vertu des alinéas 77(1)a) et b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique

Devant : Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Frank Janz, représentant

Pour le défendeur : Laetitia Auguste, avocate

Pour la Commission de la fonction publique : Louise Bard

Pour les personnes nommées : Elles-mêmes

Affaire entendue par vidéoconférence

le 7 avril 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Résumé

[1] Cathy Turner (la « plaignante ») s’est vu refuser la possibilité de poser sa candidature à une nomination parce que l’administrateur général de la Gendarmerie royale du Canada (le « défendeur ») a choisi d’utiliser un processus non annoncé pour procéder à deux nominations à des postes de coordonnateur de la formation classifiés AS-02.

[2] La plaignante a soutenu qu’elle était parfaitement qualifiée pour la nomination, ayant travaillé pendant plusieurs années dans l’unité de la formation, dont deux ans comme commis à la formation. Elle a été déçue de se voir refuser la possibilité de postuler l’emploi.

[3] La preuve établit que le défendeur a choisi de nommer deux personnes qui s’étaient déjà qualifiées et avaient été placées dans un bassin de candidats aux fins d’un autre processus de nomination AS-02, à des postes de gestionnaire de bureau général qui n’étaient pas expressément liés à la formation.

[4] La plaignante n’a pas contesté le fait que les deux personnes nommées étaient qualifiées.

[5] La preuve démontre sans équivoque que le défendeur a délibérément assoupli les qualifications essentielles dans l’énoncé des critères de mérite des deux postes de formation. Ainsi, les qualifications génériques révisées correspondent mieux aux qualifications établies pour les autres postes à l’égard desquels les deux personnes nommées avaient déjà été placées dans un bassin de candidats.

[6] Les qualifications résultant de la révision qui ont été utilisées pour procéder à ces nominations contrevenaient à la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; la « Loi »), puisqu’elles ne correspondaient plus au travail réel que les personnes nommées doivent accomplir, comme l’exige l’alinéa 30(2)a).

[7] Même si le législateur a accordé de la souplesse aux gestionnaires responsables de l’embauche afin de leur permettre d’utiliser leur pouvoir discrétionnaire pour établir des critères de mérite liés aux fonctions d’un poste à pourvoir, l’indifférence flagrante à l’égard des exigences prévues par la Loi m’oblige à déclarer qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’application des critères de mérite.

[8] Je refuse la demande de la plaignante d’ordonner la révocation des nominations.

II. Preuve

[9] Aucune des déclarations présentées ci‑dessous n’a été contestée pendant l’audience.

[10] Les déclarations concernant le contenu des documents relatifs au processus de nomination ont toutes été confirmées par les témoins, qui ont fait renvoi aux divers documents pendant leur interrogatoire principal et leur contre-interrogatoire.

[11] La Commission de la fonction publique (la « Commission ») a participé au processus de gestion de cas préalable à l’audience et a présenté des arguments écrits aux fins de l’audience, mais elle ne s’est pas prononcée sur le bien‑fondé des plaintes.

A. La plaignante

[12] La plaignante a livré le témoignage suivant :

- Elle avait connu une longue carrière auprès de la GRC à divers postes, qui lui avaient permis de faire directement l’expérience des questions liées aux fonctions du poste de coordonnateur de la formation qu’elle souhaitait obtenir.

- En raison de ses études et de son expérience professionnelle, la plaignante était parfaitement qualifiée pour occuper des postes de formation.

- La plaignante a été déçue d’apprendre que les postes avaient été pourvus au moyen d’un processus de nomination non annoncé.

- La plaignante a attiré l’attention sur l’avis de nomination intérimaire au poste de formation en date du 25 septembre 2015 (quelques semaines seulement avant que les deux nominations non annoncées n’aient été faites). Cet avis visait à prolonger le mandat du titulaire qui occupait ce poste avant les deux nominations en litige en l’espèce. La plaignante a souligné que les qualifications essentielles pour l’audience comprenaient les suivantes :

[Traduction]

Expérience en planification d’activités de formation officielles et/ou informelles.

Expérience en coordination d’activités de formation officielles et/ou informelles.

Expérience en suivi et en explication des processus.

Capacité de coordonner des activités de formation.

- La plaignante a comparé ces qualifications à celles établies seulement quelques semaines plus tard, une fois que la nomination intérimaire eut pris fin, afin que les nominations fassent l’objet de la présente audience. La plaignante a souligné que les nouvelles qualifications ne faisaient pas mention de la « formation », mais qu’elles faisaient plutôt allusion à des qualifications telles que l’expérience en prestation de services de soutien administratif, de services de soutien financier, de services au public, etc.

- La plaignante a affirmé que lorsqu’elle a lu les nouvelles qualifications, elle a pensé que les allusions à la formation y faisaient défaut, et qu’elles ressemblaient aux qualifications d’un poste général de bureau classifié AS-02.

- La plaignante a affirmé que les nouvelles qualifications n’étaient pas exactes et qu’elles étaient inéquitables.

 

B. Le défendeur

[13] Stephen Sills était le gestionnaire responsable de l’embauche pour les deux postes en litige en l’espèce. Il était l’unique témoin que le défendeur avait cité à témoigner. Il a témoigné de ce qu’il a qualifié de situation de [traduction] « crise » au sein de l’unité de formation, en raison du fait que les deux postes de formation étaient devenus vacants juste au moment où la période de formation la plus chargée de l’année était sur le point de commencer.

[14] M. Sills a déclaré qu’il n’aurait pas été possible de prédire qu’il y aurait des postes vacants afin d’éviter la crise, puisque l’un des postes avait été créé tout récemment, et que l’autre était devenu vacant à court préavis de la part de la personne qui l’occupait de façon intérimaire, qui, l’avait-on espéré, devait l’occuper plus longtemps.

[15] M. Sills a aussi souligné que la contrainte de temps pour doter les postes vacants avait été aggravée par le fait qu’il ne s’était vu confier la surveillance de l’unité qu’environ quatre mois avant le déclenchement de ces évènements liés aux nominations.

[16] M. Sills a témoigné qu’un plan de formation annuel ambitieux était en attente de mise en œuvre, et qu’il aurait été entièrement compromis si l’on n’avait pas procédé rapidement aux nominations pour doter les deux postes de formation vacants.

[17] M. Sills a estimé qu’un processus annoncé pourrait prendre au moins six mois.

[18] M. Sills a commenté tous les aspects de la justification qu’il avait rédigée à l’égard des deux processus non annoncés pour demander leur approbation, et il a expliqué comment il avait créé un énoncé des qualifications essentielles pour les deux nominations.

[19] L’avocate a questionné M. Sills sur les qualifications génériques, ligne par ligne, en lui demandant d’expliquer en quoi chacune d’elles se rattachait aux fonctions des postes de formation. Ces qualifications étaient les suivantes :

[Traduction]

- Diplôme d’études secondaires […] ou combinaison acceptable d’études, de formation et/ou d’expérience

- Expérience en prestation de

services de soutien administratif

services de soutien financier

services au public

- Expérience en utilisation d’ordinateurs

[20] D’autres compétences d’ordre plus général, liées à la communication efficace, au leadership et aux habiletés organisationnelles, faisaient également partie des qualifications génériques.

[21] Cette discussion plutôt guindée et non informative a apporté des réponses, comme le fait que la personne retenue devait posséder une expérience en utilisation d’ordinateurs, parce que la coordonnatrice de la formation aurait besoin d’utiliser un ordinateur dans le cadre de son travail.

[22] J’ai interrompu l’avocate au moment où sa prochaine question portant sur la liste des qualifications génériques allait traiter de l’obligation de détenir un permis de conduire valide. Je reconnais le fait que le poste de coordonnateur de la formation requiert de détenir un permis de conduire, puisque le coordonnateur de la formation doit conduire un véhicule automobile.

[23] L’explication fournie par M. Sills au sujet de l’évaluation narrative de la personne nommée L est plus révélatrice pour l’enquête sur le choix des deux personnes nommées :

[Traduction]

- Elle serait en contact avec le public pour traiter des questions contractuelles, émettre des bons de commande et obtenir des devis auprès des fournisseurs (au cours de la période qu’elle a passée à la formation de la Division O).

- Elle a démontré sa capacité organisationnelle au cours de la période qu’elle a passée à titre de coordonnatrice de la formation, alors qu’elle devait organiser toutes les tâches associées à la coordination d’une activité de formation.

- Elle s’est adressée à de grands groupes lorsqu’elle occupait le poste de coordonnatrice de la formation, et elle a communiqué des renseignements importants de manière efficace.

- Elle fait preuve de leadership au sein de l’équipe lorsqu’elle a occupé le rôle de coordonnatrice de la formation.

- En qualité de coordonnatrice de la formation, elle a fait preuve de jugement dans sa décision quand est venu le moment de sélectionner des candidats aux fins de la formation, en gardant à l’esprit les priorités immédiates de l’unité, de la division ou de l’organisation.

 

[24] M. Sills a témoigné que la personne nommée L avait déjà exercé les fonctions de coordonnatrice de la formation sous la direction d’un autre superviseur, et que son superviseur l’avait recommandée à titre de candidate qualifiée pour ce poste.

[25] M. Sills a aussi témoigné que la personne nommée M, qui a obtenu l’autre poste, avait été désignée comme étant [traduction] « le deuxième candidat intéressé le plus qualifié » dans le bassin de candidats.

[26] Même si la plaignante n’a pas abordé la question dans son contre‑interrogatoire de M. Sills, il est intéressant de souligner que le recueil de documents du défendeur contenait une note au dossier, qui était jointe au document de justification signé par le conseiller en dotation du détachement.

[27] La note indique ce qui suit : [traduction] « […] Diverses possibilités de dotation ont été examinées avec le superviseur. La première était de nommer des personnes à titre intérimaire pendant qu’un processus de nomination annoncé était mené […] J’ai fortement encouragé le superviseur à envisager une solution de nomination intérimaire à court terme pendant que l’annonce était en cours ».

[28] Aucune évaluation narrative de la personne nommée M n’a été présentée comme pièce à l’audience, comme celle qui a été citée pour la personne nommée L.

[29] M. Sills a expliqué dans son interrogatoire principal que son examen des documents d’évaluation des deux personnes nommées, provenant des dossiers de l’autre processus, démontraient que les personnes nommées possédaient toutes les deux de solides compétences en matière de relations interpersonnelles et d’établissement de relations, qui constituaient selon lui des qualités cruciales pour les nominations.

[30] De plus, la Commission de la fonction publique n’a pas participé à l’audience. Elle a toutefois présenté des arguments écrits. Elle ne s’est pas prononcée sur le bien‑fondé de l’allégation selon laquelle il y aurait eu abus de pouvoir.

III. La loi

[31] L’alinéa 77(1)a) de la Loi prévoit qu’un candidat non retenu dans la zone de sélection d’un processus de nomination interne peut présenter à la Commission une plainte selon laquelle il n’a pas été nommé ou fait l’objet d’une proposition de nomination en raison d’un abus de pouvoir dans l’application des critères de mérite.

[32] L’alinéa 77(1)b) indique qu’un candidat peut aussi présenter une plainte selon laquelle la Commission a commis un abus de pouvoir du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas.

[33] La plaignante a invoqué les deux alinéas du paragraphe 77(1) dans ses allégations.

[34] Il incombait à la plaignante de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le défendeur avait abusé de son pouvoir (voir Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 8, aux paragraphes 49 et 55).

[35] L’« abus de pouvoir » n’est pas défini dans la Loi. Toutefois, le paragraphe 2(4) offre l’orientation suivante : « Il est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par abus de pouvoir la mauvaise foi et le favoritisme personnel ».

[36] Comme l’a souligné Mme Ebbs, la présidente de la Commission à l’époque, dans Ross c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2017 CRTEFP 48, au paragraphe 14, la Commission a établi que le paragraphe 2(4) de la Loi doit être interprété de façon générale. Il en découle donc que l’expression « abus de pouvoir » ne doit pas se limiter à la mauvaise foi et au favoritisme personnel.

[37] Dans Canada (Procureur général) c. Lahlali, 2012 CF 601, aux paragraphes 21 et 38, la Cour fédérale a confirmé que la définition d’« abus de pouvoir » au paragraphe 2(4) de la Loi n’est pas exhaustive et peut comprendre d’autres formes de conduite inappropriée.

[38] Comme il est souligné dans Tibbs, aux paragraphes 66 et 71, et comme il a été confirmé plus récemment dans Agnew c. Sous-ministre des Pêches et des Océans, 2018 CRTESPF 2, au paragraphe 95, un abus de pouvoir peut comprendre un acte, une omission ou une erreur que le législateur n’aurait pas pu envisager dans le cadre de la discrétion accordée aux personnes avec des pouvoirs délégués de dotation.

IV. Argumentation finale

A. La plaignante

[39] Le représentant de la plaignante a fait valoir que l’effort manifestement déployé par le défendeur pour assouplir les critères essentiels afin de les adapter aux personnes censées être nommées enfreignait la Loi.

[40] Le représentant de la plaignante a attiré l’attention sur l’alinéa 30(2)a), qui indique qu’une nomination est fondée sur le mérite si la personne à nommer possède les qualifications essentielles pour le travail à accomplir. L’article 30 est ainsi rédigé :

30 (1) Les nominations — internes ou externes — à la fonction publique faites par la Commission sont fondées sur le mérite et sont indépendantes de toute influence politique.

[…]

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir […]

[…]

[Je mets en évidence]

 

 

[41] Le représentant de la plaignante a ensuite souligné le fait qu’il était clairement établi dans la preuve que, comme l’avait publié le défendeur aux fins de la nomination finale à titre intérimaire quelques semaines seulement avant de procéder aux deux nominations en litige, plusieurs qualifications essentielles du poste de formation faisaient expressément mention des fonctions de formation. Le représentant de la plaignante a ensuite fait remarquer que les nouvelles qualifications génériques ne mentionnent pas du tout la formation.

[42] Le représentant de la plaignante a ensuite conclu que les qualifications essentielles aux fins des deux nominations en litige ne correspondaient pas réellement aux [traduction] « […] qualifications essentielles […] pour le travail à accomplir […] », comme l’exige l’alinéa 30(2)a) de la Loi.

[43] Dans son argumentation, le représentant de la plaignante n’a invoqué aucun cas, mais il a fourni un recueil de jurisprudence à l’appui de sa présentation.

[44] Le recueil de jurisprudence mentionnait une affaire dans laquelle la GRC avait fait fi des exigences bien comprises de la Loi. La décision que la Commission a rendue dans Goncalves c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, 2017 CRTESPF 2, comprenait la conclusion suivante :

[…]

[5] […] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la plaignante a établi, au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants, que le défendeur a porté peu d’attention aux formalités de nomination énoncées dans la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13; la « Loi »). Je conclus également que le défendeur a rédigé un exposé des faits à l’appui de la nomination qui contenait une fausse déclaration à l’appui de la qualification essentielle, qu’il a omis d’évaluer une qualification essentielle ou d’en consigner l’évaluation, et qu’il a estimé à tort que la personne nommée possédait toutes les qualifications essentielles.

[6] Compte tenu de ces nombreuses erreurs et omissions et de ce mépris pour la Loi, j’estime qu’il y a eu abus de pouvoir et j’ordonne au défendeur de révoquer la nomination intérimaire.

[…]

[Je mets en évidence]

 

[45] Les deux parties ont souligné Tibbs en raison de la souplesse que le législateur a accordée aux administrateurs généraux lorsqu’ils exercent leur pouvoir discrétionnaire en vertu de la Loi, ainsi que les limites qui s’y appliquent.

[46] Les paragraphes pertinents de Tibbs, cités ci‑dessous, touchent directement au cœur des plaintes dans l’affaire dont je suis saisi, ainsi qu’à la réplique du défendeur :

[62] Un examen du préambule de la LEFP permet de révéler l’intention du législateur. Le préambule de la LEFP est clair et est d’une aide importante dans l’interprétation du concept d’abus de pouvoir. La section suivante mérite d’être soulignée : « le pouvoir de dotation devrait être délégué […] pour que les gestionnaires disposent de la marge de manœuvre dont ils ont besoin pour effectuer la dotation, et pour gérer et diriger leur personnel de manière à obtenir des résultats pour les Canadiens ».

[63] Cette section du préambule renforce l’un des objectifs législatifs clé de la LEFP, soit que les gestionnaires détiennent un pouvoir discrétionnaire considérable en ce qui a trait aux questions de dotation. Pour s’assurer de la souplesse nécessaire, le législateur a choisi de s’éloigner du régime de dotation de l’ancienne LEFP qui était axé sur un système à base de règles. L’ancien système fondé sur le mérite relatif n’existe plus. La définition du mérite prévue au paragraphe 30(2) de la LEFP accorde aux gestionnaires un pouvoir discrétionnaire considérable pour choisir la personne qui non seulement répond aux qualifications essentielles mais qui est également la bonne personne pour faire le travail, car elle possède des atouts supplémentaires, ou elle répond à des besoins actuels ou futurs ou à des exigences opérationnelles.

[64] Cependant, cela ne signifie pas que la LEFP prévoit un pouvoir discrétionnaire absolu. Le préambule clarifie les valeurs et les règles d’éthique qui devraient caractériser l’exercice du pouvoir discrétionnaire au chapitre de la dotation. Il appuie également un autre objectif législatif clé de la LEFP, soit d’établir de nouveaux mécanismes de recours sur des questions de nomination auprès d’un organisme neutre et indépendant, le Tribunal. La section pertinente du préambule se lit comme suit : « le gouvernement du Canada souscrit au principe d’une fonction publique […] qui se distingue par ses pratiques d’emploi équitables et transparentes, le respect de ses employés, sa volonté réelle de dialogue et ses mécanismes de recours destinés à résoudre les questions touchant les nominations ».

[65] Il ressort clairement du préambule et de la LEFP dans son ensemble que l’intention du législateur était qu’il fallait plus que de simples erreurs ou omissions pour constituer un abus de pouvoir. Par exemple, en vertu de l’article 67 de la LEFP, les motifs de révocation d’une nomination par un administrateur général après une enquête sont l’erreur, l’omission et une conduite irrégulière. Ces motifs de révocation sont clairement moins élevés que ceux requis en vue de constater un abus de pouvoir. Le choix de différents mots par le législateur est important : Sullivan et Driedger, supra, à la p. 164. L’abus de pouvoir constitue plus qu’une simple erreur ou omission.

[Je mets en évidence]

 

[47] Les arguments de la plaignante se concluaient par une demande d’ordonnance de révocation des deux nominations en litige en l’espèce.

[48] Aucun argument n’a été présenté en contre‑preuve des arguments finaux du défendeur.

B. Le défendeur

[49] Dans son argumentation finale, l’avocate a fait valoir qu’aucune erreur n’avait été commise dans les processus de dotation, mais que même si je relevais une erreur dans la façon d’établir les qualifications, celle‑ci ne devrait pas être jugée comme suffisamment grave pour constituer un abus de pouvoir conformément à Tibbs.

[50] La justification bien étayée de la décision souligne une augmentation importante du budget de formation, mais une pénurie de ressources humaines pour mener les activités requises, ce qui a par conséquent entraîné une crise dans l’unité de formation. La justification souligne aussi que le bureau de la formation traversait la période de pointe de ses activités annuelles, ce qui avait créé le besoin urgent de pourvoir les postes vacants.

[51] M. Sills a estimé qu’un processus d’embauche annoncé pouvait prendre facilement six mois ou plus avant de réussir à nommer une personne au poste.

[52] L’avocate a attiré l’attention sur le témoignage de M. Sills, dans lequel celui‑ci a affirmé que les deux personnes nommées venaient d’être évaluées, qu’elles convenaient bien aux postes, et qu’elles possédaient de très bonnes aptitudes en relations interpersonnelles et en communication. M. Sills a aussi ajouté que ces personnes étaient les candidats qui avaient obtenu l’évaluation la plus élevée dans l’autre processus d’embauche à un poste classifié AS-02, qu’elles s’étaient qualifiées et avaient été placées dans un bassin de candidats.

[53] L’avocate a souligné la décision rendue par l’arbitre de grief Daigle dans Dhalla c. Commissaire du Service correctionnel du Canada, 2018 CRTESPF 12, une affaire qui portait également sur une nomination non annoncée. L’arbitre de grief a conclu ce qui suit :

[44] L’article 33 de la LEFP indique clairement que la CFP ou son délégué, conformément au paragraphe 15(1), peut choisir un processus annoncé ou un processus non annoncé en vue d’une nomination. Son libellé est le suivant : « La Commission peut, en vue d’une nomination, avoir recours à un processus de nomination annoncé ou à un processus de nomination non annoncé. »

[45] Dans les circonstances de l’affaire, le plaignant ne peut alléguer qu’il y a eu abus de pouvoir pour le simple motif qu’on a choisi un processus non annoncé. Il doit prouver que la décision de choisir un processus non annoncé constitue un abus de pouvoir.

[46] Le plaignant allègue que le processus non annoncé lui a nié, à lui et d’autres membres de minorités visibles, comme M. Sandhu, la possibilité d’être pris en considération pour le poste. D’autre part, l’intimé affirme qu’il peut justifier sa décision. Il a déposé en preuve les justifications écrites pour la nomination de Mme Turi. La « Liste de vérification relative aux processus de nomination non annoncés » a aussi été déposée, ainsi qu’un « Guide d’évaluation » confirmant que Mme Turi a fait l’objet d’une évaluation qui a conclu qu’elle était qualifiée pour le poste.

[…]

[48] Je conclus que la décision de choisir un processus non annoncé a bien été explicitée et documentée. M. German a clairement expliqué que l’intimé devait agir rapidement. Il a décidé de choisir un candidat du répertoire de candidats qualifiés découlant du récent processus national EX-02 pour direction d’établissement et d’évaluer cette personne, Mme Turi, en fonction de « l’Énoncé des critères de mérite » du poste de SCASI. Mme Turi a été jugée qualifiée. M. German a aussi tenu compte du fait que sa nomination abordait la représentation des groupes de l’équité en matière d’emploi aux plus hauts niveaux de l’équipe de la direction de la région du Pacifique du SCC. L’intimé considérait ce choix comme étant le plus approprié et a préparé une documentation suffisante pour justifier cette décision.

[…]

[50] De plus, l’article 30 de la LEFP prévoit qu’il n’est pas nécessaire de mener un processus de sélection et de passer plusieurs personnes en entrevue pour procéder à une nomination :

30(4) La Commission n’est pas tenue de prendre en compte plus d’une personne pour faire une nomination fondée sur le mérite.

 

[Je mets en évidence]

 

[54] Je souscris au raisonnement valable que la Commission a suivi dans Dhalla.

[55] Les faits dont je suis saisi ont permis d’établir que des tâches importantes étaient en attente, et que cela, parallèlement à la contrainte de temps, justifiait le choix d’une nomination non annoncée.

[56] La loi n’exige pas d’annoncer toutes les nominations.

[57] La déception d’une personne qui aurait souhaité présenter sa candidature à une nomination ne constitue pas, en soi, un fondement valable pour alléguer un abus de pouvoir en fonction du choix du processus.

[58] L’avocate a souligné le fait confirmé dans le témoignage livré par M. Sills selon lequel, en 2015, le défendeur avait tenté de pourvoir le poste de coordonnateur de la formation classifié AS-02 dans le cadre d’un processus annoncé. Toutefois, la justification de la mesure de dotation non annoncée indique que ce processus avait échoué.

[59] Il aurait pu s’agir d’un fait utile à l’appui des arguments du défendeur, si les témoins avaient été questionnés au sujet des circonstances liées à ce processus antérieur. En l’absence de telles questions, j’ignore complètement s’il s’agit d’un fait pertinent.

[60] En réponse à l’allégation selon laquelle les qualifications essentielles avaient été assouplies de telle façon qu’elles ne correspondaient plus au travail réel à accomplir, l’avocate a souligné la décision rendue dans Visca c. Sous‑ministre de la Justice, 2007 TDFP 24, où il a été conclu ce qui suit :

[42] Aux termes du paragraphe 30(2) de la LEFP, les gestionnaires disposent d’un pouvoir discrétionnaire considérable pour établir les qualifications liées au poste qu’ils souhaitent doter et pour choisir la personne qui non seulement satisfait aux qualifications essentielles mais représente la bonne personne pour occuper le poste visé. Un pouvoir discrétionnaire semblable est prévu à l’article 36 de la LEFP à l’intention des personnes qui détiennent les pouvoirs de dotation pour choisir et utiliser les méthodes d’évaluation qui permettront de déterminer si la personne satisfait aux qualifications essentielles […]

 

[61] L’avocate a aussi cité Jarvo c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2011 TDFP 6, où il a été conclu ce qui suit :

47 La justification écrite n’était pas structurée de manière parfaitement conforme aux exigences du MDN : elle présentait certaines lacunes sur le plan de la forme. Elle n’expliquait pas non plus en quoi la nomination correspondait au plan des ressources humaines de l’organisation. Cependant, ces lacunes ne sont pas suffisamment importantes pour conclure à un abus de pouvoir. Le Tribunal estime que la justification, dans son ensemble, contient toute l’information nécessaire pour répondre aux objectifs de la CFP et du MDN en ce qui a trait aux processus de nomination non annoncés. De plus, à la lumière d’un examen minutieux de la justification, le Tribunal estime qu’elle ne soulève aucune préoccupation sur le plan du contenu.

 

[62] L’avocate a souligné la récente décision rendue par la Commission dans Beaudoin c. Sous-ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, 2018 CRTESPF 41, où l’arbitre de grief Daigle a conclu ceci :

[93] Bien que le plaignant remette en question les outils utilisés étant donné la nouvelle description de travail générique, la preuve démontre que les tâches des postes classifiés PM-05 sont demeurées les mêmes. L’intimé a simplement adopté une description de travail générique pour les postes classifiés PM-05 afin de favoriser une approche plus cohérente à la grandeur du pays.

Toutefois, ce passage doit être lu dans le contexte approprié de cette autre partie de cette même décision, citée ci‑dessous :

 

[90] L’intimé a fait valoir que même si une description de travail générique a été adoptée le 28 juillet, soit un jour avant l’administration de l’examen, les tâches des postes classifiés PM-05 demeuraient les mêmes. L’objectif était simplement de favoriser une approche plus cohérente à la grandeur du pays. Ainsi, l’adoption d’une description de travail générique n’a pas causé de tort ou nui au processus de dotation. Tous les candidats ont été évalués de façon juste, équitable et transparente et les outils d’évaluation utilisés étaient fiables.

 

[63] Je distingue ces décisions en fonction des faits. Les faits les plus pertinents de ces affaires se trouvent dans Beaudoin. Toutefois, une lecture exhaustive de cette décision permet d’établir clairement que les qualifications génériques qui y sont en litige faisaient partie d’un effort déployé à l’échelle nationale pour doter ce poste. Il n’y a rien de semblable dans les faits dont je suis saisi.

[64] Contrairement aux conclusions de Visca et Jarvo, je conclus que la non‑conformité à l’alinéa 30(2)a) des qualifications essentielles génériques reformulées constitue une violation flagrante de la Loi.

[65] L’alinéa 30(2)a) de la Loi prévoit que l’exigence permettant de conclure qu’une nomination est fondée sur le mérite est établie si, « […] selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles […] établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir […] ».

[66] Le législateur a accordé aux administrateurs généraux le pouvoir discrétionnaire d’établir les qualifications essentielles pour le travail à accomplir.

[67] Parallèlement, en vertu de l’alinéa 77(1)a), le législateur a accordé à la Commission le pouvoir de déterminer s’il y a eu abus de pouvoir de la part de l’administrateur général dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire consistant à établir les qualifications essentielles.

[68] Une liste de qualifications essentielles publiée à l’égard d’un poste de formation, qui existait dans une version antérieure quelques semaines plus tôt et qui laisse désormais tomber tous les renvois à la formation, ne peut pas être considérée comme représentant la liste des qualifications réelles ou fidèles pour le travail de formation à accomplir. Compte tenu de ces circonstances, je conclus que le retrait des renvois à la formation de la liste des qualifications essentielles constituait une omission flagrante et intentionnelle.

[69] Le défaut de tenir compte de la formation – un aspect important des fonctions du coordonnateur de la formation – dans les qualifications essentielles au poste a pour effet de rendre la décision arbitraire.

[70] Les éléments de preuve clairs et convaincants du fait que cette omission était intentionnelle démontre que la décision a été prise de mauvaise foi.

[71] Le législateur ne peut pas avoir envisagé que le pouvoir discrétionnaire qu’il accordait pour procéder aux nominations comprendrait de tels actes.

C. Les personnes nommées

[72] Les deux personnes nommées, dont les postes font l’objet de la présente audience, ont surveillé la vidéoconférence, comme elles en avaient le droit, puisqu’elles sont parties aux présentes plaintes. Elles ont pris la parole à la fin de l’audience. Elles n’ont pas abordé la question du bien‑fondé des plaintes, mais elles ont plutôt exprimé leur préoccupation à l’égard du fait qu’en l’absence d’intervention ou d’ordonnance de la Commission, le défendeur aurait volontairement produit des documents relatifs au processus de nomination qui renfermaient des renseignements sur elles, leurs évaluations, ainsi que des documents d’accompagnement liés à leur candidature. Heureusement, les codes d’identification de dossier personnel et les autres identificateurs personnels, comme les adresses ou les numéros de téléphone, avaient été caviardés.

[73] Les deux personnes nommées ont exprimé leur mécontentement à l’effet que des documents liés à leur carrière avaient été rendus publics, en raison du fait que tous les documents acceptés comme pièces lors d’une audience devant la Commission sont mis à la disposition de quiconque demande à les consulter.

[74] En fin de compte, la majeure partie des renseignements préoccupants pour les personnes nommées n’a pas été présentée comme pièces, ce qui a pour effet de retirer les documents de la possession de la Commission. Ces documents ont été transmis juste avant l’audience à titre de pièces potentielles, mais n’ont jamais été acceptés à ce titre par la Commission.

[75] Le greffe de la Commission en a informé par écrit les personnes nommées le matin suivant la fin de l’audience.

V. Conclusion

[76] Je reconnais que le choix du processus reposait sur des motifs de bonne foi qui visaient à assurer l’efficacité des activités connexes. Je conclus que la plaignante n’a pas réussi à établir une preuve claire et convaincante me permettant de conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu abus de pouvoir dans le choix du processus utilisé dans les deux nominations.

[77] Je conclus qu’il existe une preuve claire et convaincante me permettant de conclure, selon la prépondérance des probabilités et pour les motifs que j’ai déjà énoncés, qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’application des critères de mérite aux deux nominations.

[78] Ma déclaration selon laquelle il y a eu abus de pouvoir dans ces nominations témoigne de la négligence à l’égard des processus de nomination bien établis et de l’exigence connexe prévue par la loi. Elle ne concerne ni les deux personnes nommées ni leurs carrières.

[79] Je refuse d’exercer mon pouvoir d’ordonner la révocation des deux nominations. Une pareille ordonnance n’est et ne doit être exercée que dans de rares circonstances.

[80] Compte tenu de ces conclusions, je déclare qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’application des critères de mérite lors des deux nominations.

[81] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[82] La plainte est accueillie en partie.

[83] Je déclare qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’application des critères de mérite lors des deux nominations.

Le 11 mai 2021.

Traduction de la CRTESPF

 

Bryan R. Gray,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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