Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a été licencié pendant sa période de stage pour des raisons liées à son rendement – il a déposé à l’origine un grief contre son licenciement, mais il a retiré le grief avant le début de l’audience devant la Commission – il a poursuivi son autre grief, dans lequel il alléguait avoir été victime de discrimination pendant son emploi parce que l’employeur a omis de prendre des mesures d’adaptation pour répondre à ses besoins – la Commission a conclu qu’il était atteint d’une incapacité physique (une déficience visuelle), ce qui était un facteur de stress et d’anxiété pendant son emploi, surtout lors de la première période d’emploi de 14 mois avant la période de stage, alors que plusieurs mesures d’adaptation ont été tentées – par conséquent, le fonctionnaire s’estimant lésé a établi une preuve prima facie (ou « à première vue ») de discrimination – toutefois, le défendeur a présenté une défense non discriminatoire – la Commission a conclu que même s’il a fallu 14 mois pour régler tous les problèmes techniques liés aux mesures d’adaptation, il est ressorti de la preuve que l’employeur a pris des mesures raisonnables pour répondre aux besoins du fonctionnaire s’estimant lésé – l’employeur a agi de manière raisonnable dans sa réponse aux problèmes cernés par le fonctionnaire s’estimant lésé.

Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date: 20210416

Dossier: 566-02-11244

 

Référence: 2021 CRTESPF 43

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

entre

 

Richard Bourdeau

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

Conseil du Trésor

(Commission de l’immigration et du statut de réfugié)

 

employeur

Répertorié

Bourdeau c. Conseil du Trésor (Commission de l’immigration et du statut de réfugié)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Dan Butler, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Mariah Griffin-Angus, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l’employeur : Holly Hargreaves, avocate

Affaire entendue par vidéoconférence

les 20 et 21 octobre, le 27 novembre et le 16 décembre 2020.

(Arguments écrits déposés les 15, 17, 18 et 22 décembre 2020.)

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Comme l’a décrit Richard Bourdeau, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), la diplopie est une déficience visuelle dans laquelle les images vues par chaque œil ne peuvent pas effectuer leur mise au point ensemble. Les images sont transmises par les nerfs optiques à des moments fractionnés différents, ce qui donne une forme de double vision, un état connu sous le nom d’insuffisance de convergence. Dans certains cas, l’état peut être guéri par chirurgie. En ce qui concerne le fonctionnaire, la diplopie est inopérable.

[2] Dans l’affaire dont est saisie la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), le fonctionnaire allègue que son ministère employeur, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISRC), a fait preuve de discrimination à son égard fondée sur sa déficience visuelle. Dans un grief déposé le 22 janvier 2015, il a expliqué ses allégations comme suit :

[Traduction]

Je conteste mon licenciement et mon renvoi en cours de stage par mon employeur, qui était discriminatoire et de mauvaise foi;

Je conteste le harcèlement et la discrimination dont l’employeur a fait preuve à mon égard en raison de ma déficience et de mon état de santé;

Je conteste l’omission de l’employeur de me fournir un milieu de travail sécuritaire, sain et exempt de harcèlement;

Je conteste le manquement de l’employeur à son obligation de prendre des mesures d’adaptation pour répondre à ma déficience et à mon état de santé;

Je conteste la clause 19.01 de la convention collective;

Je conteste la violation par l’employeur de mes droits (et le manquement à ses obligations) en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

J’estime que les actes de l’employeur sont de nature harcelante, discriminatoire, délibérée, imprudente, punitive et disciplinaire;

Je conteste toutes les autres clauses connexes de la convention collective;

Je conteste le fait que l’employeur a violé son pouvoir délégué et a abusé de son pouvoir.

 

[3] Le fonctionnaire a demandé les mesures correctives suivantes :

[Traduction]

Que mon licenciement et mon renvoi en cours de stage soient annulés, et que je sois rétabli dans mes fonctions et que des mesures d’adaptation soient prises dans le milieu de travail;

Une déclaration selon laquelle la clause 19.01 et la Loi canadienne sur les droits de la personne ont été violées;

Une déclaration selon laquelle les mesures prises par l’employeur à mon égard étaient discriminatoires;

Une indemnisation intégrale pour toutes les pertes de salaires, d’avantages sociaux, de cotisations de pension de retraite, de coûts et de dépenses que j’ai engagées à la suite de la violation de l’employeur;

Des dommages pour douleur et souffrance que j’ai subis à la suite de la violation par l’employeur, conformément à la Loi canadienne sur les droits de la personne;

Des dommages pour conduite délibérée et inconsidérée et pour pratique discriminatoire dont a fait preuve l’employeur à mon égard, conformément à la Loi canadienne sur les droits de la personne;

Toute autre indemnisation et mesure corrective qu’une commission ou un tribunal peut juger indiquées;

Que je sois indemnisé intégralement.

 

[4] La convention collective du groupe Services des programmes et de l’administration (PM) conclue entre le Conseil du Trésor (l’« employeur ») et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») en vertu de laquelle le grief a été déposé est venue à échéance le 20 juin 2014 (la « convention collective du groupe PM »).

[5] La clause 19.01 de la convention collective du groupe PM se lit comme suit :

19.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l’Alliance ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l’employé-e a été gracié.

 

[6] Étant donné que le fonctionnaire n’a pas obtenu gain de cause dans le cadre de la procédure de règlement des griefs concernant les mesures prises par la CISRC, il a renvoyé l’affaire à l’arbitrage le 4 juin 2015, avec l’appui de l’agent négociateur, à la Commission de travail et de l’emploi dans la fonction publique (CRTEFP) (à l’époque) en vertu de l’al. 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (à l’époque) (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; « LRTFP »).

[7] En même temps, le fonctionnaire a déposé un avis à la Commission canadienne des droits de la personne (la « CCDP »), comme il est requis lorsqu’un grief soulève une question concernant l’interprétation ou l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; LCDP). Le 22 juin 2015, la CCDP a indiqué qu’elle n’entendait pas présenter d’arguments dans l’affaire.

[8] Peu avant l’audience, le fonctionnaire a retiré un deuxième grief (dossier de la CRTESPF 566‑02‑11245) renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’al. 209(1)b) de la LRTFP en tant qu’une affaire concernant un licenciement en cours de stage. Le libellé du deuxième grief semble avoir été identique à celui du grief dont je suis saisi. Au cours de l’audience, dans l’incertitude quant à la nature de la position du fonctionnaire, je lui ai demandé s’il prévoyait faire valoir que le licenciement en cours de stage constituait un acte discriminatoire. Il a précisé que le licenciement en cours de stage ne faisait pas l’objet d’un litige. L’audience s’est poursuivie sur cette base.

[9] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail dans la fonction publique et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la LRTFP pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (LRTSPF).

[10] Après avoir examiné les éléments de preuve et les arguments présentés par les parties, j’ai conclu que le fonctionnaire a établi une preuve prima facie de discrimination, mais que l’employeur lui avait fourni des mesures d’adaptation raisonnables, lui offrant ainsi une explication non discriminatoire de ses actes. Pour ce motif, je rejette le grief.

II. Résumé de la preuve

[11] Avant l’audience, les parties ont déposé un énoncé conjoint des faits qui se lit comme suit :

[Traduction]

1. Richard Bourdeau, le fonctionnaire s’estimant lésé, a déposé son grief le 22 janvier 2015 pour : renvoi en cours de stage (discriminatoire et de mauvaise foi); harcèlement et discrimination liés à sa déficience; défaut de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement, sécuritaire et sain; obligation de prendre des mesures d’adaptation; violation de droits en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne; et que les actes de l’employeur étaient de nature harcelante, discriminatoire, délibérée, inconsidérée, punitive et disciplinaire; et tous les autres articles pertinents de la convention collective.

2. Le 16 octobre 2020, l’agent négociateur a écrit à la Commission pour qu’elle retire le dossier 566-02-11245 (le grief de licenciement)

3. Le 22 novembre 2012, M. Boudreau [sic] s’est vu offrir une nomination à temps plein pour une période indéterminée aux groupe et niveau PM-06 à titre de commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR).

4. Le 20 novembre 2012, il a rempli un formulaire de déclaration volontaire pour l’équité en matière d’emploi de l’employé, dans lequel il s’est déclaré avoir une déficience.

5. Le 22 novembre 2012, M. Bourdeau a envoyé un courriel à Chrystal Hitchcock, conseillère en ressources humaines à la CISR, demandant des mesures d’adaptation lors de la séance de formation obligatoire à l’intention des nouveaux commissaires. Il a demandé des documents à double interligne en format électronique.

6. Le commissaire coordonnateur de M. Bourdeau était James Railton du 27 novembre 2012 au 6 janvier 2014, date à laquelle il a été muté à une nouvelle équipe avec une nouvelle commissaire coordonnatrice, Diane Tinker.

7. Le deuxième palier a été entendu le 23 février 2015 et une réponse a été publiée le 13 mars 2015 par Ross Pattee, vice‑président, Section de la protection des réfugiés.

 

[12] Trois témoins ont témoigné, le fonctionnaire en son nom et Diane Tinker et Ross Pattee au nom de l’employeur.

A. Le fonctionnaire s’estimant lésé

[13] La diplopie du fonctionnaire a été diagnostiquée la première fois pendant qu’il effectuait son premier cycle universitaire, puis il a été identifié comme ayant une déficience pendant qu’il faisait ses études en droit, où des mesures d’adaptation ont été prises. Après avoir pratiqué le droit en tant que fournisseur unique, le fonctionnaire a employé deux assistants pour convertir les documents dans un format qu’il pouvait lire. Après huit ou neuf ans, les difficultés causées par son état sont devenues plus aiguës. Pour y faire face, il utilisait parfois un logiciel de lecteur d’écran appartenant à sa conjointe, qui est aveugle. L’effort nécessaire pour se recentrer constamment sur les documents lors de la lecture était épuisant physiquement; il a dû se reposer après de courtes périodes de travail.

[14] En 2012, le fonctionnaire a postulé à un poste de commissaire de la CISRC, classifié au groupe et au niveau PM-06. Il a témoigné qu’il avait révélé sa déficience dès le début lorsqu’il remplissait les formulaires et lorsqu’il discutait avec des représentants des Ressources humaines. Cependant, lorsqu’on lui a offert le poste, on lui a dit qu’il n’y avait rien dans son dossier au sujet de sa déficience. Le 20 novembre 2012, il a envoyé un courriel à M. Pattee, le gestionnaire responsable de l’embauche. Il a joint un [traduction] « Formulaire de déclaration volontaire pour l’équité en matière d’emploi de l’employé » dans lequel il a indiqué qu’il était une personne handicapée. Deux jours plus tard, il a envoyé par courriel son acception du poste aux Ressources humaines, indiquant que [traduction] « des mesures d’adaptation consisteraient à lui fournir des documents à double interligne en format électronique ».

[15] Au cours d’une période de formation de trois semaines, le fonctionnaire a reçu des documents électroniques qu’il a dû convertir en format à double interligne dans une autre police. Il a trouvé très difficile de suivre le rythme et n’a pas été autorisé à amener les documents de formation à la maison aux fins de les traiter davantage. Les graphiques posaient des problèmes particuliers. Il a finalement abandonné, en concluant qu’il [traduction] « ne pouvait pas tout faire ».

[16] Lorsqu’il a commencé à travailler à la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la CISRC à Toronto, en Ontario, le fonctionnaire a trouvé que son équipement de bureau était inadéquat. Il a demandé à son superviseur, James Railton, de mettre à niveau l’équipement afin d’obtenir une puissance de traitement accrue pour répondre à ses besoins. Il avait rencontré M. Railton pendant sa formation et a témoigné que M. Railton savait [traduction] « qu’il existait un problème ». Le fonctionnaire a déclaré que la mise à niveau demandée n’a pas été offerte pendant plus d’un an.

[17] En février ou mars 2013, le fonctionnaire a dit à M. Railton qu’il avait besoin d’un scanneur pour faciliter la reconnaissance optique de caractères (ROC) et JAWS, soit un logiciel de lecture d’écran d’ordinateur. Étant donné que M. Railton avait fait remarquer que les compétences de dactylographie du fonctionnaire n’étaient pas à la hauteur, le fonctionnaire a également demandé le logiciel Dragon Dictate.

[18] Le fonctionnaire s’est souvenu que Dragon Dictate a été acheté à un moment donné, que JAWS a été obtenu plus tard et qu’on lui a fourni un vieux scanneur. Toutefois, comme son système informatique n’était pas assez puissant, il a subi des pannes à maintes reprises.

[19] Le fonctionnaire a reconnu que le directeur adjoint de sa division avait approuvé sa demande d’un ordinateur mis à niveau. Services partagés Canada a fourni deux ordinateurs d’un millésime semblable au sien, qu’il a rapidement constaté ne communique pas entre eux. De plus, JAWS ne fonctionnait pas. Selon le fonctionnaire, [traduction] « c’était un désastre ».

[20] En tant que nouvel employé, le fonctionnaire devait traiter trois cas par semaine. Même s’il occupait un poste de langue anglaise, les premiers cas qui lui ont été affectés étaient en français.

[21] En mars 2013, le fonctionnaire a reçu sa première évaluation du rendement, mais elle était dans un format qu’il ne pouvait pas lire. Il a répondu à l’évaluation en indiquant que les mesures d’adaptation dont il avait besoin n’étaient pas en place.

[22] Lorsque le fonctionnaire a reçu un dossier de base d’un demandeur d’asile, il a dû le numériser, sauvegarder le document numérisé dans un fichier, puis ouvrir le fichier dans JAWS. Si le processus fonctionnait, il devait déplacer les composants du document afin qu’il puisse lire le contenu de chaque cellule du formulaire de demande. Le scanneur était vieux et son logiciel était piètre. Souvent, l’ordinateur subissait une panne. Le fonctionnaire subissait également une fatigue oculaire, car les documents étaient en police de caractères de 12 points et l’écran était petit.

[23] Le 11 juin 2013, M. Railton a demandé au fonctionnaire, dans un courriel, s’il avait obtenu des mesures d’adaptation complètes. Le fonctionnaire a témoigné qu’il ne pouvait pas se souvenir des circonstances liées à ce courriel.

[24] Le 3 décembre 2013, le fonctionnaire et M. Railton ont échangé des courriels au sujet du temps qu’il fallait au fonctionnaire pour mener à bien des dossiers. Le fonctionnaire a témoigné qu’il était en retard et qu’il avait ressenti une pression démesurée pour que son travail soit accompli. Selon lui, la direction s’attendait maintenant à ce qu’il mène à bien cinq dossiers par semaine, mais chaque dossier en moyenne nécessitait 14 heures, plus 2 heures supplémentaires dans son cas pour la numérisation et la manipulation de documents et en raison d’une imprimante lente et inefficace. Dans l’ensemble, il croyait qu’on lui demandait d’accomplir deux semaines de travail en une semaine. Il ne pouvait pas le faire.

[25] Compte tenu de ses préoccupations continues au sujet du rendement du fonctionnaire et de sa croyance qu’aucune mesure d’adaptation n’avait été prise à son égard, M. Railton a présenté, le 4 décembre 2013, une demande d’évaluation de l’aptitude au travail (EAT) par Santé Canada. Le fonctionnaire a témoigné qu’il était heureux d’entreprendre de subir l’EAT en espérant qu’elle aiderait.

[26] Dans la demande d’EAT, M. Railton a déclaré ce qui suit

[Traduction]

[…]

[…] la SPR a fourni au commissaire un moniteur inclinable plus grand que la normale, un scanneur, JAWS, un clavier ergonomique et des écouteurs. Lorsque tout était installé, l’employé a convenu que des mesures d’adaptation avaient été prises pour répondre à ses besoins au 15 avril 2013, soit le début de son stage.

[…]

Il se peut qu’une mesure d’adaptation n’ait toujours pas été prise pour répondre à ses besoins et c’est la raison de la présente demande. […]

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[27] En réfléchissant à la déclaration de M. Railton dans la demande selon laquelle une mesure d’adaptation avait été prise à l’égard du fonctionnaire le 15 avril 2013, le fonctionnaire s’est souvenu que la mesure d’adaptation semblait bien à ce moment-là, mais que plus tard il a constaté qu’elle ne fonctionnait pas, car son ordinateur était souvent en panne en raison d’une puissance insuffisante. Toutefois, il a reconnu qu’il avait reçu ce qu’il avait demandé à l’époque.

[28] En janvier 2014, la direction a muté le fonctionnaire à une équipe dirigée par Mme Tinker pour des raisons qui lui étaient inconnues. Avant la mutation, il avait rencontré un gestionnaire de la technologie de l’information (TI) de Services partagés Canada pour discuter de toutes les mesures d’adaptation requises. Il a témoigné que le gestionnaire a dit qu’il comprenait les problèmes et qu’il avait convenu [traduction] « d’obtenir ceci et cela ».

[29] Le 16 janvier 2014, le fonctionnaire a envoyé un courriel à Mme Tinker, lui disant que son scanneur ne communiquait pas avec son ordinateur portatif et que le logiciel ne fonctionnait pas correctement. Un [traduction] « avis au bureau d’aide » de la TI du 30 janvier 2014 indiquait que le fonctionnaire avait reçu un nouveau moniteur, qui, selon son témoignage, [traduction] « semblait régler le problème ».

[30] Le 30 janvier 2014, Mme Tinker a écrit au fonctionnaire pour lui faire savoir que, selon ce qu’elle comprenait, il avait reçu tout l’équipement nécessaire et que l’équipement était entièrement fonctionnel. Ella avait conclu que [traduction] « […] des mesures d’adaptation [avaient] été prises pour répondre pleinement aux besoins [du fonctionnaire], à moins qu’il ne l’informe du contraire […] » Mme Tinker a déclaré que le fonctionnaire commencerait sa période de stage à compter du 1er février 2014.

[31] À la question de savoir comment il a réagi aux énoncés de Mme Tinker, le fonctionnaire a dit qu’il n’était pas d’accord pour dire que son équipement fonctionnait correctement et qu’il se sentait harcelé par le fait qu’on lui demandait constamment si des mesures d’adaptation avaient été prises à son égard. Dans des courriels des 30 et 31 janvier 2014, il a confirmé à Mme Tinker qu’il avait reçu l’équipement nécessaire, mais qu’il y avait encore des [traduction] « bogues […] » dans le fonctionnement du logiciel. Il a indiqué qu’il ne pouvait pas accepter une proposition selon laquelle des mesures d’adaptation avaient été prises pour répondre entièrement à ses besoins. Même s’il disposait des outils, il n’avait pas suivi une formation adéquate sur la façon de les utiliser.

[32] Néanmoins, le fonctionnaire a souligné qu’il y avait eu une [traduction] « grande amélioration » après février 2014 et qu’il se rattrapait quant à ses motifs pendant quelques semaines. Il a qualifié sa relation avec Mme Tinker de [traduction] « rien d’extraordinaire » et a affirmé qu’il avait eu des discussions intéressantes avec elle qui étaient infructueuses et qu’il croyait qu’elle ne comprenait pas son problème.

[33] En juillet 2014, le fonctionnaire a échangé des courriels avec Thomas Vulpe, le nouveau vice-président adjoint de la région de Toronto, au sujet du calendrier. Il a contesté le calendrier de 3,5 cas par semaine qui avait été recommandé parce qu’il avait besoin plus de temps que la moyenne pour mener à bien les dossiers. Il a souligné que la recommandation supposait que tous les cas pouvaient être réglés en un jour, mais que c’était rarement le cas. Il a indiqué à M. Vulpe que le calendrier n’était pas viable.

[34] Le fonctionnaire a indiqué que, d’après des conversations ultérieures avec le personnel de TI, il avait compris qu’un gestionnaire de TI prédécesseur n’avait pas été disposé à prendre des mesures d’adaptation à son égard, même s’il ne se rappelait pas s’il avait signalé ce fait à la direction. Il a témoigné en outre qu’il continuait de recevoir des documents dans un format qu’il ne pouvait lire à moins de les numériser. Le même problème s’est produit lors des séances de formation, au cours desquelles il s’est senti embarrassé, exclu et incapable de profiter des possibilités de formation.

[35] En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a confirmé qu’en réponse à sa demande de mesures d’adaptation consistant en des documents à double interligne en format électronique, il avait reçu des documents en format électronique. À la question de savoir s’il avait reçu ce qu’il avait demandé, le fonctionnaire a répondu par l’affirmative.

[36] Le fonctionnaire a confirmé de nouveau qu’il avait demandé de l’équipement mis à niveau lorsqu’il a constaté que le vieil équipement était inadéquat après la fin de la formation. À la question de savoir si son superviseur, M. Railton, avait donné suite à la demande, le fonctionnaire a répondu qu’il le supposait. Le fonctionnaire a également confirmé qu’on lui avait fourni Dragon Dictate après avoir demandé à M. Railton pour l’aider à l’obtenir en août 2013.

[37] Dans la même demande à M. Railton, le fonctionnaire avait demandé des nouvelles sur l’obtention du logiciel OmniScan. Il ne se rappelait pas s’il avait été fourni à ce moment-là, mais lorsqu’on lui a demandé s’il avait été installé lorsque sa période de stage a commencé des mois plus tard, il a dit : [traduction] « Non ». Lorsqu’on lui a présenté un avis au bureau d’aide du 29 janvier 2014, le fonctionnaire a convenu qu’OmniScan était en place en janvier 2014, mais il a indiqué qu’il avait éprouvé des difficultés à l’utiliser. Il a rappelé que les problèmes ont ensuite été résolus avec l’aide de la TI.

[38] Lorsqu’on lui a demandé si des trousses de documentation nationale, qui décrivaient les conditions dans les pays, étaient disponibles en ligne, le fonctionnaire a confirmé qu’elles étaient disponibles en format électronique. Lorsqu’on lui a demandé de confirmer qu’il n’y avait donc pas lieu de numériser les trousses, le fonctionnaire a déclaré qu’il n’avait jamais essayé. Il a ensuite dit que sa mémoire n’était pas claire sur le sujet, mais qu’il aurait pu expérimenter chez lui avec les documents pendant quelques semaines. Il a également déclaré que les documents étaient en format « PDF », ne comportaient pas les [traduction] « étiquettes » nécessaires et ne fonctionnaient pas.

[39] En février 2014, Diane Forsey, l’une des mentors du fonctionnaire, lui a demandé si l’affectation d’une personne du personnel pour l’aider à numériser l’aiderait à rédiger sa décision. Il a confirmé qu’ensuite, deux adjoints ont été chargés d’aider à sa numérisation. Cependant, parce qu’ils ne lui étaient pas dédiés, ils ne pouvaient l’aider que lorsqu’ils étaient disponibles. Il a également déclaré qu’on ne lui avait pas donné le temps de les former quant à l’utilisation du scanneur avec le logiciel particulier qu’il utilisait. Puisqu’ils n’étaient pas toujours disponibles lorsqu’il en avait besoin, il ne les utilisait pas.

[40] Lorsqu’on lui a présenté un formulaire de demande d’équipement de décembre 2013 pour une nouvelle imprimante-scanneur, le fonctionnaire a convenu que la direction avait fourni le nouvel équipement précisé, ainsi qu’un ordinateur portatif plus puissant pendant la même période. Il a confirmé de nouveau avoir reçu Dragon Dictate plus tôt dans l’année, ainsi que le logiciel JAWS demandé. Il a également reçu un lecteur DVD pour pouvoir écouter les audiences enregistrées. Il l’a fait quelques fois, mais a fait installer un lecteur DVD sur son ordinateur de bureau dans le même but.

[41] Le fonctionnaire a convenu qu’il avait demandé un deuxième moniteur pour son bureau en septembre 2014 et qu’il l’avait reçu le même jour. Il a également confirmé avoir subi une évaluation ergonomique et avoir reçu un clavier ergonomique, des écouteurs et un fauteuil. De plus, lorsqu’il a demandé une mesure d’adaptation temporaire sous la forme d’une autorisation de travailler à domicile, où son épouse possédait la grande partie de l’équipement dont il avait besoin, M. Railton l’a approuvé.

[42] Dans un courriel du 31 janvier 2014 adressé à Mme Tinker, le fonctionnaire a convenu qu’il avait reçu [traduction] « […] tout l’équipement nécessaire pour répondre à [ses] besoins en matière d’adaptation », mais il a indiqué qu’il avait besoin de temps pour régler les problèmes liés aux logiciels. Il a témoigné que JAWS est très compliqué, qu’il connaissait les bases, mais qu’il ne pouvait pas le manipuler adéquatement et qu’il avait besoin d’une formation professionnelle. Il a confirmé que sa demande de deux semaines pour [traduction] « régler ces bogues » a été accordée, mais, selon lui, [traduction] « pas sans résistance » et que cette période s’est avérée être de quatre semaines.

[43] Le fonctionnaire a convenu que les avocats de la CISRC lui ont offert une formation de recyclage en 2013, qui consistait en un examen des documents du cours de formation de base de trois semaines, de la législation et de la façon de rédiger les décisions.

[44] Le formulaire d’examen et d’évaluation du rendement du fonctionnaire du 1er avril 2013 au 31 mars 2014 indiquait qu’il avait 23 décisions en suspens à rédiger lorsqu’il s’est joint à l’équipe de Mme Tinker et que ces affaires provenaient des îles des Caraïbes, qui n’étaient pas complexes, qu’elles portaient généralement sur des questions uniques et qu’elles étaient présentées en anglais. Il a convenu que le calendrier réduit de deux cas par semaine, dont il est question dans l’évaluation, constituait une mesure d’adaptation pour répondre à sa situation. Il a également convenu qu’on lui avait accordé du temps sans avoir d’audience pour traiter ses décisions, comme il est mentionné dans l’évaluation, même s’il croyait qu’il s’agissait d’un mois plutôt que des six semaines indiquées dans le document. À la fin du mois de février ou au début du mois de mars, il avait terminé toutes les décisions sauf une.

[45] Le fonctionnaire a qualifié d’exacte la déclaration selon laquelle il n’avait pas assumé le calendrier complet d’audiences avant juin 2014. Toutefois, il a déclaré qu’il ne savait pas s’il était vrai qu’il n’avait pas été affecté à tous les pays couverts par l’équipe de Mme Tinker. Lorsqu’on lui a demandé s’il était vrai qu’il avait été retiré quatre fois en 2014 du calendrier des audiences pour rattraper le retard pris dans la rédaction des décisions, le fonctionnaire a répondu par l’affirmative.

[46] Dans son interrogatoire principal, le fonctionnaire a mentionné que Mme Tinker voulait qu’il porte une cravate au travail. Lorsqu’il a été interrogé à ce sujet en contre-interrogatoire, il a précisé que Mme Tinker lui avait demandé d’être habillé correctement en portant une cravate. Il a indiqué qu’il n’était pas le seul commissaire qui n’en portait pas et qu’il estimait que la demande était discriminatoire. Il a affirmé en outre qu’il s’était toujours demandé ce que constitue une tenue professionnelle appropriée.

[47] L’employeur a demandé des éclaircissements sur la date à laquelle le fonctionnaire croyait que sa période de stage avait commencé. Il a répondu qu’il n’avait pas les documents pertinents, mais qu’il estimait que le 27 février 2014 était la bonne date.

B. Mme Tinker

[48] Mme Tinker est actuellement une commissaire à temps partiel de la SPR, mais elle y a été commissaire coordonnatrice (CC) à temps plein de novembre 2013 à janvier 2015. Le rôle d’un CC consiste à gérer une équipe de commissaires, à les aider à respecter les exigences en matière de rendement, à planifier leur travail, à répondre à leurs questions, à poser des questions sur les motifs de décision en suspens, à approuver les congés et à assister aux réunions de la direction. En janvier 2015, Mme Tinker était commissaire depuis 11 ans et demi et CC depuis presque 6 ans, toujours au bureau de Toronto.

[49] Mme Tinker a souligné qu’elle a rencontré le fonctionnaire lorsqu’il s’est joint à la CISRC en novembre 2012, mais qu’elle n’est devenue son CC qu’en janvier 2014 lorsqu’elle a remplacé M. Railton. Elle a expliqué que le fonctionnaire a été muté à son équipe parce que le vice-président adjoint savait qu’il éprouvait des difficultés et estimait que parce qu’elle avait plus d’expérience, elle serait mieux en mesure de l’aider que M. Railton, qui était nouveau à son poste de CC.

[50] Selon la témoin, les commissaires de la SPR reçoivent des demandes d’asile, examinent les dossiers, tiennent habituellement des audiences et décident ensuite si les demandeurs sont des « réfugiés au sens de la convention » ou des réfugiés à protéger. Les décisions peuvent être orales ou écrites.

[51] Les commissaires au groupe et au niveau PM-06 devraient traiter 3,5 cas par semaine. Lorsque la décision est en faveur du demandeur, 80 % des décisions sont rendues oralement et seulement 20 % sont rendues par écrit. En ce qui concerne les décisions qui sont réservées, 80 % doivent être rendues dans les 20 jours suivant la fin de l’audience et les autres dans les 30 jours, sauf entente contraire avec la direction. En ce qui concerne les décisions concernant les pays des Caraïbes – auxquelles le fonctionnaire a été affecté – les audiences ordinaires ont duré deux heures, et les décisions sont normalement d’une longueur de trois à quatre pages. Certaines décisions portant sur des questions plus compliquées peuvent aller jusqu’à 30 pages, mais Mme Tinker a indiqué que le fonctionnaire n’a pas reçu de décisions de ce genre.

[52] Mme Tinker a indiqué que le fonctionnaire avait 23 décisions en suspens lorsqu’il a été muté à son équipe. En outre, une décision finale n’a pas encore été rendue. Les décisions en suspens comprenaient de courtes audiences sans exigences d’interprétation dans lesquelles les demandeurs individuels soulevaient une seule question simple et non complexe. Compte tenu de cette situation, Mme Tinker a retiré le fonctionnaire du calendrier d’audience pendant six semaines pour qu’il rattrape la rédaction de ses décisions et lui a affecté une mentore, Mme Forsey. Lorsqu’il a indiqué qu’il avait besoin de certains équipements, elle a accepté et demandé ce qui n’avait pas déjà été fourni. Elle a fait référence à un échange de courriels avec la TI du 14 janvier 2014, afin de prouver qu’elle a pris des mesures en réponse aux demandes du fonctionnaire.

[53] Le 15 janvier 2014, Mme Tinker a rencontré le fonctionnaire et Mme Forsey. Elle a résumé leur conversation dans des notes de réunion. Elle a indiqué que le fonctionnaire avait dit qu’il avait besoin d’un pilote de périphérique pour son scanneur et pour JAWS. Elle a fait un suivi auprès de la TI. Elle a également dit au fonctionnaire qu’il pourrait avoir des assistants formés pour l’aider à effectuer la numérisation, s’il avait besoin d’aide. Lors d’une deuxième conversation le lendemain, les notes de réunion de Mme Tinker indiquent que le fonctionnaire a déclaré qu’il avait de la difficulté à suivre ses décisions, qu’il avait trop de choses à faire et qu’il estimait que des mesures d’adaptation convenables n’avaient pas été prises à ce moment-là.

[54] Dans un courriel du 22 janvier 2014, le fonctionnaire a demandé à Mme Tinker ce qu’elle entendait au cours d’une conversation la veille lorsqu’elle a dit qu’il devait être [traduction] « proactif ». Mme Tinker a témoigné que son intention était de lui rappeler qu’il devait lui dire ou communiquer avec la TI lorsque son scanneur ne fonctionnait pas. Elle voulait également qu’il soit proactif dans trois affaires que les Services juridiques lui avaient renvoyées et a indiqué qu’il était responsable du suivi de ses décisions.

[55] Mme Tinker a confirmé qu’elle a donné des instructions à la TI de fournir au fonctionnaire tout l’équipement dont il avait besoin pour s’assurer de répondre à ses besoins et de vérifier que l’équipement fonctionnait correctement. Elle a fait un suivi auprès de la TI à maintes reprises, lorsqu’il y avait des problèmes, et a pris des dispositions pour que la TI règle ces problèmes.

[56] Dans un courriel du 31 janvier 2014 adressé à un consultant embauché par le vice-président adjoint, Mme Tinker a contesté une allégation du fonctionnaire selon laquelle il avait demandé, mais n’avait reçu aucune formation. Elle a écrit qu’il n’avait pas demandé de formation et qu’il lui avait dit qu’il avait travaillé avec l’équipement en question à la maison. Elle a aussi écrit que son allégation selon laquelle sa mentore avait qualifié ses raisons de correctes était un mensonge.

[57] Le 3 février 2014, le chef d’équipe de la TI chargé du bureau de Toronto a écrit à Mme Tinker et à d’autres personnes. Le chef a déclaré que la TI faisait de son mieux pour répondre aux besoins du fonctionnaire, a indiqué l’équipement qui avait été fourni et les ajustements qui avaient été apportés, et s’est engagé à communiquer régulièrement avec le fonctionnaire en personne et par courriel pour déterminer s’il était satisfait.

[58] Le même jour, Mme Tinker a rencontré le fonctionnaire. Ses notes de réunion indiquent qu’à la réunion, il a accepté une date de début du 17 février 2014, pour sa période de stage. Elle a dit qu’elle ajouterait le Pakistan à la liste des pays dont les cas lui seraient attribués à partir du 1er mars 2014, et qu’il entendrait trois demandes par semaine. Mme Tinker a témoigné que les cas provenant du Pakistan n’étaient généralement pas complexes, mais qu’ils comportaient des audiences d’une durée normale plutôt que d’une durée plus courte.

[59] Le 18 mars 2014, Mme Tinker a discuté du travail du fonctionnaire avec sa mentore. Ses notes de réunion indiquent que [traduction] « les choses fonctionnaient bien » en ce qui concerne son équipement et qu’il était plus organisé. Mme Tinker a ajouté la Turquie et la Syrie à la liste des pays du fonctionnaire.

[60] Dans un courriel du 14 avril 2014, la TI a indiqué à Mme Tinker qu’elle [traduction] « demeurait au courant » des besoins du fonctionnaire et qu’elle accordait une haute priorité à ses appels.

[61] Après son arrivée au bureau de Toronto, M. Vulpe a demandé le 16 juillet 2014 de discuter avec Mme Tinker au sujet du fonctionnaire. Il n’était pas d’accord avec l’affirmation du fonctionnaire selon laquelle il a fallu 10 heures pour mener à bien un dossier et il avait été surpris par le commentaire du fonctionnaire dans un échange de courriels avec lui selon lequel le fonctionnaire avait des problèmes avec les mesures d’adaptation. Mme Tinker a témoigné que les cas affectés au fonctionnaire exigeaient généralement de cinq à six heures s’ils n’étaient pas complexes. Les demandes provenant des Caraïbes ne nécessitent souvent que de quatre heures du début à la fin.

[62] Le 16 décembre 2014, Mme Tinker a écrit à M. Vulpe au sujet du rendement du fonctionnaire. Elle a indiqué que le fonctionnaire voulait que sa mentore examine tous ses motifs, qu’il trouvait difficile de suivre le rythme, qu’il n’utilisait pas les assistants pour l’aider à la numérisation, qu’il estimait que sa vision se détériorait et qu’il s’efforçait trop. Mme Tinker a informé M. Vulpe qu’elle avait retiré le fonctionnaire du calendrier au moins trois fois, ce qu’elle ne pouvait pas continuer à faire. En songeant au courriel, Mme Tinker a témoigné que le fait de retirer le fonctionnaire du calendrier était injuste pour les autres commissaires. Elle a souligné que des mesures d’adaptation complètes avaient été prises à son égard depuis février 2014.

[63] Mme Tinker a rencontré le fonctionnaire le 29 décembre 2014. Il lui a demandé de plus amples directives chaque semaine. Elle a répondu qu’il recevait une directive hebdomadaire d’elle ou de Mme Forsey. Constatant qu’il ne réalisait pas les progrès nécessaires dans un plan d’action de suivi, le 8 janvier 2015, elle lui a dit de se concentrer sur la rédaction des décisions. Pour l’aider, elle a retiré quatre dossiers qui devaient être entendus la semaine suivante.

[64] Dans une note adressée à M. Vulpe rédigée le 15 janvier 2015, Mme Tinker a exposé ses préoccupations au sujet du rendement du fonctionnaire. Elle a indiqué qu’il avait déclaré éprouver de la difficulté à respecter un horaire complet. En réponse, elle l’avait retiré quatre fois du calendrier et ne lui avait pas assigné tous les pays dont l’équipe 3 était responsable. Elle a décrit une série de lacunes dans son travail et a résumé que, même si des mesures d’adaptation complètes avaient été prises à son égard depuis le 17 février 2014, il n’avait pas atteint le niveau de compétence requis pour son poste.

[65] En contre-interrogatoire, Mme Tinker a convenu qu’elle savait, à compter de la date de la mutation du fonctionnaire à son équipe, qu’il éprouvait des problèmes avec des adaptations techniques qui ne fonctionnaient pas tout le temps. Elle a également convenu que certains des logiciels dont il avait besoin, y compris JAWS, étaient sophistiqués et que des gens comme elle ne sauraient pas comment les utiliser. Elle a admis que sans adaptations techniques, le travail serait difficile pour lui.

[66] En ce qui concerne sa conclusion du 30 janvier 2014, soit la note à l’intention du fonctionnaire selon laquelle des mesures d’adaptation complètes avaient été prises à son égard à cette date, Mme Tinker a accepté que des mesures d’adaptations complètes n’avaient pas été prises avant le 1er février 2014. Elle a convenu que pour elle, des mesures d’adaptation complètes signifiaient que la technologie fonctionnait. Lorsqu’elle a été interrogée au sujet d’autres formes de mesures d’adaptation, elle a répondu : [traduction] « C’est tout ce qu’il a demandé. »

[67] Mme Tinker s’est rappelée qu’à la fin du mois de janvier, le fonctionnaire a signalé qu’il y avait encore des [traduction] « bogues » dans le système, mais elle a pris note du rapport du 31 janvier 2014 de la TI, qui indiquait que tout le matériel et les logiciels nécessaires fonctionnaient bien.

[68] En ce qui concerne son témoignage antérieur selon lequel le fonctionnaire ne lui avait pas demandé de formation, Mme Tinker a convenu qu’il avait fait état de demandes dans son courriel du 31 janvier 2014. Lorsqu’on lui a demandé s’il avait déjà reçu la formation demandée, elle a répondu qu’elle ne savait pas et qu’elle aurait été fournie par la TI. Lorsqu’elle a été interrogée davantage quant à savoir la raison pour laquelle elle n’avait jamais fait un suivi, Mme Tinker a déclaré qu’elle avait fait un suivi auprès de la TI pour s’assurer que le fonctionnaire avait reçu l’équipement dont il avait besoin et qu’il fonctionnait. Elle a également souligné que dans un courriel à Conrad Leger, une consultante en ressources humaines, elle a demandé des conseils parce qu’il s’agissait de la première fois qu’elle traitait de mesures d’adaptations liées au matériel informatique et aux logiciels. Elle souhaitait s’assurer qu’elle faisait bien les choses pour s’assurer que les bonnes mesures d’adaptations étaient prises pour assurer le succès.

[69] Lorsque M. Leger a répondu au courriel de Mme Tinker, il lui a conseillé de [traduction] « garder son calme ». Lorsque la représentante du fonctionnaire a demandé si cela signifiait que la relation de Mme Tinker avec le fonctionnaire était tendue, elle a répondu par la négative, mais elle a accepté qu’il était étrange que quelqu’un lui dise de garder son calme.

[70] Mme Tinker ne se rappelait pas si le fonctionnaire lui avait expressément dit qu’il fallait deux heures par dossier pour le numériser, mais elle a convenu qu’elle savait que la numérisation prenait du temps. Elle ne se rappelait pas non plus s’il l’avait informée que son scanneur et son équipement étaient souvent bloqués, mais elle a déclaré que s’il l’avait informée à cet effet, elle aurait demandé à la TI de l’aider. En ce qui a trait aux assistants qu’elle avait désignés pour aider le fonctionnaire à effectuer la numérisation, Mme Tinker a convenu qu’ils avaient d’autres fonctions et qu’ils n’étaient pas exclusivement consacrés à l’aider. Elle ne savait pas que, comme il l’a affirmé, ils n’étaient pas souvent disponibles, mais elle se souvenait qu’il lui avait dit qu’il ne les avait jamais utilisés. Elle a contesté la proposition selon laquelle les assistants n’avaient pas suivi une formation sur l’utilisation du scanneur.

[71] À la question de savoir si elle n’était pas sympathique lorsqu’elle a mentionné dans son courriel du 16 décembre 2014 à M. Vulpe l’affirmation du fonctionnaire selon laquelle sa vision se détériorait et qu’il s’efforçait trop relativement à ses décisions, Mme Tinker a déclaré qu’elle ne pouvait pas être d’accord. Elle a reconnu qu’elle n’avait rien dit dans le courriel au sujet de l’incidence de la question de la vision, sauf qu’elle avait retiré le fonctionnaire du calendrier pour rattraper son retard. Elle ne se rappelait pas lui avoir demandé de clarifier son commentaire sur sa vision.

[72] Dans un courriel antérieur du 14 septembre 2014, dont une copie conforme a été envoyée au témoin, un représentant de la TI a mentionné une déclaration du fonctionnaire selon laquelle il subissait une fatigue oculaire parce que son écran d’ordinateur était trop petit. Lorsqu’on lui a demandé si elle y avait donné suite, Mme Tinker a affirmé qu’elle ne s’en souvenait pas. Elle a convenu qu’elle n’avait jamais rempli un formulaire d’EAT de Santé Canada pour le fonctionnaire, mais elle a déclaré que cela ne lui avait jamais été proposé. Elle n’a jamais non plus demandé au fonctionnaire de lui fournir des notes médicales supplémentaires au sujet de sa déficience; elle ne connaissait pas non plus la diplopie.

[73] Lorsqu’elle a été interrogée davantage au sujet de la tension oculaire, Mme Tinker a déclaré qu’elle n’avait pas pris de mesures à ce sujet malgré le fait que le fonctionnaire ait mentionné la détérioration de sa vision et son besoin de plus de temps parce que personne, y compris lui, n’avait proposé d’autres mesures à son égard. Même si elle n’a pas demandé de l’aide pour gérer la fatigue oculaire, elle a souligné que l’organisation l’avait aidé à l’égard de l’équipement et des mises à jour demandées.

[74] Lorsqu’elle a été interrogée au sujet de l’affirmation selon laquelle elle ne croyait pas que les besoins du fonctionnaire en matière de mesures d’adaptation avaient évolués au fil du temps, Mme Tinker a répondu qu’ils avaient changés et que, par exemple, la direction avait fourni un deuxième moniteur et mis à jour un logiciel en réponse aux besoins qu’il a cernés. Lorsqu’elle a été interrogée davantage, Mme Tinker a insisté sur le fait que le fonctionnaire l’avait informée que tous l’équipement et les exigences techniques nécessaires répondaient à ses besoins en matière de mesures d’adaptation.

C. M. Pattee

[75] M. Pattee est actuellement sous-ministre adjoint aux Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada. De novembre 2012 à janvier 2015, il a été vice-président de la Section de la protection des réfugiés (SPR), qui est l’une des quatre sections de la CISRC. Il a été embauché pour mettre en place le nouveau Programme de protection des réfugiés qui est entré en vigueur le 15 décembre 2012, l’obligeant à s’assurer qu’un personnel complet d’arbitres qualifiés était prêt à commencer à travailler le 16 décembre 2012. Il a ensuite embauché chaque employé de la SPR à l’effectif au début de son travail.

[76] Trois vice-présidents adjoints relevaient de M. Pattee, chacun chargé de l’une des trois régions (Vancouver, Montréal et Toronto). À son tour, M. Pattee relevait directement du président de la CISRC. À Toronto, la vice-présidente adjointe, Karin Michnick, a supervisé le travail de la SPR par l’entremise de sept CC, dont Mme Tinker. L’équipe de Mme Tinker comprenait de 10 à 15 arbitres qui statuent sur des demandes d’asiles.

[77] M. Pattee a interagi pour la première fois avec le fonctionnaire par téléphone, probablement le 20 novembre 2012. Le fonctionnaire était le dernier décideur embauché par M. Pattee avant le début de la formation le 27 novembre 2012. M. Pattee l’a rencontré en personne pour la première fois lors de la séance de formation.

[78] Le témoin a témoigné que sa relation avec le fonctionnaire était la même que celle qu’il entretient avec l’un des autres arbitres, qui étaient tous différents niveaux de sa hiérarchie.

[79] Dès le début, M. Pattee était bien au courant de la déficience visuelle du fonctionnaire. Le 20 novembre 2012, M. Pattee a reçu un courriel interne lui demandant de confirmer que le fonctionnaire ne s’était pas déclaré membre d’un groupe d’équité en matière d’emploi. M. Pattee a soulevé la question dans son appel avec le fonctionnaire. Par la suite, M. Pattee a transmis aux Ressources humaines le formulaire de déclaration volonté pour l’équité en matière d’emploi fourni par le fonctionnaire.

[80] En faisant référence à l’offre d’emploi officielle au fonctionnaire du 22 novembre 2012, qu’il a accepté, M. Pattee a pris note de l’engagement de la CISRC, énoncé dans une lettre à l’égard d’un [traduction] « effectif qualifié et diversifié » et de se conformer aux [traduction] « obligations en vertu de la Loi sur l’équité en matière d’emploi ». M. Pattee a témoigné qu’il souhaitait avoir des décideurs de la SPR qui tenaient compte des demandeurs qui comparaissent devant les arbitres et qu’il estimait que des avocats seraient utiles. Deux attributs du fonctionnaire étaient attrayants pour M. Pattee; c.-à-d. sa déficience et le fait qu’il était un avocat.

[81] Dans l’une de ses visites régulières au bureau de Toronto pendant la première année du programme, M. Pattee a rencontré le fonctionnaire, qui lui a demandé d’entrer dans son bureau. Selon M. Pattee, le fonctionnaire était ravi de lui montrer sa configuration informatique élaborée. M. Pattee a qualifié le fonctionnaire d’[traduction] « exubérant » au sujet de la technologie et des systèmes et a déclaré que le fonctionnaire lui avait dit qu’il serait en mesure de faire le travail avec le matériel et le logiciel qui lui avait été fourni.

[82] Le témoin a indiqué qu’il était constamment informé des mesures d’adaptations prises à l’égard du fonctionnaire – selon lui, [traduction] « des dizaines ou des centaines de fois » – y compris lors de réunions bilatérales avec Mme Michnick et Mme Tinker et dans le cadre de discussions avec ses conseillers en relations de travail. Les mesures d’adaptation prises à l’égard du fonctionnaire étaient vastes et avaient toutes été mises en place en consultation avec lui. Parmi celles-ci, il y avait deux grands moniteurs, un clavier et une souris ergonomiques, des logiciels (comme Dragon Dictate, JAWS et OMNIScan) et des imprimantes et des scanneurs spéciaux. De plus, le fonctionnaire a eu l’occasion de suivre la séance de formation de trois semaines pour une deuxième fois parce qu’il éprouvait des difficultés à suivre le rythme; sa charge d’audience a été réduite, il a été retiré plusieurs fois du calendrier, une mentore principale et chevronnée lui a été fournie presque à plein temps et des assistants administratifs en disponibilité lui ont été affectés pour l’aider à photocopier et à numériser les documents. Selon M. Pattee, tous les efforts ont été déployés pour aider le fonctionnaire à réussir.

[83] Lorsqu’il a été interrogé au sujet des EAT de Santé Canada, le témoin a indiqué qu’il les avait utilisés deux ou trois fois comme outil permettant d’effectuer un examen médical indépendant d’une situation de travail lorsqu’il y avait des préoccupations au sujet de la capacité d’un employé de faire le travail. En ce qui concerne le fonctionnaire, M. Pattee estimait qu’une EAT n’était pas nécessaire parce que ses besoins en matière de mesures d’adaptation étaient connus exactement, grâce aux interactions continues avec lui.

[84] M. Pattee a reconnu qu’il a fallu du temps pour obtenir ce dont le fonctionnaire avait besoin, ce qui explique également la raison pour laquelle l’employeur a prolongé sa période de stage jusqu’à ce que des mesures d’adaptation complètes aient été prises. La période de stage normale est d’un an, mais cela ne s’appliquait pas dans son cas parce qu’il n’avait pas fait l’objet de mesures d’adaptation à la fin d’un an.

[85] M. Pattee a déclaré qu’il avait rappelé à la TI, à maintes reprises, que l’adaptation du fonctionnaire constituait une priorité élevée. Par la suite, il a été troublé d’apprendre qu’un gestionnaire particulier de la TI n’était pas prêt à prendre les mesures d’adaptation nécessaires, mais ce qu’un gestionnaire de la TI estimait n’était pas important. Les mesures d’adaptation relevaient des cadres hiérarchiques. Le témoin a répété qu’il avait clairement indiqué tout au long que l’employeur ferait tout pour aider le fonctionnaire.

[86] Pourquoi la période de stage du fonctionnaire a-t-elle commencé le 17 février 2014? M. Pattee a répondu qu’il a fallu attendre jusqu’alors pour prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire et qu’il a confirmé à ce moment-là qu’elles avaient répondu à ses besoins.

[87] M. Pattee a décrit l’[traduction] « Exercice de capacité des commissaires » tenu le 1er octobre 2013 au bureau de Toronto afin de relever les défis en matière de productivité dans la région centrale de la CISRC et de trouver des moyens de réaliser les objectifs de rendement. L’exercice a réparti les activités selon l’heure et la minute afin de tenter de déterminer les initiatives permettant d’économiser du temps, comme le transfert de certaines fonctions d’arbitre au personnel de soutien administratif, afin de permettre aux arbitres de se concentrer sur les audiences et la rédaction des décisions. Selon le témoin, tout le personnel du bureau de Toronto a participé.

[88] En contre-interrogatoire, M. Pattee a confirmé qu’il était au courant de la déficience du fonctionnaire avant que le fonctionnaire ne commence à travailler et qu’il en avait informé son équipe. Il a indiqué que l’équipe n’était pas pleinement au courant des besoins en mesure d’adaptation du fonctionnaire à ce moment-là. La première mesure d’adaptation concrète a été prise en vue de lui fournir un ordinateur portatif comportant les documents de formation à double interligne. D’autres mesures ont pris plus de temps. Le témoin l’a décrit comme un processus évolutif entrepris en consultation avec le fonctionnaire.

[89] Lorsqu’on lui a demandé si une personne particulière avait été désignée pour discuter de mesures d’adaptation avec le fonctionnaire au début de son travail, M. Pattee a répondu que ce n’était pas tout à fait le cas, mais que la personne qui dirigeait le volet formation avait un rôle principal au début.

[90] En ce qui a trait au temps nécessaire pour prendre les mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire, M. Pattee a attribué la nécessité de travailler sur la technologie et le logiciel nécessaires en tant que source primaire du retard.

[91] Le témoin a témoigné qu’il savait que le fonctionnaire avait demandé à Mme Tinker une formation spécialisée en logiciels, mais il a affirmé qu’il ne savait pas que le fonctionnaire ne l’avait pas reçue.

[92] M. Pattee savait-il que les assistants de numérisation et de photocopie n’avaient pas été affectés exclusivement au fonctionnaire? Le témoin a convenu qu’il ne s’agissait pas d’une affectation à plein temps, mais il a indiqué qu’on ne lui avait jamais dit que l’arrangement était insatisfaisant. Il ignorait également que les assistants n’étaient pas formés à l’utilisation des scanneurs et des imprimantes.

[93] M. Pattee a répété qu’il était troublé par le rapport d’un gestionnaire de la TI qui ne coopérait pas dans l’effort en matière de mesures d’adaptation, et il a fait un suivi auprès de son équipe de gestion. Il a répété qu’il incombait aux cadres hiérarchiques, et non à la TI, d’assurer la prise de mesures d’adaptation.

[94] Le témoin a témoigné qu’il ne se rappelait pas que M. Railton a rempli le formulaire EAT ou savait que M. Railton estimait qu’une EAT serait utile. Il a répété qu’une EAT est utile si les questions et les mesures nécessaires sont inconnues, mais que la situation du fonctionnaire était connue dès le début.

[95] En réinterrogatoire, M. Pattee a confirmé qu’il avait pris connaissance pour la première fois du rapport concernant le gestionnaire de la TI lors de l’audition du grief au deuxième palier après le licenciement du fonctionnaire et qu’il avait écrit dans sa réponse du 9 mars 2015 qu’il y donnerait suite. Lorsqu’on lui a demandé quand il avait fait le suivi, il a déclaré qu’il était retourné consulter ses gestionnaires à ce moment-là et qu’il leur avait demandé d’examiner la situation.

III. Demandes de mesures d’adaptation

[96] La Commission a accordé une demande de mesures d’adaptation présentée par la représentante du fonctionnaire selon laquelle elle lui offre les services d’un transcripteur simultané pendant la procédure de vidéoconférence.

[97] Le 10 décembre 2020, la Commission a reçu de l’agent négociateur une demande visant à permettre à la représentante du fonctionnaire de présenter par écrit sa plaidoirie finale, ainsi que ses répliques, à titre de mesure d’adaptation supplémentaire. L’employeur s’est opposé à ce que l’on procède par voie d’arguments écrits, en faisant remarquer que les parties avaient convenu plus tôt de procéder par voie d’arguments oraux.

[98] Le 16 décembre 2020, j’ai accueilli la nouvelle demande de mesure d’adaptation concernant l’étape des plaidoyers finaux de l’audience. Néanmoins, la préoccupation de l’employeur au sujet de l’écart par rapport à la procédure convenue précédemment et les raisons qu’il a invoquées pour expliquer qu’il lui serait difficile de procéder par écrit étaient raisonnables. Par conséquent, sur ma directive, la Commission a donné les instructions suivantes :

[Traduction]

[…]

La représentante du fonctionnaire présente ses plaidoiries finales écrites à l’employeur et à la Commission au plus tard à midi le mardi 15 décembre 2020.

La représentante du fonctionnaire doit assister à l’audience le mercredi 16 décembre 2020 pour répondre à toutes les questions que le commissaire pourrait avoir au sujet de ses plaidoiries écrites et pour recevoir les arguments oraux de l’employeur.

La représentante de l’employeur présentera ses plaidoiries finales ainsi que ses réfutations orales à l’audience.

La représentante du fonctionnaire doit présenter ses arguments écrits en réponse, le cas échéant, au plus tard le mercredi 23 décembre 2020.

 

[99] À la veille de la journée d’audience finale du 16 décembre 2020, la représentante de l’agent négociateur a demandé des mesures d’adaptation supplémentaires sous forme d’autorisation à répondre par écrit à toute question posée par la Commission au sujet de ses plaidoyers finaux après avoir été autorisée une brève pause dans la procédure. Les circonstances ne se sont pas produites le 16 décembre 2020, exigeant que je statue sur la demande.

IV. Respect des délais

[100] Tel qu’il est mentionné ci-dessus en réponse à une question que j’ai posée pendant l’audience, la représentante du fonctionnaire a précisé que le litige intenté par le fonctionnaire ne portait pas sur son renvoi en cours de stage. Cette stipulation a soulevé dans mon esprit une question possible relative au respect des délais.

[101] Le fonctionnaire a déposé son grief le 22 janvier 2015. La première allégation du grief se lit comme suit : [traduction] « Je conteste mon licenciement par mon employeur et mon renvoi en cours de stage, qui étaient discriminatoires et de mauvaise foi. » Le fonctionnaire a indiqué que le 21 janvier 2015 était la date à laquelle l’affaire donnant lieu au grief est survenue. La lettre de renvoi en cours de stage qu’il a reçue est du 20 janvier 2015. Le fonctionnaire a également ajouté par écrit le mot [traduction] « continu » lorsqu’il a indiqué [traduction] « le 21 janvier 2015 » comme date de déclenchement de son grief.

[102] Aux termes de la clause 18.15 de la convention collective du groupe PM, un employé doit présenter un grief au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour « […] qui suit la date à laquelle il est informé ou prend connaissance de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief ».

[103] La séquence des événements laisse raisonnablement entendre que l’acte catalyseur qui a donné lieu au grief initial était la lettre de renvoi en cours de stage. Par conséquent, il n’y avait aucune raison pour l’employeur de s’y opposer en fonction des délais à l’époque ou par la suite. Ni la Commission ni, semble-t-il, l’employeur ne savaient que le renvoi en cours de stage n’était pas devant la Commission avant un moment donné au cours de l’audience. Même si le retrait du fonctionnaire peu avant l’audience d’un deuxième grief a fait référence à l’arbitrage comme une question de licenciement aurait pu présager ce résultat, le grief actif restant a néanmoins clairement indiqué que le renvoi en cours de stage faisait l’objet d’un litige.

[104] Compte tenu de la stipulation du fonctionnaire au cours de l’audience selon laquelle le renvoi en cours de stage n’était pas en cause, il me semblait approprié de demander quelle mesure ou quelles mesures comportent la discrimination qui a fait l’objet d’un grief déposé en temps opportun le 21 janvier 2015. En tenant compte de cette question possible, j’ai demandé aux parties de présenter leurs arguments sur la question de savoir si je devais aborder une question relative au respect des délais dans la présente décision.

[105] Dans son argumentation finale écrite, le fonctionnaire a précisé que les deux questions suivantes comportent la discrimination en violation de la convention collective du groupe PM :

[Traduction]

L’employeur a pris beaucoup trop de temps à mettre en œuvre des mesures d’adaptation qui ont eu une incidence importante sur la capacité de M. Bourdeau à remplir son rôle de commissaire.

L’employeur n’a pas tenu compte de la façon dont les défaillances technologiques et la durée nécessaire pour rendre les dossiers de M. Bourdeau accessibles auraient une incidence sur son travail.

 

[106] En réponse à ma question relative au respect des délais, le fonctionnaire a fait valoir ce qui suit :

 

[Traduction]

[…]

Le grief, déposé en janvier 2015, énonce que [traduction] « je conteste la discrimination dont l’employeur a fait preuve […] à mon égard en raison de ma déficience et de mon état de santé », [traduction] « je conteste le manquement de l’employeur à son obligation de prendre des mesures d’adaptation pour répondre à ma déficience et à mon état de santé » et « je conteste la clause 19.01 de la convention collective ». Ces allégations de discrimination ont été soulevées en même temps que le renvoi en cours de stage, mais contiennent des allégations distinctes concernant l’ensemble de son expérience à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

La période de stage a été considérée comme ayant commencé en février 2014, mais M. Bourdeau a témoigné au sujet de son expérience après cette date. Mme Tinker, par exemple, a témoigné d’une conversation qu’elle a eue avec M. Vulpe concernant les préoccupations de M. Bourdeau ayant trait à sa fatigue oculaire et sa charge de travail en décembre 2014. M. Bourdeau a témoigné que l’absence de mesures d’adaptation s’est poursuivie jusqu’en janvier 2015, lorsqu’il a déposé son grief, ce qui signifie que la discrimination s’appliquait à l’ensemble de la période à laquelle M. Bourdeau était à la CISR. Elle était récurrente et en cours, ce qui signifie que la violation de la convention collective était continue.

Comme il a déjà été mentionné dans les arguments écrits de l’agent négociateur, la Cour suprême du Canada a conclu que la discrimination peut être subtile, ce qui « constitue de la discrimination systémique est désormais beaucoup plus courante […] » [BCGSEU, au par. 29, à la page 17].

De plus, l’employeur n’a soulevé aucune préoccupation ou objection quant au respect des délais au cours de l’audience. Les quatre jours réservés sur près de deux mois auraient permis beaucoup de temps pour soulever une objection.

[…]

 

[107] L’employeur a répondu comme suit :

[Traduction]

[…]

Canada (Procureur général) c. Duval1 expose les deux concepts du respect des délais. Selon le deuxième concept dans Duval, un grief selon lequel un défaut de prise de mesures d’adaptation constitue également un grief continu, vu que le défaut allégué se reproduit chaque jour2.

L’employeur reconnaît que, dans le cas d’un grief continu, le défaut de déposer le grief la première fois que le manquement se produit ne rend pas le grief non arbitrable3. En revanche, le délai prescrit par la procédure de règlement des griefs dans le cadre de tels griefs sert plutôt à limiter la période pour laquelle des dommages peuvent être accordés, conformément à Office national du film c. Coallier4 […]

12019 CAF 290 (« Duval », Recueil de jurisprudence de l’employeur à l’onglet 1, aux paragraphes 27 à 30.
2Duval, au par. 30.
3Duval, au par. 31.
4[1983] A.C.F. no 813, 25 A.C.W.S. (2e) 104 (CAF) [
Coallier] tel que cité dans Duval, au par. 31.

[…]

 

[108] Le texte du grief peut être raisonnablement interprété comme une contestation d’un comportement prétendument discriminatoire de la part de l’employeur pendant toute la période pendant laquelle le fonctionnaire était à la CISRC. Le fait qu’il ait ajouté le mot manuscrit [traduction] « continu » sur le formulaire de grief confirme cette intention. Même s’il a choisi de ne pas plaider le renvoi en cours de stage à l’audience, le fait de retirer cet élément du grief n’a pas perturbé d’autres allégations contre les actes de l’employeur décrits dans le formulaire de grief.

[109] L’employeur ne conteste pas que le fonctionnaire décrit les autres éléments de son grief comme récurrents et permanents. Même s’il est loisible à la Commission de ne pas être d’accord lorsque les parties qualifient couramment un différend d’affaire continue, je ne trouve aucune raison de le faire dans le présent cas.

[110] J’ai choisi de ne pas rouvrir la question du respect des délais, car le grief est mieux tranché sur d’autres éléments.

V. Résumé de l’argumentation et analyse

[111] Les présents motifs s’écartent un peu du format plus standard des décisions de la Commission. Plutôt que de résumer l’ensemble des arguments des parties avant de procéder à une analyse des questions, je vais passer directement aux principales questions, en faisant état tour à tour des observations pertinentes des parties sur chaque question. Pour des raisons d’exactitude et d’exhaustivité, j’ai reproduit pratiquement tous les arguments écrits du fonctionnaire du 15 décembre 2020 et l’aide-mémoire de l’employeur soumis le 17 décembre 2020, dont le texte est lu comme argument oral par l’employeur.

A. Cadre de l’analyse

[112] Selon le par. 226(2) de la LRTSPF, la Commission peut interpréter et appliquer la LCDP aux affaires qui lui sont renvoyées aux fins d’arbitrage. Un grief portant sur la convention collective qui allègue une violation de la clause « Élimination de la discrimination » importe dans l’analyse des dispositions de la LCDP, comme suit :

[…]

Motifs de distinction illicite

3 (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’état de personne graciée ou la déficience.

[…]

Emploi

7 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

[…]

Exceptions

15 (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées; […]

(2) Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l’alinéa (1)g), s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

[Je mets en évidence dans l’al. 15(1)a) et le par. 15(2)]

[…]

 

[113] Le cadre analytique de base d’un cas comportant une allégation de discrimination est bien établi. En premier lieu, il incombe au fonctionnaire d’établir une preuve prima facie (ou « de première vue ») de discrimination. Une preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier une conclusion en faveur du fonctionnaire; voir Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 RCS 536 (« O’Malley »), et Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 RCS 202.

[114] Si l’analyse révèle une preuve prima facie concluante, il incombe à l’employeur de fournir une défense non discriminatoire, selon la prépondérance des probabilités, ou d’invoquer une exception prévue au par. 15(1) de la LCDP.

[115] Selon la jurisprudence, j’adopte l’analyse suivante en deux étapes :

1. Le fonctionnaire a-t-il établi une preuve prima facie de discrimination?

2. Dans l’affirmative, l’employeur peut-il fournir une défense non discriminatoire pour ses actes?

[116] Si la réponse à la deuxième question est « non », l’analyse porte sur une question finale :

3. Quelle est la mesure corrective appropriée?

B. Le fonctionnaire s’estimant lésé a-t-il établi une preuve prima facie de discrimination?

[117] Dans Moore c. ColombieBritannique (Éducation), 2012 CSC 61, la Cour suprême du Canada énonce le critère en trois volets pour établir une preuve prima facie de discrimination, que j’appellerai le critère Moore. Dans son aide-mémoire, l’employeur a décrit l’approche comme suit :

[Traduction]

[…]

• Moore c. ColombieBritannique (Éducation), 2012 CSC 61, [2012] 3 RCS 360, au par. 33, énonce le critère pour établir une preuve prima facie de discrimination (onglet 6 du Recueil de jurisprudence de l’employeur). Selon Moore, le fonctionnaire doit démontrer 1) qu’il avait une caractéristique protégée contre la discrimination en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne; 2) qu’il a éprouvé un effet préjudiciable à l’égard de son emploi; 3) que la caractéristique protégée était un facteur dans cet effet préjudiciable. Le fonctionnaire doit établir qu’il existe un lien entre un motif de distinction illicite de discrimination et la distinction, l’exclusion ou la préférence dont il se plaint. En d’autres termes, que le motif en cause était un facteur de distinction, d’exclusion ou de préférence.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[118] Le fonctionnaire, en invoquant Moore, a également fait référence à la décision de la Cour suprême du Canada dans Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, comme suit :

[Traduction]

[…]

Il incombe à l’agent négociateur d’établir une preuve prima facie de discrimination. L’analyse appropriée pour déterminer une preuve prima facie de discrimination figure dans Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4 : « C’est le lien qui existe entre l’appartenance à ce groupe et le caractère arbitraire du critère ou comportement désavantageux – à première vue ou de par son effet – qui suscite la possibilité de réparation. » [au par. 49, à la page 22].

[…]

 

[119] Le fonctionnaire a résumé d’autres conseils offerts par le Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) dans Tanzos c. AZ Bus Tours Inc., 2007 TCDP 33, au par. 31, comme suit : [traduction] « Dans Tanzos, le Tribunal canadien des droits de la personne a déclaré que le critère devrait être souple et que le plaignant n’est pas tenu de déposer “un type particulier de preuve afin d’établir qu’[il] a été victime d’un acte discriminatoire”. »

[120] J’examine maintenant le critère de Moore. En ce qui concerne les trois questions de Moore, le fonctionnaire soutient qu’il a réussi à établir une preuve prima facie de discrimination. Il fait valoir en outre que l’employeur n’a pas réussi à prendre des mesures d’adaptation à son égard au point de lui imposer une contrainte excessive. L’employeur soutient qu’il n’a pas contrevenu à la disposition « Élimination de la discrimination » de la convention collective du groupe PM, que le fonctionnaire n’a pas établi une preuve prima facie et que, subsidiairement, il s’est acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation raisonnables.

1. Le fonctionnaire s’estimant lésée a-t-il une caractéristique protégée contre la discrimination en vertu de la LCDP?

[121] Il n’y a aucune contestation entre les parties selon laquelle le fonctionnaire a une déficience physique protégée contre la discrimination en vertu de la LCDP.

2. Le fonctionnaire s’estimant lésé a-t-il subi un effet défavorable en ce qui a trait à son emploi?

[122] À l’appui de sa position selon laquelle il a satisfait à l’exigence d’établir une preuve prima facie de discrimination, le fonctionnaire a présenté l’argument écrit suivant :

[Traduction]

[…]

M. Bourdeau a subi des effets préjudiciables importants en raison du manque de prise de mesures d’adaptation par l’employeur; en raison de cela, il n’a pas été en mesure d’effectuer son travail selon les normes requises des commissaires. Cela lui a causé, comme il l’a témoigné, une anxiété et un stress importants.

L’employeur a admis à plusieurs reprises que M. Bourdeau n’avait pas fait l’objet de mesures d’adaptation qui permettaient de répondre à ses besoins.

Par exemple, le 15 avril 2013, M. Railton (le gestionnaire des cas de M. Bourdeau à l’époque) a affirmé que des mesures d’adaptation n’avaient pas été prises à l’égard de M. Bourdeau à cette date et, par conséquent, sa période de stage ne commencerait pas à cette date. [Onglet 7 du RJ, page 50] Pourtant, en juin 2013, M. Bourdeau a témoigné que M. Railton s’était dit préoccupé par le fait qu’il n’avait toujours pas fait l’objet de mesures d’adaptation.

En outre, Mme Tinker a témoigné qu’il avait été jugé que des mesures d’adaptation avaient été prises à l’égard de M. Bourdeau en février 2014 et que sa période de stage commencerait alors (voir également l’onglet 23 du RCD à la page 55). Cela laisse entendre qu’aucune mesure d’adaptation n’avait été prise avant cette date.

Il existe un lien direct entre l’absence de mesures d’adaptation prises pour répondre à la déficience de M. Bourdeau et à sa capacité à accomplir pleinement son travail. Il y avait un certain nombre de mesures que l’employeur aurait pu prendre pour régler ce problème et a choisi de ne pas le faire.

Les mesures d’adaptation qui étaient en place n’ont pas particulièrement aidé M. Bourdeau. M. Bourdeau a témoigné que le logiciel était souvent en panne et faisait en sorte qu’il lui soit difficile à faire son travail. Le fait que M. Bourdeau éprouvait des problèmes technologiques importants n’est pas contesté par aucun des témoins. De nombreux documents ont été admis concernant le blocage des logiciels (par exemple : l’onglet 15 du RCD, à la page 34; l’onglet 20 du RCD, à la page 50; l’onglet 22 du RCD, à la page 53; l’onglet 30 du RCD, à la page 72; l’onglet 32 du RCD, à la page 75). Ces problèmes se sont produits pendant toute la période au cours de laquelle M. Bourdeau était employé à la CISR.

En examinant ce qui constitue une mesure d’adaptation, la Cour suprême a conclu dans Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 RCS 868 que « “mesure d’accommodement”, on entend ce qui, dans les circonstances, est nécessaire pour éviter toute discrimination » et que les normes doivent être aussi générales que possible. [15] De plus, dans Canada (Procureur général) c. Duval, 2019 CAF 290, il a été conclu qu’il s’agit que la détermination de la question de savoir si le plaignant a fait l’objet de mesures d’adaptation au point de subir une contrainte excessive est une question de fait. [25]

Quels sont les faits?

L’employeur était au courant de la déficience de M. Bourdeau lorsqu’il l’a embauché; M. Bourdeau l’a divulgué à maintes reprises à l’employeur et a présenté ses demandes en temps opportun. [voir : l’onglet 2 du RJ supplémentaire, à la page 217; l’onglet 4 du RCD, page 14] Lorsque M. Bourdeau a constaté qu’il avait besoin d’autres mesures d’adaptation, dans les semaines suivant le début du travail en 2012, il a témoigné qu’il en avait informé son superviseur immédiatement.

M. Bourdeau n’a reçu aucun logiciel ou matériel, dont un scanneur, Dragon Dictate et Jaws, qui étaient tant nécessaires, avant le 15 avril 2013. [voir : l’onglet 5 du RCD, à la page 15; l’onglet 7 du RJ, page 25] M. Bourdeau a témoigné que ce scanneur était plus vieux, donc lent et enclin au blocage. Le scanneur a été la première étape du processus pour M. Bourdeau pour rendre ses dossiers accessibles et sans cela, il serait presque impossible pour M. Bourdeau de lire ses dossiers.

En juillet 2013, M. Railton a demandé à la TI de fournir un ordinateur plus robuste pour répondre aux besoins en logiciels, mais en décembre 2013, cela ne s’était toujours pas produit et l’ordinateur était régulièrement en panne. [Onglet 7 du RJ, page 51] Aucune explication n’a été donnée quant à la raison pour laquelle six mois plus tard, M. Bourdeau n’avait pas l’équipement mis à niveau dont il avait besoin pour accomplir son travail.

En janvier 2014, il avait été muté à une nouvelle équipe et Mme Tinker, sa nouvelle gestionnaire de cas, a témoigné qu’elle lui avait donné un nouveau scanneur [onglet 15 du RCD, pages 34 à 37]. M. Bourdeau a témoigné qu’il ne connaissait pas le logiciel comme JAWS, qui était complexe et difficile; il a éprouvé des difficultés à l’utiliser correctement. Il a demandé à Mme Tinker de suivre une formation, mais cette demande a été refusée. Mme Tinker a témoigné qu’il s’agirait d’une demande qui serait normalement soumise à la TI et qu’elle ne relevait pas de sa responsabilité. Pourtant, Mme Tinker était sa superviseure, qui était chargée de fournir des mesures d’adaptation; de plus, elle a témoigné qu’elle ferait un suivi auprès de la TI visant d’autres demandes de services. Si son employé avait besoin d’une formation pour faire son travail correctement, pourquoi ne chercherait-elle pas à obtenir la formation pour lui?

Mme Tinker a témoigné qu’elle avait affecté deux assistants à M. Bourdeau pour l’aider à numériser et à préparer des documents. Cela permettrait, en théorie, à M. Bourdeau de consacrer plus de temps à son travail de fond. Mme Tinker a déclaré que les assistants avaient suivi une formation, mais elle n’a pas été en mesure d’expliquer exactement la nature de la formation qu’ils ont suivie. Si M. Bourdeau n’a suivi aucune formation sur l’utilisation du logiciel, il est improbable que les deux assistants aient suivi cette formation. En outre, les assistants ne lui étaient pas affectés exclusivement et étaient souvent occupés. Ces assistants n’ont donc pas beaucoup aidé M. Bourdeau.

Mme Tinker a témoigné au sujet de ses préoccupations quant au fait que M. Bourdeau prenait du retard dans son travail. Selon les normes de rendement auxquelles les commissaires devaient se conformer, Mme Tinker a déclaré que les commissaires devaient mener à bien au moins 3,5 décisions par semaine. [Onglet 78 du RCD, à la page 338] Elle a également déclaré qu’elle passait rarement plus de quelques heures à mener à bien un dossier par semaine. Cependant, en contre-interrogatoire, Mme Tinker a admis qu’il s’agissait de son expérience personnelle.

Les données présentées dans le cadre de l’exercice de capacité des commissaires de la SPR provenaient des commissaires qui ont consigné leurs activités quotidiennes et le temps qu’il a fallu pour les mener à bien. [Onglet 32 du RJ, à la page 101] Selon une conclusion clé, il a fallu 14,5 heures pour traiter un cas [page 103]. M. Pattee a témoigné que l’exercice a été entrepris parce que les commissaires de la région centrale de la SPR éprouvaient des difficultés à s’acquitter de leur charge de travail. Évidemment, M. Bourdeau n’était donc pas le seul à éprouver des difficultés à répondre à ces attentes.

Il est déraisonnable de s’attendre à ce qu’un commissaire qui doit rendre tous ses dossiers accessibles par le processus laborieux de numériser et de télécharger les documents dans des logiciels spécialisés ait à satisfaire aux normes auxquelles même des commissaires capables éprouvaient des difficultés à satisfaire.

Les effets préjudiciables sur la capacité du fonctionnaire de faire son travail étaient importants. De novembre 2012 à janvier 2015, le fonctionnaire n’était pas en mesure de faire son travail correctement; il était souvent entravé par le manque de soutien de son employeur et a éprouvé des difficultés à s’acquitter de sa charge de travail. L’employeur a choisi de ne pas traiter ses mesures d’adaptation en tant que processus continu.

[…]

 

[123] La réponse de l’employeur, telle qu’elle est reproduite dans son aide-mémoire, se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

• […] en ce qui concerne le deuxième élément du critère, l’agent négociateur n’a pas déterminé et démontré que le fonctionnaire a éprouvé un « effet préjudiciable » à l’égard de son emploi. Le 27 novembre 2020, l’agent négociateur a confirmé qu’il n’invoquait pas le renvoi en cours de stage pour ce point. Par conséquent, aucun événement déclencheur n’a été indiqué.

• Seules les répercussions « préjudiciable[s], dommageable[s] ou mauvais[es] » sont protégées par la législation en matière de droits de la personne. L’expression « différence de traitement défavorable » a été examinée dans Tahmourpour c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2009 CF 1009, au par. 44 (RJ supplémentaire de l’employeur). Dans cette affaire, la Cour fédérale a déclaré ce qui suit :

[44] Que veut dire « différence de traitement défavorable »? La « différence de traitement » est un terme dont le sens ordinaire est la distinction dans la façon d’agir à l’égard de personnes. « Défavorable » est un adjectif dont le sens ordinaire est préjudiciable, dommageable ou mauvais. À mon avis, « différence de traitement défavorable » s’entend d’une distinction entre des personnes ou des groupes de personnes, laquelle distinction est préjudiciable ou dommageable à une personne ou à un groupe de personnes. La « différence de traitement défavorable » peut également, à mon avis, vouloir dire une distinction qui est faite ou mentionnée d’une façon hostile, lorsque c’est la façon dont la distinction est faite qui cause un préjudice ou un dommage. Pour qu’il s’agisse d’une différence de traitement défavorable interdite par le régime législatif en matière de droits de la personne, la distinction, ou l’exercice de cette distinction, doivent être fondés sur l’un des motifs illicites de discrimination prévus dans la Loi.

• La Cour d’appel fédérale a également examiné les circonstances dans Tahmourpour c. Canada (Gendarmerie royale), 2010 CAF 192, au par. 12 (RJ supplémentaire de l’employeur) et a confirmé que la discrimination exige un élément supplémentaire qui est correctement décrit comme « préjudiciable, dommageable ou mauvais […] ».

• 12] L’annonce du sergent Hébert lors du premier cours de conditionnement physique au Dépôt a eu pour résultat immédiat de faire connaître à toute la classe l’appartenance religieuse de M. Tahmourpour et le fait qu’il avait demandé une mesure d’accommodement l’autorisant à porter son pendentif religieux. La preuve de cette annonce établit qu’il y a eu différentiation fondée sur la religion, mais elle n’établit pas en soi qu’il y a eu discrimination. Pour que la différence de traitement soit discriminatoire, un élément supplémentaire, que le juge a correctement décrit comme préjudiciable, dommageable ou mauvais […]

• Donc, essentiellement, conformément à ces deux cas, l’« effet préjudiciable » doit être objectivement mesurable comme préjudiciable, dommageable ou mauvais.

• Même si l’agent négociateur affirme que le fonctionnaire a subi « des effets préjudiciables importants en raison du manque de prise de mesures d’adaptation par l’employeur » et qu’il « n’a pas été en mesure d’effectuer son travail selon les normes requises des commissaires » et que cela lui a causé « une anxiété et un stress importants », il ne s’agit pas toutefois d’effets ou de répercussions qui sont objectivement mesurables comme préjudiciable, dommageable ou mauvais. Par conséquent, ce critère n’a pas été satisfait.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[124] Il n’est pas aussi simple d’établir le deuxième élément de la preuve prima facie que si le fonctionnaire avait choisi de plaider son renvoi en cours de stage. Il semble clair que son licenciement aurait eu un « effet préjudiciable », ce qui aurait permis de satisfaire au deuxième élément du critère. Sa décision de ne pas contester son licenciement exigeait qu’il détermine un autre acte ou d’autres actes qui lui ont fait subir un effet préjudiciable.

[125] La description par le fonctionnaire de la discrimination qu’il a subie précisait deux éléments déterminants : 1) le temps qu’il a fallu à l’employeur pour mettre en œuvre les mesures d’adaptation requises et 2) le fait que l’employeur n’ait pas tenu compte de l’incidence des problèmes technologiques sur le travail du fonctionnaire et du temps nécessaire pour accéder aux dossiers. Selon lui, il a subi un effet préjudiciable en raison de ces éléments, selon une ampleur importante. Il n’a pas été en mesure d’effectuer son travail selon les normes requises des commissaires, ce qui lui a causé une anxiété et un stress importants.

[126] Les éléments de preuve établissent qu’il a fallu de la date d’embauche du fonctionnaire à la fin de novembre 2012 jusqu’en février 2014 avant que l’employeur n’estime que la mesure d’adaptation relative à sa déficience avait été réalisée et que sa période de stage d’un an pouvait commencer. Cette période était-elle trop longue? En acceptant, aux fins de l’argument qu’il en était peut-être ainsi, la question à trancher est donc la suivante : [traduction] « Quel était donc l’effet préjudiciable? »

[127] Le fonctionnaire a précédé son argument en déclarant que l’omission de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation pour répondre à ses besoins signifiait qu’il n’était pas en mesure de satisfaire aux normes requises pour son travail, ce qui, selon son témoignage, lui a causé une anxiété et un stress. Quels éléments de preuve permettent d’établir son expérience d’anxiété et de stress?

[128] Voici des exemples des éléments du témoignage du fonctionnaire qui appuient un effet préjudiciable possible sous la forme de stress et d’anxiété :

[Traduction]

  • 1) il ne pouvait pas [traduction] « tout faire » pendant la première séance de formation de trois semaines et qu’il [traduction] « a éprouvé des difficultés à réussir »;

  • 2) il se sentait embarrassé et exclu pendant la formation lorsqu’il ne pouvait pas lire les documents sans les numériser;

  • 3) il a subi une fatigue oculaire à différentes occasions;

  • 4) il a senti une pression excessive pour répondre aux exigences relatives à sa charge de travail;

  • 5) il s’est senti harcelé parce qu’on lui demandait constamment s’il avait fait l’objet de mesures d’adaptation;

  • 6) il était très mécontent d’apprendre qu’un gestionnaire n’était pas prêt à prendre des mesures d’adaptation.

[129] Au-delà du témoignage plus subjectif du fonctionnaire, il a cité dans ses arguments des faits tels que ce qui suit comme un indice de la discrimination à laquelle il a été confronté :

[Traduction]

  • 1) il n’a reçu aucun logiciel ou matériel incluant un scanneur, Dragon Dictate et JAWS avant le 15 avril 2013;

  • 2) en juillet 2013, M. Railton a demandé à la TI de fournir un ordinateur plus robuste pour répondre aux besoins des logiciels, mais il ne l’a fait qu’en décembre 2013;

  • 3) le fonctionnaire a demandé à Mme Tinker de suivre une formation sur l’utilisation de logiciels, comme JAWS, mais sa demande a été refusée;

  • 4) les assistants chargés de l’aider à numériser et à préparer les documents n’ont probablement pas suivi une formation, ne lui étaient pas exclusivement affectés et étaient souvent occupés;

  • 5) il n’était pas la seule personne au bureau de Toronto qui a éprouvé des difficultés à répondre aux attentes relatives à la charge de travail;

  • 6) les attentes de l’employeur n’ont pas pris en compte le processus laborieux de numériser et de télécharger les documents dans des logiciels spécialisés;

  • 7) le fonctionnaire n’a pas pu faire son travail correctement de novembre 2012 à janvier 2015 en raison d’un manque de soutien de la part de l’employeur;

  • 8) l’employeur n’a pas traité ses mesures d’adaptation en tant que continu.

[130] D’après les éléments de preuve, il est évident que le fonctionnaire a été confronté à des difficultés pendant la période allant de sa date d’embauche à février 2014, lorsque l’employeur a déterminé qu’il avait fait l’objet de mesures d’adaptation. Ces éléments de preuve satisfont-ils au deuxième élément du critère Moore?

[131] En acceptant à ce stade le témoignage en interrogatoire principal du fonctionnaire, j’estime qu’il est raisonnable de conclure qu’il a éprouvé du stress et de l’anxiété à des moments différents pendant la période allant de sa date d’embauche en novembre 2012 à février 2014. J’estime également que les difficultés du processus d’adaptation qu’il a décrites dans son interrogatoire principal offrent un contexte factuel dans lequel les sentiments de stress et d’anxiété étaient des résultats plausibles. Son interrogatoire principal a également laissé entendre au moins un exemple concret d’une éventuelle lacune dans les mesures d’adaptation prises à son égard – soit le refus allégué de sa demande de formation sur l’utilisation de logiciels, comme JAWS. D’autres témoignages sur les retards dans l’obtention de l’équipement et des logiciels peuvent aussi laisser entendre des lacunes temporaires causant de l’anxiété et du stress, même si elles ont été résolues à temps, comme il l’a admis.

[132] Le fonctionnaire a témoigné davantage au sujet de la demande que M. Railton a présenté à Santé Canada pour une EAT du 4 décembre 2013 (pièce G-1, onglet 7), que le fonctionnaire avait accepté favorablement. Ce qui est devenu de cette demande n’est pas clair, sauf que selon le témoignage de M. Pattee, il estimait qu’une EAT n’était pas nécessaire parce que l’employeur avait des renseignements clairs provenant du fonctionnaire sur les mesures d’adaptation dont il avait besoin. On suppose qu’aucune EAT n’a été effectuée. S’il y avait eu des témoignages directs que, par exemple, l’employeur a bloqué la demande de M. Railton, on aurait pu soutenir qu’un tel acte aurait eu un effet préjudiciable sur le fonctionnaire. Tel qu’il est, je ne suis pas en mesure de trouver une différence de traitement défavorable dans les éléments de preuve au sujet de la demande d’EAT.

[133] Compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve du fonctionnaire, il est quelque peu difficile de répondre avec confiance au deuxième élément du critère Moore. Il est certain que l’absence d’éléments de preuve factuels plus importants démontrant les effets préjudiciables continus au cours de la période allant de novembre 2012 à février 2014 n’est pas utile. De plus, la façon quelque peu imprécise dont le fonctionnaire décrit les deux éléments de discrimination allégués qu’il soutient – surtout le deuxième – ajoute au défi.

[134] Même si les éléments de preuve sont modestes, elles établissent toutefois, si on leur ajoute foi, qu’il a subi un effet préjudiciable sous la forme de stress et d’anxiété. Comme il a été mentionné, il y a au moins un contexte factuel dans lequel ce stress et cette anxiété constituaient des conséquences crédibles de ce qui s’est passé pendant la prise de mesures d’adaptation à son égard.

[135] Pour cette raison, et afin de ne pas fixer trop haut la barre pour établir une preuve prima facie, je suis prêt à accepter que la preuve limitée de l’effet préjudiciable que le fonctionnaire a fourni permet de satisfaire au deuxième élément du critère Moore permettant l’examen de son troisième élément.

3. La déficience du fonctionnaire s’estimant lésé a-t-elle été un facteur de l’effet préjudiciable?

[136] Le fonctionnaire a présenté l’argument suivant à l’appui de son affirmation selon laquelle sa déficience était un facteur de l’effet préjudiciable :

[Traduction]

[…]

La déficience de M. Bourdeau a été un facteur important de l’effet préjudiciable. Sans sa déficience, il aurait pu exercer ses fonctions professionnelles, comme ses collègues valides.

Mme Tinker a convenu, en contre-interrogatoire, que la préparation de ses dossiers et la rédaction de ses décisions auraient été difficiles pour M. Bourdeau sans des mesures d’adaptation convenables. Peu importe si M. Bourdeau travaillait sur une audience [traduction] « courte » impliquant une seule personne avec un seul problème (c.-à-d. les dossiers des Caraïbes) ou des dossiers plus complexes, il devait encore numériser ses documents afin de les rendre lisibles à l’aide de JAWS et de Dragon Dictate. Il s’agissait d’un processus qui exige beaucoup de temps et sujet à la défaillance technologique. M. Bourdeau a témoigné qu’il faudrait au moins deux heures pour rendre chaque fichier accessible, à condition que le logiciel ou le matériel fonctionne correctement. Si l’on s’attendait à ce qu’il traite 3,5 dossiers par semaine, il s’agit d’une période administrative importante qui entrave à sa capacité d’achever son travail.

M. Bourdeau ne nie pas qu’il lui a fallu plus de temps pour mener à bien les dossiers que prévu. Il a témoigné qu’il avait dit à James Railton, à Diane Tinker et à Thomas Vulpe qu’il avait besoin de plus de temps pour numériser et préparer les documents. En juillet 2014, le fonctionnaire a informé M. Vulpe, le vice-président adjoint, qu’il avait besoin de plus de temps par dossier et était constamment en retard. [Onglet 44, RCD, pages 155 et 156]

L’employeur dira qu’il a traité de ce problème en le retirant quatre fois du calendrier pour lui permettre de rattraper son retard. Mais il s’agissait d’une solution de fortune qui ne traitait pas des questions fondamentales : soit que la technologie était souvent en panne et que, lorsqu’elle fonctionnait, le processus a pris du temps comme M. Bourdeau devait essentiellement rendre accessible l’ensemble de son dossier.

Même en janvier 2015, M. Bourdeau n’avait toujours pas reçu de soutien pour l’aider à rendre sa charge de travail accessible. Ce manquement a été traité comme une faute commise par Richard plutôt que comme une faute qui échappait à son contrôle. Mme Tinker a témoigné qu’elle avait dit à M. Vulpe, en décembre 2014, qu’elle l’avait retiré à plusieurs reprises du calendrier, mais [traduction] « ne pouvait plus continuer à le faire » [onglet 60, RCD, page 241].

Dans BCGSEU, la CSC a déclaré que les aptitudes, les capacités et l’apport potentiel du demandeur doivent « être respectés autant qu’il est possible » [par. 64 à la page 34]. Nous ne savons pas ce que l’apport potentiel ou les capacités de M. Bourdeau auraient été s’ils avaient fait l’objet de mesures d’adaptation complètes. Toutefois, il s’agit du cœur du problème : on ne lui a jamais donné la chance de réussir ou d’échouer sur ses propres mérites, de bien mesurer ses résultats par rapport à ses collègues et aux références standard.

Il s’agit de la discrimination.

[…]

 

[137] L’employeur a répondu à l’argument du fonctionnaire comme suit :

[Traduction]

[…]

• […] il n’existe aucun lien entre la déficience du fonctionnaire et tout effet préjudiciable à l’égard de son emploi. Aucun effet préjudiciable n’a été déterminé. Par conséquent, le troisième critère n’a pas été satisfait.

• Par conséquent, le fonctionnaire n’a pas réussi à établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur la déficience – il n’a pas établi que l’employeur s’est livré à un acte discriminatoire (Leclair c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)), 2016 CRTEFP 97, au par. 120; onglet 4 du Recueil de jurisprudence de l’employeur).

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[138] Pour établir le troisième élément du critère Moore, il faut démontrer que la caractéristique protégée a été un facteur de l’effet préjudiciable, en reconnaissant qu’il peut y avoir d’autres facteurs; voir Holden v. Canadian National Railway Company (1990), 14 C.H.R.R. D/12 (C.A.) au par. 7 et Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (ministère de la Défense nationale), [1996] 3 CF 789 (C.A.). Une affirmation simple selon laquelle une caractéristique protégée est un facteur est insuffisante sans preuve à l’appui; voir Filgueira c. Garfield Container Transport Inc., 2005 TCDP 32; confirmé dans 2006 CF 785; Bassett c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 60, au par. 62.

[139] Il n’est pas nécessaire d’établir l’intention de se livrer à la discrimination pour satisfaire au troisième élément du critère Moore; voir Shaw v. Phipps, 2010 ONSC 3884, cité dans Meneguzzi c. Directeur des poursuites pénales, 2019 CRTESPF 77, au par. 123.

[140] L’argument de l’employeur peut être écarté. Il soutient essentiellement que, n’ayant pas eu effet préjudiciable, le troisième élément du critère Moore ne peut être satisfait. La seule décision qu’il a citée particulièrement à l’appui de sa position est Leclair c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 97. Toutefois, les motifs dans Leclair portent principalement sur le caractère raisonnable des mesures d’adaptation prises par l’employeur plutôt que sur la façon dont la caractéristique protégée dans cette décision était un facteur de l’effet préjudiciable.

[141] À mon avis, l’argumentation du fonctionnaire ne va pas beaucoup plus loin que d’affirmer que sa déficience a été un facteur important de l’effet préjudiciable. Toutefois, il suffit d’établir, à l’aide de certains éléments preuve, un lien entre sa déficience et l’effet préjudiciable.

[142] Il ne fait aucun doute que le fonctionnaire a parfois éprouvé des difficultés, voire des impossibilités, à satisfaire aux normes de charge de travail de l’employeur. L’utilisation d’un scanneur et de plusieurs types de logiciels pour effectuer son travail nécessitait plus de temps et a dû être très difficile. Toutefois, selon son propre témoignage, le fait d’effectuer du travail à l’aide de la technologie du lecteur d’écran n’était pas un problème nouveau. Il a témoigné en interrogatoire principal qu’à mesure que son état devenait plus aigu dans la pratique privée, l’effort nécessaire pour se recentrer constamment était épuisant physiquement, ce qui l’obligeait à se reposer après de courtes périodes de travail. Il n’est donc pas surprenant qu’il ait dû relever des défis semblables à la CISRC. Le fonctionnaire a également signalé les défaillances des logiciels et du matériel qui ont alourdi davantage ses efforts pour faire le travail.

[143] Le fonctionnaire allègue que tous les éléments dans le présent cas découlent en fin de compte de la réalité de sa déficience. Le fonctionnaire avait une diplopie et avait besoin de mesures d’adaptation. Il souhaitait effectuer le travail, mais il a constaté que sa déficience lui rendait difficile de réaliser les normes attendues des commissaires.

[144] Les défis qu’il a dû relever pour mettre en place, adapter et réparer l’équipement et les logiciels nécessaires à l’exécution du travail ont entraîné une réduction de la productivité, mais, ce qui est plus important, lui a causé des sentiments d’anxiété et de stress, car il était évident qu’il ne répondait pas aux attentes de l’employeur. La question de savoir si et dans quelle mesure la conduite de l’employeur a contribué à ce stress et à cette anxiété n’est pas déterminante à ce stade de l’analyse. Si le fonctionnaire n’avait pas à gérer la diplopie, il est raisonnable de croire que son expérience en milieu de travail aurait été très différente.

[145] Il y a des problèmes avec les éléments de preuve, mais, dans l’ensemble, il suffit d’établir un lien sous-jacent entre la déficience du fonctionnaire et l’anxiété et le stress qu’il a éprouvés. La preuve de ce lien, quoique limitée, satisfait au troisième élément du critère Moore.

[146] Par conséquent, je conclus que le fonctionnaire a établi une preuve prima facie de discrimination.

C. L’employeur a-t-il fourni une défense non discriminatoire pour ses actes?

[147] Face à une preuve prima facie de discrimination, il incombe à l’employeur de fournir une explication raisonnable démontrant que la discrimination alléguée n’a pas eu lieu comme alléguée ou que le comportement était en quelque sorte non discriminatoire ou justifié en fonction d’une exception prévue au par. 15(1) de la LCDP.

[148] Les arguments écrits des parties sont longs, mais ils sont reproduits intégralement pour saisir tous les éléments de leurs arguments respectifs.

[149] L’employeur a présenté les arguments suivants :

[Traduction]

[…]

L’employeur a fourni des mesures d’adaptation raisonnables

• Le processus d’adaptation constitue un équilibre entre les droits d’un employé et le droit d’un employeur de créer un milieu de travail productif. Les mesures d’adaptation visent à permettre aux employés de satisfaire aux normes d’emploi et de répondre aux attentes de rendement – l’obligation de prendre des mesures d’adaptation ne concerne pas les préférences de l’employé. Il s’agit d’éliminer les obstacles afin de favoriser le rendement d’un employé pour qu’il contribue pleinement ses compétences à l’organisation. Il n’existe aucune formule établie pour les mesures d’adaptation.

• L’employeur avait l’obligation de trouver une mesure d’adaptation raisonnable. Il connaît ses besoins, son milieu de travail et ses ressources. (Leclair c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 97, au par. 133 (onglet 4 du Recueil de jurisprudence de l’employeur) citant Renaud aux p. 994 et 995 (Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, 1992 CanLII 81 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 970)).

• Un employé n’a pas droit à la mesure d’adaptation de son choix ou à la mesure d’adaptation préférée. Il n’a pas non plus droit à une mesure d’adaptation immédiate ou parfaite, mais uniquement à une mesure d’adaptation raisonnable. Si des mesures d’adaptation peuvent être mises en place sans occasionner une contrainte excessive, elles sont donc suffisantes pour permettre à l’employeur de s’acquitter de son obligation de prendre des mesures d’adaptation. (Leclair c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 97, aux par. 127 et 134 (onglet 4 du Recueil de jurisprudence de l’employeur)). L’agent négociateur semble laisser entendre que la mesure d’adaptation parfaite est la norme, mais ce n’est pas le cas.

• La jurisprudence a fermement établi que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation exige que [traduction] « chacun fasse sa part » et que la personne qui cherche une mesure d’adaptation ne peut pas dicter ce que devrait être cette mesure d’adaptation. On s’attend à ce qu’il y ait un [traduction] « échange » entre les parties pour répondre aux restrictions et aux limitations. Les mesures d’adaptation englobent un compromis et une collaboration de la part d’un employé (Georgoulas c. Canada (Procureur général), 2018 CF 652, aux par. 160 et 161; onglet 3 du Recueil de jurisprudence de l’employeur).

Dans le présent cas, l’employeur a fait plus que ce qu’on lui a demandé pour prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire. Les éléments de preuve produits à ce sujet ne laissent aucun doute.

• La question dans la présente affaire ne concerne pas une contrainte excessive. L’employeur n’invoque pas et n’a jamais indiqué qu’il invoquait le paragraphe 15(2) de la LCDP en tant que défense prévue par la loi pour justifier ce qui serait autrement un acte discriminatoire contre le fonctionnaire.

• L’employeur n’a pas refusé de prendre une mesure d’adaptation à l’égard du fonctionnaire. M. Pattee a témoigné qu’il était très clair pour la direction qu’elle devait faire tout ce qui était en son pouvoir pour prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire. En fait, l’employeur a fait plus que ce qu’on lui a demandé pour prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire. Même si un fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas le droit de dicter ses mesures d’adaptation, c’est précisément ce qui s’est produit ici. L’employeur a répondu à tout ce que le fonctionnaire a demandé – dès le début de son emploi en tant que commissaire. Par exemple, grâce aux témoignages, nous avons entendu ce qui suit :

• Le fonctionnaire a demandé une mesure d’adaptation pour la formation des nouveaux commissaires – plus particulièrement, il a demandé des documents à double interligne ou des documents en format électronique. Le fonctionnaire a témoigné qu’on lui avait remis des documents en format électronique et un ordinateur portatif, comme il l’avait demandé.

• Le fonctionnaire a témoigné qu’à un moment donné après la formation du nouveau commissaire, il a parlé à son commissaire coordonnateur (CC), James Railton, et a demandé de l’équipement.

• En date du 15 avril 2013, le fonctionnaire a confirmé qu’on lui avait fourni ce qui suit : 1) un moniteur inclinable plus grand que la normale; 2) un scanneur; 3) Dragon Dictate; 4) JAWS, (JT – onglet 5 à la page 15); (JT – onglet 12 à la page 29); 5) clavier et écouteurs ergonomiques. (G1 – onglet 7, page 50). Dans son interrogatoire principal, le fonctionnaire a confirmé qu’il avait reçu ce qu’il avait demandé.

• En plus des mesures d’adaptation mentionnées ci-dessus, il a également été déposé en preuve que le fonctionnaire avait bénéficié des mesures d’adaptation suivantes (G1 – onglet 1 à la page 5) :

• Formation supplémentaire destinée aux nouveaux commissaires, offerte de manière individuelle;

• une nouvelle imprimante/un scanneur spécialisé (JT – onglet 11, page 28);

• RCO de la page principale;

• un ordinateur portatif à haute puissance (G1 – onglet 15, à la page 60);

• Un microphone pour accompagner Dragon Dictate;

• Deux grands moniteurs personnalisés, dans son bureau et dans la salle d’audience;

• le lecteur du tribunal pour écouter les enregistrements audio des auditions;

• un fauteuil ergonomique;

• deux assistants administratifs ont été mis à la disposition du public pour l’aider à effectuer une numérisation à sa demande. (JT – onglet 32 à la page 75) Diane Tinker a témoigné qu’ils avaient tous les deux suivi une formation en matière de numérisation (JT – onglet 60). Toutefois, en contre-interrogatoire, le fonctionnaire a indiqué qu’il n’avait pas utilisé ces assistants administratifs. Il a choisi de ne pas utiliser cette ressource qui lui a été mise à sa disposition. Cela est également corroboré par JT – onglet 60 à la page 241.

De plus, dans son témoignage, Diane Tinker, a témoigné que le fonctionnaire était également :

• retiré du calendrier afin de suivre une formation de recyclage individuel de la part du service juridique;

• retiré complètement du calendrier pendant six semaines (vers février 2014) pour rattraper ses 23 motifs en suspens;

• On lui a donné au moins deux semaines pour [traduction] « régler les bogues » dans l’équipement avant le début de sa période de stage en février 2014 (JT – onglet 26 à la page 61);

• Elle a témoigné qu’elle avait demandé au fonctionnaire d’être proactif l’informant ou en informant la TI si son scanneur ne fonctionnait pas (JT – onglet 20 à la page 50).

En contre-interrogatoire, le fonctionnaire :

• a confirmé qu’il avait été retiré du calendrier pendant au moins quatre fois pour rattraper son retard relatif à ses motifs (JT – onglet 77 à la page 335);

• a convenu que sa charge de travail avait été réduite pour répondre à ses besoinsil n’entendait que deux demandes par semaine des îles des Caraïbes – qui étaient des cas non complexes. Ils ne comportaient qu’une seule question et étaient en anglais (par conséquent, aucun traducteur nécessaire). (JT – onglet 37 à la page 91) Toujours en contre-interrogatoire, il a confirmé qu’il n’avait pas eu de calendrier complet avant juin 2014 (JT – onglet 77 à la page 335).

• Il y a un certain différend quant à la formation que le fonctionnaire aurait demandée. Diane Tinker a témoigné que le fonctionnaire n’avait jamais demandé de formation parce qu’il avait l’équipement à la maison. Il est inexact de dire que la formation a été refusée – comme l’allègue l’agent négociateur – mais que l’employeur conteste qu’elle n’ait jamais été demandée. Ceci est corroboré dans JT – onglet 26 à la page 61 où Diane Tinker écrit exactement ceci à un consultant. Cela a également été confirmé en contre-interrogatoire, lorsque le fonctionnaire a indiqué qu’il avait tous les logiciels nécessaires à la maison (G1 – onglet 10 à la page 54); et qu’il connaissait la plupart d’entre eux (G1 – onglet 13 à la page 58). En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a également confirmé qu’il avait une connaissance de base du programme.

• En tout état de cause, cette allégation ne rend pas déraisonnables les mesures d’adaptations prises par l’employeur. Aucun élément de preuve n’a été présenté pour indiquer que cette formation aurait été nécessaire pour répondre aux besoins du fonctionnaire en raison de sa diplopie. Il possédait l’équipement dont il avait besoin et il a reconnu qu’il connaissait le programme. La Commission a confirmé un argument semblable dans Currie c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 10, au paragraphe 58; onglet 2 du Recueil de jurisprudence de l’employeur) lorsque la Commission a déterminé que l’employeur avait traité tout ce que le fonctionnaire s’estimant lésé avait demandé en tant que mesures d’adaptation, sauf une demande. En ce qui a trait à cette demande en suspens, la Commission a finalement conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve démontrant qu’une telle mesure d’adaptation était nécessaire pour le fonctionnaire s’estimant lésé.

Encore une fois, la preuve est claire. En ce qui a trait à toute question technologique soulevée, la direction s’est assurée que la TI était mise à la disposition du fonctionnaire pour tout ce dont il avait besoin, démontrant que les mesures d’adaptation étaient raisonnables.

• Encore une fois, il y a beaucoup d’exemples, et je ne vais pas les examiner tous. On en trouve un à l’onglet 45 du JT, à la page 158, où Paul Black de la TI a demandé qu’une version antérieure d’Adobe soit supprimée et que la nouvelle version, Adobe Pro 11, soit installée. Il a indiqué que le fonctionnaire avait dit qu’il [traduction] « serait reconnaissant » d’un deuxième moniteur. Le même jour, à 16 h 08, une autre personne de la TI, Fred Tobar, a informé M. Black qu’un deuxième moniteur et Adobe 11 avaient été installés. Cela signifie que la demande du fonctionnaire a été satisfaite environ trois heures plus tard.

Dans le JT – onglet 22, à la page 53, Mme Tinker a écrit à M. Black de la TI pour vérifier si tout l’équipement du fonctionnaire fonctionnait. La TI a répondu quatre minutes plus tard.

• Dans le JT – onglet 30 à la page 73, le sous-président adjoint a envoyé un courriel à la TI pour lui dire qu’il devait identifier un membre de l’équipe de la TI à Toronto que le fonctionnaire pouvait appeler en cas de problème avec l’équipement et qu’il devait communiquer avec cet employé dès qu’il est confronté à un problème afin qu’il puisse l’évaluer et le régler rapidement. À cet onglet, Jean-François Lacelle a énuméré tout ce que la TI avait fait entre l’été 2013 et février 2014 pour le fonctionnaire.

• Dans JT – onglet 40 à la page 117, Fred Tobar de la TI a confirmé à DT qu’ils demeuraient à l’affût des besoins du fonctionnaire. La DSTI a été informée que les appels du fonctionnaire étaient hautement prioritaires.

• Ce ne sont là que quelques exemples parmi les nombreuses chaînes de courriels qui démontrent que la TI a fait preuve de diligence dans la résolution des problèmes informatiques et des problèmes en TI.

• Dans son témoignage, le fonctionnaire a parlé d’un incident où il a allégué qu’il y avait un gestionnaire de la TI qu’il ne pouvait nommer, qui n’était pas prêt à prendre les mesures d’adaptation demandées. Toutefois, il incombait, en fin compte, à la direction en ce qui concerne les mesures d’adaptation du fonctionnaire, et non à la TI, comme l’a témoigné Ross Pattee. En fait, en ce qui a trait à cet incident allégué – M. Pattee a témoigné que, franchement, ce que le gestionnaire de la TI a dit n’avait pas d’importance.

Les problèmes informatiques ou de la TI ne constituent pas des actes préjudiciables ou hostiles.

• De plus, bien qu’il y ait eu des spéculations selon lesquelles les problèmes de TI que le fonctionnaire a connus étaient dus à divers logiciels et matériels, aucun élément de preuve n’a été présenté démontrant que ces problèmes de TI sont attribuables au fait qu’il avait certains logiciels et matériel sur ses appareils. L’employeur, étant un bon gestionnaire, a écouté le fonctionnaire et a fait tout ce qui était en son pouvoir pour minimiser les problèmes informatiques, mais le fait est qu’il n’y a pas de preuve explicite démontrant un lien entre les problèmes techniques que le fonctionnaire a éprouvés et sa déficience.

• Les problèmes informatiques ou de TI ne constituent pas des actes préjudiciables ou hostiles; et il n’y a aucune preuve de préjudice objectivement mesurable. Rien dans les éléments de preuve ne laisse entendre que les problèmes informatiques ou de TI du fonctionnaire se sont produits de manière discriminatoire. L’ordinateur, qui est une machine, n’a pas la capacité de discriminer contre le fonctionnaire. Les personnes qui approuvaient l’achat de logiciels et de matériel et celles qui faisaient le dépannage – c.-à-d. la gestion et le soutien informatique – ont fait tout ce que le fonctionnaire a demandé et elles l’ont fait rapidement. Il n’y a aucun élément de preuve d’un résultat défavorable résultant de problèmes informatiques ou technologiques et aucun lien entre ces problèmes et la déficience du fonctionnaire. En fait, une indication claire de bonne foi a été fournie au nom de la direction et de la TI en réglant les questions en temps opportun et en fournissant au fonctionnaire tout l’équipement requis.

La frustration et un préjudice moral ne sont pas équivalents à la discrimination.

• Au contraire, tel que cela a été indiqué ci-dessus, seules les conséquences « préjudiciable, dommageable ou mauvaise » devraient être protégées en vertu de la législation sur les droits de la personne (Tahmourpour c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2009 CF 1009, au paragraphe 44; Tahmourpour c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2010 CAF 192, au par. 12; les deux figurent dans le RJ supplémentaire de l’employeur)

• Le fonctionnaire a mentionné qu’il était frustré par ses problèmes informatiques. Il a témoigné qu’il était frustrant d’utiliser JAWS et qu’il était frustrant lorsqu’il avait des problèmes technologiques. Cependant, les sentiments personnels de frustration ou le préjudice moral ne sont pas équivalents à la discrimination. (Eady c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2019 CRTESPF 71, aux paragraphes 91 et 107; RJ supplémentaire de l’employeur). La frustration n’est pas un effet préjudiciable tangible ou mesurable, ce qui est un élément nécessaire d’une allégation de discrimination.

L’évaluation de Santé Canada n’était tout simplement pas nécessaire.

• Diane Tinker a témoigné qu’elle avait vu une note médicale. M. Pattee a témoigné qu’il n’avait pas remis en question la diplopie du fonctionnaire. Ils étaient satisfaits des renseignements que le fonctionnaire leur avait fournis. M. Pattee a témoigné que M. Bourdeau était très, très clair sur ce dont il avait besoin. La mise en œuvre des mesures d’adaptation a été effectuée en consultation complète avec le fonctionnaire, ce qui explique la raison pour laquelle l’évaluation par Santé Canada n’a pas été effectuée.

• Le fait qu’une évaluation de Santé Canada n’ait pas été effectuée ne signifie pas que l’employeur a fait preuve de discrimination à l’égard du fonctionnaire ou qu’il n’a pas réussi à prendre des mesures d’adaptation raisonnables à son égard. Même si les médecins peuvent suggérer le type de mesure d’adaptation nécessaire – leur rôle ne consiste pas à décider si une mesure d’adaptation peut être prise à l’égard de l’employé ou à ordonner qu’un employé occupe un poste donné au titre de mesure d’adaptation. Le rôle d’un médecin consiste à fournir un avis professionnel et non d’agir à titre de défenseur de leur patient dans le cadre des relations employeur-employé. Leur avis ne peut pas contourner les besoins organisationnels du milieu de travail de l’employeur. Le rôle des médecins, s’il y a lieu, consiste simplement à déterminer les besoins et les limites de leurs patients et l’employeur doit déterminer, en fonction de ces besoins et limites, la meilleure mesure d’adaptation à prendre pour répondre à ces besoins et limites dans le milieu de travail. (Leclair c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 97, au par. 133; onglet 4 du Recueil de jurisprudence de l’employeur). Mais ils n’étaient pas nécessaires dans le présent cas.

• Quoi qu’il en soit, la CAF a conclu qu’il n’existe pas de droit procédural à un accommodement distinct qui impose une procédure particulière que l’employeur doit suivre lorsqu’il cherche à prendre des mesures d’adaptation en faveur d’un employé. Au contraire, dans chaque cas, la question de savoir si l’employeur a établi qu’il a pris des mesures d’adaptation à l’égard d’un fonctionnaire s’estimant lésé est une question de fait. (Canada (Procureur général) c. Duval, 2019 CAF 290, au par. 25; onglet 1 du Recueil de jurisprudence de l’employeur). Le fonctionnaire s’appuie sur une décision de la Commission appelée Panacci de 2011 pour tenter de soutenir que l’employeur avait l’obligation d’effectuer une évaluation de Santé Canada. Cependant, ce n’est pas ce que dit le cas. Au contraire, il indique simplement que l’aspect procédural de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation exige que l’employeur obtienne tous les renseignements pertinents sur la déficience du fonctionnaire, ce qui pourrait comprendre l’obtention de renseignements sur l’état de santé actuel du fonctionnaire, etc. Dans le présent cas, l’employeur a obtenu tous les renseignements pertinents au sujet de la déficience du fonctionnaire auprès du fonctionnaire lui-même. Panacci ne dit pas qu’elle inclut nécessairement l’obtention de renseignements sur l’état de santé du fonctionnaire s’estimant lésé. Elle énonce simplement qu’il pourrait le faire. Panacci énoncé également que le fait de ne pas réfléchir à la question de l’adaptation ou de ne pas prendre cette question en considération revient à manquer à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. Ce n’était certainement pas le cas ici, étant donné la quantité d’éléments de preuve du contraire démontrant que l’employeur a fait plus que ce qu’on lui a demandé pour prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire.

• Quoi qu’il en soit, Duval est un arrêt de la CAF de 2019, alors que Panacci est une décision de la Commission de 2011. Par conséquent, Duval est une décision faisant plus autorité et devrait être suivie.

• Dans le présent cas, il a été décidé que le fonctionnaire connaissait parfaitement ses besoins et que, par conséquent, l’employeur prendrait toutes les mesures possibles pour s’assurer qu’il avait les outils et l’environnement nécessaires pour réussir (G1 – onglet 1 à la page 4).

• Compte tenu des éléments de preuve susmentionnés, il est très clair que le fonctionnaire a fait l’objet de mesures d’adaptation raisonnables. La norme n’est pas la perfection – seulement le caractère raisonnable.

Réponses aux arguments de l’agent négociateur soulevés dans ses arguments écrits

L’agent négociateur soutient que [traduction] l’« employeur a admis à plusieurs reprises que M. Bourdeau n’avait pas fait l’objet de mesures d’adaptation qui permettaient de répondre à ses besoins ». Toutefois, cela n’est pas déterminant dans le présent cas. La question de savoir si M. Bourdeau a fait l’objet de mesures d’adaptation raisonnables est une décision légale fondée sur les constatations de fait faites par un arbitre de grief – dans le présent cas, M. Butler. Le fait qu’un gestionnaire puisse croire qu’une personne peut avoir fait ou non l’objet de mesures d’adaptation ne permet pas de déterminer ou de limiter la responsabilité d’un arbitre de grief de trancher la question. Cette proposition est appuyée par Flatt c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie), 2014 CRTEFP 2, au par. 99 (CJ rejeté dans Flatt c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 250; RJ supplémentaire de l’employeur).

• Quoi qu’il en soit, les exemples fournis par l’agent négociateur ne constituent pas des admissions que le fonctionnaire a effectivement établi une preuve prima facie de discrimination ou qu’il n’a pas fait l’objet d’une mesure d’adaptation raisonnable. Au contraire, cela démontre que la direction était un employeur courtois. Les employeurs les plus rationnels et raisonnables, agissant de bonne foi, écouteront et tiendront compte, dans le cours normal de leurs activités, des demandes d’adaptation d’un employé. Cela ne signifie pas qu’ils conviennent qu’une mesure d’adaptation raisonnable n’a pas été prise. C’est l’objectif de bonnes relations de travail. Une conclusion selon laquelle de telles discussions constituent une admission qu’une mesure d’adaptation n’a pas été raisonnable jette un frein aux relations de travail de bonne foi (Flatt c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie), 2014 CRTEFP 2, au par. 99 (CJ rejeté dans Flatt c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 250; RJ supplémentaire de l’employeur).

• L’agent négociateur soutient que M. Bourdeau n’était pas le seul commissaire de la SPR qui éprouvait des difficultés à répondre aux attentes liées à la charge de travail. Cela n’est pas pertinent. Le présent grief ne porte pas sur la question de savoir si la charge de travail générale des commissaires de 2012 à 2015 était appropriée ou si les heures requises des commissaires ont violé la convention collective. Ce n’est tout simplement pas la question ici.

• Contrairement à l’affirmation de l’agent négociateur, le fait de dire qu’il a fallu 14 mois pour fournir à M. Bourdeau sa technologie est tout simplement inexact. L’agent négociateur allègue qu’il y a eu un retard dans l’obtention du logiciel et du matériel du fonctionnaire et qu’ils n’ont pas été reçus avant le 15 avril 2013. Selon le JT – onglet 5 à la page 15, le fonctionnaire n’a demandé Dragon Dictate que le 5 avril 2013. Sa demande a été approuvée par son gestionnaire seulement trois heures plus tard. Dans cette même pièce, M. Railton a indiqué que [traduction] « Richard aime son logiciel JAWS », ce qui indique qu’il avait déjà JAWS à ce moment-là.

• G1 – Onglet 7, à la page 50 indique qu’à la suite d’une réunion en février 2013, la SPR a fourni au fonctionnaire un moniteur inclinable plus grand que la normale, un scanneur, Dragon Dictate, JAWS, un clavier ergonomique et des écouteurs. Lorsque tout cela était en place, le fonctionnaire a convenu que des mesures d’adaptation avaient été prises pour répondre à ses besoins au 15 avril 2013. Cela démontre qu’il a fallu environ deux mois pour acquérir ces éléments des mesures d’adaptation, ce qui constitue un délai très raisonnable. Au contraire, tel que cela est indiqué ci-dessus, cela démontre que la direction était un employeur courtois. Dans le présent cas, la direction a écouté le fonctionnaire : en lui demandant s’il estimait avoir fait l’objet de mesures d’adaptation et en ne commençant pas sa période de stage avant qu’il ne convienne qu’il estimait avoir fait l’objet de mesures d’adaptation (JT – onglet 6, à la page 16; JT – onglet 44, à la page 154; GI – Onglet 7, à la page 50)

• En ce qui a trait à la date à laquelle le fonctionnaire a convenu qu’il avait fait l’objet de mesures d’adaptation, le 17 février 2014, l’argument de l’agent négociateur est indéfendable. D’une part, l’agent négociateur soutient que l’employeur a mis trop de temps à mettre en œuvre les mesures d’adaptation du fonctionnaire, mais, d’autre part, il fait valoir que l’employeur et le fonctionnaire n’auraient pas dû s’entendre sur la date à laquelle le fonctionnaire a été jugé avoir fait l’objet de mesures d’adaptation. Toutefois, l’employeur devait indiquer une date à laquelle le fonctionnaire avait été jugé avoir fait l’objet de mesures d’adaptation afin que sa période de stage puisse commencer – ce qui était indiqué dans sa lettre de renvoi en cours de stage (JT – onglet 73, à la page 324). Il aurait été très problématique de ne pas accorder au fonctionnaire une période de stage.

• Le fait que l’employeur et le fonctionnaire s’entendent sur la date à laquelle le fonctionnaire a été jugé avoir fait l’objet de mesures d’adaptation ne démontre en rien que la mesure d’adaptation du fonctionnaire n’était pas continue. Par conséquent, l’affirmation de l’agent négociateur selon laquelle le fonctionnaire a souvent été entravé par le manque de soutien de l’employeur et son allégation selon laquelle l’employeur a choisi de ne pas traiter ses mesures d’adaptation en tant que processus continu est inexacte. De nombreux documents déposés en preuve démontrent que l’employeur a continué de fournir des mesures d’adaptation raisonnables après la « date » du 17 février 2014, lorsque le fonctionnaire avait convenu qu’il avait fait l’objet de mesures d’adaptation (JT – onglet 38, à la page 97; JT – onglet 40, à la page 117; JT – onglet 44, à la page 154; JT – onglet 45, à la page 158; JT – onglet 60, à la page 241; JT – onglet 77, à la page 336). Ces mesures témoignent d’efforts constants et soutenus de l’employeur pour appuyer le fonctionnaire et fournir des mesures d’adaptation raisonnables.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[150] Le fonctionnaire a présenté les arguments suivants :

[Traduction]

[…]

L’Employeur peut faire valoir qu’il n’avait pas l’intention de faire preuve de discrimination à l’égard de M. Bourdeau, mais il n’y a aucune distinction entre discrimination directe et discrimination indirecte. [BCGSEU, au par. 29, à la page 17]

Dans Panacci, l’arbitre Mackenzie a écrit que l’aspect procédural de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation exige de l’employeur qu’il obtienne tous les renseignements pertinents sur l’incapacité de la fonctionnaire. [86] L’employeur a omis de le faire dans la présente affaire. La lettre de M. Railton à Santé Canada, datée du 4 décembre 2013, démontre que M. Railton était préoccupé par les mesures d’adaptation à l’égard de M. Bourdeau. Il a écrit : [traduction] « toute omission de répondre aux attentes peut être attribuée au fait qu’il n’a pas fait l’objet d’une mesure d’adaptation […] À ce jour, l’ordinateur n’a pas été mis à niveau et il y a des conflits matériels et logiciels qui causent régulièrement des pannes de l’ordinateur. » [Onglet 7, RJ pages 50 et 51] Cette lettre, pour des raisons inconnues, n’a jamais été envoyée.

M. Pattee a témoigné qu’une évaluation de Santé Canada n’était pas nécessaire parce qu’il estimait que le fonctionnaire savait ce dont il avait besoin aux fins de l’adaptation, malgré le fait que M. Bourdeau demandait fréquemment des mesures d’adaptation supplémentaires qui n’ont pas été mises en œuvre. Malgré cela, M. Pattee ne savait pas que M. Railton avait rédigé cette lettre.

Mme Tinker a témoigné que non seulement elle n’avait pas demandé une évaluation de Santé Canada, mais qu’elle n’avait même pas non plus songé d’en demander une. Elle s’est décrite comme ayant [traduction] « plus d’expérience » que M. Railton, raison pour laquelle elle est devenue la superviseure de M. Bourdeau en janvier 2014, mais elle n’a toutefois pris aucune mesure pour évaluer ce qui se passait.

En effet, Mme Tinker, en contre-interrogatoire, était vague quant à sa compréhension de la déficience de M. Bourdeau. Elle a témoigné qu’elle ne connaissait pas [traduction] « la déficience exacte ». [Traduction] « Je savais qu’il y en avait une » et elle avait vu une note médicale qui mentionnait des difficultés de lecture. Il s’agit d’une façon assez sous-estimée de décrire la diplopie et laisse entendre qu’elle ne comprenait pas l’étendue de la déficience de M. Bourdeau.

Par exemple, lorsque M. Bourdeau a mentioné à Mme Tinker la fatigue oculaire en raison de son travail, elle ne lui a pas demandé de renseignements supplémentaires. Mme Tinker a mentionné cette fatigue oculaire dans une conversation avec M. Vulpe [onglet 60, RCD, page 241], en disant [traduction] « Richard prétend maintenant que sa vision se détériore »; Mme Tinker a également convenu qu’elle aurait vu le courriel de Paul Black, qu’elle avait reçu sous forme de copie conforme, où il mentionne que Richard lui a dit qu’il souffrait d’une fatigue oculaire. [Onglet 45, RCD, page 158] Rien dans la preuve ne permet d’établir que l’employeur a pris au sérieux ou a envisagé des mesures d’adaptation à cet égard. Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait mentionné sa fatigue oculaire à l’employeur et qu’il n’avait reçu aucun soutien. Les plaintes de fatigue oculaire d’un commissaire ayant une déficience visuelle importante devraient susciter des préoccupations, mais il semble que l’employeur n’y ait pas prêté attention.

M. Pattee a témoigné qu’il était d’accord avec ce qu’il avait écrit dans la réponse du deuxième palier au grief, qu’il était [traduction] « très sensible aux allégations de discrimination ». Il a reconnu en contre-interrogatoire que M. Bourdeau l’avait informé d’un gestionnaire des Services partagés qui ne voulait pas prendre de mesure d’adaptation à son égard. [Onglet 1, RJ, page 4] M. Pattee était vague sur les détails sur la façon exacte dont il a donné suite à cet égard. Même si M. Bourdeau ne travaillait plus à la CISR, elle devrait sans doute se préoccuper d’allégations de discrimination.

L’employeur invoque Leclair, où il a été conclu que l’employeur s’était raisonnablement efforcé de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire s’estimant lésé en fonction des renseignements médicaux et que ce dernier n’était pas disposé à envisager les options proposées. [134] Toutefois, dans la présente situation, l’employeur n’a demandé aucun renseignement médical pour clarifier sa compréhension de la déficience de M. Bourdeau et ce dernier était disposé à travailler avec l’employeur. Il n’a rejeté ni refusé aucune mesure d’adaptation.

De même, il invoque Georgoulas, une décision de la Cour fédérale, où la question consistait à savoir si l’employé était trop inflexible dans le processus d’adaptation. Il a cité Central Okanagan School District, où la CSC a écrit que l’employeur était le mieux placé pour déterminer la façon dont le plaignant pouvait faire l’objet d’une mesure d’adaptation. Mme Tinker n’a pas demandé à obtenir aucun autre renseignement ou des éclaircissements sur ce qu’était ou exigeait sa déficience. Comment cet employeur pourrait-il être le mieux placé pour examiner la façon dont une mesure d’adaptation pourrait être prise à l’égard du fonctionnaire lorsqu’il ne comprend même pas parfaitement la raison pour laquelle une mesure d’adaptation était nécessaire ou pour examiner la raison pour laquelle les mesures d’adaptation ne fonctionnaient pas?

Les mesures d’adaptation doivent être personnalisées et opportunes. [Panacci c Conseil du Trésor, 2011 CRTFP 2, au par. 99] Il a fallu quatorze mois (de novembre 2012 à janvier 2015) pour fournir à M. Bourdeau sa technologie, ce qui est inacceptable. M. Pattee a témoigné qu’il a fallu si longtemps parce qu’il s’agissait d’un ensemble complexe d’outils; mais les outils comme un nouveau scanneur ou un nouvel ordinateur sont-ils vraiment si complexes? A-t-il fallu aussi longtemps pour acquérir ces matériaux?

Dans Tanzos c. AZ Bus Tours Inc., 2007 TCDP 33, le membre a cité Meiorin en disant que « les aptitudes, les capacités et l’apport potentiel du plaignant et de ceux qui sont dans la même situation que lui doivent être respectés autant qu’il est possible de le faire ». [44]. Effectivement, les mesures d’adaptation prises à l’égard de M. Bourdeau vont au-delà de la simple acquisition de technologie et de logiciels, ce que l’employeur ne semblait pas reconnaître. M. Bourdeau devait savoir comment utiliser le logiciel. De l’équipement accessible est peu utile si le fonctionnaire ne sait pas comment l’utiliser.

Si le processus d’adaptation comporte un manquement au point où l’employé ne peut pas faire son travail, il ne s’agit pas d’une mesure d’adaptation.

Dans Kirby c. Conseil du Trésor, 2015 CRTEFP 41, l’arbitre de grief Shannon a conclu que l’employeur a l’obligation positive d’explorer toutes les options afin d’accommoder le fonctionnaire. [93] L’employeur ne l’a pas fait. Il n’a pas estimé que les mesures d’adaptation constituent une relation permanente; ce n’est pas un processus pro forma. Il s’agit d’un processus continu qui doit répondre à des besoins personnalisés. Ses mesures d’adaptation étaient toutes accompagnées d’un astérisque et M. Bourdeau a été traité comme quelqu’un qui était difficile, qui n’avait pas un poids égal, mais il n’a pas pu le faire. En effet, la Cour suprême a conclu ce qui suit :

En effet, l’obligation d’accommodement varie selon les caractéristiques de chaque entreprise, les besoins particuliers de chaque employé et les circonstances spécifiques dans lesquelles la décision doit être prise. Tout au long de la relation d’emploi, l’employeur doit s’efforcer d’accommoder l’employé. [Université McGill, au par. 22]

Si Mme Tinker, la personne directement responsable de M. Bourdeau, ne comprenait pas la nature de la déficience de M. Bourdeau, il est difficile de voir comment l’employeur pourrait répondre à ses besoins particuliers. L’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’a pas pris fin en février 2014 lorsque Mme Tinker a estimé qu’il [traduction] « avait fait l’objet d’une mesure d’adaptation »; la fixation de l’employeur sur l’indication d’une date précise à laquelle la mesure d’adaptation [traduction] « a lieu » est contraire à la compréhension selon laquelle l’obligation de prendre des mesures d’adaptation est un processus continu. Elle peut changer à mesure que les parties étudient la relation de travail pour déterminer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas pour l’employé. M. Bourdeau a témoigné qu’il avait dit à Mme Tinker qu’il avait [traduction] « fait l’objet d’une mesure d’adaptation pour l’instant » en février 2014, mais qu’il éprouvait des difficultés à naviguer le logiciel complexe qui était susceptible à bloquer. L’employeur ne semblait pas comprendre cela.

La discrimination peut souvent sembler subtile, ce que la CSC a qualifié de quelque chose qui « somme toute, constitue de la discrimination systémique […]. » [BCGSEU, au par. 29, à la page 17] Le processus d’adaptation n’est pas toujours facile, mais l’employeur n’était pas à court d’options. L’obligation de prendre des mesures d’adaptation exige que l’employeur prenne des mesures d’adaptation au point de subir une contrainte excessive. Il incombe à l’employeur d’établir qu’il ne pouvait pas prendre aucune autre mesure d’adaptation à l’égard de M. Bourdeau sans subir une contrainte excessive. [Panacci, par. 89] Ils n’ont pas établi cela. Le fait d’offrir à M. Bourdeau une formation sur les logiciels aurait-il constitué une contrainte excessive? L’affectation de deux assistants exclusivement à M. Bourdeau aurait-elle constitué une contrainte excessive?

Dans Nicol c. Conseil du Trésor, 2014 CRTEFP 03, l’arbitre de grief Howes a pris note du fait que l’employeur n’avait pas réussi à établir qu’il n’était pas en mesure de prendre des mesures d’adaptation à l’égard du fonctionnaire s’estimant lésé sans subir une contrainte excessive. [145] L’employeur n’a présenté aucun élément de preuve selon lequel la demande de mesures d’adaptation supplémentaires ou de rechange à l’égard de M. Bourdeau aurait constitué une contrainte excessive. Il n’a demandé aucune évaluation médicale, n’a offert aucune formation, n’a pas examiné ce qui pouvait être fait pour expliquer que les mesures d’adaptation fournies nécessitaient encore une longue préparation de la part de M. Bourdeau.

Dans Panacci, l’arbitre de grief Mackenzie a fait remarquer que, en plus du fait que l’employeur n’a pas procédé à une évaluation personnalisée des limitations de la fonctionnaire s’estimant lésée, « [l] » employeur n’a pas démontré, ainsi qu’il lui incombait de le faire, que la prise de mesures d’adaptation à l’endroit de la fonctionnaire dans son affectation ou à un poste similaire allait lui causer une contrainte excessive. » [99] En fait, M. Pattee a témoigné qu’il est resté activement informé au sujet des mesures d’adaptation prises à l’égard de M. Bourdeau, indiquant qu’il a assisté à des [traduction] « douzaines » de réunions. M. Pattee a également témoigné que l’investissement et la formation des commissaires n’étaient pas [traduction] « sans importance », totalisant un quart de million de dollars par commissaire et qu’il souhaitait que les décideurs réussissent. Pourtant, il ne savait pas que M. Bourdeau avait demandé une formation, mais qu’il ne l’avait pas reçue. Il ne savait pas que les deux assistants ne lui étaient pas exclusivement affectés et qu’ils étaient souvent occupés. L’évaluation de M. Pattee selon laquelle il n’y avait pas de discrimination repose sur une compréhension incomplète de la situation de M. Bourdeau.

[…]

 

[151] La réfutation du fonctionnaire portait sur la question du respect des délais, tel qu’il a été indiqué plus tôt dans la présente décision. Il n’a formulé aucun commentaire supplémentaire sur la lecture de la jurisprudence par l’employeur ni sur l’interprétation de la preuve.

[152] Le fonctionnaire a soutenu que l’employeur doit établir qu’il a pris des mesures d’adaptation jusqu’au point de subir une contrainte excessive. L’employeur a soutenu qu’il doit établir qu’il a fourni des mesures d’adaptation raisonnables. Selon l’argument de l’employeur, la « contrainte excessive » n’est pas une question parce qu’il n’a pas présenté un moyen de défense légal en vertu du par. 15(2) de la LCDP.

[153] En abordant le concept de contrainte excessive, je trouve utile de rappeler l’extrait suivant de Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43, au par. 14 :

[14] […] les mesures d’accommodement ont pour but de permettre à l’employé capable de travailler de le faire. En pratique, ceci signifie que l’employeur doit offrir des mesures d’accommodement qui, tout en n’imposant pas à ce dernier de contrainte excessive, permettront à l’employé concerné de fournir sa prestation de travail. L’obligation d’accommodement a pour objet d’empêcher que des personnes par ailleurs aptes ne soient injustement exclues, alors que les conditions de travail pourraient être adaptées sans créer de contrainte excessive.

 

[154] Dans l’affaire dont la Commission est saisie, il n’est pas nécessaire pour l’employeur de défendre le fait d’appliquer au fonctionnaire une norme, un facteur, une exigence ou une règle comme une exigence opérationnelle justifiée (EPJ). Un tel argument, qui découle du par. 15(2) de la LCDP, appliquerait le critère en trois volets énoncé dans Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3, au par. 54 (« Meiorin »). Ce critère n’est pas nécessaire dans le présent cas.

[155] Selon l’inférence qui sous-tend la position de l’employeur, étant donné que le cas ne comporte pas d’exception en vertu du par. 15(2) ou toute évaluation d’une EPJ, le concept de contrainte excessive n’entre pas en jeu. Tant que l’employeur peut établir qu’il a fourni des mesures d’adaptation raisonnables, il réussira à contrer la preuve prima facie du fonctionnaire.

[156] À l’appui de mesures d’adaptation raisonnables en tant que norme appropriée, l’employeur invoque Leclair, aux paragraphes 133 et 134, qui se lisent en partie comme suit :

133 L’employeur avait l’obligation de trouver une mesure d’adaptation raisonnable. Il connaît ses besoins, son milieu de travail et ses ressources (voir Renaud, à 994-95). […]

134 Bon nombre d’employés, comme le fonctionnaire, croient que la recherche d’une mesure d’adaptation constitue une carte blanche pour obtenir le poste de leur choix en raison de l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation jusqu’au point de la contrainte excessive à leur égard. Il s’agit d’une conception erronée; les employés n’ont pas droit à la mesure d’adaptation de leur choix. Ils ont droit à des mesures d’adaptation raisonnables qui permettent de répondre à leurs besoins déterminés. En l’espèce, l’employeur s’est efforcé à trouver une mesure d’adaptation raisonnable en fonction des renseignements médicaux qui lui ont été fournis. Le fonctionnaire n’était pas disposé à envisager les options qui lui ont été présentées et il a retardé le processus.

[La décision citée est Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970.]

 

[157] Je fais également remarquer le paragraphe 127 de la même décision, qui se lit comme suit :

127 Dans le cadre de ses démarches avec l’employeur, le point de mire du fonctionnaire était le poste de PEES. Même à l’audience, son point de mire était ce poste, même si son avocat a soutenu que le fonctionnaire ne cherchait pas y être nommé. Le fonctionnaire n’a pas le droit de choisir sa mesure d’adaptation. Il n’a pas non plus droit à une mesure d’adaptation immédiate ou parfaite, seulement à une mesure d’adaptation raisonnable […] En outre, la décision de l’employeur de ne pas le nommer au poste de PEES ne constituait pas une omission de prendre une mesure d’adaptation à l’égard du fonctionnaire. Si des mesures d’adaptation peuvent être mises en place sans occasionner une contrainte excessive, elles sont alors suffisantes pour permettre à l’employeur de s’acquitter de son obligation de prendre des mesures d’adaptation.

 

[158] La Commission et ses prédécesseurs ont adopté des mesures d’adaptation raisonnables comme la norme requise ailleurs, comme l’illustrent les cinq décisions récentes suivantes.

[159] Dans Taticek c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2015 CRTEFP 12, au par. 104, la CRTEFP a affirmé ce qui suit :

104 Un employeur faisant face à une preuve prima facie peut éviter une conclusion défavorable en déposant des éléments de preuve permettant de fournir une explication raisonnable qui démontre que ses actions n’étaient pas, en fait, discriminatoires, ou en établissant un moyen de défense prévu par la loi qui justifie la discrimination (A.B. v. Eazy Express Inc., 2014 TCDP 35, paragr. 13). […].

[Je mets en évidence]

 

[160] Dans Nash c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 4, au par. 102, la CRTEFP a conclu comme suit :

102 Ainsi, l’employeur a fourni une explication raisonnable démontrant qu’une mesure d’adaptation complète avait été prise à l’égard du fonctionnaire. Même si la mesure d’adaptation n’était pas parfaite, elle répondait aux limites du fonctionnaire et elle était raisonnable. Par conséquent, même si une preuve prima facie de discrimination avait été établie, l’employeur a fourni un moyen de défense valide. Les allégations du fonctionnaire selon lesquelles l’employeur a fait preuve de discrimination à son endroit n’ont donc pas été prouvées.

[Je mets en évidence]

 

[161] Dans Jones c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2017 CRTSPF 49, au par. 62, la Commission a déclaré ce qui suit : « Pour réfuter la preuve prima facie, l’intimé doit démontrer qu’il a raisonnablement accommodé le plaignant et, dans le cas contraire, que la mesure d’adaptation nécessaire constituait une contrainte excessive. [je mets en évidence] »

[162] A.B c. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 53, aux paragraphes 64, 67 et 68, énonce ce qui suit :

64 […] Un employeur qui doit répondre à une preuve prima facie de discrimination peut éviter une conclusion défavorable en présentant une explication raisonnable selon laquelle ses agissements n’étaient pas discriminatoires ou en invoquant un moyen de défense prévu par la loi qui justifie la discrimination (voir A.B. c. Eazy Express Inc., 2014 TCDP 35, au paragraphe 13).

[…]

67 Dans des cas comme celui-ci, un employeur peut répondre à un cas de discrimination prima facie et le réfuter en démontrant qu’il a offert des mesures d’adaptation raisonnables à l’employé ou que le fait de répondre aux besoins de l’employé aurait constitué une contrainte excessive (voir paragraphe 15(2) de la LCDP et Boivin c. le président de l’Agence des services frontaliers du Canada et al., 2017 CRTEFP 8, au paragraphe 59).

68 Aux termes de l’article 15 de la LCDP, un employeur peut répondre à un cas de discrimination prima facie et le réfuter en présentant une exigence professionnelle justifiée; cette analyse comprend de songer à mettre en place des mesures d’adaptation raisonnables jusqu’à ce qu’elles deviennent des contraintes excessives.

 

[163] Dans McCarthy c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 45, au par. 84, la Commission a conclu comme suit :

84 En réponse à une preuve prima facie, l’employeur peut démontrer que ses actes ne constituaient pas de la discrimination. En l’espèce, comme il a été mentionné plus haut, l’employeur fait valoir que le fonctionnaire n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination puisqu’il n’a subi aucune répercussion négative. Si la Commission conclut qu’il existe une preuve prima facie de discrimination, l’argument de l’employeur est alors qu’il a pris des mesures d’adaptation raisonnables à l’égard du fonctionnaire.

 

[164] J’estime que la jurisprudence ne permet pas de conclure que la contrainte excessive ne s’applique que lorsqu’un employeur invoque une exception prévue au par. 15(2) de la LCDP. Au contraire, les concepts de « contrainte excessive » et de « mesure d’adaptation raisonnable » sont des concepts liés dans l’analyse de la discrimination. Lorsque le par. 15(2) ne s’applique pas, il incombe à l’employeur de fournir des mesures d’adaptation raisonnables. Si les éléments de preuve révèlent qu’un employeur a pris des mesures d’adaptation raisonnables à l’égard d’un employé, l’employeur s’est défendu contre l’allégation de discrimination. En ce sens, la question de la contrainte excessive ne se pose pas nécessairement, du moins à l’origine.

[165] L’employeur, à mon avis, n’a pas de fardeau global dans tous les cas de discrimination alléguée d’établir qu’il a agi au point de subir une contrainte excessive. Néanmoins, un employeur peut soutenir, en premier lieu, qu’aller au-delà des mesures d’adaptation prises imposerait une contrainte excessive.

[166] Toutefois, l’employeur aborde sa défense, il est loisible à l’employé de faire valoir qu’une mesure d’adaptation n’était pas raisonnable parce que les mesures prises par l’employeur ne répondaient pas aux besoins de l’employé en matière d’adaptation ou qu’il y avait d’autres mesures que l’employeur aurait pu et aurait dû prendre. La défense de l’employeur, face à ce dernier argument, consiste à démontrer la raison pour laquelle les mesures supplémentaires n’étaient pas nécessaires dans les circonstances ou qu’elles n’auraient pas fourni les mesures d’adaptation requises ou que leur prise imposerait une contrainte excessive.

[167] La tâche principale consiste à examiner les faits. Le fardeau incombe à l’employeur. A-t-il fourni des éléments de preuve établissant, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle a fourni une mesure d’adaptation raisonnable à l’égard du fonctionnaire?

[168] Selon la jurisprudence, lorsqu’il cherche à s’acquitter de son fardeau, l’employeur n’a pas besoin de fournir une mesure d’adaptation instantanée, une mesure d’adaptation parfaite ou la mesure d’adaptation préférée de l’employé; voir Leclair, au par. 127, et Nash, au par. 102. Un employé est tenu de coopérer au processus d’adaptation et d’accepter des mesures d’adaptation raisonnables. Le processus d’adaptation comporte le compromis et la coopération; voir Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 RCS 970, p. 994 et 995, cité comme suit dans Georgoulas c. Canada (Procureur général), 2018 CF 652, aux paragraphes 160 et 161 :

[160] La jurisprudence est catégorique : l’obligation d’adaptation exige que chaque partie fasse sa part, et la personne qui présente de tels besoins ne peut pas dicter la nature des mesures qui seront mises en place. Les deux parties doivent être prêtes à faire des compromis pour pallier les contraintes et les limitations. […]

[161] Dans l’arrêt Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 RCS 970, 1992 CanLII 81 [Renaud], la Cour suprême du Canada examine la question de l’obligation d’adaptation, et se demande notamment si l’employé s’est montré trop intransigeant tout au long du processus. La Cour explique qu’il s’agit d’un processus qui suppose que l’employé fasse des compromis et soit prêt à coopérer. Elle affirme aux pages 994 et 995 :

La recherche d’un compromis fait intervenir plusieurs parties. Outre l’employeur et le syndicat, le plaignant a également l’obligation d’aider à en arriver à un compromis convenable. […]

[…]

Cela ne signifie pas qu’en plus de porter à l’attention de l’employeur les faits relatifs à la discrimination, le plaignant est tenu de proposer une solution. Bien que le plaignant puisse être en mesure de faire des suggestions, l’employeur est celui qui est le mieux placé pour déterminer la façon dont il est possible de composer avec le plaignant sans s’ingérer indûment dans l’exploitation de son entreprise. Lorsque l’employeur fait une proposition qui est raisonnable et qui, si elle était mise en œuvre, remplirait l’obligation d’accommodement, le plaignant est tenu d’en faciliter la mise en œuvre. Si l’omission du plaignant de prendre des mesures raisonnables est à l’origine de l’échec de la proposition, la plainte sera rejetée. L’autre aspect de cette obligation est le devoir d’accepter une mesure d’accommodement raisonnable. C’est cet aspect que le juge McIntyre a mentionné dans l’arrêt O’Malley. Le plaignant ne peut pas s’attendre à une solution parfaite. Si une proposition qui serait raisonnable compte tenu de toutes les circonstances est refusée, l’employeur est libéré de son obligation.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

[169] Les arguments écrits des parties portant sur l’appréciation de la preuve sont relativement denses. J’ai examiné tous les points soulevés par les deux parties et les éléments de preuve sous-jacents, mais j’ai été particulièrement influencé par les considérations abordées dans les paragraphes suivants.

[170] Les éléments de preuve indiquent que l’employeur, agissant sur demande du fonctionnaire ou de sa propre initiative, a pris un nombre important de mesures d’adaptation, notamment :

1) il a acheté une imprimante et un scanneur spécialisés;

2) il lui a fourni un nouvel ordinateur portatif;

3) il lui a fourni des moniteurs grands, y compris un deuxième moniteur fourni dans les trois heures suivant sa demande;

4) il a acheté des logiciels spécialisés, dont JAWS, Dragon Dictate et OMNIScan;

5) il lui a fourni des fournitures de bureau ergonomiques;

6) il a fourni un lecteur audio pour qu’il puisse écouter les audiences;

7) il lui a fourni un recyclage individuel par le personnel juridique;

8) il a affecté les assistants pour l’aider à la numérisation;

9) il lui a donné à maintes reprises du temps de congé du calendrier d’audience, afin qu’il puisse combler le retard dans ses décisions;

10) il lui a fourni une mentore;

11) cela lui a donné du temps supplémentaire pour régler les problèmes d’équipement.

 

[171] Il existe des éléments de preuve indéniables selon lesquels certains achats d’équipement ou de logiciels ont pris du temps, parfois des mois, et que la fonctionnalité de certains équipements était parfois moins qu’idéale, causant des retards et contribuant au stress et à l’anxiété du fonctionnaire. Certes, il avait des raisons de se plaindre et de maintenir à certains moments qu’il n’avait pas encore fait l’objet de mesures d’adaptation complètes.

[172] D’autre part, il y a également une preuve considérable selon laquelle l’employeur a répondu de manière positive à la plupart des demandes du fonctionnaire, parfois assez rapidement, qu’il a confirmé un certain nombre de fois que ses demandes ont été satisfaites et que les mesures prises par l’employeur ont fourni les mesures d’adaptation requises. Dans son témoignage, par exemple, il a indiqué ce qui suit :

1) il a convenu en avril 2013 qu’il avait reçu ce dont il avait besoin pour faire le travail;

2) il a confirmé qu’il avait reçu des documents en double interligne, sous forme électronique, tel que demandé;

3) il a confirmé qu’en décembre 2013, il avait reçu un nouveau scanneur et imprimante et, au cours de la même période, un ordinateur portatif plus puissant, tel que demandé;

4) il a confirmé qu’il avait reçu JAWS [traduction] « avant » décembre 2013;

5) il a supposé que M. Railton avait donné suite à ses demandes d’équipement mis à niveau;

6) il a convenu que les problèmes liés au logiciel OMNIScan étaient résolus;

7) il a confirmé avoir reçu en janvier 2014 un nouveau moniteur qui [traduction] « semblait régler le problème »;

8) il a convenu qu’il avait reçu un deuxième moniteur en septembre 2014 le même jour qu’il a présenté la demande;

9) il a confirmé dans un courriel de janvier 2014 à Mme Tinker qu’il avait [traduction] « […] reçu tout l’équipement nécessaire pour répondre à [ses] besoins en matière d’adaptation »;

10) il a confirmé qu’une réduction de sa charge de travail à deux cas par semaine constituait une mesure d’adaptation et qu’il n’avait pas assumé la charge de travail complète avant juin 2014;

11) il a convenu que l’employeur avait approuvé sa demande de travailler à domicile.

 

[173] En ce qui a trait à l’énoncé par courriel de janvier 2014 selon lequel il avait [traduction] « […] reçu tout l’équipement nécessaire pour répondre à [ses] besoins en matière d’adaptation », il faut noter que le fonctionnaire a également témoigné qu’il n’était pas d’accord que son équipement fonctionnait correctement et qu’il y avait encore des [traduction] « bogues » dans le fonctionnement du logiciel. Il a ensuite témoigné qu’il ne pouvait pas accepter une proposition selon laquelle des mesures d’adaptation avaient été prises pour répondre entièrement à ses besoins.

[174] Mme Tinker a résumé une réunion avec le fonctionnaire le 3 février 2014, dans un courriel, rédigé en partie comme suit :

[Traduction]

Le présent courriel a pour but de confirmer notre réunion aujourd’hui. Vous avez convenu que votre période de stage commencera le 17 février 2014 afin de vous donner la chance de vous assurer que tout votre équipement fonctionne correctement. Je vous ai indiqué que Karin Michnick a communiqué avec Jean Francois Lecelle pour s’assurer que vous communiquez avec lui si vous éprouvez des problèmes et qu’il s’assurera que quelqu’un vous aide dès que possible. Vous avez fait de grands progrès en rédigeant vos motifs en suspens, ce qui est une bonne nouvelle […].

 

[175] À moins que Mme Tinker n’ait fait entièrement une fausse déclaration de sa conversation avec le fonctionnaire à la réunion du 3 février 2014, pour laquelle il n’y a pas de preuve convaincante, il est difficile de comprendre la raison pour laquelle il accepterait de commencer sa période de stage s’il estimait qu’il n’avait pas fait l’objet d’une mesure d’adaptation. Il aurait certainement déclaré à Mme Tinker lors de la réunion qu’il n’avait pas encore fait l’objet d’une mesure d’adaptation complète, si tel était le cas. Il semble plus probable qu’il lui ait dit qu’il y avait encore des [traduction] « bogues » persistant qui devaient être réglés, et non que la mesure d’adaptation était insuffisante. Les éléments de preuve confirmant que Mme Tinker a retardé de deux semaines le début de sa période de stage afin de lui permettre, avec l’aide de la TI, de régler les bogues permettent d’étayer cette interprétation de la réunion. Elle est étayée davantage par le témoignage du fonctionnaire selon lequel il y a eu une [traduction] « grande amélioration » après février 2014, au moins pendant un certain temps.

[176] En plus des éléments de preuve selon lesquels l’employeur a répondu de manière positive aux demandes de mesures d’adaptation, Mme Tinker a témoigné qu’elle avait demandé tout l’équipement que le fonctionnaire avait indiqué nécessaire. Elle a chargé la TI de fournir l’équipement nécessaire et de vérifier qu’il fonctionnait correctement. Elle a déclaré qu’elle avait fait des vérifications, à maintes reprises, auprès de la TI au sujet des mesures d’adaptation. Elle a fait remarquer dans son compte rendu d’une réunion tenue le 18 mars 2014 avec la mentore du fonctionnaire que [traduction] « les choses fonctionnaient bien avec son équipement », ce qui laisse entendre une confirmation par un observateur indépendant que la mesure d’adaptation fournie était fonctionnelle. En avril 2014, elle a reçu une confirmation que la TI accordait une haute priorité aux appels du fonctionnaire.

[177] Cela étaye davantage le témoignage de M. Pattee. Il a fait part de son expérience au cours d’une visite dans le bureau de Toronto lorsqu’un fonctionnaire [traduction] « exubérant » lui a demandé d’entrer dans son bureau, il était heureux de lui montrer son installation informatique élaborée et il lui a dit qu’il serait en mesure de faire le travail avec le matériel et les logiciels qui lui avaient été fournis. M. Pattee a également indiqué qu’il avait été informé [traduction] « des dizaines ou des centaines de fois » des mesures d’adaptation prises pour aider le fonctionnaire. Il a témoigné qu’il avait rappelé à la TI, à maintes reprises, que l’adaptation du fonctionnaire constituait une priorité élevée.

[178] Mme Tinker a également témoigné qu’elle avait retiré le fonctionnaire du calendrier d’audience à maintes reprises pour qu’il rattrape la rédaction de ses décisions. En contre-interrogatoire, il a reconnu qu’on lui avait accordé du temps à cette fin.

[179] L’image tirée par les éléments de preuve susmentionnés et par d’autres témoignages est celle d’un employeur qui, en grande partie du moins, a donné suite aux demandes de mesures d’adaptation du fonctionnaire, l’a écouté et a traité les mesures d’adaptation comme une priorité et comme un processus de consultation continu. Les mesures d’adaptation n’ont pas toujours été prises rapidement et n’ont pas toujours fonctionné immédiatement comme prévu. Il y a eu des problèmes, mais on a demandé à la TI à maintes reprises d’accorder une priorité élevée à ses demandes de mesures d’adaptation afin de l’aider lorsqu’il éprouvait des problèmes.

[180] Évidemment, le fonctionnaire ne souscrit pas à cette description. Il a présenté une série d’arguments qui contestaient l’engagement de l’employeur à l’égard de la prise de mesures d’adaptation et en alléguant qu’il ne lui avait pas fourni ce dont il avait besoin pour réussir dans son travail.

[181] Le fonctionnaire cite Panacci c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2011 CRTFP 2, au par. 86, afin d’invoquer la proposition selon laquelle l’employeur était tenu de demander tous les renseignements médicaux pertinents sur sa déficience. Il fait valoir que l’employeur a omis de le faire, invoquant le fait qu’il n’a pas poursuivi l’EAT envisagée par M. Railton. L’employeur fait valoir en réponse qu’il n’existe aucun droit procédural à la prise de mesure d’adaptation qui impose une procédure particulière à l’employeur; voir Canada (Procureur général) c. Duval, 2019 CAF 290 (« Duval »), au par. 25.

[182] Duval l’emporte dans le présent cas. Mais, peut-être plus précisément, la prépondérance de la preuve indique que le fonctionnaire a fait savoir à l’employeur dès le début la nature précise de son état de santé et qu’après cela, il a clairement indiqué à l’employeur les mesures d’adaptation nécessaires pour régler son problème de diplopie.

[183] Même s’il est vrai que, comme l’a soutenu le fonctionnaire, Mme Tinker ne connaissait pas parfaitement son état, les éléments de preuve n’établissent pas, à ma satisfaction, que ce fait l’a empêchée de donner suite à ses demandes de mesures d’adaptation. En ce qui a trait à une EAT, Mme Tinker a témoigné qu’on ne lui avait jamais proposé d’en obtenir une. Même si le fonctionnaire avait envisagé la possibilité d’une mesure d’adaptation avec elle, ce qu’il n’a apparemment pas fait, la direction avait le droit de déterminer quelles mesures d’adaptation étaient nécessaires et conformes à son fonctionnement, à condition que la mesure d’adaptation globale soit raisonnable.

[184] La détermination de ne pas procéder à une EAT était-elle déraisonnable? En l’absence d’éléments de preuve clairs sur ce qui est exactement devenu de la EAT après que M. Railton ait rédigé la lettre de demande, il est difficile de faire un jugement confiant. Toutefois, je ne trouve pas déraisonnable que M. Pattee doive exprimer l’opinion qu’il n’était pas nécessaire d’avoir une EAT en se fondant sur la preuve selon laquelle le fonctionnaire a fait connaître la nature de sa déficience dès le départ et qu’il a systématiquement et particulièrement déterminé les mesures d’adaptation dont il avait besoin.

[185] Le fonctionnaire fait valoir que l’employeur n’a jamais pris au sérieux la question connexe liée à sa fatigue oculaire et qu’il n’a pris aucune mesure aux fins de son adaptation. Voici les éléments de preuve de base sur ce point :

  • 1) le fonctionnaire a témoigné qu’il avait éprouvé une fatigue oculaire et qu’il l’avait mentionné à l’employeur à maintes reprises;

  • 2) Mme Tinker a déclaré qu’il n’avait proposé aucune autre mesure pour traiter la fatigue oculaire;

  • 3) l’employeur n’a pas agi pour déterminer et présenter une mesure d’adaptation particulière aux fins de la fatigue oculaire.

[186] L’expérience du fonctionnaire concernant la fatigue oculaire n’était pas nouvelle, comme l’a révélé son témoignage au sujet des difficultés à se recentrer et de l’épuisement qui en découlait pendant sa période de travail de pratique privée. Avec cette expérience, on se demande pourquoi il n’a rien proposé d’autre pour régler le problème de la fatigue oculaire. Certes, les éléments de preuve ne révèlent aucune hésitation de sa part à déterminer d’autres exigences en matière d’adaptation. Cela dit, comme il est indiqué dans Renaud, le fonctionnaire n’était pas tenu de déterminer une mesure d’adaptation particulière pour régler le problème de la fatigue oculaire.

[187] À mon avis, l’argument du fonctionnaire sous-tend l’inférence que l’employeur était tenu de répondre à ses commentaires portant sur la fatigue oculaire en déterminant et en mettant en œuvre une réponse unique en matière de mesures d’adaptation. Le fait que l’employeur ne l’a pas fait établit une omission de prendre des mesures d’adaptation. Je pourrais accepter cette proposition si j’étais convaincu que la fatigue oculaire du fonctionnaire était en quelque sorte un problème distinct de son état sous-jacent de la diplopie. Je ne crois pas que les éléments de preuve, dans l’ensemble, appuient une telle conclusion. Sa fatigue oculaire faisait partie intégrante des malheureux défis auxquels il est confronté en regardant et manipulant des documents, tous causés par sa déficience visuelle sous-jacente.

[188] Dans cette mesure, il n’est pas approprié de juger isolément la réponse de l’employeur à la fatigue oculaire du fonctionnaire. Au contraire, il faut tenir compte des éléments de preuve plus généraux concernant son accord de fournir l’équipement et les logiciels qu’il a demandés pour l’aider à lire les documents lorsqu’il évalue sa réponse à ses instances de fatigue oculaire. Le fait que l’employeur ait modifié sa charge de travail n’est pas non plus négligeable. Dans l’ensemble, je ne conclus pas que la preuve relative à la fatigue oculaire détourne d’autres éléments de preuve que l’employeur a fourni des mesures d’adaptation raisonnables aux fins de la déficience visuelle du fonctionnaire.

[189] Le fonctionnaire soutient que l’employeur n’a pas reconnu que la mesure d’adaptation allait au-delà de l’acquisition de technologie et de logiciels pour lui. Il devait aussi savoir comment utiliser les logiciels. Sa preuve directe sur la question de la formation était quelque peu limitée. Il a déclaré lors en interrogatoire principal que, même s’il disposait des outils, il n’a pas suivi une formation adéquate. Le seul exemple précis fourni concernait JAWS, qu’il a décrit comme très compliqué, permettant de conclure qu’il connaissait les bases, mais ne pouvait pas les manipuler adéquatement sans formation professionnelle.

[190] Dans son interrogatoire principal, Mme Tinker a contesté l’allégation du fonctionnaire selon laquelle il avait demandé, mais n’avait reçu aucune formation. Elle a indiqué qu’il lui avait dit qu’il avait travaillé avec l’équipement en question à la maison, même s’il n’est pas clair si sa référence à l’[traduction] « équipement » inclut des logiciels comme JAWS.

[191] En contre-interrogatoire, Mme Tinker a convenu que certains des logiciels requis par la fonctionnaire, y compris JAWS, étaient sophistiqués et que des gens comme elle ne sauraient pas comment les utiliser. Elle a convenu en outre que le fonctionnaire avait demandé une formation dans son courriel du 31 janvier 2014, et elle a concédé qu’elle ne savait pas s’il l’avait reçue, affirmant que la TI était chargée du suivi. Ailleurs dans son témoignage, Mme Tinker a reconnu que, pour elle, une mesure d’adaptation complète signifiait que la technologie fonctionnait. Lorsqu’elle a été interrogée au sujet d’autres formes de mesures d’adaptation, elle a répondu [traduction] « C’est tout ce qu’il a demandé. »

[192] Je trouve que le témoignage de Mme Tinker sur la question de la formation est quelque peu non convaincant. Il s’agit, à mon avis, d’un seul élément de preuve qui remet potentiellement en question le caractère raisonnable des actions de l’employeur.

[193] Le fonctionnaire critique M. Pattee pour son témoignage prétendument vague sur le suivi de l’allégation du fonctionnaire selon laquelle un gestionnaire de Services partagés Canada ne voulait pas prendre des mesures d’adaptation. Toutefois, le fonctionnaire a admis qu’il ne pouvait se rappeler s’il avait signalé le problème à la direction. Il a témoigné qu’il avait appris [traduction] « plus tard » du personnel de la TI non identifié au sujet du gestionnaire de la TI. Le manque de précision dans le témoignage du fonctionnaire – à quel point plus tard et exactement de qui – et son caractère probable de ouï-dire minent considérablement son poids.

[194] À l’encontre du témoignage du fonctionnaire, il y a la déclaration non contredite de M. Pattee selon laquelle il a pris connaissance du rapport sur le gestionnaire de la TI uniquement à l’audition du grief au deuxième palier en mars 2015, après le licenciement du fonctionnaire. Étant donné que le fonctionnaire n’a pas établi de lacunes dans la mesure de suivi de M. Pattee à l’égard du gestionnaire de la TI au cours de la période précédant le dépôt de son grief, cet argument doit être écarté.

[195] Le fonctionnaire allègue qu’il a été traité comme étant difficile. Je fais remarquer l’avis par courriel de M. Leger à Mme Tinker de [traduction] « garder le calme » dans ses rapports avec la fonctionnaire. La référence est curieuse, mais n’est pas étayée. Mme Tinker a nié que sa relation avec le fonctionnaire était tendue. Le fonctionnaire n’a pas fourni d’éléments de preuve fiables pour contredire son témoignage. Au contraire, il a qualifié sa relation avec elle de [traduction] « rien d’extraordinaire ». Il a mentionné qu’il ne souscrivait pas à sa directive de porter une cravate dans le milieu de travail, mais un tel désaccord constitue de loin une indication fiable selon laquelle il a été traité comme un employé difficile.

[196] D’autres éléments de preuve laissent entendre que l’employeur a parfois jugé nécessaire de conseiller le fonctionnaire de modifier son comportement, comme lorsque Mme Tinker lui a indiqué qu’il devrait être plus proactif dans sa communication avec la TI afin de cerner les problèmes et de surveiller l’état d’avancement de ses décisions. Encore une fois, la nécessité de fournir des conseils ne permet pas d’établir que le fonctionnaire était nécessairement difficile et qu’il a été traité comme tel.

[197] Le fonctionnaire laisse entendre que l’employeur était [traduction] « obsédé » à déterminer une date précise à laquelle les mesures d’adaptation ont été prises. Il a soutenu que sa prétendue obsession indique qu’il n’a pas compris que les mesures d’adaptation constituent un processus continu.

[198] J’accepte que le fonctionnaire ait pu être déçu par des demandes répétées de renseignements sur l’état de son adaptation. (Je fais remarquer qu’à l’audience, il n’a présenté aucun argument portant sur le harcèlement malgré deux références au harcèlement dans le grief initial.) Toutefois, les éléments de preuve révèlent une raison crédible pour les demandes de renseignements de l’employeur; c’est-à-dire son désir de ne pas commencer la période de stage du fonctionnaire avant de juger qu’une, pour reprendre ses mots [traduction] « mesure d’adaptation complète » était en place.

[199] Le fait de lui demander périodiquement s’il a fait l’objet d’une mesure d’adaptation peut également être considéré de façon crédible comme faisant partie d’un effort continu visant à surveiller l’efficacité des mesures d’adaptation. Les éléments de preuve indiquent que Mme Tinker a communiqué à maintes reprises avec la TI et avec le fonctionnaire au sujet de plusieurs éléments d’adaptation, qu’elle a discuté des progrès de l’adaptation avec sa mentore et qu’elle a mobilisé un consultant pour l’aider à comprendre ses besoins en matière d’adaptation. Ces éléments de preuve n’étayent pas l’accusation selon laquelle elle n’a pas compris les mesures d’adaptation comme un processus continu. Quant à l’affirmation du fonctionnaire selon laquelle l’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’a pas pris fin en février 2014 lorsque Mme Tinker a jugé qu’il avait fait l’objet d’une mesure d’adaptation, la proposition en soi est évidente, mais je n’ai trouvé aucun élément de preuve convaincant selon lequel les efforts raisonnables en matière d’adaptation ont pris fin après février 2014.

[200] En plus de l’accusation selon laquelle l’employeur ne comprenait pas la nature continue de ses responsabilités en matière d’adaptation, je me reporte encore une fois au témoignage incontesté de M. Pattee selon lequel il a été informé [traduction] « des dizaines ou des centaines de fois » de l’adaptation du fonctionnaire, y compris lors de réunions bilatérales avec Mme Michnick et Mme Tinker et de discussions avec ses conseillers en relations de travail. Son témoignage au sujet de l’accent qu’il a mis à maintes reprises auprès de la TI qu’une priorité élevée devrait être accordée au règlement des questions soulevées par le fonctionnaire laisse également entendre que l’adaptation du fonctionnaire constituait une préoccupation pour l’employeur tout au long de son mandat à la CISRC.

[201] Tel que cela a été indiqué, la jurisprudence énonce qu’un employé doit collaborer à des mesures d’adaptation et accepter une mesure d’adaptation raisonnable. Il n’y a aucun élément de preuve substantiel dans le présent cas pour laisser entendre que le fonctionnaire a échoué à cet égard. Néanmoins, les éléments de preuve selon lesquels il n’a pas utilisé les assistants qui lui ont été affectés par Mme Tinker pour l’aider à numériser les documents sont quelque peu troublants. Il a déclaré qu’il ne les utilisait pas parce qu’ils n’étaient pas toujours à sa disposition, et il a soutenu qu’on ne lui avait pas donné le temps de les former sur l’utilisation du scanneur. Mme Tinker a répondu qu’elle ne savait pas que les assistants n’étaient pas souvent disponibles, comme il est allégué, mais qu’elle se rappelait que le fonctionnaire lui avait dit qu’il ne les avait jamais utilisés. Elle a réfuté la proposition selon laquelle les assistants n’avaient pas suivi une formation sur l’utilisation du scanneur.

[202] Je ne peux pas régler en toute confiance les témoignages contradictoires portant sur la disponibilité des assistants ou sur leur formation adéquate. Il n’existe absolument aucune preuve tangible. Toutefois, dans l’ensemble, il semble probable que le fonctionnaire ait choisi de ne pas les utiliser parce qu’il ne pouvait pas accéder à leurs services quand il le voulait. En ce sens, la mesure d’adaptation n’était pas parfaite à ses yeux, mais encore une fois, selon la jurisprudence, la perfection n’est pas la norme applicable.

[203] Dans son dernier argument, le fonctionnaire demande : [traduction] « L’affectation de deux assistants exclusivement à M. Bourdeau aurait-elle constitué une contrainte excessive? » À mon avis, une contrainte excessive n’est pas en litige dans la présente affaire. La véritable question consiste à savoir ce qui était raisonnablement nécessaire sur le plan opérationnel pour permettre au fonctionnaire de faire son travail. Selon ce point de vue, la proposition selon laquelle les deux assistants auraient dû être exclusivement à sa disposition en tout temps n’est tout simplement pas logique. Leur contribution à son adaptation consistait à l’aider en numérisant des documents. Rien dans la preuve ne permet de laisser entendre que la numérisation des documents constituait une exigence constante à temps plein ou une éventualité qui pouvait survenir à tout moment, exigeant un acte immédiat.

[204] Le fonctionnaire aurait dû comprendre que les assistants ne sont peut-être pas disponibles en tout temps, que l’employeur avait le droit de leur attribuer d’autres fonctions et qu’il aurait dû être prêt à adapter son travail dans une certaine mesure pour tenir compte de leur disponibilité.

[205] Dans son argumentation, le fonctionnaire a également demandé pourquoi il a fallu si longtemps à l’employeur – [traduction] « quatorze mois (de novembre 2012 à janvier 2015) » – pour fournir des outils tels qu’un scanneur et un nouvel ordinateur, contestant l’idée que les outils étaient « complexes ». La période de novembre 2012 à janvier 2015 n’est évidemment pas une période de 14 mois. Vraisemblablement, le fonctionnaire voulait dire une date antérieure.

[206] Les éléments de preuve déjà examinés ont permis d’établir que l’employeur avait commandé un nouveau scanneur et imprimante et d’autres mesures d’adaptation en décembre 2013. Le fonctionnaire a convenu que l’employeur avait agi de manière à obtenir un ordinateur portatif plus puissant au cours de la même période et a déclaré qu’il avait reçu JAWS [traduction] « plus tôt ». En janvier 2014, le fonctionnaire avait confirmé dans un courriel à Mme Tinker qu’il avait [traduction] « […] reçu tout l’équipement nécessaire pour répondre à [ses] besoins en matière d’adaptation ». M. Pattee a témoigné au sujet de l’[traduction] « exubérance » du fonctionnaire quant à son installation informatique élaborée et sa confirmation qu’il serait en mesure de faire le travail avec le matériel et les logiciels qui lui ont été fournis – réactions survenues lors d’une visite au bureau de Toronto pendant la première année du programme; c’est-à-dire dans les 12 mois suivant décembre 2012.

[207] La période de 14 mois était-elle trop longue? Dans un monde parfait, peut-être, l’employeur aurait dû régler plus tôt tous les problèmes d’équipement et de logiciel que le fonctionnaire avait éprouvés. Toutefois, je ne suis pas convaincu que la preuve démontre avec certitude qu’une période de 14 mois était déraisonnable.

[208] Les mesures d’adaptation constituaient un processus évolutif au cours des premiers mois du fonctionnaire à la CISRC. Différentes questions sont survenues au moment où il a commencé à faire le travail. Les exigences n’ont pas toutes été déterminées en même temps, mais lorsqu’il les a cernées, l’employeur a souvent pris des mesures relativement rapides. Encore une fois, j’estime qu’il est important que l’employeur comprenne qu’il ne pouvait pas amorcer la période de stage du fonctionnaire avant de croire que des mesures d’adaptation raisonnables étaient en place et qu’il était prêt à prendre le temps nécessaire pour atteindre ce point.

[209] En ce qui concerne la proposition du fonctionnaire selon laquelle les outils requis pour les mesures d’adaptation n’étaient pas vraiment [traduction] « complexes », je souligne que, par exemple, il a témoigné que JAWS est très compliqué. Il a également indiqué à maintes reprises qu’il y avait des [traduction] « bogues » dans l’équipement et des logiciels qui devaient être traités, et qui nécessitaient parfois une aide spécialisée en TI. Qu’elles soient complexes ou non, les questions en matière d’adaptation qu’il a soulevées et auxquelles l’employeur a dû faire face étaient, à tout le moins, nouvelles au travail de la CISRC. Il n’est pas déraisonnable qu’il ait fallu du temps pour déterminer et mettre en œuvre des solutions. Même alors, les outils devaient parfois être retravaillés ou remplacés, ce qui nécessitait aussi du temps.

[210] Vus dans leur intégralité et dans l’ensemble, je conclus que les éléments de preuve démontrent que l’employeur a fourni des mesures d’adaptation raisonnables au fonctionnaire. Les mesures d’adaptation n’étaient pas parfaites et n’étaient pas toujours opportunes. Il existait certainement des [traduction] « bogues » en cours de route à l’égard du matériel et des logiciels, mais de tels problèmes ne signaleraient une omission en matière d’adaptation que si elles n’étaient ni abordées ni réglées.

[211] À mon avis, selon la prépondérance de la preuve, l’employeur a agi raisonnablement en réponse aux problèmes cernés par le fonctionnaire. De plus, je n’accepte pas qu’il n’ait pas compris que les mesures d’adaptation constituent un processus continu et coopératif. La prépondérance de la preuve quant à ce qui s’est produit entre l’embauche du fonctionnaire en novembre 2012 à février 2014 indique un effort récurrent pour comprendre ce dont il avait besoin et pour répondre à ces besoins.

[212] Il existait des lacunes, comme dans le traitement de la demande de formation du fonctionnaire concernant l’utilisation de JAWS, mais je conclus que les lacunes étaient exceptionnelles. Elles ne me dissuadent pas de conclure que l’employeur a offert une explication raisonnable et non discriminatoire de ses actes, compte tenu de la prépondérance de la preuve.

[213] Pour les motifs énoncés, je conclus que le grief devrait être rejeté.

[214] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[215] Le grief est rejeté.

Le 16 avril 2021.

Traduction de la CRTESPF

Dan Butler,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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