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Date: 20210520

Dossier: 566‑02‑14395

 

Référence: 2021 CRTESPF 55

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

LYNDSEY MCMULLIN

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

Conseil du Trésor

(Service correctionnel du Canada)

 

employeur

Répertorié

McMullin c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Augustus Richardson, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Quentin Phaneuf, avocat

Pour l’employeur : Chris Hutchison, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence,

les 3, 4 et 10 décembre 2020.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Introduction

[1] Le grief dont je suis saisi porte sur une demande de mesures d’adaptation fondée sur la situation familiale présentée par Lyndsey McMullin, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), en novembre 2016. Elle était une agente correctionnelle (poste classifié au groupe et au niveau CX‑02) à l’Établissement Nova pour femmes (« Nova ») à Truro, en Nouvelle‑Écosse. Au moment de sa demande, elle travaillait des quarts de jours ou de nuits de 12 heures, par rotation selon une liste « 2‑3‑3‑2 » (travail deux jours, repos trois jours, travail trois jours, repos deux jours). Son conjoint, un ingénieur en entretien des aéronefs employé par WestJet, travaillait également des quarts de 12 heures, mais selon une liste de quarts « 5‑4‑4‑5 ». Les deux horaires comprenaient des quarts de jour ou de nuit pendant la semaine et la fin de semaine.

[2] La fonctionnaire était en congé de maternité depuis un an après la naissance de sa fille en septembre 2013. Elle est retournée au travail en septembre 2014 selon un horaire à temps partiel de 20 (puis 30) heures par semaine en vertu d’une entente conclue aux termes de la clause 45.08 de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor (l’« employeur ») et l’Union of Canadian Correctional Officers–Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (le « syndicat ») pour le groupe Services correctionnels (tous les employés), qui est venue à échéance le 31 mai 2018 (la « convention collective »). L’entente à temps partiel a pris fin et elle est revenue à son horaire à temps plein en août 2016. Elle a eu du mal à trouver des services de garde d’enfants pour les jours ou les nuits où, selon son horaire de travail et celui de son conjoint, ils travaillaient tous les deux. Elle a demandé une mesure d’adaptation. Elle a offert à l’employeur deux options qui répondraient à ses besoins. Il lui a offert deux options différentes, dont elle n’a accepté aucune. Par conséquent, elle a déposé le présent grief, le 10 février 2017, dans lequel elle a allégué qu’elle avait été victime de harcèlement et de discrimination de la part de l’employeur fondée sur sa situation familiale, en violation de la clause 37.01 de la convention collective.

[3] Les questions à trancher comprennent la question de savoir si la fonctionnaire a établi une preuve prima facie de discrimination; dans l’affirmative, si l’employeur a réfuté l’allégation de discrimination. Dans le présent cas, il faudra déterminer si l’employeur a offert une mesure d’adaptation raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances.

II. L’audience et la preuve

[4] À l’audience, j’ai entendu le témoignage de la fonctionnaire. Les parties ont déposé un recueil conjoint de documents (pièce JB). Quelques autres documents ont également été déposés à titre de pièces au cours de l’audience.

[5] Au nom de l’employeur, j’ai entendu le témoignage de Sean Cole, un employé de 25 ans qui a travaillé à Nova pendant 20 ans. À l’audience, il était un gestionnaire correctionnel au bureau des opérations. Ses responsabilités comprenaient la gestion du personnel sur les listes de postes, l’examen des mesures d’adaptation et les dossiers de retour au travail, ainsi que de veiller à ce que tous les quarts soient couverts. Il n’avait aucun rôle à jouer en ce qui concerne la demande de mesures d’adaptation de la fonctionnaire ou les offres de mesures d’adaptation de l’employeur. Son témoignage était axé sur le système de liste de poste en vigueur à Nova.

III. Les faits

[6] Avant de procéder, il est nécessaire de dire quelque chose au sujet du système de liste de postes utilisé par l’employeur, du moins en ce qui concerne les employés qui travaillent des quarts de 12 heures. Chaque employé a soumis un échéancier proposé, qui a été examiné par son superviseur et, s’il était approuvé, a été intégré au « Système des horaires de travail et du déploiement » (SHD) de l’employeur. La SHD a ensuite rempli des horaires de postes pour les employés en fonction de leur ancienneté et de leur préférence de poste ou de leur choix. La rotation des jours de travail et de repos (c’est‑à‑dire le nombre de jours de travail suivis du nombre de jours de repos) a été établie pour chaque établissement géré par l’employeur. Par exemple, au cours de la période pertinente, Nova suivait une rotation 2‑3‑3‑2. L’Établissement de Springhill à proximité à Amherst, en Nouvelle‑Écosse, exerçait ses activités selon une attribution de 5‑4‑4‑5. Toute rotation particulière devait être approuvée par le siège social de l’employeur. Apparemment, Nova avait déjà demandé d’être attribué une rotation de 5‑4‑4‑5, mais cette demande avait été refusée.

[7] M. Cole a témoigné qu’à l’heure actuelle, 108 agents correctionnels travaillent à Nova, dont 79 sont des postes hiérarchiques. La plupart travaillaient par quarts de 12 heures. Une fois que le SHD a généré une liste de postes, les postes pouvaient être réaffectées, mais il fallait veiller à ce que les jours de repos ne soient pas modifiés, à ce qu’un avis de changement soit donné et à ce que le déplacement d’un employé ne crée pas de poste vacant dans le ministère ou la division auquel l’employé avait été affecté. L’heure de début normale était 7 h. Un ou deux postes dans les divisions administratives ou de décharge avaient des heures de travail de 8 h à 16 h. La difficulté relative à ces postes, étant donné l’heure de début normale de 7 h, était l’heure non couverte le matin. Mais certains employés travaillaient ces heures. Les autres divisions, comme la sécurité, où la fonctionnaire travaillait, avaient des heures de début régulières de 6 h 45.

[8] En ce qui concerne la fonctionnaire, au cours de la période qui a suivi son retour au travail en septembre 2014, elle a partagé un poste avec une collègue. Le fait de travailler à temps partiel signifiait qu’elle était rémunérée à titre d’employée à temps partiel, conformément aux dispositions de la convention collective. Cela signifiait à son tour qu’elle a touché une rémunération réduite et que son temps ouvrant droit à pension a été touché. Toutefois, cela signifiait également qu’elle pouvait déplacer les postes figurant à la liste qui lui avaient été attribués lorsqu’ils étaient en conflit avec son horaire de services de garde d’enfants. Pour ce faire, elle communiquait avec Kenny Goulet, qui était alors directeur adjoint, Opérations, qui essayait de déplacer son poste pour remplir les postes qui devenaient disponibles. La fonctionnaire a témoigné que la capacité de la déplacer à un autre poste à ces occasions constituait un avantage pour l’employeur, car il pouvait éviter de payer des heures supplémentaires à un employé de remplacement. À un moment donné, elle a augmenté ses heures à temps partiel, passant de 20 à 30 heures.

[9] Pendant cette période, le conjoint de la fonctionnaire, un ingénieur en entretien des aéronefs, travaillait pour Air Transat. Son horaire de travail était irrégulier et l’emmenait souvent hors de la province pendant certaines périodes. Même si le témoignage de la fonctionnaire a été un peu flou sur ce point, il semble également qu’elle a recouru aux services d’un fournisseur local de services de garde d’enfants, Andrea Gaudet, pour fournir des services de garde d’enfants pendant trois à cinq jours par semaine, du lundi au vendredi. Elle a aussi reçu de l’aide de ses parents, qui vivaient à environ deux heures de route.

[10] Le 27 juin 2016, la fonctionnaire a été informée qu’on [traduction] « mettait fin à » son horaire de semaine réduite de travail du 9 avril 2015 au 5 septembre 2018 [traduction] « pour des raisons opérationnelles ». Elle devait revenir à ses heures à plein temps de 40 heures par semaine à compter du 1er août 2016 (pièce JB, onglet 6).

[11] Le retour à une liste de postes à temps plein de 2‑3‑3‑2 posait des problèmes à la fonctionnaire. Tel que cela a déjà été mentionné, l’horaire de son conjoint était erratique, ce qui signifiait qu’il était difficile pour eux de prévoir quel parent devrait être disponible pour s’occuper de leur fille. Pendant une certaine période, la fonctionnaire et son conjoint ont assumé la garde d’enfant en utilisant des congés ou des congés annuels ou, en se fiant à ses parents ou à la famille de son conjoint (qui pourraient venir par avion de Terre‑Neuve). Je suis également convaincu par le témoignage de la fonctionnaire selon lequel, pendant cette période (et peut‑être même lorsqu’elle travaillait à temps partiel), elle a eu recours aux services de Mme Gaudet pour fournir des services de garde d’enfants de trois à cinq jours par semaine de 7 h 30 à 17 h. Environ un an plus tôt, la fonctionnaire avait demandé des renseignements d’un autre fournisseur de services de garde d’enfants (« Sharleen ») quant à savoir si elle pouvait fournir des services de 12 heures. Sharleen a répondu qu’elle ne pouvait pas parce que 12 heures étaient trop longues, surtout parce qu’elle avait ses propres enfants dont elle devait s’occuper (pièce JB, onglet 1, page 1).

[12] Au début de novembre 2016, la fonctionnaire a déterminé qu’il n’était plus possible pour elle d’équilibrer son désir d’être une bonne travailleuse travaillant des quarts de 12 heures avec sa responsabilité d’assurer la sécurité de sa fille. Le 8 novembre 2016, elle a envoyé un courriel à M. Goulet, en envoyant une copie conforme à Sherry MacKinnon, la gestionnaire correctionnelle, planification et déploiement à l’époque. (La fonctionnaire a témoigné qu’à cette date, M. Goulet s’absentait beaucoup de Nova, car il suivait une formation et était essentiellement en voie vers un nouveau poste, ailleurs.) Dans son courriel, la fonctionnaire a déclaré que les changements récents apportés à l’horaire des postes l’avaient laissée sans autre choix que de demander une mesure d’adaptation en raison de sa situation familiale. Elle a expliqué que son conjoint travaillait également par poste, que sa liste ne correspondait pas à la sienne et qu’en conséquence, il y avait environ sept ou huit postes par mois pour lesquels ils devaient travailler tous les deux. Par conséquent, ils n’étaient pas en mesure de trouver des services de garde d’enfants pendant 12 heures le jour et la nuit (pièce JB, onglet 18).

[13] Mme MacKinnon a répondu le même jour. Elle a demandé à la fonctionnaire si elle envisageait des heures à temps partiel dans le cadre de la mesure d’adaptation demandée. La fonctionnaire a répondu le même jour, affirmant qu’elle ne demandait pas [traduction] « des heures réduites et [qu’elle] souhait[ait] travailler toutes ses 40 heures par semaine » (pièce JB, onglet 18).

[14] La fonctionnaire a ensuite envoyé un courriel à Mme MacKinnon le 9 novembre 2016 pour lui demander une liste de documents et de renseignements dont l’employeur avait besoin pour évaluer sa demande de mesure d’adaptation au motif de sa situation familiale (pièce JB, onglet 8). Mme MacKinnon a répondu quelques heures plus tard. Elle a indiqué que, pour établir une obligation de prendre des mesures d’adaptation au motif de sa situation familiale, la fonctionnaire devait fournir les pièces justificatives suivantes :

[Traduction]

[…]

- Une obligation parentale légale : Garde légale d’un enfant (Preuve de l’âge de vos enfants (c.‑à‑d. une copie du certificat de naissance)

- Une obligation légale : L’obligation de garde d’enfants de l’employé doit mettre en jeu ses responsabilités légales envers l’enfant, plutôt que d’être simplement un choix familial personnel. L’horaire de votre partenaire ou ex‑partenaire – si vous ne l’avez pas fourni, la confirmation des heures de travail (du lundi au vendredi, huit heures, heures variables, etc.) et une copie des ordonnances judiciaires ou des ententes de garde, s’il y a lieu.

- Efforts raisonnables : L’employé doit démontrer qu’il a fait des efforts raisonnables pour respecter et équilibrer les obligations en matière de garde d’enfants et de milieu de travail au moyen de solutions de rechange raisonnables, y compris les fournisseurs de services de garde d’enfants, la famille et d’autres sources possibles d’aide, et doit être en mesure de démontrer qu’aucune solution de ce genre n’était facilement accessible. Deux lettres de fournisseurs de services de garde des enfants et vous devez démontrer que la famille (les deux côtés) et d’autres sources possibles n’étaient pas facilement accessibles.

- Entrave réelle : Il faut démontrer que les règles attaquées régissant le milieu de travail (dans le présent cas, l’horaire de travail) entravent d’une manière plus que négligeable ou insignifiante sa capacité de s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

A. La demande officielle de mesure d’adaptation de la fonctionnaire s’estimant lésée présentée le 11 novembre 2016

[15] La fonctionnaire a déposé sa demande officielle et les documents à l’appui des mesures d’adaptation au motif de sa situation familiale le 11 novembre 2016. Elle a indiqué ce qui suit : [traduction] « Plus particulièrement, je ne suis pas en mesure de trouver des services de garde d’enfants pour couvrir les heures de travail que je suis actuellement tenue de travailler » (pièce JB, onglet 9). Dans son format, la demande suivait la structure énoncée dans le courriel de Mme MacKinnon.

[16] En premier lieu, elle (et son conjoint) avaient la garde légale de leur enfant de trois ans.

[17] En deuxième lieu, elle et son conjoint travaillaient des quarts qui n’étaient pas toujours complémentaires, ce qui signifie qu’il y avait environ sept quarts de 12 heures par mois dont les deux devaient travailler.

[18] En troisième lieu, elle s’était efforcée depuis sa grossesse de trouver des services de garde d’enfants raisonnables, mais elle a constaté que, localement, personne n’était prêt à s’occuper de son enfant le soir, la nuit ou les fins de semaine. Elle a joint deux lettres de fournisseurs locaux de services de garde [traduction] « refusant [sa] demande d’adaptation en fonction des divers horaires [de son conjoint et les siens] ». L’employeur a refusé sa demande de partage de travail. Elle avait envisagé d’embaucher une bonne d’enfants (nationale ou internationale), mais aucune de ces approches ne s’était avérée convenable. Ses parents vivaient à deux heures de route et n’étaient pas en mesure de fournir des services de garde d’enfants à temps plein. La famille de son conjoint vivait à Terre‑Neuve et était parfois venue aider, mais il ne s’agissait pas d’une option cohérente ou fiable à long terme.

[19] En quatrième lieu, et faisant référence à l’exigence d’une [traduction] « entrave réelle », elle a expliqué que sa liste de postes actuelle faisait en sorte qu’il y avait sept ou plus quarts par mois au cours desquels elle a mentionné que ce qui suit s’applique : « […] je ne suis pas en mesure de m’acquitter de mon obligation légale de prendre soin de mon enfant de manière appropriée » (pièce JB, onglet 9).

[20] Elle a conclu sa demande officielle en déclarant qu’elle attendait avec impatience de discuter de ses options et qu’elle serait heureuse de fournir tout autre document qui pourrait être demandé.

[21] Les documents que la fonctionnaire a acheminés avec sa demande semblent n’avoir inclus que trois éléments. Le premier était le certificat de naissance de sa fille. La deuxième était une note non datée de Mme Gaudet, qui a déclaré, en partie (pièce JB, onglet 4), [traduction] « Lindsey [sic] Thorne m’a demandé de prendre des mesures d’adaptation à son égard relativement aux services de garde d’enfants pour des quarts de 13 et de 16 heures. Je ne suis pas en mesure de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de ces heures. J’ai une famille moi‑même et mes heures sont de 7 h 30 à 17 h du lundi au vendredi. »

[22] Le troisième semble être une chaîne de textos entre la fonctionnaire et Sharleen. Le dernier texto est du 9 novembre (qui, d’après la preuve, j’estime être en 2016) et se lit comme suit (pièce JB, onglet 1, page 2) :

[Traduction]

Bonjour Sharleen! Nous essayons toujours de régler les problèmes de services de garde d’enfants relatifs à nos horaires de travail. J’ai besoin d’une preuve que j’ai demandé aux services de garde d’enfants locaux de prendre soin [de sa fille] pendant des quarts de 13 heures. Vous n’offrez toujours pas ce service, n’est‑ce pas?

Ummm, non…des quarts de 13 heures sont beaucoup trop longs pour moi. Désolé.

[23] Un peu plus d’une semaine plus tard, le 21 novembre, la fonctionnaire a acheminé une copie de la liste de postes WestJet de son conjoint à compter de janvier 2017. Elle a indiqué qu’elle avait l’intention de l’inclure dans sa demande officielle du 11 novembre. Elle a ajouté que son horaire était [traduction] « semblable à une liste 5‑4‑4‑5 » (pièce JB, onglet 10).

[24] Je fais remarquer que le conjoint de la fonctionnaire avait changé d’employeur et avait commencé à travailler pour WestJet. En novembre 2016, il était parti pour suivre une formation, mais à compter de janvier 2017, il devait travailler à l’aéroport de Halifax, en Nouvelle‑Écosse, pour des quarts de 12 heures selon une liste de postes de 5‑4‑4‑5. La liste de postes de WestJet a été générée automatiquement et était fixe et sûre pour une longue période à l’avenir. À l’avenir, la fonctionnaire et son conjoint pourraient déterminer les quarts auxquels on s’attendait à ce qu’ils travaillent tous les deux, ce qui signifie qu’ils pourraient déterminer à l’avance les jours ou les nuits où une forme quelconque de garde d’enfants serait nécessaire. Si Nova avait une liste de postes 5‑4‑4‑5, la fonctionnaire et son conjoint auraient pu prendre des dispositions pour des postes de travail en rotation, de sorte que n’importe quel jour ou poste donné, l’un d’eux aurait pu s’occuper de leur fille. Toutefois, la difficulté était que son horaire de postes 5‑4‑4‑5 ne correspondait pas à l’horaire de postes 2‑3‑3‑2 à Nova, ce qui signifiait qu’ils devaient travailler tous les deux de six à huit jours par mois. Il créait donc la nécessité qu’une autre personne fournisse des services de garde d’enfants.

B. Réponse de l’employeur : la réunion du 24 décembre

[25] Le 24 décembre 2016, la fonctionnaire et Tammy Wile, qui était alors la directrice adjointe, Opérations, par intérim, ont tenu une réunion pour discuter de la demande de mesures d’adaptation de la fonctionnaire. Il y a deux versions de ce qui a été discuté. L’une d’elles a été consignée par Mme Wile dans un courriel du 24 décembre et dans une note de service du 25 janvier 2017 (pièce JB, onglets 11 et 12). L’autre a été consignée par la fonctionnaire dans une note de service du 7 février 2017 (pièce JB, onglet 13), à l’égard de laquelle elle a témoigné à l’audience.

[26] Dans son témoignage, la fonctionnaire a contesté comme inexacts ou trompeurs certains des éléments de ce que Mme Wile avait consignés au sujet de ce qui avait été dit à la réunion. Toutefois, il est clair dans les deux versions que ce qui suit s’est produit.

[27] D’abord, Mme Wile a posé quelques questions à la fonctionnaire au sujet de sa recherche de services de garde d’enfants convenables pour répondre à ses besoins en tant que travailleuse par poste de 12 heures. Elle a également posé des questions au sujet de l’ampleur de la recherche de bonnes d’enfants effectuée par la fonctionnaire, ce qui laisse entendre qu’elle était inadéquate et que des bonnes d’enfants étaient disponibles.

[28] En deuxième lieu, ils ont discuté des deux propositions de la fonctionnaire quant à la façon dont l’employeur pourrait répondre à ses besoins en matière de garde d’enfants, compte tenu de sa liste de postes de 12 heures.

[29] La première proposition demandait à l’employeur d’inscrire la fonctionnaire sur une liste de postes 5‑4‑4‑5 semblable à celle déjà utilisée à l’Établissement Springhill et d’harmoniser cette liste avec la liste de postes 5‑4‑4‑5 fixe de son conjoint. Cela permettrait de s’assurer qu’un parent soit toujours disponible pour assurer la garde de leur fille. Cela signifiait également que la fonctionnaire pouvait continuer à travailler selon son horaire de quarts de 12 heures par jour, 40 heures par semaine, y compris les quarts de décalage et les fins de semaine.

[30] La deuxième proposition demandait à l’employeur de conserver l’horaire 2‑3‑3‑2 de Nova de la fonctionnaire, mais de l’autoriser à réorganiser les six à huit quarts par mois dont elle et son conjoint devaient tous les deux travailler, selon leurs horaires. Encore une fois, cela permettrait à la fonctionnaire de travailler selon un horaire qui comprend les quarts de décalage et les fins de semaine. Elle a fait valoir que l’avantage pour l’employeur serait qu’elle travaillerait en contrepartie d’une rémunération d’heures normales plutôt qu’au taux de salaire majoré qui seraient par ailleurs payables pour de tels quarts.

[31] Je fais remarquer que dans sa note de service du 7 février 2017, la fonctionnaire a écrit qu’en fait, elle avait présenté les deux propositions à l’employeur le 23 novembre (pièce JB, onglet 13, page 26).

[32] À la réunion du 24 décembre, Mme Wile a dit à la fonctionnaire qu’elle avait préparé une liste de fournisseurs de services de garde d’enfants locaux qu’elle avait trouvés en ligne et dans les petites annonces dans le site Web de Kijiji, ainsi qu’une liste de services de bonnes d’enfants. Elle a indiqué qu’elle en avait trouvé au moins un qui assurerait la garde des enfants jusqu’à 19 h 15 sur demande et que si la demande de la fonctionnaire était acceptée, elle aurait peut‑être envisagé de travailler du lundi au vendredi.

[33] Le 29 décembre, Mme Wile a envoyé par courriel à la fonctionnaire la liste des fournisseurs de services de garde d’enfants et de bonnes d’enfants qu’elle avait trouvés (pièce JB, onglet 2, page 3). Mme Wile a indiqué qu’un, Near to Me Daycare, [traduction] « [e]st ouvert jusqu’à 19 h 15 sur demande (ouvre à 6 h 15) ». La fonctionnaire a témoigné qu’après avoir reçu la liste, elle a téléphoné aux fournisseurs de services de garde d’enfants figurant à la liste. Voici ses notes concernant Near to Me :

[Traduction]

Quarts de jour seulement une famille, quatre nuits par semaine.

De 6 h 15 à 17 h 30 de 6 h 15 à 19 h 15

Aucun jour férié

[34] La fonctionnaire a témoigné que les heures normales de services de garde d’enfants de Near to Me étaient de 7 h à 17 h 30, mais que trois places étaient disponibles pour emmener un enfant plus tôt et pour le ramasser plus tard. Une était déjà réservée pour quatre nuits par semaine, mais les deux autres places étaient disponibles à ce moment‑là. Elle a ajouté que Near to Me voulait savoir le plus tôt possible si elle voulait avoir l’une de ces places.

C. La réunion de mesures d’adaptation du 12 janvier 2017

[35] Mme Wile, la fonctionnaire, Mme MacKinnon, Ashley Rowe (la coordonnatrice des griefs du syndicat local) et Amy Logan (la représentante syndicale de la « Condition féminine régionale ») se sont rencontrées le 12 janvier 2017 en vue de discuter de la demande de mesures d’adaptation de la fonctionnaire. Encore une fois, il y a deux versions de ce qui a été discuté. La version de Mme Wile figure dans sa note de service du 25 janvier 2017 (pièce JB, onglet 12, pages 24 et 25). L’autre version est celle de la fonctionnaire qui figure dans sa note de service du 7 février 2017 et dans son témoignage (pièce JB, onglet 13). Et, encore une fois, même si la fonctionnaire estimait qu’une partie de la version de Mme Wile contenait des déclarations inexactes, il existe un chevauchement important entre les deux versions.

[36] À la lumière de ces éléments de preuve, je suis convaincu que la fonctionnaire a présenté de nouveau ses deux options quant à la façon dont l’employeur pourrait répondre à ses besoins en matière de garde d’enfants en tant que travailleuse par poste de 12 heures figurant à une liste de postes réguliers (c’est‑à‑dire, un qui comprenait des quarts de décalage et des fins de semaine). Ils ont également discuté des services fournis par les organismes locaux de garde d’enfants et des services de bonnes d’enfants et s’ils pouvaient répondre en toute sécurité aux besoins des travailleurs par poste de 12 heures figurant à la liste de postes régulière de Nova.

[37] Je dois affirmer que je suis convaincu que, pendant la réunion, la fonctionnaire a déclaré qu’elle avait communiqué avec Near to Me et qu’elle savait qu’elle pouvait fournir des services de garde d’enfants jusqu’à 19 h 15. Je suis parvenu à cette conclusion parce que dans la note de service de Mme Wile du 25 janvier 2017, elle a déclaré que la fonctionnaire avait confirmé qu’elle avait communiqué avec une garderie qui [traduction] « […] offre des services de garde d’enfants jusqu’à 19 h 15 » (pièce JB, onglet 12, page 24). La fonctionnaire n’a pas contesté cette déclaration dans sa note de service du 7 février 2017, même si elle a contesté en détail 16 autres déclarations figurant dans la note de service de Mme Wile.

D. L’offre de mesure d’adaptation de l’employeur du 25 janvier 2017

[38] Le 25 janvier 2017, Mme Wile a envoyé à la fonctionnaire la proposition de mesure d’adaptation de l’employeur. Il s’agissait d’une note de service de trois pages, à simple interligne. La grande partie (environ deux pages et demie) exposait la version de Mme Wile de la mesure d’adaptation demandée par la fonctionnaire, les motifs de la demande de la fonctionnaire et l’historique de la correspondance et des réunions entre les deux fonctionnaires au sujet de la façon dont les besoins en adaptation de la fonctionnaire pourraient être satisfaits. Mme Wile a expliqué que la demande de mesure d’adaptation de la fonctionnaire avait été acceptée, comme suit :

[Traduction]

 

[…]

Votre demande de mesure d’adaptation a été approuvée à titre temporaire pour une durée de quatre mois. Par conséquent, vous travaillerez du lundi au vendredi de 6 h 45 à 14 h 45 afin de vous acquitter de vos obligations de proche aidant et de travail. Veuillez noter que votre horaire peut changer pour inclure toutes les heures entre 6 h 45 et 19 h du lundi au vendredi, c’est‑à‑dire lorsqu’il y a une garantie de service de garde d’enfants autorisé dans la zone locale, avec un préavis de 14 jours, veuillez donc planifier en conséquence.

[…]

 

[39] Mme Wile a poursuivi en expliquant comme suit la façon dont l’employeur est parvenu à cette mesure d’adaptation proposée :

[Traduction]

 

[…]

Il a été déterminé qu’il s’agit de la mesure d’adaptation la « plus convenable » compte tenu des circonstances et des préoccupations que vous avez soulevées au cours du processus d’évaluation. Vous reconnaissez dans vos documents originaux que vous ne pouvez plus travailler selon votre horaire de travail variable, vous reconnaissez plusieurs ressources disponibles pour la garde d’enfants, mais vous avez déterminé qu’elles ne sont pas fiables ou qu’elles ne conviennent pas, et vous avez exprimé votre préoccupation quant au fait que votre enfant se trouve dans un milieu qui n’a pas été jugé sécuritaire pour un enfant. Vous avez exprimé une préoccupation selon laquelle les services de garde d’enfants ne constituent pas une option convenable si vous continuez à travailler par poste parce qu’ils ne sont pas ouverts les jours fériés et qu’il se peut qu’il n’y ait aucun service de garde d’enfants à votre disposition.

[…]

Un horaire du lundi au vendredi, selon lequel vos heures de travail ont lieu pendant les périodes où une garderie autorisée offre des services, atténue à toutes les préoccupations et à tous les problèmes énumérés ci‑dessus. Le gouvernement provincial a déterminé que ces installations constituent un endroit sécuritaire pour un enfant. Les services de garde d’enfants sont toujours fiables et disponibles (p. ex. si un employé est malade lorsque les services de garde des enfants sont encore disponibles.) Le problème concernant les jours fériés est réglé parce que vous serez disponibles pour vous acquitter de vos obligations légales de prendre soin de votre enfant. Si l’horaire de votre conjoint continue de changer, comme il l’est actuellement, il n’y aura aucune incidence sur votre obligation légale liée à la garde d’enfants.

[…]

 

[40] Mme Wile n’a pas répondu clairement à la première mesure d’adaptation proposée par la fonctionnaire, soit travailler selon un horaire de travail contraire à celui de son conjoint. Toutefois, ses commentaires dans la proposition indiquent qu’elle a compris que l’horaire du conjoint n’était pas fixe et que, quoi qu’il en soit, il travaillait ou travaillerait ou pourrait travailler à l’extérieur de la province de temps à autre (pièce JB, onglet 12, page 25). En ce qui concerne la deuxième option, Mme Wile a simplement fait remarquer que la fonctionnaire pouvait [traduction] « […] choisir d’envisager une mutation à l’Établissement Springhill » (pièce JB, onglet 12, page 25).

[41] Mme Wile a conclu à l’aide de la note de mise en garde suivante (pièce JB, onglet 12) :

[Traduction]

[…]

Il est important de noter que l’on s’attend à ce que vous continuiez d’étudier toutes les options viables afin que vous puissiez revenir à une liste ou à un horaire régulier. Au cours de l’examen de votre mesure d’adaptation dans quatre mois, vous devrez fournir des renseignements sur la question et les mesures que vous avez prises et prévoyez prendre, pour régler le problème.

[…]

Vous avez jusqu’au 1er février 2017 pour répondre à la question de savoir si vous acceptez ou non cette offre de mesure d’adaptation. Si vous ne répondez pas ou si vous choisissez de refuser l’offre, vous resterez assujettie à votre horaire actuel.

[…]

 

[42] Il convient de noter que la proposition de l’employeur s’inscrivait dans les limites des services indiqués être disponibles à Near to Me.

E. La réponse de la fonctionnaire s’estimant lésée et rejet de l’offre de l’employeur le 7 février 2017

[43] La fonctionnaire a répondu à l’offre le 7 février dans un courriel de sept pages et demie, à simple interligne, adressé [traduction] « À qui de droit ».

[44] Les deux premières pages exposent sa version de l’historique de ses discussions et de ses communications avec Mme Wile en ce qui concerne la demande de mesures d’adaptation. Elle a fait référence à l’évaluation et à la proposition de Mme Wile du 25 janvier. Elle la décrit comme suit : [traduction] « […] selon les diverses hypothèses formulées par l’auteur qui a présenté ces renseignements comme un fait, appuyant son désir apparent de m’accueillir selon un horaire autre que celui que j’avais demandé. » Elle a contesté ce qu’elle a dit être la proposition de Mme Wile selon laquelle la fonctionnaire souhaitait éviter le coût des services de garde d’enfants ou qu’elle était trop difficile quant à qui pourrait offrir ces services. Elle a cité Miraka v. A.C.D. Wholesale Meats Ltd., 2016 HRTO 41, selon laquelle il était déraisonnable de s’attendre à ce qu’une employée trouve des services de garde d’enfants sur Internet à l’aide d’un site comme Kijiji. Elle a ensuite procédé à une interprétation critique minutieuse de la proposition de Mme Wile, indiquant [traduction] « […] pas moins de 16 phrases qui étaient fausses ou mal représentées » (pièce JB, onglet 13).

[45] Tout cela sous‑tend la décision de la fonctionnaire de refuser la mesure d’adaptation offerte. Son explication mérite d’être citée en détail, comme suit (pièces U2 et JB, onglet 13) :

[Traduction]

[…]

La jurisprudence récente concernant la question des mesures d’adaptation relatives à la situation familiale exige que, si l’employé établit un besoin légitime de mesure d’adaptation, l’employeur doit répondre de bonne foi. De plus, lorsqu’il refuse une demande de mesures d’adaptation, il devrait exister une exigence professionnelle justifiée qui empêche l’employeur d’approuver la mesure d’adaptation et une contrainte excessive doit être prouvée. On s’attend à ce que l’employeur subisse une certaine contrainte; et non l’employé. L’objet même d’une mesure d’adaptation est d’éliminer les obstacles qui peuvent exister pour les employés qui sont visés par l’un des domaines interdits par la Charte des droits de la personne. Les tribunaux des droits de la personne ont récemment examiné la question de l’imposition de sanctions pécuniaires, de modifier les horaires et de traitement différent.

Mme Wile n’a fourni aucune explication quant à la raison pour laquelle les deux options que j’ai demandées ont été refusées. Son rapport de trois pages ne définissait aucune contrainte excessive. Sa détermination de la mesure la « plus convenable », qui est fondée sur ses hypothèses personnelles et ses idées préconçues, m’oblige à subir une sanction pécuniaire, car je ne serais plus admissible aux heures supplémentaires, à la rémunération d’heures supplémentaires ou un congé compensatoire, ou à une prime de poste. Cela peut s’élever annuellement à 8 000 $, sans heures supplémentaires excessives. De plus, les difficultés que ma fille de trois subirait sont mesurables en ce qu’elle devra changer de garderie et que ses heures régulières de sommeil de 19 h à 7 h seront compromises à la discrétion de l’employeur. De nombreuses études ont été effectuées sur les effets négatifs des enfants qui ont des tendances de sommeil incohérentes ou qui souffrent d’une privation de sommeil.

[…]

[46] Dans son témoignage, la fonctionnaire a expliqué que la mesure d’adaptation proposée par l’employeur de travailler du lundi au vendredi n’aurait pas fonctionné pour elle. Les heures proposées n’étaient pas stables et pouvaient être modifiées. De plus, ces heures ne correspondaient pas aux heures de services de garde à sa disposition. En outre, elle se préoccupait des signes de stress qu’elle a dit avoir constaté chez sa fille. Elle a dit que sa fille hésitait à quitter ses côtés et qu’elle souffrait d’anxiété liée à la séparation. Son médecin de famille aurait apparemment recommandé que sa fille demeure à la garderie avec Mme Gaudet. Toutefois, dans son témoignage, la fonctionnaire a confirmé que la raison fondamentale pour laquelle la proposition de l’employeur n’était pas acceptable était qu’elle ne pouvait trouver de garderies correspondant aux heures variables qui y sont indiquées.

[47] La fonctionnaire s’est également plainte que l’employeur n’avait pas expliqué la raison pour laquelle ses deux options proposées – travailler selon une rotation 5‑4‑4‑5 de l’Établissement Springhill ou poursuivre la pratique de réaffectation des postes lorsqu’elle et son conjoint travaillaient le même poste – n’étaient pas acceptables comme mesures d’adaptation.

[48] Je fais remarquer la plainte dans la réponse de la fonctionnaire du 7 février selon laquelle la proposition de l’employeur signifierait qu’elle ne serait plus admissible aux heures supplémentaires, à la prime de poste ou au travail de fin de semaine, ce qui pourrait représenter une perte pour elle de l’ordre de 8 000 $ par année. Elle a ajouté qu’elle avait [traduction] « […] demandé de travailler selon une liste contraire à celle de [son] conjoint, de sorte qu’elle soit toujours disponible à travailler les jours fériés, les heures supplémentaires, les quarts de décalage et les fins de semaine » (pièce JB, onglet 13, page 33). Toutefois, lorsqu’elle a été interrogée au sujet de ce poste en contre‑interrogatoire, elle a soutenu qu’en fait, elle n’avait jamais été réellement préoccupée par l’argent. Au contraire, ce qu’elle et le syndicat souhaitaient savoir était la justification de l’offre de l’employeur et la raison pour laquelle il n’a pas accepté sa proposition en particulier, surtout lorsqu’une (de son avis et de celui du syndicat) proposition qui comprenait ses quarts de travail constituerait un avantage pour l’employeur. Elle a déclaré : [traduction] « Pour moi, il s’agit de savoir pourquoi cela est l’offre et pourquoi aucune explication quant à la raison pour laquelle mes options n’étaient pas réalisables. »

[49] La fonctionnaire a reconnu en contre‑interrogatoire et en réponse aux questions que j’ai posées que l’offre modifiée de l’employeur aurait été conforme aux contraintes de temps des espaces spéciaux qui avaient été offerts par Near to Me en novembre 2016. Elle a témoigné que lorsqu’elle a appelé la garderie à un moment donné après avoir reçu la première réponse de l’employeur, elle a appris que ces places avaient été comblées et qu’elles n’étaient plus disponibles. En contre‑interrogatoire, elle a ajouté qu’à ce moment‑là, elle était tellement frustrée par le processus qu’elle n’avait pas informé l’employeur que les places n’étaient plus disponibles. Elle a déclaré : [traduction] « Lorsque j’ai été refusée, je ne pouvais plus continuer. »

F. Le grief du 10 février 2017

[50] La fonctionnaire a déposé le grief dont je suis saisi le 10 février 2017. Dans ce grief, elle se plaignait d’avoir été victime de harcèlement (une allégation qu’elle a ensuite abandonnée en septembre 2017 (pièce JB, onglet 19)) et de discrimination fondée sur sa situation familiale (pièce JB, dossier de grief, onglet 1).

[51] La fonctionnaire a témoigné qu’elle avait déposé le grief parce qu’elle estimait que son intégrité avait été mise en question parce que les renseignements qu’elle avait fournis avaient été négligés ou mal représentés. Elle estimait qu’on l’obligeait à choisir entre sa fierté d’être une bonne travailleuse et son devoir et sa fierté d’être une bonne mère. Elle remettait en question l’objectivité de Mme Wile et souhaitait qu’une autre personne examine sa demande de mesure d’adaptation.

G. L’offre modifiée de mesure d’adaptation de l’employeur du 24 février 2017

[52] Le 24 février 2017, Mme Wile a proposé une modification à la proposition du 25 janvier, comme suit (pièce JB, onglet 14) :

[Traduction]

[…]

[…] Vous avez déclaré que l’offre dans sa forme actuelle laisse vos heures à la discrétion de l’employeur, puisqu’il a été déclaré que l’horaire comporterait des heures de travail entre 6 h 45 et 19 h, avec un préavis approprié pour les modifications apportées à l’horaire. Selon vos commentaires, il est reconnu que cela peut vous causer des difficultés et nous tenons donc à vous présenter un horaire plus stable aux fins de planification et de stabilité. Si vous le souhaitez, nous vous proposons du lundi au vendredi de 6 h 45 à 14 h 45 ou de 7 h à 15 h. Sachez que la direction a examiné les options relatives à l’horaire que vous avez présentées, mais qu’à ce moment, un horaire du lundi au vendredi correspond le mieux aux besoins opérationnels de l’établissement et correspond aux paramètres de vos besoins en matière de garde des enfants. Après que l’offre vous a été faite, vous avez révélé que votre fille est déjà en garderie plusieurs jours par semaine, de sorte que cette option crée des changements minimes dans votre situation concernant la garderie.

Vous avez également mentionné que cela aurait une incidence sur votre capacité de faire des heures supplémentaires. Votre situation particulière ne porte que sur vos heures de travail prévues au lieu de travail aux fins de garde des enfants. Outre cela, il n’y a aucune restriction concernant les heures supplémentaires et vous pouvez donc vous inscrire librement aux heures supplémentaires.

[…]

[53] La fonctionnaire a répondu apparemment le même jour, remerciant Mme Wile de la modification et l’informant qu’elle répondrait au plus tard le 9 mars. Elle a également demandé ce qui suit : [traduction] « […] une justification de la raison pour laquelle les deux options que j’avais demandées ont été refusées, à titre d’information » (pièce JB, onglet 14).

[54] La fonctionnaire a expliqué sa réponse comme suit quelques jours plus tard, le 28 février (pièce JB, onglet 14) :

[Traduction]

[…]

Pourrais‑je me faire expliquer pourquoi les deux options que j’ai demandées ne conviennent pas pour le moment?

Je serai en congé pendant une semaine à partir de demain, mais je m’informerai d’une place à plein temps à la garderie pour ma fille. Je fournirai une réponse au plus tard le 14 mars 2017.

De plus, le délai de quatre mois s’applique‑t‑il également à cette offre?

La sanction pécuniaire que j’ai mentionnée ne se limitait pas aux heures supplémentaires, mais portait davantage sur la perte de la prime de poste et du congé compensatoire.

[…]

[55] Le 3 mars, Mme Wile a demandé à la fonctionnaire et à son agent négociateur de mettre le grief en suspens jusqu’au 31 mars, afin de lui permettre de consulter le personnel des relations de travail de l’employeur et de lui donner le temps d’examiner sa proposition modifiée du 24 février (pièce JB, onglet 16). La fonctionnaire a accueilli la demande, même si elle voulait qu’elle indique que son [traduction] « […] incapacité de gérer [sa] situation en matière de garde d’enfants en raison de [son] horaire de travail devient de plus en plus problématique […] », et qu’elle souhaitait éviter tout retard supplémentaire (pièce JB, onglet 16).

[56] Le 14 mars, la fonctionnaire a répondu à la proposition modifiée de l’employeur au moyen d’un courriel d’une phrase envoyé à Mme Wile, comme suit : [traduction] « Je ne suis pas en mesure d’accepter l’offre modifiée décrite ci‑dessous [c.‑à‑d. le courriel du 24 février] » (pièce JB, onglet 15).

[57] Des efforts ont ensuite été déployés à la fin de mars 2017 en vue d’organiser une réunion (pièce JB, onglet 17). La fonctionnaire a témoigné qu’en fin de compte, la réunion n’a jamais eu lieu.

[58] Le grief a ensuite suivi les étapes du processus, atteignant le troisième palier au 15 mars 2019. À l’audience, on a demandé à la fonctionnaire comment elle avait géré ses besoins en matière de garde d’enfants depuis février 2017. Elle a témoigné qu’il s’agissait d’un [traduction] « mélange ». Elle et son conjoint ont pris des congés de maladie, chacun leur tour, lorsque leurs quarts coïncidaient, prenaient des dispositions pour changer leurs quarts avec d’autres travailleurs, ou en laissant leur fille avec sa mère. Par conséquent, la fonctionnaire a déclaré qu’elle avait une [traduction] « dette importante » en ce qui concerne les congés de maladie et qu’elle avait moins d’heures compensatoires qu’elle n’aurait pu en avoir par ailleurs. (Elle n’a fourni aucune ventilation des congés de maladie qu’elle a pris parce qu’elle était en fait malade et de ceux qu’elle a pris en raison de ses engagements en matière de garde d’enfants.) À l’audience, sa fille avait sept ans et fréquentait l’école.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour le syndicat

[59] Le syndicat a soutenu que l’employeur avait été en mesure de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de la fonctionnaire grâce à un emploi à temps partiel à son retour au travail après son congé de maternité. Elle avait travaillé à temps partiel pendant les 20 premières heures puis 30 heures par semaine. Cela avait bien fonctionné, et elle avait été en mesure de remplir son double rôle de bonne employée et de bonne mère. Mais cette affectation à temps partiel a pris fin le 1er août 2016, sans explication.

[60] Une fois que la fonctionnaire a recommencé à travailler des quarts de 12 heures à temps plein, elle est revenue à la case départ en ce qui concerne les services de garde d’enfants. Au cours de la période d’août à novembre 2016, elle a tenté de gérer sa situation à l’aide d’une combinaison de congés personnels, de congés compensatoires et de congés annuels, d’une aide de membres de la famille et de services de garde d’enfants privés. Mais cela s’est révélé trop onéreux. L’incohérence entre son horaire de travail et celui de son conjoint signifiait que six ou sept fois par mois, personne n’était disponible pour s’occuper de sa fille. Cela représentait une entrave grave et importante à ses obligations morales et légales de prendre soin de sa fille.

[61] La fonctionnaire a présenté une demande de mesures d’adaptation officielle. Elle a rencontré Mme Wile et a proposé deux options qui auraient répondu à son besoin de s’assurer que quelqu’un (soit elle, son conjoint ou une garderie privée) serait disponible pour s’occuper de sa fille. L’employeur n’a ni accepté ni expliqué la raison pour laquelle elles n’étaient pas convenables et lui ont plutôt offert deux offres qui ne répondaient pas à ses besoins.

[62] Le syndicat a fait remarquer que M. Cole avait reconnu qu’à Nova, il y avait un quart de 8 h à 16 h, du lundi au vendredi. Mais ce quart n’a jamais été offert à la fonctionnaire. Le syndicat a soutenu qu’il était inapproprié pour Mme Wile d’insister pour la fonctionnaire d’utiliser Kijiji pour trouver des services de garde d’enfants; voir Miraka, au par. 54. Il a également soutenu que le traitement par Mme Wile de la demande de la fonctionnaire ait été dédaigneux en ce qui concerne le ton et l’approche. Elle a mal compris ou mal représenté les renseignements fournis par la fonctionnaire et les a utilisés pour fournir des solutions inacceptables. Il a fait valoir que je pourrais utiliser les actes de Mme Wile comme preuve du défaut de l’employeur de répondre de bonne foi à la demande de la fonctionnaire; voir City of Yellowknife v. A.B., 2018 NWTSC 50, aux paragraphes 76 à 80; et Miraka.

[63] À l’appui de ces arguments, le syndicat a invoqué Central Okanagan School District no 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970; Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3; Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2014 CAF 110; Yellowknife; Simpson v. Pranajen Group Ltd. o/a Nimigon Retirement Home, 2019 HRTO 10; Douglas c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 51; Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28.

[64] Par conséquent, le syndicat a soutenu que l’employeur n’avait pas pris de mesures d’adaptation à l’égard de la fonctionnaire. À titre de redressement, il a demandé une ordonnance visant à ce que l’employeur procède à une évaluation équitable des besoins de la fonctionnaire en matière de mesure d’adaptation, ainsi que des dommages.

B. Pour l’employeur

[65] L’employeur a fait valoir qu’il n’est pas nécessaire qu’une mesure d’adaptation soit parfaite; elle ne doit être que raisonnable. Il n’était pas non plus tenu d’expliquer la raison pour laquelle les propositions de la fonctionnaire ne convenaient pas ni ce qu’il signifiait par [traduction] « besoins opérationnels ». Il a également soutenu que le véritable problème de la fonctionnaire était son désir de maintenir son accès aux primes de poste, aux heures supplémentaires ou au travail de fin de semaine. Il a fait valoir qu’elle n’avait pas accepté sa proposition parce que la proposition lui refusait les augmentations salariales qu’un tel travail lui apportait.

[66] L’employeur a soutenu que les éléments de preuve de la fonctionnaire comportaient des incohérences. D’une part, elle s’est plainte dans sa réponse que sa proposition la priverait du travail de fin de semaine. Toutefois, d’autre part, en décembre 2016, elle avait indiqué qu’elle ne pouvait pas trouver de garderie pour les fins de semaine. De plus, sa proposition selon laquelle elle travaille selon la liste de l’Établissement Springhill était déraisonnable parce que cette liste n’était pas en vigueur à Nova et, de plus, cela aurait entraîné des inefficacités importantes dans les activités de l’employeur. Son autre proposition – qu’elle modifie de six à huit quarts par mois – signifiait qu’environ la moitié de ses quarts qui lui sont attribués automatiquement par le SHD auraient dû être réaffectés manuellement.

[67] L’employeur a mis particulièrement l’accent sur le fait que la fonctionnaire ne l’avait pas informé que la place à la garderie Near to Me, qui aurait répondu à sa deuxième proposition, n’était plus disponible. Il a soutenu que le grief comportait quelques autres problèmes. Tout d’abord, rien dans le dossier documentaire n’appuyait le témoignage de la fonctionnaire selon lequel elle avait dit à Mme Wile qu’en fait, elle avait recours à des services de garde d’enfants (par l’intermédiaire de Mme Gaudet) ou les heures connexes. En deuxième lieu, même si la fonctionnaire a témoigné qu’elle souhaitait une approche collaborative pour répondre à ses besoins, dans sa correspondance avec l’employeur, elle avait toujours répondu de manière défensive et, en fin de compte, elle avait simplement cessé de faire des efforts.

[68] L’employeur a fait valoir qu’en fait, la fonctionnaire n’avait pas satisfait au critère énoncé au paragraphe 93 de Johnstone (le « critère Johnstone »; par conséquent, l’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’a jamais été déclenchée. Il a convenu que si la fonctionnaire n’avait pas été en mesure de trouver une solution raisonnable pour répondre à ses besoins en matière de garde d’enfants, son obligation légale de prendre des mesures d’adaptation en fonction de sa situation familiale aurait été engagée. Toutefois, la fonctionnaire ne lui a jamais fourni une image claire de sa situation ou de ce dont elle avait besoin et la raison pour laquelle ces besoins ne pouvaient être satisfaits.

[69] L’employeur a soutenu que si l’obligation avait été déclenchée, il a alors fait une offre de mesures d’adaptation raisonnable. La fonctionnaire l’avait simplement rejetée et n’avait pas depuis coopéré au processus d’adaptation. L’employeur a soutenu en outre que l’offre faite n’avait pas à s’approcher de la ligne de démarcation représentée par une contrainte excessive. Elle devait s’agir que d’une mesure d’adaptation raisonnable pour répondre aux besoins de la fonctionnaire.

[70] À l’appui de ces arguments, l’employeur a invoqué Canada (Procureur général) c. Duval, 2019 CAF 290; Johnstone; Bzdel c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2020 CRTESPF 27; Havard c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2019 CRTESPF 36; Leclair c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 97; Fleming c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2016 CRTEFP 96; Flatt c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie), 2014 CRTEFP 2; Flatt c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 250 (autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada (CSC) refusée dans le dossier 36800 de la CSC (20160505)); Spooner c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 60; Ottawa‑Carleton Public Employees’ Union, Local 503 v. City of Ottawa, 2010 CarswellOnt 6714; McCarthy c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 45; Campbell c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 57.

[71] L’employeur a demandé que le grief soit rejeté.

C. Réponse du syndicat

[72] Le syndicat a soutenu que la fonctionnaire n’avait pas répondu à la deuxième offre de l’employeur parce que les trois places qui auraient été convenables et qui avaient été offertes par Near to Me n’étaient plus disponibles. De plus, il était clair que quoi qu’il en soi, l’employeur n’écoutait pas, de sorte que rien ne pouvait porter sur le défaut de la fonctionnaire d’informer l’employeur que les places n’étaient plus disponibles. Et, enfin, son grief faisait partie de sa tentative de coopération.

V. Analyse et décision

[73] Je commencerai par un certain nombre d’observations sur la jurisprudence dans ce domaine.

[74] En premier lieu, je dois déterminer si la fonctionnaire a établi une preuve prima facie de discrimination. Le critère juridique qui permet de conclure qu’une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation familiale a été établie a été énoncé dans Johnstone, au par. 93. Il incombe à la fonctionnaire de satisfaire à chacune des conditions suivantes :

  • 1) qu’elle assume l’entretien et la surveillance d’un enfant;

  • 2) que l’obligation en cause relative à la garde d’enfants fait jouer sa responsabilité légale envers cet enfant et qu’il ne s’agit pas simplement d’un choix personnel;

  • 3) que la personne en question a déployé les efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants en explorant des solutions de rechange raisonnables et qu’aucune de ces solutions n’est raisonnablement réalisable;

  • 4) que les règles attaquées régissant le milieu de travail entravent d’une manière plus que négligeable ou insignifiante sa capacité de s’acquitter de ses obligations liées à la garde des enfants.

 

[75] Si la fonctionnaire s’acquitte de ce fardeau, une preuve prima facie de discrimination est établie, à laquelle l’employeur doit répondre. Dans la négative, l’allégation doit être rejetée; voir Fleming, aux paragraphes 120 à 122.

[76] Ensuite, si le critère Johnstone est satisfait, l’employeur peut réfuter l’allégation de discrimination en démontrant qu’il a raisonnablement – pas parfaitement – répondu aux besoins de l’employé; voir McCarthy, au par. 100 et Canada (Procureur général) c. Duval, 2019 CAF 290 (« Duval »), au par. 42, ou que prendre une mesure d’adaptation pour répondre aux besoins de l’employé imposerait une contrainte excessive à l’employeur (par. 15(2) de la LCDP).

[77] Enfin, je tiens à souligner que, dans la recherche de mesures d’adaptation, la Cour d’appel fédérale dans Duval a réitéré le principe selon lequel « l’accommodement en milieu de travail appelle la coopération de toutes les parties du lieu de travail – l’employeur, l’employé et, s’il y en a un, l’agent de négociation – qui doivent dialoguer raisonnablement en vue de trouver un travail que l’employé atteint d’une invalidité est capable de faire » (voir le par. 43). Le défaut d’accepter une offre raisonnable peut être pris en considération pour déterminer si l’employeur s’est acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation; voir Fleming, au par. 135; et Renaud, aux p. 994 et 995. Tel qu’il est indiqué dans Renaud, à la page 995, « S’il y a rejet d’une proposition qui serait raisonnable compte tenu de toutes les circonstances, l’employeur s’est acquitté de son obligation. »

A. Questions en litige

[78] En tenant compte de ces observations, j’examine maintenant les questions dont je suis saisi, à savoir :

  • 1) La fonctionnaire a‑t‑elle établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation familiale?

  • 2) Dans l’affirmative, l’employeur a‑t‑il fourni des éléments de preuve afin d’éviter une conclusion défavorable – particulièrement dans le présent cas, l’employeur a‑t‑il établi qu’il a offert une mesure d’adaptation raisonnable?

  • 3) Dans la négative, quel redressement devrait être accordé?

1. La fonctionnaire a‑t‑elle établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation familiale?

[79] J’estime qu’il est juste de dire que la fonctionnaire a clairement satisfait aux deux premières conditions du critère Johnstone. Elle (et son conjoint) avait un très jeune enfant qui ne pouvait pas être laissé sans surveillance. Leur responsabilité juridique d’assurer ces soins et cette supervision était en jeu.

[80] En ce qui concerne les troisième et quatrième conditions, j’estime qu’il est également juste, selon les éléments de preuve dont je suis saisi, qu’elles ont été satisfaites aussi. Si l’employeur exigeait que la fonctionnaire travaille des quarts de 12 heures selon un horaire comprenant le travail de nuit et de fin de semaine, il était raisonnablement clair dans son cas qu’il y aurait une incidence importante sur ses obligations légales. Son conjoint travaillait également des quarts de 12 heures pendant la semaine. Parfois les deux devaient travailler la nuit ou les fins de semaine. Je suis convaincu que la fonctionnaire a fait des efforts raisonnables pour s’acquitter de ses obligations en matière de garde d’enfants découlant du chevauchement des horaires de quart de 12 heures, mais qu’aucune solution de rechange n’était raisonnablement accessible. La plupart, sinon tous les fournisseurs de services de garde d’enfants n’offraient pas de services la fin de semaine ou de soins de 12 heures. Et ses parents et ceux de son conjoint n’étaient pas en mesure de fournir des soins de secours.

[81] Cela étant, je suis convaincu que la fonctionnaire a établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation familiale. Il incombe donc à l’employeur de réfuter l’allégation de discrimination.

2. L’employeur a‑t‑il fourni des éléments de preuve afin d’éviter une conclusion défavorable – dans le présent cas, l’employeur a‑t‑il établi qu’il a offert une mesure d’adaptation raisonnable?

[82] À mon avis, il s’agit de la question centrale du grief.

[83] L’employeur a fait deux offres de mesures d’adaptation, toutes deux comportant l’affectation de la fonctionnaire à des quarts de jour du lundi au vendredi. Dans la première, il pouvait modifier ses heures de travail sur préavis entre un quart de 6 h 45 à 14 h 45 et un de 6 h 45 à 19 h. Dans la deuxième, les heures de travail devaient être fixées, à son choix, de 6 h 45 à 14 h 45 ou de 7 h à 15 h. Chacune offre à la fonctionnaire un quart de travail de 8 heures sur 5 jours, pour un total de 40 heures par semaine. En d’autres termes, chacune offrait le nombre d’heures standard disponibles aux employés en vertu de la convention collective.

[84] S’agissaient‑elles d’offres de mesures d’adaptation raisonnables? À première vue, les deux, en particulier la deuxième, semblent raisonnables. Chacune a établi un horaire de travail de jour du lundi au vendredi, qui était le plus susceptible de correspondre à l’horaire des fournisseurs de services de garde d’enfants réguliers, qu’ils soient autorisés ou non, publics ou privés. En outre, la deuxième offre correspondait précisément aux places proposées par Near to Me. À l’audience, la fonctionnaire a reconnu que les heures de travail indiquées dans la deuxième offre de l’employeur auraient été égales à ces places.

[85] Toutefois, la position de la fonctionnaire en réponse était que son refus d’accepter les propositions de l’employeur était raisonnable.

[86] D’abord, elle a témoigné qu’au moment où l’employeur a fait la deuxième offre, la place n’était plus disponible. J’ai éprouvé quelques difficultés à l’égard de ce témoignage. Si cela s’était produit, je m’attendrais à ce que la fonctionnaire informe l’employeur que la place qui avait été disponible avait disparu. Toutefois, en acceptant que cela se soit produit, la question demeure : Pourquoi n’en a‑t‑elle pas informé l’employeur? Elle était tenue de coopérer au processus d’adaptation. Par conséquent, elle était tenue de l’informer que les renseignements sur lesquels il s’appuyait clairement – les renseignements qu’elle avait précédemment confirmés – n’étaient plus exacts. Son omission de fournir à l’employeur des renseignements aussi importants l’a privé de la possibilité de présenter une troisième proposition. Il n’y a aucun élément de preuve à l’appui d’une conclusion selon laquelle, s’il avait été ainsi informé, il n’aurait rien fait. Après tout, il avait déjà fait deux propositions qui répondaient aux heures et aux jours offerts par les services locaux de garde d’enfants. La fonctionnaire n’a présenté aucun élément de preuve pour indiquer qu’il ne l’aurait pas fait une troisième fois s’il avait eu les renseignements.

[87] En deuxième lieu, je n’ai pas pu m’échapper du sentiment que la véritable raison pour laquelle la fonctionnaire a rejeté les offres de mesures d’adaptation de l’employeur était son désir d’éviter de perdre l’occasion d’obtenir des primes liées aux quarts de décalage, aux fins de semaine ou aux heures supplémentaires. J’en suis parvenu à cette conclusion parce qu’elle insistait pour que l’employeur examine ses propositions et donne suite à celles‑ci plutôt que sur les siennes et parce qu’elle avait lié son refus d’examiner les propositions de l’employeur à une [traduction] « sanction » pécuniaire liée à la perte de telles primes. En un sens, elle a insisté non pas tant pour que l’employeur réponde à ses besoins en matière de garde d’enfants que pour préserver sa liste de postes de 12 heures et, en particulier, les avantages financiers qu’elle pourrait tirer d’un tel horaire.

[88] Je n’ai pas été convaincu que la perte d’une augmentation d’échelon de rémunération liée aux quarts de décalage, aux fins de semaine ou aux jours fériés rendait déraisonnable l’offre de l’employeur de fournir à la fonctionnaire un horaire de travail de jour du lundi au vendredi. On ne m’a signalé aucune disposition de la convention collective qui lui conférait le droit de travailler à la rotation de 12 heures qu’elle travaillait. On n’a pas laissé entendre que son revenu en vertu de la proposition de l’employeur aurait été autre chose que ce à quoi elle aurait eu droit en vertu de la convention collective. La proposition de l’employeur ne l’a pas isolée d’une manière évidente, d’autant plus qu’en fait, certains employés travaillaient des quarts de jour [traduction] « normaux », du lundi au vendredi.

[89] À mon avis, dès le début, en raison de la position de la fonctionnaire, elle a mal interprété la nature du processus d’adaptation. Dire qu’un employeur doit prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’un employé, c’est dire que l’employeur doit modifier sa structure de travail (physique ou opérationnelle) de manière à permettre à l’employé de travailler de façon productive, malgré la déficience en question. L’employeur avait la plupart sinon la totalité de ses agents correctionnels qui travaillaient selon une liste de postes de 12 heures qui était générée automatiquement. Son obligation de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de la fonctionnaire signifiait qu’il devait modifier cette structure pour tenir compte de ses obligations légales envers son enfant. Et c’est ce qu’il a fait lorsqu’il lui a fait ses offres.

[90] Il se peut fort bien que l’employeur ait pu avoir répondu aux besoins de la fonctionnaire de la manière qu’elle a proposée. Mais la décision d’un employeur ne doit pas être remise en question quant à ce qui correspond le mieux à ses besoins opérationnels en matière d’adaptation. En d’autres termes, la question ne consiste pas à savoir s’il y avait d’autres formes raisonnables d’adaptation que l’employé aurait pu préférer, mais plutôt de savoir si la mesure d’adaptation offerte était raisonnable dans les circonstances. Dans l’affirmative, l’enquête prend fin. L’employé doit l’accepter. Par ailleurs, l’employeur s’est acquitté de son obligation; voir, p. ex. Leclair c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2016 CRTEFP 97, aux paragraphes 112 et 113; et Kirby c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2015 CRTEFP 41, au par. 119.

[91] Je reconnais qu’après avoir lu les commentaires de Mme Wile, on a le sentiment, d’après la première réponse qu’elle n’était pas particulièrement favorable à la demande de mesures d’adaptation. Et je conviens que sa proposition selon laquelle la fonctionnaire poursuit le recours aux services d’une bonne d’enfants était, dans les circonstances, déraisonnable et injustifiée. Toutefois, il reste que l’employeur (c’est‑à‑dire, Mme Wile) a fait des efforts raisonnables pour trouver une mesure d’adaptation. C’est ce qui importe du point de vue de l’obligation. Le véritable défaut relativement aux événements survenus n’est pas l’offre de l’employeur, mais la réponse de la fonctionnaire à cette offre, voir, p. ex. Ahmad c. Agence du revenu du Canada, 2013 CRTFP 60, au par. 141.

[92] Pour ces motifs, je conclus comme suit :

  • 1) la fonctionnaire a établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation familiale;

 

  • 2) mais l’employeur a fait une offre raisonnable de mesure d’adaptation qui a été refusée par la fonctionnaire;

 

  • 3) et la fonctionnaire a mis fin au processus d’adaptation lorsqu’elle n’a pas coopéré à ce processus;

 

  • 4) par conséquent, le grief échoue.

 

[93] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


 

VI. Ordonnance

[94] Le grief est rejeté.

Le 20 mai 2021.

Traduction de la CRTESPF

Augustus Richardson,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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