Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La demanderesse a demandé une prorogation du délai pour renvoyer son grief à l’arbitrage – dans son grief, qu’elle a déposé en octobre 2013, elle a allégué avoir été victime de discrimination lorsque son employeur a refusé sa demande de mesures d’adaptation en raison de sa grossesse – l’employeur a rejeté son grief aux deux premiers paliers de la procédure de règlement des griefs – aucune réponse n’a été donnée au dernier palier; elle devait être fournie le 3 janvier 2014, ce qui signifiait que la demanderesse avait jusqu’au 12 février 2014 pour renvoyer son grief à la Commission pour arbitrage – il a plutôt été renvoyé en septembre 2020, soit 6,5 ans plus tard – même si le retard pouvait être expliqué pour une brève période en 2014, rien n’explique son omission complète de poursuivre le grief de l’été 2014 à l’été 2020, date à laquelle il a finalement été renvoyé à l’arbitrage – la demanderesse n’a fourni aucune raison claire, logique et convaincante pour laquelle le délai pour renvoyer son grief devrait être prorogé.

Demande rejetée.

Contenu de la décision

Date : 20210607

Dossier : 568-02-42428

XR : 566-02-42109

 

Référence : 2021 CRTESPF 62

 

Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

enTRE

 

Jenna Martin

demanderesse

 

et

 

CONSEIL DU TRÉsOR

(Service correctionnel du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Martin c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant une demande visant la prorogation d’un délai en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Margaret T.A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la demanderesse : Sheryl Ferguson, Syndicat des agents correctionnels du Canada – Union of Canadian Correctional Officers – CSN

Pour le défendeur : Marylise Soporan, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario) par téléconférence

le 22 mars 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Demande devant la Commission

[1] Jenna Martin, la demanderesse, demande une prorogation du délai en vertu de l’article 61 du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79) pour renvoyer à l’arbitrage son grief présenté dans le dossier 566‑02‑42109 de la Commission. Le paragraphe 90(1) dudit règlement précise que le renvoi d’un grief à l’arbitrage peut se faire au plus tard quarante jours après le jour où la personne qui a présenté le grief a reçu la décision rendue au dernier palier de la procédure de règlement applicable au grief. La demanderesse demande l’autorisation de renvoyer son grief à l’arbitrage six ans et demi après la date à laquelle elle aurait dû exercer son droit à le faire, qui a expiré le 12 février 2014. Elle a renvoyé son grief à l’arbitrage en septembre 2020.

[2] Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (CRTEFP) pour remplacer l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique et l’ancien Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le 3 novembre 2014, le Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique a été modifié pour devenir le Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique.

[3] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la CRTEFP et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et du Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi ») et le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (le « Règlement »).

[4] En vertu de l’alinéa 61b) du Règlement, la Commission peut, par souci d’équité, proroger tout délai prescrit par la partie 2 du Règlement ou prévu par une procédure de règlement des griefs énoncée dans une convention collective pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document.

II. Résumé de la preuve

[5] Le seul élément de preuve qui a été présenté était l’énoncé conjoint des faits écrit qui suit :

[Traduction]

[…]

1. Le Service correctionnel du Canada (SCC) exploite quatre pénitenciers dans la région de l’Atlantique : l’Établissement de l’Atlantique, le Pénitencier de Dorchester (qui comprend le Centre de rétablissement Shepody), l’Établissement de Springhill et l’Établissement Nova pour femmes;

2. La fonctionnaire s’estimant lésée (la fonctionnaire) a été embauchée comme agente correctionnelle I (CX-01) à l’Établissement de l’Atlantique le 6 avril 2009;

3. Au moment des événements, la fonctionnaire occupait encore le poste susmentionné;

4. Le 13 août et le 5 septembre 2013, la fonctionnaire a présenté des notes médicales indiquant les restrictions et les limites de travail imposées par son médecin pour la durée de sa grossesse. En date du 5 septembre 2013, la fonctionnaire était enceinte d’environ 16 semaines;

5. Le 9 octobre 2013, la fonctionnaire et l’agent négociateur ont déposé le grief no 51666, alléguant que l’employeur avait fait preuve de discrimination à l’égard de la fonctionnaire en omettant de prendre des mesures d’adaptation en conformité avec la note médicale qu’elle avait présentée;

6. Le 18 octobre 2013, le grief a été rejeté au premier palier de la procédure applicable aux griefs;

7. Le 29 octobre 2013, la fonctionnaire a signé un « Plan de retour au travail – Plan de mesures d’adaptation »;

8. Le 31 octobre 2013, le grief a été porté au deuxième palier de la procédure applicable aux griefs;

9. Le 14 novembre 2013, le grief a été rejeté au deuxième palier de la procédure applicable aux griefs;

10. Le 19 novembre 2013, le grief a été porté au troisième et dernier palier de la procédure applicable aux griefs;

11. Le 3 décembre 2013, une confirmation de la réception du grief au troisième et dernier palier de la procédure applicable aux griefs, intitulée « Objet : Grief(s) au dernier palier de la procédure de règlement des griefs », a été communiquée à l’agent négociateur;

12. À ce jour, aucune réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs n’a été présentée pour ce grief;

13. Au SCC, les griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs sont gérés par l’équipe des relations de travail basée à l’Administration centrale (AC), à Ottawa;

14. Le 10 février 2014, alors que le grief était toujours en suspens au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, l’agent négociateur a communiqué avec des représentants de l’équipe des relations de travail de l’employeur, à l’AC, afin d’engager des discussions sur un règlement éventuel;

15. Le présent dossier concerne une demande de mesures d’adaptation fondée sur la situation de famille, pour une période déterminée, au cours de laquelle la fonctionnaire était enceinte. Il n’y a aucune demande de mesures d’adaptation en suspens;

16. Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 24 septembre 2020.

[…]

 

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la demanderesse

[6] La demanderesse était une agente correctionnelle (poste classifié CX-01) à l’Établissement de l’Atlantique (l’« Établissement ») du Service correctionnel du Canada (SCC ou le « défendeur ») à Renous, au Nouveau‑Brunswick, à l’époque où, en 2013, elle a soumis une demande de mesures d’adaptation en raison de sa grossesse. Sa demande initiale a été présentée après 12 semaines de grossesse, en août 2013. Une deuxième demande a été présentée trois semaines plus tard; il s’y ajoutait la condition de n’avoir aucun contact avec des détenus en raison des effets que cela avait sur la demanderesse et son fœtus. Cette condition devait être maintenue jusqu’à la fin de la grossesse de la demanderesse. Le 7 octobre 2013, la demanderesse a avisé le défendeur qu’elle avait été en état d’incapacité totale du 30 septembre au 4 octobre 2013.

[7] Les besoins de la demanderesse en matière de mesures d’adaptation n’ont pas été satisfaits. Le 28 octobre 2013, la demanderesse a envoyé un courriel aux représentants du SCC, dans lequel elle soulevait les problèmes liés aux mesures d’adaptation qu’elle avait obtenues. Elle a signalé au SCC que le milieu de travail lui causait de l’anxiété et du stress. Elle a obtenu un plan de mesures d’adaptation en septembre 2013, mais les parties ne l’ont signé que le 29 octobre 2013. Au moment de la signature, la demanderesse a joint une liste de ses préoccupations.

[8] Le grief que la demanderesse souhaite renvoyer à l’arbitrage a été déposé le 9 octobre 2013. La demanderesse y alléguait que le SCC avait fait preuve de discrimination à son égard lorsqu’il avait refusé de l’autoriser à faire du télétravail pendant la période où elle bénéficiait de mesures d’adaptation. La tâche qui lui avait été confiée au cours de cette période consistait à donner une formation aux agents correctionnels et à prévoir leurs postes à l’horaire. Cette tâche devait être effectuée en dehors de la zone sécurisée de l’Établissement et cela aurait pu se faire par le truchement du télétravail. La demanderesse a demandé des dommages en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6) et le remboursement de 92,5 heures de congé de maladie.

[9] La demanderesse a entamé son congé de maternité le 10 février 2014. Avant de partir en congé, elle a été très attentive et elle a fait son travail afin de s’assurer que Jack Haller, le représentant syndical qui lui était attribué, disposait de ce qu’il fallait pour porter son grief jusqu’au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

[10] En décembre 2013, M. Haller a quitté son emploi au Syndicat des agents correctionnels du Canada – Union of Canadian Correctional Officers – CSN (l’« agent négociateur »). M. Haller a été remplacé par André Legault en janvier 2014. M. Legault a quitté son emploi au cours de l’été 2017 à la suite de plusieurs absences prolongées en raison d’une maladie. Par conséquent, la région de l’Atlantique du SCC a fait face à une représentation syndicale irrégulière au cours de la période de janvier 2014 à juillet 2017, date à laquelle Sheryl Ferguson est déménagée à Moncton, au Nouveau‑Brunswick, et a assumé le rôle.

[11] Le 20 février 2014, Mme Ferguson se trouvait à Halifax, en Nouvelle‑Écosse, et elle travaillait à un autre dossier lorsqu’elle a envoyé par courriel une offre de règlement du grief à l’agent des relations de travail du SCC, Andrew Crane, qui était affecté au dossier de la demanderesse au bureau régional du SCC. Mme Ferguson a inclus l’adresse de l’adjointe administrative du bureau syndical de Moncton dans le courriel, en présumant que le SCC lui transmettrait une copie de toute la future correspondance.

[12] M. Crane a transmis le courriel de Mme Ferguson à sa collègue, Erica Tessy‑Constant, au bureau national du SCC. Mme Tessy-Constant a répondu à Mme Ferguson uniquement pendant que celle‑ci était partie en congé. Mme Ferguson n’a appris que le défendeur avait répondu à son courriel du 20 février 2014 qu’au moment où elle a reçu la divulgation des renseignements du défendeur en vue de l’audience du grief.

[13] Selon la représentante de la demanderesse, ce n’est qu’au cours de l’été 2020 que le syndicat a réalisé que sa supposition selon laquelle le grief avait été réglé, ou qu’il était mis en suspens en attendant la mise en œuvre d’un règlement, était erronée. Ses dernières interventions dans ce dossier, soit en février 2014, lui avaient laissé croire qu’il y avait eu une offre de règlement dont M. Legault ferait le suivi. Ce n’est qu’au cours de l’été 2020 que la représentante de la demanderesse a découvert que son collègue n’avait effectué aucun suivi, que le grief n’avait pas été réglé, et qu’il n’avait pas été renvoyé à l’arbitrage. À ce moment‑là, Mme Ferguson a renvoyé l’affaire à l’arbitrage. Les représentants de la demanderesse ont commis une erreur en présumant que le processus informel de règlement des différends reportait les délais de la procédure de règlement des griefs.

[14] En 2013, la demanderesse a signé l’avis de renvoi à l’arbitrage et elle a envoyé un courriel à l’équipe de direction en novembre 2013, indiquant son intention de continuer à faire progresser son grief au palier suivant de la procédure de règlement des griefs. Elle n’est retournée au lieu de travail qu’à la fin de 2014, lorsqu’un ensemble de mesures a été mis en place afin de faire avancer les choses, ce qui indiquait clairement son intention de poursuivre son grief. Les parties ont entamé des discussions de règlement, mais le SCC n’a répondu clairement à l’offre de règlement qu’en 2020, lorsqu’il a demandé que le grief soit réputé avoir été abandonné.

[15] La situation a atteint le point où, en 2020, le SCC n’avait toujours pas présenté sa réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, qui était exigible dans les 30 jours suivant la réception du grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, conformément à la clause 20.15 de la convention collective pertinente. La demanderesse attend toujours une réponse à son grief. Elle souhaite que son grief soit réglé sur le même fondement que Douglas c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2020 CRTESPF 51, ce qui consisterait en un remboursement des crédits de congé de maladie qu’elle a utilisés.

[16] Lorsqu’il s’agit de décider si une demande de prorogation d’un délai doit être accordée, il faut appliquer les règles énoncées dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1. Les critères qui permettent de déterminer s’il y a lieu d’exercer le pouvoir discrétionnaire de la Commission en vertu de l’article 61 du Règlement sont ainsi énoncés au paragraphe 75 de Schenkman :

· le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;

· la durée du retard;

· la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé;

· l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;

· les chances de succès du grief.

 

[17] La demanderesse a été très attentive à faire valoir son besoin de mesures d’adaptation, et elle a soulevé la question de ses besoins médicaux dans les plus brefs délais, présentant une preuve sous la forme des notes du médecin. L’agent négociateur n’a pas renvoyé son grief à l’arbitrage en temps opportun. La Commission et ses prédécesseurs ont accordé un redressement aux demandeurs dans des situations comparables, et ils ont fait droit aux griefs lorsque ceux-ci avaient des chances de succès et que l’agent négociateur avait admis son erreur (voir Peacock c. Syndicat des agents correctionnels du Canada, 2005 CRTFP 9, et Gill c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 81).

[18] Le grief de la demanderesse a des chances de succès, comme en atteste le fait que les parties discutaient d’un règlement en février 2014. Ce fait seul suffit pour justifier la procédure de règlement des griefs. La demanderesse s’est fiée sur l’agent négociateur pour porter son grief aux divers paliers de la procédure de règlement des griefs. L’agent négociateur a justifié le retard par des motifs de bonne foi. La demanderesse ignorait complètement que son grief n’avait été ni réglé ni renvoyé à l’arbitrage. Elle avait cru comprendre qu’il l’avait été, en fonction de ce qu’on lui avait dit avant qu’elle parte en congé de maternité.

[19] Selon Apenteng c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2014 CRTFP 19, et Guidara c. Agence du revenu du Canada, 2020 CRTESPF 111, il ne faut pas accorder le même poids à tous les facteurs énoncés dans Schenkman. La demanderesse n’a pas été négligente en se fiant sur l’agent négociateur pour renvoyer son grief à l’arbitrage (voir Riche c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2010 CRTFP 107). Le défendeur ne subit aucun préjudice, puisque la demanderesse attendait encore une réponse à sa proposition de règlement, ainsi qu’une réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, comme l’exige la clause 20.14 de la convention collective. Selon Yayé c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 51, le défendeur ne devrait pas être autorisé à invoquer sa contravention à la convention collective comme motif de refus de la demande de prorogation du délai. Les discussions de règlement en cours constituent la preuve que les parties n’ont pas considéré le grief comme abandonné (voir Vidlak c. Conseil du Trésor (Agence canadienne de développement international), 2006 CRTFP 96).

[20] La Commission a accordé des prorogations dans des cas où le retard était très important, puisque la procédure de règlement des griefs est le seul recours des fonctionnaires. Lorsqu’un agent négociateur a un motif impérieux pour justifier le non‑respect du délai prescrit pour renvoyer un grief à l’arbitrage, ce dont il a le pouvoir exclusif, le demandeur ou la demanderesse ne devrait pas subir les conséquences de l’omission de l’agent négociateur. Si le défendeur avait présenté une réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, ou s’il avait répondu à l’offre de règlement, la présente demande ne serait pas devant la Commission.

[21] Il ressort clairement du recueil de documents de la demanderesse que son besoin de mesures d’adaptation n’avait pas été satisfait au moment où elle est partie en congé de maternité. Son seul recours était la procédure de règlement des griefs. L’erreur commise dans cette procédure était celle de l’agent négociateur, mais le défendeur a enfreint la convention collective en omettant de répondre à l’offre de règlement et de présenter une réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Le défendeur ne peut pas être autorisé à faire fi de la convention collective et à abuser de la procédure. La prorogation du délai pour renvoyer le grief à l’arbitrage doit être accordée.

B. Pour le défendeur

[22] Le grief en question a été déposé le 9 octobre 2013. Le 18 octobre 2013, il a été rejeté au premier palier de la procédure de règlement des griefs. Le 29 octobre 2013, la demanderesse et son syndicat ont signé un plan de mesures d’adaptation. Le 31 octobre 2013, le grief a été déposé au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. La décision de le rejeter au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs a été présentée le 19 novembre 2013, après quoi le grief a été déposé au troisième palier de la procédure de règlement des griefs. Il n’y a pas eu de réponse au troisième palier de la procédure de règlement des griefs. Comme le grief n’a eu aucune suite après cela, la présomption du défendeur selon laquelle la question était chose du passé est raisonnable. Puis, en 2020, le grief a été renvoyé à l’arbitrage.

[23] Les griefs doivent être renvoyés à l’arbitrage dans les 40 jours suivant la date à laquelle la décision au dernier palier de la procédure de règlement des griefs doit être rendue. Comme le grief a été déposé au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 19 novembre 2013, la décision au dernier palier de la procédure de règlement des griefs devait être rendue le 3 janvier 2014, ce qui veut dire que la demanderesse avait jusqu’au 12 février 2014 pour le renvoyer à l’arbitrage. Au lieu de cela, le grief a été renvoyé à l’arbitrage en septembre 2020, soit six ans et demi plus tard.

[24] La demanderesse a invoqué Yayé à l’appui de sa demande. Les faits de cette affaire sont clairement différents. Dans Yayé, le retard était de quatre mois, et le fonctionnaire s’estimant lésé avait été licencié. Manifestement, le fonctionnaire s’estimant lésé dans Yayé devait avoir subi un préjudice plus grand que celui subi par la demanderesse, qui demande une réparation pour le défaut de prendre des mesures d’adaptation à l’égard d’une situation qui avait fait l’objet de mesures d’adaptation. La demanderesse aurait dû interpréter l’absence de réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs comme un rejet de son grief, et non y voir un vice de procédure (voir Veillette c. Canada (Agence du revenu), 2020 CF 544).

[25] Le fait qu’un fonctionnaire s’estimant lésé n’ait pas reçu de réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs n’empêche pas cette personne de renvoyer le grief à l’arbitrage dans les délais prescrits par le Règlement. La Commission a compétence pour accorder une prorogation, mais il devrait s’agir d’une exception fondée uniquement sur le fait que le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes. En l’absence de telles raisons, il n’est pas nécessaire d’évaluer les autres critères (voir Sonmor c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2013 CRTFP 20).

[26] La simple présentation d’une raison pour expliquer le retard ne signifie pas qu’il s’agit d’une raison claire, logique et convaincante permettant de satisfaire au critère énoncé dans Schenkman. Selon Sonmor, les erreurs et les omissions d’un syndicat ne sont pas des motifs qui justifient la prorogation du délai pour renvoyer un grief à l’arbitrage. Le fonctionnaire s’estimant lésé et l’agent négociateur ont tous deux un rôle à jouer dans la procédure de règlement des griefs; ils doivent faire preuve de diligence et ne sont pas des entités distinctes dans la procédure de règlement des griefs (voir Copp c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2013 CRTFP 33).

[27] La représentante de la demanderesse a soutenu que cette dernière, qui était une fonctionnaire s’estimant lésée à l’époque, avait fait preuve de diligence dans la procédure de règlement des griefs. Cela expliquait le rôle qu’elle avait joué en 2013, mais rien n’expliquait son rôle dans la poursuite de son grief entre 2014 et 2020. Il lui incombait de s’enquérir de l’état de son grief. L’absence d’une telle explication démontre son insouciance et son manque de diligence dans l’exercice de ses droits.

[28] Le défendeur est en droit de savoir avec certitude quels différends seront tranchés. Il est difficile de trancher un différend après un retard de sept ans, en raison de l’impossibilité de reconstituer les faits (voir Edwards c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2020 CRTESPF 126). Même si le défendeur ne subit aucun préjudice, le retard n’est pas justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes. L’absence de motif impérieux pour justifier le retard l’emporte sur le préjudice subi par la fonctionnaire s’estimant lésée (voir Guidara).

[29] Il n’est pas possible d’estimer les chances de succès d’un grief à moins d’avoir entendu la preuve. La demanderesse a prétendu que la mesure d’adaptation qu’elle avait obtenue posait un problème. Elle n’avait pas droit à une mesure d’adaptation parfaite qui répondait à ses préférences, mais seulement à une mesure qui satisfaisait à ses limites. Il n’y a aucun élément de preuve d’une proposition de règlement, comme la représentante de la demanderesse l’a prétendu. De plus, rien n’indique l’existence d’un accord entre les parties visant à maintenir les délais en suspens. La représentante de la demanderesse a prétendu que le syndicat avait dû attendre une réponse à sa proposition de règlement, alors qu’en réalité, le dernier message transmis par courriel avait été envoyé par le défendeur, en réponse à la proposition que le syndicat avait transmise par courriel.

[30] On ne peut faire fi des délais officiels et des formalités de la procédure de règlement des griefs. Les délais officiels doivent être respectés avant de poursuivre une voie de règlement informelle (voir Vidlak, au paragraphe 13). Dans les affaires où une prorogation a été accordée, comme dans Yayé, les retards avaient été brefs, et le préjudice qu’auraient subi les fonctionnaires s’estimant lésés aurait été important.

IV. Motifs

[31] Dans le cadre d’une demande de prorogation du délai pour renvoyer un grief à l’arbitrage, le fardeau de la preuve incombe au demandeur ou à la demanderesse. En l’espèce, la demanderesse n’a pas présenté de raison claire, logique et convaincante pour laquelle le délai applicable au renvoi de son grief à l’arbitrage devrait être prorogé, si l’on applique les critères énoncés dans Schenkman.

[32] Je peux accepter que la rotation du personnel au bureau de l’agent négociateur à Moncton ait occasionné un certain retard. Je peux aussi accepter qu’on ait pu laisser échapper un courriel, ce qui aurait pu causer de la confusion quant à l’état du grief, mais cela n’explique qu’une très courte période en 2014. Rien n’explique le défaut absolu de poursuivre le grief entre l’été 2014 et l’été 2020, lorsque ce grief a finalement été renvoyé à l’arbitrage.

[33] La demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve. En l’absence d’une telle explication, je n’ai même pas à tenir compte des autres critères énoncés dans Schenkman (voir Sonmor). Ces critères n’ont pas tous le même poids (voir Arpenteng et Guidara), mais à mon avis, celui de la raison claire, logique et convaincante pour justifier le non‑respect du délai est d’une importance primordiale.

[34] Le défaut de l’agent négociateur de s’acquitter de ses obligations envers la demanderesse ne constitue pas un motif justifiant de faire droit à la présente demande, surtout compte tenu du fait qu’aucune raison ou explication plausible ne justifie le retard à partir de l’été 2014, à l’époque où Mme Ferguson assumait le rôle de conseillère locale dans la région de Moncton, et ce jusqu’en 2020, date à laquelle le grief a finalement été renvoyé à l’arbitrage.

[35] Je ne suis pas d’accord pour dire que la demanderesse s’est montrée attentive à son obligation de s’assurer que son grief avait été acheminé à la phase de l’arbitrage. Bien qu’il puisse être compréhensible qu’elle n’ait pas été en contact avec son agent négociateur pendant son congé de maternité, elle ne s’est pas questionnée sur l’état de son grief jusqu’à son retour en 2015. Il était raisonnable pour le défendeur de conclure que l’affaire n’était plus en litige au retour de la demanderesse au lieu de travail, alors que celle‑ci n’a pas soulevé la question de son grief.

[36] La demanderesse a aussi demandé une réparation en vertu des principes énoncés dans Yayé. L’affaire dont je suis saisie et Yayé sont similaires dans la mesure où le défendeur n’a pas présenté de réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, et où l’agent était responsable du retard à renvoyer l’affaire à l’arbitrage. Les similitudes s’arrêtent ici. On ne peut pas traiter de la même façon un retard de quelques mois pour lequel il y a une justification claire, logique et convaincante et un retard de plusieurs années non justifié. Le principe selon lequel le défendeur doit être tenu responsable de son obligation contractuelle de répondre à un grief s’applique toujours, mais par ailleurs, l’agent négociateur doit se montrer attentif à ses obligations de poursuivre un grief à l’arbitrage en temps opportun.

[37] L’article 61 du Règlement n’a pas pour objet de dégager les agents négociateurs de cette obligation envers leurs membres lorsqu’ils ne s’en acquittent pas. La demanderesse ne se retrouve pas sans recours si elle se voit refuser une prorogation du délai pour renvoyer son grief à l’arbitrage. En vertu de l’article 190 de la Loi, elle peut poursuivre l’agent négociateur pour ne pas l’avoir représentée efficacement.

[38] Les parties ont cité de nombreuses affaires à l’appui de leurs arguments. Bien que j’aie lu et examiné chacune de ces affaires, j’ai choisi de citer uniquement celles qui revêtent une importance particulière relativement à la présente affaire.

[39] Pour ces motifs, la demande est rejetée.

[40] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


 

V. Ordonnance

[41] La demande est rejetée. Le dossier est clos.

Le 7 juin 2021.

Traduction de la CRTESPF

Margaret T.A. Shannon,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

 

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