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Date: 20210609

Dossier: 566-02-42442

 

Référence: 2021 CRTESPF 63

Loi sur la Commission des

relations de travail et de

l’emploi dans le secteur public

fédéral et Loi sur les relations de

travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi dans

le secteur public fédéral

ENTRE

 

Barbara Chalmers

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(ministère des Pêches et des Océans)

 

employeur

Répertorié

Chalmers c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Marie-Claire Perrault, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Lisa Greenspoon, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l’employeur : Joel Stelpstra, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 25 mars et le 16 avril 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

TRADUCTION DE LA CRTESPF

I. L’objection de l’employeur au renvoi d’un grief à l’arbitrage

[1] Barbara Chalmers, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), a déposé un grief à l’encontre de la décision de son employeur de lui refuser son congé parental. Elle travaille au ministère des Pêches et des Océans. L’employeur légal, le Conseil du Trésor, a conclu une convention collective (la « convention collective ») avec l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») pour le groupe Services des programmes et de l’administration, auquel la fonctionnaire appartient. Aux fins de la présente décision, je renverrai au ministère des Pêches et des Océans en tant qu’employeur, étant donné que le Conseil du Trésor a délégué au ministère son pouvoir de gestion des ressources humaines. La convention collective est arrivée à échéance le 20 juin 2018.

[2] Étant donné que le présent grief est lié à l’interprétation de la convention collective, l’agent négociateur représente la fonctionnaire dans cette instance (voir le paragraphe 209(2) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2)). Le 13 janvier 2021, l’agent négociateur a renvoyé le grief à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »). L’employeur a contesté ce renvoi au motif qu’il était hors délai. On a demandé aux parties de présenter leurs arguments sur cette question seulement.

[3] Pour les motifs énoncés ci-dessous, l’objection de l’employeur est rejetée.

II. Contexte

[4] Les faits ne sont pas contestés.

[5] En octobre 2017, la fonctionnaire et son mari ont présenté une demande afin de participer au programme de placement en famille d’accueil aux fins d’adoption de la société d’aide à l’enfance de Sarnia-Lambton. Le 2 octobre 2019, ils ont été informés qu’ils étaient admissibles. En même temps, on leur a dit qu’un enfant serait placé avec eux immédiatement s’ils confirmaient leur engagement. Ils ont pris l’engagement.

[6] Le même jour, la fonctionnaire a demandé à son superviseur si elle pouvait présenter une demande de congé parental. On lui a répondu qu’elle ne pouvait pas.

[7] L’enfant (âgé de trois ans) a été placé avec la fonctionnaire et son mari le 3 octobre 2019. La fonctionnaire a pris des journées de vacances la semaine suivante afin de présenter une demande de congé parental en vertu du régime d’assurance‑emploi et de l’article 40 de la convention collective. Elle a reçu une réponse de l’employeur le 23 octobre 2019, qui indiquait que, selon les clauses 40.01 et 40.02, elle n’était pas admissible à un congé parental ou à l’indemnité parentale étant donné qu’aucune procédure juridique n’avait été entamée à ce jour en vue d’adopter un enfant. L’employeur lui a indiqué qu’elle devait prendre un « […] congé non payé pour s’occuper de la famille ».

[8] Le 19 novembre 2019, la fonctionnaire a envoyé un courriel à son superviseur pour lui demander de revoir la décision, à la lumière de l’interprétation de l’article sur le congé parental par son agent négociateur. Elle a également informé l’employeur que le régime d’assurance-emploi avait approuvé sa demande de congé parental du 9 octobre 2019 au 22 juin 2020, étant donné qu’elle participait au programme de placement en famille d’accueil aux fins d’adoption et qu’un enfant lui avait été confié.

[9] Le 17 janvier 2020, la fonctionnaire a effectué un suivi auprès de son superviseur, étant donné qu’elle n’avait toujours pas reçu de réponse à sa demande d’examen de la décision prise par la direction. Son superviseur lui a répondu le même jour, en indiquant qu’une interprétation avait été demandée auprès du secteur des Relations de travail du Conseil du Trésor et en ajoutant : [traduction] « Notre réponse officielle demeure la même, à moins d’indication contraire des Relations de travail et du Conseil du Trésor […] ».

[10] Le 22 janvier 2020, on a informé la fonctionnaire qu’un négociateur du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada (SCT) présenterait son interprétation des articles pertinents. La fonctionnaire a demandé à obtenir plus de précisions, étant donné que son congé non payé de trois mois tirait à sa fin et qu’elle risquait de devoir retourner au travail. Si le congé était prolongé, il perturberait son « emploi continu ». À ce moment-là, elle croyait que l’enfant qui lui avait été confié avait besoin qu’elle s’occupe de lui à temps plein.

[11] Elle a reçu une réponse le 27 janvier 2020, qui indiquait que l’employeur était toujours en attente de l’interprétation juridique du SCT. Le 26 février 2020, on lui a dit que le SCT avait présenté son interprétation juridique, dans laquelle il confirmait la position de l’employeur selon laquelle elle n’avait pas droit à un congé parental en vertu de la convention collective. Elle a déposé son grief le 12 mars 2020.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

[12] L’employeur s’est opposé au dépôt du grief, étant donné qu’il avait été fait plus de cinq mois après que la fonctionnaire a eu connaissance du refus de la demande par l’employeur. Si la Commission détermine que le grief est hors délai, la fonctionnaire a demandé une prorogation de délai. Pourtant, la jurisprudence indique clairement que les tentatives de conclure un règlement officieux ne constituent pas des raisons claires et convaincantes d’un retard.

[13] L’employeur a d’abord rejeté la demande, le 2 octobre 2019, et a rendu une décision définitive le 23 octobre 2019. Le 19 novembre 2019, la fonctionnaire a demandé un nouvel examen de la décision. Dans ses arguments, l’employeur indique que même à cette date, la limite de 25 jours prévue dans la convention collective pour déposer un grief était dépassée.

[14] L’employeur a toujours maintenu son refus du congé. Il conteste le fait que la réponse définitive a été présentée seulement le 26 février 2020. Il insiste sur les mots [traduction] « […] [date] à laquelle la fonctionnaire a eu connaissance […] » de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief, conformément à la clause 18.15 de la convention collective.

[15] En ce qui concerne la question de savoir si une prorogation de délai doit être accordée, l’employeur soutient qu’elle ne devrait pas l’être. Il reprend les critères énoncés dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, comme suit, afin de déterminer s’il convient d’accorder une telle prorogation :

[…]

• le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;

• la durée du retard;

• la diligence raisonnable du fonctionnaire s’estimant lésé;

• l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;

• les chances de succès du grief.

[…]

 

[16] L’employeur soutient qu’aucune raison claire et convaincante ne justifie le fait que le grief n’a pas été présenté plus tôt. Il cite Pomerleau c. Conseil du Trésor (Agence canadienne de développement international), 2005 CRTFP 148, et Vidlak c. Conseil du Trésor (Agence canadienne de développement international), 2006 CRTFP 96, à l’appui de sa proposition selon laquelle les tentatives déployées par la fonctionnaire pour régler des problèmes de façon officieuse ne permettent pas de proroger les délais.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

[17] Selon la fonctionnaire, le grief a été déposé à temps, en respectant la limite de 25 jours à partir du moment où elle a eu connaissance du préjudice qu’elle a subi.

[18] Selon la fonctionnaire, la première réponse de l’employeur dans laquelle il refusait le congé n’était pas définitive, étant donné qu’il ignorait que la demande de congé parental présentée à l’assurance-emploi serait acceptée. Elle a présenté cette nouvelle information et attendu une réponse de l’employeur. Le 27 janvier 2020, on lui a dit que l’employeur l’informerait dès qu’il recevrait une réponse définitive du SCT. L’action donnant lieu au grief était la confirmation finale de l’employeur, fondée sur l’interprétation du SCT. La confirmation a été reçue le 26 février 2020, ce qui respecte plus qu’amplement la limite de 25 jours pour que la fonctionnaire dépose son grief le 12 mars 2020.

[19] Si la Commission détermine que le grief est hors délai, la fonctionnaire demande une prorogation de délai pour déposer son grief en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79).

[20] La fonctionnaire soutient que le retard peut se justifier par des raisons claires, logiques et convaincantes. Elle croyait qu’elle attendait que la direction précise sa position en réponse au fait que sa demande de prestations de congé parental de l’assurance-emploi avait été acceptée. En réponse, l’employeur a indiqué qu’il attendait de recevoir l’interprétation du SCT. Ainsi, la fonctionnaire a attendu que cette interprétation soit présentée afin de connaître la réponse définitive de l’employeur.

[21] La longueur du retard, même si l’on prend en considération la date au mois d’octobre, n’est pas excessive. Il est évident que la fonctionnaire a fait preuve de diligence. Elle a présenté l’information nécessaire à l’employeur et assuré un suivi pour connaître la réponse. L’injustice dont elle est victime, en étant incapable de réclamer un droit dont elle croit pouvoir se prévaloir en vertu de la convention collective est plus grande que tout préjudice causé à l’employeur. L’employeur était au courant de la situation en tout temps et savait qu’elle avait l’intention de déposer un grief si le SCT présentait une réponse négative.

[22] Il est impossible d’évaluer le dernier critère de Schenkman, soit les chances de succès du grief. Il s’agit à tout le moins d’une cause défendable. Rien ne porte à croire qu’elle est frivole ou vexatoire.

IV. Analyse

[23] La clause 18.15 de la convention collective se lit comme suit :

Un employé-e s’estimant lésé peut présenter un grief au premier palier de la procédure de la manière prescrite par la clause18.08 au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il est informé ou prend connaissance de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief […]

 

[24] Les parties ne s’entendent pas sur l’action qui a donné lieu au grief. Selon l’employeur, il s’agit du moment où il a indiqué à la fonctionnaire qu’il croyait qu’elle n’était pas admissible à prendre un congé parental. Selon la fonctionnaire, il s’agit de la date à laquelle elle a été informée de la réponse définitive de l’employeur, après que le SCT a présenté son interprétation de la convention collective.

[25] L’employeur invoque les décisions Pomerleau et Vidlak en tant qu’autorités pour sa déclaration selon laquelle les tentatives en vue de régler un différend de manière officieuse n’ont aucune incidence sur les délais prévus dans une convention collective.

[26] Dans Pomerleau, l’employé a cherché à obtenir une réponse différente de l’employeur, malgré le fait que le « non » était clair et étayé par l’interprétation du Conseil du trésor. L’arbitre de grief a conclu que l’action qui avait donné lieu au grief était le refus initial.

[27] Dans Vidlak, l’employé contestait une décision rendue quatre ans auparavant à cause d’un rapport qu’il n’avait obtenu que plus tard seulement. Le rapport constituait le fondement de son grief, mais il avait attendu neuf mois après l’avoir reçu avant de déposer son grief en vue de régler le différend à l’amiable. La présidente intérimaire de l’ancienne Commission a refusé d’accéder à sa demande de prorogation de délai, étant donné que la période de neuf mois était excessive et que les discussions officieuses n’avaient pas écarté la nécessité de s’assurer de son droit de déposer un grief.

[28] Dans le présent cas, après que l’employeur a refusé d’accorder un congé parental à la fonctionnaire, celle-ci a présenté une demande de prestations parentales de l’assurance-emploi, à laquelle elle a obtenu une réponse positive. Étant donné qu’il faut toucher des prestations parentales d’assurance-emploi pour avoir droit à une indemnité parentale en vertu de la convention collective (voir la clause 40.02a)(ii)), on comprend que la fonctionnaire a cru que la réponse positive à sa demande d’assurance-emploi était susceptible d’avoir une incidence sur l’évaluation de sa situation par l’employeur. Elle a donc informé l’employeur et attendu sa réponse.

[29] L’employeur a répondu qu’il attendait de recevoir l’interprétation du SCT. L’employeur aurait pu changer sa position, si l’interprétation avait été différente. Cela n’a rien à voir avec des tentatives de négociation entre la fonctionnaire et l’employeur. Contrairement à la situation dans Pomerleau, le refus initial de la demande de la fonctionnaire n’était étayé par aucune interprétation du Conseil du Trésor. Contrairement à Vidlak, la fonctionnaire a déposé son grief à l’intérieur du délai prescrit, dès qu’elle a su que la réponse de l’employeur était définitive.

[30] Dans le présent cas, il était raisonnable pour la fonctionnaire d’attendre d’obtenir une réponse définitive, étant donné que l’employeur n’avait jamais donné suite à la nouvelle information selon laquelle sa demande de congé parental avait été acceptée par le régime d’assurance-emploi et que l’employeur l’avait portée à croire qu’il attendait toujours la réponse définitive du SCT. La réponse aurait encore pu changer et, ainsi, il aurait été prématuré de déposer un grief.

[31] Par conséquent, je conclus que le grief a été présenté dans les délais prescrits. Il n’est pas nécessaire d’examiner la demande de prorogation de délai.

[32] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[33] L’objection de l’employeur est rejetée.

[34] Le grief sera inscrit au rôle des audiences devant la Commission.

Le 9 juin 2021.

Traduction de la CRTESPF

Marie-Claire Perrault,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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