Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a présenté une plainte en vertu de l’art. 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi ») dans laquelle elle a allégué que le défendeur s’était livré à une pratique déloyale de travail – elle a allégué que son employeur avait mené une enquête arbitraire, discriminatoire et de mauvaise foi lorsqu’elle avait porté plainte pour harcèlement – l’employeur s’est opposé au délai de présentation de la plainte et a demandé qu’elle soit rejetée sommairement – la Commission a conclu que la plaignante aurait pu présenter sa plainte de pratique déloyale de travail à l’époque où elle a présenté un grief portant sur le traitement par son employeur de sa plainte de harcèlement – la Commission a conclu que la plainte était hors délai – elle a également conclu qu’en considérant les faits allégués dans la plainte comme avérés à la seule fin de trancher la demande de rejet sommaire, la plaignante n’a présenté aucun argument défendable de violation d’une interdiction prévue au par. 186(2) de la Loi.

Objection au respect des délais accueillie.
Demande de rejet sommaire accueillie.
Plainte rejetée.

Contenu de la décision


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] Le 23 novembre 2020, Valerie Andruszkiewicz (la « plaignante ») a déposé une plainte en vertu de l’art. 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; « la Loi ») alléguant que la défenderesse, l’Agence des services frontaliers du Canada (« l’Agence »), a commis une pratique déloyale de travail au sens de l’art. 185 de la Loi et, en particulier, du paragraphe 186(2).

[2] Le paragraphe 186(2) de la Loi stipule ce qui suit :

186 (2) Il est interdit à l’employeur, à la personne qui agit pour le compte de celui-ci ainsi qu’au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, à l’officier, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada ou à la personne qui occupe un poste détenu par un tel officier, qu’ils agissent ou non pour le compte de l’employeur :

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne donnée, ou encore de la suspendre, de la mettre en disponibilité, de la licencier par mesure d’économie ou d’efficacité à la Gendarmerie royale du Canada ou de faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

(i) elle adhère à une organisation syndicale ou en est un dirigeant ou représentant — ou se propose de le faire ou de le devenir, ou incite une autre personne à le faire ou à le devenir —, ou contribue à la formation, la promotion ou l’administration d’une telle organisation,

(ii) elle a participé, à titre de témoin ou autrement, à toute procédure prévue par la présente partie ou les parties 2 ou 2.1, ou pourrait le faire,

(iii) elle a soit présenté une demande ou déposé une plainte sous le régime de la présente partie ou de la section 1 de la partie 2.1, soit déposé un grief sous le régime de la partie 2 ou de la section 2 de la partie 2.1,

(iv) elle a exercé tout droit prévu par la présente partie ou les parties 2 ou 2.1;

b) d’imposer — ou de proposer d’imposer —, à l’occasion d’une nomination ou relativement aux conditions d’emploi, une condition visant à empêcher le fonctionnaire ou la personne cherchant un emploi d’adhérer à une organisation syndicale ou d’exercer tout droit que lui accorde la présente partie ou les parties 2 ou 2.1;

c) de chercher, notamment par intimidation, par menace de congédiement ou par l’imposition de sanctions pécuniaires ou autres, à obliger une personne soit à s’abstenir ou à cesser d’adhérer à une organisation syndicale ou d’occuper un poste de dirigeant ou de représentant syndical, soit à s’abstenir :

(i) de participer, à titre de témoin ou autrement, à une procédure prévue par la présente partie ou les parties 2 ou 2.1,

(ii) de révéler des renseignements qu’elle peut être requise de communiquer dans le cadre d’une procédure prévue par la présente partie ou les parties 2 ou 2.1,

(iii) de présenter une demande ou de déposer une plainte sous le régime de la présente partie ou de la section 1 de la partie 2.1 ou de déposer un grief sous le régime de la partie 2 ou de la section 2 de la partie 2.1.

 

[3] La plaignante allègue que l’Agence a mené une enquête arbitraire, discriminatoire et de mauvaise foi sur une plainte de harcèlement qu’elle a déposée contre la haute direction. Elle allègue qu’au cours de son enquête, l’Agence a enfreint les politiques du Conseil du Trésor, notamment le guide d’enquête pour l’application de la Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement et de la Directive sur le processus de traitement des plaintes de harcèlement. Elle allègue que l’Agence a omis certains témoignages et qu’elle a détruit des preuves.

[4] Elle affirme qu’elle a présenté un grief concernant le traitement de l’enquête jusqu’au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Elle affirme également avoir reçu une copie de la décision de l’employeur au dernier palier relativement à son grief le 27 août 2020.

[5] En guise de mesures correctives, elle demande des excuses, une indemnité pour le salaire perdu (y compris les congés et les heures supplémentaires) et un remboursement pour la perte de congés, ainsi qu’une nouvelle enquête équitable et transparente.

II. Position de l’Agence

[6] Le 22 décembre 2020, l’Agence a répondu à la plainte en soulevant une objection pour non-respect du délai prescrit et en demandant, à titre subsidiaire, qu’elle soit rejetée sommairement parce que les allégations de la plaignante ne pouvaient pas appuyer une conclusion de violation d’une interdiction énoncée au paragraphe 186(2) de la Loi.

III. Respect des délais

[7] La plaignante a déposé la plainte le 23 novembre 2020. Elle a déclaré avoir pris connaissance des faits qui sous-tendent la plainte 88 jours plus tôt, lorsqu’elle a reçu la décision au dernier palier concernant son grief le 27 août 2020.

[8] L’employeur a rejeté le grief de la plaignante parce qu’il estimait qu’un enquêteur externe avait traité sa plainte de harcèlement correctement et que les politiques du Secrétariat du Conseil du Trésor avaient été suivies.

[9] L’Agence soutient que, contrairement au délai prévu à l’art. 190(2) de la Loi, la plaignante a déposé la plainte plus de 90 jours après avoir pris connaissance des faits en cause.

[10] L’Agence a soutenu que la décision au dernier palier concernant le grief n’a pas fourni à la plaignante de nouveaux renseignements qu’elle ne connaissait pas déjà et qu’elle aurait dû déposer la plainte dans les 90 jours suivant l’annonce des résultats de l’enquête sur sa plainte de harcèlement.

IV. Contexte

[11] La plaignante n’est pas représentée par un agent négociateur.

[12] En juin 2018, la plaignante a déposé une plainte de harcèlement dans laquelle elle alléguait que son gestionnaire, son directeur et son directeur général avaient fait preuve de discrimination à son égard depuis 2016. L’Agence a retenu les services d’un enquêteur externe pour enquêter sur certaines des allégations soulevées dans la plainte de harcèlement.

[13] L’enquête a été menée entre décembre 2018 et mai 2019, et au cours de cette période, deux allégations supplémentaires ont été ajoutées au mandat de l’enquêteur. En juin 2019, l’enquêteur a signalé que les allégations n’avaient aucun lien avec du harcèlement, tel que défini dans la Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement et la Directive sur le processus de traitement des plaintes de harcèlement.

[14] L’Agence a informé la plaignante et les auteurs présumés du harcèlement des conclusions de l’enquêteur au cours de l’été 2019.

[15] Le 7 octobre 2019, la plaignante a déposé un grief concernant le traitement de l’enquête sur le harcèlement.

[16] Le 17 août 2020, l’employeur a rejeté le grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. La décision de l’employeur s’est conclue en partie comme suit :

[Traduction]

[…]

Les enquêtes, menées par un enquêteur externe impartial, ont toutes deux conclu que les allégations soulevées dans vos plaintes ne correspondaient pas à la définition du harcèlement et, par conséquent, n’étaient pas fondées. Après un examen de l’ensemble du processus, je suis convaincu qu’il a été entrepris conformément aux directives et aux politiques pertinentes du Secrétariat du Conseil du Trésor sur le harcèlement et qu’il n’y a aucune raison d’intervenir.

[…]

 

V. Analyse

[17] La plaignante allègue que l’Agence a mené une enquête arbitraire, discriminatoire et de mauvaise foi sur une plainte de harcèlement qu’elle a déposée contre la haute direction. Elle allègue qu’au cours de son enquête, l’Agence a enfreint les politiques du Conseil du Trésor, notamment le guide d’enquête pour l’application de la Politique sur la prévention et la résolution du harcèlement et de la Directive sur le processus de traitement des plaintes de harcèlement. Elle allègue que l’Agence a omis certains témoignages et qu’elle a détruit des preuves.

[18] Le 7 octobre 2019, la plaignante a déposé un grief concernant le traitement de l’enquête sur le harcèlement. L’employeur a rejeté le grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Dans sa décision, l’employeur fait remarquer en partie ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Ce qui suit est en réponse au grief ci-dessus, dans lequel vous affirmez que le processus de plainte de harcèlement a été mal géré par l’ASFC et l’enquêteur.

À titre de mesures correctives, vous avez demandé une indemnisation pour perte de salaire, y compris les heures supplémentaires et la prime de poste, un remboursement des congés utilisés depuis 2016, et qu’un employé non mandaté par le gouvernement fédéral examine les conclusions des enquêtes.

[…]

 

[19] Il est évident qu’après avoir épuisé la procédure de règlement des griefs, la plaignante a soulevé devant la Commission les mêmes questions fondamentales que celles soulevées dans son grief, alléguant cette fois que l’Agence s’était livrée à une pratique déloyale de travail lorsqu’elle a traité sa plainte de harcèlement.

[20] La plaignante en l’espèce n’est pas représentée par un agent négociateur et ses conditions d’emploi ne sont pas prévues dans une convention collective. Elle n’a pas accès au processus d’arbitrage pour son grief dans lequel elle a allégué que l’Agence n’avait pas respecté les politiques du Conseil du Trésor en ce qui concerne les enquêtes sur le harcèlement. Tout droit que la plaignante avait en ce qui concerne la décision de l’employeur de rejeter son grief aurait dû être exercé devant la Cour fédérale dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire de cette décision : voir les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C. (1985), ch. F-7).

[21] Ce point m’amène à l’objection pour non-respect du délai soulevée par l’Agence. Comme il a été mentionné précédemment, la plaignante soulève maintenant essentiellement les mêmes questions que celles soulevées dans son grief. Elle prétend avoir eu connaissance des événements qui ont donné lieu à la présente plainte lorsqu’elle a reçu, le 27 août 2020, la décision de l’employeur rejetant son grief. Je note avec intérêt qu’elle n’a pas répondu à l’affirmation de l’Agence selon laquelle elle n’avait rien appris de nouveau de cette décision qu’elle ne savait pas déjà lorsque l’Agence lui a fourni, à l’été 2019, les conclusions de l’enquêteur sur sa plainte de harcèlement.

[22] Bien que la Commission n’ait pas encore été saisie d’une preuve produite dans le cadre d’un processus contradictoire en ce qui a trait à la question du respect des délais, je crois que la plaignante aurait dû répondre à l’objection de l’Agence. En outre, étant donné que la plaignante n’a pas donné d’explication à cet égard, je crois qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle n’ait pas d’explication plausible au fait qu’elle a déposé sa plainte plus de 90 jours après avoir été informée de l’issue de sa plainte de harcèlement. Il convient de rappeler que la plainte porte sur le traitement par l’Agence de sa plainte de harcèlement et non sur le traitement de son grief.

[23] Bien que mes conclusions concernant l’objection de l’Agence pour non-respect du délai tranchent la plainte, par souci d’exhaustivité, j’examinerai néanmoins si les allégations de la plaignante peuvent constituer une pratique déloyale de travail au sens de la Loi. En d’autres termes, j’examinerai si, en considérant comme véridiques les faits allégués par la plainte aux seules fins de statuer sur la demande de rejet sommaire de l’Agence, il existe un cas défendable de violation d’une interdiction énoncée au paragraphe 186(2) de la Loi.

[24] Dans Laplante c. Conseil du Trésor (Industrie Canada et le Centre de recherches sur les communications), 2007 CRTFP 95, Mme Laplante avait déposé une plainte en vertu de l’art. 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) alléguant des pratiques déloyales de travail de la part de son employeur, tel qu’il est précisé aux paragraphes 186(1) et 186(2). Elle a formulé un certain nombre d’allégations, notamment que son employeur avait modifié ses conditions de travail en raison d’une discrimination. D’autres employés avaient porté plainte contre Mme Laplante, alléguant un harcèlement de sa part.

[25] L’employeur de Mme Laplante a modifié ses conditions de travail afin qu’elle ne travaille plus avec les employés qui avaient porté plainte contre elle, conformément à sa politique en matière de harcèlement. Après enquête, l’employeur de Mme Laplante a déterminé que les plaintes de harcèlement des autres employés n’étaient pas fondées.

[26] L’employeur de Mme Laplante ne l’a pas immédiatement rétablie dans ses fonctions antérieures. Mme Laplante a également déposé des griefs fondés sur les mêmes faits que sa plainte, et elle a déposé des plaintes de harcèlement distinctes. La Commission des relations de travail dans la fonction publique a conclu que l’employeur de Mme Laplante n’avait pas enfreint le par. 186(1) ou le par. 186(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. De plus, la Commission des relations de travail dans la fonction publique a conclu que les allégations de harcèlement de Mme Laplante ne constituaient pas des motifs de plainte en vertu de l’art. 190, et elle a rejeté la plainte.

[27] La Commission des relations de travail dans la fonction publique a exposé ses motifs à l’égard de l’objection de l’employeur de Mme Laplante à la plainte aux paragraphes 68 à 83. Je vais citer ces motifs en partie, comme suit :

[68] [...] Je suis en accord avec l’argument soumis par l’employeur qu’une plainte de pratiques déloyales doit être fondée sur la violation des interdictions énumérées dans les dispositions du libellé de l’article 185.

[69] Afin de trancher l’objection préliminaire, il s’agit d’évaluer si les allégations de la plainte de la plaignante peuvent être considérées comme des interdictions énoncées dans la nouvelle Loi.

[…]

 

[28] La Commission des relations de travail dans la fonction publique a ensuite examiné la plainte de Mme Laplante à la lumière des dispositions particulières énoncées aux alinéas 186(2)a) et 186(2)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

[29] Au paragraphe 80, la Commission des relations de travail dans la fonction publique a traité les plaintes de harcèlement de Mme Laplante, énonçant ce qui suit :

[80] J’arrive à la même conclusion relativement aux plaintes de harcèlement et aux griefs, énumérés par Mme Laplante en la présente plainte, qui ont été déposés par Mme Laplante contre certains gestionnaires. Les circonstances précisées à la plainte n’identifient pas pour quels motifs, parmi ceux énoncés aux sous-alinéas (ii) à (iv) de l’alinéa 186(2)a) de la Loi, ces gestionnaires auraient contrevenu aux interdictions de pratiques déloyales précisées [...] en ces circonstances.

 

[30] Par conséquent, la Commission des relations de travail dans la fonction publique a accueilli l’objection de l’employeur de Mme Laplante selon laquelle la plainte n’était pas une plainte que la Commission des relations de travail dans la fonction publique pouvait trancher en vertu de l’art. 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

[31] Les motifs énoncés au par. 186(2) de la Loi interdisent toute discrimination de la part d’un employeur fondée uniquement sur les situations décrites au par. 186(2).

[32] Le sous-alinéa 186(2)a)(i) ainsi que les alinéas 186(2)b) et 186(2)c) portent sur l’appartenance ou la participation d’une personne à une organisation syndicale.

[33] Les sous-alinéas 186(2)a)(ii) et 186(2)c)(i) ont trait à la participation d’une personne à titre de témoin à une instance en vertu des parties 1, 2 ou 2.1 de la Loi.

[34] Les sous-alinéas 186(2)a)(iii) et 186(2)c)(iii) concernent une personne qui présente une demande ou qui dépose une plainte en vertu de la partie 1 de la Loi ou un grief en vertu de la partie 2 ou de la section 2 de la partie 2.1.

[35] Le sous-alinéa 186(2)a)(iv) s’applique à une personne qui exerce un droit en vertu des parties 1, 2 ou 2.1 de la Loi.

[36] Le sous-alinéa 186(2)c)(ii) s’applique à une personne qui fait une divulgation relativement à une procédure en vertu des parties 1, 2 ou 2.1 de la Loi.

[37] Même en considérant véridiques tous les faits allégués par la plainte aux seules fins de statuer sur la demande de rejet sommaire de l’Agence, je ne vois aucun cas défendable de violation d’une interdiction énoncée au paragraphe 186(2) de la Loi.

[38] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VI. Ordonnance

[39] La plainte est rejetée.

Le 21 juin 2021.

(Traduction de la CRTESPF)

David Olsen,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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