Décisions de la CRTESPF

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Date: 20210623

Dossier: 566-02-13608

 

Référence: 2021 CRTESPF 73

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

DENIS DAIGLE

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Agence des services frontaliers du canada)

 

employeur

Répertorié

Daigle c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant l’interprétation et l’application d’une convention collective

Devant : Paul Fauteux, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Wesley Duclervil, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l’employeur : Philippe Giguère, avocat

Affaire entendue à Ottawa

le 7 août 2019.

 


MOTIFS DE DÉCISION

I. Introduction

II. Contexte

III. Les plaidoiries des parties

IV. Les questions juridiques pertinentes

V. Le fardeau de la preuve

A. La position de l’employeur

B. La position du fonctionnaire s’estimant lésé

C. Ma décision

VI. Est-ce que le fonctionnaire a établi que des circonstances qui ne lui sont pas directement imputables l’ont empêché de se rendre au travail?

A. La position du fonctionnaire s’estimant lésé

B. La position de l’employeur

C. Examen de la jurisprudence

D. Ma décision

VII. Si oui, est-ce que sa demande de congé a été refusée sans motif raisonnable?

VIII. Ordonnance


I. Introduction

[1] Cette affaire vise à déterminer si Denis Daigle, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a le droit de se faire accorder un congé payé pour autres motifs en vertu de la clause 52.01a) de sa convention collective pour son absence du 20 avril 2013, jour où il ne s’est pas présenté au travail en raison d’un vol d’avion annulé à son retour de vacances.

II. Contexte

[2] Les faits ne sont pas contestés et peuvent être résumés comme suit.

[3] Le fonctionnaire est employé par l’Agence des services frontaliers du Canada comme douanier au poste frontalier de Saint-Armand/Philipsburg. Du 14 au 19 avril 2013, il a reçu un congé payé pour vacances qu’il a utilisé pour faire un voyage à Saint-Louis, Missouri, aux États-Unis. Son retour comportait une escale de 5 heures et 10 minutes à Charlotte, en Caroline du Nord, d’où il était prévu que son dernier vol partirait à 20 h 20 et atterrirait à Montréal à 22 h 30 le 19 avril 2013. Son retour au travail était prévu pour 8 h le 20 avril 2013.

[4] Une tempête de neige à Charlotte a entraîné l’annulation de ce dernier vol. Le fonctionnaire n’a pu obtenir une place sur des vols de remplacement que le 20 avril et, après une escale à Washington, D.C., a finalement atterri à Montréal à 14 h 49 ce jour-là.

[5] Ne s’étant pas présenté au travail comme prévu le 20 avril 2013, le fonctionnaire a fourni le 21 avril 2013 par courriel à son superviseur David Patenaude les explications de son absence. Alléguant des raisons « hors de son contrôle », il a demandé un jour de congé « autre que vacance », conformément à la clause 52.01 de sa convention collective, qui se lit comme suit :

Article 52 : Congés payés ou non payés pour d’autres motifs

52.01 L’Employeur peut, à sa discrétion, accorder :

a. un congé payé lorsque des circonstances qui ne sont pas directement imputables à l’employé-e lempêchent de se rendre au travail; ce congé n’est pas refusé sans motif raisonnable;

b. un congé payé ou non payé à des fins autres que celles indiquées dans la présente convention.

 

[6] M. Patenaude lui a répondu par courriel le 15 mai 2013 que le congé demandé ne lui était pas accordé, « […] car l’employeur juge que l’annulation de vols est une situation fréquente et quun vol de retour plus tôt aurait été à prévoir ». À la suite de ce refus, lemployeur a accordé au fonctionnaire un jour de congé supplémentaire de vacances payé.

[7] Le fonctionnaire a déposé un grief, auquel l’employeur a répondu comme suit au palier final :

[…]

Je constate que vous étiez en journées de repos et/ou en vacances jusqu’au 19 avril 2013. Vous aviez planifié un vol de retour en provenance de St. Louis (États-Unis) avec escale à Charlotte, pour arriver à Montréal le 19 avril 2013 à 20h20. Vous aviez alors l’intention de conduire plus d’une heure de Montréal à St. Armand, et de vous présenter au travail pour votre quart de travail le 20 avril 2013 à 8h30. Vous avez planifié votre vol de retour pour arriver à la dernière minute et, malheureusement, le vol était annulé.

L’article 52.01 de votre convention collective prévoit un congé payé lorsque des circonstances qui ne sont pas directement imputables à l’employé l’empêchent de se rendre au travail.

Je conclus que votre absence du travail est reliée à la planification de votre déplacement, et que vous n’avez pas démontré que les circonstances qui vous ont empêché de vous présenter au travail le 20 avril 2013 tel que prévu étaient hors de votre contrôle.

III. Les plaidoiries des parties

[8] L’affaire a été entendue le 7 août 2019. À la fin de l’audience, la Commission a demandé aux parties de lui fournir une version électronique de leurs plaidoiries pour faciliter la rédaction de sa décision. Ce faisant, la Commission a précisé qu’il ne s’agissait pas pour les parties d’une occasion de compléter leurs plaidoiries orales, mais simplement de fournir une version écrite de ce qu’elles avaient dit à l’audience.

[9] L’avocat de l’employeur, Philippe Giguère, a répondu qu’il répondrait à cette demande après s’être assuré que les notes écrites qu’il avait utilisées à cette fin ne contenaient pas de coquilles. Me Giguère a transmis à la Commission la version écrite de ses plaidoiries le 7 octobre 2019.

[10] Le représentant du fonctionnaire, Wesley Duclervil, a répondu qu’il n’avait pas préparé de notes écrites pour sa plaidoirie, qu’il avait « improvisée », et s’est engagé à fournir à la Commission un texte qui en refléterait fidèlement la teneur.

[11] Cet engagement n’a malheureusement pas été tenu et a donné lieu à une abondante correspondance entre les parties et la Commission.

[12] C’est ainsi que la Commission a rendu l’ordonnance suivante le 20 décembre 2019 :

Suite à la conférence téléphonique tenue le 19 décembre 2019, au cours de laquelle les parties ont eu l’occasion de faire valoir leurs arguments sur l’admissibilité de la plaidoirie et des autorités jointes au courriel de Mme Cynthia Bélanger du 9 décembre 2019, la Commission a déterminé que ces documents ne sont pas admissibles pour les motifs suivants:

1. Le 4 décembre 2019 la Commission a prié l’agent négociateur de fournir pour le 9 décembre 2019 sa réplique à la réponse de l’employeur à sa demande de prolongation de délai, pas une nouvelle plaidoirie et de nouvelles autorités.

2. Cette nouvelle plaidoirie et ces nouvelles autorités ne sont pas conformes à la demande de la Commission acceptée par les parties à l’issue de l’audience du 7 août 2019.

3. Cette demande consistait à fournir à la Commission, afin de l’aider à rédiger sa décision, une version écrite des plaidoiries orales des parties faites ce jour-là.

4. C’est ce qu’a fait Me Giguère pour l’employeur le 7 octobre 2019.

5. M. Wesley Duclervil, représentant du fonctionnaire s’estimant lésé à l’audience, a disposé d’une période de près d’un mois et demie entre la fin de celle-ci et le début de son congé, une période de temps suffisante pour tenir l’engagement qu’il avait pris à l’audience de fournir à la Commission une version écrite de la plaidoirie qu’il a faite ce jour-là, mais qu’il n’a pas tenu.

6. L’agent négociateur n’aurait pas pu donner à Me Saint-Amand le mandat de tenir l’engagement de M. Duclervil, puisque celle-ci n’était pas présente à l’audience du 7 août 2019.

7. Le mandat que l’agent négociateur à donné à Me Saint-Amand, à savoir de fournir une argumentation écrite qui serait inévitablement différente de la plaidoirie orale de M. Duclervil, n’est conforme ni à la demande de la Commission, ni à l’engagement des parties en réponse à cette demande.

8. Admettre la nouvelle plaidoirie et les nouvelles autorités de Me Saint-Amand exigerait, au nom de l’équité procédurale, de permettre à Me Giguère d’y répondre.

9. Cela entrainerait une réouverture du dossier après l’audience, ce qu’aucune circonstance exceptionnelle ne justifie en l’espèce.

10. Ne pas admettre la version écrite de sa plaidoirie fournie par Me Giguère le 7 octobre 2019 priverait la Commission de l’aide que les deux parties s’étaient engagées à lui fournir le 7 août 2019.

11. La décision susmentionnée de la Commission n’avantagera pas l’employeur ni ne désavantagera le fonctionnaire s’estimant lésé, puisque les notes que la Commission a prises à l’audience lui permettront à la fois de vérifier la conformité de la version écrite de la plaidoirie fournie par Me Giguère le 7 octobre 2019 avec ce qu’il a dit le 7 août 2019 et de tenir compte de tous les arguments que M. Duclervil a présentés ce jour-là dans sa plaidoirie.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

 

IV. Les questions juridiques pertinentes

[13] L’employeur estime que la Commission doit répondre aux questions suivantes :

a) Qui a le fardeau de la preuve?

b) Est-ce que l’employeur a violé l’article 52.01 a) de la convention collective?

c) Plus spécifiquement, la Commission doit répondre à cette question par une analyse à deux volets :

i) Est-ce que le fonctionnaire a établi que des circonstances qui ne lui sont pas directement imputables l’ont empêché de se rendre au travail?

ii) Si oui, est-ce que sa demande de congé a été refusée sans motif raisonnable?

 

[14] Même si le fonctionnaire n’a pas formulé les questions auxquelles doit répondre la Commission avec la même précision, la plaidoirie de M. Duclervil à l’audience n’indique pas de désaccord avec l’employeur à cet égard.

[15] La Commission est d’accord avec les questions auxquelles les parties souhaitent qu’elle réponde.

[16] Pour les motifs qui suivent, j’en suis arrivé à la conclusion que l’employeur n’a pas violé la clause 52.01a) de la convention collective.

V. Le fardeau de la preuve

A. La position de l’employeur

[17] L’employeur affirme qu’il découle de la jurisprudence de la Commission qu’il incombe au fonctionnaire de démontrer que l’employeur a violé la clause 52.01a) de la convention collective. Il ajoute que, pour avoir gain de cause, le fonctionnaire doit établir, en premier lieu, que des circonstances qui ne lui sont pas directement imputables l’ont empêché de se rendre au travail et, en deuxième lieu, que sa demande de congé a été refusée sans motifs raisonnables.

[18] À l’appui de cette affirmation, l’employeur cite les décisions suivantes de la Commission : Porlier c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources naturelles), 2018 CRTESPF 77 (« Porlier »), aux paragraphes 29 et 30; Vaughan c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2010 CRTFP 74 (« Vaughan »), aux paragraphes 70 et 71; Close c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CRTEFP 18, aux paragraphes 75 et 97.

B. La position du fonctionnaire s’estimant lésé

[19] S’appuyant sur le paragraphe 38 de décision de la Commission dans Martin c. Conseil du Trésor (ministère des Anciens combattants), 2014 CRTFP 37 (« Martin »), le fonctionnaire prétend que « […] lorsqu’un employé a établi qu’il lui était impossible de se rendre au travail et qu’il n’exerçait aucun contrôle sur les circonstances, le fardeau passe à l’employeur qui doit établir pourquoi il n’a pas accordé le congé payé […] ».

C. Ma décision

[20] L’employeur a correctement cité les décisions de la Commission mentionnées au paragraphe 18.

[21] En revanche, le fonctionnaire s’appuie erronément sur le paragraphe 38 de Martin, qui fait partie de la partie III de la décision, « Résumé de l’argumentation », et de sa section A, « Pour la fonctionnaire s’estimant lésée ».

[22] Au paragraphe 53 de Martin, le premier de la partie IV, « Motifs », l’arbitre de grief Jaworski déclare d’emblée ce qui suit :

[53] Une audience en arbitrage relativement à une allégation de violation d’une convention collective en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique est une audience de novo, et le fardeau de la preuve incombe à la fonctionnaire.

 

[23] Je fais mienne cette déclaration, et j’en conclus que l’employeur a correctement décrit les règles relatives au fardeau de la preuve dans la présente affaire.

VI. Est-ce que le fonctionnaire s’estimant lésé a établi que des circonstances qui ne lui sont pas directement imputables l’ont empêché de se rendre au travail?

A. La position du fonctionnaire s’estimant lésé

[24] Selon le fonctionnaire, l’annulation de son vol de Charlotte à Montréal le 19 avril 2013 est une circonstance qui ne lui est pas directement imputable et qui l’a empêché de se rendre au travail, et donc un exemple des circonstances prévues à la clause 52.01a) de la convention collective.

[25] À l’appui de sa position, le fonctionnaire a déposé en preuve des statistiques sur la fréquence des annulations de vol à l’aéroport Douglas International de Charlotte de janvier à décembre 2013, qui indiquent que seulement 1,32 % des vols en partance ont été annulés au cours de cette période, à la fois pour tous les transporteurs et pour US Airways, qui assurait le vol annulé, et que cette proportion n’était que de 1,15 % pour le seul mois d’avril 2013. Ces statistiques montraient également que les taux de vols à l’heure pour ces mêmes temps et transporteurs étaient respectivement de 80,65 % et 81,77 %.

[26] L’employeur s’est opposé à cette preuve au motif qu’elle n’avait pas été introduite lors de l’interrogatoire en chef du fonctionnaire, mais en contre-interrogatoire. Le représentant du fonctionnaire a insisté sur sa pertinence et j’ai dit que je l’admettais sous réserve de l’objection de l’employeur. Je ne crois pas qu’il soit dans l’intérêt de la justice que cette preuve soit jugée inadmissible pour la raison invoquée par l’employeur, ce pourquoi je rejette l’objection.

[27] S’appuyant sur cette preuve, donc, le fonctionnaire a fait valoir que l’aviation est en général très ponctuelle, que les vols sont rarement en retard et que les annulations de vols sont un phénomène rare. Il a témoigné qu’il faisait en moyenne deux voyages par année, au retour desquels il n’avait jamais subi de retard l’empêchant de revenir au travail le jour prévu avant l’incident du 19 avril 2013, ni d’ailleurs depuis. Il a aussi témoigné que l’annulation du vol avait été annoncée en raison de la météo et qu’il avait ensuite pris le vol le plus rapidement disponible.

[28] Le fonctionnaire a reconnu qu’il y avait une chance que son vol soit retardé ou annulé, et il a ajouté : « Je ne planifie pas pour le pire. » À l’avocat de l’employeur, qui lui faisait observer qu’il aurait pu réserver un vol plus tôt, il a répondu : « J’avais cinq jours de congé et je voulais en profiter au maximum. » Quand celui-ci lui a demandé s’il était d’accord qu’au jeu de la roulette, « si on perd notre pari on est responsable de notre perte », il a répondu : « Oui, si on fait des gageures. » Puis, revenant sur les statistiques susmentionnées, il a ajouté : « Je ne parierais pas si j’avais 1,32 % de chances de gagner. »

[29] Le fonctionnaire a aussi témoigné qu’il avait choisi un vol avec une escale de cinq heures et demie à Charlotte, ce qui constituait « un bon coussin pour retard », et qu’il essayait de façon générale d’éviter les escales trop courtes « parce qu’elles augmentent les chances de rater la correspondance ».

[30] Dans sa plaidoirie, M. Duclervil a insisté sur le fait que l’ensemble des vols au départ de Charlotte avait été annulés le soir du 19 avril 2013 et que le fonctionnaire avait exercé une diligence raisonnable pour se rendre à Montréal le plus vite possible le lendemain.

[31] Il faut à son avis rejeter l’argument de l’employeur sur la planification, qui « ne tient pas la route » parce qu’il y a moins de 2 % de chances que le vol soit annulé. Il n’est donc « pas question de risque » parce que « 98 % du temps les vols ne sont pas annulés ».

[32] De plus, le fonctionnaire était arrivé à temps au travail malgré tout lors de précédents vols qui avaient été retardés au retour de vacances. L’annulation, par contre, était une circonstance exceptionnelle.

[33] Le voyageur étant impuissant quand son vol est retardé ou annulé, cette circonstance ne lui est par conséquent pas « directement imputable », au sens de la clause 52.01a) de la convention collective, puisqu’il n’y a aucun lien direct entre le fonctionnaire et l’annulation du vol.

[34] L’employeur avait été incapable de démontrer que le fonctionnaire était directement imputable des circonstances qui l’avaient empêché de se rendre au travail, parce quil ny avait pas de lien de causalité entre le fonctionnaire et lannulation.

[35] M. Duclervil a aussi dénoncé « l’amalgame » qu’avait fait selon lui l’employeur entre les deux paragraphes du point 2.2.2 de l’Annexe A de la Directive sur les congés et les modalités de travail spéciales, intitulé « Mauvaises conditions climatiques ou environnementales » et qui se lit comme suit :

Les personnes ayant le pouvoir délégué n’accordent du temps libre payé que si elles estiment que les mauvaises conditions climatiques ou environnementales peuvent avoir une incidence sur la capacité d’une personne à se présenter ou à demeurer au travail.

De mauvaises conditions environnementales au lieu de travail, par exemple une panne de chauffage, et les situations d’urgence touchant une localité, comme une grave inondation ou une tempête de neige, sont des cas où la direction peut devoir exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder du temps libre payé.

 

[36] Il a distingué ces paragraphes en disant que le premier parle de « la capacité d’une personne à se présenter ou à demeurer au travail », tandis que le second parle de « mauvaises conditions environnementales au lieu de travail ».

[37] Enfin, par l’entremise de son représentant, le fonctionnaire a invoqué les décisions suivantes à l’appui de sa position : Société canadienne des postes et Syndicat des postiers du Canada (grief de Larouche, STTP 390-95-00751, Arb. Morin), [1999] D.A.T.C. no 106 (« Larouche »); Martin; Coppin c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 81 (« Coppin »); Laroche c. Conseil du Trésor (ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire), 2006 CRTFP 21 (« Laroche »); Canada (Procureur général) c. Degaris, [1994] 1 CF 374, 1993 Can LII 3000 (CF) (« Degaris »).

B. La position de l’employeur

[38] L’employeur a maintenu la position énoncée dans sa décision au dernier palier de grief citée au paragraphe 7 de la présente décision, à savoir que le fonctionnaire n’a pas démontré que les circonstances qui l’ont empêché de se présenter au travail le 20 avril 2013, tel qu’il était prévu, étaient hors de son contrôle, parce qu’elles étaient liées à la planification de son déplacement.

[39] L’employeur a fait témoigner David Patenaude, le surintendant du fonctionnaire à l’époque qui avait pris la décision de refuser le congé demandé par le fonctionnaire. Celui-ci a notamment dit que cette décision avait été prise, après consultation du chef des Opérations et de certains collègues, « parce qu’une marge de manœuvre aurait dû être prévue par l’employé, car les retards de vols sont fréquents ».

[40] En contre-interrogatoire M. Patenaude a déclaré ce qui suit : « Chaque demande [en vertu de l’article 52 de la convention collective] doit être analysée selon les circonstances, individuellement, particulières et exceptionnelles. Ça peut être très, très large et il faut analyser la demande reçue. »

[41] Contre-interrogé au sujet de la Directive sur les congés et les modalités de travail spéciales, M. Patenaude a dit que ce document venait du Conseil du Trésor et qu’il s’appliquait donc au-delà de l’Agence des services frontaliers du Canada. Il a reconnu à la fois que le point 2.2.2 de ce document, intitulé « Mauvaises conditions climatiques ou environnementales », avait été analysé dans le cadre de la décision en réponse à la demande du fonctionnaire, et que cette disposition s’applique dans les environs du lieu de travail et où les employés demeurent, mais « pas à des situations ailleurs dans le monde ».

[42] M. Patenaude a admis que le fonctionnaire n’était pas directement responsable de l’annulation de son vol. Quand on lui a demandé sur quel article il s’était basé pour refuser le congé demandé, il a répondu : « La planification du voyage est la responsabilité de l’employé. » Invité à relire le courriel cité au paragraphe 6 ci-dessus et à expliquer sur quoi il s’était basé pour écrire que « l’annulation de vols est une situation fréquente », il a dit : « Mon expérience personnelle et ce qu’on entend régulièrement parmi les gens que je connais qui voyagent. »

[43] L’employeur a aussi fait témoigner Michel Martineau, chef des Opérations, Montérégie Est. Invité à expliquer le sens des mots « peut, à sa discrétion, accorder » à la clause 52.01 de la convention collective, celui-ci a dit qu’il n’y avait pas d’automatisme et que le gestionnaire doit donc se pencher sur la situation et décider s’il y a lieu d’accorder le congé demandé ou pas.

[44] Invité en contre-interrogatoire à commenter les derniers mots de la clause 52.01a) de la convention collective (« ce congé nest pas refusé sans motif raisonnable »), M. Martineau a déclaré ce qui suit : « On a perçu/considéré que ce nest pas à lemployeur dassumer le risque de vol retardé et que ce risque est multiplié s’il n’y a pas de plan B parce qu’il y a une période insuffisante pour prévoir des annulations. » Il a aussi dit : « Je comprends que M. Daigle n’a pas causé le retard, mais il avait la responsabilité de planifier son voyage. »

[45] L’employeur a soumis la jurisprudence suivante au soutien de sa position : Justason et le Conseil du Trésor (Transport Canada), [1982] C.R.T.F.P.C. no 132, aux pages 3 et 4 (« Justason »); Ontario Agency for Health Protection and Promotion (Public Health Ontario) v. Ontario Public Service Employees Union, Local 716, 2014 CanLII 72996 (ON LA), aux paragraphes 53 à 55 (« Ontario Agency »); Porlier, aux paragraphes 29 et 30; Re Dollar and Treasury Board (Canada Employment and Immigration Commission), [1979] C.P.S.S.R.B. No. 18, au paragraphe 16 (« Re Dollar »); Close, aux paragraphes 75 et 97; Shpur et le Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), [1989] C.R.T.F.P.C. no 72, à la page 3 (« Shpur »); Vaughan, aux paragraphes 70 et 71.

[46] Anticipant les références qu’il allait faire à ces décisions, Me Giguère a affirmé dans sa déclaration liminaire que : « La Commission a toujours jugé que les employés devaient assumer les risques d’un retard ou d’annulation des vols. »

C. Examen de la jurisprudence

[47] Il est a priori permis de douter de la justesse de cette dernière affirmation, puisque le fonctionnaire a cité à l’appui de ses thèses les décisions rendues par la Commission dans Martin, Coppin et Laroche. C’est donc par celles-ci que j’aborderai mon examen de la jurisprudence sur laquelle chaque partie s’est appuyée.

[48] L’affaire Martin concernait les suites d’une éruption volcanique en Islande qui a entraîné la fermeture d’une grande partie de l’espace aérien européen et maintenu les aéronefs au sol du 15 avril au 21 avril 2010. La fonctionnaire s’estimant lésée était en vacances en Angleterre et, son séjour y ayant été prolongé au-delà de la date prévue de son retour au travail, celle-ci a demandé cinq jours de congé payé en vertu de la clause 52.01a) de sa convention collective. L’employeur ne lui en ayant accordé que deux et demi, elle a déposé un grief pour les deux jours et demi qui lui avaient été refusés, que la Commission a accueilli.

[49] La Commission explique, au paragraphe 59 de Martin, ce qui suit :

[59] Je n’ai aucun doute sur le fait que la fonctionnaire ne pouvait pas quitter Londres sur son vol de retour prévu, parce qu’il devait être le 20 avril 2010 et que les vols étaient annulés. Par conséquent, elle ne pouvait pas se présenter au travail le 21 avril 2010 puisqu’elle était toujours à Londres. L’employeur a clairement accepté que la situation de la fonctionnaire correspondait à la clause 52.01a) de la convention collective et à la définition de « circonstances qui ne sont pas directement imputables à l’employé-e », puisqu’il lui a initialement accordé deux jours de congé parce qu’elle ne pouvait pas, de toute évidence, se rendre au travail en raison de la fermeture de l’espace aérien et de l’annulation des vols à la suite de l’éruption volcanique. La seule question à laquelle il reste à répondre est de savoir si la décision de l’employeur de ne pas accorder les cinq jours de congé demandés était fondée sur un motif raisonnable.

[Je mets en évidence]

 

[50] Il convient de citer aussi le paragraphe 72 de cette décision en raison de sa pertinence pour la présente affaire :

[72] En conclusion, l’employeur a prétendu qu’il était raisonnable d’accorder deux jours et demi parce que la fonctionnaire était, en quelque sorte, partiellement responsable du fait qu’elle a pris ses vacances outre-mer et qu’il existe un risque inhérent associé aux voyages. Bien que j’accepte qu’il existe un certain risque à voyager de manière générale et à voyager par avion, je rejette cet argument parce qu’il n’y a aucun fondement factuel pour étayer la proposition de répartir le risque. La clause 52.01a) de la convention collective vise sans contredit à traiter de situations où un employé ne peut pas se rendre au travail en raison d’obstacles sur lesquels il n’exerce aucun contrôle. Comme je l’ai indiqué précédemment, ces cas sont fondés sur des faits, et dans les cas invoqués, sept concernaient des tempêtes de neige. Pour déterminer si une décision est fondée sur un motif raisonnable ou non, il faut généralement se demander si, à un moment donné, la circonstance ayant empêché l’employé de se rendre au travail a changé. Dans le cas d’une tempête de neige, cette question est habituellement de savoir quand les routes sont devenues praticables ou quand les autobus ont recommencé à circuler et si les circonstances sont demeurées les mêmes de telle sorte que l’employé ne pouvait pas se rendre au travail. En l’espèce, la fonctionnaire s’est présentée au travail le premier jour de travail après avoir pris le premier vol disponible pour Halifax.

 

[Je mets en évidence]

 

[51] J’observe à la lumière des passages précités que, dans Martin :

a) L’employeur a « clairement accepté » que l’annulation du vol de la fonctionnaire constituait une circonstance qui ne lui était pas directement imputable;

b) La Commission a accepté qu’il existe un certain risque à voyager de manière générale et à voyager par avion; mais

c) Elle a rejeté l’argument de l’employeur fondé sur ce risque « […] parce qu’il n’y a aucun fondement factuel pour étayer la proposition de répartir le risque ».

 

[52] Dans la présente affaire, comme dans Martin, l’employeur justifie sa décision par un argument fondé sur le risque à voyager par avion.

[53] Dans la présente affaire, contrairement à Martin, l’employeur cherche à faire supporter ce risque entièrement par le fonctionnaire. C’est sur la base de sa thèse que le risque à voyager par avion doit être entièrement supporté par le fonctionnaire que l’employeur nie, dans la présente affaire, et contrairement à ce qu’il avait « clairement accepté » dans Martin, que l’annulation du vol du fonctionnaire constituait une circonstance qui ne lui était pas directement imputable.

[54] Dans la présente affaire, l’employeur, par les voix de MM. Patenaude et Martineau (voir les paragraphes 42 et 44), a admis que le fonctionnaire n’exerçait aucun contrôle sur l’annulation de son vol, comme l’employeur l’avait accepté dans Martin.

[55] Ayant constaté dans Martin que l’employeur avait lui-même donné une réponse positive à la première question à laquelle les parties souhaitent que la Commission réponde dans la présente affaire, à savoir que le fonctionnaire a établi que des circonstances qui ne lui sont pas directement imputables lont empêché de se rendre au travail, la Commission a ensuite abordé la seconde question, celle de savoir si la demande de congé du fonctionnaire avait été refusée sans motif raisonnable.

[56] À cet égard, dans Martin, la Commission a déterminé ce qui suit : « […] Pour déterminer si une décision est fondée sur un motif raisonnable ou non, il faut généralement se demander si, à un moment donné, la circonstance ayant empêché l’employé de se rendre au travail a changé. […] » Elle a ensuite observé ce qui suit : « […] En l’espèce, la fonctionnaire s’est présentée au travail le premier jour de travail après avoir pris le premier vol disponible pour Halifax. […] » Les circonstances dans la présente affaire sont évidemment semblables en ce que le fonctionnaire s’est présenté au travail le premier jour de travail après avoir pris le premier vol disponible pour Montréal.

[57] Me Giguère a fait valoir dans sa plaidoirie qu’une éruption volcanique n’arrive pas souvent et qu’il s’agissait d’une circonstance exceptionnelle. Rien, cependant, dans Martin ne repose sur le caractère exceptionnel de l’éruption. La Commission s’est contentée de constater que l’employeur avait accepté que le fonctionnaire n’exerçait aucun contrôle sur l’annulation de son vol, indépendamment de sa cause. À mon avis, que l’annulation ait été causée par une éruption volcanique, une tempête de neige, un bris mécanique ou que sais-je encore, n’y change rien : l’important, aux fins de l’application de la clause 52.01a) de la convention collective, est de savoir si des circonstances qui ne lui sont pas directement imputables ont ou pas empêché le fonctionnaire de se rendre au travail. Toutes les circonstances énumérées ci-dessus pourraient selon moi en faire partie, selon l’appréciation au cas par cas, puisque, comme l’a jugé la Commission dans Martin : « […] ces cas sont fondés sur des faits […] ».

[58] Je reviendrai sur Martin aux paragraphes 109 à 111. J’ajoute simplement pour le moment que, contrairement à ce que prétendait l’employeur dans la déclaration liminaire de son avocat, cette affaire démontre à tout le moins que la Commission n’a pas « toujours » jugé que les employés devaient assumer les risques d’un retard ou d’annulation des vols.

[59] Dans Coppin, les fonctionnaires s’estimant lésés ont contesté le rejet par l’employeur de leurs demandes de congé payé parce qu’ils ont affirmé n’avoir pu se présenter au travail en raison des mauvaises conditions météorologiques. La Commission a accueilli les griefs, ayant jugé que la décision de l’employeur devait être basée sur le bien-fondé de chaque demande et que les deux fonctionnaires avaient fait des efforts raisonnables pour se rendre au travail.

[60] La Commission a noté, au paragraphe 33 de Coppin ce qui suit :

[33] Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, l’employeur doit examiner séparément chaque demande ainsi que la série de faits afférents, et sa décision doit être basée sur le bien-fondé de chaque demande. Il n’y a pas de mal à ce que l’employeur élabore une politique pour gérer les demandes de congé après une tempête de neige, mais cette politique doit être appliquée avec une certaine souplesse dans l’évaluation des faits relatifs à chaque demande, étant donné que le facteur clé est de savoir si l’employé a été empêché de se présenter au travail par des circonstances qui ne lui étaient pas directement imputables.

[Je mets en évidence]

[61] Après avoir analysé la preuve, la Commission a conclu, aux paragraphes 36 et 42, que chacun des deux fonctionnaires s’estimant lésés avait fait des efforts raisonnables pour se rendre au travail le 23 décembre 2004, et que leurs efforts avaient été vains à cause des conditions météorologiques particulièrement mauvaises. L’employeur a agi de manière déraisonnable en refusant d’accorder à chacun d’eux le congé payé demandé pour absence en vertu de la clause pertinente de la convention collective.

[62] Me Giguère a fait valoir que les faits de cette affaire sont « complètement différents » de ceux de la présente affaire. Cette objection n’est pas a priori déterminante, puisque la clause 52.01a) de la convention collective a été rédigée en termes généraux, précisément pour pouvoir s’appliquer à des faits complètement différents les uns des autres. Comme l’a jugé la Commission dans Coppin : « […] le facteur clé est de savoir si l’employé a été empêché de se présenter au travail par des circonstances qui ne lui étaient pas directement imputables ». C’est aussi pourquoi « […] l’employeur doit examiner séparément chaque demande ainsi que la série de faits afférents […] » – qui seront forcément différents d’un cas à l’autre – « […] et sa décision doit être basée sur le bien-fondé de chaque demande ».

[63] Même s’il s’agissait ici des effets d’une tempête de neige sur la circulation routière et pas sur le trafic aérien, j’observe en outre que, dans Coppin, la Commission n’a pas fait supporter à l’employé le risque d’impact sur les transports inhérent à l’hiver nord-américain, comme l’employeur demande au fonctionnaire de le faire en l’instance.

[64] Dans Laroche, le fonctionnaire s’estimant lésé avait appris par l’intermédiaire d’un journal qu’il y avait eu une saisie de cannabis à une de ses propriétés. Le même jour, il a communiqué avec son superviseur afin de l’informer qu’il n’était pas en forme et qu’il ne se présenterait pas au travail. À son retour au travail, il a soumis une demande de congé en vertu de la clause 52.01a) de sa convention collective. Cette demande a été refusée, l’employeur considérant qu’un congé de maladie était plus approprié dans les circonstances. La Commission a accueilli le grief pour les motifs suivants :

[7] Je conclus donc qu’il s’agissait de circonstances qui n’étaient pas directement imputables à l’employé et qui l’empêchaient de se rendre au travail. Il me semble que cet article de la convention collective vise précisément le genre de situation dans laquelle s’est trouvé M. Laroche ce jour-là. M. Laroche n’était pas tout simplement malade ou indisposé. Par ailleurs, l’aspect de la détresse psychologique n’empêche pas que le congé puisse se qualifier sous l’alinéa 52.01(a) de la convention collective. Il fallait considérer les circonstances dans leur ensemble.

[65] Comme l’a fait observer Me Giguère : « Les parties ont convenu de traiter le grief selon une méthode d’arbitrage accéléré. Cette décision finale et exécutoire ne peut constituer un précédent ni être renvoyée pour contrôle judiciaire à la Cour fédérale. »

[66] J’observe néanmoins que, même si cette décision ne concerne ni une annulation de vol, ni un aléa de l’hiver, elle est cohérente avec celle que la Commission allait rendre trois ans plus tard dans Coppin, à savoir que « […] l’employeur doit examiner séparément chaque demande ainsi que la série de faits afférents, et sa décision doit être basée sur le bien-fondé de chaque demande ».

[67] Tel qu’il a été mentionné au paragraphe 37 ci-dessus, le fonctionnaire a aussi cité deux décisions qui n’ont pas été rendues par la Commission, que j’aborde maintenant.

[68] La décision Larouche concerne l’application d’une clause de convention collective semblable à la clause 52.01a) de celle du fonctionnaire. L’arbitre M. Morin y a conclu que le fait pour un employé d’oublier d’éteindre les phares de sa voiture en arrivant à destination d’un voyage de pêche, avec pour résultat que sa batterie était à plat au moment de rentrer, ce qui l’a empêché de se présenter au travail au moment prévu, constitue un ensemble de « circonstances qui ne lui sont pas directement attribuables » et il a accueilli les griefs en conséquence.

[69] Cette décision figure dans le cahier des autorités du fonctionnaire, mais M. Duclervil n’en a pas fait mention dans sa plaidoirie; Me Giguère n’en a pas fait mention non plus.

[70] Quant à Degaris, qui figure aussi dans le cahier des autorités du fonctionnaire, M. Duclervil a déclaré à l’audience qu’il s’agissait d’une erreur et qu’il fallait ignorer cette décision.

[71] J’en viens maintenant à l’examen de la jurisprudence citée par l’employeur, pour lequel je procéderai dans l’ordre où son avocat a choisi d’y faire référence dans sa plaidoirie.

[72] Me Giguère a commencé par citer les principes énoncés au paragraphe 30 de Porlier, à savoir que :

[30] Il incombe au fonctionnaire de prouver que l’employeur a interprété la convention collective de façon déraisonnable […]. La Commission ne peut modifier la convention collective par sa décision […]. Il faut, dans l’interprétation d’une disposition de la convention collective, tenir compte non seulement du sens ordinaire des mots, mais également de l’ensemble de la convention collective « […] parce que c’est la convention collective dans son ensemble qui forme le contexte dans lequel les mots utilisés doivent être interprétés. […] » […]

[73] Comme la commissaire Perrault dans Porlier, j’accepte ces principes.

[74] Me Giguère a ensuite cité les paragraphes 70 et 71 de Vaughan, rejetant l’argument du fonctionnaire selon lequel le fardeau de la preuve devrait être renversé, en supposant qu’il ait établi l’existence à première vue d’une contravention à la convention collective.

[75] J’ai déjà dit au paragraphe 23 ci-dessus que je suis d’accord avec la position de l’employeur sur la question du fardeau de la preuve. Comme l’a jugé la Commission dans Vaughan :

[71] […] La disposition sur le congé pour accident de travail [et, j’ajouterais, celle sur le congé pour autres motifs] est une disposition comme une autre. À mon avis, il n’y a aucune raison de dégager le fonctionnaire de l’obligation qui lui incombe habituellement de prouver, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’un manquement à cette disposition.

 

[76] Sur le fond du litige, l’employeur s’est d’abord appuyé sur Close. Cette décision concernait deux griefs, dont l’un était basé sur des faits semblables à ceux de la présente affaire : la fonctionnaire s’estimant lésée rentrait de vacances, il y a eu des problèmes avec son vol de retour et elle n’a pas été en mesure de revenir à temps pour travailler les heures prévues à son horaire. Elle a demandé un congé payé pour autres motifs, l’employeur a refusé de le lui accorder et elle a dû utiliser un congé annuel pour compenser son absence.

[77] Me Giguère a attiré l’attention de la Commission sur le paragraphe 75 de Close, qui rappelle les règles relatives au fardeau de la preuve, et le paragraphe 97, où la commissaire Rogers conclut comme suit : « […] Mme Stevens ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir qu’elle n’avait pu se présenter au travail en raison de circonstances qui ne lui étaient pas directement imputables; par conséquent, je ne peux accueillir le grief. »

[78] Les motifs à l’origine de cette conclusion sont énoncés aux paragraphes 92 à 96 de Close et je les cite en raison de leur pertinence dans la présente affaire :

[92] Mme Stevens a soutenu qu’elle n’avait pas pu travailler, le 27 mai 2011, en raison de circonstances qui ne lui étaient pas directement imputables. Je ne suis pas d’accord. Elle a planifié son horaire de vol sans se laisser la moindre marge de manœuvre en cas d’imprévus. Selon ses réservations initiales, son retour à Sydney était seulement prévu à 3 h, le 27 mai 2011, et elle devait reprendre sa journée de travail à 8 h 30. Elle partait de Marseille, en passant par Francfort et Philadelphie, à destination d’Halifax. Le fait que l’annulation de son vol soit hors de son contrôle ou qu’elle ait pris toutes les mesures possibles pour se trouver un autre vol n’est pas pertinent si l’on tient compte du fait qu’une fois son vol annulé, il n’y avait aucun moyen de se présenter au travail à l’heure prévue puisqu’aucune marge de manœuvre n’a été prévue.

[93] Dans Barrett, portant sur un grief déposé en vertu d’une disposition similaire à la clause 52.01a) de la convention collective, l’arbitre de grief a estimé que l’employé n’avait pas planifié de manière appropriée son voyage de retour de vacances, compte tenu de la saison et des retards potentiels. L’arbitre de grief a écrit ce qui suit à la page 10 :

[…] on peut considérer qu’il ne tenait qu’à lui [l’employé] de prévoir les retards que les mauvaises conditions atmosphériques pouvaient occasionner et de s’allouer suffisamment de temps pour pouvoir reprendre le travail au moment voulu. Ne pas parer à de telles éventualités est en soi une imprudence qui ne devrait pas normalement donner lieu aux avantages que l’employeur peut accorder à sa discrétion aux termes de la clause 18.04 […]

[94] De même, dans Justason, le fait qu’un employé ne se soit pas accordé suffisamment de marge de manœuvre en prévision de circonstances imprévisibles dans la planification de son voyage a été jugé comme la véritable raison de son impossibilité à se présenter au travail tel que requis et comme une circonstance qui lui était directement attribuable.

[95] Je souscris aux principes énoncés dans Barrett et Justason. Mme Stevens était responsable de ses préparatifs de voyage. Elle savait qu’elle avait réservé sa place sur le dernier vol partant de Philadelphie à destination d’Halifax, le 26 mai, qu’il lui fallait faire le trajet de Halifax à Sydney en voiture, et qu’elle arriverait, si tout se déroulait exactement comme prévu, à peine cinq heures et demie avant de commencer sa journée de travail à l’heure prévue à l’horaire. Un retard à n’importe laquelle des étapes de son itinéraire de retour pouvait faire en sorte qu’elle manque le dernier vol et ainsi l’empêcher de retourner à Sydney à temps pour sa journée de travail prévue. Elle ne s’est laissé aucune marge de manœuvre pour s’ajuster aux problèmes inhérents aux voyages par avion, comme la météo défavorable ou les problèmes mécaniques ou encore la perte de bagages. À mon avis, ce genre de planification ne satisfait pas à l’exigence selon laquelle les employés doivent être raisonnablement prévoyants et prendre les mesures raisonnables afin de s’assurer de pouvoir se présenter au travail. L’employeur ne devrait pas avoir à payer pour le risque couru par Mme Stevens et le manque de prévoyance dont elle a fait preuve.

[96] Je conclus que Martin ne s’applique pas en l’espèce. Dans cette affaire, il était question des mesures prises par la fonctionnaire après l’annulation de son vol. Je n’ai pas examiné la question de savoir si elle s’était alloué une marge de manœuvre suffisante dans la planification de son voyage.

[Je mets en évidence]

[79] La décision de la Commission dans Close, de même que celles dans Barrett et Justason, vont donc clairement dans le sens de celle que l’employeur lui demande de rendre dans la présente affaire.

[80] Dans Close, avant d’examiner le grief de Mme Stevens (ainsi que celui de Mme Close, qui portait sur des faits différents), l’arbitre avait débuté ses motifs par quelques remarques générales, dont celle qui suit au paragraphe 76 :

[76] Des versions semblables à cette disposition ont été inscrites à des conventions collectives depuis plus de 30 ans et, par conséquent, son interprétation et son application ont été examinées dans de nombreuses décisions. Pour la plupart, les cas ayant trait à l’article 52 ou ses versions antérieures soulèvent des allégations qui reposent sur des faits et qui soulèvent la question de savoir si les circonstances qui ont empêché l’employé de se rendre au travail leur étaient directement imputables. […]

[81] Dans la présente affaire, l’employeur s’est également appuyé sur une décision plus ancienne de la Commission, celle rendue en 1979 dans Re Dollar. Au paragraphe 16 de cette décision, l’arbitre de grief Pyle a noté que, depuis sept ans déjà, la disposition relative aux autres congés payés de diverses conventions collectives avait fait l’objet de nombreux griefs renvoyés à l’arbitrage et, plutôt que de les examiner en détail, il avait noté l’observation de l’arbitre de grief Beatty dans Benson et al. (166-2-1557/1565), dont Me Giguère a cité de larges extraits dans sa plaidoirie, que je reprends ici vu leur pertinence dans la présente affaire :

[Traduction]

La question devant moi est alors très simple et consiste à savoir si les sept fonctionnaires s’estimant lésés étaient visés ou non par la clause 23.05 et si leurs demandes de congé spécial ont été refusées de manière déraisonnable. Les principes en fonction desquels leurs cas doivent être tranchés ont maintenant été examinés par au moins quatre arbitres de grief différents et semblent être raisonnablement bien établis. Par conséquent, la tâche que je dois accomplir est restreinte davantage en vue d’accepter une application de cette jurisprudence établie ayant trait à la clause 23.05 aux faits sur lesquels portaient les témoignages lors de la présente audience. En effet, l’interprétation accordée à la clause 23.05 par ces arbitres de grief a été aussi cohérente que dans toutes ces décisions, sauf une, l’arbitre de grief a conclu que l’employeur n’avait pas refusé de manière déraisonnable un congé spécial, même si les employés étaient confrontés, dans certains cas, à des conditions d’orages aussi violents que celles auxquelles étaient confrontés les fonctionnaires s’estimant lésés devant moi.

Afin de parvenir à de tels résultats uniformes, les arbitres de grief ont convenu que […] l’employeur dispose encore du pouvoir discrétionnaire d’accorder ou de refuser de telles demandes. Même si ce pouvoir discrétionnaire n’est […] plus absolu, les arbitres de grief se sont tenus fermement à leurs analyses selon lesquelles il existe toujours un pouvoir discrétionnaire, ce qui ne peut faire l’objet d’un examen par les arbitres de grief, sauf pour s’assurer qu’il n’a pas été exercé de manière déraisonnable. Très simplement, la disposition relative au congé spécial n’a pas été rédigée comme, par exemple, la disposition relative au congé de mariage prévu à la clause 23.02 ou la disposition relative au congé de deuil prévu à la clause 23.03, en ce qui concerne un droit absolu. Au contraire et de manière unique, la disposition relative au congé spécial comporte encore un libellé facultatif. La conséquence doit être […] qu’un arbitre de grief ne doit pas interférer avec la décision de l’employeur si elle est raisonnable, même si l’arbitre de grief aurait pu prendre une décision différente et même si l’arbitre de grief ou un autre superviseur aurait accordé un congé spécial dans les circonstances […] Dans la mesure où un autre employeur, ou même moi-même, pourrions accorder un congé spécial dans les circonstances qui prévalaient les jours en question, cela n’établit pas en soi que la décision de M. Roussy était déraisonnable. Au contraire, il se peut fort bien que les deux décisions étaient tout aussi raisonnables, auquel cas ces griefs doivent être rejetés. En deuxième lieu et de manière plus générale, si le sens à attribuer à la clause 23.05 correspond à ce que d’autres ont dit, ainsi que moi-même, la seule question que doit trancher l’arbitre de grief, tel que je l’ai mentionné ci-dessus, est celle relative au critère raisonnable de la décision de l’employeur en fonction des faits de chaque cas.

 

[Je mets en évidence sauf pour le dernier mot, qui a été mis en évidence dans l’original]

 

[82] L’employeur a également attiré mon attention au paragraphe 20 de Re Dollar, où l’arbitre de grief Pyle, face à une divergence d’opinion dans la jurisprudence (dont j’observe qu’elle contredit l’observation de l’arbitre de grief Beatty que sa tâche se limitait à [traduction] « une application de cette jurisprudence établie »), s’exprime comme suit :

[Traduction]

[…] J’accepterais comme premier principe que l’employeur dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour accorder ou refuser une demande de congé payé. Ce pouvoir discrétionnaire n’est pas absolu. L’arbitre de grief doit s’assurer qu’il n’a pas été exercé de manière déraisonnable. Si la décision est raisonnable, l’arbitre de grief ne doit pas interférer, même si lui ou un autre superviseur auraient pu parvenir à une autre décision et avoir accordé le congé payé dans les circonstances.

 

[83] La décision rendue dans Re Dollar contient en outre à mon avis plusieurs autres passages pertinents pour le litige que j’ai à trancher. En effet, au paragraphe 25, l’arbitre de grief Pyle a conclu que, même s’il acceptait que Mme Dollar a fait des efforts raisonnables pour se rendre au travail malgré une tempête de neige :

[Traduction]

[…] néanmoins, son choix de résidence constituait une circonstance qui relevait de son contrôle et cela l’a empêché de se présenter au travail. Il s’agissait de la raison principale pour laquelle elle était absente du travail et non les conditions météorologiques, ce qui constituait une circonstance qui ne lui était pas directement attribuable.

[84] Je suis frappé par le parallélisme entre cette conclusion et celle que l’employeur me demande de tirer dans la présente affaire. Comme l’a dit M. Martineau dans son témoignage rapporté au paragraphe 44 ci-dessus : « Je comprends que M. Daigle n’a pas causé le retard, mais il avait la responsabilité de planifier son voyage. » Selon l’employeur, c’est donc la décision du fonctionnaire de planifier son voyage « sans marge de manœuvre en cas de retard ou d’annulation » qui est la principale raison pour laquelle il ne s’est pas présenté au travail. De la même façon, l’arbitre de grief Pyle a conclu dans Re Dollar que Mme Dollar n’avait pas causé la tempête de neige, mais elle avait la responsabilité de choisir son lieu de résidence.

[85] Au paragraphe 26 de Re Dollar, immédiatement après cette conclusion, l’arbitre de grief Pyle a ajouté ce qui suit :

[Traduction]

Je sais que dans cette décision je n’ai pas confirmé l’interprétation récente de mes collègues, M. O’Shea et M. Moalli. Au contraire, j’ai été convaincu par l’observation de l’arbitre de grief Beatty dans Benson, où il a fait référence aux principes qu’il a conclu avoir [traduction] « maintenant été examinés par au moins quatre arbitres de grief différents et semblent être raisonnablement bien établis » […]

 

[86] Conscient de la dissonance que créait sa décision avec celles de ses collègues membres de la Commission, l’arbitre de grief Pyle a cité ensuite une série d’observations sur « la jurisprudence arbitrale », dont je cite à mon tour les passages qui m’apparaissent les plus pertinents pour la décision que j’ai à rendre :

[Traduction]

[27] […] dans Canadian Labour Arbitration (1977), Brown et Beatty ont indiqué, au par. 1:3000, à la p. 13-6 :

[Traduction]

L’analogie entre les systèmes arbitral et judiciaire ne se limite pas aux similitudes de processus. Au contraire, de la même façon que l’évolution de la common law, un vaste ensemble de jurisprudence arbitrale a été élaboré à l’égard de nombreuses questions communes qui surviennent dans le cadre des relations de négociation collective. Ces décisions ont façonné et orienté non seulement la rédaction de clauses dans les nouvelles conventions collectives en fournissant un point de référence quant à la façon dont certains problèmes ont été réglés par les arbitres de différends dans le passé, mais elles s’appliquent également au règlement de griefs futurs. Toutefois, et contrairement aux décisions judiciaires, la décision d’un arbitre de différends n’a pas le caractère de précédent exécutoire à l’égard des différends futurs qui pourraient survenir dans d’autres conventions […]

[…]

De plus, il est généralement admis que les décisions arbitrales n’ont aucun effet exécutoire lorsque la décision antérieure est rendue en vertu d’une convention collective différente ou lorsque l’une des parties n’a pas participé à la procédure antérieure. Toutefois, même dans ces circonstances, les arbitres de différends sont influencés par des décisions antérieures et, en fait, lorsque les décisions antérieures ne sont pas contradictoires et proposent un raisonnement uniforme, il est peu probable qu’un arbitre de différends les écartera à la légère. De même, lorsque, au fil des ans, un fort consensus arbitral s’est dégagé à l’égard d’une question particulière, les arbitres de différends considèrent ces décisions antérieures comme faisant partie du contexte dans lequel les conventions collectives sont négociées et, dans ces circonstances, ils supposeront généralement qu’un règlement semblable de la question était prévu par les parties, à moins que la convention collective ne prévoie clairement le contraire.

[28] Ces observations ont été faites à l’égard de la « jurisprudence arbitrale », notamment :

(i) Re Canadian Industries Ltd. and U.S.W., Local 6350 (1965), 16 L.A.C. 270 (Little). Après avoir pris connaissance d’une décision antérieure, le juge Little a observé ce qui suit à la p. 274 :

Cette décision a été rédigée il y a plus de cinq ans, mais nous n’avons connaissance d’aucune décision exprimant une opinion contraire depuis lors. Il est vrai qu’aucune commission n’est liée par une décision antérieure, mais nous sommes d’avis que lorsqu’un sujet a été examiné de manière aussi approfondie au cours des années comme celle-ci et qu’un résultat uniforme est évident dans les décisions et que la plupart des entreprises et des syndicats qui participent au processus de négociation collective, y compris ces parties, sont au courant d’une telle jurisprudence et agissent continuellement en fonction de ces connaissances, une commission devra trouver des circonstances exceptionnelles pour justifier une conclusion différente. Aucune telle circonstance n’existe dans la présente affaire. En outre, nous souscrivons à la jurisprudence citée et nous devons conclure que, selon les éléments de preuve, aucune violation de la convention n’a été établie dans la présente affaire.

[…]

(iii) Plus récemment, l’arbitre de grief Beatty, dans Chandler (166-2-4139 à 4142) a fait remarquer ce qui suit :

Face à une interprétation aussi claire des dispositions mêmes de la convention collective que celles qui sont en litige devant moi, je répugnerais à intervenir à l’égard d’une telle opinion établie (et l’invocation subséquente par les parties), à moins que je ne sois convaincu qu’elle était manifestement erronée. Si l’on adoptait une autre position, l’effet d’une décision d’un arbitre de grief serait simplement transitoire et dénué de répercussion et les parties seraient encouragées à « arbitrer de nouveau » une décision défavorable à leurs intérêts. […]

[87] En ce qui concerne Ontario Agency, l’employeur a attiré mon attention aux paragraphes 53 à 55 concernent le grief de Katherine Mayo. Même s’il s’agissait d’un arbitrage privé et que la clause en question était différente de celle devant moi, les faits sont très semblables à ceux de la présente affaire : un vol retardé en raison de conditions météorologiques et une demande de congé spécial refusée.

[88] Je note les passages suivants des motifs de rejet du grief dans Ontario Agency :

[Traduction]

[…]

[54] Je suis d’accord avec l’employeur pour dire que cette situation n’était ni imprévue ni inhabituelle. Les retards et les annulations de vols constituent une partie normale du transport aérien de nos jours […] la situation n’était guère imprévue et ne susciterait normalement pas beaucoup de sympathie.

[55] Je fais également remarquer que la fonctionnaire s’estimant lésée a pris une chance considérable en prenant un vol si tard le soir avant son quart de travail prévu. […] La fonctionnaire s’estimant lésée aurait dû prévoir qu’elle pourrait bien être retardée ou que son vol soit annulé.

[…]

 

[89] Les faits dans Justason, citée par la Commission dans Close, , sont aussi très semblables à ceux de la présente affaire, comme je l’ai relevé au paragraphe 78 ci-dessus : un vol retardé en raison de conditions météorologiques et une demande de congé spécial refusée. Comme l’a fait observer l’employeur dans sa plaidoirie, dans cette affaire, le fait qu’un employé ne se soit pas accordé suffisamment de marge de manœuvre en prévision de circonstances imprévisibles dans la planification de son voyage a été jugé comme la véritable raison de son impossibilité à se présenter au travail, et donc comme une circonstance qui lui était directement attribuable.

[90] Le commissaire MacLean a appuyé son rejet du grief sur le passage suivant de la décision de la Commission dans Barrett c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), dossier de la CRTFP 166-2-7738 :

[…] on peut considérer qu’il ne tenait qu’à lui [l’employé] de prévoir les retards que les mauvaises conditions atmosphériques pouvaient occasionner et de s’allouer suffisamment de temps pour pouvoir reprendre le travail au moment voulu. Ne pas parer à de telles éventualités est en soi une imprudence qui ne devrait pas donner lieu aux avantages que l’employeur peut accorder à sa discrétion […].

[91] Et le commissaire MacLean, dans Justason, de conclure que M. Justason a été retardé « […] parce qu’il a choisi d’attendre le dernier vol de la soirée en partance pour St-Jean pour revenir, faisant ainsi fi des aléas normaux dont il faut tenir compte lorsqu’on organise un voyage ». J’observe à cet égard que, tout comme dans la présente affaire, les fonctionnaires dont les griefs ont été rejetés dans Barrett, Justason et Close avaient tous choisi de prendre le dernier vol de retour disponible avant leur retour prévu au travail. Comme je l’ai noté au paragraphe 28, il s’agissait d’un choix délibéré de la part du fonctionnaire, qui a témoigné : « J’avais cinq jours de congé et je voulais en profiter au maximum. »

[92] L’employeur a enfin invoqué la décision de la Commission dans Shpur, qui portait sur un grief aux origines factuelles également semblables à celles que je viens d’analyser, à savoir un vol retardé en raison de conditions météorologiques et une demande de congé spécial refusée, à cette différence près que, selon le président suppléant D’Avignon : « […] Ce n’est pas parce que son vol a été retardé qu’elle ne s’est pas présentée au travail. Sans doute était-elle extrêmement fatiguée, mais c’était en raison de circonstances qui lui étaient directement imputables. »

[93] Les motifs de la décision qui précèdent cette observation se lisent comme suit :

[…]

Les arbitres ont examiné des demandes semblables par le passé et ont presque invariablement jugé que les employés qui organisaient leurs voyages de façon à rentrer le plus tard possible devaient assumer les risques d’un retard ou d’une défaillance mécanique. Dans de tels cas, les employés s’estimant lésés sont les artisans de leur propre malheur, et Mme Shpur ne fait pas exception à la règle.

J’adopterais sans réserve le raisonnement suivi par l’arbitre MacLean dans l’affaire Justason (dossier de la Commission 166-2-10376), où il est dit aux pages 5 et 6 :

… [son retard] est dû à sa décision de ne pas prévoir le battement qui lui aurait permis de faire face à toute éventualité. Le choix qu’il a fait de prolonger son séjour à Saint-Jean et de quitter Halifax juste à temps pour attraper la correspondance à destination de Goose Bay lui est directement attribuable. Comme c’était son choix, c’est lui et non l’employeur qui doit payer pour son retard.

à mon avis, il lui appartient maintenant de subir les conséquences du retard qu’il a éprouvé pour avoir supposé que tout marcherait comme sur des roulettes, de sorte qu’il arriverait à temps au travail.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

D. Ma décision

[94] J’ai observé au paragraphe 62 que la clause 52.01a) de la convention collective a été rédigée en termes généraux pour pouvoir s’appliquer à des faits complètement différents les uns des autres et, comme l’a jugé la Commission dans Coppin, « […] l’employeur doit examiner séparément chaque demande ainsi que la série de faits afférents […] » – qui seront forcément différents les uns des autres – « […] et sa décision doit être basée sur le bien-fondé de chaque demande ».

[95] Néanmoins, force est de constater que, comme l’a noté Me Giguère dans sa plaidoirie en invitant la Commission à comparer les pommes avec les pommes plutôt que des pommes avec des oranges, les causes citées par l’employeur sont comparables et très similaires, sinon identiques à la présente affaire. Dans la foulée, il a souligné que, dans toutes ces affaires, la décision de l’employeur de refuser le congé spécial demandé avait été jugée raisonnable et il a affirmé qu’il n’y avait pas de raison que la Commission déroge aux principes établis dans ces affaires.

[96] Je suis persuadé par ce raisonnement, auquel j’ajoute ce qui suit.

[97] Premièrement, je rappelle que, comme je l’ai noté aux paragraphes 13 à 15 ci-dessus, la Commission doit répondre à la question de savoir si l’employeur a violé la clause 52.01a) de la convention collective par une analyse à deux volets, dont le premier consiste à se demander si le fonctionnaire a établi que des circonstances qui ne lui sont pas directement imputables l’ont empêché de se rendre au travail. Ce n’est que si la réponse à cette question est positive que la Commission doit ensuite déterminer si sa demande de congé a été refusée sans motif raisonnable.

[98] Me Giguère a confondu les deux volets quand il a affirmé que, dans toutes les affaires qu’il a citées, la décision de l’employeur de refuser le congé spécial demandé avait été jugée raisonnable. En réalité, les décideurs dans ces affaires n’ont pas eu à se prononcer sur le caractère raisonnable ou non du refus de l’employeur, puisqu’ils ont tous conclu que le fonctionnaire avait échoué au premier critère. Comme c’était la décision du fonctionnaire de ne pas se conformer à « […] l’exigence selon laquelle les employés doivent être raisonnablement prévoyants et prendre les mesures raisonnables afin de s’assurer de pouvoir se présenter au travail […] » (telle que l’a formulée la Commission dans Close) qui l’avait empêché de s’y rendre et que cette décision lui était directement imputable, il n’y avait nul besoin de passer à la seconde étape.

[99] Il y a bien dans la première étape du critère applicable un aspect de raisonnabilité, mais, comme le montre la citation qui précède, il s’agit de celle des précautions prises par le fonctionnaire pour se prémunir contre l’impossibilité de se rendre au travail, ou à l’inverse de ses efforts pour surmonter les obstacles qui l’empêchaient de s’y rendre.

[100] Ainsi, comme je l’ai observé au paragraphe 61 ci-dessus, dans Coppin, la Commission a accueilli le grief parce qu’elle a estimé que chacun des deux fonctionnaires s’estimant lésés avaient fait des efforts raisonnables pour se rendre au travail le 23 décembre 2004, et que leurs efforts avaient été vains à cause de conditions météorologiques particulièrement mauvaises. La première partie du critère avait donc été satisfaite, les fonctionnaires s’estimant lésés ayant établi que des circonstances qui ne leur étaient pas directement imputables les avaient empêchés de se rendre au travail. La Commission a ensuite appliqué la seconde partie du critère pour conclure que l’employeur avait agi de manière déraisonnable en refusant d’accorder à chacun d’eux le congé payé demandé.

[101] Deuxièmement, la validité de l’argument de l’employeur à savoir qu’il n’y a pas de raison pour la Commission de déroger aux principes établis dans ces affaires est confirmée par les observations de la Commission dans Re Dollar, citées au paragraphe 86 ci-dessus, et qui constituent à mon avis de solides raisons de politique arbitrale pour appliquer ces principes dans la présente affaire. En effet, y déroger sans raison valable (et je n’en vois aucune pour des raisons que je développerai dans les prochains paragraphes) encouragerait toute partie à un litige en matière de relations de travail ou d’emploi dans le secteur public fédéral à « ré-arbitrer » toute décision contraire à ses intérêts et à « s’essayer » en soumettant à l’arbitrage des griefs qui ont déjà fait l’objet de décisions unanimes ou qui laissent à tout le moins apparaître une logique uniforme. Cela favoriserait un recours accru à l’arbitrage aux dépens du règlement négocié des différends relatifs à l’application des conventions collectives et créerait une instabilité et une imprévisibilité des décisions arbitrales qui n’est pas dans l’intérêt commun des employeurs et des agents négociateurs.

[102] Troisièmement, je ne suis pas persuadé par l’argument du fonctionnaire mentionné au paragraphe 31 ci-dessus, à savoir que l’argument de l’employeur sur la planification « ne tient pas la route » parce qu’il y avait moins de 2 % de chances que le vol du fonctionnaire soit annulé et qu’il n’est donc « pas question de risque » parce que « 98 % du temps les vols ne sont pas annulés ».

[103] Au contraire, il est question de risque et toute la question devant moi revient à déterminer qui doit le supporter.

[104] La Commission a reconnu dans toutes les décisions citées par l’employeur, comme l’ont fait d’autres décideurs dans des affaires qu’il a aussi citées, que le risque qu’un vol d’avion n’arrive pas à destination à l’heure prévue, que ce soit en raison d’une annulation ou d’un retard, et ce quelle qu’en soit la cause (météo, bris mécanique, pandémie, etc.) est inhérent au transport aérien. Le fait que ce risque soit faible, comme le démontrent les statistiques déposées en preuve par le fonctionnaire, qui n’ont pas été contredites par l’employeur, ne change rien au fait qu’il existe.

[105] Les décisions de la Commission ont presque toutes (à une exception près, sur laquelle je reviendrai aux paragraphes 109 à 111) jugé que ce risque, si faible soit-il, doit être supporté par l’employé quand il s’agit de déterminer, aux fins de l’application de la clause 52.01a) de la convention collective et des dispositions identiques ou semblables d’autres conventions collectives, si les circonstances qui ont empêché le fonctionnaire de se rendre au travail lui sont directement imputables.

[106] La plupart des raisons pour lesquelles j’estime qu’il n’y a pas lieu de déroger à cette jurisprudence quasi unanime ont été bien exposées dans les passages que j’ai reproduits plus haut des décisions citées par l’employeur et que je résumerai comme suit :

a) La clause 52.01a) de la convention collective est permissive et ne crée donc pas d’obligation pour l’employeur d’accorder le congé demandé;

b) Même si la discrétion conférée par cette clause à l’employeur n’est pas illimitée, elle est réelle;

c) Un arbitre de grief ne doit par conséquent pas s’immiscer dans la décision de l’employeur si elle est raisonnable, et ce même si l’arbitre ou un autre superviseur aurait pu en arriver à une conclusion différente et accorder le congé demandé.

[107] Une autre raison de ne pas déroger à cette jurisprudence quasi unanime de la Commission est que je suis d’accord avec le principe mentionné au paragraphe 28 que Me Giguère a formulé en ces termes lors de son contre-interrogatoire du fonctionnaire : « Si on perd notre pari on est responsable de notre perte. » Le fonctionnaire a répondu : « Oui, si on fait des gageures. » Il a suggéré qu’il n’en avait pas fait parce qu’il n’y avait que 1,32 % de chances que son vol soit annulé.

[108] En réalité, le fonctionnaire a bel et bien fait une gageure, qu’il avait, selon les statistiques déposées en preuve, 98,68 % de chances de gagner, parce que, comme il l’a lui-même expliqué, il avait cinq jours de congé et voulait en profiter au maximum. Il a tiré le numéro malchanceux, puisque l’improbable (mais pas l’imprévisible) s’est produit. Comme l’a jugé la Commission dans Barrett et ensuite dans Justason, faire un tel pari « […] est en soi une imprudence qui ne devrait pas donner lieu aux avantages que l’employeur peut accorder à sa discrétion ». Et, comme elle l’a jugé dans Stevens en s’appuyant sur ces deux décisions : « […] l’employeur ne devrait pas avoir à payer pour le risque couru par [le fonctionnaire] et le manque de prévoyance dont [il] a fait preuve ».

[109] Enfin, quelques mots de plus sur la décision Martin, l’exception que j’ai mentionnée au paragraphe 105 ci-dessus à la jurisprudence par ailleurs unanime de la Commission sur la question de savoir qui, de l’employeur ou de l’employé, doit supporter le risque de retard ou d’annulation inhérent au transport aérien.

[110] Je rappelle tout d’abord que :

a) J’ai noté au paragraphe 57 que rien dans cette décision ne repose sur le caractère exceptionnel de l’éruption volcanique et que l’important, aux fins de l’application de la clause 52.01a) de la convention collective, est de savoir si des circonstances qui ne lui sont pas directement imputables ont ou pas empêché le fonctionnaire de se rendre au travail;

b) J’ai relevé au paragraphe 78 que, dans Close, la Commission avait jugé que « […] Martin ne s’applique pas en l’espèce. Dans cette affaire, il était question des mesures prises par la fonctionnaire [s’estimant lésée] après l’annulation de son vol. Je n’ai pas examiné la question de savoir si elle s’était alloué une marge de manœuvre suffisante dans la planification de son voyage »;

c) J’ai observé au paragraphe 51 que :

i) l’employeur a reconnu que l’annulation du vol de la fonctionnaire s’estimant lésée constituait une circonstance qui ne lui était pas directement imputable;

ii) la Commission a accepté qu’il existe un certain risque à voyager de manière générale et à voyager par avion; mais

iii) elle a rejeté l’argument de l’employeur fondé sur ce risque « […] parce qu’il n’y a aucun fondement factuel pour étayer la proposition de le répartir ».

[111] À la lumière de ce qui précède, j’ajoute ce qui suit :

a) Il était tout à fait loisible à l’employeur de considérer, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, que l’annulation du vol de Mme Martin constituait une circonstance qui ne lui était pas directement imputable;

b) Ce faisant, il ne créait pas de précédent qui lui serait opposable dans tout exercice futur et au cas par cas de ce même pouvoir discrétionnaire;

c) Dans cette affaire, l’employeur a cherché à « répartir le risque » de l’annulation du vol en n’accordant à Mme Martin que la moitié des cinq jours de congé spécial qu’elle avait demandés;

d) La Commission ne s’est pas prononcée sur la première partie du critère, en raison de l’admission de l’employeur mentionnée au point a) ci-dessus;

e) En appliquant la seconde partie du critère, elle a jugé que le refus d’accorder le congé demandé était déraisonnable parce qu’il n’y avait aucun fondement factuel pour étayer la proposition de répartir le risque de l’annulation du vol;

f) Ce faisant, la Commission n’a pas contredit ses autres décisions, à la fois antérieures et postérieures à Martin, selon lesquelles le risque à voyager par avion doit être supporté par le fonctionnaire qui demande un congé spécial en raison d’une annulation ou d’un retard de vol.

 

[112] Je conclus que le fonctionnaire n’a pas établi, comme l’exige la première partie du critère applicable en vertu de la clause 52.01a) de la convention collective, que des circonstances qui ne lui sont pas directement imputables l’ont empêché de se rendre au travail.

VII. Si oui, est-ce que la demande de congé du fonctionnaire a été refusée sans motif raisonnable?

[113] Comme j’ai répondu par la négative à la première question, il n’y a pas lieu d’examiner la seconde.

[114] Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VIII. Ordonnance

[115] Le grief est rejeté.

Le 23 juin 2021.

Paul Fauteux,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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