Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires ») ont déposé des griefs individuels identiques contre leur employeur alléguant que celui-ci avait refusé de leur permettre un échange
de postes en vertu des dispositions de la convention collective qui portent sur le réaménagement des effectifs – ils ont allégué que le refus avait été teinté de discrimination fondée sur l’âge et que l’évaluation retardée de l’employeur, ainsi que sa décision au sujet des qualifications des remplaçants proposés contrevenait à ces dispositions – les fonctionnaires avaient entre 55 et 64 ans à l’époque – la Commission a jugé que nonobstant la preuve qu’une gestionnaire avait indiqué lors d’une réunion syndicale-patronale qu’elle s’opposait au fait d’accorder aux fonctionnaires une mesure de soutien à la transition étant donné qu’ils prendraient leur retraite bientôt, l’employeur avait établi que sa décision se fondait entièrement sur son évaluation des qualifications des remplaçants proposés et d’aucune façon sur l’âge des fonctionnaires – la Commission a aussi conclu que l’employeur avait pris sa décision dans les délais prévus et que les remplaçants proposés n’auraient pas eu suffisamment de temps pour devenir qualifiés et occuper les postes des fonctionnaires – la décision liée à la question des qualifications des remplaçants proposés a été prise de façon raisonnable et non arbitraire, de bonne foi et sans discrimination.


Griefs rejetés.

Contenu de la décision

Date: 20210617

Dossiers: 566-02-9358 à 9360

 

Référence: 2021 CRTESPF 69

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Richard Boucher, Pierre Lafrance et Jean-Louis Lussier

fonctionnaires s’estimant lésés

 

et

 

CONSEIL DU TRÉSOR

(Agence des services frontaliers du Canada)

 

employeur

Répertorié

Boucher c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

Devant : Steven B. Katkin, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour les fonctionnaires s’estimant lésés : Goretti Fukamusenge, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur : Andréanne Laurin, avocate

Affaire entendue à Montréal (Québec),

le 30 novembre 2017 et les 12 et 13 septembre 2018.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

[1] Les fonctionnaires s’estimant lésés, Richard Boucher, Pierre Lafrance et Jean-Louis Lussier (les « fonctionnaires ») travaillaient pour l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« employeur » ou ASFC) à titre d’enquêteurs à la Division des enquêtes criminelles, dont les postes étaient classifiés au groupe et au niveau FB-05. Ils étaient assujettis à la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) pour le groupe Services frontaliers, venant à échéance le 20 juin 2014 (la « convention collective »).

[2] Le 27 août 2012, les fonctionnaires ont déposé des griefs individuels identiques contre leur employeur alléguant que celui-ci avait refusé de leur permettre un échange de postes en vertu de l’Appendice C de la convention collective, qui porte sur le réaménagement des effectifs (RE).

[3] Comme mesure corrective, les fonctionnaires ont demandé que l’employeur leur offre la possibilité d’échanger leurs postes.

[4] Dans sa réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs en date du 8 novembre 2013, l’employeur a reconnu qu’il avait contrevenu aux dispositions de la convention collective en ce que les raisons pour lesquelles l’ASFC a refusé de considérer l’échange de postes n’auraient pas dû être invoquées et qu’on devait offrir aux fonctionnaires la possibilité d’échanger leurs postes. La réponse indique que l’employeur a adopté cette position à la suite d’une décision arbitrale communiquée en avril 2013. Bien que n’ayant pas été précisé dans la réponse, il s’agit de la décision concernant un grief de principe, Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor du Canada, 2013 CRTFP 37 (demande de contrôle judiciaire rejetée, 2014 CF 688) (« AFPC »).

[5] Il y a lieu de reproduire des extraits de la réponse au dernier palier comme suit :

[…]

À titre de mesures correctives, vous demandez que l’employeur participe au processus d’échange de postes et vous offre la possibilité d’échanger votre poste. Vous désirez obtenir réparation complète.

[]

Je note que la gestion a effectivement refusé de considérer l’échange de postes proposé suite à de nombreuses raisons. La gestion était de bonne foi et à l’époque, rien ne laissait sous-entendre que la décision de refuser l’échange de postes allait à l’encontre de l’ARE. Cependant, une décision de la Commission des relations de travail de la fonction publique (CRTFP) communiquée en avril 2013 concernant l’échange de postes, indique que les raisons pour lesquelles l’ASFC a refusé de considérer l’échange de postes n’auraient pas dû être invoquées.

Suite à cette décision j’ai envoyé un communiqué à la haute gestion de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) afin de faire état de la décision de la CRTFP. En somme, j’ai avisé mes collègues qu’ils devaient considérer et permettre aux employés de participer à l’échange de postes hormis lors de situations où les raisons identifiées pour refuser l’échange de postes étaient conformes à celles énoncées dans ladite décision.

Je reconnais que bien qu’elle ait été de bonne foi, l’ASFC a contrevenu aux dispositions de la convention collective concernant l’échange de poste.

Je suis donc d’avis que l’ASFC doit participer au processus d’échange de poste et vous offrir la possibilité d’échanger votre poste.

Conséquemment, votre grief et les mesures correctives sont accordées dans les limites énoncées ci-haut.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

[6] Les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage le 20 novembre 2013. Dans la Formule 20 de renvoi à l’arbitrage, les fonctionnaires ont allégué la discrimination fondée sur l’âge, contrairement aux dispositions de l’article 19 de la convention collective et de la Loi canadienne sur les droits de la personne (L.R.C. (1985), ch. H-6; LCDP).

[7] Je note que l’allégation de discrimination ne faisait pas partie du libellé des griefs des fonctionnaires, mais a été incluse dans le renvoi à l’arbitrage. Comme cela n’a pas été soulevé par les parties, je n’ai pas à en traiter.

[8] Le 10 décembre 2013, les fonctionnaires ont donné avis à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), conformément à l’article 210 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2) (la « LRTFP ») que les griefs soulevaient une question liée à l’interprétation ou à l’application de la LCDP, à savoir la discrimination basée sur l’âge. Par lettre datée du 19 décembre 2013, la CCDP a avisé la Commission des relations de travail dans la fonction publique qu’elle entendait présenter des observations relativement à ces griefs. Toutefois, le 22 septembre 2016, la CCDP a avisé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral qu’elle n’avait pas l’intention de présenter des observations.

[9] Le 1er novembre 2014, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) a été proclamée en vigueur (TR/2014-84) et a créé la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, qui remplace la Commission des relations de travail dans la fonction publique et le Tribunal de la dotation de la fonction publique. Le même jour, les modifications corrélatives et transitoires édictées par les articles 366 à 466 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40) sont aussi entrées en vigueur (TR/2014-84). En vertu de l’article 393 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, une instance engagée au titre de la LRTFP avant le 1er novembre 2014 se poursuit sans autres formalités en conformité avec la LRTFP, dans sa forme modifiée par les articles 365 à 470 de la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013.

[10] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et les titres de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique, de la LRTFP et du Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « LRTSPF ») et le Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (le « Règlement »).

II. Résumé de la preuve

[11] Les fonctionnaires ont témoigné pour eux-mêmes. Bruno Loranger, agent des relations de travail pour le Syndicat des douanes et de l’immigration (SDI), un élément de l’AFPC, et Daniel Paquette, représentant syndical, ont aussi témoigné pour les fonctionnaires. L’employeur a cité à témoigner Josée Deschamps, directrice des Ressources humaines de l’ASFC pour la région du Québec et Jean-Paul Bergeron, directeur exécutif de l’ASFC pour la région du Québec.

[12] Afin de situer le contexte des griefs dans le présent cas, je reproduis les extraits suivants d’une décision impliquant le même agent négociateur, le même employeur et la même convention collective : Legros c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2017 CRTESPF 32 (« Legros ») :

[…]

[8] Le contexte de ces griefs est le Plan d’action pour la réduction du déficit («PARD») annoncé par le gouvernement fédéral en 2010 et mis en œuvre à partir de l’exercice financier de 2011-2012. Conformément au PARD, l’ensemble de la fonction publique devait trouver moyen de réduire les effectifs afin de diminuer les dépenses gouvernementales.

[9] Pour mener à bien cet exercice, le gouvernement a notamment appliqué la Directive sur le réaménagement des effectifs (la « DRE »), qui était intégrée dans les conventions collectives conclues avec les agents négociateurs. La DRE figure à l’Appendice C de la convention collective applicable en l’espèce.

[10] Le but de la DRE est d’optimiser les possibilités d’emploi pour les employés qui souhaitent demeurer au service de la fonction publique malgré l’élimination de leur poste. Un des mécanismes consiste à fournir une mesure incitative pour qu’un employé qui souhaite prendre sa retraite de la fonction publique puisse le faire rapidement, notamment en cédant son poste à un employé qui veut continuer de travailler, mais dont le poste est sur le point d’être éliminé.

[11] Les objectifs de la DRE sont décrits de la façon suivante à l’Appendice C de la convention collective:

Objectifs

L’Employeur a pour politique d’optimiser les possibilités d’emploi pour les employé-e-s nommés pour une période indéterminée en situation de réaménagement des effectifs, en s’assurant que, dans toute la mesure du possible, on offre à ces employé-e-s d’autres possibilités d’emploi. On ne doit toutefois pas considérer que le présent appendice assure le maintien dans un poste en particulier, mais plutôt le maintien d’emploi.

À cette fin, les employé-e-s nommés pour une période indéterminée et dont les services ne seront plus requis en raison d’un réaménagement des effectifs et pour lesquels l’administrateur général sait ou peut prévoir la disponibilité d’emploi se verront garantir qu’une offre d’emploi raisonnable dans l’administration publique centrale leur sera faite. Les employé-e-s pour lesquels l’administrateur général ne peut fournir de garantie pourront bénéficier des arrangements d’emploi, ou formules de transition (parties VI et VII).

[Je souligne]

[12] Les griefs de la fonctionnaire tirent leur origine de la deuxième option (passage souligné), qui vise les employés qui pourraient bénéficier des arrangements d’emploi ou formules de transition. L’échange de postes est prévu à titre de formule de transition et est défini comme suit à l’Appendice C:

Échange de postes

Un échange a lieu lorsqu’un employé-e optant (non excédentaire) qui préférerait rester dans l’administration publique centrale échange son poste avec un employé-e non touché (le remplaçant) qui désire quitter l’administration publique centrale avec une mesure de soutien à la transition ou une indemnité d’études.

[13] Autrement dit, lorsque le poste d’un employé optant est sur le point d’être éliminé, l’employé remplaçant lui cède son poste, et s’engage à quitter la fonction publique moyennant une indemnité, par exemple la mesure de soutien à la transition. Cette mesure est définie comme suit dans la Directive : « […] un montant forfaitaire calculé d’après le nombre d’années d’emploi continu […] ».

[14] Les modalités pour l’échange de postes sont prévues à la Partie VI de l’Appendice C. La clause 6.2.1 précise ce qui suit : « Tous les ministères ou les organisations doivent participer au processus d’échanges de postes ». L’employé qui souhaite quitter la fonction publique peut manifester son intérêt pour l’échange, concrètement, en affichant son poste sur un site Web gouvernemental. Il revient à la direction de décider si l’employé optant (celui qui veut le poste) répond aux exigences du poste du remplaçant (celui qui souhaite quitter son poste). L’échange de postes doit avoir lieu entre des employés de même groupe ou niveau, ou entre employés dont les postes sont considérés comme équivalents.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

[13] L’Appendice C de la convention collective définit l’employé optant comme suit :

Employé-e nommé pour une période indéterminée dont les services ne seront plus requis en raison d’une situation de réaménagement des effectifs et qui n’a pas reçu de l’administrateur général de garantie d’une offre d’emploi raisonnable. L’employé-e a 120 jours pour envisager les options offertes à la section 6.3 du présent appendice.

[14] La clause 6.1.3 de l’Appendice C de la convention collective prévoit ce qui suit :

6.1.3 L’employé-e optant doit présenter par écrit son choix de l’une des options énumérées à la section 6.3 du présent appendice pendant la période de cent vingt (120) jours de réflexion. […]

A. Pour les fonctionnaires

1. M. Loranger

[15] Parmi ses responsabilités, M. Loranger fait l’analyse de griefs et les présente à l’employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs; il a représenté les fonctionnaires à ces fins. Selon M. Loranger, l’employeur n’avait pas respecté les directives et avait discriminé contre les fonctionnaires en raison de leur âge puisqu’ils avaient pris leur retraite.

[16] Il y a lieu ici de noter que, selon la preuve, les fonctionnaires ont pris leur retraite après le dépôt de leurs griefs et avant la réponse de l’employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

[17] M. Loranger a conseillé à M. Boucher de déposer une plainte de discrimination auprès de la CCDP et de communiquer cela à MM. Lussier et Lafrance. Dans un courriel à M. Loranger en date du l0 septembre 2013 (pièce S-1-7), M. Boucher l’avisait qu’il avait déposé sa plainte le jour même et que MM. Lussier et Lafrance procédaient au dépôt de leurs propres plaintes.

[18] M. Loranger a dit qu’il a conseillé les fonctionnaires ainsi parce qu’il était responsable d’un dossier semblable concernant un échange de postes et dont le grief alléguait la discrimination fondée sur l’âge.

[19] À la suite de la réponse de l’employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 8 novembre 2013, M. Loranger a envoyé un courriel à Myriam Allard de l’employeur le 28 novembre 2013 (pièce S-1-6) demandant ce que l’employeur ferait pour permettre aux fonctionnaires retraités de participer à l’échange de postes. La réponse de Mme Allard le 10 décembre 2013 indiquait que l’employeur n’avait pas été avisé que M. Boucher avait pris sa retraite et que, puisqu’il n’occupait plus un poste au sein de la fonction publique, il n’était plus admissible à l’échange de postes.

2. M. Boucher

[20] M. Boucher a indiqué que, selon un message de la vice-présidente des Ressources humaines de l’ASFC en date du 26 juin 2012 (pièce S-9), dans le cadre du réaménagement des effectifs, c’est le 11 avril 2012 que des lettres ont été envoyées aux employés les informant que leur poste était touché. Cela a déclenché la période de réflexion de 120 jours pour les employés optant d’envisager les options prévues à la clause 6.3 de l’Appendice C de la convention collective et de participer à l’échange de postes. La période de 120 jours se terminait donc le 8 août 2012.

[21] Les fonctionnaires ont affiché leurs postes comme étant disponibles pour l’échange de postes à titre de remplaçants sur deux sites Web d’échange de postes, celui de l’ASFC et un site général interministériel du gouvernement canadien, GC Forums. M. Boucher s’est inscrit sur le premier site le 17 avril 2012 et sur le deuxième le 18 avril 2012. Il fallait aviser son supérieur immédiat et la direction avant de s’inscrire.

[22] M. Boucher a déposé son grief parce qu’il croyait avoir été lésé dans ses droits par le refus de l’employeur de lui laisser participer à l’échange de postes et il était convaincu que ce refus était en raison de son âge, soit de 55 ans avec environ 32 années de service. Selon lui, les gestionnaires connaissaient les fonctionnaires très bien, leur expérience et leur tranche d’âge.

[23] À cet égard, M. Boucher a fait référence à une rencontre patronale-syndicale qui a eu lieu le 15 mai 2012 à laquelle il n’a pas assisté, mais dont le compte-rendu lui a été rapporté par le représentant syndical, M. Paquette, qui était présent. Parmi les membres de la gestion était présente Lorraine Frigon, directrice de la Division de l’exécution de la loi. M. Paquette a nommé les fonctionnaires et il a fait part qu’ils s’étaient inscrits sur les deux sites Web à titre de remplaçants. Mme Frigon aurait alors dit que, s’ils voulaient prendre leur retraite qu’ils la prennent, et ils n’auront pas de compensation. Lorsque cela lui a été rapporté, c’est alors que M. Bouchard a pris connaissance que son âge a été un facteur dans le refus de l’employeur de lui permettre de participer à l’échange de postes.

[24] À la suite de son inscription comme remplaçant, M. Boucher a reçu des courriels et des appels téléphoniques d’employés optants concernant son poste. Tout au long du processus, il n’a reçu aucune communication d’employés optants de l’interne de l’ASFC. Dès le début du processus, il a reçu des communications de quatre employés optants de l’externe qui travaillaient pour Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) dans le domaine de l’immigration dont les postes étaient au groupe et au niveau PM-05. Selon M. Boucher, un de ces candidats s’est désisté. Les candidats devaient faire parvenir leur curriculum vitae (cv) à Robert Langlais, directeur de la Division des enquêtes criminelles, région du Québec. M. Boucher a dit que M. Langlais était réceptif à l’échange de postes et il savait que les fonctionnaires s’étaient inscrits sur les sites Web comme remplaçants.

[25] En se référant à ses notes (pièce S-15), M. Boucher a dit que, lors d’une réunion d’équipe, leur chef d’équipe, Sylvie Thibeault, leur a fait part qu’il y avait neuf postes d’enquêteurs vacants à la Division des enquêtes criminelles à part ceux des fonctionnaires et qu’il n’y avait pas de mouvement à cet égard. Selon M. Boucher, personne n’a occupé les postes vacants pendant les 120 jours et personne parmi les employés optants à l’interne de l’AFSC n’a sollicité les postes des fonctionnaires.

[26] M. Boucher a dit que, tel qu’il est indiqué dans un communiqué à tous les employés de l’ASFC concernant des modifications au programme d’enquêtes de sécurité (pièce S-16), dès le 28 juin 2012, l’ASFC a implanté une nouvelle Stratégie en matière d’intégrité et de normes professionnelles (SINP). Dans le cadre de la SINP, les candidats venant d’autres organisations étaient soumis à des vérifications des antécédents et à des évaluations de l’intégrité additionnelles. La première phase de la SINP visait seulement les employés à l’interne de l’ASFC en ce qui avait trait au renouvellement ou au rehaussement de la cote de sécurité.

[27] À titre d’exemple, M. Boucher a fait référence à une annonce de possibilité d’emploi à l’ASFC de classification FB-08 du 4 octobre 2012 (pièce S-7) qui indique que les candidats provenant d’autres organisations seraient soumis aux exigences de la SINP. Il a aussi fait référence à une annonce de possibilité d’emploi pour des postes d’enquêteur FB-05 du 2 juin 2012 (pièce S‑8) qui ne comportait pas d’exigence de la SINP.

[28] Dans une lettre à tous les employés en date du 23 juillet 2012, le directeur général régional pour la région du Québec, Benoît Chiquette, annonçait que l’ASFC était prête à procéder à des échanges de postes. Les fonctionnaires ont alors demandé une rencontre avec Johanne Russell, qui remplaçait M. Langlais par intérim, afin de connaître si l’ASFC offrirait l’échange de postes aux employées optantes de CIC qui étaient des candidates pour les postes des fonctionnaires.

[29] La rencontre a eu lieu le 26 juillet 2012. Mme Russell leur a fait part que l’ASFC ne participera pas à l’échange de postes avec ces candidats, car, puisque le poste d’enquêteur exigeait une cote de sécurité « secret », il n’y avait pas suffisamment de délais pour considérer et évaluer leurs candidatures avant la fin de la période de 120 jours le 8 août 2012. De plus, même si les candidats de CIC détenaient la cote de sécurité « secret », elle n’était pas compatible avec la cote « secret » de l’AFSC.

[30] Dans une lettre de 11 pages à Diane Lacombe, présidente du SDI, succursale de Montréal, en date du 26 juillet 2012, M. Boucher a fait état de la situation concernant l’échange de postes ainsi que de la rencontre avec Mme Russell. Le 3 août 2012, Mme Lacombe a transmis cette lettre à M. Bergeron pour réponse, car il était président du comité régional sur le RE.

[31] M. Bergeron a répondu le jour même. Dans sa lettre, il a indiqué plusieurs raisons pour lesquelles l’ASFC ne pouvait considérer les candidates de CIC, dont les suivantes : le délai était restreint; avant de leur faire une offre d’échange de postes, ces personnes devaient remplir certaines conditions d’emploi; elles devaient détenir une cote de sécurité qui satisfait aux exigences du poste; elles devaient réussir la formation sur les tactiques de défense et de maîtrise requise par l’ASFC; elles devaient satisfaire à un certain niveau de bilan de santé aux fins de la formation de l’armement; elles devaient réussir un examen psychologique aux fins de porter l’arme à feu de service ainsi que la formation de 17 jours de l’armement. Selon M. Boucher, après le 8 août 2012, l’ASFC a communiqué avec les personnes de CIC pour leur faire part de ce que M. Bergeron avait étayé dans sa lettre.

[32] M. Boucher a dit que lorsqu’il s’était inscrit comme remplaçant en avril 2012, l’ASFC ne lui avait pas fait part qu’il aurait de nouvelles conditions de sécurité.

[33] En janvier 2012, M. Boucher a rencontré sa superviseure, Sylvie Paquette, concernant l’évaluation de son rendement pour la période du 1er décembre 2011 au 19 février 2012. Tel qu’il est indiqué dans le formulaire de gestion du rendement (pièce S-14) dans la partie 4 ayant trait aux commentaires du superviseur, lors de cette rencontre, M. Boucher a informé Mme Paquette qu’il envisageait prendre sa retraite au cours de la prochaine année financière (2012-2013), mais n’avait pas encore choisi une date en particulier. Il avait alors été convenu qu’il n’était plus indiqué de lui confier de nouveaux dossiers d’enquête, mais plutôt de terminer les dossiers déjà actifs et de prêter assistance aux autres enquêteurs.

[34] M. Boucher a pris sa retraite le 12 octobre 2012 pour s’occuper de son père. Il lui restait 2 ans et demi pour atteindre 35 ans de service. Il aurait pris les mesures de soutien à la transition en offrant son poste à quelqu’un en milieu de carrière et cela aurait aidé pour compenser pour moins de 35 ans de service.

[35] En contre-interrogatoire, M. Boucher a dit qu’à l’expiration de la période de 120 jours, les fonctionnaires ont laissé leurs noms sur les sites Web comme remplaçants. M. Boucher a reçu un ou deux appels de personnes, mais lorsqu’il leur a décrit les conditions d’emploi, elles n’ont pas donné suite.

[36] En avril 2012, M. Boucher a envoyé un courriel à une conseillère en ressources humaines à CIC concernant la période de 120 jours, et celle-ci lui a confirmé que, pour les employés optants, l’échange de postes pouvait seulement se faire dans la période de 120 jours (pièce E-1). La même information était dans la lettre de M. Bergeron du 3 août 2012.

[37] Concernant son inscription comme remplaçant sur le site Web interne de l’ASFC (pièce S-3), M. Boucher a dit que les paragraphes intitulés « autres conditions » et « description » à la page 3 n’avaient pas été ajoutés par lui. Il avait ajouté le paragraphe « autres conditions » à la page 5.

[38] À la question si, avant l’annonce de la SINP le 28 juin 2012, la cote de sécurité « secret » d’autres organisations était reconnue par l’ASFC, M. Boucher a répondu qu’il comprenait que la cote « secret » était uniforme et il travaillait avec d’autres ministères, principalement la Gendarmerie royale du Canada (GRC).

[39] En ré-interrogatoire, M. Bouchard a dit que sa gestionnaire ne lui avait pas dit que son texte des « autres conditions » sur le site Web de l’ASFC n’était pas à jour. Elle était au courant qu’il s’était inscrit comme remplaçant et qu’il avait rédigé le texte.

[40] En ce qui a trait à l’annonce de possibilité d’emploi pour enquêteur du 2 juin 2011, selon M. Boucher, les conditions de travail ne devaient pas être satisfaites avant de commencer à travailler à l’ASFC. La personne sélectionnée est informée qu’elle doit satisfaire aux conditions. Il y a de la formation qui n’est donnée que par l’ASFC, telle que les tactiques de défense et de maîtrise. M. Boucher a référé à un paragraphe de l’annonce de possibilité d’emploi concernant la condition de porter une arme à feu qui indique ce qui suit : « […] vous acceptez de vous qualifier […] ». Il n’est pas indiqué que la personne devait être qualifiée avant de se joindre à l’ASFC.

3. M. Lussier

[41] M. Lussier a commencé sa carrière en 1988 au sein de Revenu Canada - Douanes et Accise et il détenait alors la cote de sécurité de fiabilité approfondie. Lorsqu’il s’est joint à l’ASFC en 2002, il a dû obtenir la cote « secret ». À l’époque, les agents de l’ASFC n’étaient pas armés. M. Lussier devait se qualifier en secourisme, dont la réanimation cardiovasculaire et les tactiques de défense et de maîtrise. Il ne devait pas se qualifier au préalable.

[42] Lorsque le RE a été déclenché en avril 2012, M. Lussier avait 64 ans et plus de 24 années de service. En 2010, il a subi une intervention chirurgicale et il a suivi des traitements. De plus, il devait s’occuper de ses parents. Il s’est inscrit comme remplaçant le 22 mai 2012. Il croyait que l’échange de postes était une occasion de donner la chance à quelqu’un d’autre.

[43] Alors que M. Lussier partait en vacances en juillet 2012, M. Langlais lui a demandé de laisser ses coordonnées pour communiquer avec lui puisque l’échange de postes pouvait se passer très vite.

[44] M. Lussier a dit qu’officieusement, tout le monde chez l’ASFC savait qu’il prendrait sa retraite. Lorsqu’en octobre 2012 l’adjointe de M. Langlais lui a envoyé le formulaire pour le renouvellement de sa cote de sécurité, il lui a dit qu’il quittait en mars 2013. Il l’a officialisé lorsqu’il a écrit une lettre à M. Langlais en octobre 2012 indiquant qu’il prenait sa retraite le 28 mars 2013.

[45] Lors d’une rencontre avec les fonctionnaires, Mme Russell leur a dit qu’il n’y aurait pas d’échange de postes parce que les optants ne satisfaisaient pas aux normes de l’ASFC. M. Lussier a compris qu’il s’agissait des armes à feu et de la cote de sécurité « secret ». Pour lui, ces raisons étaient plus ou moins valables. À l’époque, à la Division des enquêtes criminelles, il y avait beaucoup d’enquêteurs qui n’étaient pas armés, puisque la priorité était donnée aux agents de première ligne à la frontière. Il n’y avait que deux ou trois enquêteurs par année qui ont été envoyés pour qualification.

[46] M. Lussier a vu le cv d’une des employées optantes de CIC, et il lui a téléphoné pour savoir si elle avait communiqué avec M. Langlais pour exprimer son intérêt, ce qu’elle lui a confirmé. Il a trouvé qu’elle était une bonne candidate, mais cela ne relevait pas aux fonctionnaires de faire l’évaluation des candidats.

4. M. Lafrance

[47] M. Lafrance a pris sa retraite le 31 juillet 2013 à l’âge de 57 ans après 35 ans de service. Il croyait au RE, mais il a déposé son grief parce qu’il sentait que le règles du jeu n’avaient pas été respectées. Selon lui, les qualifications des employés optants devaient être près de celles des fonctionnaires, mais que ces employés n’avaient pas à satisfaire à toutes les conditions d’emploi au préalable.

[48] L’ASFC était au courant de sa date de retraite de façon verbale. Il était compris qu’il ne travaillerait plus après 35 ans de service et qu’il était évident qu’il achevait 35 ans en juillet 2013.

[49] M. Lafrance s’est inscrit comme remplaçant le 12 avril 2012. Il a rédigé la description du poste se trouvant à côté de son nom sur le site Web interne de l’AFSC. Il détenait la cote de sécurité « très secret » parce qu’il était spécialiste des perquisitions informatiques et de récupération de la preuve. L’employé optant qui aurait occupé son poste aurait pris ses fonctions d’enquêteur, et non pas celles de spécialiste.

[50] M. Lafrance a eu une discussion téléphonique avec une des employées optantes de CIC qui voulait plus d’information sur le travail et sur ce qu’elle devait faire pour manifester son intérêt.

[51] La dernière fois que M. Lafrance a consulté GC Forums était à l’automne 2012, puisqu’il avait perdu la foi dans le système en raison de la façon dont l’ASFC s’était comportée. À la suite de la rencontre avec Mme Russell et le communiqué de M. Bergeron, les fonctionnaires voyaient que personne ne pouvait occuper leurs postes avec un contexte si précis.

[52] Quant à l’impact de ne pas avoir été capable de participer à l’échange de postes, M. Lussier a dit que, comme il n’était plus apte à remplir ses fonctions, l’employeur lui avait dit de se trouver un autre poste. L’échange de postes lui aurait enlevé le stress de changer de poste tout en aidant une autre personne. De plus, les mesures de soutien à la transition auraient aidé sa famille.

[53] En contre-interrogatoire, en ce qui a trait aux qualifications à satisfaire au préalable, M. Lafrance a dit que dans son temps, le test linguistique et la formation de tactiques de défense et de maîtrise se faisaient après la sélection de la personne. Si la personne sélectionnée ne satisfait pas aux exigences, selon l’exigence, parfois on lui donne une deuxième chance et sinon, elle doit quitter le poste. Dans son propre cas, comme il ne satisfaisait plus aux normes de son poste, il devait quitter son emploi.

[54] Quant à sa retraite, M. Lafrance a reconnu qu’il avait fait part à l’employeur de son intention de prendre sa retraite et que l’employeur ne l’avait pas présumé.

5. M. Paquette

[55] M. Paquette a participé au dossier des fonctionnaires à titre de représentant syndical avant le dépôt de leurs griefs. Il siégeait au comité exécutif du SDI, succursale de Montréal.

[56] Le 10 avril 2012, il y a eu un communiqué conjoint du directeur général intérimaire, Bernard Brie, et de M. Bergeron concernant l’impact du Plan d’action pour la réduction du déficit sur la région du Québec. Le 11 avril 2012, M. Langlais a dit qu’il n’y aurait pas d’impact sur la Division des enquêtes criminelles. Le 13 avril 2012, lors d’une rencontre patronale-syndicale de la Division des enquêtes criminelles, l’échange de postes a été discuté. Les départs à la retraite étaient aussi à l’ordre du jour. Avant la rencontre, au moins deux enquêteurs avaient pris leur retraite de la division et plusieurs avaient pris leur retraite avant février 2012. Il y avait au moins huit postes vacants à la Division des enquêtes criminelles.

[57] Lors de la rencontre patronale-syndicale du 15 mai 2012, Mme Frigon a dit que la Division des enquêtes criminelles n’était pas touchée par le RE du point de vue du personnel. Ceux qui ont assisté à la rencontre étaient les directeurs de chaque division, dont M. Langlais, ainsi que les représentants syndicaux de différentes divisions. M. Paquette l’a informé que trois enquêteurs s’étaient inscrits comme remplaçants, et que trois personnes d’un autre ministère, dont M. Langlais était au courant, désiraient faire un échange de postes avec les trois enquêteurs. M. Paquette a dit que les trois employées optantes étaient des personnes d’expérience et s’adapteraient facilement. Il a rappelé à Mme Frigon la directive de la clause 6.2 de l’Appendice C de la convention collective concernant l’échange de postes et dont tous les ministères devaient participer. Il a demandé ce qu’empêchait l’échange de postes.

[58] Mme Frigon a dit qu’elle n’était pas là pour faire des dépenses mais pour faire des économies, et qu’elle ne prendrait pas les personnes d’autres ministères. Elle a dit que, s’ils voulaient prendre leur retraite qu’ils la prennent, mais qu’ils ne s’attendent pas à recevoir un chèque.

[59] En contre-interrogatoire, M. Paquette a dit qu’il croyait que l’échange de postes devait se faire dans la période de 120 jours, et pour les employés optants, et pour les remplaçants.

[60] Mme Frigon a fait le commentaire qu’elle n’était pas là pour faire des dépenses après que Mme Paquette avait présenté l’échange des postes des fonctionnaires avec les employées optantes. Selon M. Paquette, le budget pour les postes vacants avait été octroyé, mais il n’avait pas été utilisé pour des remplacements, ce qui avait créé un surplus.

[61] M. Paquette a affirmé que le commentaire de Mme Frigon voulant que les enquêteurs prennent leur retraite visait les fonctionnaires directement puisqu’ils venaient d’en parler.

B. Pour l’employeur

1. Mme Deschamps

[62] Mme Deschamps était la personne-ressource et le point de contact pour le RE. Elle était membre du comité de direction et, dans le cadre du RE, le comité patronal-syndical, appelé « comité aviseur ». Ce dernier comité était composé du directeur exécutif, de deux directrices du comité de direction dont Mme Frigon, Mme Deschamps et quatre présidents syndicaux de la région du Québec, dont Mme Lacombe. Le rôle du comité aviseur, qui a été constitué après avril 2012, était d’examiner les compressions et les options pour minimiser les impacts négatifs sur les employés de l’ASFC.

[63] Dans le cadre du RE, l’ASFC devait supprimer 114 postes dans la région du Québec. Les postes avaient été identifiés et on devait tenter de faire quitter les employés de façon volontaire ou involontaire. Au lieu de supprimer les postes directement, l’ASFC a plutôt déclaré des employés touchés. Sur les 2 000 employés dans la région, 263 ont été déclarés touchés pour leur permettre de supprimer 114 postes. Cela a évité à l’ASFC de déclarer des employés optants; aucun employé n’a quitté l’ASFC involontairement. Les employés avaient la possibilité de quitter sur un plan de trois ans avec des mesures de soutien à la transition. Selon le plan, l’ASFC indiquait le numéro du poste avec la date de départ de l’employé. Le plan a été envoyé à l’administration centrale pour approbation au début juillet 2012; une fois que le plan avait été approuvé, l’ASFC pouvait procéder aux autres mesures. Il y avait un gel de dotation, et un poste ne pouvait pas être doté sans l’approbation de l’administration centrale.

[64] Pour l’échange de postes, la période de 120 jours s’appliquait à l’employé optant. À la question si l’ASFC pouvait procéder à l’échange de postes avant la lettre de M. Chiquette du 23 juillet 2012, Mme Deschamps a répondu qu’il était difficile de le faire parce que l’ASFC n’avait pas satisfait à toutes ses obligations, ce qui devait être fait avant de procéder à l’échange de postes.

[65] Il n’était pas possible de faire l’échange de postes entre les fonctionnaires et les employées optantes de CIC puisque la période de 120 jours se terminait le 8 août 2012. Il était impossible que les employées optantes puissent satisfaire à toutes les conditions d’emploi pour procéder à l’échange de postes avant cette date. Le processus pour obtenir la cote de sécurité « secret » est de huit mois et l’ASFC ne reconnaît pas cette cote des autres ministères. L’ASFC fait une partie de ce processus et une autre est faite par le GRC. Les employés optants doivent avoir la cote « secret » avant de procéder à l’échange de postes.

[66] En se référant à la liste des conditions d’emploi des enquêteurs dans la lettre de M. Bergeron du 3 août 2012, Mme Deschamps a dit que la formation sur les tactiques de défense et de maîtrise prend huit jours et n’est pas donnée régulièrement. Il y a aussi un délai pour le rendez-vous avec un médecin pour le bilan de santé aux fins de la formation de l’armement. Il faut aussi satisfaire à la qualification en secourisme avant l’échange de postes.

[67] Mme Deschamps a témoigné que, si un poste non-armé devenait armé, l’employé occupant ce poste avait 10 ans pour se qualifier pour le port d’armes. Toutefois, dans le cas de nomination, promotion ou de mutation dans un poste armé, l’employé devait être déjà qualifié.

[68] Mme Deschamps a dit qu’une des employées optantes de CIC qui n’avait pu faire réactiver sa cote de sécurité « secret » dans la période de 120 jours avait choisi l’option d’une priorité d’employée excédentaire pour 12 mois; elle a pu faire la formation et elle a travaillé à l’ASFC au printemps 2013.

[69] Mme Deschamps ne connaissait pas les fonctionnaires à l’époque pertinente.

[70] En contre-interrogatoire, Mme Deschamps a dit qu’elle n’était pas au courant des dossiers des fonctionnaires parce qu’à son niveau, elle ne fonctionnait pas selon les noms des employés puisque les directeurs avaient les noms. Elle a dit que peut-être que les fonctionnaires lui avaient envoyé des courriels, mais qu’elle avait reçu des centaines de courriels.

[71] Elle a dit que la liste de postes à supprimer dans la région était venue de l’administration centrale. Quant à la possibilité de faire des échanges de postes avant le 23 juillet 2012, Mme Deschamps a dit que la gestion de la région n’avait pas encore démontré qu’elle pouvait satisfaire à son plan avec les 263 employés touchés et qu’il pouvait y avoir une deuxième vague. La gestion ont fait des ajustements entre avril et juillet 2012.

[72] À la question si l’ASFC pouvait faire une offre d’emploi conditionnelle, Mme Deschamps a répondu que oui, mais la personne ne pouvait pas être nommée dans un poste avant d’avoir satisfait à toutes les conditions d’emploi. En l’espèce, les employées optantes n’avaient pas assez de temps pour satisfaire à toutes les conditions.

[73] En ce qui a trait à la SINP, Mme Deschamps a dit qu’elle changeait les critères de recherche pour les enquêtes de sécurité telles les formules, mais pas les cotes de sécurité. La cote « secret » demeurait. Si quelqu’un quitte l’ASFC et revient dans 90 jours, la cote de sécurité peut être réactivée.

[74] Concernant la date de lettres d’employées optantes, pour l’ASFC, la date de la fin de la période de 120 jours était le 8 août 2012, mais il y avait d’autres dates pour d’autres ministères. Concernant la difficulté de procéder à l’échange de postes dans la région, Mme Deschamps a dit qu’il y avait une différence entre dire aux employés qu’il n’y aura pas d’échange de postes et leur dire qu’ils satisfaisaient à leurs besoins et ensuite qu’il y aurait un échange de postes. En ce qui a trait à la communication avec les employés, les employés s’inscrivaient sur les sites Web établis par l’employeur et pouvaient parler avec leur gestionnaire ou leurs représentants syndicaux.

[75] Mme Deschamps a dit que, bien qu’une des employées optantes de CIC avait travaillé à l’ASFC et avait satisfait à plusieurs conditions d’emploi, le poste qu’elle avait alors occupé était un poste non-armé et elle n’avait pas la qualification d’armes.

[76] En ré-interrogatoire, Mme Deschamps a précisé que les offres d’emploi conditionnelles ne s’appliquent pas pour l’échange de postes. Selon le RE, les conditions d’emploi doivent être satisfaites lorsque l’échange de postes a lieu.

2. M. Bergeron

[77] À titre de directeur exécutif, M. Bergeron avait pour rôle de fournir un support au directeur général régional et au directeur aux opérations. Il était responsable au niveau régional pour le RE, et lui et Mme Deschamps étaient les personnes-ressources de la région du Québec avec l’administration centrale.

[78] M. Bergeron a été informé du plan d’action lors de rencontres à Ottawa en janvier 2012. L’impact pour la région était qu’une centaine de postes devaient être supprimés sur une période de trois ans, mais les décisions devaient se prendre au cours de la première année.

[79] Bien que sa lettre du 3 août 2012 soit adressée à M. Boucher, M. Bergeron a dit que les trois fonctionnaires étaient affectés. C’est M. Bergeron qui était responsable de déterminer si l’échange de postes pouvait procéder, sous l’approbation de l’administration centrale. Mme Frigon était membre du comité aviseur, mais elle n’avait pas d’influence sur la prise de décision concernant l’échange de postes.

[80] M. Bergeron a dit qu’il a écrit sa lettre du 3 août 2012 aux fonctionnaires pour leur faire part des raisons pour lesquelles l’échange de postes ne pouvait avoir lieu. D’abord, le délai était restreint parce que les employés de CIC avaient reçu les lettres d’employé touché avant les lettres de l’ASFC. Ils devaient faire leur choix dans la période de 120 jours qui se terminait le 8 août 2012. Ensuite, chaque ministère avait ses propres cotes de sécurité et il fallait six à huit mois pour obtenir la cote « secret » de l’ASFC. La formation pour les tactiques de défense et de maîtrise était d’une durée de sept jours et se tenait au centre de formation de l’ASFC à Rigaud, au Québec. Pour le bilan de santé aux fins de la formation d’armement, les employés pouvaient aller chez leur propre médecin. Il y avait un délai d’un mois pour l’examen psychologique pour le port d’arme à feu de service. La formation de l’armement était d’une durée de 17 jours. La formation linguistique n’était pas une condition qui devait être satisfaite au préalable. Il était donc impossible de satisfaire aux conditions d’emploi dans les délais. Il n’y avait pas d’offre d’emploi conditionnelle qui se faisait.

[81] M. Bergeron a dit qu’ils essayaient de négocier avec l’administration centrale pour réduire le nombre d’employés qui auraient à quitter involontairement, et on devait connaître quels employés auraient des mesures de soutien à la transition. Le but de l’ASFC de la région du Québec était de sauver l’emploi de plus d’employés que possible. Par conséquent, ils n’étaient pas rendus à l’étape de l’échange de postes.

[82] M. Bergeron connaissait bien les fonctionnaires et il aurait aimé leur permettre de quitter avec l’échange de postes, mais il ne pouvait le faire pour les raisons qu’il a expliquées.

[83] En ce qui a trait à la formation d’armement, les employés occupant un poste qui devenait un poste armé avaient 10 ans pour se qualifier, tandis que les nouvelles recrues devaient avoir suivi la formation avant d’accéder à un poste armé.

[84] En contre-interrogatoire, M. Bergeron a dit que c’était le comité de RE de l’administration centrale qui prenait les décisions concernant l’échange de postes. Il y avait des téléconférences hebdomadaires entre l’administration centrale et les régions de l’ASFC. M. Bergeron allait aussi régulièrement à Ottawa dans le cadre du RE. Il s’est dit convaincu que les dossiers des fonctionnaires et les employées optantes de CIC avaient été discutés avec l’administration centrale et CIC. M. Bergeron a vu les dossiers des trois employées optantes de CIC. L’échange de postes aurait eu lieu si les employées optantes avaient les qualifications, mais elles ne satisfaisaient pas aux exigences. Il ne leur restait pas assez de temps pour satisfaire aux exigences au préalable.

[85] À la question de savoir pourquoi l’ASFC ne pouvait pas commencer la formation des employées optantes de CIC depuis avril 2012, M. Bergeron a dit que des lettres d’employés touchés avaient été remises à 263 employés et entre 100 et 125 postes devaient être supprimés. Il y a eu beaucoup de négociations avec l’administration centrale pour réduire le nombre de postes à supprimer. L’échange de postes ne pouvait donc pas se faire dès avril 2012 et, même si l’échange pouvait être fait, les employées optantes ne pouvaient pas satisfaire aux exigences des postes d’enquêteur dans les délais.

[86] M. Bergeron a dit qu’il était fort probable qu’il avait discuté des dossiers des fonctionnaires avec Mme Frigon et qu’il l’avait informée de sa lettre du 3 août 2012 avant son envoi. Toutefois il ne se souvenait pas de sa réaction.

[87] M. Bergeron a réitéré que chaque organisation avait ses propres cotes de sécurité et faisait ses propres enquêtes. Seulement une des trois employées optantes avait déjà travaillé à l’ASFC, et il se pouvait que sa cote de sécurité fût encore valable, mais ce n’était pas la seule exigence que les employées optantes devaient satisfaire avant de procéder à l’échange de postes.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour les fonctionnaires

[88] Les fonctionnaires ont exprimé leur intérêt à participer à l’échange de postes; ils se sont inscrits sur les sites Web de l’ASFC et GC Forums et ils ont continué à faire un suivi auprès de l’ASFC. Le témoignage de M. Paquette concernant le commentaire de Mme Frigon voulant que si les fonctionnaires voulaient partir à la retraite qu’ils partent n’a pas été contredit.

[89] Selon l’employeur, l’administration centrale avait le pouvoir décisionnel concernant l’échange de postes. Mme Deschamps a témoigné qu’il était difficile de satisfaire aux exigences du poste d’enquêteur dans les délais et M. Bergeron a dit que c’était impossible. Il n’y avait aucun témoin de l’administration centrale pour clarifier certaines questions.

[90] Les fonctionnaires ont soulevé la question à savoir pourquoi l’ASFC ne pouvait pas participer à l’échange de postes selon la convention collective. Bien que M. Chiquette ait émis la lettre du 23 juillet 2012 indiquant que l’ASFC était prête à procéder à l’échange de postes, il n’a pas témoigné. M. Langlais était impliqué, mais n’a pas témoigné.

[91] En ce qui a trait à l’allégation de discrimination, les fonctionnaires ont soumis qu’ils possèdent une caractéristique protégée par la LCDP, soit l’âge, et qu’ils ont subi un effet préjudiciable, soit qu’ils ont été exclus de participer à l’échange de postes. Selon les fonctionnaires, leur âge était un facteur parce que l’employeur savait qu’ils partaient à la retraite et, à cet égard, ont fait référence aux commentaires de Mme Frigon. L’employeur n’a pas porté attention aux dossiers des fonctionnaires pour la seule raison qu’ils prendraient leur retraite. Les fonctionnaires ont soumis que, selon la prépondérance des probabilités, l’âge était un facteur pour leur refuser l’échange de postes et que l’employeur avait le fardeau de justifier sa conduite. À l’appui de cet argument, les fonctionnaires ont cité les décisions suivantes : Stewart c. Elk Valley Coal Corp., 2017 CSC 30, [2017] 1 RCS 591; Chênevert c. Conseil du Trésor (ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire), 2015 CRTEFP 52 (« Chênevert »); Martel c. Hôtel-Dieu St-Vallier, 1969 CanLII 3, [1969] RCS 745.

[92] Les fonctionnaires ont ensuite abordé la question à savoir si l’employeur avait refusé déraisonnablement d’appliquer l’échange de postes en violation de la convention collective.

[93] Les fonctionnaires ont fait valoir que l’employeur, soit le Conseil du Trésor, était responsable de la mise en œuvre du programme de l’échange de postes. Le Conseil du Trésor est responsable des opérations des ministères et il a le pouvoir d’initier des programmes et de s’assurer de leur mise en œuvre. À l’appui de cet argument, les fonctionnaires ont fait référence à AFPC, au par. 21 et à Santawirya c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2017 CRTESPF 10, au par. 245 (demande de contrôle judiciaire accueillie, 2019 CAF 248).

[94] Peu importe le début de la période de 120 jours, le ministère devrait être prêt pour le programme d’échange de postes : voir AFPC, aux paragraphes 28 à 30.

[95] L’excuse de l’employeur de ne pas être prêt pour procéder à l’échange de postes n’est pas une excuse valable : voir AFPC, au para. 33.

[96] La lettre de M. Chiquette du 23 juillet 2012 indique que l’échange de postes est un processus contrôlé par la direction, et la décision de procéder à un échange de postes revient à la direction. Les fonctionnaires ont soumis que l’employeur aurait dû examiner leurs dossiers entre avril et le 23 juillet 2012. Les pouvoirs de la direction doivent être exercés de façon raisonnable : voir Chênevert, aux paragraphes 149 et 150, et Legros, au para. 66.

[97] Comme mesure corrective, les fonctionnaires demandent d’être remis dans la position dans laquelle ils auraient pu être si l’employeur avait fait droit à l’échange de postes.

[98] Les fonctionnaires demandent chacun des dommages de 25 000 $ pour l’effet discriminatoire à leur égard par l’employeur.

[99] Les fonctionnaires ont fait référence au para. 44 d’AFPC, l’arbitre de grief a conclu comme suit :

[44] […] je conclus que la seule situation un ministère pourrait refuser un échange de postes proposé (autres que les situations expressément prévues dans l’ARE/ERE) serait celle le remplaçant prévu a déjà donné un préavis de démission ou de départ à la retraite, prenant effet à une date précise, et où le ministère avait pris la décision de ne pas pourvoir le poste une fois vacant.

[100] Les fonctionnaires ont fait valoir que, dans le présent cas, la deuxième condition n’avait pas été satisfaite.

[101] Ils demandent, si je conclus que l’employeur a agi de façon déraisonnable, de leur accorder le paiement des mesures de soutien à la transition avec intérêts. De plus, ils demandent chacun une compensation de 20 000 $ pour le refus délibéré de l’employeur de permettre l’échange de postes.

[102] Je note que les parties ont déposé la Directive sur le réaménagement des effectifs du Conseil national mixte (la « DRE »).

B. Pour l’employeur

[103] L’employeur a commencé son argumentation avec un survol des faits.

[104] Les griefs allèguent la violation de l’article 19 de la convention collective concernant la discrimination et de la clause 6.2 de l’Appendice C de la convention collective ayant trait à l’échange de postes.

[105] Entre la mi-avril et la fin mai 2012, les fonctionnaires se sont inscrits comme remplaçants sur les sites Web à l’interne de l’ASFC et le site interministériel GC Forums. Aucun employé à l’intérieur de l’ASFC n’a communiqué avec eux.

[106] Le 23 juillet 2012, l’employeur a émis une lettre aux employés les avisant que l’ASFC était prête à procéder à l’échange de postes.

[107] Les cv de trois employées touchées de CIC qui s’étaient proposées employées optantes ont été soumis à M. Langlais, mais M. Bergeron les a reçus seulement après la lettre du 23 juillet 2012. Les optantes se sont inscrites sur GC Forums.

[108] Le 3 août 2012, l’employeur a remis une lettre aux fonctionnaires expliquant son refus de procéder à l’échange de postes. Le délai était trop court pour satisfaire aux conditions nécessaires pour remplir les postes d’enquêteur. M. Bergeron et Mme Deschamps ont dit que les conditions étaient obligatoires au préalable, sauf l’exigence linguistique. Ils ont témoigné qu’il n’y avait aucune façon pour les employées optantes d’obtenir la cote de sécurité nécessaire et de satisfaire à l’ensemble des formations nécessaires avant l’expiration du délai le 8 août 2012. M. Bergeron et Mme Deschamps ont dit qu’il n’était pas possible de faire une offre d’emploi conditionnelle (voir la clause 6.2.6 de l’Appendice C de la convention collective). M. Bergeron a regardé les cv des trois employées de CIC et il a dit que, n’eut été des exigences, l’échange de postes aurait pu avoir lieu.

[109] Les fonctionnaires ont déposé leurs griefs individuels le 27 avril 2012 et ils ont pris leur retraite aux dates suivantes : M. Boucher, le 12 octobre 2012; M. Lussier, le 28 mars 2013; M. Lafrance, le 31 juillet 2013. Les fonctionnaires ont dit qu’il s’agissait de décisions personnelles.

[110] L’employeur a soumis que les questions en litige sont les suivantes : 1) est-ce qu’il y a eu discrimination des fonctionnaires en fonction de l’âge à première vue? 2) est-ce que l’employeur avait des motifs raisonnables de refuser l’échange de postes?

[111] En matière de discrimination, le fardeau de la preuve à première vue incombe aux fonctionnaires s’estimant lésés. Si les fonctionnaires s’estimant lésés s’acquittent de ce fardeau, l’employeur doit offrir une explication raisonnable (voir Pelletier c. Canada (Forces Armées Canadiennes), 1997 CanLII 24745 (TCDP), au para. 78 (« Pelletier »)). L’employeur a soumis que les fonctionnaires ne se sont pas acquittés du fardeau de la preuve.

[112] Le Plan d’action pour la réduction du déficit a été imposé à tous les ministères et la DRE fait partie de la convention collective. Selon AFPC, il y a deux situations où l’employeur peut être justifié à refuser l’échange de postes : 1) si le remplaçant a donné une date précise de retraite et son poste est aboli; 2) l’employé optant ne satisfait pas aux exigences du poste. En l’espèce, il s’agit de la deuxième situation, soit que les employées optantes proposées par les fonctionnaires ne satisfaisaient pas aux exigences du poste selon l’analyse qu’a faite M. Bergeron.

[113] La décision de l’employeur de refuser l’échange de postes a été prise de bonne foi avant même la décision dans AFPC. Les clauses 6.2.4 et 6.2.6 de l’Appendice C de la convention collective stipulent que l’employé optant doit satisfaire aux exigences du poste du remplaçant et qu’il incombe à la direction de décider si l’employé optant satisfait aux exigences du poste.

[114] En l’espèce, en raison du délai restant aux employées optantes dans la période de 120 jours dans lequel l’employeur devait procéder à l’échange de postes, il n’était pas possible que les employées optantes réussissent les formations nécessaires avant l’expiration du délai.

[115] En ce qui a trait à l’argument des fonctionnaires voulant que l’employeur aurait dû être prêt à procéder à l’échange de postes, l’employeur a fait valoir qu’il a eu des discussions pour tenter de limiter l’impact du RE sur les employés en procédant avec des départs volontaires. M. Bergeron a examiné les demandes des employées optantes dans la période de 120 jours, mais ces employées ne pouvaient pas obtenir la cote de sécurité « secret » dans les délais. De plus, la clause 6.2.8 de l’Appendice C de la convention collective stipule que l’échange de postes doit avoir lieu à une date donnée et ne peut se faire à une date ultérieure. L’employeur ne pouvait pas faire droit aux griefs des fonctionnaires après la décision au dernier palier de la procédure des griefs puisqu’ils n’occupaient plus leurs postes à la fonction publique.

[116] Concernant la possibilité de faire des offres d’emploi conditionnelles à la réussite des formations nécessaires dans le cadre du RE, l’employeur a souligné que, si les formations n’étaient pas réussies, l’ASFC aurait à composer avec des employés incapables d’exercer l’ensemble des tâches de leur poste. Cela aurait occasionné des coûts supplémentaires et n’aurait pas contribué aux objectifs du RE.

[117] Pour ce qui est de la qualification d’armement, Mme Deschamps et M. Bergeron ont témoigné que les employés occupant des postes qui sont devenus armés avaient 10 ans pour se qualifier, tandis que les nouveaux employés devaient se conformer à cette exigence au préalable.

[118] En ce qui a trait aux cotes de sécurité, à l’époque, un ministère ne reconnaissait pas la cote de sécurité d’un autre ministère et ceci s’appliquait à tous les employés. Les règles de sécurité étaient imposées par les responsables et elles étaient indépendantes de la bonne volonté de Mme Deschamps et M. Bergeron. En faisant référence au para. 146 de Chênevert, l’employeur a soutenu que le pouvoir décisionnel de l’employeur en vertu de l’Appendice C de la convention collective a été exercé de façon raisonnable, non-arbitraire, non-discriminatoire et de bonne foi.

[119] Selon l’employeur, les fonctionnaires n’ont pas démontré une preuve à première vue suffisante pour appuyer leur allégation de discrimination. M. Bergeron et Mme Deschamps ont témoigné que le refus de l’employeur de permettre aux fonctionnaires de participer à l’échange de postes était fondé uniquement sur les conditions d’emploi. Les fonctionnaires prétendent que la décision de l’employeur était basée sur le fait qu’ils allaient bientôt prendre leur retraite. L’employeur a soutenu que les fonctionnaires n’ont déposé aucune preuve pour appuyer cette prétention.

[120] M. Bergeron connaissait bien les fonctionnaires et il aurait aimé leur faire bénéficier de l’échange de postes. Il a témoigné qu’aucun autre facteur que les conditions de travail n’a influencé sa décision, tel qu’il est énoncé dans sa lettre du 3 août 2012.

[121] L’employeur a avancé que les fonctionnaires n’ont pas démontré l’effet discriminatoire de sa décision. C’est un fait qu’ils approchaient leur retraite et ils ont témoigné que leur départ à la retraite était leur décision personnelle. Selon l’employeur, il n’y a aucun lien entre le fait que les fonctionnaires approchaient leur retraite et sa décision de leur refuser l’échange de postes (voir Pelletier, au para. 76). M. Bergeron a expliqué que c’est lui qui a pris la décision à la suite de ses consultations avec l’administration centrale et que Mme Frigon n’avait aucune influence ou pouvoir dans cette décision.

[122] L’employeur a soumis que les fonctionnaires n’ont pas réussi à faire la preuve de discrimination à première vue et ils n’ont pas fait la preuve de préjudice subi à la suite du refus de l’échange de postes. L’employeur a fait valoir que, bien qu’il soit sensible aux aléas de la vie que les fonctionnaires ont rencontrés, ce ne sont pas des conséquences directes du refus de l’échange de postes.

[123] L’employeur a souligné plusieurs distinctions entre le présent cas et celui dans Legros, où l’arbitre de grief a conclu que l’âge de la fonctionnaire s’estimant lésée était un facteur dans la décision de l’employeur de refuser de lui permettre d’échanger son poste, ce qui constituait un acte discriminatoire.

[124] Parmi les distinctions soulevées par l’employeur étaient les suivantes : dans Legros, l’employeur a continué à refuser l’échange de postes bien que la fonctionnaire s’estimant lésée avait soumis les candidatures de plusieurs employés optants. En l’espèce, les fonctionnaires n’ont soumis que les candidatures des trois employées de CIC. Dans le présent cas, les employés optants devaient satisfaire à toutes les conditions d’emploi pour occuper le poste d’enquêteur, tandis que dans Legros, les employés optants n’avait qu’à satisfaire aux qualifications essentielles et il n’y avait pas de conditions spécifiques, tel l’armement. La fonctionnaire s’estimant lésée dans Legros a démontré que sa gestionnaire empêchait son accès à l’échange de postes et ne collaborait pas même après une décision de l’employeur en sa faveur à la suite d’un de ses griefs. Par contre, Mme Deschamps et M. Bergeron ont témoigné qu’ils auraient aimé procéder à l’échange de postes. Dans Legros, la gestionnaire avait ajouté une exigence aux qualifications essentielles afin de limiter les possibilités d’échange de postes. En l’espèce, il n’y avait rien de tel. L’ensemble des conditions d’emploi étaient en vigueur avant le RE et demeurait en vigueur pendant le processus du RE.

[125] L’employeur a ensuite répondu aux arguments des fonctionnaires. Concernant le fait que Mme Frigon n’a pas témoigné, l’employeur a soumis que ses paroles telles qu’elles ont été rapportées étaient du ouï-dire qui devait être évalué selon la prépondérance des probabilités. Par ailleurs, M. Bergeron a témoigné que Mme Frigon n’avait pas d’influence ou de pouvoir sur la décision concernant l’échange de postes.

[126] En ce qui a trait à l’argument des fonctionnaires voulant que l’employeur n’avait pas analysé les cv des candidates, M. Bergeron a dit qu’il les avait regardés et qu’il avait constaté qu’elles ne satisfaisaient pas aux conditions d’emploi. Selon AFPC, au para. 33, l’employeur doit avoir une volonté réelle d’aider les employés désirant échanger leurs postes et d’examiner les demandes d’échange de postes. L’employeur a soumis que M. Bergeron et Mme Deschamps avaient cette volonté réelle.

[127] Concernant le délai de 120 jours, il y avait différentes périodes de 120 jours selon les ministères. Après la période de 120 jours de CIC qui expirait le 8 août 2012, les fonctionnaires n’ont fait aucune preuve qu’ils ont fait des démarches envers d’autres employés optants d’autres ministères.

[128] Les fonctionnaires ont soumis que la cote de sécurité des employées optantes n’avait que d’être mise à jour. Mme Deschamps a témoigné que cela n’était pas possible; si l’employé venait d’un autre ministère, il n’y avait pas de reconnaissance possible et l’obtention d’une nouvelle cote était obligatoire.

[129] Concernant les mesures correctives demandées par les fonctionnaires, l’employeur a soumis que, si je conclus que le refus de l’employeur de leur accorder l’échange de postes était déraisonnable, la Commission ne peut présumer que l’échange de postes aurait procédé, puisqu’il revient à l’employeur de déterminer si les employés optants satisfont aux exigences du poste (voir Chênevert, aux paragraphes 176 et 177; et Legros, au para. 63).

[130] En ce qui a trait à la demande des fonctionnaires qu’on leur accorde des intérêts sur les montants demandés, l’employeur souligne que la Commission n’a pas le pouvoir d’adjuger des intérêts dans des griefs ayant trait à l’interprétation d’une convention collective (voir l’alinéa 226(2)c) de la LRTSPF).

[131] Concernant l’allégation de discrimination, l’employeur a fait valoir que les fonctionnaires n’ont pas fait la preuve d’un lien direct entre le refus de l’employeur de les laisser participer à l’échange de postes et un acte discriminatoire. Les fonctionnaires sont restés dans leurs postes jusqu’au moment où ils ont décidé de prendre leur retraite.

[132] L’employeur a souligné que le maximum des dommages qui peut être octroyé en vertu des dispositions 53(2)e) et 53(3) de la LCDP est de 20 000 $ pour chaque disposition. Les fonctionnaires n’ont pas fait la preuve que la conduite des gestionnaires en l’espèce était délibérée ou inconsidérée comme l’exige le para. 53(3) de la LCDP. M. Bergeron et Mme Deschamps ont témoigné que leur décision était strictement basée sur le fait que les employées optantes ne satisfaisaient pas aux conditions d’emploi. La décision de refuser l’échange de postes n’était aucunement fondée sur l’âge des fonctionnaires. L’employeur était de bonne foi; il n’était pas possible d’évaluer que les employées optantes satisfaisaient à toutes les conditions d’emploi en raison du délai de 120 jours.

[133] L’employeur a demandé le rejet des griefs et, subsidiairement, une déclaration.

C. Réfutation des fonctionnaires

[134] La position de l’employeur concernant la période de 120 jours veut dire que n’importe quand la période commence, les exigences du poste ne peuvent être satisfaites. Cela veut dire que des postes seraient exclus de la convention collective à cause de l’impossibilité de satisfaire aux exigences, ce qui n’était pas l’intention des parties.

[135] La clause 6.2.6 de l’Appendice C de la convention collective ne précise pas que l’employé optant doit satisfaire aux exigences du poste du remplaçant au préalable. Cela a pour effet d’ajouter à la convention collective.

[136] M. Bergeron et Mme Deschamps ont témoigné qu’ils ont fait des efforts pour aider les employés désirant échanger leurs postes, mais ils n’ont pas présenté des détails de leurs efforts.

[137] Concernant les commentaires de Mme Frigon, M. Paquette a assisté à la réunion où elle les a prononcés.

[138] La situation dans Legros est la même que dans le présent cas. Dans Legros, les cotes « secret » de la fonctionnaire s’estimant lésée et une des employées optantes étaient considérées uniformes (voir les paragraphes 32 à 34).

[139] Le refus de l’employeur de permettre aux fonctionnaires de participer à l’échange de postes était une décision arbitraire. L’employeur s’est exclu de l’application de la convention collective en incluant du langage qui n’a pas été négocié pour priver les fonctionnaires d’un droit négocié dans la convention collective, soit celui de participer à l’échange de postes.

IV. Analyse

[140] À l’arbitrage, les fonctionnaires ont contesté la décision de l’employeur de refuser les échanges proposés sur deux fronts. Premièrement, ils ont allégué que le refus avait été teinté de discrimination fondée sur l’âge. Deuxièmement, ils ont allégué que l’évaluation retardée de l’employeur, ainsi que sa décision au sujet des qualifications des remplaçants proposés contrevenait aux dispositions du RE.

[141] Même si l’employeur a accueilli les griefs des fonctionnaires « dans les limites énoncées ci-haut » au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, cet aveu ne portait pas sur les questions qui m’ont été présentées à l’arbitrage.

[142] Comme il est indiqué au paragraphe 3 de la présente décision, l’employeur avait accueilli en partie les griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, en invoquant une décision antérieure de la Commission dans une affaire de grief de principe, AFPC, qui a été rendue après le dépôt des griefs devant moi, mais avant la décision de l’employeur au dernier niveau. Même si l’on a renvoyé à la décision dans le grief de principe et que l’employeur a avoué avoir commis une faute, il n’a pas précisé, dans sa réponse au dernier palier, la partie de la décision AFPC qui s’appliquait aux fonctionnaires et sur laquelle son aveu reposait. Je fais aussi remarquer que la réponse au dernier palier indique que la direction doit « considérer et permettre aux employés de participer à l’échange de postes », mais qu’elle précise que cela doit être fait « hormis lors de situations où les raisons identifiées pour refuser l’échange de postes étaient conformes à celles énoncées dans [la décision AFPC] ».

[143] Quelles sont ces situations et sont-elles présentes en l’espèce? La décision AFPC portait sur l’application de plusieurs dispositions indiquées dans l’ARE. J’ai lu cette décision attentivement et j’ai conclu que le renvoi de l’employeur à celle-ci dans sa réponse au dernier palier repose sur l’analyse que fait l’arbitre de grief des deuxième et quatrième questions indiquées dans cette décision.

[144] La deuxième question sur laquelle l’arbitre de grief s’est penchée visait à déterminer si les ministères avaient une période raisonnable pour mettre en place un processus d’échange de postes, tandis que la quatrième question portait sur le droit de l’administrateur général de refuser des échanges pour les postes qu’il n’entendait par pourvoir, à cause de départs à la retraite ou de démission prochains, ou d’une réorganisation ou réduction des effectifs futures prévues.

[145] L’arbitre de grief s’est exprimé comme suit sur ces questions :

[30] Aux termes de l’ARE/ERE, tous les ministères doivent « participer au processus d’échanges de postes » (clause 6.2.1). Si un ministère n’est pas prêt à répondre avant la fin du délai de 120 jours aux demandes d’échanges de postes qui ont été présentées en temps opportun, il me semble qu’il n’a pas réussi à se conformer à cette obligation. Cependant, à mon avis, si un ministère informe les employés qu’il n’est pas encore prêt à examiner ces demandes, mais qu’il réussit quand même à répondre dans le délai de 120 jours, il n’y a aucune violation.

[…]

[36] Mis à part la clause 6.2.4, l’ARE/ERE ne donne à la direction aucune latitude pour rejeter une demande d’échange de postes qui est conforme aux dispositions portant sur l’échange de postes. Aux termes de l’ARE/ERE, un échange « […] a lieu lorsqu’un employé-e optant qui préférerait rester dans l’administration publique centrale échange son poste avec un employé-e non touché (le remplaçant) qui désire quitter l’administration publique centrale, conformément aux dispositions de la partie VI du présent appendice » (clause 6.2.2). À part la clause 6.2.4, il n’y a aucune exigence d’obtenir l’approbation de la direction ni aucun pouvoir discrétionnaire expressément conféré à la direction lui permettant de rejeter une demande d’échange de postes, pourvu que l’échange soit conforme aux dispositions de la partie VI de l’ARE/ERE.

[37] L’employeur a soutenu que la clause 1.1.2, en vertu de laquelle il doit « [réaliser] une planification efficace des ressources humaines », est également pertinente à l’évaluation par l’employeur des demandes d’échanges de postes puisqu’il lui permettrait de rejeter les demandes qui iraient à l’encontre de l’objectif de planification efficace des ressources humaines. Je ne suis pas d’accord avec cet argument puisque, selon le libellé exprès de l’article 1.1.2, l’exigence de réaliser une planification efficace des ressources humaines vise à « […] réduire au minimum les répercussions d’un réaménagement des effectifs sur les employées nommés pour une période indéterminée, sur le ministère ou l’organisation et sur la fonction publique ». Je suis donc convaincu que l’employeur ne peut pas invoquer la nécessité de réaliser une planification efficace des ressources humaines comme un motif indépendant pour rejeter les demandes d’échanges de postes.

[…]

[42] Il convient de noter que les agents négociateurs ont reconnu dans leurs arguments qu’il serait légitime pour un ministère de refuser un échange de postes proposé si le remplaçant prévu avait déjà donné un préavis de démission ou de départ à la retraite, prenant effet à une date précise, et si le ministère avait pris la décision de ne pas pourvoir le poste une fois vacant. Puisque ce critère n’est mentionné nulle part dans l’ARE/ERE, je crois comprendre que la position des agents négociateurs est qu’ils admettent que l’existence d’une disposition implicite à cet égard serait raisonnable.

[…]

[44] Par conséquent, en réponse à la Question 4, je conclus que la seule situation où un ministère pourrait refuser un échange de postes proposé (autres que les situations expressément prévues dans l’ARE/ERE) serait celle où le remplaçant prévu a déjà donné un préavis de démission ou de départ à la retraite, prenant effet à une date précise, et où le ministère avait pris la décision de ne pas pourvoir le poste une fois vacant.

[146] La décision AFPC ne portait sur aucune allégation de discrimination ou sur l’évaluation des qualifications des candidats proposés pour l’échange de postes. Le fait que les fonctionnaires aient soulevé la question de la discrimination une fois qu’ils ont renvoyé leurs griefs à l’arbitrage appuie la conclusion selon laquelle la réponse au dernier palier ne constitue pas un aveu de discrimination de la part de l’employeur.

[147] L’une des questions que le présent cas a en commun avec AFPC est celle de la période pendant laquelle l’échange de postes proposés peut être examiné. Cette question a été soulevée dans les arguments des fonctionnaires. Les éléments de preuve montrent que, même si Mme Russell avait dit aux fonctionnaires qu’il n’y avait pas suffisamment de temps pour examiner leurs demandes, Mme Lacombe a transmis leurs demandes à M. Bergeron, le responsable du comité du RE, et il a pris sa décision en fonction des facteurs énoncés dans sa lettre du 3 août 2012, à l’intérieur du délai de 120 jours. Par conséquent, la règle des 120 jours n’a pas été violée, mais l’employeur avait néanmoins commis une erreur en indiquant au départ aux fonctionnaires qu’il n’y avait pas suffisamment de temps pour examiner leurs propositions. La réponse détaillée présentée par M. Bergeron le 3 août 2012 satisfaisait aux exigences de la politique et à la décision rendue dans le grief de principe, et corrigeait la déclaration initiale de l’employeur selon laquelle il n’y avait pas suffisamment de temps pour examiner les propositions.

[148] Je me penche maintenant sur l’allégation de discrimination des fonctionnaires. Dans Chênevert, qui découlait du processus de PARD de 2012 et soulevait une allégation de discrimination fondée sur l’âge dans le contexte d’un échange de postes proposé, l’analyse à mener se lisait comme suit :

[137] Afin de démontrer la discrimination, la personne s’estimant lésée doit d’abord établir une preuve prima facie de discrimination. Le critère d’une telle preuve a été décrit comme suit par la Cour suprême du Canada dans Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, au paragraphe 33 :

Comme l’a à juste titre reconnu le Tribunal, pour établir à première vue l’existence de discrimination, les plaignants doivent démontrer qu’ils possèdent une caractéristique protégée par le Code contre la discrimination, qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. Une fois la discrimination établie à première vue, l’intimé a alors le fardeau de justifier la conduite ou la pratique suivant le régime d’exemptions prévu par les lois sur les droits de la personne. Si la conduite ou pratique ne peut être justifiée, le tribunal conclura à l’existence de la discrimination.

[138] Si le fonctionnaire réussit à établir une preuve prima facie de discrimination, il revient à l’employeur de réfuter les allégations ou de fournir une autre explication raisonnable qui ne soit pas fondée sur la discrimination. Cette explication ne peut se résumer à un simple prétexte visant à justifier la conduite discriminatoire.

[149] Les fonctionnaires se sont fondés entièrement sur la preuve d’une déclaration faite par Mme Frigon lors d’une réunion syndicale-patronale, le 15 mai 2012. M. Paquette a témoigné que pendant la réunion, Mme Frigon avait indiqué qu’elle s’opposait au fait d’accorder aux trois fonctionnaires une mesure de soutien à la transition étant donné qu’ils prendraient leur retraite bientôt et que le PARD visait à économiser des fonds. M. Boucher a témoigné que M. Paquette lui avait parlé de cette déclaration et qu’il avait par la suite cru être victime de discrimination. L’employeur n’a pas cherché à contester cette allégation et il a en fait reconnu dans ses arguments que le commentaire avait été formulé. Aucun des deux autres fonctionnaires n’a présenté d’éléments de preuve sur la question de la discrimination. Ni M. Lafrance ni M. Lussier n’ont renvoyé à la question de discrimination dans leur témoignage, le deuxième mentionnant seulement qu’il croyait que l’échange de postes proposé avait été refusé au motif des qualifications, sans renvoyer à la question de la discrimination. Seuls M. Boucher et M. Paquette ont témoigné sur cette question et les deux ont uniquement renvoyé au commentaire formulé par Mme Frigon. Il s’agit du seul élément de preuve présenté par les fonctionnaires à l’appui de leur allégation de discrimination.

[150] Je conclus que ces témoignages constituent une preuve à première vue de discrimination à l’encontre des fonctionnaires, car ceux-ci ont présenté des éléments de preuve qui suffisent à croire que l’âge aurait bel et bien pu être un facteur dans la décision de l’employeur de refuser les échanges de postes proposés. Le commentaire formulé par Mme Frigon contient à tout le moins, comme il est indiqué dans Legros, au par. 54, des « relents de discrimination », qui exigent une réponse de la part de l’employeur.

[151] La décision rendue dans Legros est instructive sur ce point et, comme il est indiqué précédemment dans la présente décision, elle concernait le même employeur, le même processus de PARD et une allégation de discrimination fondée sur l’âge pendant l’examen d’échanges de postes proposés. Au paragraphe 53, l’arbitre de grief a exposé comme suit l’analyse en deux étapes requises dans de tels cas : « […] y a-t-il discrimination à première vue? Si oui, l’employeur a-t-il une justification valable? » (Voir Nadeau c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2014 CRTFP 82). Elle a ensuite dit : « Pour établir la discrimination à première vue, il n’est pas nécessaire que la discrimination soit le seul facteur qui a joué; il suffit qu’elle soit l’un des facteurs (Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39). »

[152] Il ne fait pas de doute que les fonctionnaires possèdent une caractéristique protégée, soit l’âge, et qu’ils ont subi une répercussion négative dans le refus par l’employeur des échanges de postes proposés. Je conclus également, selon les témoignages de M. Boucher et de M. Paquette, et comme l’employeur l’a admis, que les fonctionnaires ont prouvé que l’âge avait été un facteur dans le refus par l’employeur des échanges de postes proposés. Je conclus que les fonctionnaires ont établi une preuve prima facie de discrimination et que c’est maintenant l’employeur qui a le fardeau, pour reprendre les mots utilisés dans Legros, d’« […] expliquer ses décisions de façon à écarter cette discrimination apparente ».

[153] Toutefois, je conclus aussi que l’employeur a réussi à s’acquitter de ce fardeau de répondre à cette allégation, car la preuve qu’il a présentée m’a convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la décision de l’employeur de refuser les échanges de postes se fondait entièrement sur son évaluation des qualifications des personnes proposées et d’aucune façon sur l’âge des fonctionnaires.

[154] Comme il est indiqué ci-dessus, les seuls éléments de preuve liés à la discrimination fondée sur l’âge étaient les déclarations proférées par Mme Frigon au sujet des départs à la retraite prochains et de la nécessité d’économiser des fonds. Il ne fait aucun doute que Mme Frigon a renvoyé aux départs à la retraite imminents (annoncés ou supposés) des fonctionnaires et qu’elle s’opposait au paiement de mesures de soutien à la transition quand ils allaient quitter leur emploi de toute façon. J’ai conclu que cette approche, comme dans Legros, avait des « relents de discrimination », car elle indique que leur âge constitue un facteur dans la décision de refuser les échanges de postes. Conformément au critère de la preuve à première vue, cet élément de preuve présenté par les fonctionnaires exige à l’employeur de présenter une explication satisfaisante, qui réfute cette conclusion.

[155] J’ai conclu que la preuve n’indique aucun lien entre les commentaires formulés par Mme Frigon et la décision de l’employeur de refuser les échanges de postes. Le commentaire a été formulé lors d’une réunion au début du processus du PARD et avant le moment où l’ASFC a indiqué qu’elle était désormais prête à examiner les échanges de postes, soit le 23 juillet 2012. Dans leurs arguments, les fonctionnaires ont contesté le défaut de l’ASFC d’examiner leurs demandes d’échange de postes avant le mois de juillet 2012, ce qui confirme la preuve présentée dans le présent cas, selon laquelle l’ASFC n’avait pas examiné les échanges de postes proposés pendant la réunion syndicale-patronale au cours de laquelle Mme Frigon avait fait part de son opinion sur cette question.

[156] Dans la lettre de M. Chiquette du 23 juillet 2012, le ministère indiquait qu’il était prêt à examiner les échanges de postes et à ce moment-là, la question liée aux fonctionnaires a été soulevée de nouveau, cette fois-ci auprès de Mme Russell, le 26 juillet 2012, et finalement, auprès de M. Bergeron. Aucun élément de preuve n’indiquait que l’âge des fonctionnaires ou que le fait que l’employeur croit à leur départ à la retraite imminent ou annoncé avait joué un rôle dans ses délibérations sur la question. M. Boucher a témoigné que Mme Russell avait dit aux fonctionnaires que la SINP constituait l’obstacle aux échanges de postes proposés, étant donné que quiconque acceptait un poste devait posséder une classification de niveau « secret » en vertu du processus de l’ASFC et que l’ASFC ne considérerait pas les autorisations de sécurité accordées pour d’autres ministères comme équivalentes ou reconnues. M. Boucher a témoigné que Mme Russell avait dit aux fonctionnaires que la question de l’autorisation de sécurité propre à l’ASFC empêchait le ministère d’accepter leurs demandes d’échange de postes. Dans sa lettre du 26 juillet 2012 à Mme Lacombe, M. Boucher l’a informée de la situation et, le 3 août 2012, elle a transmis la lettre à M. Bergeron.

[157] Selon la preuve, c’est M. Bergeron qui a pris la décision de refuser les échanges de postes et il a indiqué clairement dans son témoignage qu’il l’avait prise seulement en fonction de la question des qualifications. Son témoignage était crédible et inébranlable sur cette question et sur son affirmation selon laquelle les commentaires formulés précédemment par Mme Frigon n’avaient eu aucune incidence sur sa décision. Même si les commentaires formulés par Mme Frigon vont à l’encontre de la décision dans AFPC et qu’ils semblent constituer une preuve à première vue de discrimination, je conclus qu’aucun élément de preuve ne permet de conclure que ces opinions ont joué un rôle dans le processus décisionnel de l’employeur. Les commentaires offensants ont été proférés à un moment où l’ASFC n’examinait pas la question des échanges de postes et la preuve a montré, selon la prépondérance des probabilités, que la question de l’âge n’avait joué aucun rôle dans la décision prise par Mme Russell et par M. Bergeron.

[158] Je conclus donc que l’employeur a réussi à réfuter la preuve à première vue avancée par les fonctionnaires et, selon la prépondérance des probabilités, il a prouvé que l’âge n’avait pas été un facteur dans sa décision. Je rejette donc l’allégation de discrimination des fonctionnaires.

[159] Je passe maintenant à la deuxième question présentée dans le présent cas, soit les qualifications des remplaçants proposés.

[160] Les fonctionnaires ont soutenu que l’employeur avait agi de manière déraisonnable en n’examinant pas leurs demandes d’échanges pour la période allant d’avril à juillet 2013. Afin de répondre à cette question, je cite de nouveau la décision AFPC, qui indique ce qui suit :

[30] Aux termes de l’ARE/ERE, tous les ministères doivent « participer au processus d’échanges de postes » (clause 6.2.1). Si un ministère n’est pas prêt à répondre avant la fin du délai de 120 jours aux demandes d’échanges de postes qui ont été présentées en temps opportun, il me semble qu’il n’a pas réussi à se conformer à cette obligation. Cependant, à mon avis, si un ministère informe les employés qu’il n’est pas encore prêt à examiner ces demandes, mais qu’il réussit quand même à répondre dans le délai de 120 jours, il n’y a aucune violation.

[161] Je ne peux seulement qu’être d’accord avec la décision en l’espèce et je conclus que l’employeur n’a pas enfreint les modalités de l’ARE, car il a respecté le délai de 120 jours et a répondu, en présentant des raisons détaillées, à la demande des fonctionnaires dans ce délai. Même si l’ASFC s’était trouvée dans une situation qui lui permettait d’examiner les échanges de postes au printemps 2012, la preuve a montré que les employées optantes de CIC n’auraient pas eu suffisamment de temps pour devenir qualifiés et occuper les postes des fonctionnaires.

[162] En ce qui concerne la décision de l’employeur sur les qualifications des remplaçants proposés pour échanger de postes avec les fonctionnaires, ces derniers ont reconnu que les candidats proposés ne possédaient pas les qualifications requises pour les postes. Ils ont toutefois soutenu que cela se produisait chaque fois que l’ASFC pourvoyait de nombreux postes. Dans ce genre de cas, la solution était de présenter des offres conditionnelles. Selon les fonctionnaires, le défaut de l’employeur de recourir à ce genre de processus d’approbation conditionnelle constituait une violation déraisonnable des dispositions de l’ARE et par le fait même, de la convention collective.

[163] Je ne suis pas d’accord avec le fait que le refus de l’employeur, dans le présent cas, de suivre le processus d’approbation conditionnelle auquel il recourt pour pourvoir des postes rend sa décision déraisonnable. La dotation en personnel dans le cadre des activités régulières ne s’effectue pas dans le même contexte que la poursuite d’un exercice de réduction des effectifs. Rien ne me porte à croire que les règles de dotation peuvent ou doivent être intégrées aux dispositions de l’ARE. En fait, les fonctionnaires n’ont présenté aucune disposition établie par une loi ou par une convention collective, aucune politique et aucune jurisprudence à l’appui de leur argument sur cette question.

[164] De plus, et c’est l’aspect le plus important, une telle suggestion va à l’encontre du langage clair des dispositions de l’ARE, qui indiquent, comme on le voit ci-dessous, que tous les employés optants doivent être qualifiés pour les postes voulus et qu’il incombe à l’employeur d’évaluer les qualifications :

6.2.4 Un employé nommé pour une période indéterminée qui souhaite quitter la fonction publique peut manifester l’intérêt d’échanger son poste avec celui d’un employé optant. Il incombe cependant à la direction de décider si l’employé-e optant répond aux exigences du poste du remplaçant et aux besoins de l’administration publique centrale.

6.2.6 L’employé-e optant qui prend la place d’un-e employé-e non touché doit satisfaire aux exigences du poste de ce dernier ou cette dernière, y compris les exigences linguistiques. L’employé-e (le remplaçant) qui prend la place d’un employé-e optant doit satisfaire aux exigences du poste de ce dernier, sauf s’il ou elle n’effectue pas les fonctions de ce poste. L’employé-e remplaçant sera rayé de l’effectif dans les cinq (5) jours suivant l’échange de postes.

[165] Les fonctionnaires ont soutenu que la décision de l’employeur en ce qui concerne les qualifications était déraisonnable, mais, contrairement à Legros, ils n’ont pas allégué la présence de mauvaise foi ou de camouflage. M. Boucher a témoigné que M. Langlais, le directeur de sa division, avait bien accueilli l’idée de l’échange et M. Bergeron a témoigné qu’il connaissait les fonctionnaires et qu’il aurait aimé pouvoir accéder à leurs demandes. La preuve dont je suis saisi confirme, selon la prépondérance des probabilités, que la décision a été prise de bonne foi et qu’elle reposait entièrement sur la question des qualifications.

[166] Les postes occupés par les fonctionnaires comprenaient des exigences très précises en ce qui concerne l’utilisation d’armes à feu et une procédure d’autorisation de sécurité propre à l’ASFC. Les fonctionnaires ont conclu à juste titre qu’étant donné qu’aucun employé de l’ASFC ne s’était manifesté pour échanger de postes avec eux, il serait impossible de faire un échange de postes. Comme je l’ai conclu ci-dessus, cela aurait été le cas, même si l’ASFC avait été prête à examiner les demandes d’échanges de postes au printemps 2012 plutôt qu’à l’été de cette année-là. Dans son argumentation, la représentante des fonctionnaires a indiqué que les témoignages de Mme Deschamps et de M. Bergeron indiquaient qu’il aurait été difficile et impossible de satisfaire aux exigences des postes d’enquêteur en respectant le délai, et je conclus que tel est bien le cas. Toutefois, j’accepte aussi la proposition selon laquelle même si l’ARE vise à maintenir l’emploi d’employés nommés pour une période indéterminée, ce ne sont pas tous les postes qui se prêtent facilement à un échange de postes, compte tenu de leurs exigences précises, et que les difficultés à cet égard ne constituent pas automatiquement des atteintes à l’ARE.

[167] La preuve liée à la mise en œuvre récente de la SINP et à l’exigence de posséder une autorisation de sécurité propre à l’ASFC a été déposée afin de confirmer l’allégation de l’employeur selon laquelle les remplaçants proposés ne possédaient pas les qualifications requises pour les postes dans lesquels ils voulaient être échangés. Aucune preuve n’a été déposée afin d’indiquer que les qualifications liées à l’autorisation de sécurité étaient déraisonnables ou qu’elles avaient été mises en œuvre de mauvaise foi ou afin de bloquer les échanges de postes avec d’autres ministères. Comme l’employeur l’a fait remarquer dans son argumentation, les fonctionnaires n’ont soulevé aucune allégation de mauvaise foi dans le présent cas.

[168] Je conclus que la décision liée à la question des qualifications des employées optantes a été prise de façon raisonnable et non arbitraire, de bonne foi et sans discrimination. Par conséquent, je rejette les griefs.

[169] Étant donné ma décision de rejeter ces griefs, je n’examinerai pas la question de la réparation.

[170] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[171] Les griefs sont rejetés.

Le 17 juin 2021.

Steven B. Katkin,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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