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Date : 20210624

Dossier : 561-02-41630

 

Référence : 2021 CRTESPF 76

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Fédération de la police nationale

plaignante

 

et

 

Conseil du Trésor

 

défendeur

Répertorié

Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Margaret T.A. Shannon, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Malini Vijaykumar et Amanda Le, avocates

Pour le défendeur : Kieran Dyer, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario) par vidéoconférence

les 9, 10 et 11 mars 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Plainte devant la Commission

[1] La Fédération de la police nationale (FPN), l’agent négociateur autorisé de tous les employés qui sont membres de la Gendarmerie royale du Canada (hormis les officiers et les membres civils) et de tous les employés qui sont réservistes, et la plaignante en l’espèce, a allégué que le défendeur, le Conseil du Trésor, a enfreint l’article 107 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C., 2003, ch. 22, art. 2; la Loi) lorsqu’il a modifié les conditions d’emploi des membres du détachement de la ville de Red Deer (le « détachement ») à Red Deer, en Alberta, pendant la période de gel prévu par la loi, ce qui va à l’encontre de cet article. La plaignante a allégué que la mise en œuvre du stationnement payant à l’administration centrale du détachement constituait une modification des modalités d’emploi pour ses membres, étant donné qu’ils avaient préalablement obtenu la permission d’utiliser le stationnement gratuitement.

II. Résumé de la preuve

[2] Les parties ont présenté un énoncé conjoint des faits, qui est reproduit ci-dessous sans ses pièces jointes :

[Traduction]

[…]

1. La Gendarmerie royale du Canada (GRC) est le corps de police du Canada. La GRC a conclu une entente avec la ville de Red Deer afin de fournir à celle-ci des services de police municipaux. La GRC a également conclu une entente avec la province de l’Alberta afin de fournir à celle-ci des services de police provinciaux. La GRC à Red Deer fournit seulement des services de police municipaux.

2. La GRC mène ses activités à partir de deux détachements à Red Deer. Le détachement en question dans la présente plainte se trouve au centre-ville, au 4602, 51e Avenue. La GRC compte environ 175 membres qui fournissent des services de police municipaux dans ce détachement.

ALERT

3. L’Alberta Law Enforcement Response Team (ALERT) est un organisme distinct créé par le gouvernement de l’Alberta afin de lutter contre le crime organisé et les crimes graves. L’équipe ALERT située à Red Deer occupe des bureaux dans l’immeuble du détachement, au 4602, 51e Avenue, et compte 18 postes de policiers et deux employés civils.

Services de police municipaux

4. Les Services de police municipaux (SPM) de la ville de Red Deer fournissent un soutien administratif à la GRC. Les Services de police municipaux comptent 103 employés qui travaillent dans l’immeuble du détachement, au 4602, 51e Avenue.

Le gel prévu par la loi

5. Le 12 juillet 2019, la Fédération de la police nationale (FPN) a été accréditée à titre d’agent négociateur unique pour tous les membres réguliers et réservistes de la GRC qui ont un grade inférieur à celui d’inspecteur.

6. Le 15 juillet 2019, la FPN a signifié au Conseil du Trésor son avis d’intention de négocier […]

7. La ville de Red Deer est propriétaire du stationnement P10. Le stationnement P10 est situé au nord du même îlot urbain que le détachement du centre-ville. Au début de la période de gel prévu par la loi, les membres de la GRC, les employés de l’équipe ALERT et les employés du SPM pouvaient garer leur véhicule personnel sans frais au stationnement P10.

8. Le 2 janvier 2020, la ville de Red Deer a converti le stationnement P10 en un stationnement mensuel payant.

9. Le 26 février 2020, la FPN a déposé la présente plainte auprès de la Commission en vertu de l’alinéa 190(1)c) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral […]

10. Le Conseil du Trésor a répondu à la plainte le 24 juillet 2020 […]

11. La FPN a déposé ses arguments en réplique le 21 août 2020 […]

12. À l’heure actuelle, le tarif pour le stationnement P10 de la ville de Red Deer est de 55 $ par mois.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[3] Selon la plaignante, la GRC avait une entente de partage des coûts avec l’Alberta Law Enforcement Response Team (ALERT) pour les locaux du détachement. Les véhicules de l’équipe ALERT étaient autorisés dans le stationnement sécurisé; en échange, ALERT devait louer le stationnement P10 à la ville de Red Deer (la « Ville ») pour que les membres de la FPN puissent l’utiliser gratuitement. Les membres avaient été déplacés du stationnement sécurisé, car les véhicules de l’équipe ALERT utilisaient les places de stationnement limitées qui s’y trouvaient.

[4] Avant que l’équipe ALERT n’emménage dans l’immeuble, les membres garaient leurs voitures aux places libres du stationnement sécurisé destinées aux voitures de police. Quand l’équipe ALERT a emménagé, elle a eu besoin de places pour garer ses véhicules de police, ce qui signifie que 12 places n’étaient plus disponibles pour que les membres de la GRC y garent leurs véhicules personnels, selon Geoff Greenwood.

[5] M. Greenwood a témoigné qu’il était en poste au détachement depuis son déménagement en 2013 aux nouveaux locaux sur la 51e Avenue. Il n’a jamais payé pour se stationner après avoir déménagé à cet endroit. Il a témoigné que les agents se garaient à des places à durée illimitée située le long de la rue adjacente au stationnement P10 ou dans le stationnement sécurisé, si des places étaient disponibles. Les choses se sont déroulées ainsi jusqu’au printemps 2014, lorsque le commandant du détachement, Warren Dosko, a indiqué aux personnes réunies lors d’une séance d’information matinale que l’équipe ALERT louait le stationnement P10 pour les membres afin qu’ils puissent s’y garer gratuitement. En échange, ils ne pourraient plus utiliser le stationnement sécurisé.

[6] M. Greenwood a déposé en preuve un courriel qui, selon son témoignage, était envoyé à tous les nouveaux membres de la GRC à leur arrivée au détachement. Le courriel envoyé par le sous-officier administratif du détachement indiquait que le membre détenait un permis de stationnement qui lui donnait le droit d’utiliser le stationnement P10, également connu sous le nom de [traduction] « stationnement des employés » (pièce 2, onglet 10). Le courriel ne mentionne nulle part que les membres doivent engager des coûts pour utiliser le stationnement P10. L’immeuble du détachement, dont la Ville est propriétaire, sert à héberger des employés des services de police fédéraux et municipaux.

[7] En 2015, M. Greenwood est devenu membre de l’équipe de direction du détachement, formée de trois représentants de la Ville membres des Services de police municipaux (un groupe qui occupait aussi l’immeuble du détachement et qui fournissait un soutien administratif à celui-ci) et de trois membres du détachement. L’équipe discutait entre autres des problèmes et des préoccupations liés à l’immeuble du détachement. Lors d’une réunion tenue le 1er février 2018, les membres de l’équipe ont discuté du déglaçage du stationnement P10 à la suite du signalement d’une blessure causée par une glissade suivie d’une chute. Selon M. Greenwood, il a fallu demander au département des travaux de la Ville de dégager le stationnement P10, ce qui n’était pas une responsabilité de la GRC. Le procès-verbal de la réunion fait état de cette discussion (pièce 2, onglet 55B).

[8] M. Greenwood a témoigné en contre-interrogatoire que si un membre de la GRC souhaitait faire une plainte sur l’état du stationnement P10, il devait la déposer auprès de son gestionnaire de la GRC, qui assurait ensuite le suivi auprès du gestionnaire approprié de la Ville. Il était possible de discuter des problèmes liés au stationnement P10 dans le cadre des réunions de l’équipe de direction, mais ce sont les employés de la Ville qui étaient responsables de toute mesure à prendre et d’assurer un suivi auprès de la Ville.

[9] À la fin de l’année 2019, l’équipe de direction a été informée que la Ville avait l’intention de commencer à faire payer tous les utilisateurs du stationnement P10. Les membres ont été mis au courant de cette décision. La Ville a envoyé un avis à tous les membres afin de leur faire part des changements (pièce 2, onglet 27). Il s’agissait de la première fois où les membres apprenaient qu’ils devraient payer leur stationnement, selon M. Greenwood, et l’avis a été reçu à temps pour la séance d’information à l’intention des membres du 2 décembre 2019, au cours de laquelle on leur a expliqué la situation. La date de mise en œuvre avait été fixée au mois de janvier 2020. En contre-interrogatoire, M. Greenwood a été interrogé au sujet de l’avis qu’il a reçu le 2 décembre 2019 concernant les changements apportés au stationnement P10. Il a témoigné que l’avis n’était pas logique. Les membres n’avaient reçu aucun avis verbal ou autre. Il ne semblait y avoir eu aucune consultation, discussion ou mention de l’entente avec l’équipe ALERT, en vertu duquel celle-ci louerait le stationnement P10 pour permettre aux membres du détachement de l’utiliser.

[10] Selon M. Greenwood, il n’a jamais consenti à la transition vers le stationnement payant. La GRC n’a jamais offert de couvrir les coûts liés aux nouveaux frais de stationnement; personne ne l’a fait. Il était contrarié par ce changement et ne comprenait pas pourquoi il avait été mis en œuvre. Il a témoigné que l’on n’avait fourni aucune justification du changement aux membres et que l’on ne leur avait pas expliqué pourquoi ils devaient engager des coûts supplémentaires pour le stationnement. Il savait que les employés de la Ville devaient payer leur stationnement.

[11] Selon M. Greenwood, il ne s’attendait pas à pouvoir utiliser le stationnement sans frais. En outre, il ne comprenait pas pourquoi un changement avait été apporté alors que personne n’avait payé quoi que ce soit de 2014 à 2019. Les membres voulaient savoir pourquoi il devait y avoir un changement, simplement parce que la Ville avait dit qu’elle ne payait pas le stationnement de ses employés. À son détachement précédent, M. Greenwood payait son stationnement à un parcomètre. Il ne s’attendait pas à avoir accès à un stationnement sans frais quand il a déménagé à Red Deer. Il n’a jamais indiqué que le stationnement gratuit P10 constituait un avantage imposable dans ses déclarations de revenus. Il s’attendait à ce que l’équipe ALERT paye le loyer pour le stationnement P10 et que les membres aient la permission de l’utiliser.

[12] Robert Marsolier a témoigné qu’il travaille aux bureaux du détachement situés au 4602, 51e Avenue à Red Deer depuis 2013. À cette époque, les membres garaient leurs véhicules personnels dans les rues voisines ou dans le stationnement sécurisé, s’ils trouvaient une place. Il se souvient que le détachement avait conclu une entente avec la Ville quand celle-ci a installé des parcomètres dans les rues, en vertu de laquelle les membres du détachement pouvaient utiliser le stationnement municipal P10 gratuitement. Sans cette option, les membres devaient se garer aux parcomètres, étant donné que les premières places où se rendre se trouvaient dans le stationnement sécurisé.

[13] Le stationnement P10 est en gravier et appartient à la Ville. Les entreprises du secteur l’utilisaient avant que le détachement ne commence à le faire. M. Marsolier a indiqué avoir commencé à utiliser le stationnement au début de l’année 2013. Toujours selon lui, personne du détachement n’a payé pour utiliser le stationnement depuis 2013. Le stationnement P10 était gratuit, en vertu d’une entente entre le détachement et l’équipe ALERT, qui permettait à celle-ci de garer ses véhicules de surveillance dans le stationnement sécurisé. Cette entente a éliminé le stationnement que les membres se dépêchaient d’utiliser pour garer leur véhicule personnel. Le surintendant Dosko a porté l’entente à son attention.

[14] L’entente a été conclue et les membres ont reçu des permis de stationnement à accrocher à leur rétroviseur afin d’indiquer qu’ils pouvaient utiliser le stationnement P10 (pièce 2, onglet 10). Le sergent Sokowlowski les remettait aux nouveaux membres à leur arrivée au détachement afin qu’ils les utilisent pendant leur affectation.

[15] Selon M. Marsolier, tout le monde au détachement faisait référence au stationnement P10 en tant que stationnement des employés. Les membres ont pu l’utiliser gratuitement de 2013 à 2019; en décembre de cette année-là, on leur a dit qu’ils devraient commencer à payer pour l’utiliser. M. Marsolier a témoigné qu’il a assisté à une séance d’information à laquelle participaient trois employés de la Ville et dans le cadre de laquelle on lui a dit que des changements allaient être apportés et que les membres du détachement devraient commencer à payer pour utiliser le stationnement P10. Les membres ont plus tard reçu un courriel à cet effet (pièce 2, onglet 27).

[16] Les membres du détachement n’ont pas eu leur mot à dire dans la décision de rendre le stationnement payant. Selon M. Marsolier, aucune option de rechange n’a été explorée. On a dit aux membres qu’ils pouvaient se garer dans les secteurs résidentiels, des îlots urbains plus loin du détachement, s’ils ne voulaient pas payer les frais de stationnement mensuels. Le coût du stationnement a finalement été réduit à 55 $ par mois, après que les personnes ont trouvé des stationnements moins dispendieux ailleurs. Quand le surintendant Grobmeier est devenu l’officier responsable, il a tenté de négocier avec la Ville afin de rétablir le stationnement gratuit, mais sans succès, selon M. Marsolier, et ce, même si des membres du détachement situé au nord de la ville ne paient pas le stationnement.

[17] M. Marsolier a décrit l’incidence de la décision de la Ville sur les membres de son détachement. Ils se sentaient peu appréciés pour ce qu’ils faisaient pour la Ville et pour ses résidents. En outre, il ne comprenait pas pourquoi les membres de la GRC ne recevaient pas le même traitement que les employés qui travaillaient pour le service d’incendies et pour le service d’urgences médicales, qui eux avaient droit au stationnement gratuit.

[18] Dan Konowalchuk a témoigné qu’il a été détaché de la GRC à l’équipe ALERT afin d’être l’officier responsable de l’équipe qui travaillait dans le même immeuble que le détachement régional, sur la 51e Avenue à Red Deer. L’équipe ALERT était un groupe de travail mixte formé de départements, en plus de la GRC et du département des shérifs de l’Alberta, créé afin de travailler sur les crimes liés aux gangs et sur le crime organisé. L’équipe ALERT devait occuper l’aile nord de l’immeuble du détachement. Selon M. Konowalchuk, on voulait que tous les services de police de la collectivité soient hébergés dans cet immeuble : le service de police municipal, l’équipe ALERT et la GRC.

[19] M. Konowalchuk ne se souvenait pas si l’équipe ALERT payait un loyer pour les locaux qu’elle utilisait, même si elle était en mesure de le faire et qu’elle le voulait, selon lui, parce que des accords écrits étaient en place et des loyers étaient versés dans d’autres régions où les bureaux de l’équipe ALERT étaient hébergés dans les bureaux de détachements. Selon son témoignage, il savait que le détachement régional avait des problèmes de stationnement quand il a été décidé de colocaliser l’équipe ALERT dans l’immeuble du détachement situé sur la 51e Avenue.

[20] Selon son témoignage, M. Konowalchuk est intervenu auprès du commandant du détachement afin de déterminer comment répondre aux besoins de leurs équipes respectives. Au cours de la deuxième moitié de l’année 2012, il a parlé à M. Dosko des pressions en matière de stationnement que l’ajout de l’équipe ALERT exerçait et cherché à trouver un stationnement supplémentaire pour les membres. Le stationnement était nécessaire pour les véhicules de surveillance de l’équipe ALERT dans le stationnement sécurisé. Le détachement avait besoin d’un stationnement pour ses autopatrouilles et ses véhicules banalisés. Les membres utilisaient les places de stationnement supplémentaires pour garer leurs véhicules personnels.

[21] Ils ont exploré la possibilité de conclure une entente de location de stationnement avec Imperial Oil, qui a été refusée à cause de la responsabilité liée à la contamination du sol. La Ville a trouvé un autre terrain (le stationnement P10), qu’il a été convenu que l’équipe ALERT louerait. En échange de la permission accordée par la GRC à l’équipe ALERT de garer ses véhicules de surveillance dans le stationnement clôturé, les membres recevraient une place dans le stationnement P10. Cet arrangement ne s’est jamais concrétisé, selon M. Konowalchuk, mais étant donné que la Ville cherchait un stationnement pour ses employés qui travaillaient dans l’immeuble situé sur la 51e Avenue, l’équipe ALERT et la GRC l’ont rejointe et les membres ont obtenu une place dans le stationnement P10.

[22] Edward (Ted) Miles a témoigné qu’il était le directeur général de l’équipe ALERT à l’ouverture du bureau de Red Deer. Il a témoigné que le coût de l’espace à bureaux que l’équipe ALERT utilisait dans l’immeuble du détachement était prélevé à même son budget. Il a travaillé avec des entrepreneurs sur les exigences et sur la conception des locaux de l’équipe ALERT. L’équipe ALERT était un organisme de financement, selon M. Miles, et pas un organisme distinct de la GRC. Des agents de la GRC avaient été détachés à cette unité de lutte contre le crime organisé et les gangs, mais étaient rémunérés par l’intermédiaire des programmes de l’équipe ALERT.

[23] M. Miles a indiqué dans son témoignage qu’il n’a eu aucune discussion directe avec la Ville ou la GRC à propos du stationnement; il a toutefois indiqué qu’il croyait que M. Konowalchuk en avait eu. Il s’est souvenu de problèmes avec le stationnement des véhicules de l’équipe ALERT dans le stationnement sécurisé au détachement régional. Il fallait tenir compte du stationnement des véhicules de surveillance dans le plan de mise en œuvre. Il ne se souvenait pas qu’une entente a été conclue avec la Ville ou la GRC sur le stationnement pour les membres ou les civils. Il ignorait si une entente visant à payer le stationnement des membres avait fini par se concrétiser, quoiqu’il n’aurait pas été la personne responsable de prendre une telle décision.

[24] M. Dosko a témoigné qu’il était le commandant du détachement en 2013 et qu’il a supervisé l’administration et le fonctionnement des services de police au détachement jusqu’en décembre 2013. Il s’est souvenu qu’en 2011, les véhicules de la GRC étaient garés dans le stationnement sécurisé entourant l’immeuble du détachement situé sur la 51e Avenue. Les places libres étaient occupées selon le principe du premier arrivé, premier servi. Ceux qui ne parvenaient pas à se trouver une place se garaient dans les rues voisines. La GRC et la Ville n’ont jamais eu d’entente afin de fournir aux membres un stationnement gratuit; les seuls services fournis étaient indiqués dans l’entente sur les services de police municipaux pour la Ville et les locaux fournis étaient indiqués dans l’entente sur les locaux (pièce 12). Le seul stationnement mentionné dans l’entente était celui destiné aux voitures de police et aux visiteurs.

[25] À titre d’officier responsable, M. Dosko était d’avis que l’offre d’un stationnement situé près de l’immeuble du détachement pour les véhicules personnels des agents était cruciale pour le temps de réponse. En 2011, il n’existait aucun droit désigné de se garer dans la zone située près de l’immeuble. M. Dosko a soulevé la question à plusieurs reprises auprès de Dave Kingston, le gestionnaire municipal principal, qui lui a répondu que la politique de la Ville était de ne pas fournir à ses employés un stationnement gratuit.

[26] En vertu de son rôle dans l’équipe ALERT, M. Dosko était uniquement responsable de la gestion interne des services de police. Il n’avait aucun pouvoir sur les locaux ou sur l’incidence des services de police sur ces locaux, y compris le stationnement. La disponibilité du stationnement n’avait aucune incidence opérationnelle. Les répercussions touchaient plutôt les employés, selon M. Dosko. Ils cherchaient un stationnement. L’idée selon laquelle l’équipe ALERT allait payer pour leur permettre d’utiliser le stationnement P10 n’a jamais fait partie d’aucune discussion avec la Ville au sujet du déménagement de l’équipe ALERT avec le détachement sur la 51e Avenue. En outre, elle n’a eu aucune incidence sur la décision de M. Dosko d’appuyer le déménagement de l’équipe ALERT à cet endroit.

[27] M. Dosko a témoigné qu’il ne se souvenait pas du moment où la discussion sur l’utilisation du stationnement P10 par le personnel de l’immeuble du détachement a commencé. Il avait décidé d’installer l’équipe ALERT à cet endroit bien avant que toute discussion sur le stationnement P10 ait lieu, selon lui. Quoi qu’il en soit, le stationnement P10 n’avait jamais appartenu à la GRC. Tout le monde qui travaillait sur la 51e Avenue l’utilisait : les employés de la GRC, les employés des services de police municipaux et le personnel de l’équipe ALERT.

[28] Le système de laissez-passer a été mis en place par M. Kingston, qui était responsable des services de police de la Ville sur la 51e Avenue, parce que le stationnement P10 était plein et que la Ville voulait s’assurer que personne des entreprises locales voisines ne l’utilisait. Les employés de la Ville ont mis en œuvre et maintenu le système de laissez-passer pour le stationnement. Si le stationnement était complet, les membres et les employés devaient se garer ailleurs. M. Dosko a indiqué clairement dans son témoignage qu’il n’a jamais pris de mesure pour garantir un stationnement aux membres de la GRC. Toute plainte liée au stationnement P10 était gérée par le département des travaux de la Ville, qui assurait l’entretien du terrain.

[29] En contre-interrogatoire, M. Dosko a répété qu’il n’avait aucun pouvoir et qu’il n’exerçait aucune supervision sur l’attribution des ressources à l’équipe ALERT. Il aurait participé à des discussions entre organismes au sujet de cette attribution, mais il n’avait aucun pouvoir décisionnel. Si une entente liant la GRC et l’équipe ALERT avait été conclue au sujet du stationnement P10, il y aurait participé de façon indirecte seulement. Il n’aurait pas été responsable de négocier une location pour le stationnement P10, mais il en aurait été au courant.

[30] M. Kingston était son point de contact pour l’équipe ALERT concernant la possibilité de louer le stationnement P10 et M. Dosko a présenté l’option du stationnement P10 à l’équipe ALERT au nom de M. Kingston. Cependant, la conversation dans son ensemble s’était limitée à indiquer aux décideurs de l’équipe ALERT que le stationnement P10 était disponible aux fins de location auprès de la Ville pour y garer des véhicules personnels. La location du stationnement aurait remédié au fait que l’équipe ALERT déplaçait les véhicules personnels du stationnement sécurisé. D’après ce que M. Dosko en savait, la décision définitive avait été de donner à l’équipe ALERT l’autorisation d’utiliser le stationnement sécurisé sans avoir l’obligation de louer un stationnement supplémentaire.

[31] Paul Goransen a témoigné qu’il était le directeur général des services de protection de la Ville quand l’équipe ALERT a rejoint la GRC sur la 51e Avenue. Il était le point de contact pour la GRC en ce qui concerne les services municipaux. La Ville avait fait appel aux services de la GRC pour assurer ses services de police. Le contrat n’indiquait pas que la Ville fournirait un stationnement aux membres pour y garer leurs véhicules personnels. Il présentait les catégories générales d’éléments que la Ville fournirait et les locaux que la GRC recevrait. Il ne comprenait pas l’utilisation du stationnement P10. Entre 2013 et 2019, la Ville n’a reçu aucun paiement de la GRC, de l’équipe ALERT ou des employés municipaux qui utilisaient le stationnement P10.

[32] En 2018, le conseil municipal a apporté des changements à sa politique de stationnement d’entreprise, établissant une nouvelle orientation pour la gestion des services de stationnement. Le conseil voulait que le stationnement devienne financièrement viable et qu’il soit géré comme une entreprise. Le stationnement a été éliminé pour les employés de la Ville; tout membre du personnel de la Ville qui avait besoin d’un véhicule devait se trouver une place de stationnement à ses frais. Si cette personne devait utiliser un véhicule dans le cadre de son travail, elle recevait une indemnité pour le stationnement.

[33] Cette politique a ultimement été étendue à la fin de l’année 2019 afin d’inclure le stationnement P10. Un avis a été envoyé à tous les employés de la GRC et des services de police municipaux au début du mois de décembre 2019 afin de leur indiquer qu’ils devraient payer pour utiliser le stationnement P10 à compter du 2 janvier 2020. Des butoirs de stationnement et un éclairage ont été installés, et d’autres améliorations mineures ont été apportées en prévision de ce changement.

[34] Le conseil municipal a reçu des plaintes de membres de la GRC, mais il a répondu que les changements étaient conformes à la nouvelle politique de stationnement de la Ville et qu’il s’agissait de la deuxième phase de sa mise en œuvre. Les membres avaient d’autres options pour se garer dans le secteur : les stationnements P9 et P1, un terrain de l’hôpital situé au sud de la 45e rue ou se garer dans la rue. En outre, on trouve un arrêt d’autobus en face de l’immeuble du détachement. Le stationnement P10 n’était pas la seule option offerte aux membres pour garer leurs véhicules personnels.

[35] Le stationnement des véhicules personnels n’est pas explicitement exclu de l’entente sur les services de police municipaux conclue entre la Ville et la GRC. Elle ne mentionne pas le stationnement des véhicules personnels. Le stationnement prévu en vertu de l’entente vise à assurer la sécurité des véhicules et de l’équipement du service de police. Le stationnement P10 était appelé le [traduction] « stationnement de la GRC » à cause de son emplacement et parce qu’il était principalement utilisé par des personnes qui travaillaient au détachement, y compris des employés des services de police municipaux, des membres de l’équipe ALERT et des membres de la GRC.

[36] Gerald Grobmeier a témoigné qu’il était l’officier responsable du détachement en 2019. Il ignorait qu’il existait une entente en vertu de laquelle la Ville payait pour le stationnement des membres de la GRC. Il savait que les membres et les employés civils se dépêchaient à utiliser le stationnement P10. Il était généralement rempli les jours de semaine et s’il n’y avait plus de places, les personnes devaient se trouver un autre endroit pour se garer. Il a envoyé un courriel aux employés du détachement le 2 décembre 2019 afin de les informer de l’intention de la Ville de convertir le stationnement P10 en un stationnement payant. Les frais de stationnement à cet endroit n’étaient pas visés par l’entente sur les services de police municipaux et ils étaient directement transférés aux membres.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

[37] Le gel prévu par la loi, comme celui énoncé à l’article 107, vise à permettre aux parties de lancer les négociations collectives sur un pied d’égalité. Les dispositions relatives au gel prévu par la loi constituent une responsabilité stricte. Il n’est pas nécessaire de prouver une attitude antisyndicale (voir Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2020 CRTESPF 71, aux paragraphes 38 et 39; « Whistler »).

[38] Les membres de la GRC ont pu se garer gratuitement au P10 de 2013 à 2019 à la suite de discussions entre la GRC, la Ville et l’équipe ALERT sur la location du terrain aux fins de stationnement auxiliaire, afin que l’équipe ALERT ait des places pour garer ses véhicules de surveillance dans le stationnement sécurisé. Les membres et les employés se sont habitués au stationnement P10 gratuit, qui a été en vigueur après que la Ville a installé des parcomètres dans les rues entourant l’immeuble du détachement. Le stationnement avec parcomètres a contribué à l’absence de stationnement portée à l’attention de la direction de la GRC au même moment où des discussions avaient lieu sur l’excédent de véhicules dans le stationnement sécurisé.

[39] Six mois après le début de la période de gel, on a indiqué aux membres syndiqués qu’ils devraient maintenant payer leur stationnement. Il y a donc eu manquement à l’article 107 de la Loi. Le critère légal est indiqué dans Whistler. La plaignante devait montrer ce qui suit :

1. qu’une condition d’emploi existait le jour de la signification de l’avis de négocier;

2. que le défendeur a modifié la condition d’emploi sans le consentement de la plaignante;

3. que la modification a été apportée au cours de la période de gel;

4. que la condition d’emploi aurait pu être incluse dans une convention collective.

 

[40] Si la plaignante réussit à présenter une réponse qui joue en sa faveur à ces questions, il incombe ensuite au défendeur de prouver à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») qu’il n’a pas contrevenu à la disposition sur le gel prévu par la loi indiquée dans la Loi. La Commission examinera ce que le défendeur aurait fait s’il lui était impossible de suivre le cours normal des affaires. Le défendeur peut éviter d’être tenu responsable s’il peut prouver que le changement est conforme au cours normal des affaires ou qu’il apporte le changement comme un employeur raisonnable l’aurait fait.

[41] Selon Whistler, c’est l’un ou l’autre; soit le changement était conforme au cours normal des affaires, soit il n’y avait pas d’autre choix. Le défendeur ne peut pas saisir ces deux possibilités en même temps. L’analyse de l’employeur raisonnable entre en jeu seulement s’il est impossible d’effectuer l’analyse du cours normal des affaires.

[42] En l’espèce, la plaignante a réussi à satisfaire aux quatre critères établis dans Whistler et dans Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2020 CRTESPF 72 (« Victoria »). L’obligation de fournir un stationnement gratuit au stationnement P10 ou ailleurs a été établie. La preuve montre que le stationnement gratuit était une condition d’emploi. Il était connu que la Ville recourait aux services de la GRC pour fournir des services de police. Les membres se garaient toujours gratuitement sur le terrain de la Ville. Le stationnement P10 était le terrain de premier choix si aucune place n’était disponible dans le stationnement sécurisé. S’ils ne trouvaient pas de place, les membres devaient se stationner ailleurs et payer ce stationnement.

[43] Les indicateurs contextuels prouvent l’existence de la condition d’emploi (voir Canadian Union of Public Employees, Local 1840, v. New Brunswick (Board of Management), 2014 N.B.L.E.B.D. No. 27 (QL) et Ontario Nurses’ Association v. Scarborough Centenary Hospital Association, 1979 CanLII 839 (ON LRB)). Le stationnement P10 était utilisé exclusivement par les membres du détachement, qui avaient toujours eu accès à un stationnement gratuit à cet endroit ou dans la rue. Les membres communiquaient avec la Ville pour leurs demandes d’entretien. Ils étaient habitués à utiliser le terrain à titre gracieux, ce qui peut devenir une condition d’emploi, selon Whistler.

[44] Les membres ont compris que l’équipe ALERT et la Ville avaient conclu une entente pour l’utilisation du stationnement P10. Le fait qu’elle n’avait jamais été signée importait peu. Leur droit d’utiliser le stationnement sécurisé leur a été retiré à cause de l’ajout des véhicules de l’équipe ALERT, de sorte qu’il fallait leur donner quelque chose en retour pour remplacer ce droit. Il était raisonnable pour la plaignante de s’attendre à ce que la GRC ait conclu une entente avec l’équipe ALERT et la Ville qui garantirait que ses membres puissent utiliser gratuitement le stationnement P10. La GRC s’est fondée sur l’existence de cette entente quand elle a cédé ses places de stationnement qui se trouvaient dans le stationnement sécurisé.

[45] À titre subsidiaire, si la Ville devait imposer des frais aux membres, il incombait à l’équipe ALERT de payer le stationnement pour la plaignante. La preuve étaye l’affirmation selon laquelle elle était prête à le faire, en échange des places de stationnement requises pour ses véhicules à l’intérieur du stationnement sécurisé. Si la GRC n’a pas assuré l’application de l’entente conclue avec l’équipe ALERT en 2019, en vertu de laquelle celle-ci payait le stationnement, elle a manqué à ses obligations à l’égard de ses membres, parce qu’elle ne s’est pas acquittée de son obligation d’assurer le maintien de la condition d’emploi.

[46] Même si le coût des salaires des membres de la plaignante est facturé à la Ville, ceux-ci demeurent des membres de la GRC. L’agent négociateur du demandeur n’a accepté aucun changement aux conditions d’emploi de ses membres. Le changement apporté à la politique de stationnement a clairement été apporté pendant la période de gel prévue par la loi. Le stationnement est couramment inclus dans les conventions collectives. Par conséquent, la plaignante a satisfait aux exigences du critère établi dans Whistler.

[47] Étant donné que le critère établi dans Whistler a été satisfait, il faut ensuite déterminer si le changement apporté à la politique de stationnement constituait un changement par rapport au cours normal des affaires de la GRC. En 2020, la GRC n’a pas demandé à l’équipe ALERT de payer les frais de stationnement pour les véhicules personnels de ses membres, comme il en avait été question en 2013. Il s’agissait d’un changement par rapport à la façon dont les activités étaient menées précédemment, alors qu’il n’y avait plus de stationnement gratuit dans les rues et que la GRC a conclu une entente avec l’équipe ALERT et la Ville pour ses membres afin que ceux-ci puissent utiliser le stationnement P10. Elle a agi de façon proactive pour régler la situation, contrairement à ce qui s’est produit dans ces circonstances.

[48] Étant donné qu’il est possible d’effectuer l’analyse du cours normal des affaires, il n’est pas nécessaire d’effectuer l’analyse de l’employeur raisonnable. Par ailleurs, un employeur raisonnable aurait assuré l’exécution des ententes contractuelles conclues avec l’équipe ALERT. En 2013, l’équipe ALERT avait les fonds requis et était heureuse d’aider, selon M. Konowalchuk. Selon le témoignage sous serment des membres, c’est l’équipe ALERT qui aurait payé le stationnement, s’il avait été nécessaire de le faire. Selon l’interprétation de l’entente sur les services de police municipaux, la GRC peut soulever la question du coût du stationnement parce que l’entente ne dit rien à ce sujet. La GRC ne l’a pas soulevée et elle a donc manqué à ses obligations continues à l’égard de la plaignante.

B. Pour le défendeur

[49] La question à trancher est de savoir si le Conseil du Trésor doit se mettre dans la peau d’un tiers afin d’offrir un avantage qu’il n’offrait pas avant. Selon M. Dosko, à son arrivée en 2011, la GRC se trouvait au nouvel immeuble du détachement sur la 51e Avenue et les membres pouvaient utiliser le stationnement sécurisé selon le principe du premier arrivé, premier servi. Les autres membres se garaient dans la rue, au stationnement P9 ou ailleurs. Quand l’équipe ALERT a fait part de son intérêt à déménager dans l’immeuble du détachement, elle a approché la Ville afin de lui parler du stationnement. Celle-ci a répondu qu’il y avait beaucoup de places disponibles pour ses véhicules au détachement.

[50] M. Kingston a mené des négociations entre l’équipe ALERT et la Ville pour le déménagement de l’équipe à l’immeuble du détachement. La GRC n’a pas pris part à ces négociations. Le stationnement au détachement était problématique pour tous ceux qui y travaillaient; étant donné que ce sont les employés de la Ville qui avaient le plus gros problème, la Ville a proposé d’utiliser le stationnement P10.

[51] Les permis de stationnement utilisés pour le stationnement P10 indiquaient clairement [traduction] « Ville de Red Deer ». Même si les permis étaient distribués par un membre de la GRC, personne n’a jamais pensé que c’est celle-ci qui les avait émis ou qu’elle avait quelque chose à voir avec eux. En les distribuant, la GRC indiquait à peine que le stationnement était gratuit, gracieuseté de la Ville. M. Miles a indiqué dans son témoignage que c’est le stationnement des voitures de police, et non des véhicules personnels, qui posait un problème.

[52] L’entente sur les services de police municipaux conclue entre la Ville et la GRC n’indique rien au sujet du stationnement des véhicules personnels. Toute personne qui travaillait au détachement avait accès au stationnement P10 selon le principe du premier arrivé, premier servi. Les problèmes liés au stationnement P10 ont été soulevés lors de réunions de tous les gestionnaires du détachement. Ces réunions ne s’adressaient pas exclusivement aux gestionnaires de la GRC. Le stationnement P10 n’était pas situé sur des terrains de la GRC.

[53] En 2018, la Ville a apporté un changement à sa politique de stationnement afin de couvrir l’ensemble de la ville. M. Grobmeier n’était qu’un simple spectateur. Il a tenté d’intervenir auprès de M. Goransen au nom des membres, sans succès. Les attentes des employés ne font pas partie du critère exposé dans Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie WalMart du Canada, 2014 CSC 45 (« Walmart »). Les attentes raisonnables entrent en jeu une fois que la condition d’emploi a été établie en vertu de l’ancien cadre. Les employés de la GRC ont blâmé la Ville d’avoir retiré le droit au stationnement gratuit dans ses discussions avec M. Goransen.

[54] Voici le critère prima facie à quatre volets auquel la plaignante devait satisfaire :

1. Existait-il une condition d’emploi?

2. L’employeur l’a-t-il modifiée?

3. A-t-elle été modifiée au cours de la période de gel prévue par la loi?

4. Aurait-elle pu être incluse dans une convention collective?

 

 

[55] C’est seulement après avoir répondu par l’affirmative à ces questions qu’il est nécessaire de passer au critère établi dans Walmart. Pour prouver que la modification apportée par l’employeur constitue une modification des conditions de travail, le syndicat ne peut pas se contenter de démontrer qu’un changement est survenu dans la façon dont l’employeur gère ses activités. Il doit aussi établir que la modification allait à l’encontre des pratiques habituelles de gestion de l’employeur, soient celles qui auraient été exécutées peu importe la situation de négociation.

[56] Le critère établi dans Walmart comporte deux volets : (1) les pratiques antérieures de gestion, et (2) la cohérence avec les décisions que l’employeur aurait prises si un avis de négocier avait été signifié. Le critère ne prévoit pas qu’il faut choisir l’un ou l’autre des volets. Il incombe à la plaignante de répondre aux deux questions. En l’espèce, les rouages pour changer la situation du stationnement étaient déjà en mouvement au moment de la signification de l’avis de négocier. Un employeur raisonnable aurait permis à la Ville de continuer à gérer ses politiques concernant ses biens et leurs utilisations. La décision Centre fiscal de Sudbury (Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 110) est inadéquate.

[57] La Cour suprême du Canada a exposé clairement le critère dans Walmart. Les tribunaux administratifs doivent suivre ses décisions (voir Association des pilotes d’Air Canada c. Kelly, 2012 CAF 209).

[58] La plaignante n’a pas réussi à établir une violation prima facie de la Loi. Une condition d’emploi connexe n’a jamais existé et le défendeur n’y a apporté aucun changement. Il n’y a jamais eu d’entente de partage des coûts entre l’équipe ALERT et la GRC, qui n’a pas le mandat de négocier un stationnement gratuit pour ses membres. Le paragraphe 137 de Whistler confirme que les véhicules personnels ne devaient pas être inclus dans la définition de « mesures d’adaptation » en vertu de l’entente sur les services de police municipaux.

[59] C’est le Conseil du Trésor qui détermine les conditions d’emploi des fonctionnaires, et non la Ville (voir l’alinéa 7(1)e) de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11)). Même si une condition d’emploi en ce qui concerne le stationnement a existé, ce n’est pas le Conseil du Trésor qui a apporté le changement. La violation alléguée est que la GRC n’a pas assuré l’application de l’entente conclue avec l’équipe ALERT afin de louer le stationnement P10. Il n’y a aucune preuve de l’existence d’une telle entente. La Ville n’a jamais pensé qu’il existait une entente pour le stationnement P10 et selon M. Goransen, aucune entente du genre n’existait.

[60] Même si une condition d’emploi a été établie, en vertu de Walmart, le Conseil du Trésor aurait agi de la même façon, peu importe l’avis de négocier. Il aurait permis à la Ville d’apporter les changements à sa politique. Le fait que la direction de la GRC aurait pu défendre les intérêts de ses membres ne prouve pas qu’il s’agit d’une pratique habituelle de fournir un stationnement gratuit ou qu’elle a eu comme pratique antérieure d’intervenir (voir Whistler, aux paragraphes 163 et 165).

C. Argument en réfutation de la plaignante

[61] Le critère établi dans Walmart n’est pas clair et porte à l’interprétation. L’interprétation qu’en fait le Conseil du Trésor contrevient à l’intention de l’article 107, qui vise à permettre à la plaignante de négocier à partir d’un point de certitude. Ce point de certitude est de déterminer s’il existait une pratique antérieure. Le fait de tenir compte, dans cette question, de ce qu’un employeur raisonnable ferait irait à l’encontre de l’article 107.

[62] Victoria reproduit l’analyse de Walmart faite dans Whistler. En l’espèce, la Ville et la GRC sont interreliées et synonymes. La GRC agissait au nom de la Ville. Elle avait l’obligation positive d’en faire plus que rien quand la Ville a décidé d’instaurer le stationnement payant. Elle aurait dû communiquer avec l’équipe ALERT; elle aurait dû demander un délai dans la mise en œuvre du stationnement payant jusqu’à la fin des négociations collectives. Or, elle n’a rien fait.

IV. Motifs

[63] La plaignante doit d’abord établir qu’une condition d’emploi habituellement accordée aux membres de l’unité de négociation a été interrompue pendant la période de gel. Une condition d’emploi est fondamentale à la relation d’emploi. Je n’accepte pas que le stationnement P10 gratuit fût une condition d’emploi des membres dont le lieu d’emploi était situé à l’immeuble du détachement sur la 51e Avenue. La preuve n’étaye pas l’affirmation de la plaignante selon laquelle elle l’était. Contrairement à ce qui a été soutenu, les facteurs contextuels n’établissent pas l’existence d’une condition d’emploi.

[64] Selon la preuve, ce n’est qu’après que la Ville a installé des parcomètres dans le secteur que les membres et les employés civils qui travaillaient à l’immeuble du détachement ont commencé à utiliser le stationnement P10. En outre, la preuve n’étaye pas la déclaration selon laquelle les membres l’utilisaient de manière exclusive, étant donné qu’au départ, les entreprises du secteur l’utilisaient et qu’en fin de compte, tous ceux qui travaillaient à l’immeuble du détachement l’utilisaient, y compris les services de police municipaux, l’équipe ALERT, les membres de la GRC et les employés civils. Il s’agissait d’un stationnement à usage général à la disposition de tous ceux qui se trouvaient dans le secteur, conformément aux règles et règlements établis par la Ville, qui comprenaient l’exigence d’avoir un permis de stationnement délivré par la Ville.

[65] La Ville a déterminé que les permis de stationnement devraient être affichés en raison de la demande des entreprises et de l’immeuble du détachement pour le stationnement P10. La preuve est claire à cet égard. L’agent administratif de la GRC n’a pas préparé et attribué les permis, mais les a plutôt distribués, conformément aux exigences établies par la Ville, si un membre souhaitait utiliser le stationnement P10. La GRC n’a exercé aucune responsabilité ou aucun contrôle à l’égard du stationnement P10 et, contrairement aux rumeurs, aucune entente n’avait été conclu avec l’équipe ALERT afin que celle-ci loue le stationnement P10 en échange de l’utilisation du stationnement sécurisé. La preuve n’étaye tout simplement pas ces allégations.

[66] La Ville était responsable du stationnement. Elle a apporté des changements à sa façon d’administrer les stationnements à l’échelle de la ville. Elle a d’abord installé des parcomètres dans le secteur pertinent. Elle a ensuite converti le stationnement P10 en un stationnement payant, comme elle l’a fait dans d’autres secteurs de la ville. Le défendeur n’a pas participé à cette décision et il n’avait aucun pouvoir à son égard. Je n’ai même pas à me demander si le défendeur a montré qu’il répondait au critère du cours normal des affaires décrit dans Walmart, étant donné que la plaignante n’a pas satisfait au critère établi dans Whistler.

[67] Le fait que l’entente sur les services de police municipaux n’indiquait pas que la Ville fournirait un stationnement gratuit aux membres de la GRC postés au détachement ne suffit pas à satisfaire aux critères de responsabilité stricts établis dans Whistler et Victoria. L’entente aurait dû obliger la Ville à fournir un stationnement au moment de l’entrée en vigueur de la période de gel prévue par la loi et le défendeur aurait dû avoir le droit d’exécuter cette disposition de l’entente à ce moment-là. Il n’incombait pas au défendeur de chercher à obtenir des droits supplémentaires en vertu d’une entente en l’interprétant d’une autre façon après la période de gel prévue par la loi afin de s’assurer que les membres pourraient utiliser gratuitement le stationnement P10.

[68] Aucune condition d’emploi n’a été modifiée pendant la période de gel. Sans cela, tout le reste échoue. Les membres n’ont rien perdu d’autre qu’un avantage lorsque les véhicules de l’équipe ALERT ont pris les places excédentaires dans le stationnement sécurisé. Le stationnement qui leur était offert n’était pas un droit contractuel garanti; toute personne qui travaillait à l’immeuble du détachement pouvait l’utiliser selon le principe du premier arrivé, premier servi, comme le montre la preuve. Ceux qui étaient suffisamment chanceux pour obtenir une place pouvaient se garer à l’intérieur de l’enceinte. Les autres étaient contraints de se garer ailleurs dans le voisinage. L’absence d’entente contraignante, qui existait seulement dans les rumeurs, porte un coup fatal à l’argument selon lequel la plaignante devrait profiter de l’entente conclue entre l’équipe ALERT et la Ville pour l’utilisation du stationnement P10.

[69] Les cas comme celui-ci sont dictés par la preuve. Les parties m’ont fourni de nombreuses affaires à l’appui de leurs arguments, dont plusieurs étaient communes aux deux parties en cause. J’ai lu chacune d’elles, mais je n’ai renvoyé qu’aux plus importantes, étant donné que c’est l’application de ces affaires à la preuve qui m’a menée à mes conclusions.

[70] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[71] La plainte est rejetée.

Le 24 juin 2021.

(Traduction de la CRTESPF)

Margaret T.A. Shannon,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

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