Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé un grief contre sa suspension sans solde, la révocation de sa cote de fiabilité et son licenciement – les parties avaient conclu un accord de principe, mais leur correspondance subséquente à la Commission indiquait que les parties ne s’entendaient pas sur la question de savoir si le règlement avait été mis en œuvre – la question était de savoir si la Commission avait compétence pour entendre ce différend – l’employeur a soutenu que la question en cause (c.-à-d. l’un des paiements qu’il a versé au fonctionnaire entre le 1er janvier et le 14 mai 2019) n’était pas visée par le mémoire d’entente (« ME ») et ne relevait donc pas de la compétence de la Commission – la Commission a conclu que la question relevait de sa compétence parce que l’employeur avait accepté de verser au fonctionnaire les possibilités d’heures supplémentaires perdues à compter de la date de son licenciement jusqu’à la date de la reprise de son emploi – cet aspect du ME indiquait clairement que les parties voulaient que le fonctionnaire obtienne le remboursement de son salaire jusqu’à son retour au travail – la Commission a conclu que la période en cause était couverte par le libellé de l’entente de règlement et qu’elle avait donc compétence.

Objection concernant la compétence rejetée.

Contenu de la décision

Date : 20210630

Dossier : 566-02-12658

 

Référence : 2021 CRTESPF 80

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

ENTRE

 

Paul Taylor

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(Agence des services frontaliers du Canada)

 

défendeur

Répertorié

Taylor c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : John G. Jaworski, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Kourosh Farrokhzad, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour le défendeur : Allan Feldman, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence

le 3 mai 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Paul Taylor, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), était, à tous les moments pertinents en l’espèce, un employé du Conseil du Trésor (CT ou l’« employeur ») à l’Agence des services frontaliers du Canada et occupait un poste classifié au groupe et au niveau FB-05 à Niagara Falls, en Ontario.

[2] Le 2 septembre 2014, l’employeur a suspendu le fonctionnaire sans salaire à compter de ce jour-là. Le 30 octobre 2014, l’employeur a révoqué sa cote de fiabilité et l’a congédié. Le 20 novembre 2014, le fonctionnaire a déposé des griefs pour contester la révocation de sa cote de fiabilité et de sécurité ainsi que son licenciement. Ces griefs n’ont pas été réglés et ont éventuellement été renvoyés à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (CRTEFP) aux fins d’arbitrage, portant les numéros de dossier 566-02-12656 à 12658.

[3] Le 19 juin 2017, la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9) a reçu la sanction royale et a modifié le nom de la CRTEFP et le titre de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique pour qu’ils deviennent respectivement la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi »).

[4] Au départ, je devais entendre les griefs du 17 au 19 décembre 2018, à Hamilton, en Ontario. L’avis d’audience, qui était daté du 8 novembre 2018, était adressé à la représentante du fonctionnaire, Lindsay Cheong, de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« Alliance ») et à Caroline Engmann, avocate au ministère de la Justice, Services juridiques du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, qui était l’avocate de l’employeur.

[5] Le 12 décembre 2018, la Commission a été informée que les parties avaient conclu un accord de principe et qu’elles demandaient de reporter l’audience afin de leur permettre de finaliser leur accord. J’ai accueilli la demande et l’audience a été reportée.

[6] Un avis de règlement ne met pas fin à une affaire; cela se produit seulement lorsqu’une affaire est tranchée par une décision rendue par la Commission ou par le retrait du grief ou de la plainte connexe. Comme il le fait en temps normal quand un accord est conclu, mais que le grief ou les griefs ne sont pas retirés, le greffe de la Commission effectue un suivi auprès des parties. C’est ce qui s’est produit en l’espèce et, à la fin de l’année 2020, dans la correspondance envoyée par les parties au greffe, on indiquait que les parties ne s’entendaient pas sur la question de savoir si le règlement avait été mis en œuvre. J’ai tenu une conférence de gestion de cas le 6 janvier 2021 et je devais entendre l’affaire du 3 au 5 mai 2021, par vidéoconférence.

[7] Avant le début de l’audience, j’ai parlé aux représentants des parties afin de déterminer l’élément litigieux dans le règlement et les modalités précises de ce règlement que l’employeur n’avait pas respectées, selon ce qu’allègue le fonctionnaire. Ces discussions ont permis de cerner une question précise : étant donné que la position de l’employeur dans l’affaire en question n’est pas couverte par le règlement, ai-je compétence pour entendre ce différend?

[8] Les représentants du fonctionnaire et de l’employeur ont tous deux laissé entendre qu’il faudrait peut-être citer des témoins à comparaître afin de discuter de l’accord de règlement. Je leur ai répondu que la première question à laquelle il fallait répondre était de savoir si le libellé de l’accord de règlement était ambigu; si il ne l’était pas, il n’était pas nécessaire d’entendre des témoignages oraux.

[9] J’ai déterminé que le point de départ logique serait la détermination de ma compétence et les représentants m’ont exposé leurs arguments à cet égard. Après avoir entendu cette argumentation, j’ai ajourné le reste de l’audience afin de présenter des motifs écrits sur la question de la compétence. Les représentants des parties m’ont présenté des renseignements qui ne sont pas contestés et qui présentent le contexte, de sorte que je puisse comprendre la nature du différend, y compris l’objection à la compétence. Aux fins de la présente décision, le seul document déposé en preuve est le « Mémoire d’entente » (le « ME »).

II. Résumé de la preuve

[10] Le ME lié aux griefs qui portent les numéros de dossier de la Commission 566-02-12656 à 12658 a été signé entre le 20 décembre 2018 et le 2 janvier 2019. Voici les dispositions pertinentes pour trancher la question de la compétence :

[Traduction]

[…]

1. L’employeur accepte d’annuler les lettres de révocation et de licenciement, présentées le 29 octobre 2014, et de rétablir l’emploi et la cote de fiabilité rétroactivement au 2 septembre 2014.

2. L’employeur accepte de muter le fonctionnaire, un surintendant au groupe et au niveau FB-05, du point d’entrée de Peace Bridge (Fort Erie) à un poste d’agent des services frontaliers au groupe et au niveau FB-05 (au dernier échelon salarial) au Centre national de ciblage (Ottawa) à une date mutuellement acceptable pour le fonctionnaire et l’employeur et de l’affecter éventuellement au Programme des voyageurs. En signant le présent PE, le fonctionnaire accepte d’être muté et affecté.

3. L’employeur accepte de verser les frais liés à la réinstallation demandée par l’employé au fonctionnaire, conformément à l’article 12.1 de la Directive sur la réinstallation du Conseil national mixte.

4. Dans les 45 jours suivant la signature du présent accord, le fonctionnaire accepte de fournir à l’employeur ses relevés T-4, État de la rémunération payée, officiels pour les années d’imposition 2014, 2015, 2016, 2017 et 2018.

5. Dans les 120 jours suivant la réception de tous les relevés T‑4, État de la rémunération payée, pour les années d’imposition 2014 à 2018, l’employeur accepte de rembourser au fonctionnaire la totalité de son salaire et de ses avantages sociaux rétroactivement au 2 septembre 2014, au taux de rémunération pour le groupe et niveau FB-05 du fonctionnaire qui était en vigueur pour cette période, moins tout gain indiqué sur les relevés T-4 sans interruption de service.

6. Les parties s’entendent sur le fait que la réception des relevés T-4, État de la rémunération payée, indiqués au paragraphe 4 ne retardera pas la reprise de l’emploi.

7. L’employeur accepte de verser au fonctionnaire les possibilités d’heures supplémentaires perdues, calculées en faisant la moyenne des heures supplémentaires travaillées par le fonctionnaire au cours des trois années précédant le 2 septembre 2014 pour la période allant du 2 septembre 2014 à la date de la reprise de l’emploi.

[…]

9. Le fonctionnaire atteste que l’employeur n’a fait aucune représentation ni aucune garantie quant à la façon dont la mise en œuvre des paragraphes 5 et 7 sera traitée en vertu des modalités de la Loi de l’impôt sur le revenu, de la Loi sur l’assurance-emploi ou de toute autre loi applicable.

10. Le fonctionnaire et l’agent négociateur acceptent de retirer les griefs portant les numéros 566-02-12656 à 12858 de l’arbitrage devant la CRTESPF dans les 10 (dix) jours ouvrables suivant la confirmation par écrit du fonctionnaire et de l’employeur selon laquelle les événements suivants sont survenus comme il a été indiqué aux paragraphes 1, 2, 3, 5, 7 et 8. L’agent négociateur s’assurera d’envoyer une notification écrite à la CRTESPF et d’envoyer une copie de ce retrait à l’employeur.

[…]

15. Les parties confirment avoir lu et compris les modalités du présent mémoire d’entente et s’entendent sur le fait qu’il constitue un règlement complet et définitif. Les parties attestent, en outre, qu’elles ont obtenu des conseils indépendants avant de signer le présent mémoire d’entente et qu’elles ont conclu le présent mémoire d’entente librement et volontairement après avoir eu la possibilité d’examiner de manière approfondie ses modalités et de les comprendre.

[…]

 

[11] Pendant une partie de la période qui a suivi son licenciement et précédé sa réintégration, le fonctionnaire a exploité une entreprise, au sujet de laquelle on ne m’a présenté aucun détail et qui semble avoir généré certains revenus. Il semble que cette situation est à l’origine de l’unique question en litige en ce qui concerne le ME.

[12] Selon les parties, le fonctionnaire a repris son emploi le 14 mai 2019 et elles ont confirmé qu’il avait reçu une rémunération à partir de la date de sa suspension (le 2 septembre 2014) jusqu’à la fin du mois de décembre 2018 inclusivement. Cette période n’est pas contestée. Pour la période allant du 1er janvier au 14 mai 2019, les parties ont confirmé que l’employeur a versé au fonctionnaire le salaire qu’il aurait gagné, moins le montant qu’il a déclaré en tant que revenu brut de son entreprise pour cette période. Le fonctionnaire soutient que le défaut allégué de l’employeur de mettre en œuvre le ME est fondé sur le fait qu’il ne lui a pas versé son salaire pour la période allant du 1er janvier au 14 mai 2019, moins un montant qu’il a gagné en tant que revenu net de son entreprise après impôt. L’employeur affirme qu’il a bel et bien versé un salaire au fonctionnaire pour la période allant du 1er janvier au 14 mai 2019, mais que cette période n’est pas visée par le ME, ce qui signifie donc que je n’ai pas compétence pour trancher la question.

III. Résumé de l’argumentation

[13] L’employeur m’a renvoyé à l’ouvrage de Brown & Beatty, Canadian Labour Arbitration, 5e édition, Chapter 2 - Jurisdiction of the Arbitrator, à British Columbia Government v. Union of Psychiatric Nurses, 1997 CarswellBC 2973, à Lindor c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada - Service correctionnel), 2003 CRTFP 10, à U.F.C.W., Locals 175 & 633 v. Cuddy Food Products, 2003 CarswellOnt 5805, et à Farhan c. Agence du revenu du Canada, 2021 CRTESPF 48.

[14] L’employeur est d’avis que le ME ne couvrait aucune période ultérieure au 31 décembre 2018. Par conséquent, tout paiement effectué pour cette période n’était pas visé par le ME et ne relève donc pas de la compétence de la Commission.

[15] Le fonctionnaire m’a renvoyé à Amos c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 38, à Godbout c. Conseil du Trésor (Bureau de la coordonnatrice de la condition féminine), 2016 CRTEFP 5, à Air Canada v. CAW-Canada, Local 2213 (2002), 170 L.A.C. (4th) 250 et à Energy Fundamentals Group Inc. v. Veresen Inc., 2015 ONCA 514.

[16] Le fonctionnaire a soutenu que j’ai compétence et que le ME est clair.

IV. Motifs

[17] L’employeur soutient que les paiements qu’il a versés au fonctionnaire pour la période allant du 1er janvier au 14 mai 2019 n’étaient pas visés par le ME et qu’ils ne relèvent donc pas de ma compétence. Je ne suis pas du même avis.

[18] Dans les cas d’interprétation de conventions collectives, les autorités doctrinales et la jurisprudence ont constamment conclu que les arbitres de griefs et les commissions des relations de travail devraient d’abord examiner les mots utilisés dans la convention collective non seulement dans le contexte d’une clause donnée, mais également dans la convention collective dans son ensemble. Dans Canadian Labour Arbitration, le paragraphe 3:4400 sur la [traduction] « preuve extrinsèque » indique ce qui suit :

[Traduction]

Un témoignage oral ou une preuve extrinsèque, présenté de vive voix ou au moyen de documents, est une preuve extérieure, ou distincte, du document écrit visé par l’interprétation et le champ d’application d’un organe de décision. Même s’il existe de nombreuses exceptions, la règle générale en common law est que la preuve extrinsèque ne peut pas être admise pour contredire ou modifier la convention collective écrite, y ajouter des modalités ou en retirer. Cependant, si la convention collective est ambiguë, une telle preuve est admissible pour faciliter l’interprétation de la convention afin d’en expliquer l’ambiguïté, et non pour modifier les termes de la convention. Les deux formes les plus courantes de ce type de preuve dans les cas d’arbitrage en matière de relations de travail sont l’historique des négociations entre les parties qui ont mené à la convention collective et les pratiques antérieures et postérieures à la conclusion de la convention. En plus de son utilisation pour faciliter l’interprétation d’une convention collective ou d’une entente de règlement ou pour établir une préclusion, elle peut être déposée à l’appui d’une demande de rectification. Toutefois, pour qu’une telle preuve puisse être invoquée, elle doit être « consensuelle ». C’est-à-dire qu’il ne doit pas s’agir du « souhait unilatéral » de l’une des parties. Elle ne doit pas non plus être aussi vague et imprécise que la convention écrite elle-même.

[…]

 

[19] La Cour suprême du Canada a indiqué dans Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd., [1998] 2 RCS 129, aux paragraphes 54 à 56, ce qui suit :

54 Le juge de première instance semble avoir considéré que, d’après l’arrêt Consolidated Bathurst, l’interprétation du contrat devrait viser en définitive à vérifier l’intention véritable des parties au moment de conclure le contrat et que, ce faisant, le juge des faits peut admettre des éléments de preuve extrinsèques concernant les intentions subjectives des parties à ce moment-là. À mon avis, cela n’est pas tout à fait exact. L’intention des parties contractantes doit être déterminée en fonction des mots qu’elles ont employés en rédigeant le document, éventuellement interprétés à la lumière des circonstances du moment. La preuve de l’intention subjective d’une partie n’occupe aucune place indépendante dans cette décision.

55 En fait, il n’est pas nécessaire de prendre en considération quelque preuve extrinsèque que ce soit lorsque le document est, à première vue, clair et sans ambiguïté. Pour reprendre les propos de lord Atkinson dans Lampson c. City of Quebec (1920), 54 D.L.R. 344 (C.P.), à la p. 350 :

[TRADUCTION] … l’intention qu’il faut rechercher en interprétant l’acte est celle des parties telle qu’elle se dégage des termes qu’elles ont utilisés dans l’acte lui-même. […] [S]i la signification de l’acte, selon le sens ordinaire des mots qui y sont employés, est claire et sans ambiguïté, il n’est pas permis aux parties à cet acte, aussi longtemps qu’il n’est pas modifié, de venir affirmer devant une cour de justice : « Notre intention était tout à fait différente de celle qui est exprimée par les termes de l’acte»

56 Quand le texte du document est sans ambiguïté, l’idée exprimée dans Consolidated Bathurst, selon laquelle il y a lieu de retenir l’interprétation qui assure un « résultat équitable » ou un « résultat commercial raisonnable », n’est pas déterminante. Certes, il serait absurde d’adopter une interprétation nettement incompatible avec les intérêts commerciaux des parties, si l’objectif est de vérifier leur véritable intention au moment de contracter. Toutefois, il n’est pas difficile d’interpréter un document clair conformément à l’intention véritable des parties contractantes, si l’on présume que les parties voulaient les conséquences juridiques des mots qu’elles ont employés. Cela est conforme à l’opinion incidente de notre Cour dans Joy Oil Co. c. The King, [1951] R.C.S. 624, à la p. 641 :

[TRADUCTION] … en interprétant un document, il s’agit non pas de chercher à comprendre ce que les mots seulement veulent dire, ni ce que le rédacteur seulement a voulu dire, mais plutôt de chercher ce que les mots employés par le rédacteur veulent dire.

 

[20] Aux paragraphes 57 et 58 d’Eli-Lilly, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’y avait aucune ambiguïté dans le contrat entre les parties et que l’intention était claire selon le sens ordinaire du contrat. À ce titre, la Cour n’a pas eu à recourir à la preuve extrinsèque soumise relativement aux intentions subjectives des parties au moment de rédiger le contrat.

[21] Canadian Labour Arbitration, au paragraphe 4:2100, indique ce qui suit :

[Traduction]

Il a souvent été dit que l’objet fondamental de l’interprétation des termes d’une convention collective consiste à découvrir l’intention des parties qui y ont consenti […]

[…]

Cependant, l’intention doit être déduite de l’instrument écrit. Le rôle de la Cour consiste à déterminer ce que les parties ont voulu dire par les mots qu’elles ont employés; à déclarer le sens de ce qui est écrit dans l’instrument, non de ce que l’on a voulu écrire; de donner effet à l’intention exprimée, le sens explicite étant, aux fins de l’interprétation, équivalent à l’intention.

Par conséquent, pour établir l’intention des parties, la présomption principale est que les parties sont censées avoir voulu dire ce qu’elles ont dit et que le sens de la convention collective doit être recherché dans ses dispositions expresses.

 

[22] Le libellé devrait être interprété tel qu’il a été écrit, à moins que cette approche ne mène à un résultat absurde. Il faut donner effet au sens, même s’il semble injuste. Je ne vois aucune raison de ne pas appliquer ces lois fondamentales d’interprétation des contrats en ce qui concerne les conventions collectives aux ME rédigé et accepté en l’espèce. Les parties étaient représentées par des organisations sophistiquées qui se spécialisent dans les relations de travail du secteur public fédéral. L’employeur avait des représentants dans le secteur des relations de travail et un avocat de l’unité des Services juridiques du CT, qui représente l’employeur devant la Commission et ses prédécesseurs dans des affaires de relations de travail et d’emploi, y compris des griefs, depuis des décennies. Le fonctionnaire était quant à lui représenté par l’Alliance, un agent négociateur important d’envergure nationale, qui représente différentes unités de négociation et des dizaines de milliers d’employés dans des litiges avec l’employeur, y compris des griefs, devant la Commission et ses prédécesseurs depuis des décennies également.

[23] Le ME est clair et sans ambiguïté. Au paragraphe 1, l’employeur accepte d’annuler les lettres de révocation et de licenciement et de rétablir l’emploi et la cote de fiabilité du fonctionnaire en date du 2 septembre 2014. Au paragraphe 2, l’employeur accepte de muter le fonctionnaire du lieu de travail où il était employé au moment de son licenciement, du Peace Bridge, à Niagara Falls, à Ottawa. Les détails de l’endroit exact de sa mutation à Ottawa et le moment de cette mutation ont été laissés aux parties.

[24] Au paragraphe 4 du ME, le fonctionnaire accepte de fournir à l’employeur, dans les 45 jours suivant la signature du ME, ses relevés T-4, « État de la rémunération payée » (« T-4 »), officiels pour les années d’imposition 2014 à 2018 inclusivement. Au paragraphe 5, l’employeur accepte de rembourser au fonctionnaire, dans les 120 jours suivant la réception des T-4, la totalité de son salaire et de ses avantages sociaux rétroactivement au 2 septembre 2014. Le salaire et les avantages sociaux sont ceux offerts au groupe et au niveau FB-05.

[25] Le ME a été signé à la fin du mois de décembre par tous sauf le conseiller en relations de travail de l’employeur, qui l’a signé le 2 janvier 2019. En plus d’annuler les lettres de révocation et de réintégrer le fonctionnaire dans son emploi, il est évident que les parties voulaient qu’on lui rembourse sa perte de revenu à partir de la date de l’entrée en vigueur de sa suspension, soit le 2 septembre 2014.

[26] L’employeur suggère qu’il n’avait pas à payer le fonctionnaire de façon continue, étant donné que l’on ignorait la date à laquelle il reprendrait son emploi et que l’entente ne s’appliquait que jusqu’à la fin de l’année 2018. Afin d’étayer sa thèse, l’employeur fait remarquer que les paragraphes 4 et 5 renvoient uniquement à la présentation des relevés T-4 jusqu’à la fin de l’année 2018 inclusivement.

[27] Le terme « T-4 » est bien connu. Il s’agit d’un document officiel que l’employeur doit remettre à l’employé avant une date précise (le dernier jour du mois de février d’une année donnée). Ce relevé indique le revenu ou le salaire que l’employeur a versé à l’employé au cours de l’année civile antérieure, et présente le revenu brut, le revenu net et toute retenue applicable. À leur tour, les personnes utilisent les T-4 pour produire leur déclaration de revenus annuelle. Quiconque a été employé et a produit une déclaration de revenus connaît le terme « T-4 ».

[28] En fait, les formulaires officiels requis pour déclarer un revenu ou des déductions en vertu des lois de l’impôt fédérales commencent par le préfixe « T ». Le formulaire T‑5 est bien connu lui aussi; il est toutefois envoyé à une personne afin de lui indiquer le revenu d’intérêts tiré des placements de cette personne, comme des obligations, des certificats de placement garanti ou des comptes d’épargne. Le formulaire T2202A est un autre formulaire courant. Ce sont les établissements d’enseignement qui l’émettent pour les frais de scolarité et les manuels pouvant faire l’objet de déductions. Le formulaire T2125 concerne le revenu d’entreprise. Tous ces formulaires existent depuis plusieurs années et les Canadiens qui paient l’impôt fédéral sur le revenu et produisent leur déclaration de revenus annuelle les connaissent bien.

[29] Selon le libellé des paragraphes 1 à 5 du ME, il est clair et évident que l’employeur et le fonctionnaire se sont entendu pour que l’on rembourse à ce dernier son salaire en tant que FB-05 à partir du 2 septembre 2014, moins tout autre revenu d’emploi gagné au cours des années 2014 à 2018. Ce fait est connu à cause du renvoi au terme « T-4 ». Si le fonctionnaire n’a pas de T-4, il n’avait aucun revenu d’emploi, et donc aucune déduction ne devrait être faite à partir du montant que l’employeur allait lui verser.

[30] Lorsqu’on lit le ME dans son ensemble, il est clair que l’on indique que le fonctionnaire sera remboursé au groupe et au niveau FB-05 rétroactivement au 2 septembre 2014 et il est clair que c’est l’intention des parties. Par souci de clarté, on indique que le montant ou le taux auquel il doit être payé correspond au taux de rémunération établi pour le groupe et le niveau FB-05 en vigueur pour cette période. Il est bien connu que les employés du secteur public fédéral qui sont membres d’une unité de négociation et qui sont rémunérés en vertu d’une convention collective ont un niveau de classification et que chaque niveau est accompagné d’échelles salariales sur lesquelles les employés se trouvent en tout temps au cours de leur emploi. Chaque année, le jour de l’anniversaire de leur embauche, ils progressent sur cette échelle. Si le fonctionnaire n’avait pas été licencié en 2014, il aurait progressé sur l’échelle et son salaire aurait augmenté chaque année, jusqu’à ce qu’il atteigne l’échelon supérieur. Par conséquent, le paragraphe 5 du ME signifie que le fonctionnaire sera remboursé pour l’intégralité de son salaire et de ses avantages sociaux rétroactivement au 2 septembre 2014, aux taux de rémunération qu’il aurait obtenus pour chaque année précise. Il n’est pas nécessaire de parler de l’année 2019, parce qu’elle n’était pas commencée et que son taux de rémunération aurait été le même que celui qu’il avait à la fin de l’année 2018.

[31] Toutefois, cela ne donne pas une image complète de la situation. Au paragraphe 7, l’employeur accepte aussi de verser au fonctionnaire les possibilités d’heures supplémentaires perdues à partir du 2 septembre 2014, jusqu’à « la date de la reprise de l’emploi ». On sait que le fonctionnaire a repris son emploi le 14 mai 2019. Par conséquent, en vertu de ce règlement, il avait le droit de recevoir un montant qui représentait les possibilités d’heures supplémentaires perdues, du 2 septembre 2014 au 14 mai 2019.

[32] Lorsqu’on lit le ME dans son ensemble, il est clair que les parties voulaient que le fonctionnaire obtienne le remboursement de son salaire jusqu’à la date de sa suspension, qui correspond au moment où il a cessé d’être rémunéré, et qu’il serait payé de façon continue. Les parties voulaient aussi que le fonctionnaire recommence à travailler à un certain moment. Toutefois, avant que cela ne se produise, l’employeur devait le muter à un poste à Ottawa, où il devait déménager de Niagara Falls. Les dates de la mutation et de la réinstallation n’étaient pas indiquées dans le ME, et il est évident qu’elles étaient inconnues.

[33] Toutefois, il n’est aucunement logique que le fonctionnaire reçoive un paiement à partir de la date de sa suspension, en septembre 2014, jusqu’à la date de la signature du ME ou seulement jusqu’au 31 décembre 2018, seulement pour faire cesser ce paiement en date du 1er janvier 2019 et continuer de le payer pour ses possibilités d’heures supplémentaires perdues pour la même période. Les deux sont inextricablement liés. L’employé a des possibilités de travailler des heures supplémentaires seulement quand il travaille; si ces possibilités doivent être remboursées, c’est qu’elles ont été perdues.

[34] S’il y avait une ambiguïté dans la compréhension de l’intention des parties, cette ambiguïté s’efface quand on lit le paragraphe 7, qui indique que les possibilités d’heures supplémentaires perdues seraient aussi remboursées et que la période couverte allait de la date de la suspension à la date de la reprise d’emploi. Cela indique clairement que les parties voulaient que le fonctionnaire soit remboursé jusqu’à son retour au travail, étant donné qu’une fois réintégré, il devait être considéré comme au travail ou en congé quelconque. Il ne peut pas travailler jusqu’à ce qu’un emploi lui soit offert et étant donné que l’emploi devait être dans une autre ville, il aurait dû se réinstaller, ce qui est aussi voulu. En lisant l’entente dans son ensemble, il serait absurde de l’interpréter de manière à ce qu’elle indique que le fonctionnaire ne serait pas remboursé avant la reprise de son emploi et il est tout simplement logique que la date n’ait pas été indiquée, étant donné que les parties elles-mêmes l’ignoraient. Par conséquent, je conclus que la période allant du 1er janvier 2019 à la date de la reprise de l’emploi du fonctionnaire est couverte par le libellé de l’entente de règlement.

[35] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[36] L’opposition à l’égard de la compétence est rejetée.

Le 30 juin 2021.

(Traduction de la CRTESPF)

John G. Jaworski,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

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