Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La Fédération de la police nationale (FPN) a été accréditée en tant qu’agent négociateur pour les membres réguliers et les réservistes de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et a signifié un avis de négocier à l’employeur le 15 juillet 2019 – le 23 mai 2019, la GRC a annoncé qu’elle créerait cinq nouveaux postes d’instructeur/facilitateur et qu’elle les pourvoirait avec des fonctionnaires afin d’aider à donner le cours Sciences policières appliquées (SPA) aux cadets – au moment de l’annonce, le cours sur les SPA était donné entièrement par des membres réguliers de la GRC – la FPN a allégué que l’employeur avait apporté un changement unilatéral aux conditions d’emploi, contrevenant à la période de gel qui suit une demande d’accréditation en vertu de l’art. 56 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la « Loi ») – la FPN a fait valoir que la condition en place était que seuls les membres réguliers étaient des facilitateurs des SPA – l’employeur a soutenu que la condition d’emploi en place était qu’il conservait le droit d’attribuer des fonctions et de classifier des postes, conformément à l’art. 7 de la Loi – tout ce qu’il a fait pendant la période de gel a été d’exercer ce droit – la Commission a déterminé que la condition d’emploi en litige était l’attribution des fonctions de facilitateur des SPA – en vertu de l’art. 7, l’employeur avait le droit et le pouvoir discrétionnaire d’attribuer ces fonctions – l’art. 7 n’offre toutefois pas de réponse complète à une plainte liée à l’art. 56 – la Commission doit aussi se pencher sur le moment où l’employeur a exercé son pouvoir discrétionnaire d’attribuer des fonctions et sur la façon dont il l’a fait – compte tenu des circonstances de l’affaire, la Commission a conclu que l’employeur avait exercé son pouvoir discrétionnaire d’attribuer des fonctions de facilitation des SPA à des membres réguliers et qu’il avait changé cette pratique pendant la période de gel en attribuant ces fonctions à des postes civils – par conséquent, la Commission a conclu que la plainte satisfaisait aux éléments principaux énoncés à l’art. 56 – la seule question qu’il restait à trancher visait à savoir si la modification apportée par l’employeur s’inscrivait dans le maintien du cours normal de ses affaires – alors que la preuve indiquait que la GRC s’est réorientée afin de recourir davantage aux services d’employés de la fonction publique et de confier un rôle proportionnellement moindre aux membres réguliers dans la composition générale de son effectif, la Commission a conclu que les facilitateurs des SPA avaient un rôle unique – la direction et la FPN ont toutes deux reconnu que seuls les policiers actuels ou anciens peuvent donner l’instruction, exécuter les scénarios des SPA ainsi que surveiller et évaluer la progression des recrues dans le programme – en revanche, la pratique antérieure de la civilarisation à la GRC se concentrait dans des domaines comme les ressources humaines, la planification stratégique, les relations avec les médias, l’analyse du renseignement, l’informatique et les postes de direction connexes – aucun autre exemple n’a été présenté afin de montrer que la GRC avait décidé de recourir à une forme hybride de civilarisation (où des employés civils travaillent aux côtés de membres réguliers) où le programme exige de posséder une expérience des services de police – la Commission a conclu que la modification constituait une dérogation au cours normal de ses affaires, ce qui a donné lieu à une violation de l’art. 56 de la Loi – la Commission a ordonné aux parties de se rencontrer afin de chercher à résoudre la plainte.

Plainte accueillie.

Contenu de la décision

Date: 20210628

Dossier: 561-02-40874

 

Référence: 2021 CRTESPF 77

Loi sur la Commission des

relations de travail et de

l’emploi dans le secteur public

fédéral et Loi sur les relations de

travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

Fédération de la Police Nationale

plaignante

 

et

 

Conseil du Trésor

(Gendarmerie royale du Canada)

défendeur

et

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

intervenante

Répertorié

Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada)

Affaire concernant une plainte présentée en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : David Orfald, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la plaignante : Christopher Rootham et Adrienne Fanjoy, avocats

Pour le défendeur : Jena Montgomery, avocate

Pour l’intervenante : Andrew Astritis, avocat

Affaire entendue par vidéoconférence,

les 12, 13 et 21 avril 2021.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

TRADUCTION DE LA CRTESPF

I. Plainte devant la Commission

[1] La présente plainte est liée à la « civilarisation » de certaines fonctions à la Gendarmerie royale du Canada (la « GRC ») pendant la période de gel qui suit une demande d’accréditation. Dans cette affaire, les parties ont utilisé le terme « civilarisation » pour décrire le transfert de fonctions exécutées par des membres réguliers de la GRC à des employés ou postes civils (ou, comme les parties en l’espèce le décrivent, des [traduction] « employés ou postes de la fonction publique »).

[2] Les fonctions en question portent sur l’exécution du Programme d’instruction des cadets (PIC) pour les nouvelles recrues de la Division Dépôt située à Regina, en Saskatchewan (le « Dépôt »).

[3] La plainte a été déposée par la Fédération de la police nationale (la « FPN » ou la « plaignante »). Le 18 avril 2017, la FPN a présenté une demande d’accréditation afin de représenter les membres réguliers et les réservistes de la GRC en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; maintenant intitulée la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral; la « Loi »).

[4] Le 23 mai 2019, la GRC a annoncé qu’elle créerait cinq nouveaux postes d’instructeur/facilitateur, classifiés au groupe et au niveau AS-04, et qu’elle les pourvoirait avec des fonctionnaires afin d’aider à donner le cours Sciences policières appliquées (SPA) aux cadets au Dépôt. Au moment de l’annonce, le cours sur les SPA était donné entièrement par des membres réguliers de la GRC.

[5] La FPN a déposé sa plainte le 19 août 2019 à l’égard du Conseil du Trésor (l’« employeur » ou le « défendeur »). Elle alléguait que le Conseil du Trésor, par l’entremise de la GRC, apportait un changement unilatéral aux conditions d’emploi, ce qui constituait une violation de l’article 56 de la Loi.

[6] En janvier 2020, en tant que formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »), j’ai accepté d’entendre les arguments écrits et les plaidoiries des parties portant sur une question préliminaire relative à la présente plainte. Cette question se lisait comme suit :

 

La Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral empêche-t-elle la Fédération de la police nationale et le Conseil du Trésor d’inclure dans une convention collective, en tant que « condition d’emploi », une interdiction de nommer ou d’affecter un employé de la fonction publique à l’exercice de fonctions qui étaient accomplies à l’époque par des membres réguliers de la GRC?

 

[7] Dans Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2020 CRTESPF 102 (« Dépôt 1 »), j’ai répondu à la question préliminaire par la négative. J’ai conclu que la Loi n’empêche pas les parties d’inclure volontairement dans une convention collective une disposition qui aurait pour effet de s’assurer que seuls les membres réguliers de la GRC exercent certaines fonctions d’instruction à l’égard des cadets. J’ai ordonné que l’affaire soit entendue sur le fond, et c’est l’affaire maintenant devant moi.

[8] Dans Dépôt 1, on a accordé à l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) le statut d’intervenante. Étant donné que l’AFPC représente des employés classifiés au groupe et au niveau AS-04, j’ai déterminé qu’elle avait un intérêt important dans cette affaire (voir Dépôt 1, aux paragraphes 9 à 13). Pour l’audience dans le présent cas, on a accordé à l’AFPC un statut complet d’intervenante, mais celle-ci a choisi de présenter des arguments seulement.

[9] À la suite d’une conférence de gestion des cas avec les parties et l’intervenante, deux jours (les 12 et 13 avril 2021) ont été fixés pour entendre les arguments d’ouverture et les témoignages de témoins. Les parties et l’intervenante ont présenté des résumés écrits de leurs arguments le 19 avril 2021, qui ont été présentés et approfondis pendant les plaidoiries faites le 21 avril 2021.

[10] Mes motifs de décision pour la présente plainte sont organisés comme suit.

[11] Je présente d’abord un résumé de la preuve en ce qui concerne le rôle des facilitateurs des SPA au Dépôt et la décision de créer cinq postes civils.

[12] J’expose ensuite un cadre général pour l’analyse des plaintes liées à la période de gel déposées en vertu de la Loi et j’examine les arguments généraux des parties sur la façon d’appliquer la disposition prévue à l’article 56.

[13] Dans mon application du cadre, je conclus que la présente plainte se résume à deux questions clés qui forment les plus longues sections des motifs de décision.

[14] La première question porte sur un litige entre les parties sur la condition d’emploi qui existait au moment où la FPN a présenté une demande en vue de représenter les membres réguliers. La plaignante a fait valoir que la condition en place était que seuls les membres réguliers étaient des facilitateurs des SPA. Le défendeur a soutenu que la condition d’emploi en place était que l’employeur conservait le droit d’attribuer des fonctions et de classifier des postes, conformément à l’article 7 de la Loi. Tout ce qu’il a fait pendant la période de gel a été d’exercer ce droit. J’y renvoie sous le nom de « la question liée à l’article 7 ».

[15] J’examine la question liée à l’article 7 et les arguments des parties sur la jurisprudence et sur l’interprétation législative adéquate de la Loi. La condition d’emploi en litige est l’attribution des fonctions des facilitateurs des SPA. En vertu de l’article 7, l’employeur a le droit et le pouvoir discrétionnaire d’attribuer ces fonctions. Toutefois, l’article 7 n’offre pas une réponse complète à cette plainte liée à l’article 56. Conformément à la Loi et à la jurisprudence, la Commission doit aussi se pencher sur le moment où le défendeur a exercé son pouvoir discrétionnaire d’attribuer des fonctions et sur la façon dont il l’a fait. Compte tenu des circonstances du présent cas, je conclus qu’il avait exercé son pouvoir discrétionnaire d’attribuer des fonctions de facilitation des SPA à des membres réguliers et qu’il a changé cette pratique pendant la période de gel en attribuant ces fonctions à des postes civils.

[16] Maintenant que j’en suis arrivé à cette conclusion, la deuxième question vise à savoir si la création de cinq postes civils et l’attribution des fonctions des facilitateurs des SPA à ceux-ci étaient conformes aux pratiques de gestion habituelles de l’employeur, ce qui exige de mener ce que l’on appelle généralement, dans les plaintes liées à la période de gel, une analyse des « pratiques habituelles ». Je résumerai la preuve sur les pratiques antérieures présentée par les témoins. Je conclus que la décision de créer ces cinq postes civiles représentait une dérogation aux pratiques habituelles.

[17] Étant donné que la plainte est accueillie, la dernière section porte sur la question de la réparation.

II. Résumé de la preuve

[18] Les parties ont invoqué le même énoncé conjoint des faits que celui qu’elles ont présenté à la Commission dans Dépôt 1 (présenté aux paragraphes 17 à 28 de cette décision).

[19] Afin de compléter ces faits, la FPN a appelé les deux témoins suivants :

1) Le sergent d’état-major (s.é.-m.) Dick Tremblay, officier du Perfectionnement et du Renouvellement des ressources au Dépôt, où il est responsable de plusieurs fonctions liées aux ressources humaines qui comprennent des postes d’instruction;

2) Morgan Buckingham, actuellement un dirigeant élu à temps plein de la FPN qui représente la région comprenant le Dépôt, en congé de son poste de membre régulier de la GRC et membre de l’équipe de négociation collective de la FPN.

 

[20] En retour, le défendeur a appelé les quatre témoins suivants :

1) Garry Jay, ancien directeur principal des programmes et services à l’intention des ressources humaines à la GRC, maintenant semi-retraité;

2) le commissaire adjoint Jasmin Breton, actuellement dirigeant principal de l’Apprentissage à la GRC et commandant divisionnaire du Dépôt au moment des événements en question (de juillet 2018 à septembre 2020);

3) Diane Buchan, chef d’équipe et conseillère principale en organisation et classification pour la région de la GRC qui comprend le Dépôt;

4) Graham Lavery, directeur par intérim, Organisation et Classification, à la Direction générale de la GRC à Ottawa (Ontario).

 

[21] Le présent résumé de la preuve est tiré de l’énoncé des faits conjoint et de la preuve non contestée présentée par les témoins sur les événements liés à la création et à la dotation des postes AS-04.

[22] Les témoignages des témoins ont porté en majeure partie sur les pratiques antérieures de la GRC en ce qui concerne la civilarisation des fonctions des membres réguliers; cette preuve sera résumée dans la partie de la présente décision qui porte sur l’analyse des pratiques habituelles, car elle est directement liée aux arguments des parties.

[23] Toutes les nouvelles recrues de la GRC suivent un programme de formation et d’évaluation de 26 semaines au Dépôt. Chaque recrue est membre d’une troupe de 32 personnes. À l’heure actuelle, environ 40 troupes sont formées chaque année. Avec un taux d’attrition d’environ 20 %, environ 1 000 cadets réussissent le programme chaque année. Ceux qui réussissent peuvent être embauchés en tant que membres réguliers de la GRC et obtenir le statut d’agent de la paix. Ils sont placés dans des postes de première ligne à un endroit au Canada.

[24] Environ 21 000 membres réguliers sont employés à la GRC. Une part importante d’entre eux fournissent des services de police aux provinces et aux municipalités par l’intermédiaire du programme de services de police « contractuels » de la GRC.

[25] La formation du PFC porte en partie sur des compétences générales comme le maniement d’armes à feu, la conduite et le conditionnement opérationnel (conditionnement physique). Le fondement académique du programme se trouve toutefois au sein des SPA, dont les modules portent sur des sujets comme le Code criminel, la pratique de l’application de la loi, ainsi que la mission, la vision et les valeurs de la GRC. En plus d’offrir une formation en classe, les SPA recourent à des « scénarios » afin de préparer les cadets à des situations auxquelles ils pourraient être confrontés sur le terrain. Les scénarios, qui font appel des acteurs pour jouer le rôle des victimes d’auteurs d’actes criminels, sont conçus pour enseigner aux cadets la façon de mettre en application la théorie sur les services de police dans des situations réelles (p. ex., des voies de fait contre un membre de la famille, un vol en cours ou une descente de drogue, entre autres).

[26] Chaque troupe de 32 cadets se voit attribuer une équipe formée de 3 facilitateurs des SPA. Je l’utiliserai comme un terme général pour renvoyer au rôle dans son ensemble, qu’il soit assumé par un membre régulier ou par un employé de la fonction publique.

[27] L’équipe des facilitateurs présente les modules, exécute les scénarios et donne des conseils et commentaires aux cadets. Elle surveille et évalue aussi le rendement des cadets. Dans chaque troupe, l’un des trois facilitateurs agit en tant que chef d’équipe.

[28] Au Dépôt, on compte environ 50 facilitateurs des SPA. L’équipe des SPA dans son ensemble est composée d’environ 87 postes.

[29] Par le passé, et jusqu’aux événements qui ont mené au dépôt de la présente plainte, ce sont des membres réguliers de la GRC qui assumaient le rôle de facilitateur des SPA. Ils occupaient ce poste à tour de rôle tous les trois à cinq ans. Après cette rotation, à moins d’être promus ou de prendre leur retraite, ils étaient de nouveau placés en affectation sur le terrain en tant que policiers.

[30] Pour les membres réguliers, la GRC utilise un code d’emploi plutôt qu’un système de classification. Le code d’emploi pour le poste de facilitateur des SPA est 000360, et son titre est « Instructeur ou facilitateur – Sciences policières appliquées ». Le code d’emploi se trouve au grade de caporal (AM-02).

[31] Les témoins ont donné des points de vue différents sur les avantages et inconvénients du système de rotation. Le s.é.-m. Tremblay a témoigné que le fait d’ajouter de nouveaux membres à la rotation dans le rôle de facilitateur des SPA apporte une expérience récente du travail sur le terrain au programme. Il a indiqué que ce rôle donnait aussi l’occasion aux membres réguliers de se reposer et d’acquérir de nouvelles compétences. Il s’agit aussi d’une affectation attrayante pour les gendarmes, étant donné que l’emploi est rémunéré au grade de caporal. Il a témoigné que les membres du personnel au Dépôt tenaient à jour une liste de « longévité » afin de voir depuis combien de temps les membres occupaient ce rôle, ce qui permettait de les renvoyer sur le terrain et de faire de la place pour du « sang neuf » au sein du programme du Dépôt.

[32] Même s’il ne contredit pas ce témoignage, le comm. adj. Breton a témoigné que le modèle de rotation actuel avait causé une instabilité au sein du programme des SPA. Cette instabilité a constitué le premier facteur qui l’a mené à songer de civilariser certaines des fonctions à l’installation, quand il a commencé à occuper le poste de commandant divisionnaire du dépôt, en juillet 2018.

[33] Je mentionne ici que le comm. adj. Breton a également été facilitateur des SPA plus tôt au cours de sa carrière, pendant environ deux ans (de 2001 à 2003) et que son témoignage est donc éclairé par son expérience directe de l’emploi et par son rôle subséquent de dirigeant du PFC.

[34] Le comm. adj. Breton a témoigné qu’il ne voulait pas apporter des changements à la hâte au rôle de facilitation dans les SPA quand il a commencé à occuper le poste de commandant divisionnaire. Au début de l’année 2019, il a commencé à mettre les choses en mouvement. Il a demandé au s.é.-m. Tremblay de désigner cinq postes de membre régulier facilitateur vacants à civilariser dans le cadre d’un projet pilote. Selon le s.é.-m. Tremblay, ce plan éventuel visait à recourir à un employé de la fonction publique et à deux membres réguliers facilitateurs par troupe.

[35] En tant que commandant divisionnaire du Dépôt, le comm. adj. Breton a ensuite demandé aux membres du personnel de créer des fonctions et attributions pour le poste de l’employé de la fonction publique. Le titre donné à cet emploi était « Instructeur ou facilitateur – Sciences policières appliquées ». La description de travail a été envoyée à Mme Buchan, qui a déterminé que le poste devait être inclus au groupe Services des programmes et de l’administration (PA), représenté par l’AFPC, et qu’il devrait être classifié au groupe et au niveau AS-04.

[36] Le comm. adj. Breton a aussi demandé aux membres du personnel de rédiger une analyse de rentabilisation pour la création des cinq postes civils. Dans cette analyse de rentabilisation, on soutenait que le recours à des employés de la fonction publique apporterait une plus grande stabilité au programme. Autrement dit, les facilitateurs pourraient demeurer en poste plus longtemps que de trois à cinq ans. L’un des autres objectifs indiqués dans l’analyse de rentabilisation était de garder un plus grand nombre de membres réguliers sur le terrain. Enfin, dans l’analyse, on a indiqué que la civilarisation pourrait permettre de réaliser des économies. Le comm. adj. Breton a témoigné que les économies étaient attribuables au fait que le salaire d’un AS-04 est moins élevé que celui d’un caporal AM-02, que les membres réguliers reçoivent un avantage de salaire parce qu’ils pourraient être appelés à exécuter des fonctions d’agent de la paix et que les membres réguliers engagent des frais de réinstallation importants à cause du système de permutation.

[37] En avril 2019, le comm. adj. Breton a fait part de sa décision de civilariser les cinq postes de facilitateur des SPA au Comité de gestion des contrats de la GRC, un organe consultatif formé de représentants de différentes provinces où la GRC offre des services de police contractuels. Étant donné que les provinces et les municipalités dépendant du programme de formation du Dépôt pour grossir les rangs des membres réguliers, le Comité donne l’occasion de présenter de l’information et de mener des consultations sur les modifications apportées au programme. Dans la présentation, la modification portait le nom de « civilarisation/professionnalisation ». Le comm. adj. Breton a témoigné que le terme « professionnalisation » avait été utilisé afin d’insister sur l’importance du rôle joué.

[38] Les postes AS-04 ont été officiellement créés dans le Système d’information sur la gestion des ressources humaines (SIGRH) de la GRC le 9 mai 2019.

[39] Le 23 mai 2019, ou vers cette date, le comm. adj. a tenu une discussion ouverte avec le personnel des SPA et a annoncé la mise en œuvre des postes d’employés de la fonction publique (EFP) classifiés au groupe et au niveau AS-04. Cette nouvelle a été résumée dans un courriel adressé au personnel des SPA du 27 mai 2019. Le résumé se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

Spécialisation (anciennement appelée civilarisation) : Cinq postes d’EFP sont annoncés pour des facilitateurs des SPA dans un très proche avenir. Ils seront classifiés au groupe et au niveau AS04. Ces postes n’assureront non seulement l’uniformité de l’exécution des programmes, mais ils permettront également de conserver plus de postes RM sur le terrain et d’économiser de l’argent. Cette initiative sera évaluée après une période de 18 à 24 mois. Si l’initiative réussit, nous pouvons nous attendre à ce que le nombre d’EFP soit doublé. Après une période de cinq ans, l’initiative sera évaluée de nouveau et une décision sera prise quant à savoir si elle devrait être élargie ou annulée. En ce qui concerne les cinq premiers postes d’EFP, ils chercheront des anciens RM de la GRC, idéalement possédant une expérience de facilitation au Dépôt.

[…]

 

[40] Moins de deux mois après cette annonce, la FPN a été accréditée en tant qu’agent négociateur pour les membres réguliers et les réservistes (voir Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor, 2019 CRTESPF 74, publiée le 12 juillet 2019). Le 15 juillet 2019, la FPN a signifié un avis de négocier à l’employeur.

[41] Comme il a déjà été mentionné, la FPN a déposé la présente plainte le 19 août 2019, dans laquelle elle allègue la violation de l’article 56 de la Loi.

[42] Le processus de sélection des cinq postes AS04 a débuté en juin 2019. Trois employés ont éventuellement été embauchés à ces postes dont l’exigence linguistique était l’anglais seulement. Deux d’entre eux étaient des membres réguliers de la GRC à la retraite. Le troisième était un membre régulier qui avait pris sa retraite dans ce rôle afin d’occuper le poste d’employé de la fonction publique. Leurs dates de début s’échelonnaient de novembre 2019 à avril 2020.

[43] La GRC n’a pas été en mesure de recruter de candidats pour pourvoir les deux postes AS-04 bilingues. Le s.é.-m. Tremblay a témoigné qu’ils n’arrivaient pas à trouver de candidats bilingues qui souhaitent habiter de façon permanente à Regina.

[44] Par conséquent, le 1er août 2020, la direction de la GRC a demandé de retourner les deux postes AS-04 bilingues à des postes de membre régulier. Afin d’apporter cette modification, il fallait renverser le processus utilisé pour créer ces postes : à la demande de la direction du Dépôt, une demande de conversation des deux postes à des emplois de membre régulier a été présentée à Mme Buchan. Elle a déterminé que le code d’emploi 000360 était approprié et la modification a été mise en œuvre dans le SIGRH.

[45] Étant donné la nature du programme des SPA, les parties s’entendent sur le fait que tous les facilitateurs des SPA doivent avoir une expérience de policier. Le comm. adj. Breton et le s.é.-m. Tremblay ont tous deux témoigné d’une façon extrêmement détaillée de la nature de leur rôle. Les deux s’entendaient sur le fait que seuls ceux qui avaient une expérience policière pouvaient donner l’instruction requise et la rétroaction aux cadets sur le rendement pendant les scénarios.

[46] Le comm. adj. Breton a indiqué que la décision de civilariser les fonctions avait été prise après avoir déterminé qu’il n’était pas nécessaire en soi d’avoir « un insigne et un pistolet » pour assumer le rôle de facilitateur des SPA. Néanmoins, il a indiqué que le bassin de recrutement cible pour les postes AS-04 comprenait des agents de la GRC à la retraite ou des recrues de forces policières municipales ou provinciales. Il a témoigné que la seule différence liée à l’emploi entre les facilitateurs qui étaient des employés de la fonction publique et ceux qui étaient des membres réguliers était que ces derniers pouvaient être appelés à intervenir dans des situations d’urgence où un agent de la paix était requis. Les employés au groupe et au niveau AS-04, qui étaient des policiers retraités, ne pouvaient pas être appelés.

[47] Le comm. adj. Breton a aussi témoigné que le rôle de facilitateur des SPA n’avait pas considérablement changé depuis qu’il avait été permuté à ce rôle, de 2001 à 2003. Certains modules et scénarios ont été adaptés et certaines lois ont changé (p. ex., la légalisation de la marijuana), mais la structure de base du programme des SPA est demeurée identique.

[48] Enfin, je mentionne qu’en contre-interrogatoire, on a posé un certain nombre de questions au comm. adj. Breton sur sa décision de créer les cinq postes AS-04. Il a reconnu qu’il s’agissait d’une « nouvelle idée » qu’il voulait essayer, en raison de son désir de créer une plus grande stabilité au sein du programme. L’objectif de la stabilité a été expliqué dans l’analyse de rentabilisation. Il a également témoigné qu’il était au courant de la période de gel liée à l’accréditation prévue à l’article 56 quand il a pris cette décision. Il a dit qu’il avait consulté les Relations de travail à propos de l’idée. Il a dit qu’on lui avait répondu que « le tour serait joué » s’il civilarisait des emplois vacants.

III. Le cadre d’analyse des plaintes liées à la période de gel en vertu de la Loi

[49] Avant d’examiner les arguments précis des parties sur la présente plainte, je présenterai le cadre d’analyse que je leur appliquerai.

[50] Je suivrai le cadre présenté dans deux autres décisions liées à une période de gel qui suit une demande d’accréditation que j’ai rendues à titre de formation de la Commission et qui impliquent les mêmes parties : Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2020 CRTESPF 71, aux paragraphes 27 à 96 (« Whistler - Stationnement ») et Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2020 CRTESPF 72, aux paragraphes 23 à 92 (« Victoria - Stationnement »).

[51] Ce cadre faisait suite à deux autres décisions récentes de la Commission, Fédération de la police nationale c. Conseil du Trésor, 2020 CRTESPF 44 (« Règles sur les promotions de la GRC ») et Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2019 CRTESPF 110 (« Bureau fiscal de Sudbury »).

[52] Les dispositions sur le gel qui s’appliquent à la suite de la demande d’accréditation d’un agent négociateur sont ainsi énoncées à l’art. 56 de la Loi :

Maintien des conditions d’emploi

56 Après notification d’une demande d’accréditation faite en conformité avec la présente partie ou la section 1 de la partie 2.1, l’employeur ne peut modifier les conditions d’emploi applicables aux fonctionnaires de l’unité de négociation proposée et pouvant figurer dans une convention collective, sauf si les modifications se font conformément à une convention collective ou sont approuvées par la Commission. Cette interdiction s’applique, selon le cas :

a) jusqu’au retrait de la demande par l’organisation syndicale ou au rejet de celle-ci par la Commission;

b) jusqu’à l’expiration du délai de trente jours suivant la date d’accréditation de l’organisation syndicale.

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

 

[53] Cette disposition est semblable à la disposition relative au gel à la suite d’un avis de négocier, qui est énoncée à l’article 107. L’élément essentiel de ces dispositions est très similaire en ce sens qu’il est interdit à un employeur d’apporter des modifications unilatérales aux conditions d’emploi une fois qu’une demande d’accréditation ou un avis de négocier est signifié. L’article 56 contient une disposition en vertu de laquelle un employeur peut demander l’autorisation à la Commission de modifier les conditions. Bien que cela n’existe pas à l’art. 107, ce dernier permet aux parties de parvenir à un accord sur une modification des conditions.

[54] Bien que les deux types de gel aient un effet similaire, leurs objectifs ont été reconnus comme étant quelque peu différents. Il a été reconnu qu’un gel des négociations permet d’entamer des négociations à partir d’un point de départ déterminé (voir Whistler - Stationnement, au paragraphe 35). La Cour suprême du Canada (CSC) a reconnu que le gel qui fait suite à une demande d’accréditation est conçu afin de « faciliter l’accréditation » (voir Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie WalMart du Canada, 2014 CSC 45, aux paragraphes 34 et 35 (« Wal-Mart »)).

[55] L’analyse des deux types de plaintes commence par une première étape, au cours de laquelle le décideur évalue si la plainte satisfait au critère à quatre volets suivant (voir, par exemple, Bureau fiscal de Sudbury, au paragraphe 137, et Wal-Mart, au paragraphe 39) :

1) qu’une condition d’emploi existe le jour du dépôt de la demande d’accréditation (ou à la suite d’un avis de négocier, en cas de gel des négociations);

2) que l’employeur ait modifié la condition d’emploi sans le consentement ou l’approbation de la Commission (ou de l’agent négociateur, en cas de gel des négociations);

3) que la modification ait été apportée au cours de la période de gel;

4) que la condition d’emploi puisse être incluse dans une convention collective.

 

[56] Les plaintes qui répondent à ces quatre éléments passent ensuite à la deuxième étape de l’analyse, que l’on appelle couramment l’analyse du « maintien du cours normal des affaires ». Cette évaluation est exposée brièvement dans une décision souvent citée rendue par la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO), intitulée Spar Professional and Allied Technical Employees Association v. Spar Aerospace Products Ltd., 1978 CanLII 2255 (CRTO), au paragraphe 23, comme suit :

[Traduction]

23. L’approche du maintien du cours normal des affaires ne signifie pas qu’un employeur ne peut continuer de gérer ses activités. Elle signifie simplement qu’un employeur doit continuer de gérer ses activités en poursuivant les habitudes établies avant les circonstances ayant mené au gel, ce qui donne un point de départ clair pour la négociation et élimine l’effet de « douche froide » qu’un retrait d’avantages attendus aurait sur la représentation des employés par un syndicat […]

 

[57] Jusqu’ici, le cadre de base ne fait pas l’objet d’un différend entre les parties ou avec l’intervenante. Le cadre reconnaît que les dispositions relatives au gel fonctionnent comme une responsabilité stricte, c’est-à-dire qu’elles ne dépendent pas de l’intention de l’employeur d’influencer le processus d’accréditation ou d’une preuve d’hostilité antisyndicale. En même temps, les dispositions relatives au gel ne fonctionnent pas comme un « gel profond » qui empêche les employeurs d’apporter des changements au lieu de travail.

[58] Dépôt 1 a suivi ce cadre de base (voir les paragraphes 68 à 72) et répondu à la quatrième question que l’on trouve à la première étape de l’analyse : si la condition d’emploi en litige peut être incluse dans une convention collective. Au paragraphe 136, j’ai conclu que « […] la Loi n’empêche pas les parties d’inclure volontairement dans une convention collective une disposition qui aurait pour effet de s’assurer que seuls les membres réguliers de la GRC exercent certaines fonctions d’instruction à l’égard des cadets ».

[59] Dans Dépôt 1, j’ai aussi ordonné l’instruction de la plainte sur le fond et que j’entendrais à ce moment-là les arguments des parties sur la question de savoir si elle répondait aux trois autres questions à la première étape et, s’il y a lieu, si la modification apportée était conforme au maintien du cours normal des affaires de l’employeur.

[60] Les parties ne s’entendent pas sur le fait de savoir si la présente plainte permet de répondre aux questions nos 1 à 3 à la première étape de l’analyse.

[61] La plaignante a fait valoir qu’avant la modification, seuls les membres réguliers exerçaient des fonctions des facilitateurs des SPA. C’est cette condition d’emploi qui était gelée, selon la plaignante. Dans Dépôt 1, la Commission a déjà accepté l’argument selon lequel une condition d’emploi qui limite l’attribution de fonctions de facilitateur des SPA pouvait être incluse dans une convention collective. Selon la plaignante, la GRC a clairement modifié cette condition d’emploi. Par conséquent, on répond par l’affirmative à la question no 1 et à la question no 3.

[62] Le défendeur a contesté l’existence d’une condition d’emploi qui réservait le rôle de facilitateur des SPA aux membres réguliers. Il a soutenu que les conditions d’emploi qui existaient au moment où la demande d’accréditation a été présentée comprenaient le droit illimité de l’employeur d’organiser l’administration publique fédérale, d’attribuer des fonctions et de classifier des postes, comme le prévoit l’article 7 de la Loi. Le défendeur a soutenu qu’en l’absence d’un accord négocié volontairement en vue de renoncer à certains de ces droits, l’employeur conservait ces droits. À ce titre, l’employeur n’a pas modifié les conditions d’emploi. Il s’est simplement prévalu de son droit. Par conséquent, le défendeur soutient que la plainte répond par la négative à la question no 3.

[63] Les parties ne s’entendent pas non plus sur leur analyse des activités normales de l’employeur. Le défendeur a fait valoir que si la Commission conclut que la plainte satisfait aux quatre éléments exposés à la première étape, elle doit conclure que la civilarisation des fonctions des membres réguliers faisait régulièrement partie des pratiques de gestion de la GRC et que l’attribution du travail de facilitation des SPA aux postes de la fonction publique était conforme au maintien du cours normal des affaires. La plaignante a soutenu que la création du poste de facilitateur des SPA allait à l’encontre des pratiques de gestion antérieures de la GRC.

[64] Ainsi, comme il a déjà été mentionné, voici les deux principales questions en litige dans la présente affaire : 1) la condition d’emploi visée par l’analyse; 2) l’analyse du maintien du cours normal des affaires. Ce sont ces deux principales questions qui forment la majeure partie des motifs qui suivent.

[65] Toutefois, j’aborderai d’abord deux autres aspects de cadre d’analyse de base exposé dans Whistler - Stationnement, Victoria – Stationnement, Règles sur les promotions de la GRC et Bureau fiscal de Sudbury sur lesquels les parties ne s’entendent pas. Même s’ils sont importants, je n’en parlerai que brièvement parce que j’en tiens peu compte dans mon analyse.

[66] La première de ces questions porte sur le traitement de ce que l’on appelle les « attentes raisonnables des employés » dans l’analyse des plaintes relatives au gel. Dans Whistler - Stationnement, j’ai conclu que l’évaluation des attentes des employés était étroitement liée à l’analyse du maintien du cours normal des affaires (aux paragraphes 43 à 52). Ce faisant, j’ai souscrit à la conclusion rendue par la Commission dans Règles sur les promotions de la GRC, qui a été résumé comme suit, au paragraphe 70 :

[70] Le concept relatif aux attentes des employés est un aspect intrinsèquement logique d’une analyse relative au cours normal des affaires. Si les employés s’attendent raisonnablement à ce que quelque chose se produise, en l’absence d’une preuve du contraire, on peut supposer qu’ils ont cette attente parce que cela s’est déjà produit, parce que cela se produit généralement ou parce qu’on leur a dit que cela se produirait. Leurs attentes ne sont pas créées de toutes pièces, mais sont basées sur leurs expériences de travail ou sur ce qu’on leur a dit. C’est une simple question de logique et de probabilité.

 

[67] La deuxième question porte sur le traitement de ce que l’on appelle l’analyse de l’« employeur raisonnable » que la CSC a mis en application dans Wal-Mart. Il s’agit de déterminer si les mesures prises par un employeur sont conformes à celles qu’un employeur raisonnable aurait prises dans la même situation. Dans Whistler - Stationnement (aux paragraphes 70 à 90), j’ai suivi la décision rendue par la Commission dans Bureau fiscal de Sudbury et conclu que l’analyse de l’employeur raisonnable pouvait être une troisième étape de l’analyse, dans les situations où il est impossible d’effectuer une analyse du maintien du cours normal des affaires.

[68] Le défendeur a contesté les deux approches. Il a soutenu que, dans Wal‑Mart, la CSC n’a pas établi que les attentes des employés sont pertinentes pour l’analyse du maintien du cours normal des affaires. La CSC a plutôt pris en considération les attentes raisonnables des employés uniquement pour déterminer s’il existait une « condition d’emploi » (dans ce cas, l’attente d’un emploi continu) aux fins de la période de gel prévue par la loi (voir Wal-Mart, au paragraphe 42).

[69] Le défendeur a également fait valoir que la CSC avait recouru à l’analyse de l’employeur raisonnable en guise de solution de rechange à l’analyse du maintien du cours normal des affaires. Ce faisant, la Cour a présenté « […] deux moyens pour se prononcer sur la conformité entre un changement donné et les pratiques habituelles de gestion de l’employeur » (voir Wal-Mart, au paragraphe 55), comme l’a soutenu le défendeur. Ces deux moyens sont les pratiques antérieures de gestion et ce qu’un employeur raisonnable aurait fait dans la même situation.

[70] Le défendeur a fait remarquer qu’il a amorcé une demande de contrôle judiciaire à l’égard de Règles sur les promotions de la GRC, dans laquelle il demandait à la Cour d’appel fédérale (la « CAF ») de trancher ces arguments en litige (au moment de la rédaction, cette décision n’avait pas encore été rendue). Il a respectueusement soutenu que la Commission avait également effectué une analyse erronée dans Bureau fiscal de Sudbury, Whistler – Stationnement et Victoria – Stationnement, bien que, pour plusieurs raisons, il n’a pas demandé de contrôle judiciaire à l’égard de ces décisions.

[71] Je ne m’exprimerai que brièvement sur ces deux éléments de désaccord entre les parties en ce qui concerne le cadre d’analyse. Les attentes raisonnables des employés ne revêtent pas une grande importance dans les arguments qui m’ont été présentés, sauf en ce qui concerne la question de savoir quelle condition d’emploi existait au moment du gel. Cette prise en considération des attentes des employés n’est pas incohérente avec les arguments avancés par le défendeur.

[72] Qui plus est, dans le présent cas, le défendeur n’a pas invoqué l’argument de l’employeur raisonnable. Comme il a déjà été indiqué, ses arguments se concentraient sur l’application de l’article 7 de la Loi et sur la question de savoir si des incidents antérieurs de civilarisation avaient établi que les mesures prises par l’employeur étaient conformes au maintien du cours normal des affaires.

[73] Par conséquent, je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’effectuer une analyse détaillée des arguments présentés par les parties et par l’intervenante sur le traitement adéquat de Wal-Mart en ce qui concerne ces questions pour trancher la présente plainte. Les différences dans la position, même si elles sont considérables, n’ont que très peu d’incidence sur ma décision, comme je l’explique plus loin.

IV. L’article 7 de la Loi et la condition d’emploi en litige

A. Introduction

[74] J’examine maintenant la première des deux principales questions débattues par les parties.

[75] Comme il a été indiqué, pour que la Commission conclue que la présente plainte relative au gel est fondée, elle doit conclure qu’une condition d’emploi existait le jour du dépôt de la demande d’accréditation (question n1) et que l’employeur a apporté une modification à la condition d’emploi sans la permission de la Commission (question no 2) pendant la période de gel (question no 3).

[76] La FPN a affirmé que la condition d’emploi qui existait au moment du dépôt de la demande d’accréditation était que toute l’instruction des cadets sur les SPA au Dépôt était effectuée par des membres réguliers (question no 1). Quand il a créé les postes As-04, l’employeur a modifié la condition d’emploi sans demander la permission de la Commission (question no 2). Cette modification a été apportée pendant la période de gel (question no 3). Étant donné que la Commission a déjà répondu à la question no 4, elle doit procéder à l’analyse du maintien du cours normal des affaires, a affirmé la FPN.

[77] Le défendeur a nié que la condition d’emploi citée par la FPN existait avant la période de gel prévue par la loi. Elle a reconnu que le terme « condition d’emploi » n’est pas défini dans la Loi et qu’il a plutôt été défini de façon générale comme étant directement lié à la réglementation des relations employeur-employé (voir Syndicat Catholique des Employés de Magasins de Québec Inc. c. Paquet Ltée, [1959] RCS 206, et Isidore Garon ltée c. Tremblay; Fillion et Frères (1976) inc. c. Syndicat national des employés de garage du Québec inc., 2006 CSC 2, au paragraphe 26). Il a toutefois soutenu que la Commission doit se pencher sur la disposition prévue à l’article 7 de la Loi afin de déterminer la condition d’emploi qui existait avant la période de gel. Il se lit comme suit :

7. La présente loi n’a pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l’autorité du Conseil du Trésor ou d’un organisme distinct quant à l’organisation de tout secteur de l’administration publique fédérale à l’égard duquel il représente Sa Majesté du chef du Canada à titre d’employeur, à l’attribution des fonctions aux postes et aux personnes employées dans un tel secteur et à la classification de ces postes et personnes.

[Je mets en évidence]

 

[78] En l’absence d’une disposition acceptée volontaire dans la convention collective afin de limiter les droits et pouvoirs que lui confère l’article 7 de la Loi, le défendeur a soutenu qu’il lui demeurait loisible d’attribuer des fonctions et de classifier des postes. Cet article est totalement imbriqué dans la réglementation des relations employeur-employé. Par conséquent, il faisait partie des conditions d’emploi. Le défendeur a soutenu qu’il est aussi possible d’inclure cette liberté dans une convention collective dans le cadre de négociations. C’est cette liberté qui constituait la condition d’emploi qui existait avant l’accréditation (question no 1). Il a conservé ce droit après le dépôt de la demande d’accréditation. Le défendeur a fait valoir qu’il a respecté la condition d’emploi déjà en place quand il a créé et classifié les postes d’employé de la fonction publique. Le défendeur a fait valoir que la plainte devrait échouer à la première étape, étant donné qu’il n’a pas modifié la condition d’emploi.

[79] Aucune jurisprudence ne s’applique au critère de la période de gel prévue par la loi de manière à empiéter sur le droit conféré à l’employeur à l’article 7 et sur son pouvoir d’attribuer des fonctions et de classifier des postes, selon ce qu’a soutenu le défendeur. Par conséquent, la Commission doit examiner le libellé clair de l’article 7 et conclure que le Conseil du Trésor a un droit clair et sans équivoque d’apporter ces modifications.

[80] La FPN a contesté ces affirmations. Elle a fait valoir que la CAF et la Commission (ainsi que ses prédécesseurs) ont confirmé à maintes reprises que l’article 7 de la Loi ne limite pas ou n’empêche pas le fonctionnement de la période de gel prévue par la loi. Elle a également fait valoir que le libellé, le contexte et l’objet de la Loi étayent une telle conclusion. L’AFPC a présenté des arguments semblables.

[81] J’examinerai chacun de ces arguments à la fois, en présentant d’abord la jurisprudence, et en poursuivant avec l’analyse de l’interprétation législative de l’article 7.

B. Article 7 de la Loi : la jurisprudence

[82] En général, j’organiserai les arguments sur la jurisprudence de façon chronologique. J’utiliserai le terme « Commission » pour renvoyer à la Commission et à ses prédécesseurs, l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP), la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) et la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (CRTEFP). Je ferai toutefois une exception à l’approche chronologique pour les cas qui ne relèvent pas de la compétence de la Commission (y compris deux du Nouveau-Brunswick et une de l’Ontario); j’en discuterai à la fin de la présente sous-section.

[83] Je commencerai par deux décisions rendues par la CAF en 1986 et en 1987, auxquelles j’ai déjà renvoyées dans Dépôt 1 (au paragraphe 45). Dans la première, Public Service Alliance of Canada v. Canada (Treasury Board), [1987] 2 FC 471 (C.A.); (« AFPC – Professeurs de langue 1 »), la CAF s’est penchée sur la portée des questions qui pouvaient faire l’objet d’une décision arbitrale. L’une des questions en litige portait sur une proposition de l’agent négociateur de fixer un plafond sur le nombre d’heures qu’un professeur était tenu d’enseigner en classe. La Commission avait conclu que cette proposition dépassait la portée de ce qu’une commission d’arbitrage pouvait accorder en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1970), ch. P-35, qui précédait la Loi. La CAF a fini par conclure que le fait de fixer un plafond sur les fonctions en classe nuirait aux droits du Conseil du Trésor prévus à l’article 7, qu’elle a appelés « les prérogatives inviolables du gouvernement » (au paragraphe 6).

[84] Peu de temps après, la CAF a tranché une fois de plus la question du plafond sur le nombre d’heures d’enseignement en classe, mais cette fois-ci dans le contexte d’une plainte relative à la période de gel d’une convention collective (voir Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] A.C.F. no 240 : (« AFPC – Professeurs de langue 2 »)). La question n’était plus de savoir ce qui pouvait faire l’objet d’une décision arbitrale; il s’agissait plutôt de déterminer si le gel comprenait une clause dans la convention collective que les parties avaient précédemment négociée en toute liberté et qui imposait un plafond au nombre d’heures d’enseignement en classe. La question était de savoir s’il fallait appliquer l’article 7 de manière à ce que la disposition en question prévue dans la convention collective ne soit pas visée par le gel. La CAF a répondu par la négative, en concluant ce qui suit :

[Traduction]

[…]

L’article 7 n’incarne pas une théorie du droit divin à l’égard d’un pouvoir exécutif que même la proclamation la plus limitée d’une souveraineté gouvernementale. Il s’agit tout simplement, comme l’indique le juge Marceau, d’une clause relative aux droits de gestion. À mon avis, il est impossible d’interpréter que l’article 7 interdit à la défenderesse d’exercer son droit volontaire d’accepter d’inclure cette clause de plafond aux heures d’enseignement dans une convention collective, comme elle a choisi de le faire librement à toutes les occasions précédentes. Toute autre interprétation priverait non seulement la demanderesse, mais aussi la direction de ses droits.

La question, toute simple, est de savoir si le gouvernement, qui a depuis l’avènement de la négociation collective au sein de la fonction publique, accepté volontairement une clause liée au plafond, possiblement dans le cadre de la négociation en général, peut se libérer de cette clause par la simple arrivée à échéance de la convention collective, quand toutes les clauses pouvant faire l’objet d’une négociation collective doivent se poursuivre en vertu de la loi jusqu’à la conclusion de la nouvelle convention collective. Je ne puis trouver justification dans aucune loi ou politique qui permette à l’employeur de s’échapper aussi facilement de son obligation supposée volontairement. Tout comme le syndicat, le gouvernement doit accepter les inconvénients de la négociation collective au même titre que ses avantages. S’il juge que l’inconvénient porte préjudice à l’intérêt du public, il a, contrairement à tout autre employeur, un recours à sa portée par l’intermédiaire du Parlement.

[…]

 

[85] Le défendeur a reconnu qu’à première vue, la CAF semblait faire des déclarations contradictoires sur l’article 7 : dans AFPC – Professeurs de langue 1, elle indique qu’il s’agit d’une prérogative inviolable, tandis que dans AFPC – Professeurs de langue 2, la CAF indique qu’il s’agit seulement d’une clause liée aux droits de gestion. L’élément sous-jacent aux deux décisions, comme il le fait valoir, est qu’en l’absence d’une entente négociée librement afin de modifier ses droits en vertu de l’article 7, le Conseil du Trésor conserve le droit d’attribuer des fonctions et de classifier des postes. La CAF a simplement établi que la disposition relative au gel régit le libellé d’une convention collective négociée au préalable.

[86] La FPN a soutenu que le fait que la condition d’emploi ait été négociée au préalable ne change rien à l’application des dispositions relatives au gel. Dans AFPC ‑Professeurs de langue 2, la CAF a rejeté l’idée selon laquelle on pouvait recourir à l’article 7 pour se soustraire aux dispositions d’application de la loi prévues dans la Loi. L’AFPC a présenté un argument semblable, indiquant que la décision de la CAF signalait le début d’une nouvelle définition des droits conférés à l’employeur en vertu de l’article 7. Ces droits sont analogues aux droits de la direction dans une relation régie par une convention collective, selon ce qu’elle a soutenu, ce qui correspond à un principe qui a été vérifié dans la jurisprudence qui suit.

[87] Dans Dépôt 1, j’ai conclu qu’AFPC - Professeurs de langue 2 constituait un cas important, car il établissait que l’employeur pouvait négocier librement des dispositions touchant l’attribution de fonctions. Toutefois, cela ne répond toutefois pas définitivement à la question de la condition d’emploi en litige dans le présent cas.

[88] En 1988, la Cour fédérale a conclu que l’article 7 limitait le contenu de ce qu’une commission de conciliation pouvait entendre comme propositions d’inclusion à une convention collective (voir Professional Institute of the Public Service of Canada v. Canada (Attorney General), [1988] F.C.J. No. 948 (T.D.) (QL) (IPFPC - Biologistes)). Le défendeur a soutenu que ce cas préservait le droit de l’employeur d’attribuer des fonctions et de classifier des postes.

[89] Je ne trouve pas qu’IPFPC-Biologistes aide à répondre à la question de l’application de l’article 7 dans le contexte de la présente plainte ou pour définir la condition d’emploi en litige. Elle a appliqué l’ancienne LRTFP, qui contenait des dispositions différentes exposant les mandats des commissions de conciliation et d’arbitrage que celles l’on trouve dans la Loi actuelle (elles portent maintenant le nom de commissions de l’intérêt public et de conseils d’arbitrage). Contrairement au libellé actuel de la Loi, la disposition en litige dans IPFPC-Biologistes, le paragraphe 70(1) de l’ancienne LRTFP, ne présente aucune restriction à la conciliation; il définit plutôt les questions précises dont une commission de conciliation pouvait être saisie. La question dans IPFPC-Biologistes était de savoir si le libellé précis d’une clause proposée était seulement lié aux taux de rémunération (qui constituaient l’une des questions désignées comme arbitrables en vertu du paragraphe 70(1)) ou s’il touchait la classification des postes (qui n’était pas l’une des questions désignées comme arbitrales en vertu du paragraphe 70(1) et où l’article 7 est devenu pertinent). En vertu des dispositions arbitrales actuelles de la Loi, il n’est pas nécessaire de recourir de la même façon à l’article 7 aux fins d’interprétation. Comme je l’ai écrit dans Dépôt 1, au paragraphe 137, les restrictions relatives aux questions pouvant être tranchées dans une décision arbitrale pour cette unité de négociation se trouvent à l’alinéa 238.22(1)c), qui indique qu’aucune décision arbitrale ne peut influencer sur l’organisation de la fonction publique ou sur l’attribution de fonctions ou sur la classification de postes dans la fonction publique. Cette restriction ne se trouve pas dans l’article de la Loi qui régit les commissions de l’intérêt public (paragraphe 177(1)). IPFPC-Biologistes ne représente tout simplement plus le libellé actuel de la Loi et, à mon avis, n’aide pas à répondre aux questions en litige dans le présent cas (voir aussi, par exemple, Alliance de la Fonction publique du Canada c. (Procureur général), 2015 CF 55, aux paragraphes 32 à 39, dans laquelle il a été conclu que les restrictions sur le contenu des décisions arbitrales sont prévues à l’article 150 de la Loi, et pas à l’article 7).

[90] Le défendeur a soutenu que la Cour fédérale a affirmé le pouvoir illimité du Conseil du Trésor de classifier des postes en vertu de l’article 7 de la Loi dans Peck c. Parcs Canada, 2009 CF 686. La Cour a conclu qu’un employeur, en vertu de la Loi, « […] peut tout faire à l’intérieur du vaste pouvoir qui lui est conféré par la loi en tant qu’employeur et qui n’est pas précisément limité par la loi ou qui ne l’est pas par inférence » (au paragraphe 37). Ce cas se distingue, selon moi, au motif qu’il ne s’agissait pas d’une situation de gel; il s’agissait du contrôle judiciaire d’une décision de classification d’un employeur. Elle ne portait pas sur l’interaction entre l’article 7 et d’autres parties de la Loi.

[91] Le cas suivant soulevé par les parties qui aborde effectivement les droits de la direction réservés dans le contexte d’une affaire de gel est la décision rendue en 2013 par la CAF dans Bibliothèque du Parlement c. Association canadienne des employés professionnels, 2013 CAF 237 (« Bibliothèque du Parlement »). La disposition législative en litige se trouvait au paragraphe 5(3) de la Loi sur les relations de travail au Parlement (L.R.C. (1985), ch. 33 (2e suppl.); la « LRTP »), qui se lit ainsi et est quasi identique à l’article 7 de la Loi :

5(3) La présente partie n’a pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l’autorité de l’employeur quant à l’organisation de ses services, à l’attribution des fonctions aux postes et à la classification de ces derniers.

 

[92] L’Association canadienne des employés professionnels, à titre d’agent négociateur, avait déposé une plainte relative à une période de gel quand l’employeur avait remplacé ses lignes directrices sur les mises à pied par une nouvelle politique sur le réaménagement des effectifs pendant la période de gel des négociations. La Bibliothèque du Parlement avait soutenu que la condition relative au gel prévue dans la LRTP ne s’appliquait pas, compte tenu du paragraphe 5(3).

[93] La CAF avait conclu qu’étant donné que les modalités prévues dans les lignes directrices pouvaient être intégrées à une convention collective, elles devenaient protégées en vertu du gel prévu par la loi, nonobstant le paragraphe 5(3) de la LRTP (voir les paragraphes 27 à 34 et le paragraphe 32 en particulier).

[94] La FPN a soutenu que la décision rendue par la CAF dans Bibliothèque du Parlement établissait clairement que les dispositions relatives au gel s’appliquent si une condition d’emploi peut être incluse dans une convention collective. Étant donné que la Commission a déjà conclu, dans Dépôt 1, que la question 4 avait obtenu une réponse positive, la FPN indique que la seule question à trancher est de savoir si la condition existait réellement.

[95] Le défendeur a soutenu que même si les lignes directrices de la Bibliothèque du Parlement n’étaient pas incluses dans une convention collective, elles demeuraient des conditions qui avaient été volontairement établies en vertu de leur présentation sous la forme de lignes directrices. Il a distingué cette situation de celle du présent cas, où la GRC n’a jamais promulgué une ligne directrice écrite qui attribue les fonctions de facilitation des SPA aux membres réguliers.

[96] Ensuite, dans trois décisions connexes, Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Conseil national de recherches du Canada, 2014 CRTFP 57, 58 et 59 (« Conseil national de recherches »), la Commission s’est penchée sur l’interprétation de l’article 7 dans une situation de gel des négociations. L’employeur dans ce cas avait volontairement accepté une clause d’une convention collective en vertu de laquelle il devait annoncer les postes vacants. Dans une ronde de négociation subséquente qui s’est soldée par une impasse, cet employeur a présenté une demande en vue d’abroger la clause de la convention collective au motif que cette clause empiétait sur son pouvoir en vertu de l’article 7. La Commission a refusé de rendre l’ordonnance et conclu que l’employeur demeurait lié par la clause en vertu des dispositions relatives au gel des négociations prévues dans la Loi (article 107). Le défendeur a fait valoir que ce cas n’était que d’une utilité limitée pour la plaignante, étant donné que l’employeur avait volontairement accepté la clause en litige.

[97] Le défendeur a soutenu que la Commission avait confirmé l’idée selon laquelle l’article 7 l’emporte quand un employeur n’a pas volontairement renoncé à ses droits, dans Conseil de l’est des métiers et du travail des chantiers maritimes du gouvernement fédéral c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2014 CRTFP 51 (« Chantiers maritimes de l’est »). Dans cette affaire, l’agent négociateur avait déposé un grief collectif dans lequel il alléguait que l’employeur avait violé la clause de reconnaissance de la convention collective quand il avait attribué des fonctions d’essais en mer à des employés membres d’autres unités de négociation. Il a soutenu que l’employeur avait créé le système de classification et qu’il était contraint de le respecter, et que la description du groupe professionnel, liée à la description de l’unité de négociation, mentionnait les essais en mer. L’employeur avait fait valoir que l’article 7 de la Loi préservait son droit d’attribuer des fonctions et de classifier des postes, et que le libellé du certificat ne conférait pas à l’agent négociateur un intérêt exclusif à l’égard du travail des employés de l’unité de négociation.

[98] La Commission a rejeté le grief et, ce faisant, elle s’est exprimée comme suit au paragraphe 70 sur l’interprétation générale de l’article 7 :

70 Les articles 7 et 11.1 de la LGFP et 7 de la LRTFP confèrent à l’employeur de vastes droits de la direction. Plus particulièrement, ces articles confèrent à l’employeur le droit d’organiser la fonction publique, d’attribuer des ressources et d’affecter des fonctions. La clause 5.01 de la convention collective reconnaît les droits de la direction de l’employeur et reconnaît expressément qu’il a « […] exclusivement le droit et la responsabilité de diriger ses opérations dans tous leurs aspects […] » et reconnaît que l’employeur conserve tous les droits et toutes les responsabilités « qui ne sont ni précisés ni modifiés » par la convention collective. Aucune disposition particulière de la convention collective ne limite le droit de la direction de l’employeur d’attribuer du travail de l’unité de négociation à des employés qui n’en font pas partie. Selon moi, compte tenu de l’existence de tels droits de la direction clairs, une interdiction expresse dans la convention collective serait nécessaire pour restreindre le droit de l’employeur d’attribuer du travail à des membres qui ne font pas partie de l’unité de négociation.

[Je mets en évidence]

 

[99] Toutefois, Chantiers maritimes de l’est ne portait pas non plus sur une plainte relative à un gel. Elle visait à déterminer si la définition que faisait la Commission de l’unité de négociation, qui respectait les définitions de groupe professionnel de l’employeur, assurait une protection contre le travail de l’unité de négociation qui a force exécutoire en vertu de la convention collective. L’agent négociateur dans Chantiers maritimes de l’est voulait que l’employeur arrête d’attribuer du travail d’essais en mer à des travailleurs externes à son unité de négociation. La conséquence de la décision rendue par la Commission était essentiellement la suivante : pour qu’un grief lié au travail d’une unité de négociation réussisse, il faut négocier une clause dans la convention collective qui protège le travail de l’unité de négociation. Cela ne confirme pas, à mon avis, la proposition selon laquelle l’article 7 s’étend à l’interprétation des dispositions relatives au gel prévues dans la Loi.

[100] Dans Association canadienne des employés professionnels c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2016 CRTEFP 68 (« Traducteurs parlementaires »), la Commission s’est une fois de plus penchée sur l’interaction entre les droits de la direction et les dispositions relatives au gel prévues dans la Loi. Dans ce cas, l’employeur avait modifié sa pratique en ce qui concerne la façon dont les heures de travail étaient planifiées pour les traducteurs parlementaires pendant les périodes où le Parlement ne siégeait pas. Il a soutenu qu’il avait le droit de modifier les horaires de travail avant la signification de l’avis de négocier et qu’il n’avait fait qu’exercer ce droit.

[101] La Commission a rejeté cet argument. Elle a également expliqué le but des dispositions relatives au gel prévues à l’article 107 de la Loi, en s’exprimant comme suit au paragraphe 126 :

126 Selon la Loi et la jurisprudence, l’objectif d’un gel statutaire est de veiller à ce que les parties soient sur un pied d’égalité tout au long des négociations, en empêchant la position de l’employeur d’être imposée unilatéralement sur les conditions à négocier et de miner les droits exclusifs de représentation de l’agent négociateur. Le but est d’assurer la paix dans les relations de travail. C’est la relation entre les employés et l’employeur, tel qu’elle existait au moment de l’avis de négocier, qui est protégée dans son ensemble. Cette protection dure jusqu’à la conclusion d’une convention collective comportant cette condition ou, jusqu’à ce qu’une décision arbitrale soit rendue ou qu’une grève légale puisse être déclarée ou autorisée.

 

[102] La décision Traducteurs parlementaires cite un cas entendu par la Commission par le passé, Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRTFP 46 (« ASFC - Congé pour activités syndicales »), qui portait sur la fin d’un arrangement de congé payé pour certains dirigeants syndicaux. En vertu de cet arrangement non écrit, quelques dirigeants précis pouvaient exécuter des fonctions syndicales à temps plein pendant qu’ils sont en congé payé. L’employeur dans ce cas avait informé l’AFPC qu’il mettrait fin à l’arrangement pendant la période de gel prévue à l’article 107. La Commission a tranché en faveur de la plaignante au motif que le gel prévu par la loi visait à maintenir la pratique de la relation d’emploi antérieure dans son intégralité. La Commission a ensuite mis en évidence ce principe au paragraphe 130 de Traducteurs parlementaires, en s’exprimant ainsi :

130 Une fois l’avis de négocier signifié par l’une des parties, le gel imposé par l’article 107 de la Loi exige que les parties respectent chaque condition d’emploi s’appliquant aux fonctionnaires de l’unité de négociation visés par l’avis et qui est encore en vigueur au moment où l’avis de négocier a été signifié. Cette condition doit être celle qui peut être incluse dans une convention collective, et non pas nécessairement celle qui y est déjà incluse.

[Je mets en évidence]

 

[103] Enfin, après avoir examiné l’argument de l’employeur selon lequel ses droits de la direction résiduels en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11; la « LGFP »), lui permettaient d’apporter les modifications qu’il avait apportées, la Commission l’a rejeté, au paragraphe 137 de Traducteurs parlementaires, en indiquant ce qui suit :

137 Accepter cet argument viderait la protection accordée à l’article 107 de la Loi de son sens et pourrait mener à une interprétation absurde de la Loi. Cela voudrait donc dire qu’il ne pourrait jamais y avoir de violation au gel prévu par la Loi de par l’existence même des pouvoirs résiduels de l’employeur. Tel qu’il a été établi par la jurisprudence, ce n’était pas l’intention du législateur. Cette protection a pour but d’assurer une négociation ordonnée entre les parties, une négociation d’égal à égal et des relations de travail paisibles pendant la période de gel statutaire. Une telle interprétation permettrait à l’employeur de prendre des actions qui pourraient déséquilibrer cette relation et, par conséquent, violer ce que l’article 107 cherche à protéger.

 

[104] Bien qu’il ait été conclu, dans Bibliothèque du Parlement, qu’une violation du gel avait été commise dans un contexte où l’employeur avait des lignes directrices en place, dans Traducteurs parlementaires, la Commission a conclu que la pratique d’un employeur (soit de permettre aux traducteurs de modifier leurs horaires de travail pendant les périodes où le Parlement ne siège pas, tout en conservant un supplément salarial) était aussi protégée par le gel de négociation.

[105] De même, la Commission a déterminé, dans une autre plainte relative à un gel, soit Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTESPF 11 (« Services correctionnels/heures de travail ») que même si le libellé d’une convention collective conférait à l’employeur le droit d’attribuer des heures, il devait évaluer sa pratique antérieure afin de déterminer si une violation du gel avait été commise. L’employeur dans cette affaire avait réduit les heures de travail d’environ 50 employés temporaires afin de les faire passer de temps plein à temps partiel (4 jours par semaine) pendant la période de gel. Il avait soutenu que la convention collective lui permettait d’apporter la modification, en vertu d’une clause indiquant que « Aucune disposition du présent article ne doit être interprétée comme garantissant une durée de travail minimale ou maximale » (tel que cité au paragraphe 85 de la décision). Après avoir effectué un relevé général de la jurisprudence, la Commission a rejeté l’idée selon laquelle le pouvoir discrétionnaire de l’employeur d’apporter des modifications correspondait à la condition qui était gelée, en s’exprimant comme suit aux paragraphes 99 et 102 :

99 En d’autres mots, même s’il avait le pouvoir de réduire les heures de travail, il avait établi au fil du temps une tendance à ne pas le faire dans le cas des employés concernés. Par conséquent, les employés touchés et la plaignante avaient une attente selon laquelle l’employeur ne réduirait pas les heures de travail après que les avis de négociation ont été donnés. J’estime que cette attente était raisonnable compte tenu des circonstances.

[…]

102 Respectueusement, je ne trouve pas qu’il y a une quelconque différence dans la façon dont les commissions du travail tranchent les plaintes relatives au gel en fonction de savoir si la condition d’emploi en cause se trouve dans une convention collective ou peut y être incluse mais n’y était pas lorsque l’avis de négocier a été signifié.

 

[106] La décision rendue par la Commission en 2019 dans Bureau fiscal de Sudbury a également conclu que la disposition de gel a préséance sur les droits de gérer le lieu de travail permis dans une convention collective en indiquant ce qui suit : « Or, lui permettre de continuer à utiliser ses pouvoirs de gestion comme si rien n’avait changé reviendrait en définitive à lui permettre de faire ce que la loi vise pourtant à prohiber », au paragraphe 170, citant Wal-Mart, au paragraphe 49).

[107] En examinant de façon générale cette jurisprudence, le défendeur a soutenu qu’il était possible de glaner certains principes clés sur le sens de l’article 7 de la Loi. Premièrement, selon la jurisprudence sur la portée d’une décision arbitrale, l’employeur peut volontairement accepter le libellé d’une convention collective pour des affaires énumérées à l’article 7, mais ces dispositions ne peuvent pas être imposées (p. ex., AFPC - Professeurs de langue 1). Selon le défendeur, la Commission a accueilli des plaintes relatives à un gel dans des situations où un employeur avait volontairement accepté de renoncer à ses droits (voir AFPC - Professeurs de langue 2 et Conseil national de recherches) ou qu’il avait établi une politique écrite claire (voir Bibliothèque du Parlement). Toutefois, en l’absence d’une interdiction expresse dans la convention collective, les droits conférés à l’employeur en vertu de l’article 7 sont maintenus (voir Peck, Chantiers maritimes de l’est et IPFPC - Biologistes).

[108] Le défendeur a soutenu qu’il n’existe aucune jurisprudence de la Commission qui accueille une plainte relative à un gel en l’absence d’un accord clair de l’employeur de renoncer à ses droits.

[109] Je ne crois pas que les arguments du défendeur soient viables à la lumière de la jurisprudence dans son ensemble, et je souscris aux observations sur la jurisprudence faites par la plaignante et par l’intervenante. Je conclus que la CAF et la Commission ont toujours conclu que les droits de la direction pouvaient être circonscrits par les dispositions relatives au gel prévues dans la Loi. Il faut interpréter les dispositions relatives au gel de façon générale et il est possible de déterminer qu’une condition d’emploi existe, par exemple, dans les lignes directrices de l’employeur (voir Bibliothèque du Parlement), dans une pratique antérieure (voir ASFC - Congé pour activités syndicales et Traducteurs parlementaires) ou même dans une pratique antérieure quand le droit de la direction est inclus dans une convention collective (voir Service correctionnel/heures de travail et Bureau fiscal de Sudbury).

[110] Le défendeur n’avait aucune réponse précise à donner aux décisions rendues par la Commission dans ASFC - Congé pour activités syndicales, Traducteurs parlementaires ou Service correctionnel/heures de travail.

[111] Dans ces cas, au moment de déterminer la question no 1 à l’étape no 1 de l’analyse du gel prévu par la loi (si une condition d’emploi existait au début du gel), l’analyse de la Commission se concentrait sur les pratiques antérieures de l’employeur. ASFC - Congé pour activités syndicales et Traducteurs parlementaires portaient toutes deux sur des pratiques non écrites, dont l’existence pouvait seulement être établie par un examen de la pratique antérieure. L’affaire dans Service correctionnel/heures de travail portait sur des pratiques que la direction avait mises en place et les plaintes relatives au gel avaient été accueillies, même dans le contexte du libellé de la convention collective, qui conférait à la direction le droit d’apporter de telles modifications. Dans ces décisions, la Commission a reconnu qu’une condition d’emploi peut prendre la formation d’un exercice unilatéral du pouvoir de la direction, mais que cet exercice du pouvoir de la direction peut néanmoins être une condition d’emploi pouvant être incluse dans la convention collective. La disposition relative au gel ne gèle pas le pouvoir discrétionnaire d’un employeur de modifier les conditions d’emploi maintenues en vigueur en vertu de la disposition relative au gel; elle restreint plutôt ce pouvoir discrétionnaire de manière à permettre à l’employeur d’apporter des modifications seulement si celle-ci s’inscrit dans une tendance établie (voir ASFC - Congé pour activités syndicales, au paragraphe 186, et Traducteurs parlementaires aux paragraphes 127 à 145; et Service correctionnel/heures de travail, aux paragraphes 96 à 103). Par conséquent, la détermination du bien-fondé des plaintes dans ASFC - Congé pour activités syndicales et Traducteurs parlementaires et Service correctionnel/heures de travail, se résumait à l’analyse du maintien du cours des affaires normales.

[112] La FPN et l’AFPC ont soutenu que puisque la Commission a déterminé, dans Dépôt 1, qu’une convention collective pouvait contenir une condition d’emploi qui limitait les fonctions de facilitation de SPA aux membres réguliers, j’ai déjà répondu à la question visant à déterminer la condition d’emploi en litige. Je devrais donc déterminer ensuite si la modification de l’attribution des fonctions à des employés de la fonction publique était conforme au maintien du cours normal des affaires.

[113] Même si j’accepte en fin de compte cette conclusion, je dois reconnaître qu’aucun des cas cités jusqu’à présent ne porte sur des questions qui relèvent aussi directement des droits de la direction énumérés à l’article 7 de la Loi que celle en l’espèce. AFPC – Professeurs de langue 2 portait sur un plafond sur les heures d’enseignement en classe. Bibliothèque du Parlement portait sur le changement de lignes directrices sur les mises à pied à une nouvelle politique sur le réaménagement des effectifs de l’employeur. Traducteurs parlementaires portait sur un changement dans les heures de travail. ASFC - Congé pour activités syndicales portait sur une pratique de congé payé qui existait à l’extérieur d’une convention collective. Service correctionnel/heures de travail concernait la réduction du nombre d’heures de travail pour des employés à temps plein. Bureau fiscal de Sudbury portait sur l’accès des employés à des heures de travail variables. Aucune de ces décisions ne porte sans doute aussi directement que la présente plainte le fait sur les trois domaines précis des droits de la direction énumérés à l’article 7 : l’organisation de l’administration publique fédérale, l’attribution de fonctions et la classification de postes. Cela explique en partie ce que le défendeur a soutenu quand il a indiqué qu’aucune jurisprudence ne portait sur la relation entre les articles 7 et 56 de la Loi.

[114] Toutefois, cela n’est pas vraiment le cas dans deux affaires de la fonction publique du Nouveau-Brunswick citées par la plaignante : C.U.P.E. v. New Brunswick (Treasury Board), 1984 CarswellNB 449 (« SCFP - Chauffeurs d’autobus scolaires ») et C.U.P.E. Local 1190 v. New Brunswick (Board of Management), 2004 CarswellNB 632 (« SCFP - Surintendants du trafic routier »). Les deux décisions portent sur une disposition prévue dans la Loi relative aux relations de travail dans les services publics du Nouveau-Brunswick (L.R.N.-B. 1973, ch. P-25; la LRTSPNB), qui est calquée sur la loi fédérale et se lit comme suit : « 6(1) Aucune disposition de la présente loi ne porte atteinte au droit que possède l’employeur de déterminer comment doivent être organisés les services publics, de fixer les fonctions afférentes aux postes et de classer ces derniers. »

[115] Dans SCFP - Chauffeurs d’autobus scolaires, le syndicat a allégué qu’une modification de la classification pour certains chauffeurs d’autobus scolaire avait été apportée pendant une période de gel. En fin de compte, la Commission des relations de travail dans les services publics du Nouveau-Brunswick (la « Commission du N.-B. ») a conclu que cela n’avait pas été le cas, en concluant que l’employeur avait seulement corrigé une erreur de classification et qu’il n’avait pas modifié une condition d’emploi. La Commission du N.-B. a toutefois annulé l’objection soulevée par l’employeur en vertu du paragraphe 6(1) de la LRTSPNB, en concluant que [traduction] « […] l’affectation d’employés à une classification d’emploi est une condition d’emploi et l’employeur n’est pas entièrement libre, pendant la période de gel, d’apporter des modifications de classification et d’attribution » (au paragraphe 20).

[116] Quelque 20 ans plus tard, dans SCFP - Surintendants du trafic routier, l’employeur avait créé une nouvelle classification d’emploi, intitulée [traduction] « Surintendant du trafic routier » afin de remplacer un poste intitulé « Surintendant des travaux routiers ». Cette modification a donné lieu au retrait de ces employés de l’unité de négociation du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) et à leur intégration à une unité de négociation représentée par un autre syndicat. Le SCFP a déposé une plainte relative au gel. L’employeur a fait valoir que la disposition relative au gel de la LRTSPNB ne devait pas être interprétée de manière à avoir une incidence sur son droit inhérent de classifier des postes, comme le prévoit le paragraphe 6(1). La Commission du N.-B. a rejeté cet argument aux paragraphes 39 et 40 de sa décision, en s’exprimant comme suit :

[Traduction]

39 Comme la Commission l’a conclu, il a été déterminé que l’attribution d’individus à une autre classification constituait une modification des conditions d’emploi et l’employeur n’est pas « entièrement libre » de le faire pendant la « période de gel ». Il n’y a pas meilleur moment qu’une négociation collective pour permettre aux parties de discuter, de négocier, d’apporter des précisions et de régler des problèmes.

40 La Commission conclut que si l’employeur a le droit d’affecter des employés d’une unité de négociation à une autre en toute impunité, cette situation pourrait faire des ravages au lieu de travail, ce qui créerait exactement l’opposé du fondement stable à la négociation collective voulu par la loi.

 

[117] La plaignante a également cité trois décisions rendues par la CRTO, dans lesquelles elle a déterminé que des modifications à la classification ne pouvaient pas être apportées pendant la période de gel de négociation prévue dans la Loi de 1995 sur les relations de travail de l’Ontario (L.O. 1995, c. 1, ann. A); elles sont : London & District Service Workers’ Union, Local 220 v. Rest Haven Nursing Home of St. Williams (1974) Ltd., 1979 CarswellOnt 1170; C.U.P.E., Local 1320 v. Scarborough Centenary Hospital Assn., 1978 CarswellOnt 1139 et Ontario Nurses’ Association v. Oakville Lifecare Centre, 1993 CanLII 7909 (ON LRB) (« Lifecare »). Chacune de ces décisions a été rendue à la suite d’une analyse du maintien du cours normal des affaires.

[118] Je conclus que les trois cas de la CRTO sont moins utiles à l’analyse dans le présent cas. Ils se prononçaient tous généralement en faveur de la proposition selon laquelle des modifications de classification pouvaient être assujetties à un gel. La décision Lifecare en particulier reconnaît que les attentes des employés forment un aspect clé d’une analyse du maintien du cours normal des affaires dans un cas de gel. Toutefois, la CRTO ne s’attaquait toutefois pas avec le même genre de disposition législative que l’article 7 de la Loi.

[119] Les deux cas du SCFP du Nouveau-Brunswick sont toutefois utiles. La disposition législative prévue au paragraphe 6(1) de la LRTSPNB est presque identique à l’article 7 de la Loi. La Commission du N.-B. a déterminé dans les deux cas que l’employeur devait respecter les dispositions relatives au gel prévues dans la LRTSPNB, et ce, même quand il apporte des modifications à la classification. Elle a conclu qu’elle devait mener une analyse du maintien du cours normal des affaires afin de déterminer si l’employeur l’avait violée.

[120] Le défendeur n’a pas réfuté spécifiquement les arguments de la plaignante sur les répercussions des deux cas du Nouveau-Brunswick et sur ceux de l’Ontario; elle a simplement indiqué qu’ils ne mettent pas en application l’article 7 de la Loi. Il s’est fondé sur son affirmation selon laquelle aucune décision de la Commission n’avait tranché la question d’une plainte relative à un gel où l’affaire relève directement de l’un des trois domaines des droits de la direction prévus à l’article 7. Il a réitéré que l’article 7 s’applique, sauf si l’employeur a renoncé à ses droits en concluant une convention collective.

[121] Je conclus que la prépondérance de la jurisprudence soutient l’approche selon laquelle, en ce qui concerne une plainte relative à un gel statutaire, on peut déterminer qu’il existe une condition d’emploi en fonction, par exemple, de lignes directrices et de pratiques antérieures de l’employeur. Dans le même ordre d’idées, la jurisprudence reconnaît aussi qu’une condition d’emploi peut prendre la formation d’un exercice unilatéral du pouvoir de la direction. Pour les raisons expliquées, la jurisprudence n’étaye pas la proposition selon laquelle en l’absence d’une convention collective, les droits de la direction constituent une condition d’emploi gelée, de sorte que l’exercice de ces droits ne peut pas donner lieu à la modification d’une condition d’emploi afin de déterminer s’il y a eu violation du gel. La jurisprudence reconnaît plutôt que, même si un employeur a le pouvoir discrétionnaire de modifier les conditions d’emploi maintenues en vigueur en vertu de la disposition relative au gel, l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire doit s’inscrire dans une tendance établie. J’examinerai ensuite les arguments présentés par le défendeur sur l’interprétation législative de l’article 7.

C. Article 7 de la Loi : libellé, contexte et objet

[122] Le défendeur a soutenu que l’attribution de fonctions aux postes d’employés de la fonction publique et la classification de ces postes au groupe et au niveau AS-04 relèvent carrément des trois domaines des droits de gestion énumérés à l’article 7 de la Loi et que le sens ordinaire de cet article doit exclure l’application de l’article 56.

[123] Il a fait valoir que l’article 7 est libellé de façon claire et sans équivoque, particulièrement parce qu’il commence par les mots « La présente loi n’a pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l’autorité du Conseil du Trésor […] » (je mets en évidence). Selon elle, ces mots signifient que la plaignante ne peut pas invoquer l’article 56 afin de limiter le droit ou le pouvoir de l’employeur d’organiser l’administration publique fédérale, d’attribuer des fonctions et de classifier des postes.

[124] Bien qu’il n’ait pas défini son argument avec autant de précision, le défendeur a essentiellement prétendu que le libellé de l’article 7 l’emporte sur les autres dispositions de la Loi lorsqu’il s’agit d’organiser l’administration publique fédérale, d’attribuer des fonctions et de classifier des postes, en l’absence d’une décision de l’employeur de négocier librement une limite à ses pouvoirs dans ces domaines. Il a affirmé que la Commission ne devrait pas déterminer que l’interprétation de l’article 56 l’emporte sur celle de l’article 7 de la Loi.

[125] Le défendeur a soutenu que les mesures prises par l’employeur dans cette affaire étaient les suivantes : a) il a modifié les fonctions liées à l’emploi de facilitateur des SPA des membres réguliers; b) il a attribué ces fonctions à un poste de la fonction publique; c) il a classifié ce poste au groupe et au niveau AS-04. L’employeur n’a jamais limité ses droits et ses pouvoirs de prendre ces décisions, affirme-t-il. Il n’avait pas négocié de convention collective avec la FPN afin d’imposer une limite à son pouvoir et il n’a jamais émis de lignes directrices ou de politiques à cet effet. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de mener une analyse du maintien du cours normal des affaires, car l’employeur a conservé son pouvoir discrétionnaire de modifier les fonctions et de classifier des postes.

[126] Le défendeur a mentionné que les droits et pouvoirs du Conseil du Trésor en ce qui concerne les questions liées aux ressources humaines ne sont pas vraiment énumérés dans la Loi, mais qu’on les trouve aux articles 7 et 11.1 de la LGFP. En outre, l’article 20.1 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (L.R.C. (1985), ch. R-10; la « Loi sur la GRC ») affirme le pouvoir du Conseil du Trésor prévu à l’article 11.1 de la LGFP. L’article 7 de la Loi conserve certains droits précis énumérés pour le Conseil du Trésor dans la LGFP et dans la Loi sur la GRC. Il a fait valoir qu’il serait cohérent, sur le plan législatif, avec la LGFP et la Loi sur la GRC, de conclure que la condition d’emploi était un droit de la direction en vertu de l’article 7, étant donné que celui-ci prévoit un libellé clair et sans équivoque, conformément aux pouvoirs conférés en vertu des deux autres lois.

[127] Le défendeur a fait valoir que la plaignante tente de recourir au processus de gel prévu par la loi pour conférer un droit qui n’a pas été acquis dans le cadre des compromis liés à la négociation collective. Il cherche à entraver l’intention claire de l’article 7, qui permet à l’employeur d’organiser son lieu de travail.

[128] Le défendeur a également prétendu que l’article 7 n’a pas été modifié quand la partie 2.1 a été ajoutée à la Loi. La partie 2.1 contient les dispositions qui régissent l’accréditation, la négociation et les droits de grief des membres réguliers de la GRC. Je ne présenterai pas ces arguments de façon détaillée, car la plaignante n’a pas soutenu que la partie 2.1 modifie l’application de l’article 7.

[129] Le défendeur a clos ses arguments à ce sujet en citant la décision rendue par la CSC dans Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, au paragraphe 10 (« Trustco Canada ») : « Lorsque le libellé d’une disposition [d’une loi] est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. »

[130] La plaignante a soutenu que l’article 7 ne devait pas être interprété de la façon soutenue par le défendeur. Elle a contesté l’interprétation du sens ordinaire de l’article et fait valoir que la Commission devrait examiner le libellé de l’article 7 seul, mais aussi dans le contexte et selon l’objet de la Loi dans son ensemble. Elle prétend qu’une telle approche est conforme à Trustco Canada, où l’on indique ensuite ce qui suit au paragraphe 10 :

10 […] Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

[Je mets en évidence]

 

[131] Si l’on examine spécifiquement l’article 7, la plaignante a soutenu que le terme « construed » est synonyme du terme « interpreted » dans la version anglaise de la Loi. Par conséquent, l’article 7 entre en jeu seulement si une autre disposition de la Loi est ambiguë. Étant donné que la disposition relative au gel à l’article 56 n’est pas ambiguë, selon ce qu’elle soutient, il n’est pas nécessaire de recourir à l’article 7 pour l’interpréter.

[132] La plaignante a aussi soutenu que quand le législateur a voulu délibérément limiter un droit en vertu de la Loi, il utilise le mot « malgré ». À titre d’exemple, un agent négociateur peut mettre fin à une convention collective en vertu de l’article 68 « […] malgré toute disposition contraire de l’une ou l’autre ». L’article 70(3) empêche la Commission d’examiner la structure d’une unité de négociation, quand il indique « Malgré le paragraphe (1), la Commission ne peut réviser la structure de l’unité de négociation définie à l’article 238.14 » (l’article en vertu duquel l’unité de négociation maintenant représentée par la FPN a été déterminée). Le paragraphe 109(1) indique que « Par dérogation aux autres dispositions de la présente partie », l’employeur et un ou plusieurs agents négociateurs peuvent décider conjointement d’entamer des négociations collectives en vue de la conclusion d’une convention collective cadre applicable à plusieurs unités de négociation.

[133] Citant Ruth Sullivan, dans Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd., au paragraphe 8.38, la FPN a fait valoir que quand les législateurs utilisent des mots différents, ceux-ci doivent être interprétés comme signifiant des choses différentes. La FPN a dit que le défendeur demande à la Commission de traiter le mot « effet » comme s’il signifiait « malgré ». Selon la plaignante, si le législateur voulait donner à l’article 7 le sens que lui a attribué le défendeur, il aurait pu utiliser le mot « malgré » afin d’indiquer spécifiquement que les dispositions relatives au gel ne couvrent pas les conditions d’emploi énumérées à l’article 7. Étant donné qu’il ne l’a pas fait, la Commission ne devrait pas imposer ce sens.

[134] À d’autres endroits où la Loi utilise le mot « construed », dans sa version anglaise, la Commission a interprété la disposition de manière incohérente au sens que le défendeur tente de conférer à l’article 7, a affirmé la FPN. À titre d’exemple, l’article 120 se lit comme suit :

120 L’employeur a le droit exclusif de fixer le niveau auquel un service essentiel doit être fourni à tout ou partie du public, notamment dans quelle mesure et selon quelle fréquence il doit être fourni. Aucune disposition de la présente section ne peut être interprétée de façon à porter atteinte à ce droit.

[Je mets en évidence]

 

[135] L’article 120 se trouve dans la section de la Loi qui régit les ententes sur les services essentiels (ESE) pour les unités de négociation qui empruntent la voie de la conciliation ou de la grève. La plaignante a soutenu que dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (groupe Services des programmes et de l’administration), 2010 CRTFP 88, la Commission s’est penchée sur l’argument avancé par l’employeur selon lequel l’article 120 limite le pouvoir de la Commission de trancher une question de divulgation de documents pertinente à une ESE. La Commission a conclu (au paragraphe 168), que l’article 120 ne l’empêchait pas de mettre en application des principes de droit administratif et un processus raisonnable pour déterminer que l’employeur était tenu de produire des documents sur le niveau de services essentiels à fournir. Ce principe a été confirmé dans Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2011 CAF 257, au paragraphe 36, où la CAF a dit « […] le pouvoir conféré en vertu de l’article 120 n’était pas absolu et qu’il ne pouvait pas être exercé légalement de mauvaise foi ou de toute autre façon contraire à la Loi ».

[136] La plaignante a présenté un argument semblable sur le libellé de l’article 211 de la Loi, qui se lit comme suit :

211 Les articles 209 et 209.1 n’ont pas pour effet de permettre le renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel portant sur :

a) soit tout licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique […]

 

[137] La plaignante a soutenu que cette disposition n’avait pas empêché la Commission d’entendre ce grief, comme un grief sur un renvoi en cours de stage (voir Alexis c. Administrateur général (Gendarmerie royale du Canada), 2020 CRTESPF 9, aux paragraphes 192, 193 et 210). Cela signifie plutôt que la Commission détermine si le renvoi en cours de stage a été effectué pour une raison légitime liée à l’emploi. La plaignante a soutenu que le mot « construed » à l’article 7 dans la version anglaise de la Loi ne devrait pas empêcher la Commission d’entendre une plainte liée à l’article 56 et d’accorder une réparation pour les mêmes raisons que le mot « construed » à l’article 211 dans la version anglaise de la Loi n’empêche pas la Commission d’être saisie d’une affaire en vertu de celui-ci et de présenter une réparation.

[138] Qui plus est, la FPN a soutenu que, malgré le libellé de l’article 7, la Commission a le pouvoir de rendre des décisions qui ont une incidence sur les fonctions des employés de la fonction publique; les paragraphes 121(1) et 123(3) de la Loi confèrent à la Commission le pouvoir de trancher des questions liées à une ESE, y compris l’aménagement des tâches. Une interprétation de l’article 7 qui interdit à la Commission d’accorder une réparation qui touche l’attribution de fonctions irait à l’encontre des articles 121 et 123. De même, le sous-alinéa 192(1)b)(i) de la Loi permet à la Commission de corriger une pratique déloyale de travail en ordonnant à l’employeur de « reprendre à son service » un employé. Selon la FPN, l’argument du défendeur sur le sens de l’article 7 n’est pas conforme à cette disposition de la Loi.

[139] La FPN a également fait valoir que l’interprétation que fait le défendeur de l’article 7 de la Loi irait à l’encontre de l’objet de la disposition relative au gel prévue à l’article 56. La disposition relative au gel avant l’accréditation vise à empêcher l’employeur de miner une organisation syndicale en modifiant des conditions d’emploi avant que ses employés décident de choisir cette organisation comme agent négociateur. Une organisation syndicale est particulièrement vulnérable pendant une démarche d’accréditation et pendant la négociation d’une première convention collective. Le gel prévu par la loi vise à protéger une organisation syndicale au moment où elle est la plus vulnérable à une perte de confiance au sein des membres possibles de l’unité de négociation. (Parmi les cas cités par la FPN, voir Wal-Mart, aux paragraphes 34 et 45, Association des chefs d’équipes des chantiers maritimes du gouvernement fédéral c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2016 CRTEFP 26, au paragraphe 47, citant Canadian Union of Public Employees v. Scarborough Centenary Hospital Association, [1978] OLRB Rep. July 679, et Bank of British Columbia v. Union of Bank Employees (British Columbia & Yukon), Local 2100, [1980] 2 Can L.R.B.R. 441, aux paragraphes 7 à 23.)

[140] Enfin, même si la Commission devait accepter que les articles 7 et 56 sont en conflit, les règles régissant l’interprétation législative devraient la mener à conclure que l’article 56 a préséance, selon ce que soutient la FPN. Elle a cité Lévis (Ville) c. Fraternité des policiers de Lévis Inc., 2007 CSC 14, aux paragraphes 47, 58 et 61, pour les principes selon lesquels la nouvelle loi l’emporte sur l’ancienne et la loi spéciale écarte la loi plus générale. L’article 7 a été intégré à la LRTFP quand elle a été promulguée, en 1967; l’article 56 a été ajouté à la Loi en 2005 seulement. Étant donné que l’article 56 a été ajouté plus tard, il doit l’emporter. Ensuite, étant donné que l’article 7 est une disposition plus générale qui régit la Loi dans son ensemble, la règle plus précise établie à l’article 56, qui prévoit le gel des conditions d’emploi pendant une période en particulier, doit l’emporter.

[141] L’intervenante n’a pas présenté d’arguments approfondis sur l’analyse textuelle de l’article 7; de manière générale, elle a soutenu que la décision de la Commission devrait être fondée sur la jurisprudence. L’AFPC a toutefois soutenu que si l’interprétation de l’article 7 que fait le défendeur devait l’emporter, l’employeur pourrait reclassifier des postes à sa guise afin de miner délibérément un processus d’accréditation.

[142] Je passe maintenant à mon évaluation de ces arguments.

[143] Le défendeur a soutenu que le libellé ordinaire de l’article 7 signifie qu’une plainte relative à un gel en vertu de l’article 56 ne peut pas entraver ses droits en ce qui concerne l’organisation d’un secteur de l’administration publique fédéral, l’attribution de tâches ou la classification de postes. Cet argument est si important qu’il aurait très bien pu être tranché en tant que question préliminaire. Il s’agit, à mon avis, d’une question aussi importante au moins que celle examinée dans Dépôt 1 : si la Loi empêche les parties d’inclure dans une convention collective une disposition qui limite la facilitation du programme des SPA aux membres réguliers de la GRC.

[144] Le défendeur avance l’argument selon lequel l’article 7 protège ses droits et ses pouvoirs en l’absence d’une décision de sa part de renoncer volontairement à une certaine partie de ses droits. Cet argument est étroitement lié à celui qu’il a présenté sur la jurisprudence de la Commission, soit qu’en l’absence d’une entente visant à modifier les droits de l’employeur prévus à l’article 7, la Commission n’a pas accueilli de plaintes relatives à un gel qui portait sur des droits de la direction réservés.

[145] Bien que je ne puisse pas ignorer le libellé simple et clair de l’article 7, j’éprouve quelques difficultés à accepter la position du défendeur.

[146] D’abord et avant tout, le défendeur a soutenu que les droits réservés à l’article 7 sont intouchables à moins qu’il négocie volontairement leur renonciation dans le cadre des « compromis » de la négociation collective. Cet argument peut être logique dans le contexte d’un gel des négociations, mais dans le contexte du gel lié à la demande d’accréditation prévu à l’article 56, la FPN n’aurait pas pu négocier sur cette question. Entre la date où elle a présenté sa demande d’accréditation (le 18 avril 2017) et la date officielle de son accréditation (le 12 juillet 2019), la FPN n’a aucun droit issu d’une convention collective pour les membres réguliers de la GRC. Jusqu’au moment de son accréditation, la FPN n’a aucun droit prévu par la loi de négocier une convention collective ou d’accepter que l’employeur modifie les conditions d’emploi. Pourtant, le défendeur a répété cet argument à plusieurs reprises, en indiquant qu’une condition d’emploi aurait pu être négociée afin de réserver les fonctions de facilitation des SPA aux membres réguliers, mais qu’elle ne l’a pas été.

[147] Deuxièmement, comme je l’ai déjà fait, je conclus que le défendeur est dans l’erreur en ce qui concerne l’orientation de la jurisprudence de la Commission. Dans un cas après l’autre, la Commission a conclu que l’existence d’une disposition d’une convention collective entre les parties ne constitue pas le facteur déterminant dans une plainte relative au gel, même en vertu de l’article 107 (le gel de la négociation). La Commission a été saisie de nombreuses plaintes qui ne comprenait aucune disposition négociée volontairement sur la condition d’emploi en question et elle a accordé de nombreuses réparations dans ces affaires, qui portaient sur : des licenciements au lieu de travail (dans Bibliothèque du Parlement), un congé payé pour certains dirigeants syndicaux (dans ASFC - Congé pour activités syndicales), les heures de travail prévues (dans Traducteurs parlementaires), l’accès à des heures de travail comprimées (dans Bureau fiscal de Sudbury) et les qualifications requises pour obtenir une promotion au grade de sergent ou de sergent d’état-major (Règles sur les promotions de la GRC).

[148] Troisièmement, la FPN a présenté des arguments solides selon lesquels le sens de l’article 7 dépend non seulement du libellé, mais aussi du contexte et de l’objet, y compris le contexte et l’objet de l’article 56. Après avoir examiné ces arguments, ainsi que ceux présentés par le défendeur, je conclus que les deux dispositions ne sont pas en conflit et qu’elles peuvent être lues et fonctionner ensemble dans le régime de la Loi. À cet égard, je trouve utile la décision rendue par la majorité des juges de la CSC dans Wal-Mart.

[149] Dans ce cas, un magasin Wal-Mart situé à Jonquière (Québec) a fermé ses portes et mis fin aux contrats d’emploi des quelque 200 employés qui y travaillaient. Cet événement est survenu à la suite de l’accréditation d’un syndicat en tant qu’agent négociateur de ces employés et pendant la négociation d’une première convention collective. Le syndicat a allégué que le renvoi des employés représentait un changement de leurs conditions d’emploi qui enfreignait l’article 59 du Code du travail du Québec, lequel code prévoit qu’à compter du dépôt d’une requête en accréditation, un employeur ne doit pas modifier les conditions de travail de ses salariés sans le consentement écrit de l’association accréditée. En confirmant la décision d’un arbitre selon laquelle la fin des contrats d’emploi constituait un changement unilatéral interdit en vertu de l’article 59, elle a formulé des commentaires sur le contexte législatif, les objectifs et le rôle de l’article 59 du Code du travail du Québec et sur son interaction avec les pouvoirs de la direction qui s’appliquent tout aussi bien à l’interprétation de la Loi.

[150] Comme le défendeur l’a soutenu, le libellé de l’article 7 de la Loi est assez précis et sans équivoque. En anglais, il indique que « Nothing in this Act is to be construed as affecting the right or authority of the Treasury Board […] » quant à l’administration de tout secteur de l’administration publique fédérale, à l’attribution des fonctions à la classification de ces postes et personnes. La version française de la disposition ne contient pas l’élément d’interprétation, et on pourrait dire qu’elle est encore plus sans équivoque : « La présente loi n’a pas pour effet de porter atteinte au droit ou à l’autorité du Conseil du Trésor […] ». À l’instar des autres conditions d’emploi qui pouvaient être couvertes par cet article, l’article 7 de la Loi indique clairement que l’attribution de fonctions est assujettie à l’exercice, par l’employeur, de ses pouvoirs de la direction.

[151] Dans le cadre de son exposé sur le fait que la condition d’emploi continu comprend aussi le pouvoir de l’employeur de mettre fin au contrat d’emploi, même dans le contexte d’un gel prévu par la loi, la CSC a indiqué dans Wal-Mart, au paragraphe 44, que « [l’]article 59 ne modifie pas cet état de fait et de droit ».

[152] De même, rien dans le libellé de l’article 56 de la Loi n’a pour effet d’éliminer ou même de geler entièrement les droits conférés à l’employeur à l’article 7. Plutôt, l’article 56 indique que « […] l’employeur ne peut modifier les conditions d’emploi applicables aux fonctionnaires de l’unité de négociation proposée et pouvant figurer dans une convention collective […] ». Il circonscrit le pouvoir discrétionnaire de l’employeur d’apporter des modifications à certaines conditions d’emploi, pendant une période donnée (comme il est indiqué aux alinéas 56a) et b)) et prévoit certaines exceptions s’y afférant (« […] except under a collective agreement or with the consent of the Board […] » dans la version anglaise). Dans la version française de l’article 56 de la Loi, on indique aussi que « […] l’employeur ne peut modifier les conditions d’emploi applicables aux fonctionnaires […] sauf si les modifications se font conformément à une convention collective ou sont approuvées par la Commission […] » et on prévoit la même période applicable aux alinéas 56a) et b).

[153] Encore une fois, dans le cadre de son exposé sur l’article 59 du Code du travail du Québec semblable, la CSC dans Wal-Mart, s’est exprimée en ces termes au paragraphe 47 :

[…] afin d’éviter la paralysie de l’entreprise, elle laisse à l’employeur son pouvoir général de gestion. Survivant à l’arrivée du syndicat, ce pouvoir se trouve toutefois désormais encadré par la loi. Il doit être exercé « à l’intérieur des normes qui s’imposaient antérieurement et selon les pratiques qui avaient cours dans l’entreprise » […]

[Renvoi omis]

 

[154] La majorité de la CSC dans Wal-Mart a poursuivi ainsi au paragraphe 48, en disant que « […] l’employeur ne peut se limiter à prétendre que sa décision est conforme aux pouvoirs que lui attribuaient le contrat individuel de travail et le droit commun avant le dépôt de la requête en accréditation ». L’employeur doit plutôt « […] continuer à agir comme il le faisait, ou l’aurait fait, avant cette date […] » (Wal-Mart, au paragraphe 48, le passage en évidence l’est dans l’original). Comme il en a été question dans les sections précédentes de la présente décision, c’est aussi de cette façon que la Commission a toujours interprété et appliqué les dispositions relatives au gel prévu par la loi de la Loi.

[155] Selon le libellé de l’article 56 de la Loi et le cadre d’analyse correspondant pour les plaintes relatives à un gel prévu par la loi exposés précédemment dans la présente décision, l’employeur conserve ses droits de la direction. Par conséquent, l’application des deux dispositions n’entraîne aucun conflit à mon avis. Une telle approche est aussi conforme aux objectifs du gel prévu par la loi. Dans Wal-Mart, la CSC a indiqué que « […] l’art. 59 ne vise pas seulement à créer un équilibre ni à assurer le statu quo, mais plus exactement à faciliter l’accréditation et à favoriser entre les parties la négociation de bonne foi de la convention collective […] » (au paragraphe 34). La CSC a aussi affirmé qu’il « […] importe de reconnaître la fonction véritable de l’art. 59, qui consiste à favoriser l’exercice du droit d’association […] » (Wal-Mart, au paragraphe 36).

[156] Conformément à ce droit d’association, l’article 5 de la Loi prévoit que : « Le fonctionnaire est libre d’adhérer à l’organisation syndicale de son choix et de participer à toute activité licite de celle-ci. » De même, l’article 56 se trouve à la section 5 de la partie 1 de la Loi, intitulée « Droits de négociation », sous l’en-tête « Accréditation des agents négociateurs ». Le libellé de l’article 56 le lie à la demande d’accréditation. Une fois accréditée, une organisation syndicale devient l’agent négociateur des employés de l’unité de négociation et peut par la suite conclure une convention collective avec l’employeur. La Loi prévoit l’obligation d’entamer des négociations collectives de bonne foi (voir les articles 106 et 110). En ce qui concerne la négociation collective et les conditions d’emploi, le préambule de la Loi reconnaît entre autres que « la négociation collective assure l’expression de divers points de vue dans l’établissement des conditions d’emploi »; que « le gouvernement du Canada s’engage à résoudre de façon juste, crédible et efficace les problèmes liés aux conditions d’emploi »; et que « le gouvernement du Canada reconnaît que les agents négociateurs de la fonction publique représentent les intérêts des fonctionnaires lors des négociations collectives, et qu’ils ont un rôle à jouer dans la résolution des problèmes en milieu de travail et des conflits de droits ».

[157] Si je devais souscrire à la thèse avancée par le défendeur, je priverais l’article 56 de la majeure partie de son objet. Encore une fois, comme il est indiqué dans Wal-Mart, au paragraphe 49, « permettre [à l’employeur] de continuer à utiliser ses pouvoirs de gestion comme si rien n’avait changé reviendrait […] à lui permettre de faire ce que la loi vise pourtant à prohiber ». Plutôt, le fait que les articles 7 et 56 s’appliquent reconnaît qu’une fois que l’employeur est informé de la demande d’accréditation, il fait face à un nouvel ordre de relations de travail dont il doit tenir compte dans l’exercice de son pouvoir de gestion (voir Wal-Mart, au paragraphe 51).

[158] En ce qui concerne l’interprétation susmentionnée, je prends note de la réplique du défendeur à l’argument de l’AFPC selon lequel un employeur serait en mesure de reclassifier des postes pour miner délibérément une démarche d’accréditation, si l’interprétation de l’article 7 du défendeur devait être accueillie.

[159] Le défendeur a répliqué qu’un employeur ne pouvait pas délibérément miner une démarche d’accréditation en reclassifiant des postes. S’il le faisait, il pourrait être visé par une plainte en matière d’hostilité syndicale.

[160] Le défendeur n’a pas expliqué de façon détaillée de quelle façon une telle plainte pourrait être déposée, mais le mécanisme pour ce genre de plainte sur habituellement une plainte pour pratique déloyale de travail en vertu de l’article 186 de la Loi. Cet article indique qu’il est interdit à l’employeur ainsi qu’à toute personne agissant pour le compte de celui-ci et à tous les officiers de la GRC de « […] participer à la formation ou à l’administration d’une organisation syndicale ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des fonctionnaires par celle-ci […] ». Autrement dit, si une personne comme le comm. adj. Breton avait délibérément reclassifié les postes afin de nuire à la formation de la FPN, il aurait été possible de déposer une plainte en vertu de l’article 186 et d’obtenir une réparation à cet égard.

[161] Cette conclusion semblerait minée par le sens que le défendeur cherche à donner à l’article 7 de la Loi. Si, en fait, rien dans la Loi n’avait pour effet de toucher les droits de l’employeur d’attribuer des fonctions et de classifier des postes, cette conclusion aura logiquement une incidence sur l’article 186 et sur l’article 56. Comme l’a soutenu l’AFPC, il s’agit de la prolongation logique de l’interprétation textuelle de l’article 7 que le défendeur demande à la Commission d’adopter.

[162] Bien entendu, le défendeur n’a pas soutenu que l’article 7 l’emporterait sur l’article 186; il a soutenu qu’une organisation syndicale pourrait déposer une plainte si un employeur avait reclassifié des postes afin de miner une démarche d’accréditation. Cependant, pour souscrire à cette thèse, il faut reconnaître que l’article 7 n’a pas préséance sur la disposition prévue à l’article 186 qui interdit à l’employeur d’intervenir dans la formation et l’administration d’organisations syndicales et d’agents négociateurs. J’en arrive à la même conclusion en ce qui concerne l’article 56 : il doit être respecté, et ce, même s’il fait entrer en jeu l’exercice des droits et pouvoirs indiqués à l’article 7.

D. Conclusions des arguments sur l’article 7

[163] Ni la jurisprudence ni mon interprétation de l’article 7 ne me portent à conclure que la condition qui a été gelée le 18 avril 2017 relevait exclusivement du droit illimité du Conseil du Trésor d’attribuer des fonctions ou de classifier des postes.

[164] La FPN a soutenu que la condition d’emploi en litige dans la présente plainte est celle décrite aux paragraphes 6 et 136 de Dépôt 1, soit que l’ensemble des fonctions liées à la facilitation des SPA étaient exécutées par des membres réguliers de la GRC. Elle a soutenu que cette condition était importante pour les membres réguliers de la GRC (voir Dépôt 1, au paragraphe 33). Les attentes des membres réguliers ont également été expliquées dans le témoignage de M. Buckingham. Tout en reconnaissant que l’employeur avait civilarisé certains postes, il a indiqué qu’il était important pour les membres de maintenir un accès à des postes comme le rôle de facilitateur des SPA à des fins d’avancement professionnel. Il a indiqué que la question de la civilarisation est importante pour ses membres, ce qui explique pourquoi la FPN tente de la régler par l’intermédiaire de la présente plainte relative au gel et à la table de négociation.

[165] Même si elle a contesté le rôle que jouent les attentes des employés à la deuxième étape de l’analyse (maintien du cours normal des affaires), même le défendeur a reconnu que les attentes des employés étaient prises en considération dans la question no 1 à la première étape de l’analyse. En fait, il n’a pas été contesté qu’avant le gel, tous les facilitateurs des SPA avaient été des membres réguliers.

[166] Je conclus que la condition d’emploi en litige dans le présent cas est l’attribution des fonctions des facilitateurs des SPA. Cette condition d’emploi est assujettie à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du défendeur en vertu de l’article 7 de la Loi. Toutefois, avant de présenter la demande d’accréditation, le défendeur avait exercé ce pouvoir discrétionnaire et attribué des fonctions de facilitation des SPA à des membres réguliers de la GRC uniquement. Il a gardé cette pratique pendant de nombreuses années. Ce faisant, il a établi une pratique antérieure claire. Conformément à la jurisprudence de la Commission, cela suffit à satisfaire au critère exposé à la question no 1. L’employeur a ensuite changé l’attribution de certaines fonctions de facilitateur des SPA, des membres réguliers de la GRC à des postes civils, pendant la période de gel, sans obtenir le consentement ou l’approbation de la Commission (questions nos 2 et 3). Dans Dépôt 1, j’ai déterminé que l’attribution des fonctions de facilitateur des SPA pouvait être incluse dans une convention collective (question no 4).

[167] Par conséquent, je conclus que la présente plainte satisfait aux éléments principaux énoncés à l’article 56 de la Loi. La seule question qu’il reste à trancher vise à savoir si la modification apportée par l’employeur s’inscrivait dans le cours normal de ses affaires.

V. L’analyse du cours normal des affaires

[168] Aux fins de revue, une plainte relative au gel qui répond au critère à la première étape de l’analyse peut toujours être rejetée si la modification apportée à une condition d’emploi a été effectuée conformément aux pratiques de gestion antérieures de l’employeur ou, comme la CSC l’a indiqué dans Wal-Mart, au paragraphe 55 « […] selon les paramètres qu’il s’est lui-même imposés avant la venue du syndicat chez lui […] » (citant Pakenham c. Union des vendeurs d’automobiles et employés auxiliaires, section locale 1974, UFCW, [1983] CanLII 3408 (TT)).

[169] En ce qui concerne l’application de l’analyse du cours normal des affaires, les parties ne s’entendaient pas sur la portée de l’examen de la Commission.

[170] La FPN a soutenu que la Commission devait examiner la pratique de gestion antérieure seulement en ce qui concerne les facilitateurs des SPA. Elle a soutenu que cette approche est conforme à celle à laquelle la Commission et d’autres commissions des relations du travail ont adopté pour se pencher sur les pratiques de gestion antérieure dans l’examen d’une plainte relative à un gel de cette nature. À titre d’exemple, dans SCFP – Chauffeurs d’autobus scolaires, la Commission du N.-B. a examiné la pratique seulement pour les 17 chauffeurs en question, et dans SCFP – Surintendants du trafic routier, elle s’est penchée seulement sur la pratique antérieure liée aux postes précis en litige.

[171] La FPN a également soutenu que la période de gel prévue par la loi pouvait même s’appliquer à des employés individuels, ce qui a été le cas dans Public Service Alliance of Canada v. Anishinabek Police Service, 2018 CanLII 81987 (CRTO). Dans ce cas, la CRTO avait déterminé que la disposition relative au gel visant à maintenir la relations employeur-employé dans son intégralité (au paragraphe 75) et qu’elle [traduction] « […] ne se limite pas à la tendance relative aux pratiques d’emploi » (au paragraphe 76), mais qu’elle peut même inclure le licenciement d’un seul employé (ce qui était la question en litige dans Anishinabek).

[172] Le défendeur a soutenu qu’il fallait examiner la pratique de la civilarisation à l’échelle de la GRC. En effet, la pratique de gestion en litige est plus étendue que celle au Dépôt : le cas porte sur le pouvoir de l’employeur de modifier des catégories par rapport à l’attribution de tâches et à la classification de postes pendant une période de gel, ce qui concerne la catégorie des membres réguliers à l’échelle du pays.

[173] Je reconnais que la jurisprudence regorge d’exemples où l’analyse de la pratique de gestion antérieure portait seulement sur le groupe précis touché par la modification alléguée apportée aux conditions d’emploi. Dans l’analyse qu’elle a faite dans Traducteurs parlementaires, la Commission s’est penchée sur le cours normal des affaires seulement en ce qui concerne le traitement de ces travailleurs; ASFC - Congé pour activités syndicales n’a examiné que le traitement antérieur d’une poignée de représentants syndicaux par l’employeur; Service correctionnel/heures de service a examiné le cours normal des affaires seulement pour 50 employés environ dont l’emploi avait été converti à un emploi à temps partiel; et Bureau fiscal de Sudbury ne portait que sur les pratiques antérieures de l’Agence du revenu du Canada à un endroit. Ni Whistler - Stationnement ou Victoria - Stationnement n’ont pas examiné la pratique antérieure de l’employeur à l’échelle de la GRC; la Commission a rejeté ces plaintes purement au motif des renseignements propres aux situations relatives au stationnement dans ces deux municipalités. Il est aussi utile que la FPN cite SCFP - Chauffeurs d’autobus scolaires, SCFP - Surintendants du trafic routier et Anishinabek.

[174] Toutefois, dans cette situation, je conclus qu’il est approprié de tenir compte de l’expérience à l’échelle de la GRC. D’un côté, la question en litige porte sur le statut de cinq postes de membres réguliers vacants, et pas de cinq postes occupés. La jurisprudence invoquée par la FPN sur ce point porte sur une modification apportée aux conditions d’emploi d’employés individuels. Même si la preuve indique que, dans le présent cas, un employé a pris sa retraite en tant que membre régulier afin d’occuper le poste AS-04 civil, cette décision n’a pas été imposée unilatéralement. Le membre a choisi de poser sa candidature pour ce poste. Autrement, aucun employé n’a vu son statut changer à cause de la création des postes AS-04 par la GRC. Bien que l’on puisse dire que la civilarisation de ces fonctions signifiait que certains membres réguliers auraient un accès réduit à une permutation dans le rôle de facilitateur des SPA, aucune preuve ne m’a été présentée sur des répercussions individuelles. Le défendeur a fait valoir que son pouvoir de classifier des postes et d’attribuer des fonctions aux facilitateurs des SPA n’était pas lié à des membres ou à des employés civils individuels; toutefois, à mon avis, le fait que les postes étaient vacants est pertinent pour déterminer l’étendue de la portée à appliquer à l’analyse du cours normal des affaires. Quoiqu’il en soit, il serait inapproprié de trancher la question sans examiner entièrement la preuve présentée par l’employeur sur le cours de ses affaires normales à l’échelle de la GRC.

[175] Je fais remarquer d’entrée de jeu qu’aucune des parties n’a soutenu que la Commission devrait se pencher sur le processus en vertu duquel des membres civils de la GRC sont réputés être des employés de la fonction publique, dans le cadre de l’initiative Catégories d’employés de l’a GRC.

[176] Par conséquent, mon analyse du cours normal des affaires tient compte de la pratique antérieure de la GRC en ce qui concerne la civilarisation des fonctions ou emplois des membres réguliers.

[177] Je résumerai la preuve sous quatre en-têtes et je terminerai par la présentation et l’analyse des arguments des parties.

A. La civilarisation en 2012-2013

[178] M. Jay a livré un témoignage détaillé sur une initiative lancée en 2012 et qui a donné lieu à la civilarisation de centaines d’emplois de membres réguliers. Il était l’auteur d’une présentation faite à l’État-major supérieur (EMS) le 1er juin 2012 sur le sujet. Le plan de civilarisation s’inscrivait dans la réponse de la GRC au Plan d’action de réduction du déficit (PARD) du gouvernement fédéral et il projetait des économies d’environ neuf millions de dollars par année par la civilarisation d’environ 325 emplois.

[179] M. Jay a témoigné que même si le PARD était l’une des principales raisons à plan de civilarisation qu’il proposait, l’autre force motrice était une pénurie de policiers de première ligne. En temps normal, les vacances dans les postes de première ligne sont corrigées par le recrutement et la formation au Dépôt; toutefois, le problème de vacance était si important que la GRC a dû mener un examen pour déterminer si elle utilisait adéquatement les agents où elle en avait le plus besoin.

[180] M. Jay a témoigné que le cadre de base pour l’initiative de civilarisation de 2012 exigeait de se demander si un emploi exigeait d’avoir « un insigne et un pistolet ». La GRC s’est aussi demandé si l’emploi exigeait d’avoir une expérience ou une expertise en tant que policier et si une personne autre qu’un membre régulier pouvait acquérir cette expérience.

[181] La proposition faite à l’EMS en juin 2012 visait à civilariser environ 250 de 640 emplois aux Ressources humaines. Parmi les autres emplois proposés aux fins de civilarisation en 2012, notons certains dans le secteur de l’intégrité professionnelle (trois emplois sur 37 examinés), la planification stratégique (17 emplois sur 94) et le bureau du dirigeant principal des finances (28 sur 52). Les autres secteurs examinés comprenaient les affaires publiques (143 emplois examinés) et l’audit interne (40 emplois examinés), mais aucune proposition de civilarisation n’a été présentée pour ceux-ci au cours de cette première phase du PARD.

[182] Il convient de mentionner que dans la proposition de juin 2012, on a recommandé de laisser les 87 emplois de facilitateur au Dépôt être occupés par des membres réguliers.

[183] Je mentionne aussi que, quand on a interrogé le comm. adj. Breton au sujet de cette recommandation en contre-interrogatoire, il a témoigné qu’il l’ignorait quand il a décidé d’approuver la création des cinq postes AS-04. Il a indiqué qu’il en est devenu au courant seulement avant l’audience.

[184] En tout, en juin 2012, l’EMS a approuvé la civilarisation de 256 emplois, mais a demandé de mener d’autres examens.

[185] Une deuxième ronde de propositions a été présentée à l’EMS en mars 2013. M. Jay a également participé à la création de cette ronde. Dans cette présentation, on disait qu’une cible de 270 emplois de membres réguliers avait été fixée. Le document de M. Jay proposait en fait la civilarisation de 118 emplois supplémentaires, dans des secteurs comme les affaires publiques (relations avec les médias), les services à la clientèle/planification stratégiques et les services de police spécialisés (y compris l’informatique).

[186] M. Jay a témoigné que le processus d’examen mené en 2012-2013 s’est effectué en grande partie en fonction de codes d’emploi, mais que la GRC a également songé à effectuer de nouveaux regroupements des tâches. Il a donné, en guise d’exemple, un code d’emploi dans les services de police spécialisée qui compte 10 emplois, et le commandant divisionnaire a réussi à civilariser 4 des 10 postes en modifiant la distribution des tâches.

[187] Le comm. adj. Breton a témoigné qu’il a aussi joué un rôle quelconque dans la civilarisation des emplois en 2012-2013, quand il occupait le poste d’agent d’apprentissage du perfectionnement professionnel à la Direction générale de la GRC. L’unité où il travaillait avait civilarisé cinq emplois de membres réguliers qui effectuaient du travail de dotation. Les nouveaux employés civils travaillaient avec les membres réguliers.

B. Tendances en matière de dotation à l’échelle de la GRC

[188] M. Lavery a livré un témoignage sur les niveaux de dotation généraux à la GRC. Il a parlé d’un tableau montrant le nombre total d’employés de la GRC au cours des années 1999 à 2021, réparti en catégories principales (membres réguliers, membres civiles et employés de la fonction publique).

[189] Au cours de cette période de 22 ans, la proportion du total des employés qui travaillaient en tant que membres réguliers est passée de 65 % à 55 %. Au cours de la même période, la proportion du total des employés qui travaillaient en tant qu’employés de la fonction publique est passée de 22 % à 33 %.

[190] M. Lavery a également témoigné sur les données de civilarisation indiquées dans le SIGRH de la GRC, qui montrent la conversion directe des emplois de membres réguliers. Au cours de la période allant du 1er janvier 2014 au 16 septembre 2019, 32 emplois de membres réguliers au total ont été convertis en postes d’employés de la fonction publique (y compris les cinq en litige dans la plainte en l’espèce). Vingt-huit postes de membres réguliers supplémentaires ont été convertis à un statut de membre civil au cours de cette période. Le total de 60 emplois visés par la civilarisation comprenait 21 postes de direction, 17 postes au renseignement criminel, six postes à la formation, quatre postes aux ressources humaines, trois postes aux communications, trois postes en soutien stratégique/opérationnel, tandis que les autres se trouvaient dans des secteurs comme la gestion des services de santé, les dossiers et la planification des risques/urgences.

[191] M. Lavery a également témoigné de données indiquant des conversions indirectes, comme quand l’emploi d’un membre régulier a été désactivé à la suite d’une civilarisation, et un lien menant à la création d’un nouveau poste d’employé de la fonction publique pouvait être identifié. Au cours de la période allant du 1er janvier 2010 au 18 avril 2017, 365 emplois de membres réguliers au total ont été supprimés. De ce nombre, 285 étaient directement liés à un poste d’employé de la fonction publique ou de membre civil. La moitié de ces suppressions environ est survenue au cours des années qui coïncidaient avec la civilarisation issue du PARD.

C. La civilarisation dans la région du nord-ouest de la GRC

[192] Mme Buchan a témoigné de son expérience personnelle de la civilarisation dans la région du nord-ouest de la GRC, dont elle est responsable (qui comprend le Dépôt, ainsi que l’Alberta, la Saskatchewan, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut).

[193] À l’instar de M. Lavery, elle a témoigné que la civilarisation peut parfois être effectuée par une conversion directe, c.-à-d. en convertissant une case de membre régulier dans l’organigramme à la catégorie de membre civil ou d’employé de la fonction publique. La conversion peut aussi être effectuée indirectement, quand la case du membre régulier est supprimée et qu’une nouvelle case est créée au moyen de l’une des autres catégories.

[194] En ce qui concerne la conversion directe, Mme Buchan a parlé d’un tableau couvrant la période du 2 août 1996 (la date de début du SIGRH actuel de la GRC) au 1er août 2020. Ce tableau présentait sept emplois au Dépôt qu’elle avait fait passer d’un statut de membre régulier à celui d’emploi de la fonction publique (dont cinq sont les postes de facilitateur des SPA) et six qui ont été changés à un statut de membre civil.

[195] Dans un autre tableau de donnée, on présentait les activités de civilarisation directe et indirecte auxquelles Mme Buchan a participé du 4 avril 2017 au 19 mars 2021, en Saskatchewan (la « Division F ») ou au Dépôt (la « Division T »). Le nombre total d’emplois civilarisés de façon permanente au Dépôt pendant cette période s’établissait à neuf (y compris les cinq facilitateurs des SPA). Le total pour la Division F s’établissait à quatre. En contre-interrogatoire, elle a parlé de ces quatre postes, qui comprenaient ceux de directeur, Communications/relations avec les médias, de responsable de l’informatique de la Division (un emploi en information et en radioélectronique), de responsable de la planification stratégique (la planification stratégique liée aux services de police contractuels) et de conseiller en mesures d’adaptation non médicales (un emploi des RH qui gérait principalement des problèmes liés aux mesures d’adaptation pour la situation familiale).

D. Autres exemples individuels de civilarisation

[196] Mme Buchan a témoigné qu’avant 2014, la GRC pouvait recourir aux services d’employés civils temporaires pour répondre à certains de ses besoins en dotation au Dépôt. Quand cette pratique a cessé, elle a créé des postes civils afin de faciliter les parties du PFC qui portent sur le maniement d’armes à feu et sur la conduite. Mme Buchan a témoigné qu’elle a utilisé la justification pour classifier le poste lié au maniement d’armes à feu au groupe et au niveau AS-04 quand elle a envisagé de classifier les postes de facilitateur des SPA AS-04 à ce groupe et à ce niveau. Cela ne semble toutefois pas être un cas de civilarisation. En fait, Mme Buchan et le s. é.-m. Tremblay ont témoigné qu’au moins un des postes d’instructeur de tir a été reconverti à un emploi de membre régulier en 2020, quand la GRC a été incapable de le pourvoir.

[197] Mme Buchan a témoigné sur la civilarisation de l’emploi de coordonnateur de la formation de l’unité de conditionnement opérationnel, qui supervise trois membres réguliers et cinq employés de la fonction publique qui donnent une formation en conditionnement physique aux cadets. La mesure de classification approuvant la création de ce rôle au groupe et au niveau ED-EDS-02 a été prise en mars 2019.

[198] Le comm. adj. Breton a témoigné de la civilarisation possible du rôle d’agent de liaison avec les cadets au Dépôt, qui a été décrit comme semblable à celui de conseiller en orientation pour les cadets. En septembre 2018, il a approuvé une description de travail qui a donné lieu à l’attribution des fonctions d’un emploi de caporal à un poste AS-03. Le comm. adj. Breton et M. Buckingham ont tous deux témoigné sur une discussion qu’ils ont eue en août 2020 sur la civilarisation de ce poste. À ce moment-là, la FPN avait été accréditée et le comm. adj. Breton a indiqué qu’il souhaitait obtenir son avis sur la proposition. La FPN s’est opposée à l’idée, en indiquant qu’elle ne croyait pas qu’un employé de la fonction publique posséderait l’expérience requise pour occuper ce rôle auprès des cadets. La GRC n’est pas allée de l’avant avec la civilarisation de ce poste.

E. Les arguments sur le cours normal des affaires de la plaignante

[199] Comme il a été indiqué, la plaignante a soutenu que l’analyse du cours normal des affaires devait se concentrer sur l’approche adoptée par la GRC à l’égard des fonctions de facilitateur des SPA. Elle a affirmé qu’il n’existait aucune preuve selon laquelle un employé de la fonction publique avait déjà occupé le rôle avant le début de la période de gel. Les fonctions avaient toujours été exécutées par des membres réguliers, qui occupaient ce poste en rotation à des intervalles de trois à cinq ans.

[200] La FPN a fait valoir que cette pratique de gestion antérieure était confirmée en 2012, quand l’employeur s’était demandé si ces emplois devaient être civilarisés et qu’il avait décidé de ne pas le faire. M. Jay a témoigné qu’il avait formulé cette recommandation à la lumière des commentaires présentée par le commandant divisionnaire du Dépôt à ce moment-là. Autrement dit, il est possible de prouver que quand la direction a parlé de la civilarisation de ces emplois avant le gel, elle a décidé de ne pas aller de l’avant.

[201] Si la Commission examine la civilarisation à l’échelle de la GRC, la FPN a soutenu qu’il n’existe aucune preuve d’une pratique antérieure de gestion en vertu de laquelle les fonctions comme celles d’un facilitateur des SPA étaient attribuées à un poste d’employé de la fonction publique. En 2012-2013, la civilarisation était dirigée par le processus du PARD. Bien que M. Jay ait affirmé que la remédiation aux vacances dans les postes de première ligne constituait aussi un facteur dans ce processus de civilarisation, le comm. adj. Breton, le s.é.-m. Tremblay et M. Buckingham ont tous témoigné qu’ils comprenaient que la réduction des coûts était la principale raison derrière le processus mené en 2012-2013.

[202] En ce qui concerne les résultats, la phase I de la civilarisation en vertu du PARD se concentrait sur des emplois dans le secteur des Ressources humaines, tandis que la phase II se concentrait sur les services généraux, la planification stratégique, les finances, l’audit interne et les relations avec les médias. La plupart de ces emplois se trouvaient à la Direction générale et n’exigeaient pas de posséder une expérience opérationnelle en services de police, selon ce que soutient la FPN. Qui plus est, aucun des exemples de civilarisation menée de 2014 à 2019 dont M. Lavery a témoigné n’était d’une nature semblable aux emplois en litige en l’espèce. Ces emplois étaient des postes de direction (à l’extérieur de la portée de cette unité de négociation et, par conséquent, non pertinents) ou d’analystes de renseignement criminel, des postes dans le secteur des ressources humaines ou d’autres emplois clairement administratifs.

[203] Le rôle de facilitateur des SPA se distingue de tous les autres exemples de civilarisation déposés en preuve, a soutenu la FPN. Non seulement le rôle exige-t-il de posséder une expérience opérationnelle des services de police, mais l’employeur a aussi indiqué clairement qu’il entendait recruter des membres réguliers à la retraite pour pourvoir les cinq postes AS_04. Elle a soutenu qu’il n’existait aucune pratique antérieure en vertu de laquelle un emploi de membre régulier de cette nature avait été converti à un statut de membre civil ou à un poste d’employé de la fonction publique.

[204] Qui plus est, la FPN a soutenu qu’il n’existait aucune pratique antérieure en vertu de laquelle des employés civils travaillaient aux côtés de membres réguliers et qu’ils occupaient le même emploi, dont l’expérience opérationnelle en services de police représentait un aspect essentiel. La majeure partie de la civilarisation effectuée antérieurement l’avait été au moyen de codes d’emploi (c.-à-d. quand l’emploi dans son ensemble était converti). Quand une approche hybride a été utilisée, les emplois étaient toujours de nature administrative.

F. Les arguments sur le cours normal des affaires du défendeur

[205] Le défendeur a soutenu que la civilarisation constituait une pratique antérieure de gestion uniforme et de longue date avant le dépôt de la demande d’accréditation par la FPN.

[206] Il a mentionné le processus de civilarisation mené de 2012 à 2013, qui portait sur la conversion de centaines d’emplois de membres réguliers à des postes de la fonction publique. Ce processus a prouvé que l’employeur a conservé son droit de classifier des postes et qu’il s’est prévalu de ce droit.

[207] Il a soutenu que la décision de ne pas civilariser les postes de facilitateurs au Dépôt en 2012-2013 n’enlève rien au fait qu’une civilarisation répandue a été effectuée dans de nombreuses catégories d’emplois au-delà de ceux dans le secteur des ressources humaines.

[208] Le processus général de civilarisation a été confirmé par le témoignage de M. Lavery, qui a indiqué que le pourcentage de membres réguliers en tant que proportion de l’effectif total de la GRC baissait, tandis que celui des employés de la fonction publique augmentait, selon ce que le défendeur a fait valoir.

[209] Au total, M. Lavery et Mme Buchan ont présenté quatre documents opérationnels qui montraient que la civilarisation des emplois de membres a régulièrement lieu depuis 2013.

[210] Il n’y avait pas suffisamment de preuves sur les fonctions de ces autres postes civilarisés pour conclure qu’ils sont de nature différente, selon ce que le défendeur a prétendu. Le titre et la classification du poste ne permettent pas à eux seuls de tirer cette conclusion. Quand on l’a questionné en contre-interrogatoire sur la nature des fonctions d’emploi exécutées dans plusieurs postes, M. Lavery a été incapable de présenter un témoignage détaillé sur celles-ci. La Commission ne devrait pas se fonder sur les titres des postes pour conclure que les postes de facilitateur des SPA étaient d’une nature considérablement différente.

[211] Même s’il a adopté la position selon laquelle les attentes raisonnables des employés ne font pas partie de l’analyse du cours normal des affaires, le défendeur a soutenu qu’il était raisonnable pour les employés de s’attendre à ce que la pratique de la civilarisation se poursuive et qu’elle comprenne éventuellement les emplois au Dépôt. Le fait que les deux témoins appelés par la plaignante ne savaient pas au sujet de la civilarisation des emplois de membres réguliers à l’extérieur du processus du PARD ne prouve pas l’absence d’attente raisonnable, compte tenu du nombre d’emplois civilarisés à compter de 2012.

[212] Le défendeur a soutenu que le contexte entourant la décision de civilariser des emplois ne doit pas constituer un facteur important. La question en litige dans la présente affaire est la décision de civilariser, et pas les raisons pour le faire. Néanmoins, les facteurs qui ont influencé le processus mené en 2012-2013 ne se limitaient pas à la réduction des coûts. M. Jay a témoigné que les taux de vacance élevés dans les postes de premières lignes étaient aussi un facteur important et que le processus était conçu pour garantir que les fonctions et les emplois étaient bien ajustés. Ces éléments ont tous été eux aussi des facteurs dans la décision de civilariser les emplois de facilitateur des SPA. L’analyse de rentabilisation élaborée par le comm. adj. Breton indiquait la stabilité du programme, la nécessité d’avoir des membres réguliers dans les emplois de première ligne et les économies de coûts étaient d’autres facteurs dans cette décision. Le comm. adj. Breton visait à garantir un bon ajustement entre les fonctions et les emplois, ce qui était conforme à la façon dont la GRC prenait ses décisions en ce qui concerne la civilarisation depuis 2012.

G. L’analyse du cours normal des affaires

[213] Au moment d’évaluer ces arguments, je garde à l’esprit que le fardeau de la preuve appartient à la plaignante dans le cas d’une analyse du cours normal des affaires (voir Whistler - Stationnement, aux paragraphes 54 à 62, qui suit Wal-Mart, au paragraphe 54). Aucune inversion du fardeau de la preuve n’est imposée au défendeur.

[214] Par conséquent, il incombe à la plaignante de présenter sa thèse en ce qui concerne la raison pour laquelle une modification particulière n’est pas conforme à la pratique antérieure de gestion; en réponse, le défendeur peut présenter sa preuve afin de contredire la plaignante. La Commission a le mandat d’apprécier l’ensemble de la preuve et de tirer une conclusion sur la question de savoir sur la modification apportée à la condition d’emploi n’était pas conforme à la pratique antérieure de gestion.

[215] Au vu de l’ensemble de la preuve que j’ai entendue, j’ai conclu que ce cas particulier de civilarisation n’était pas conforme au cours normal des affaires de la GRC.

[216] Je suis tout à fait convaincu que la GRC s’est réorientée afin de recourir davantage aux services d’employés de la fonction publique et de confier un rôle proportionnellement moindre aux membres réguliers dans la composition générale de son effectif. Le tableau présenté par M. Lavery indiquait qu’il y a 22 ans, les membres réguliers formaient 65 % du total, tandis qu’ils n’en représentent seulement que 56 % aujourd’hui. Au cours de la même période, la proportion du total des employés qui travaillaient en tant qu’employés de la fonction publique est passée de 22 % à 33 %.

[217] Toutefois, en examinant ce tableau, je constate qu’au cours de ces 22 années, le nombre de membres réguliers a effectivement baissé, mais seulement pour les 3 années suivantes : en 2012-2013 (de 123), en 2013-2014 (de 196) et en 2017-2018 (de 6). Pour chacune des autres années, le nombre de membres réguliers a augmenté. Au cours de la période de 22 ans, la population totale d’employés de la GRC est passée de 23 151 à 38 149 (une augmentation de 65 %). Au cours de cette période, le nombre de membres réguliers est passé de 15 065 à 21 435 (une augmentation de 42 %), tandis que le nombre d’employés de la fonction publique est passé de 5 208 à 12 471 (une augmentation de 239 %). Autrement dit, le tableau montre que le taux de croissance pour les postes d’employés de la fonction publique a été beaucoup plus élevé que celui pour les membres réguliers. Il s’agit d’une indication claire de l’utilisation accrue d’employés civils pour exécuter le travail de la GRC, mais pas d’une preuve de civilarisation répandue.

[218] Le seul endroit dans ce tableau où l’on constate une baisse considérable du nombre d’emplois de membres régulier et qui correspond à des augmentations des employés de la fonction publique concerne les deux années (2012-2013 et 2013-2014) qui chevauchent la civilarisation effectuée en vertu du PARD que M. Jay a expliquée de façon détaillée.

[219] La civilarisation effectuée en vertu du PARD était manifestement importante : la présentation de M. Jay indique qu’environ 375 emplois ont été civilarisés au cours des deux parties de cet exercice.

[220] En outre, il ne fait aucun doute que d’autres emplois ont également été civilarisés depuis le PARD. Les témoignages de M. Lavery et de Mme Buchan sur les quatre documents opérationnels qu’ils ont déposés le prouvent. Étant donné que certains de ces documents opérationnels chevauchent le PARD et se chevauchent mutuellement, et il est quelque peu difficile de savoir exactement combien d’emplois ont été civilarisés depuis 2014. La liste la plus complète est le tableau qui couvre les années 2014 à 2019 présenté par M. Lavery, qui indique 60 cas d’emplois de membres réguliers qui ont été remplacés par des postes d’employés de la fonction publique ou de membres civils. Il s’agit plus que d’une rare occurrence.

[221] Tous ces processus de civilarisation différents, y compris celui lié aux facilitateurs des SPA, avaient certains points en commun. L’évaluation qui permet de déterminer si l’emploi peut être effectué par un civil est ancrée dans l’analyse qui vise à déterminer s’il faut posséder « un insigne et un pistolet ». La nécessité de maintenir en poste des membres réguliers dans les emplois de première ligne afin de satisfaire aux exigences de la GRC en ce qui concerne les services de police contractuels était aussi un facteur commun. La question de la réduction des coûts l’était aussi : bien qu’elle fût plus dominante au cours du processus du PARD de 2012-2013, elle demeurait un facteur dans l’analyse menée par le comm. adj. Breton sur les fonctions du poste de facilitateur des SPA.

[222] Qui plus est, la preuve montre que la direction a exercé régulièrement son droit de civilariser. Mme Buchan était personnellement responsable de confirmer le groupe professionnel de plusieurs postes civiles, ainsi que le groupe et le niveau de leur classification. Le défendeur a fait remarquer que parmi les témoins qui ont comparu devant moi, seule Mme Buchan avait le pouvoir de prendre ces décisions sur les postes civils au Dépôt.

[223] En même temps, je fais remarquer que le rôle que jouait Mme Buchan dans la certification de la classification d’un poste civile était en grande partie dicté par la direction. La preuve liée à cette affirmation comprend plusieurs exemples ou la direction a décidé de reconvertir un poste civil à un emploi de membre régulier parce qu’elle ne parvenait pas à recruter un employé de la fonction publique pour l’occuper. À titre d’exemple, c’est le cas pour l’un des postes d’instructeur de tir, ainsi que pour les deux postes bilingues AS-04 aux SPA qui ont éventuellement été reconvertis à un emploi de membre régulier.

[224] Dans mon évaluation, ce qui distingue les facilitateurs des SPA des autres exemples de civilarisation se trouve dans le caractère unique du rôle et dans le caractère unique de faire travailler des employés de la fonction publique et des membres réguliers ensemble dans une situation où ils doivent tous deux avoir une connaissance opérationnelle des services de police pour former des recrues. Même si, de toute évidence, les postes AS-04 n’exigent pas en soi de posséder « un insigne et un pistolet », la direction et la FPN reconnaissent toutes deux que seuls les policiers actuels ou anciens peuvent donner l’instruction, exécuter les scénarios des SPA, ainsi que surveiller et évaluer la progression des recrues dans le programme.

[225] C’est ce qui a été prouvé quand la direction a annoncé le projet, en mai 2019, et a indiqué qu’elle s’attendait à embaucher des membres réguliers à la retraite pour occuper ces postes. Le comm. adj. Breton a témoigné que la direction envisagerait aussi de recruter des policiers de forces provinciales ou municipales, mais une expérience des services de police demeurait nécessaire.

[226] Le défendeur a soutenu qu’une modification nécessaire a été apportée à la classification parce que les fonctions avaient été modifiées et que seule Mme Buchan possédait la formation requise pour déterminer comment les postes devraient être classifiés et à quel niveau. Cependant, le s. é-m. Tremblay et le comm. adj. Breton ont indiqué clairement dans leurs témoignages qu’ils avaient les mêmes fonctions, qu’ils soient des employés de la fonction publique ou des membres réguliers. La seule différence entre eux résidait dans le fait que les membres réguliers conservaient leur statut d’agents de la paix et pouvaient être appelés en cas d’urgence. Aucun élément de preuve n’a été présenté afin d’indiquer que cela représente une partie importance des fonctions réelles.

[227] Je n’ignore pas l’expertise considérable de Mme Buchan en ce qui concerne les groupes professionnels et les normes de classification au moment de déterminer la ressemblance entre les fonctions qu’exercent les deux types de facilitateurs des SPA, mais je suis bien plus convaincu par le témoignage de ceux qui connaissent le programme et le rôle en profondeur, soit le comm. adj. Breton et le s.é.-m. Tremblay. Ils ont tous deux indiqué que les fonctions liées à la facilitation étaient identiques pour les membres réguliers et les employés civils.

[228] Aucun autre exemple ne m’a été présenté afin de montrer que la GRC avait décidé de recourir à une forme hybride de civilarisation (où des employés civils travaillent aux côtés de membres réguliers) où le programme exige de posséder une expérience des services de police. M. Jay a témoigné que certaines approches hybrides avaient été adoptées en 2012-2013 dans les services de police spécialisés, sans donner d’autres détails. Le comm. adj. Breton a témoigné sur l’expérience positive obtenue avec l’approche hybride, mais cela concernait un rôle de dotation pour lequel l’expérience des services de police n’était pas une exigence d’emploi. Toutes les autres formes de civilarisation semblaient s’effectuer selon un code d’emploi (c.-à-d. tous les emplois qui utilisaient ce code étaient civilarisés).

[229] Je suis également convaincu par l’argument avancé par la FPN selon lequel la pratique antérieure de la civilarisation à la GRC se concentrait dans des domaines comme les ressources humaines, la planification stratégique, les relations avec les médias, l’analyse du renseignement, l’informatique et les postes de direction connexes. Bien qu’il soit vrai que l’on ne m’a pas présenté d’éléments de preuve détaillés sur les fonctions liées à ces postes, les titres de ces postes donnent toutefois une indication de leurs buts. Malgré l’argument avancé par le défendeur selon lequel ces emplois étaient semblables à ceux d’un facilitateur des SPA, comme il a été indiqué ci-dessous, la preuve déposée indique que les fonctions liées au poste de facilitateur des SPA étaient uniques, car seuls des policiers actuels ou anciens pouvaient donner l’instruction.

[230] Je trouve qu’il est facile de distinguer le rôle de facilitateur de celui de coordonnateur du conditionnement opérationnel au Dépôt, qui a été civilarisé au même moment environ (également après le début de la période de gel). Il s’agissait d’un rôle de superviseur de l’unité du conditionnement physique, qui comprenait quelques membres réguliers et un certain nombre d’employés de la fonction publique. Rien dans la description de travail n’indique qu’il faut posséder des connaissances spécialisées sur les services de police. La FPN n’a pas déposé une plainte relative au gel qui visait la civilarisation de ce poste.

[231] Les attentes des employés à l’égard de la civilarisation ne sont pas très importantes dans mon évaluation. Il ne fait aucun doute que les employés pouvaient raisonnablement s’attendre à ce que certains membres réguliers occupent le rôle aux SPA à tour de rôle, mais la question en l’espèce n’est pas liée à cette attente. Je souscris également à l’opinion du défendeur quand il affirme qu’il serait raisonnable pour les employés de savoir que de plus en plus d’emplois à la GRC étaient donnés à des employés de la fonction publique. En fin de compte, aucun des postes n’est particulièrement utile pour trancher les questions entourant la civilarisation des fonctions particulières dans le présent cas.

[232] Dans le cas des facilitateurs des SPA, la preuve non contestée indiquait que la direction de la GRC a pris une décision claire de ne pas civilariser le rôle pendant sa période la plus importante de civilarisation, en 2012. Cette situation n’a changé que lorsque le comm. adj. Breton a approuvé la création des postes AS-04, en 2019. En fin de compte, le comm. adj. Breton a avoué qu’il voulait (traduction) « essayer quelque chose de nouveau » quand il a décidé de lancer le processus de civilarisation de quelques postes aux SPA. Il a également témoigné qu’il savait qu’une période de gel était en vigueur, qu’il avait demandé des conseils sur la marche à suivre et qu’il avait décidé d’aller de l’avant au motif que les postes étaient vacants.

[233] L’article 56 de la Loi vise à favoriser l’exercice de droit d’association (voir Wal‑Mart, au paragraphe 36). Il exige à l’employeur de ne pas modifier la façon dont l’entreprise est gérée au moment de l’arrivée du syndicat et maintient les conditions de travail durant la période prévue par la loi (voir Wal-Mart, au paragraphe 37). La preuve de l’hostilité syndicale ne constitue pas un facteur essentiel pour trancher une telle plaine et je n’ai aucune raison de croire que le comm. adj. Breton a agi avec malice quand il a décidé d’aller de l’avant avec la modification en question. Toutefois, pour toutes les raisons susmentionnées, je suis d’avis que le choix qu’il a fait constituait une dérogation au cours normal de ses affaires, ce qui a donné lieu à une violation de l’article 56 de la Loi.

[234] En arrivant à ces conclusions, je ne dis pas que la GRC n’a pas le droit de civilariser des fonctions pendant une période de gel. Chaque cas repose sur des faits qui lui sont propres. Le rôle de facilitateur des SPA est une situation relativement unique, et les décisions et pratiques antérieures de gestion très précises ont été un facteur clé dans mon évaluation.

[235] Je ne porte pas non plus de jugement sur les fonctions liées au rôle de facilitateur des SPA ou sur les personnes qui devraient les exécuter. Les parties peuvent choisir ou non de les aborder dans les négociations collectives.

[236] Ma conclusion se limite à la modification particulière imposée pendant la période de gel prévue à l’article 56 dans le présent cas.

VI. Réparation

[237] La plaignante a proposé que les réparations suivantes soient ordonnées si la Commission déterminait que la plainte était fondée :

[Traduction]

[…]

a) Une déclaration selon laquelle l’employeur a contrevenu à l’article 56 de la LRTSPF;

b) Une directive selon laquelle la FPN et l’employeur doivent se rencontrer, dans les 30 jours suivant la date de cette ordonnance, afin de chercher à résoudre cette plainte;

c) Une directive selon laquelle cette réunion peut avoir lieu dans le cadre de la négociation collective en cours entre les parties;

d) Une directive selon laquelle la Commission demeure saisie d’une réparation définitive pour la présente plainte si celle-ci n’est pas réglée directement ou dans le cadre de la négociation collective;

e) Une directive selon laquelle les parties rendront compte à la Commission de leur progrès par rapport au règlement de cette question dans les quatre-vingt-dix (90) jours suivant la date de cette ordonnance.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

 

[238] En présentant ces propositions, la plaignante a insisté sur le fait qu’elle souhaitait s’employer à trouver une solution qui n’aura aucune incidence sur l’emploi des trois employés de la fonction publique qui occupent maintenant les postes AS-04.

[239] Le défendeur s’est opposé à l’élément c) de la liste présentée par la plaignante. Il a soutenu que la Commission ne devrait pas donner de directive sur les sujets à aborder dans le cadre du processus de négociation collective. Il a autrement accepté qu’une réparation qui n’a aucune incidence sur les trois employés est dans l’intérêt supérieur des parties, mais qu’à cause de la pandémie en cours, un délai de 90 jours pourrait être trop court.

[240] L’intervenante a indiqué qu’elle était d’accord avec une approche de réparation qui encourage les parties à trouver une solution n’ayant aucune incidence sur l’emploi des trois personnes en question.

[241] Les parties sont d’accord avec une approche générale à l’égard de la réparation pour la présente plainte, hormis l’élément c) dans la liste présentée par la plaignante et la durée pendant laquelle la Commission demeure saisie de l’affaire. Je ne vois aucune raison de modifier cette approche générale.

[242] Je comprends que la FPN propose à l’élément c) que les parties peuvent choisir de régler la question pendant la négociation collective. Je suis d’accord avec le fait qu’elles peuvent choisir cette option, mais je ne crois pas qu’il soit nécessaire de présenter cette option dans mon ordonnance. Les parties peuvent choisir cette option si elles le souhaitent.

[243] Je suis d’accord avec le fait qu’un délai de 90 jours ne laissera peut-être pas suffisamment de temps aux parties pour trouver une solution; si tel est le cas, elles peuvent joindre la Commission afin de demander une prorogation.

[244] Les deux parties indiquent qu’elles souhaitent que le statut d’emploi des trois employés embauchés aux postes AS-04 ne soit pas touché. Je leur conseille de consulter l’AFPC si la résolution a une incidence sur leur statut.

[245] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


VII. Ordonnance

[246] Je déclare que l’employeur a contrevenu à l’article 56 de la Loi.

[247] Les parties doivent se rencontrer, dans les 30 jours suivant la date de cette ordonnance, afin de chercher à résoudre cette plainte.

[248] La Commission demeure saisie de cette plainte pendant 90 jours suivant la date de cette ordonnance. Les parties rendront compte à la Commission au cours de ces 90 jours si elles ne parviennent pas à résoudre la question.

Le 28 juin 2021.

 

Traduction de la CRTESPF

David Orfald,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

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