Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La demanderesse a demandé une prorogation du délai pour présenter son grief au deuxième palier – sa demande était fondée sur le fait qu’elle avait besoin de temps pour obtenir des documents dont elle avait besoin afin de préparer adéquatement la présentation de son grief – elle a affirmé que l’employeur avait retiré des documents et des renseignements, ou lui avait refusé l’accès aux documents et aux renseignements dont elle avait besoin – en appliquant les critères énoncés dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, la Commission a conclu que la demanderesse avait présenté des raisons claires, logiques et convaincantes pour justifier la prorogation – une partie ne peut pas se préparer adéquatement si elle ne dispose pas de ce dont elle a besoin et, par souci d’équité, la demanderesse devrait pouvoir avoir accès au préalable à toute la documentation qu’elle juge pertinente avant de présenter son grief – elle n’a pas présenté sa demande en retard et a demandé une prorogation avant l’échéance, ce qui a démontré de la diligence – la Commission n’a pas accepté l’argument du défendeur selon lequel le refus d’accorder la demande ne causerait pas un préjudice à la demanderesse – au contraire, le refus pourrait l’empêcher de présenter ses arguments en totalité – la Commission n’a pas accepté non plus l’argument du défendeur selon lequel l’acceptation de la demande causerait un préjudice aux relations de travail de la fonction publique fédérale – il est de pratique courante de proroger les délais, parfois pour le longues périodes, après une entente mutuelle entre les parties – il est aussi de pratique courante pour les employeurs de répondre très tardivement aux griefs, surtout au dernier palier de la procédure de règlement des griefs – s’il existe de bonnes raisons de proroger, les relations de travail ne s’en porteront pas plus mal pour autant – la Commission a accueilli la demande de prorogation du délai, mais a fixé une date de fin à la prorogation pour ne pas laisser traîner les choses indûment – la Commission a déterminé que six mois à partir de la date de la décision devraient suffire pour que la demanderesse obtienne tous les documents dont elle dit avoir besoin pour présenter son grief au deuxième palier.

Demande accueillie.

Contenu de la décision

Date: 20210715

Dossier: 568-02-42505

 

Référence: 2021 CRTESPF 83

Loi sur la Commission

des relations de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral et

Loi sur les relations de travail

dans le secteur public fédéral

Armoiries

Devant une formation de la

Commission des relations

de travail et de l’emploi

dans le secteur public fédéral

ENTRE

 

Rosie Gagnon

demanderesse

 

et

 

Conseil du Trésor

 

(Ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux)

 

défendeur

Répertorié

Gagnon c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux)

Affaire concernant une demande visant la prorogation d’un délai visée à l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Devant : Renaud Paquet, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la demanderesse : Émile Arsalane

Pour le défendeur : Me Philippe Giguère, avocat

 

Décision rendue en se fondant sur des soumissions écrites

reçues le 28 mai, le 11 juin et le 14 juin 2021.


MOTIFS DE DÉCISION

I. Demande devant la Commission

[1] Rosie Gagnon, la demanderesse, occupait un poste de traductrice au Bureau de la traduction, qui fait partie du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, maintenant connu sous le nom Services publics et Approvisionnement Canada (l’« employeur » ou le « défendeur »). Le 4 mai 2020, la demanderesse a déposé un grief pour contester la décision de l’employeur de la renvoyer en cours de stage le 24 avril 2020. Son poste était classifié au groupe et au niveau TR-02 et il faisait partie d’une unité de négociation dont les membres sont représentés par l’Association canadienne des employés professionnels (ACEP).

[2] L’employeur a rejeté le grief de la demanderesse au premier palier de la procédure de règlement des griefs. Après une entente mutuelle entre les parties, le délai pour la présentation du grief au deuxième palier a été prorogé jusqu’au 31 janvier 2021. Au cours de l’année 2020, à un moment qui n’est pas ici précisé, la demanderesse a cessé d’être représentée par l’ACEP et, à partir de ce moment, c’est Émile Arsalane qui a assuré sa représentation.

[3] La demanderesse a soumis la présente demande le 27 janvier 2021. La Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission ») a fait parvenir une copie de la demande de prorogation au défendeur le 5 février 2021.

[4] Lorsqu’elle a soumis sa demande le 27 janvier 2021, la demanderesse a identifié l’ACEP comme une partie mise en cause. Me fondant sur ce qui m’a été soumis, je ne vois absolument rien qui justifie de mettre en cause l’ACEP. Elle n’a rien à voir avec la présente demande de prorogation de délai. Ce qui est ici en jeu est la prorogation du délai pour présenter un grief à l’employeur par une personne qui n’est plus représentée par son agent négociateur. J’ai donc décidé de ne pas impliquer l’ACEP dans la présente procédure.

[5] La demande de prorogation de délai vise à proroger le délai de présentation du grief au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. Les dispositions de la convention collective conclue entre l’ACEP et le Conseil du Trésor pour le groupe Traduction (TR) (date d’expiration le 18 avril 2022) portant sur les délais de la procédure de règlement des griefs se lisent comme suit :

30.19 L’auteur du grief peut présenter un grief à chacun des paliers de la procédure de règlement des griefs qui suit le premier :

a. lorsque la décision ou la solution ne donne pas satisfaction à l’auteur du grief dans les dix (10) jours qui suivent la date à laquelle la décision ou la solution lui a été communiquée par écrit par l’employeur;

ou

b. lorsque l’employeur n’a pas communiqué de décision à l’auteur du grief au cours du délai prescrit au paragraphe 30.20, dans les quinze (15) jours qui suivent la présentation de son grief au palier précédent.

30.20 À tous les paliers de la procédure de règlement des griefs sauf le dernier, l’employeur répond normalement à un grief dans les dix (10) jours qui suivent la date de présentation du grief et dans les vingt (20) jours lorsque le grief est présenté au dernier palier, sauf dans le cas d’un grief de principe, auquel l’employeur répond normalement dans les trente (30) jours. L’Association répond normalement à un grief de principe présenté par l’employeur dans les trente (30) jours.

[6] La demanderesse appuie sa demande sur le fait qu’elle a besoin de temps pour obtenir les documents dont elle a besoin afin de préparer adéquatement la présentation de son grief au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. La demanderesse prétend dans sa demande que l’employeur a supprimé des documents et des renseignements, ou lui a refusé l’accès à des documents et à des renseignements, dont elle a besoin pour se préparer. Dans le cadre de son grief, elle affirme qu’elle a un lourd fardeau de preuve, soit celui de démontrer que son congédiement en cours de stage est un camouflage ou un subterfuge. Elle désire plaider la discrimination pour « croyances ». Pour bien se préparer, elle a besoin d’une grande quantité de documents qui sont détenus par le défendeur et qu’elle n’a toujours pas reçus.

[7] Selon les documents soumis par la demanderesse, cette dernière aurait fait un grand nombre de demandes d’accès à l’information en 2020, puis d’autres en 2021, afin d’obtenir les documents dont elle dit avoir besoin pour se préparer pour la présentation de son grief. Pour plusieurs de ses demandes, elle attend toujours les informations demandées ou une partie de ces informations.

[8] Le défendeur s’est opposé à la demande de prorogation de délai.

[9] À la suite d’une conférence téléphonique avec les parties, la Commission a décidé de traiter la demande à partir d’arguments écrits des parties compte tenu qu’il ne semble pas y avoir de litiges sur les faits pertinents à la demande.

[10] Le 5 mars 2021, le défendeur a répondu au grief au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. Le grief a été rejeté. Au début de sa réponse, le défendeur rappelle qu’il avait fixé l’audition du grief le 24 février 2021. La demanderesse aurait été informée de cette date d’audience par courriel le 1er février 2021. Le défendeur n’aurait pas répondu à ce courriel et il n’aurait offert aucune date de disponibilité pour une audience au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs.

II. Résumé de l’argumentation

A. Pour la demanderesse

[11] La demanderesse allègue que la Commission a compétence pour proroger un délai dans le cadre de la procédure de règlement des griefs. Sur ce point, elle a recensé 76 décisions où la Commission ou son prédécesseur ont déterminé qu’ils avaient compétence pour examiner des demandes de prorogation du délai pour déposer un grief ou le renvoyer à l’arbitrage.

[12] Selon la demanderesse, les principes du droit administratif s’appliquent aux procédures régissant l’audition des griefs dans la fonction publique fédérale. Un principe fondamental du droit administratif canadien est l’équité procédurale, particulièrement en matière de congédiement de titulaires de charge publique et de fonctionnaires.

[13] L’existence même des divers paliers de la procédure de règlement des griefs implique que la demanderesse a nécessairement le droit d’être entendue à chacun des paliers de façon pleine et entière. L’équité procédurale implique qu’elle doit avoir droit à toute la documentation pertinente pour pouvoir se défendre et pour pouvoir plaider l’entièreté de son grief.

[14] Le défendeur devait suspendre les procédures concernant la demanderesse dès que la Commission lui a signifié qu’une demande de prorogation de délai avait été soumise. Or, le défendeur a ignoré cette demande et il a décidé de répondre au grief au deuxième palier. Le fait de répondre au grief sans attendre la décision de la Commission est un déni d’équité procédurale et de justice naturelle.

[15] La demanderesse a révisé les principes de la décision Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, et elle allègue que ces principes s’appliquent mal à la présente situation. Dans les faits, la demanderesse n’était pas en retard, et elle a respecté tous les délais. Elle demande plutôt la prorogation d’une échéance future.

[16] La demanderesse m’a renvoyé aux décisions suivantes : Schenkman; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; Bergeron c. Canada (Procureur général), 2020 CF 1090; Renaud c. Association canadienne des employés professionnels, 2009 CRTFP 177; Kruse c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2020 CRTESPF 85; Cowman c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2021 CRTESPF 36; Ouellette c. Saint-André, communauté rurale personnalisée, 2013 NBCA 21; Fontaine c. Robertson, 2021 CRTESPF 19; Bremsak c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2014 CAF 11; Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Hussain c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1199; Venkata c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 423.

B. Pour le défendeur

[17] Le défendeur allègue qu’il a accepté à plusieurs reprises de proroger le délai pour que la demanderesse présente son grief aux différents paliers de la procédure de règlement des griefs. Au total, la demanderesse a reçu plus d’une année supplémentaire pour présenter son grief à l’employeur. Elle persiste à systématiquement retarder la présentation du grief et elle demande à la Commission d’intervenir avant même l’arbitrage pour lui accorder une autre prorogation. Le défendeur s’oppose à cette demande.

[18] Le défendeur est d’avis que la Commission doit s’en remettre aux critères élaborés dans Schenkman pour décider si elle accepte la présente demande. Selon le premier de ces critères, la demande doit reposer sur des raisons claires, logiques et convaincantes. Si de telles raisons n’existent pas, la Commission n’a pas besoin de regarder les autres critères pour traiter la demande.

[19] La demanderesse justifie sa demande en se fondant sur les longs délais pour obtenir des documents et d’un débat prolongé à la suite de demandes d’accès à l’information. Il ne s’agit pas là d’une bonne raison pour accorder la présente demande. La Commission ne devrait pas permettre à une partie de paralyser la procédure de règlement des griefs. Il n’y a rien qui empêche la demanderesse de faire avancer son grief et d’argumenter la discrimination ou les mesures disciplinaires déguisées. Elle aura aussi l’occasion de le faire au besoin lors de l’arbitrage.

[20] Le délai pour présenter un grief au palier suivant est de 10 jours. C’est ce que les parties à la convention collective ont négocié. Elles ont considéré que ce délai était suffisant et raisonnable. Elles ont voulu assurer une finalité à la procédure de règlement des griefs et en assurer l’efficacité. Dans la présente affaire, le défendeur a déjà accordé de nombreuses prorogations de délai à la demanderesse et il n’y a pas de raisons convaincantes pour en accorder une nouvelle.

[21] Le refus par la Commission d’accorder la présente demande ne causera aucunement un préjudice à la demanderesse, qui pourra quand même poursuivre son grief au dernier palier de la procédure. À l’inverse, si la demande est acceptée, cela causerait un préjudice aux relations de travail de la fonction publique fédérale. En effet, les parties sont en droit de s’attendre à ce qu’un grief chemine rapidement à l’intérieur de la procédure de règlement des griefs.

[22] Selon le défendeur, les chances de succès du grief sont très faibles, compte tenu qu’il s’agit d’un grief qui porte sur un renvoi en cours de stage, sur lequel la Commission n’a pas compétence à l’arbitrage.

[23] Enfin, le défendeur rappelle à la Commission qu’elle a de nombreux dossiers en attente. Dans un tel contexte, il ne faut pas encourager les parties à initier des recours sur des questions procédurales, mais plutôt laisser les parties régler elles-mêmes ces questions. Il serait préférable que les ressources de la Commission soient utilisées pour entendre des dossiers qui ont été renvoyés à l’arbitrage.

[24] Le défendeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : Schenkman; Martin c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2015 CRTEFP 39; Wyborn c. Agence Parcs Canada, 2001 CRTFP 113; Leboeuf c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2007 CRTFP 27; Brown c. Administrateur général (ministère du Développement social), 2008 CRTFP 46; Van Duyvenbode c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2008 CRTFP 90; Copp c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), 2013 CRTFP 33; Chow c. Conseil du Trésor (Agence de la santé du Canada), 2015 CRTEFP 81.

III. Analyse et motifs

[25] Selon la convention collective applicable, l’auteur d’un grief peut présenter son grief à chacun des paliers de la procédure de règlement des griefs qui suit le premier dans les 10 jours qui suivent la date à laquelle la décision lui a été communiquée par écrit par l’employeur. La demanderesse demande que ce délai soit prorogé.

[26] La présente demande de prorogation est présentée aux termes de l’alinéa 61b) du Règlement sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (DORS/2005-79; le « Règlement »), qui se lit comme suit :

61 Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle-ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peut être prorogé avant ou après son expiration :

a) soit par une entente entre les parties;

b) soit par la Commission ou l’arbitre de grief, selon le cas, à la demande d’une partie, par souci d’équité.

 

[27] Les faits entourant cette demande de prorogation de délai sont relativement simples. La demanderesse veut obtenir une prorogation du délai pour présenter son grief au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. Elle prétend ne pas disposer en ce moment de toutes les informations dont elle a besoin pour présenter ses arguments en appui à son grief. Le défendeur a déjà accepté à plusieurs reprises sur une base volontaire, tel que le permet l’alinéa 61a) du Règlement, de proroger le délai de présentation du grief. Il refuse de continuer à le faire.

[28] Les critères élaborés dans Schenkman pour analyser les demandes de prorogation de délai ont été maintes fois repris dans la jurisprudence de la Commission. Ils sont les suivants : le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes; la durée du retard; la diligence raisonnable du demandeur; l’équilibre entre l’injustice causée au demandeur et le préjudice que subit le défendeur si la prorogation est accordée; les chances de succès du grief.

[29] Même si les critères sont évalués dans leur ensemble, l’importance accordée à chacun d’eux n’est pas nécessairement la même. Il arrive que certains critères ne s’appliquent pas ou qu’il n’y en ait seulement un ou deux qui pèsent dans la balance. Par exemple, il serait surprenant qu’une demande de prorogation de délai puisse être acceptée si la demande ne repose pas sur des raisons claires et logiques (voir Featherston c. Administrateur général (École de la fonction publique du Canada), 2010 CRTFP 72). Après tout, à quoi serviraient dans la présente affaire les délais dont les parties à la convention collective ont convenu si la Commission pouvait les proroger à la suite d’une demande qui n’est pas solidement justifiée?

[30] La demanderesse allègue que les critères en question s’appliquent mal à la présente situation. Je ne suis pas d’accord avec cette position. Ces critères, comme c’est souvent le cas dans une demande de prorogation de délai, ont simplement besoin d’être quelque peu adaptés pour des fins d’analyse. Certes, comme elle l’avance, la demanderesse n’est pas en retard, elle a respecté tous les délais et demande plutôt la prorogation d’une échéance qu’elle dit future. Il n’en demeure pas moins que, dans la présente affaire, elle recherche la prorogation d’un délai, soit celui pour présenter son grief au deuxième palier.

[31] La demanderesse m’a présenté des raisons claires, logiques et convaincantes pour que j’accepte de proroger le délai pour présenter le grief au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. Elle dit avoir besoin de temps pour obtenir les documents qu’il lui faut afin de se préparer adéquatement à la présentation de son grief au deuxième palier. Elle prétend que le défendeur a supprimé des documents et des renseignements, ou lui a refusé l’accès à des documents et à des renseignements, dont elle a besoin pour argumenter que son renvoi en cours de stage est un camouflage ou un subterfuge. Elle désire plaider la discrimination pour « croyances ». Le défendeur ne m’a rien présenté pour contrer les faits qui appuient la demande. Une partie ne peut évidemment se préparer adéquatement si elle ne dispose pas de ce dont elle a besoin. Ce serait contre l’équité que de la forcer à le faire. Et c’est justement par souci d’équité que la Commission peut accepter de proroger un délai.

[32] Il est possible que la demanderesse ne trouve rien à la suite de ses demandes d’accès à l’information et qu’elle ne puisse appuyer une allégation de discrimination. Si elle se donne toute cette peine, c’est qu’elle croît, à juste titre ou pas, qu’il y a eu discrimination à son égard. Par souci d’équité, elle devrait pouvoir avoir accès au préalable à toute la documentation qu’elle juge pertinente avant de présenter son grief. Il s’agit là d’une raison tout à fait claire, logique et convaincante pour justifier une demande de prorogation de délai pour présenter son grief au deuxième palier.

[33] Les critères de la durée du retard et de la diligence doivent ici être quelque peu reformulés. Tout d’abord, la demanderesse n’est pas en retard. Le délai de présentation au deuxième palier avait été prorogé après une entente mutuelle jusqu’au 31 janvier 2021. Le 27 janvier 2021, soit quatre jours auparavant, la demanderesse a soumis la présente demande. Elle n’a même pas attendu après l’échéance du 31 janvier pour le faire, démontrant ainsi de la diligence. Je ne sais trop ce que la demanderesse aurait pu faire pour accélérer les choses. Elle n’a toujours pas en sa possession les informations dont elle dit avoir besoin pour présenter son grief au deuxième palier. D’accepter d’aller plus vite signifierait d’accepter de faire une présentation peut-être incomplète de son argumentation.

[34] Je ne retiens pas l’argument du défendeur à savoir que le refus par la Commission d’accorder la présente demande ne causera pas un préjudice à la demanderesse. Bien au contraire, le refus pourrait l’empêcher de présenter ses arguments de façon entière au deuxième palier, puis au troisième devrais-je ajouter. Qui plus est, il est possible, si elle n’a pu présenter son argument sur la discrimination, que le défendeur lui en tienne rigueur à l’arbitrage en alléguant, sur la base de Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.), qu’elle tente de modifier son grief. Je suis donc d’avis que le préjudice est carrément du côté de la demanderesse.

[35] Je ne retiens pas non plus l’argument du défendeur qui allègue que l’acceptation de la présente demande causerait un préjudice aux relations de travail de la fonction publique fédérale. Il est de pratique courante de proroger les délais, parfois pour de longues périodes, après une entente mutuelle entre les parties. Il est aussi de pratique courante pour les employeurs de répondre très tardivement aux griefs, surtout au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Certes, il existe des délais et les parties doivent faire des efforts pour les respecter. C’est pourquoi une demande en vertu de l’article 61 du Règlement est accordée avec parcimonie (voir Cloutier c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CRTFP 31, au par. 13). Toutefois, s’il existe de bonnes raisons pour proroger, les relations de travail ne s’en portent pas plus mal pour autant.

[36] Les chances de succès du grief ne peuvent évidemment être estimées compte tenu que je n’ai pas entendu le grief sur le fond. Comme c’est presque toujours le cas dans les décisions de la Commission, je ne tiendrai pas compte de ce critère, si ce n’est que de conclure que le grief n’est pas frivole. Certes, il sera difficile pour la demanderesse d’avoir gain de cause avec son grief qui implique un renvoi en cours de stage. Néanmoins, je ne peux en juger sur la base de ce qui m’a été soumis.

[37] J’ai examiné attentivement toute la jurisprudence soumise par les deux parties. Je ne sens pas le besoin de la commenter, si ce n’est la décision Chow soumise par le défendeur, dont certains éléments ressemblent à ceux ici présentés. Dans Chow, la Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas présenté des raisons claires, logiques et convaincantes permettant de justifier le retard. Entre autres raisons, la demanderesse a prétendu que son retard avait été causé par un débat prolongé relativement à une demande d’accès à l’information et protection des renseignements personnels. Dans cette affaire, la demanderesse n’avait pas convaincu la Commission qu’il lui était nécessaire d’attendre que sa demande d’accès à l’information soit traitée avant de renvoyer son grief à l’arbitrage. Or, la situation est bien différente dans la présente demande. La demanderesse m’a ici convaincu qu’elle a besoin de cette information qu’elle n’a pas encore réussi à obtenir pour assurer une présentation complète de son grief.

[38] Je ne peux passer sous silence la façon quelque peu irrespectueuse avec laquelle le défendeur a agi en répondant au grief au deuxième palier le 24 février 2021, alors que la Commission l’avait avisé dès le 5 février 2021 de la présente demande de prorogation de délai pour présenter ce même grief au deuxième palier. Dès réception de la demande, le défendeur aurait dû tout mettre sur la glace et attendre, ou encore communiquer avec la demanderesse pour tenter de régler l’affaire.

[39] Sur la base de ce qui précède, j’accepte la demande de prorogation de délai de la demanderesse. Toutefois, je trouve important de mettre une date de fin à cette prorogation pour ne pas laisser traîner les choses indûment. Je vais donc accorder la prorogation jusqu’au 17 janvier 2022, soit six mois de la date de la présente décision. Cela devrait suffire pour que la demanderesse obtienne tous les documents dont elle dit avoir besoin pour présenter le grief au deuxième palier. S’il manque encore des documents à cette date, je suggère aux parties de collaborer pour régler la question.

[40] La présentation du grief au deuxième palier est reportée à une date qui sera convenue entre les parties, mais au plus tard le 17 janvier 2022.

[41] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


IV. Ordonnance

[42] La demande de prorogation de délai est acceptée.

[43] La présentation du grief au deuxième palier est reportée au plus tard au 17 janvier 2022.

 

Le 15 juillet 2021.

 

Renaud Paquet,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

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