Décisions de la CRTESPF

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Date: 20210624

Dossier: 566-02-10993

 

Référence: 2021 CRTESPF 75

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et de l’emploi dans

le secteur public fédéral

entre

 

SHELLEY WEPRUK

fonctionnaire s’estimant lésée

 

et

 

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL

(ministère de la Santé)

 

Défendeur

Répertorié

Wepruk c. Administrateur général (ministère de la Santé)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

Devant : Steven B. Katkin, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée : Patricia A. Deol et Kirby Smith, avocats

Pour le défendeur : Richard E. Fader et Shawna Noseworthy, avocats

Affaire entendue à Vancouver (Colombie-Britannique),

du 26 au 29 juillet 2016, du 21 au 24 février, du 6 au 9 mars,

et du 16 au 19 octobre 2017, et le 9 avril 2018.

(Traduction de la CRTESPF)


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

[1] Shelley Wepruk, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), était une spécialiste régionale de la conformité réglementaire et de l’application de la loi au Programme de l’inspectorat du ministère de la Santé (l’« employeur ») situé à Burnaby, en Colombie-Britannique, quand elle a été licenciée, le 3 juillet 2014. Afin d’appuyer le licenciement, l’employeur s’est fondé sur une menace qu’elle avait proférée contre son gestionnaire, dans un courriel qu’elle avait envoyé à sa représentante syndicale.

[2] À l’audience, et même si elle l’avait nié au départ, la fonctionnaire a avoué avoir envoyé le courriel en question. Dans sa défense, elle a invoqué la présence de certains facteurs atténuants, mais s’est surtout appuyée en majeure partie sur ses allégations de milieu de travail toxique et d’un long historique de harcèlement dont la direction l’a fait souffrir, et qui l’a menée à proférer la menace à l’égard de son gestionnaire.

[3] La fonctionnaire a été suspendue sans salaire pendant une enquête. La lettre dans laquelle on annonçait son licenciement a été émise le 9 octobre 2014 et le licenciement était rétroactif à la date de la suspension.

[4] La fonctionnaire a contesté son licenciement le 28 octobre 2014 et le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 2 avril 2015. Elle était représentée par son syndicat, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (le « syndicat »). Le grief déposé à l’encontre du licenciement, ainsi que d’autres griefs liés à des allégations de harcèlement, à une lettre de réprimande et à plusieurs refus de congé (huit en tout) ont été renvoyés à la Commission des relations de travail dans la fonction publique.

[5] Le 1er novembre 2014, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique a été créée et cette instance s’est poursuivie en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique modifiée (voir la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (L.C. 2013, ch. 40, art. 365) et la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 (L.C. 2013, ch. 40, art. 365 à 470)).

[6] Le 19 juin 2017, le nom de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et les titres de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ont été changés pour, respectivement, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la « Commission »; il convient de mentionner que, dans la présente décision, la « Commission » renvoie à la Commission actuelle et à l’ensemble de ses prédécesseurs), la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (voir la Loi modifiant la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique et d’autres lois et comportant d’autres mesures (L.C. 2017, ch. 9)).

II. Questions préliminaires

[7] L’employeur a soulevé des questions au sujet de ma compétence pour cinq des huit griefs, ce qui ne comprend pas le grief lié au licenciement. J’ai rendu une décision intérimaire sur les objections liées à la compétence; voir Wepruk c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2016 CRTEFP 55.

[8] Dans cette décision, j’ai conclu qu’un grief contestant la déclaration de l’employeur selon laquelle il chercherait à accéder aux dossiers universitaires de la fonctionnaire ne pouvait pas être soumis à l’arbitrage (dossier de la Commission 566-02-10986). Par conséquent, le grief a été rejeté. J’ai également déterminé que le grief qui contestait la suspension sans salaire en attendant que l’enquête soit menée (dossier de la Commission 566-02-10990) était théorique, étant donné que le licenciement avait été mis en œuvre de façon rétroactive au premier jour de la suspension. Par conséquent, ce grief a lui aussi été rejeté.

[9] La fonctionnaire a retiré les griefs suivants le 12 juillet 2016 et le 21 février 2017 : dossiers de la Commission 566-02-10987, 10991, 10988, 10989 et 10992.

[10] Le seul grief restant soumis à l’arbitrage dont je suis saisi est celui qui conteste le licenciement.

[11] La fonctionnaire a soulevé une objection à la présentation d’une transcription de son témoignage devant le Tribunal de la sécurité sociale (TSS) et de la décision de la TSS concernant son admissibilité aux prestations d’assurance-emploi. J’ai rendu une ordonnance intérimaire sur l’admissibilité de cet élément de preuve le 17 février 2017; voir Wepruk c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2017 CRTEFP 19. J’ai rejeté l’objection à l’admissibilité, avec l’exception suivante :

[…]

[27] L’objection à l’admissibilité de la décision du Tribunal de la sécurité sociale relative à l’admissibilité de la fonctionnaire aux prestations d’assurance-emploi est admise, uniquement en ce qui concerne tout renseignement qui peut y être contenu, qui a été obtenu par le ministre de l’Emploi et du Développement social, le ministre du Travail ou la Commission de l’assurance-emploi du Canada dans le cadre d’un programme dont ils sont responsables. J’ordonne aux défendeurs de préparer des exemplaires de la décision du Tribunal de la sécurité sociale dont ces renseignements seront retirés.

[…]

 

[12] J’ai émis une ordonnance de communication le 7 décembre 2015, ordonnant à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) de produire des copies de l’ensemble de la documentation et de l’information liées au dossier de la fonctionnaire à celle-ci et à son avocat.

A. Demande d’anonymisation

[13] La fonctionnaire a également demandé que la décision rendue pour le présent grief soit anonymisée. L’employeur ne s’est pas prononcé au sujet de cette requête.

[14] La fonctionnaire s’est dit inquiète par le caractère très personnel de certains des éléments de preuve pertinents. Elle s’inquiétait que l’utilisation de son nom soit embarrassante sur le plan professionnel à l’avenir et qu’elle puisse nuire à sa capacité à se trouver un emploi. Elle s’inquiétait aussi que sa conduite en ce qui concerne l’envoi du courriel ait un effet préjudiciable sur des tiers comme des membres de sa famille, et, plus important, sur sa jeune fille, et que cela nuise à sa réputation à l’école et parmi les parents d’autres enfants.

[15] L’avocat de la fonctionnaire a soutenu que l’anonymisation de la décision ne porterait pas préjudice à l’administration de la justice et que les circonstances indiquées constituent des exceptions au principe de transparence judiciaires.

[16] L’avocat s’est fondé sur le critère Dagenais/Mentuck pour déterminer une exception au principe de transparence judiciaire, comme il est indiqué dans N. J. c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2012 CRTFP 129, au paragraphe 49 :

[49] Le critère de Dagenais/Mentuck, tel que reformulé dans Sierra Club du Canada, s’articule en deux étapes. Dans un premier temps, je dois déterminer s’il est nécessaire de rendre une ordonnance limitant le principe de transparence judiciaire afin d’écarter un risque sérieux pour un intérêt important, et ce, dans le contexte des procédures d’arbitrage. Ensuite, il me faut décider si les effets bénéfiques d’une telle mesure l’emportent sur ses effets préjudiciables, notamment en regard de l’intérêt du public en ce qui concerne la transparence et l’accessibilité des procédures d’arbitrage.

 

[17] L’avocat a soutenu que la santé et le bien-être de la fille de la fonctionnaire étaient mis en péril, étant donné la stigmatisation ou l’intimidation dont elle pourrait être victime à cause des gestes posés par la fonctionnaire. L’avocat a fait valoir qu’il fallait protéger la santé et le bien-être de la fille et que ceux-ci constituaient une exception au principe de transparence judiciaire. L’avocat a également prétendu que la capacité de la fonctionnaire à obtenir un emploi futur pourrait aussi en subir des répercussions négatives. L’avocat a fait remarquer que la fonctionnaire et sa fille seraient touchées et que cela répondait à la première partie du critère Dagenais/Mentuck. L’avocat a soutenu que les effets bénéfiques d’une telle mesure l’emportent sur ses effets préjudiciables, notamment en regard de l’intérêt du public en ce qui concerne la transparence et l’accessibilité des procédures d’arbitrage. L’avocat a indiqué que ce grief ne présentait pas un « grand intérêt pour le public » et que la publication du nom de la fonctionnaire n’était pas essentielle à une compréhension transparente de la décision de la Commission.

[18] L’avocat m’a renvoyé à Chamberlain c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2015 CRTEFP 29 (la mise sous scellés de documents médicaux) et à Gangasingh c. Administrateur général (Commission canadienne du lait), 2012 CRTFP 113 (l’anonymisation en vertu d’intérêts commerciaux).

[19] La Commission, qui mène ses activités en vertu du principe de la transparence judiciaire, n’anonymise habituellement pas le nom d’une partie ou d’un tiers dans ses décisions. La Commission a émis une Politique sur la transparence et la protection de la vie privée, qui est affichée sur son site Web. Dans cette politique, on indique que le principe de transparence judiciaire occupe une place importante dans notre système de justice et que suivant ce principe, garanti par la Constitution, la Commission tient ses audiences en public, sauf dans des circonstances exceptionnelles. La politique décrit ensuite ces circonstances exceptionnelles comme suit :

[…]

Dans des circonstances exceptionnelles, la Commission déroge à son principe de transparence judiciaire pour accéder à des demandes visant la protection de la confidentialité d’éléments spécifiques de la preuve et adapter ses décisions au besoin pour protéger la vie privée d’une personne (notamment en tenant une audience à huis clos, en scellant des pièces présentées en preuve qui contiennent des renseignements médicaux ou personnels de nature délicate ou en protégeant l’identité de témoins ou de tierces parties). La Commission peut accorder de telles demandes lorsqu’elles respectent les normes applicables reconnues dans la jurisprudence.

[…]

 

[20] L’anonymisation de noms, y compris de renseignements d’identification, est une restriction imposée au principe de transparence judiciaire qui doit être évaluée selon le critère Dagenais/Mentuck établi par la Cour suprême du Canada.

[21] Dans Basic c. Association canadienne des employés professionnels, 2012 CRTFP 120, au paragraphe 11, on résume ainsi le critère Dagenais/Mentuck :

[11] Le critère Dagenais/Mentuck a été établi dans le cadre de demandes d’ordonnance de non-publication dans des instances criminelles. Dans Sierra Club of Canada, la Cour suprême du Canada a précisé le critère en réponse à une demande d’ordonnance de confidentialité dans le cadre d’une procédure civile. Le critère adapté est le suivant :

[…]

1. elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter le risque.

2. ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[…]

[22] Dans le présent cas, les risques graves indiqués par la fonctionnaire comprennent ceux à sa réputation personnelle, à ses perspectives d’emploi et à la santé et au bien-être de sa fille. L’incidence d’une décision sur une réputation personnelle ou sur des perspectives d’emploi ne constitue pas un risque important qui justifierait l’anonymisation. Tous les fonctionnaires s’estimant lésés savent que les audiences et les décisions de la Commission respectent le principe de transparence judiciaire et que leurs noms seront rendus publics. Dans le présent cas, les effets bénéfiques d’une ordonnance de confidentialité ne l’emportent pas sur ses effets préjudiciables.

[23] Je passe maintenant à la santé et au bien-être de la fille de la fonctionnaire. La protection des enfants est un motif bien reconnu à l’établissement d’ordonnances de confidentialité. Dans le document intitulé L’usage de renseignements personnels dans les jugements et protocole recommandé présenté par le Conseil canadien de la magistrature, les facteurs à prendre en considération quand des mineurs sont en cause sont présentés comme suit :

[…]

[31] En l’absence d’une interdiction de publier prévue par la loi, il peut y avoir des cas exceptionnels où la mention de faits extraordinaires ou sensationnels dans un jugement justifie l’omission de certains renseignements pouvant identifier une personne. Cependant, une telle protection devrait être envisagée seulement si un préjudice risque d’être causé à des mineurs ou à des tiers innocents, si la divulgation des renseignements risque de nuire à l’intérêt de la justice, ou si les renseignements sont susceptibles d’être utilisés à mauvais escient. En pareil cas, il peut être nécessaire d’omettre des renseignements pouvant identifier les parties, afin de protéger un tiers innocent.

[32] La protection des innocents contre tout préjudice inutile est une considération de principe valable et importante (voir Procureur général de la Nouvelle-Écosse c. MacIntyre, [1982] 1 R.C.S. 175). En pareil cas, le juge doit trouver un équilibre entre cette considération et le principe de la transparence de la justice; à cette fin, il doit déterminer quels renseignements il faut inclure dans le jugement pour s’assurer que le public puisse comprendre la décision. Il est à noter qu’en l’absence d’une interdiction de publier, il suffit d’examiner le dossier du tribunal pour découvrir l’identité des personnes que l’on vise à protéger par l’omission de certains renseignements dans les motifs de jugement. Par conséquent, ceux qui se donnent la peine de se présenter au greffe de la cour ou de faire une recherche en ligne dans les dossiers du tribunal ont quand même plein accès aux renseignements que contiennent ces dossiers. Cependant, un certain niveau de protection est maintenu si les renseignements ne sont pas diffusés sur les sites Web des tribunaux, lesquels sont facilement accessibles.

[33] Les cas où il convient d’exercer un pouvoir discrétionnaire pour omettre des renseignements personnels pouvant identifier une personne sont ceux, par exemple, qui concernent des allégations d’agression ou d’exploitation sexuelle ou de violence sexuelle, physique ou psychologique envers des enfants ou des adultes. En pareil cas, il faut songer à éviter de révéler l’identité des victimes dans les motifs de jugement. La violence envers les enfants peut être suffisamment grave pour justifier la protection de l’identité, si les enfants ont subi de graves dommages corporels ou moraux. Il peut également convenir de protéger l’identité des personnes dans les cas où il y a eu intervention des services de protection de l’enfance en réponse à des situations d’abus ou de négligence, ou lorsqu’on fait mention quelconque d’une instance en matière de protection de l’enfance, de placement en famille d’accueil ou de tutelle. Dans les instances en matière de divorce ou de garde d’un enfant qui comportent des allégations de violence sexuelle, il faut songer à protéger l’identité de tous les membres de la famille, même si les allégations ne sont pas fondées. Dans les instances où la recherche de paternité est en cause, il peut également convenir de protéger l’identité des enfants concernés.

[…]

 

[24] Je ne crois pas que le présent cas appartient à la catégorie des « […] cas exceptionnels où la mention de faits extraordinaires ou sensationnels dans un jugement justifie l’omission de certains renseignements pouvant identifier une personne ». Les faits peuvent être embarrassants, mais ils n’atteignent pas un niveau extraordinaire ou sensationnel. Même si la protection de l’innocent contre tout préjudice inutile est une considération valide et importante en matière de politiques, il faut l’évaluer en fonction du principe de transparence judiciaire. Le préjudice inutile à une partie innocente dans le présent cas est spéculatif et ne suffit pas à justifier une dérogation au principe de transparence judiciaire.

[25] Par conséquent, je rejette la demande d’anonymisation présentée par la fonctionnaire.

III. Résumé de la preuve

A. Les témoins

[26] En tout, 11 témoins ont été appelés à témoigner. La fonctionnaire a témoigné pour son propre compte et a appelé Mandy Deol. Mme Deol avait été une collègue de la fonctionnaire, et même si elle avait aussi connu des problèmes de harcèlement au travail, elle n’a pas noué de relations avec la fonctionnaire au travail ou à l’extérieur de celui-ci et n’était pas une amie de la fonctionnaire. Elle a témoigné pour la fonctionnaire en vertu d’une citation à comparaître.

[27] Neuf témoins ont témoigné pour l’employeur. Les premiers témoins ont été les gestionnaires de la fonctionnaire, Dennis Shelley et Kim Seeling, qui étaient tous deux le point central de ses allégations de harcèlement à l’encontre de la direction. M. Shelley, gestionnaire régional du Programme de l’inspectorat pour la région de la Colombie-Britannique (C.-B.) de Santé Canada, a reconnu que sa relation de travail avec la fonctionnaire était quelque peu tendue; il n’échangeait pas de menus propos avec elle. Leur relation de travail n’était pas positive. M. Shelley a avoué qu’au printemps de 2014, tout juste avant que l’événement en litige se produise, sa relation avec elle se trouvait à un faible niveau par rapport à celles qu’il entretenait avec les autres employés.

[28] Mme Seeling était la superviseure de la fonctionnaire par intérim pendant les périodes pertinentes. Mme Seeling a indiqué que les employés éprouvaient peut-être des sentiments négatifs à son égard, car sa nomination par intérim avait été prolongée sans la tenue d’un processus de dotation. Les affectations intérimaires étaient un irritant au bureau, ce dont je parlerai plus loin dans la décision. Mme Seeling a elle aussi avoué que sa relation avec la fonctionnaire était tendue, mais elle a rejeté la faute sur cette dernière, car elle était agressive et irrespectueuse.

[29] Brian Mori, qui a également témoigné pour l’employeur, était le directeur régional de la conformité et de l’application de la loi pour la région de la Colombie-Britannique de Santé Canada. En 2013 et en 2014, il relevait de Bruce Cuddihey, le directeur général régional de cette région, dont le bureau était situé au Sinclair Centre, à Vancouver (C.-B.). M. Shelley était l’un des six gestionnaires qui relevaient de lui.

[30] À l’époque pertinente, M. Cuddihey était le directeur général régional de Santé Canada pour la région de la C.-B. et relevait de Peter Brander, le directeur général principal.

[31] M. Brander a lui aussi témoigné. À l’époque pertinente, il était directeur général principal par intérim pour les régions et les programmes et se trouvait à Ottawa (Ontario). Il était responsable de 23 programmes et services et d’environ 1 100 employés à l’échelle du pays.

[32] Jeannette Bourgeault est l’une des autres membres de la direction qui ont témoigné. À l’époque pertinente, elle était praticienne principale de la gestion des conflits au Bureau de l’ombudsman, de l’intégrité et de la résolution. Elle était responsable des quatre provinces de l’Ouest et visitait une région par trimestre. Elle a envoyé un courriel afin d’indiquer qu’elle serait à Vancouver en avril 2014. Elle a rencontré la fonctionnaire là-bas le 14 avril 2014 pendant une heure environ afin de discuter de ses allégations de harcèlement.

[33] Elaine Wass était la directrice régionale des Ressources humaines pour la région de la C.-B. de Santé Canada pendant les événements en litige. M. Cuddihey lui a demandé de mener l’enquête administrative sur l’affaire.

[34] La gendarme Chantelle Foote de la GRC a également témoigné. Elle a arrêté la fonctionnaire et l’a interrogée.

[35] Enfin, Damian Kakwaya, un collègue de la fonctionnaire, a témoigné au nom de l’employeur. Même s’il entretenait certaines des préoccupations de la fonctionnaire relatives au lieu de travail, il n’était pas son ami. Contrairement à elle, il a témoigné qu’il ne voulait pas avoir des conversations négatives sur la direction au travail et qu’il avait donc demandé de ne pas être assis près d’elle au bureau. Il semble aussi qu’une tension s’est installée entre eux à la suite de deux interactions au travail. Premièrement, elle l’avait traité de « salaud » pendant un désaccord. Deuxièmement, quand il a été retenu pour occuper un poste de superviseur par intérim, en juillet 2014, elle l’a appelé « le prochain ouvrier », ce qui l’avait offensé.

B. Historique de travail de la fonctionnaire de 2002 à 2011

[36] La fonctionnaire a commencé à travailler pour Santé Canada en 2002 à Ottawa. Elle a déménagé à Vancouver en 2005 et a été nommée au poste de spécialiste régional de conformité et d’application de la loi au Programme de l’inspectorat à Burnaby (C.‑B.), classifié au groupe et au niveau SG-SRE-05. Après une période de congé de maladie et une évaluation de l’aptitude au travail, elle est retournée au travail en août 2006. En septembre 2006, elle est partie en congé de maternité et devait retourner au travail en septembre 2007. Elle voulait retourner travailler à temps partiel, mais M. Shelley a refusé, au motif que seuls les employés SG-04 pouvaient travailler à temps partiel. Elle est ensuite partie en congé pour soins et éducation jusqu’en septembre 2008, après quoi elle est partie en congé de maladie indéfiniment jusqu’à son retour au lieu de travail, en 2011.

[37] M. Shelley a témoigné qu’il avait demandé une évaluation de l’aptitude au travail après avoir rencontré la fonctionnaire dans son bureau, en novembre 2005, au cours de laquelle elle avait pris une chaise et commencé à la frapper violemment, attirant l’attention d’autres employés. À la suite de l’évaluation, la recommandation médicale indiquait de placer la fonctionnaire hors de sa ligne de mire.

[38] Dans l’évaluation, du 19 juillet 2006, on a conclu que la fonctionnaire était apte à s’acquitter de ses fonctions habituelles et qu’aucune mesure d’adaptation officielle n’avait à être prise; elle contenait toutefois les recommandations suivantes :

[Traduction]

[…]

Il est conseillé de déplacer le poste de travail de Mme Wepruk hors de la vue du superviseur immédiat dont elle relève actuellement. Même si nous ne recommandons aucune limite pour les questions touchant les relations de travail, le spécialiste recommande qu’il serait prudent de réduire au minimum les contacts inutiles afin d’éviter toute médicalisation future de ces questions.

Outre la séparation des postes de travail, le spécialiste est d’avis qu’il n’existe aucune preuve médicale pour restreindre ses échanges avec son superviseur immédiat dans le cadre de ses activités quotidiennes habituelles. Aucune preuve médicale ne laisse supposer qu’elle devrait relever d’un autre superviseur.

S’il demeure d’autres difficultés entre l’employée et son superviseur, il sera recommandé d’organiser une médiation.

Si ces problèmes donnent lieu à d’autres arrêts de travail pour cause de maladie, il est recommandé de mener rapidement une réévaluation.

[…]

 

C. L’incident Tsou et les certificats médicaux

[39] À l’automne 2013, Albert Tsou, un collègue de travail, a dit à Mme Seeling qu’il avait vu la fonctionnaire à l’Université Simon-Fraser (SFU) pendant la période où elle avait dit à Mme Seeling qu’elle ne travaillait pas afin de prendre soin d’un enfant malade. Quand elle a enquêté sur cette affaire, Mme Seeling a examiné les absences de la fonctionnaire et remarqué que ces absences comprenaient un jeudi pendant cinq semaines consécutives.

[40] Mme Seeling a rencontré la fonctionnaire afin de lui parler de ses absences le 8 octobre 2013. La fonctionnaire lui a dit qu’elle se sentait ciblée. La fonctionnaire lui a dit qu’elle n’avait pas été à la SFU. Mme Seeling a témoigné qu’elle avait accepté la parole de la fonctionnaire et indiqué que l’affaire avait été close pour les congés déjà pris. Elle a toutefois dit à la fonctionnaire qu’elle devrait présenter des certificats médicaux pour ses absences subséquentes.

[41] La fonctionnaire a confronté M. Tsou au sujet des allégations qu’il avait présentées à la direction. Il a signalé cet échange auprès de la direction, mais n’a jamais déposé de plainte de harcèlement à l’encontre de la fonctionnaire.

[42] Le 4 février 2014, la fonctionnaire a reçu un courriel de M. Shelley, dans lequel il l’informait que la direction allait tenir une réunion de recherche des faits le 12 février 2014. Cette réunion avait lieu à la demande de M. Shelley, car il était préoccupé par les congés pris par la fonctionnaire. Elle était représentée par Jennifer George, sa représentante syndicale.

[43] La réunion avait été déclenchée par la préoccupation selon laquelle la fonctionnaire avait peut-être suivi des cours universitaires pendant ses heures de travail, comme l’avait signalé M. Tsou. Lors de la réunion de recherche des faits, M. Shelley a indiqué que l’employeur communiquerait avec la SFU afin d’accéder à ses dossiers scolaires. Dans la lettre qu’il a écrite à la fonctionnaire, M. Cuddihey avait plus tard reconnu que certaines erreurs avaient été commises lors de la réunion de recherche des faits et que M. Shelley n’aurait pas dû menacer de communiquer avec la SFU. M. Cuddihey a toutefois témoigné qu’il n’avait pas considéré cette menace comme du harcèlement ou un préjugé, mais plutôt comme une erreur. En fin de compte, l’employeur n’a pas communiqué avec l’université.

[44] La fonctionnaire a déposé un grief contestant la demande d’accès à ses dossiers scolaires le 21 février 2014. Dans la réponse finale de l’employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, présentée le 25 février 2015, on jugeait que le grief était théorique, étant donné que l’employeur n’avait pas communiqué avec la SFU. Dans ma décision provisoire, j’ai conclu que ce grief était inadmissible à l’arbitrage.

[45] Lorsqu’on a fait remarquer à M. Shelley que Mme Seeling avait clos le dossier lors de sa réunion d’octobre avec la fonctionnaire, il a répondu qu’il ignorait que cela avait été le cas.

[46] La fonctionnaire a obtenu un certificat médical de son médecin de famille le 23 février 2014, qui indiquait qu’elle se trouvait dans un état de [traduction] « détresse psychologique grave ». Le médecin a indiqué que la fonctionnaire souhaite avoir la mesure d’adaptation suivante au travail : [traduction] « avoir un superviseur différent ». Dans le certificat, on indiquait que le médecin était d’accord avec cette mesure d’adaptation. Cependant, la preuve a montré que la fonctionnaire n’a jamais remis le certificat à son employeur, suivant le conseil de son syndicat. Elle a reçu une lettre de réprimande, le 20 juin 2014, qui portait sur le défaut d’avoir présenté un certificat médical pour une absence de deux jours en avril 2014, que M. Shelley a signée et qui indiquait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Selon des instructions écrites qui vous ont été remises le 15 octobre 2013, vous deviez présenter un certificat médical à l’appui de vos demandes de congé de maladie. Les 8 et 9 avril 2014, vous étiez absente et vous n’avez pas fourni de certificat médical. Lors de notre réunion du 20 mai 2014, je vous ai donné l’occasion d’expliquer pourquoi vous n’aviez pas respecté mes instructions. Vous n’avez pas été en mesure de présenter une explication convaincante. Par conséquent, j’ai conclu que vous avez commis une insubordination.

La présente lettre de réprimande demeurera dans votre dossier personnel pour une période de deux ans, à condition qu’aucune autre mesure disciplinaire ne soit prise à votre égard pendant cette période. En outre, les deux jours en question sont réputés être des congés non payés et non autorisés.

Je vous répète la consigne : vous devez présenter, pour tous les cas d’absences attribuables à une maladie, un certificat médical à votre retour au travail. Je m’attends à ce que vous acheminiez le certificat médical avec votre demande de congé à votre premier jour de travail à la suite d’un tel congé. À défaut de vous conformer à ces consignes, l’absence sera considérée comme un congé non payé non autorisé et pourrait donner à l’imposition d’une mesure disciplinaire plus grave, y compris le licenciement.

[…]

 

[47] M. Shelley a témoigné qu’à la réunion disciplinaire du 20 juin 2014, la fonctionnaire a retourné son fauteuil et s’est assise en lui faisant dos. Il a témoigné qu’après lui avoir lu la lettre de réprimande à voix haute, elle est partie [traduction] « en colère ».

[48] La fonctionnaire a contesté la lettre de réprimande. Le grief a été rejeté le 25 février 2015 et, comme il a été indiqué plus tôt dans la présente décision, il a été retiré (dossier de la Commission 566-02-10991).

D. Autres griefs déposés par la fonctionnaire s’estimant lésée

[49] La fonctionnaire a reçu une deuxième lettre de réprimande le 25 juin 2014 liée à son échange avec M. Tsou.

[50] La lettre de réprimande, signée par M. Mori, le directeur régional de la conformité et de l’application de la loi, se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

La présente vise à vous faire part de ma décision en ce qui concerne une allégation selon laquelle vous vous êtes comportée de manière inappropriée à l’égard d’un autre employé. Après avoir examiné les renseignements disponibles, il a été déterminé que vous avez manifesté un comportement inapproprié à l’égard de M. Tsou, en particulier quand vous avez décidé de l’approcher une deuxième fois, le 22 novembre 2013, et quand vous l’avez accusé de faire preuve d’intimidation à votre égard. Ce type de comportement ne sera pas toléré.

Nous vous rappelons l’Énoncé des valeurs et comportements attendus enchâssé dans le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique, en particulier ceux liés au respect des personnes, où il est question de l’exigence de traiter toutes les personnes avec respect. Il est impératif d’harmoniser vos comportements au Code à l’avenir.

L’allégation d’utilisation inappropriée de congé a été jugée non concluante.

Par conséquent, j’ai déterminé qu’il est nécessaire de prendre une mesure disciplinaire sous la forme d’une réprimande écrite. Afin d’arriver à cette décision, j’ai tenu compte de la durée de votre service auprès de Santé Canada. Conformément aux modalités indiquées dans votre convention collective, une copie de cette lettre sera versée à votre dossier personnel pour une période de deux ans, à condition qu’aucune autre mesure disciplinaire ne soit prise à votre égard pendant cette période. Cette lettre de réprimande constitue un avis selon lequel des mesures disciplinaires plus sévères, pouvant aller jusqu’à votre licenciement pour cause, seront prises si ce genre d’inconduite se reproduit. En outre, vous êtes tenue de participer à une formation qui sera organisée pour vous sur la façon de régler les confits de manière constructive.

[…]

 

[51] La fonctionnaire a contesté la lettre de réprimande. Le grief a été rejeté le 25 février 2015.

[52] La fonctionnaire a déposé un grief pour harcèlement, qu’elle a aussi retiré en fin de compte, à l’encontre de M. Shelley et d’autres le 26 juin 2014. Dans ce grief, elle dit être continuellement victime de harcèlement et d’intimidation. Il a aussi été rejeté le 25 février 2015. La réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs se lisait comme suit :

[Traduction]

[…]

Je crois comprendre que vous avez demandé de rencontrer la direction le 9 janvier 2014 afin de discuter de quelques éléments, y compris l’intimidation et le harcèlement. Lors de cette réunion, je crois comprendre que vous avez fait part d’observations sur des factions perçues au lieu de travail (« un groupe inclus et un groupe exclu ») et fait part de votre inquiétude d’appartenir à une « mauvaise » faction. Vous avez aussi indiqué vous sentir ainsi parce que vous aviez déposé des griefs. En réponse, la direction vous a assuré que vous ne seriez pas victime de représailles parce que vous avez déposé des griefs, étant donné que vous en avez le droit. La direction vous a aussi dit de lui signaler toute indication précise de représailles dont vous pourriez être la cible. Qui plus est, vos inquiétudes entourant les factions au lieu de travail et la façon dont vous étiez perçue n’étaient pas étayées par des exemples concrets qui correspondent à la définition de harcèlement établie par le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada. En outre, vous avez eu une deuxième occasion de présenter ces exemples à l’audition de votre grief, mais aucune des questions soulevées ne correspondait à la définition non plus.

[…]

 

[53] Le 16 juin 2014, la fonctionnaire a demandé un congé pour raisons familiales à cause d’une grève d’enseignants. La demande a été refusée. Elle a déposé un grief qui a éventuellement été retiré.

[54] La fonctionnaire a écrit un courriel à son avocat, le 24 juin 2014, qui se lisait comme suit :

[Traduction]

[…]

Malheureusement, comme c’est normal dans ces types de situations, Santé Canada rehausse le niveau de violence à mon lieu de travail. Maintenant, on m’enlève des jours de paie en guise de mesure disciplinaire. Je fais constamment l’objet d’un déluge de mesures disciplinaires pour les choses les plus insignifiantes. J’ai une autre réunion sur les mesures disciplinaires prévue le 26 juin. Cela devient vraiment ridicule. J’ai cependant eu une bonne évaluation de rendement annuelle. C’est de bon augure pour lutter contre la progression inexorable de ces questions.

[…]

 

E. Le courriel du 30 juin 2014 et l’enquête de la GRC

[55] Je me penche maintenant les événements qui ont mené au licenciement. Au moment où l’événement en question s’est produit, M. Kakwaya était devenu le superviseur par intérim en date du 2 juillet 2014, étant donné que la nomination semblable de Mme Seeling avait pris fin le 30 juin 2014. Le dernier jour de Mme Seeling au bureau avant ses vacances était le 27 juin 2014.

[56] M. Shelley a envoyé un courriel à la fonctionnaire le 30 juin 2014 afin de lui indiquer qu’il serait responsable d’approuver ses congés à partir de cette date. M. Kakwaya a indiqué dans son témoignage que M. Shelley lui avait dit qu’il serait préférable qu’il ne participe pas aux rapports sur les congés de la fonctionnaire, étant donné qu’il était en affectation intérimaire pendant quatre mois seulement et qu’il redeviendrait ensuite l’un de ses collègues. M. Shelley a indiqué que M. Kakwaya avait accepté cette condition.

[57] La fonctionnaire n’était pas heureuse du processus d’approbation des congés, étant donné qu’elle avait déposé son grief à l’encontre de M. Shelley quelques jours auparavant seulement. Elle a acheminé le courriel envoyé par M. Shelley à sa représentante syndicale, Mme George, le même jour. Après 15 h 15, le 30 juin, la fonctionnaire a reçu un courriel de M. Shelley indiquant que sa demande de congé pour la fermeture imprévue de l’école avait été refusée. Elle a considéré cette réponse comme de la violence psychologique.

[58] La fonctionnaire a ensuite envoyé le courriel qui a mené à son licenciement à sa représentante syndicale, le 30 juin 2014, à partir de son compte de courriel de Santé Canada. Il se lisait comme suit :

[Traduction]

Bonjour, Jennifer, Dennis a refusé ma demande de congé pour raisons familiales pour le 16 juin 2014 à cause de la fermeture imprévue du service de garde de l’école. D’après ce que je comprends, selon le sous-alinéa 17.12 d.ii) de la convention collective actuelle, j’ai droit à 7,5 heures de congé pour prendre soin de mon enfant à cause de la fermeture imprévue de l’école ou du service de garde. Je n’avais pas utilisé ce congé pour l’exercice en cours.

L’école était fermée, le lundi 16 juin, à cause de la « journée d’étude » imprévue des enseignants avant le début de la grève généralisée, le 17 juin et je n’ai pas pu avoir accès au service de garde.

Il faut que Dennis Shelley cesse d’être mon superviseur/approbateur de congé le plus tôt possible. Il ne contribue pas à ma santé ou sécurité au travail. Je suis épuisée par la violence constante à mon lieu de travail. Bientôt, je vais craquer, apporter l’un de mes fusils au bureau et tirer ce salaud.

Aujourd’hui, il est allé manger avec certains des préférés : Leslie Beaton SG-5, 24 années de service, Eric Yim SG-4, deux années de service, et l’étudiant. Comme d’habitude, je n’ai pas été invitée.

[…]

 

[59] Après avoir envoyé le courriel, la fonctionnaire a tenté d’appeler Mme George, mais a été redirigée vers sa boîte vocale. Elle a tenté d’appeler des amis, mais aucun n’a répondu. Elle a ensuite quitté le bureau pour la journée et témoigné qu’elle avait oublié l’avoir envoyé.

[60] La fonctionnaire a témoigné qu’elle croyait avoir envoyé le courriel de façon confidentielle à Mme George, une avocate qui travaillait pour le syndicat en tant qu’agente des relations du travail. Elle ne voulait pas que M. Shelley le voie et n’avait pas l’intention de le menacer ou le blesser. Elle a indiqué qu’elle suppliait pour obtenir de l’aide. Elle a témoigné qu’elle ne voulait pas que le message soit perçu comme une menace, mais qu’elle voyait maintenant comment il pouvait être perçu de la sorte. À ce moment-là, elle ne comprenait pas le sens juridique du mot « menace ».

[61] La preuve a montré qu’il ne s’agissait pas de la première fois où la fonctionnaire faisait référence, au travail, à la violence au lieu de travail et à la façon dont elle pourrait y être poussée. M. Kakwaya a témoigné qu’elle lui avait montré un article à propos d’un employé de l’industrie forestière de l’île de Vancouver qui avait tiré sur quelques-uns de ses collègues et qu’elle lui avait dit [traduction] « Voici ce qui se passe quand les gens ne se font pas écouter. » M. Kakwaya a indiqué dans son témoignage qu’il était inquiet, mais pas alarmé au point d’en faire part à la direction à ce moment-là, quoi qu’il ait avoué avoir repéré des sorties, au cas où il devait se sortir de la situation. La fonctionnaire a indiqué qu’elle subissait un stress immense. Elle a indiqué qu’elle ne se souvenait pas d’avoir montré à M. Kakwaya cet article en particulier, et ajouté que s’il s’en souvenait, elle lui avait donc probablement montré. Elle a indiqué que M. Kakwaya était digne de confiance et honnête.

[62] Le syndicat de la fonctionnaire a lu le courriel après le long week-end de la fête du Canada et informé la GRC de son existence. La GRC s’est rendue au lieu de travail de la fonctionnaire le 2 juillet 2014 et l’a mise sous arrestation.

[63] La gendarme Foote a interrogé la fonctionnaire (pièce E-4, onglet 2), lui a parlé du courriel et a indiqué qu’il faisait référence à M. Shelley. Pendant l’interrogatoire, elle a avoué avoir envoyé le courriel, mais indiqué : [traduction] « Je n’ai jamais menacé Dennis Shelley. » Elle a mentionné qu’elle était frustrée par son comportement et qu’elle était victime d’intimidation et de harcèlement au travail depuis neuf ans. Elle a poursuivi en indiquant :

[Traduction]

Le jour où j’ai envoyé le courriel, il y avait eu plusieurs autres cas de violence au lieu de travail causés par Dennis Shelley.

[…]

J’ai donc envoyé le courriel à la représentante syndicale. Je lui disais que je devais déposer un autre grief.

[…]

[…] J’étais donc très frustrée et il y avait eu plusieurs cas.

[…]

J’étais donc frustrée, tout simplement, et je n’ai aucunement proféré de menaces à l’égard de Dennis Shelley. J’ai dit à mon syndicat qu’un jour, j’allais craquer.

[…]

Vais-je réellement le faire? (inaudible) si je voulais vraiment faire du mal à Dennis Shelley, je l’aurais fait il y a bien longtemps.

[…]

Allais-je réellement faire du mal à Dennis Shelley, non.

 

[64] Elle a dit à la gendarme Foote qu’elle possédait des armes à feu antiques et un fusil de chasse, mais qu’elle n’avait aucune munition pour ceux-ci.

[65] La gendarme Foote lui a expliqué pourquoi la police prenait au sérieux le courriel et la perception qu’il avait créée. Elle a répondu comme suit :

[Traduction]

C’est vrai, et c’est manifestement une très mauvaise erreur de jugement de ma part. Je suis convaincue que je ne referai jamais une telle chose.

[…]

Je ne me suis pas rendu compte que cela avait même été considéré comme une menace. Je n’ai pas dit que j’allais le faire.

[…]

J’ai seulement dit qu’un jour…

[…]

[…] Je suppose que j’essayais de laisser entendre au syndicat, vous savez, et je ne peux pas (inaudible) et j’espère qu’il ferait quelque chose. Je crois que c’est peut-être ce que j’espérais.

[…]

Vous savez, je n’ai jamais voulu faire de mal ou quoi que ce soit.

[…]

 

[66] La fonctionnaire a indiqué à la gendarme Foote qu’elle avait envoyé le courriel le 30 juin « à la fin de la journée ».

[67] Quand on lui a demandé quels renseignements la GRC avait fournis à Santé Canada avant l’ordonnance de communication rendue par la Commission, la gendarme Foote a répondu qu’en tant que policière, on lui avait dit de ne pas transmettre d’information à des tiers sauf s’il s’agit d’une question touchant la sécurité publique. On dit aux agents de demander d’obtenir de l’information en recourant aux mécanismes officiels.

[68] Après sa conversation avec la fonctionnaire et à la suite d’une discussion avec son superviseur, la gendarme Foote a déterminé que la fonctionnaire pouvait être libérée selon deux conditions, ce qui apaiserait les inquiétudes liées à la sécurité publique. Ces deux conditions étaient les suivantes : elle ne devait pas avoir de contact avec M. Shelley et ne devait pas se présenter à son lieu de travail. La fonctionnaire a signé une promesse faite à un agent de la paix de respecter ces conditions. Elle était liée à la promesse faite par la fonctionnaire de comparaître devant la cour, qui était en vigueur jusqu’au 24 octobre 2014 et qui devait arriver à échéance par la suite. Ce jour-là, la gendarme Foote était toujours en communication avec la Couronne au sujet d’une proposition d’accusation.

[69] Le 24 octobre au matin, la gendarme Foote a laissé un message sur la boîte vocale de la fonctionnaire afin de lui indiquer de ne pas comparaître à la cour. Une convocation serait émise plus tard. Le 24 octobre 2014, il n’a pas été dit à la fonctionnaire que les accusations seraient retirées; ce n’est ni la gendarme Foote, ni la Couronne, ni toute autre personne en cause qui lui auraient transmis cette information. La gendarme Foote a indiqué que la décision de ne pas déposer d’accusations a été prise en janvier 2015; le délai de six mois pour une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire était arrivé à échéance et la Couronne ne souhaitait pas aller de l’avant avec une infraction punissable par voie de mise en accusation. La gendarme Foote croyait que le bureau de la Couronne aurait transmis cette information à la fonctionnaire.

[70] Le 21 janvier 2015, la GRC a informé l’employeur que les conditions liées à la promesse n’étaient plus en place et qu’à ce jour, le procureur de la Couronne n’avait déposé aucune accusation.

[71] Les armes à feu de la fonctionnaire ont été confisquées le 2 juillet 2014 et le rapport de l’inventaire (pièce E-4, page 37) a été rédigé le lendemain. La gendarme Foote n’avait aucune raison de douter du témoignage de la fonctionnaire selon lequel elle n’avait jamais tenté de récupérer les armes à feu qu’on lui avait confisquées. La gendarme Foote a reconnu que la fonctionnaire avait indiqué qu’elle possédait un permis d’armes à feu valide et qu’elle n’avait jamais acheté de munitions. La gendarme Foote ne se souvenait pas si les armes à feu de la fonctionnaire étaient antiques étant donné qu’elle ne les avait pas vues. Les agents qui les avaient confisquées lui avaient seulement dit qu’il s’agissait d’armes d’épaule.

[72] Quand on lui a demandé de répondre à la suggestion selon laquelle le consentement de la fonctionnaire à subir un interrogatoire n’était pas authentique, car elle devait retourner chez elle pour prendre soin de son enfant, la gendarme Foote a répondu qu’elle n’avait pas à obtenir de consentement, car une personne peut être détenue à des fins d’interrogatoire pendant une période jusqu’à 24 heures. Que la fonctionnaire fasse une déclaration ou pas, cela n’aurait eu aucune influence sur la durée de sa période de détention.

[73] La gendarme Foote a témoigné que la fonctionnaire avait collaboré à son arrestation. Elle n’avait aucun antécédent de comportement inapproprié, ce qui constituait un facteur dans la détermination de sa libération conditionnelle. Quand on lui a demandé si elle avait informé M. Shelley des conditions liées à la libération de la fonctionnaire, la gendarme Foote a répondu qu’elle informe habituellement le plaignant des conditions de libération de la partie arrêtée pour assurer sa sécurité personnelle, mais qu’elle ne se souvenait pas de la chronologie de leur conversation.

[74] La gendarme Foote était d’accord avec le fait que M. Shelley avait indiqué ne pas se sentir menacé (pièce E-4, onglet 2, page 28). Il a confirmé dans son témoignage qu’il aurait préféré que les Relations de travail gèrent l’affaire à l’interne. Il n’avait pas peur ce jour-là. M. Shelley a confirmé que la fonctionnaire n’avait jamais recouru à la violence physique au travail. Il croyait que la gendarme Foote lui avait dit de s’absenter du bureau, et que les Ressources humaines l’avaient appelé pour l’encourager à partir, ce qu’il a fait. Il n’avait pas vu le texte du courriel jusqu’à l’audience. La gendarme Foote avait mentionné le mot [traduction] « tirer ». Il a indiqué qu’avec le recul, il aurait probablement dû avoir peur. Pendant qu’il se trouvait à la maison, il a reçu un appel de la gendarme Foote, qui lui a dit que l’affaire serait traitée comme une affaire policière.

[75] Dans la déclaration qu’il a faite à la gendarme Foote, M. Shelley a indiqué qu’il croyait que la fonctionnaire était émotionnellement instable. Il a ajouté que cet énoncé se fondait sur l’ensemble de leur relation de travail. Quand on lui a demandé si son observation comprenait des fois où la fonctionnaire pleurait à son bureau, M. Shelley a nié en avoir été témoin. Il ne s’approchait jamais de son poste de travail sans y avoir été invité, par crainte d’être accusé d’inconduite.

[76] M. Brander a été informé du courriel envoyé par la fonctionnaire le 2 juillet 2014, quand M. Cuddihey lui a téléphoné pour le mettre au courant. M. Brander voulait s’assurer que les Relations de travail participaient au dossier; il s’inquiétait de la sécurité du personnel et a demandé quelles mesures avaient été prises avec le secteur de la sécurité de Santé Canada. Il s’est assuré que la direction régionale avait accès aux ressources requises pour mener une enquête et que les processus et politiques étaient respectés.

[77] La fonctionnaire a été suspendue sans salaire le 3 juillet 2014. La lettre de suspension se lisait notamment comme suit :

[Traduction]

[…]

Le 2 juillet 2014, la GRC nous a informés que vous aviez écrit un courriel à l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC) au sujet de problèmes avec votre gestionnaire immédiat. On nous a informés que, dans ce courriel, vous avez fait référence à la violence pour régler votre situation. La présente vise à vous informer qu’une enquête administrative sera menée immédiatement.

Compte tenu des circonstances entourant les allégations susmentionnées, la direction a conclu que votre présence continue au lieu de travail présente un risque suffisamment grave et immédiat pour les préoccupations légitimes du ministère et en ce sens, vous êtes par la présente suspendue indéfiniment sans solde en attendant le résultat de l’enquête, à compter du 3 juillet 2014.

Pendant l’enquête et avant que la direction ne prenne une décision finale, vous aurez l’occasion de présenter les précisions ou circonstances atténuantes qui, selon vous, n’ont pas été étudiées dans le cadre de l’enquête. Nous comptons sur votre entière collaboration à l’enquête. La direction souhaite que l’enquête soit rigoureuse et rapide. Veuillez consulter votre convention collective concernant votre droit à la représentation.

Si nous déterminons que les allégations faites contre vous sont fondées, des mesures administratives et/ou disciplinaires pourraient être prises. Par contre, s’il est déterminé que ces allégations ne sont pas fondées, vous pourrez réintégrer le milieu de travail et vous recevrez un dédommagement conforme à la période pour laquelle vous avez été suspendue.

[…]

 

F. L’enquête administrative

[78] Le 23 juillet 2014, on a informé la fonctionnaire qu’une enquête administrative avait été lancée et que Mme Wass, la directrice régionale des Ressources humaines, la menait.

[79] Mme Wass a témoigné sur le processus d’enquête. Elle a suivi les procédures du gouvernement fédéral et de Santé Canada quand elle a mené l’enquête. Elle a recueilli de l’information auprès de la direction, a déterminé qui elle devait interroger, a mené les entrevues, a pris des déclarations et a remis aux personnes interrogées des copies de leurs déclarations à signer ou à modifier. Certaines personnes interrogées, y compris Mme Deol, ont apporté des modifications ou des ajustements à leurs déclarations. Mme Wass a examiné toute l’information, a rédigé une première ébauche du rapport et en a remis un exemplaire à la direction.

[80] Mme Wass a interrogé M. Shelley, Mme Seeling, M. Kakwaya, Mme Deol et la fonctionnaire. Quand on lui a demandé pourquoi les déclarations des personnes interrogées n’avaient pas été jointes à son rapport, elle a répondu qu’ils lui ont fait des déclarations complètes et qu’elle a décidé de les résumer. C’était la méthode d’enquête utilisée à ce moment-là.

[81] On a informé la fonctionnaire qu’une réunion obligatoire allait être tenue le 28 juillet 2014. On lui a dit qu’à cette réunion, elle [traduction] « […] aurait l’occasion de présenter toute information [qu’elle estimait] que la direction devait prendre en considération dans son processus décisionnel ». On l’a informée qu’elle avait le droit d’être accompagnée par un représentant syndical ou par une personne de son choix. On l’a aussi informée que [traduction] « […] toute information qui n’est pas directement donnée [par elle] ne sera pas prise en considération aux fins de l’enquête ». On lui a aussi dit que des mesures disciplinaires pourraient être prises en cas d’inconduite.

[82] Mme Wass a interrogé la fonctionnaire. À cette réunion, la représentante de la fonctionnaire a dit que celle-ci ne voulait et ne pouvait pas répondre aux questions, car une enquête de la GRC était en cours. Selon Mme Wass, la fonctionnaire a refusé de participer à l’enquête. En ce qui concerne la suggestion selon laquelle l’employeur aurait dû attendre que la GRC termine son enquête avant de procéder à la sienne, Mme Wass a répondu que l’employeur mène son enquête administrative séparément des autres enquêtes et en parallèle avec celles-ci. L’employeur était tenu de poursuivre sa propre enquête, étant donné qu’il avait en main une allégation d’inconduite possible et qu’il lui incombait d’enquêter afin de déterminer si une inconduite avait eu lieu.

[83] Dans son enquête, Mme Wass n’a obtenu que peu d’information de la GRC. Elle avait seulement l’information que la GRC avait transmise à M. Shelley sur l’arrestation de la fonctionnaire et les conditions imposées. Le secteur de la Technologie de l’information a tenté d’obtenir de l’information, mais n’en a que peu reçu. La GRC n’a présenté aucun échéancier à la direction sur les avancées dans l’instance criminelle.

[84] Un rapport préliminaire d’enquête a été présenté le 22 août 2014. Il indique que même si la fonctionnaire a participé à une entrevue, son avocate (qui représente le syndicat) a mentionné que son avocate de la défense criminelle lui avait conseillé de ne répondre à aucune question. À la lumière des entrevues menées auprès de M. Shelley, de Mme Seeling et de Mme Deol, l’enquêteuse a indiqué que les trois avaient mentionné craindre maintenant pour leur sécurité personnelle au travail.

[85] La fonctionnaire a reçu le rapport préliminaire sur l’enquête le 28 août 2014 ou vers cette date par l’intermédiaire d’une lettre envoyée par M. Cuddihey (pièce E-2, onglet 7). Elle a été invitée à donner des précisions ou à présenter des circonstances atténuantes qui, selon elle, n’avaient pas été abordées dans le cadre de l’enquête. Son avocate a répondu le 4 septembre 2014 et indiqué ce qui suit :

[Traduction]

Mme Wepruk a examiné le rapport et ses documents connexes. Cependant, elle n’a pas accès à son ordinateur de travail ou à aucun dossier du bureau. Elle est donc incapable de confirmer l’exactitude des allégations présentées dans le rapport. Elle nous a indiqué que le rapport contient de nombreuses erreurs, mais elle est incapable d’en dire plus, étant donné qu’elle n’a pas accès à son ordinateur ou aux documents qu’elle a laissés au bureau.

Le rapport pourrait mener à conclure que Mme Wepruk a commis une infraction au lieu de travail pour laquelle elle pourrait faire l’objet de mesures disciplinaires. Pour que tout soit clair, Mme Wepruk nie fermement être coupable d’inconduite.

 

[86] On a offert à la fonctionnaire l’accès à ses dossiers et personnels et électroniques à son bureau le 12 ou le 15 septembre 2014. Ses documents devaient être apportés à un autre poste de travail et elle devait avoir accès à ses dossiers informatiques pour les lire et les imprimer uniquement. Un représentant ministériel se trouverait dans la pièce avec elle et examinerait tous les documents avant que des copies en soient faites. Son avocate a répondu que les conditions en vertu desquelles l’accès devait être accordé étaient « inacceptables ».

[87] L’avocate a ajouté ce qui suit :

[Traduction]

[…] Quoiqu’il en soit, comme nous l’avons déjà indiqué lors de la réunion de recherche des faits tenue le 7 août 2014, l’avocate de Mme Wepruk a conseillé à celle-ci de ne pas répondre de façon détaillée aux allégations pour l’instant. Mme Wepruk aimerait y répondre à une date ultérieure, mais elle est incapable de le faire pendant que des accusations sont en suspens.

Par conséquent, Mme Wepruk n’est pas en mesure de présenter une réponse écrite à l’ébauche de rapport sur l’enquête administrative d’ici l’échéance du 19 septembre 2014.

 

[88] M. Cuddihey, comme Mme Wass, savait que la fonctionnaire contestait des erreurs dans le rapport. Il a témoigné qu’en ce qui concerne l’audience disciplinaire, et malgré les doutes de la fonctionnaire, le résultat n’était pas prédéterminé et que la direction le voyait comme une occasion pour la fonctionnaire ou son avocate d’ajouter des renseignements ou de formuler des commentaires, ce qui n’a pas été le cas.

[89] Mme Wass était en désaccord avec la suggestion du syndicat selon laquelle son rapport ne représentait pas assez les allégations d’intimidation et de harcèlement au lieu de travail soulevées par la fonctionnaire; elle a indiqué que l’enquête était dirigée par son mandat, dont l’objet était une allégation d’inconduite. Ni la fonctionnaire ni son avocate n’ont présenté d’information qui l’aurait menée à explorer ces allégations.

[90] Mme Wass a indiqué qu’elle était au courant des allégations formulées par la fonctionnaire dans ses griefs et a inclus des renvois aux griefs dans son rapport pour mettre en contexte l’inconduite qui était survenue. Son mandat ne lui exigeait pas de faire enquête sur les griefs. Elle ne s’est pas penchée sur le déroulement de la procédure de règlement des griefs, car il s’agit d’un processus distinct.

[91] Quand on lui a demandé s’il aurait été pertinent de se pencher sur les allégations de harcèlement, Mme Wass a répondu qu’elle avait déterminé qu’elles appartenaient au système de règlement des griefs et qu’elles étaient traitées. Mme Wass a mentionné que si la fonctionnaire et son avocate avaient soulevé cette question lors de son entretien avec elles ou en présentant des commentaires sur le rapport d’enquête préliminaire, à son avis, elle les aurait explorées. Elles n’ont pas fourni cette information.

[92] Quand on lui a demandé si elle était d’accord avec le fait que le harcèlement, si elle avait conclu que la fonctionnaire en était victime, aurait été un facteur atténuant dans la décision de la direction, Mme Wass a répondu qu’elle était d’accord, sous réserve de certains paramètres. L’information selon laquelle des allégations de harcèlement avaient été déposées et qu’elles étaient gérées était pertinente, et elle l’a indiquée dans son rapport. L’allégation visée par l’enquête portait sur l’inconduite. Il appartient à la direction de déterminer ce qu’elle fait avec l’information. À titre d’enquêteuse, elle ignorait ce qui avait été présenté à la direction.

[93] Quand on lui a dit que Mme Deol lui avait indiqué être victime de harcèlement de la part de Mme Seeling, elle ne se souvenait pas si Mme Deol lui en avait parlé directement.

[94] Mme Wass savait que dans une lettre (pièce E-2, onglet 8), la fonctionnaire avait indiqué que le rapport d’enquête préliminaire contenait des erreurs et avait nié avoir commis un acte d’inconduite. Elle savait aussi que la fonctionnaire avait indiqué qu’elle répondrait aux questions quand l’enquête criminelle serait terminée (pièce G-2, onglet 10). Quand on lui a demandé pourquoi elle n’avait pas attendu la fin de l’instance criminelle, Mme Wass a répondu qu’elle avait le mandat d’aller de l’avant et que la direction aurait pu lui exiger d’attendre. Une fois son enquête terminée, il appartenait à la direction de déterminer la façon de procéder.

[95] Quand on lui a demandé si l’une des personnes qu’elle avait interrogées avait indiqué que la fonctionnaire était sous l’effet de la contrainte pendant la période couvrant le courriel, Mme Wass a répondu que c’était le cas, s’ils l’avaient mentionné dans leurs déclarations et indiqué les périodes. Quand on a renvoyé au témoignage de M. Kakwaya, qui indiquait avoir vu la fonctionnaire pleurer, Mme Wass était d’accord avec le fait que les pleurs indiquent qu’une personne est sous l’effet de la contrainte, mais a ajouté qu’elle n’était pas qualifiée pour affirmer qu’il s’agit d’un signe de crise. Si la fonctionnaire ou son avocate avaient dit à Mme Wass que la fonctionnaire avait envoyé le courriel sous l’effet de la contrainte, elle aurait exploré cette affirmation en profondeur.

[96] Mme Wass ignorait tout du dossier disciplinaire de la fonctionnaire et n’a pas jugé qu’il était pertinent à son enquête visant à déterminer si la fonctionnaire avait rédigé le courriel. Mme Wass n’a pas soulevé directement les allégations d’intimidation et de harcèlement indiquées dans les griefs auprès des personnes qu’elle a interrogées; elle a posé des questions générales sur la situation au lieu de travail.

[97] Quand on lui a demandé si elle était au courant qu’un dysfonctionnement, sur le plan de l’inclusion, entre autres, existait au bureau de Burnaby en 2005, Mme Wass a répondu qu’elle était au courant de ces problèmes à cet endroit et à d’autres lieux de travail de Santé Canada. Quand on l’a interrogée sur les mêmes problèmes qui ont été indiqués dans les réponses des employés de ce bureau au Sondage auprès des fonctionnaires fédéraux de 2012, Mme Wass a répondu qu’à son retour au bureau, le 2 juillet 2014, elle n’avait connaissance d’aucun dysfonctionnement dans le programme de l’inspectorat ou de l’existence d’un lieu de travail toxique, et personne ne lui a mentionné. Quand on lui a dit que trois témoins avaient indiqué que le milieu de travail était toxique, Mme Wass a répondu que cela la surprendrait, mais elle l’a accepté en tant que fait et a ajouté que ce fait n’a pas été soulevé pendant son enquête.

G. L’audience disciplinaire et le licenciement

[98] L’audience disciplinaire a été fixée au 19 septembre 2014. Dans la lettre d’invitation du 15 septembre 2014, on a indiqué à la fonctionnaire qu’elle pouvait apporter des précisions ou présenter des circonstances atténuantes qui n’avaient pas été abordées dans le cadre de l’enquête à son avis avant qu’une décision définitive soit prise.

[99] La fonctionnaire a assisté à l’audience disciplinaire le 19 septembre 2014, accompagnée de sa représentante. À l’audience, son avocate a indiqué qu’elle ne présenterait aucun commentaire avant la fin de l’instance criminelle.

[100] Même si la fonctionnaire indiquait être victime de harcèlement dans ses griefs, M. Cuddihey a avoué que ceux-ci n’ont pas été pris en considération dans la décision de la licencier. Il n’a pas demandé aux Ressources humaines d’obtenir le dossier de la GRC et ignorait si les Ressources humaines avaient envoyé une telle lettre. Il n’a pas songé à présenter une demande d’accès à l’information auprès de la GRC afin de savoir à quel moment l’instance criminelle prendrait fin. Il a indiqué que le dépôt d’accusations par la Couronne ne faisait pas partie de son mandat; il se concentrait sur l’enquête administrative, et pas sur l’instance criminelle.

[101] M. Brander a assisté à l’audience disciplinaire le 19 septembre 2014 et a témoigné sur la justification de sa décision en faveur du licenciement. Il a indiqué qu’il n’était pas encore parvenu à une décision à ce moment-là. Étant donné qu’il était l’autorité ultime responsable de la décision, il jugeait important d’assister à la réunion. M. Cuddihey gérait le processus à titre de dirigeant principal de Santé Canada dans la région, mais c’est M. Brander qui prenait la décision ultime. Il a également indiqué catégoriquement dans son témoignage que les allégations de harcèlement déposées par la fonctionnaire n’avaient joué aucun rôle dans la décision de la licencier.

[102] M. Brander savait de façon générale que la fonctionnaire avait déposé plusieurs griefs et que ceux-ci progressaient dans le système. Il en aurait connu l’objet, mais pas les détails, car ils n’étaient pas rendus au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, là où ils les auraient entendus. Les griefs n’ont pas influencé sa décision, qui reposait sur la menace de violence précise à l’encontre du gestionnaire.

[103] En ce qui concerne le rôle qu’a joué M. Cuddihey dans le licenciement, M. Brander lui a demandé de présenter ses commentaires. Il a indiqué à M. Brander qu’il s’inquiétait de la sécurité au lieu de travail et qu’il appuierait un licenciement.

[104] En ce qui concerne la question de savoir s’il aurait dû attendre la fin de l’instance criminelle, M. Brander a indiqué que la direction avait communiqué à plusieurs reprises avec la GRC, mais que celle-ci avait fourni des renseignements « épars ». Il n’avait aucune indication quant à la durée de l’enquête criminelle. Il avait en main un courriel indiquant des menaces très précises dirigées contre une personne en particulier; il devait prendre une décision pour assurer la santé et la sécurité de tous les employés dont il était responsable. La fonctionnaire avait eu de nombreuses occasions de présenter des circonstances, même les plus anodines, en guise d’explication.

[105] La justification invoquée par M. Brander pour décider de licencier la fonctionnaire était la nature précise de la menace, ce qui allait se passer et qui en serait la victime. La fonctionnaire n’avait jamais tenté de rappeler son courriel et exprimé aucun remords pendant l’enquête ou à l’audience disciplinaire. Il a renvoyé aux connaissances générales issues des reportages dans les médias, selon lesquelles des menaces semblables qui ne sont pas traitées avec sérieux peuvent causer des dommages irréparables au lieu de travail. M. Brander a renvoyé au Code de valeurs et d’éthique du secteur public (pièce E-2, onglet 19), à la page 4, et à la section intitulée « Respect envers les personnes et intégrité ». Il a également renvoyé au Code de valeurs et d’éthique de Santé Canada (pièce E-2, onglet 20) et aux voies de règlement, à la page 5, ainsi qu’aux comportements attendus, soit le respect envers les personnes et l’intégrité.

[106] Quand on l’a renvoyé au grief de la fonctionnaire qui faisait état de problèmes de santé mentale (pièce G-2, onglet 15), M. Brander a indiqué que ceux-ci n’avaient pas été soulevés pendant l’enquête ou à l’audience disciplinaire. Ils ont été portés pour la première fois à son attention lors de l’audition du grief tenue le 29 janvier 2015. De même, les allégations de harcèlement et de lieu de travail toxique présentées par la fonctionnaire et qui l’avaient menée à envoyer le courriel n’avaient pas été soulevées dans le cadre de l’enquête ou à l’audience disciplinaire. Il a appris leur existence au moment de l’audition du grief.

[107] Quand il a décidé de licencier la fonctionnaire, M. Brander avait vu un extrait du courriel dans le rapport d’enquête, qu’il a lu (l’extrait indiqué à la page 68 du rapport d’enquête, pièce E-2, onglet 11; le texte complet du courriel se trouve à la pièce E-2, onglet 11-E). À sa connaissance, il n’a pas reçu le texte complet du courriel. Il a examiné le rapport d’enquête provisoire, qui contenait le courriel. Il savait que la fonctionnaire avait reçu le rapport provisoire dans le cadre de la procédure standard pour les enquêtes.

[108] M. Brander ignorait que la fonctionnaire avait déposé des allégations de harcèlement et d’intimidation qui n’avaient pas encore été traitées. Quand on lui a demandé s’il avait nié être au courant des allégations de harcèlement déposées par la fonctionnaire, M. Brander a répondu qu’un processus précis doit être suivi quand un employé dépose une plainte de harcèlement. La fonctionnaire avait déposé un grief, mais il ne s’agissait pas du mécanisme approprié à utiliser pour une plainte de harcèlement. Il n’aurait pas eu le texte du grief. En ce qui concerne le licenciement, il ignorait qu’elle avait déposé un grief dans lequel elle alléguait être victime de harcèlement, car il n’avait pas atteint le troisième palier de la procédure.

[109] M. Brander ignorait que le syndicat avait allégué que la réunion de recherche de faits tenue en février était partiale. Il ignorait aussi que la fonctionnaire avait indiqué à Mme Seeling qu’elle se sentait ciblée et harcelée par elle jusqu’à l’audition du grief au troisième palier de la procédure, le 29 janvier 2015. M. Brander a indiqué qu’il ignorait l’existence d’une relation mutuellement antagoniste entre la fonctionnaire et M. Shelley, mais qu’il était au courant des griefs qu’elle avait déposés. Il est entré en jeu au troisième palier et il est inapproprié pour lui d’intervenir tôt dans le processus. Les premier et deuxième paliers sont gérés par les Relations de travail, qui auraient su s’il fallait traiter le harcèlement allégué dans les griefs comme une plainte et mener l’enquête appropriée ensuite.

[110] Les facteurs dont M. Brander a tenu compte dans sa décision de licencier la fonctionnaire étaient le contenu du courriel, le fait que la fonctionnaire avait eu l’occasion de présenter des circonstances atténuantes, le Code de valeurs et d’éthique du secteur public, le Code de valeurs et d’éthique de Santé Canada, et la question de savoir si la menace avait brisé la relation employeur-employé.

[111] En ce qui concerne l’information dont l’employeur disposait sur la comparution devant le tribunal de la fonctionnaire, M. Brander a indiqué qu’il a eu une discussion avec l’agent de sécurité ministériel (ASM) afin d’en déterminer le statut, mais cette discussion n’a pas porté ses fruits, car la GRC n’avait donné que très peu d’information. Il croyait que l’ASM avait tenté de trouver l’information avant le licenciement. M. Brander a indiqué que le licenciement était distinct de l’instance criminelle et que l’employeur avait suivi ses processus internes. La fonctionnaire avait eu de nombreuses occasions de présenter ses commentaires et il a agi en fonction des faits à sa disposition.

[112] M. Brander savait que la fonctionnaire avait déposé deux griefs après sa suspension, étant donné qu’il lui avait dit qu’elle avait le droit de les déposer.

[113] Même s’il savait que la fonctionnaire avait une instance criminelle en suspens, M. Brander ne l’avait pas mentionné dans la lettre de licenciement du 9 octobre 2014, car il gérait un cas d’inconduite au lieu de travail, ce qui est un processus distinct d’une instance criminelle. Il ignorait que la fonctionnaire avait comparu en cour le 24 octobre 2014. M. Brander a indiqué qu’il n’avait vu aucune communication officielle après le licenciement qui indiquait que la Couronne n’allait pas déposer d’accusations à l’égard de la fonctionnaire et il n’a pas pris d’autres mesures pour le savoir.

[114] Quand on lui a demandé s’il avait tenu compte du fait que la fonctionnaire n’avait pas envoyé le courriel directement à M. Shelley, M. Brander a répondu qu’il s’agissait d’une menace précise à l’égard d’une personne en particulier, peu importe où il avait été envoyé. Il n’était pas d’accord avec le fait qu’il s’agissait d’un courriel privé envoyé au syndicat, parce que les courriels envoyés à partir d’ordinateurs de Santé Canada ne sont pas privés, car les ordinateurs sont des outils de travail. Les employés reçoivent chaque trimestre un courriel sur la politique relative aux courriels, qui comprend un lien sur lequel il faut cliquer pour indiquer son acceptation. Qui plus est, la fonctionnaire n’a montré aucun remords et n’a pas tenté de rappeler son courriel. Rien n’indiquait à l’employeur que le courriel avait été envoyé sur un coup de tête.

[115] En ce qui concerne la question de savoir s’il avait examiné les allégations de harcèlement présentées dans plusieurs griefs, M. Brander a indiqué qu’il avait consulté les Relations de travail afin de déterminer si elles correspondaient à la définition de « harcèlement ». Les Relations de travail ont indiqué qu’elles ne correspondaient pas à la définition et qu’il s’agissait de griefs. Il a examiné les griefs et déterminé qu’ils ne correspondaient pas à la définition de harcèlement.

[116] La lettre de licenciement de la fonctionnaire, signée le 9 octobre 2014 par M. Brander, se lisait comme suit :

[Traduction]

[…]

Après avoir examiné toute l’information pertinente, y compris les conclusions du rapport d’enquête administrative, et en tenant compte de votre position pendant l’audience disciplinaire, je conclus que la menace de violence à l’encontre d’un gestionnaire nommé de Santé Canada que vous avez proférée le 30 juin 2014 dans un courriel envoyé à partir de votre compte de courriel de Santé Canada à un tiers constitue un cas d’inconduite grave.

Votre conduite va à l’encontre du Code de valeurs et d’éthique du secteur public et du Code de valeurs et d’éthique de Santé Canada, qui vous exigent tous deux de vous comporter d’une manière qui démontre le respect envers les personnes, l’intégrité et la confiance. Par conséquent, j’ai déterminé qu’il était nécessaire de prendre une mesure disciplinaire.

Pour parvenir à cette décision, j’ai tenu dûment compte de votre dossier de service et du fait que vous n’avez pas reconnu avoir envoyé le courriel ou exprimé des remords.

Étant donné la nature et la gravité de l’inconduite, je conclus que l’élément de confiance fondamental essentiel à la relation d’emploi a été irrémédiablement rompu. Il est important de mentionner que vous vous êtes comportée d’une manière irréconciliable avec la nature de votre poste d’agente à l’intégrité des frontières de Santé Canada.

Par conséquent, en vertu de l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques, vous êtes par la présente licenciée avec motivation, et ce, à compter du 3 juillet 2014.

[…]

 

[117] Le licenciement a été mis en œuvre de façon rétroactive au 3 juillet 2014, le jour où la fonctionnaire a été suspendue sans salaire.

H. Le grief portant sur le licenciement

[118] La fonctionnaire a déposé un grief contestant son licenciement le 28 octobre 2014. Elle y indique qu’elle aurait dû être placée en congé de maladie plutôt que suspendue [traduction] « […] étant donné [qu’elle éprouvait] des problèmes de santé mentale ». Elle a également indiqué qu’elle n’aurait pas dû être licenciée [traduction] « […] étant donné les problèmes de harcèlement non réglés dont [elle était] victime à [son] lieu de travail ». Elle a allégué qu’il n’y avait tout simplement aucun motif valable à l’imposition d’une mesure disciplinaire. Autrement, elle a indiqué que la sanction disciplinaire était [traduction] « […] lourdement disproportionnée par rapport à toute inconduite alléguée ».

[119] Comme il a été indiqué précédemment dans la présente décision, le 21 janvier 2015, la GRC a informé l’employeur que les conditions liées à la promesse n’étaient plus en place et qu’à ce jour, le procureur de la Couronne n’avait déposé aucune accusation.

[120] À l’audition du grief, le 29 janvier 2015, l’avocat de la fonctionnaire a présenté des observations sur le grief portant sur le licenciement et sur d’autres griefs. L’avocat a soutenu à cette audience que ce sont des problèmes de harcèlement et d’intimidation qui avaient poussé la fonctionnaire à envoyer le courriel contenant la menace. L’avocat a aussi fait valoir que l’employeur devrait tenir compte du fait que le courriel n’avait pas été envoyé directement à M. Shelley et qu’il s’agissait d’une correspondance privée envoyée au syndicat. Il a ajouté que l’employeur aurait dû tenir compte de l’état mental de la fonctionnaire.

[121] Dans la réponse au grief du 25 février 2015, M. Brander a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Afin de répondre à l’argument de M. Bobert selon lequel les autres griefs constituent des exemples de harcèlement et d’intimidation de la part de l’employeur, je suis convaincu que la direction a agi de manière appropriée et de bonne foi quand elle a pris ses décisions, que vous avez ultimement contestées. Je suis aussi convaincu que la direction a agi conformément aux lois, règlements et politiques applicables, ainsi qu’à votre convention collective.

De plus, tout au long de l’enquête et du processus disciplinaire, vous avez eu l’occasion de présenter de l’information ou une explication au sujet de votre inconduite. Aucune information ou explication n’a été portée à l’attention de la direction et aucune indication ou information au sujet de votre état mental n’a été présentée en tant que préoccupation aux fins d’examen.

En outre, peu importe à qui la menace a été envoyée, le courriel que vous avez envoyé à votre représentante syndicale contenait une menace très précise à l’encontre d’un employé particulier nommé qui était également votre gestionnaire. Cette conduite va à l’encontre du Code de valeurs et d’éthique du secteur public et du Code de valeurs et d’éthique de Santé Canada, qui vous exigent tous deux de vous comporter d’une manière qui démontre le respect envers les personnes, l’intégrité et la confiance.

[…]

 

I. La demande de prestations auprès du TSS

[122] Après son licenciement, la fonctionnaire a présenté une demande de prestations d’assurance-emploi et s’est vu refuser le droit à celles-ci le 12 décembre 2014 au motif qu’elle avait été licenciée pour inconduite. Elle a porté en appel le refus devant le TSS et a participé à une audience le 7 décembre 2015. Une transcription a été faite de son témoignage sous serment à l’arbitre (pièce E-6).

[123] À l’audience devant le TSS, la fonctionnaire a témoigné qu’elle n’avait jamais reconnu avoir envoyé le courriel de menace. Devant le TSS, elle a soutenu la thèse selon laquelle l’employeur n’avait pas prouvé qu’elle avait envoyé le courriel, étant donné qu’il n’y avait aucun témoin et que l’estampille temporelle du courriel se situait en dehors des heures de bureau. Elle a également témoigné que sa représentante syndicale avait porté atteinte au principe de confidentialité en envoyant le courriel et qu’elle avait perdu son emploi non pas par ses actions, mais à cause de celles des autres.

[124] L’arbitre a rejeté l’appel dans une décision du 9 décembre 2015.

[125] À l’audience devant moi, la fonctionnaire a avoué avoir menti au TSS et ajouté qu’elle avait honte de son témoignage. Elle a indiqué qu’à ce moment-là, elle n’avait pas d’argent et risquait de perdre sa maison.

J. Allégations de harcèlement

[126] Comme il a été indiqué précédemment dans cette décision, la fonctionnaire a principalement concentré sa preuve en l’espèce sur les allégations de harcèlement qu’elle a déposées et sur le milieu de travail toxique dont elle alléguait avoir été victime pendant de nombreuses années. L’employeur a quant à lui banalisé ou nié l’existence ou sa connaissance de l’existence d’un tel milieu et allégué que la fonctionnaire était la cause de bon nombre des difficultés. Il a aussi soutenu qu’il avait pris des mesures à deux reprises pour tenter de résoudre ces problèmes, en donnant en guise d’exemple la tenue d’un exercice de promotion du travail d’équipe.

[127] Dans son témoignage, M. Brander a indiqué qu’il n’était pas au courant de ces problèmes. À titre de directeur général principal, il présidait un comité consultatif formé d’employés de tous les niveaux et de partout au pays qui donnait l’occasion à ceux-ci de faire part de problèmes. Il s’agissait d’un mécanisme qui permettait d’entendre directement parler des problèmes au lieu de travail. Deux ou trois membres provenaient de Burnaby. Aucun problème n’était soulevé à propos du bureau de Burnaby. Personne ne lui a mentionné l’existence d’un problème systémique ou d’un milieu de travail toxique à Burnaby. Il a également indiqué que la fonctionnaire n’avait pas donné d’exemples concrets qui correspondaient à la définition du terme « harcèlement » que l’on trouve dans la politique du Secrétariat du Conseil du Trésor et qu’elle n’avait donné aucun exemple à l’audience disciplinaire.

[128] Dans la section suivante de cette décision, je présente certains des éléments de preuve présentés au nom de la fonctionnaire qui portent sur ses allégations de milieu de travail toxique et de harcèlement. Je mentionne toutefois que le seul grief dont je suis saisi porte sur son licenciement et qu’elle a retiré le grief portant sur le harcèlement. Par conséquent, je suis limité à l’examen du grief portant sur le licenciement et, dans ce contexte, le problème de harcèlement devient une question d’atténuation. Elle a soutenu que le traitement dont elle avait souffert avait mené son état mental à un niveau où son comportement était atténué.

[129] La fonctionnaire a allégué qu’elle avait enduré un milieu de travail toxique, où l’on permettait que le harcèlement à son égard se poursuive, même si la direction en était au courant. Mme Deol et M. Kakwaya ont témoigné qu’ils croyaient fermement que le milieu de travail était bel et bien toxique.

[130] M. Kakwaya a indiqué qu’il régnait une ambiance toxique au travail au printemps de 2014. Il a indiqué avoir remarqué que le style de gestion de M. Shelley avait changé quand Mme Seeling s’était jointe à l’unité; tout s’est effondré. M. Shelley jouait à l’autruche. Peut-être qu’il ne pouvait pas voir que Mme Seeling ne se conduisait pas avec professionnalisme. M. Kakwaya a dit à M. Shelley qu’il n’était pas bien vu au sein de l’unité qu’il apporte du café à Mme Seeling tous les matins et tous les après-midi, car ces gestes créaient des rumeurs de favoritisme. M. Shelley a répondu qu’il avait le droit de le faire. M. Shelley a témoigné que Mme Seeling et lui partageaient une carte de café Tim Hortons.

[131] M. Kakwaya croyait que M. Shelley était au courant de la discorde qu’il régnait au bureau, car il en existait des preuves considérables. Les problèmes n’étaient pas liés aux employés, mais à la direction locale. Selon M. Kakwaya, M. Mori, le directeur régional, ne faisait que se rallier à la direction locale.

[132] Mme Deol et M. Kakwaya ont indiqué dans leurs témoignages qu’il y avait des préférés au bureau et que d’autres employés ne l’étaient pas, et ajouté qu’ils ne soulevaient pas les problèmes d’iniquité ou de manque de professionnalisme par crainte d’en subir les répercussions. Mme Deol a indiqué qu’elle connaissait un autre employé qui avait déposé des griefs et que sa carrière en avait subi des répercussions négatives en conséquence. Mme Deol a indiqué que la fonctionnaire et elle étaient blessées par le fait d’être exclues des activités sociales du bureau; on en dira plus à ce sujet plus loin dans la décision.

[133] Selon l’expérience de M. Kakwaya et les mots qu’il emploie, si un employé ne [traduction] « lèche pas les bottes » de Mme Seeling, sa [traduction] « carrière est fichue ». Il a indiqué que Mme Seeling enquêtait ou demandait à certains employés d’enquêter sur la vie privée d’autres employés. Il a indiqué ignorer pourquoi elle le faisait. Les nouveaux employés apprenaient qu’il était avantageux de devenir l’un des préférés : les employés temporaires, pour devenir des employés nommés pour une période indéterminée, et les étudiants inscrits à un programme d’alternance travail-études, pour obtenir un service continu une fois embauchés dans la fonction publique. Mme Seeling a quant à elle nié l’existence de préférés.

[134] La fonctionnaire a témoigné que Mme Seeling avait monté des employés contre elles, étant donné que ceux-ci voulaient demeurer dans ses bonnes grâces. Les employés ne voulaient pas établir de lien avec la fonctionnaire ou s’asseoir à côté d’elle aux réunions. Mme Seeling invitait d’autres employés et des étudiants à aller manger devant la fonctionnaire, mais sans l’inviter. Elle avait quelques amis, avec qui elle allait parfois marcher, mais ils ne voulaient pas être vus avec elle. Ils se rencontraient au stationnement sous-terrain en passant par la porte arrière, qui n’avait pas de fenêtre. Elle a allégué que les employés ne voulaient pas s’asseoir à côté de M. Kakwaya pour des raisons similaires.

[135] Selon la fonctionnaire, la participation de M. Kakwaya à un grief collectif en 2006 avait mené à son ostracisation. Mme Deol et M. Kakwaya ont témoigné qu’en 2006, un groupe d’employés du bureau de Burnaby avait déposé un grief collectif à l’encontre de M. Shelley qui portait sur le manque de transparence à l’égard de la nomination d’employés par intérim à des postes non annoncés. Mme Deol n’a pas participé au grief, mais M. Kakwaya y a participé. M. Shelley a ensuite communiqué avec le bureau de l’ombudsman et une séance de promotion du travail d’équipe a eu lieu. En ce qui concerne son allégation de répercussions par la direction, M. Kakwaya a allégué qu’il n’avait obtenu aucune affectation par intérim ou qu’il n’avait été retenu dans aucun des processus de dotation pendant un long moment après avoir participé à ce grief.

[136] La fonctionnaire a témoigné sur les personnes qui étaient des préférés et sur celles qui ne l’étaient pas au bureau. Mme Seeling prenait le contrôle des étudiants en faisant savoir qu’elle pouvait faire prolonger leur contrat ou les embaucher à temps plein. Elle disait aux étudiants qui était aimé au bureau et qui ne l’était pas. Mme Seeling l’a nié. La fonctionnaire a vu une étudiante appliquer du vernis sur les ongles de Mme Seeling. D’autres employés au bureau l’ont remarqué aussi. Mme Seeling a répondu que cet événement était survenu pendant une pause et qu’il n’y avait rien d’inconvenant à ce sujet.

[137] La fonctionnaire a indiqué que les préférés pouvaient suivre une formation à l’extérieur du bureau, et que M. Shelley l’interdisait aux autres. On a refusé qu’elle participe à cette formation, en lui disant que cela n’était pas prévu dans le budget. Elle a parlé de la fois où l’on a fait l’essai d’une nouvelle machine à Toronto (Ontario) afin de détecter des comprimés contrefaits qui traversaient la frontière, ce qui faisait partie de son travail. La Colombie-Britannique devait recevoir la même machine. Plutôt que de l’envoyer elle, la spécialiste des frontières, pour suivre une formation sur la machine, c’est un employé SG-04 qui y est allé. Mme Seeling a mentionné que la machine n’exigeait pas d’être utilisée par un spécialiste de l’intégrité frontalière et qu’elle avait parlé à un gestionnaire de la région du Québec de Santé Canada, qui lui avait dit que sa direction enverrait un employé SG-04 suivre la formation.

[138] M. Kakwaya a confirmé que la fonctionnaire n’était pas une préférée. En ce qui concerne la façon dont Mme Seeling la traitait, il a indiqué qu’en juin 2014, avant de devenir superviseur par intérim, il avait remarqué que la fonctionnaire n’avait rien dit lors d’une réunion sur l’intégrité frontalière, même si elle était la spécialiste de l’intégrité frontalière. Quand il a demandé à Mme Seeling pourquoi la fonctionnaire n’avait pas participé, elle a répondu que la fonctionnaire n’avait aucune idée à présenter.

[139] La fonctionnaire a cité les réunions hebdomadaires du Comité sur l’intégrité des frontières pancanadien par téléconférence en tant que source de harcèlement à son égard. Elle a affirmé que Mme Seeling prenait sa place pendant les réunions, ce qui la rendait embarrassée devant ses collègues de partout au pays.

[140] Avant les réunions, la fonctionnaire et Mme Seeling se rencontraient et Mme Seeling demandait une mise à jour. Pendant la réunion, Mme Seeling répétait tout ce que la fonctionnaire lui avait dit, le présentait comme si cela venait d’elle et demandait ensuite à la fonctionnaire si elle avait quelque chose à ajouter, ce à quoi elle répondait par la négative. Les collègues des autres régions appelaient ensuite Mme Seeling plutôt que la fonctionnaire.

[141] Mme Seeling a indiqué ne pas se souvenir de cela. Elle a reconnu qu’elle demandait à la fonctionnaire de lui donner de l’information et que c’est elle qui donnait le point de vue de la région, étant donné qu’elles venaient de la même région. Mme Seeling a nié avoir nui à la fonctionnaire lors de ces téléconférences.

[142] La fonctionnaire a aussi témoigné que le harcèlement s’étendait au type de travail qu’on lui confiait. À titre d’exemple, elle a parlé d’un tableau de service téléphonique mensuel pour des SG-04. Des superviseurs autres que Mme Seeling ne confiaient pas cette tâche à des SG-05. Mme Seeling a décidé que la fonctionnaire devait faire le service téléphonique, même si aucun autre SG-05 ne le faisait. En contre-interrogatoire, M. Shelley a confirmé que ce sont les SG-04 qui effectuent le service téléphonique, à moins que cette tâche soit confiée à des étudiants. Il a indiqué qu’à sa connaissance, les SG-05 n’effectuaient pas le service téléphonique sauf pour une raison précise.

[143] La fonctionnaire était la seule employée du bureau qui siégeait à un comité régional des préparatifs d’urgence présidé par M. Cuddihey, car cette tâche représentait 20 % de son travail. Les membres du comité se réunissaient chaque trimestre au centre-ville de Vancouver, mais M. Shelley avait dit à la fonctionnaire d’assister à la réunion par téléconférence. Quand elle a demandé à M. Shelley une explication, il a répondu que c’était lui le patron. Elle a répondu qu’il était plus efficace d’y assister en personne et elle s’organisait donc pour avoir une raison liée aux frontières de se trouver au centre-ville, ce qui lui permettait d’y assister en personne.

[144] D’après la description faite par la fonctionnaire, Mme Seeling avait un style de gestion contrôlant. Elle confiait des tâches inférieures à la fonctionnaire, comme la correction de documents. Mme Seeling l’a nié et a indiqué que le travail le plus routinier était lié aux tâches administratives, que la fonctionnaire accomplissait environ deux fois par mois, et que 20 inspecteurs exécutaient à tour de rôle ces tâches administratives. Elle travaillait aussi deux fois par mois au centre de courrier. La fonctionnaire a demandé à Mme Seeling de ne pas exécuter les tâches administratives et ne pas travailler au centre de courrier, mais n’a jamais demandé de travailler sur des dossiers complexes liés à l’intégrité frontalière.

[145] La fonctionnaire a également allégué que le harcèlement s’était étendu jusqu’à l’attribution de son espace de travail à son retour de congé, en 2011. Le bureau comptait une rangée de places situées près des fenêtres et une rangée de places à l’intérieur. À son retour au travail, on lui a attribué une place à l’intérieur, alors que tous les SG-05 avaient une place située près des fenêtres. M. Shelley a témoigné que les SG-05 n’avaient jamais eu des droits privilégiés à l’égard des postes de travail situés près des fenêtres. Certains SG-04 ont des places situées près des fenêtres, et certains SG-05 n’en ont pas. L’employeur a allégué que la fonctionnaire avait dit à ce moment-là que cela ne la dérangeait pas. En 2014, deux sièges situés près des fenêtres se sont libérés, un tirage au sort a eu lieu et la fonctionnaire a pu choisir sa place.

[146] La fonctionnaire a témoigné que l’intimidation et le harcèlement étaient en majeure partie subtils, mais blessants. M. Shelley ne la regardait pas quand il la croisait dans le corridor. S’il se trouvait dans la salle à manger quand elle y arrivait, il ne la saluait pas et partait. On l’a interrogé au sujet de cette allégation, ce à quoi il a répondu qu’il avait besoin du bon contexte pour répondre; il a toutefois allégué que la fonctionnaire l’ignorait aussi. Qui plus est, il n’est pas nécessaire d’avoir une conversation chaque fois que l’on se croise dans un corridor ou dans la salle à manger. Selon la fonctionnaire, quand elle croisait des préférés qui parlaient avec M. Shelley dans le corridor, ceux-ci lui tournaient le dos. Quand Mme Seeling lui parlait, elle faisait toujours des remarques désobligeantes à propos d’autres employés.

[147] La fonctionnaire a indiqué qu’elle avait entendu des conversations provenant de cubicules selon lesquelles Mme Seeling demandait aux SG-04 et aux étudiants de rendre compte de ce que la fonctionnaire faisait. M. Kakwaya a confirmé cette allégation dans son témoignage quand il a indiqué savoir que Mme Seeling demandait aux étudiants d’enquêter sur d’autres employés.

[148] La fonctionnaire a témoigné qu’elle ne voulait plus se trouver dans son bureau et que ses idées devenaient de plus en plus extrêmes.

[149] Mme Deol et M. Kakwaya ont témoigné que Mme Seeling s’adonnait à des commérages sur les employés au bureau. En ce qui concerne la fonctionnaire en particulier, Mme Deol a témoigné que Mme Seeling avait fait des commentaires sur ses congés fréquents et ses disputes avec M. Shelley. M. Kakwaya a témoigné avoir entendu Mme Seeling s’adonner à des commérages sur des employés et sur leurs absences, sans lien avec un objectif de travail légitime. Mme Seeling a nié s’être adonnée à des commérages sur la fonctionnaire ou sur quiconque au bureau.

[150] Quand Mme Deol a remplacé la fonctionnaire au poste de spécialiste de l’intégrité frontalière pendant que la fonctionnaire était en congé, de 2005 à 2008, elle était stressée et a allégué qu’on la scrutait à la loupe. M. Shelley considérait ce poste comme important, donc Mme Seeling l’a rendu important pour elle. Quand Mme Deol est partie en congé de maternité, elle ne voulait plus jamais occuper ce poste. Des collègues de partout au pays ont dit que Mme Seeling l’avait critiquée pendant qu’elle occupait ce poste. Mme Deol a témoigné que Mme Seeling avait formulé des commentaires négatifs sur les aptitudes de la fonctionnaire relatives à ce poste et allégué que Mme Seeling avait indiqué qu’elle voulait que la fonctionnaire soit congédiée. Mme Seeling a témoigné qu’elle ne se souvenait pas d’avoir dit qu’elle voulait que la fonctionnaire soit congédiée. Elle a dit qu’en fait, la fonctionnaire avait un rendement satisfaisant et qu’elle faisait ce qu’on lui demandait; il était invraisemblable que Mme Seeling ait dit que la fonctionnaire n’était pas une bonne employée.

[151] En 2014, Mme Deol a remarqué que la fonctionnaire était émotive et stressée. M. Kakwaya a aussi confirmé dans son témoignage qu’il avait vu la fonctionnaire pleurer au bureau et qu’il lui avait dit qu’elle pouvait joindre le Programme d’aide aux employés. La fonctionnaire lui avait répondu qu’elle était surchargée, car elle avait de nombreux griefs et beaucoup de documents à remplir. Mme Wass a interrogé Mme Deol et lui a posé des questions sur les événements qui ont mené à l’incident du courriel et lui a demandé pourquoi cette situation s’était produite, selon elle. Mme Deol lui a répondu qu’elle n’était pas surprise que l’événement se soit produit sous la supervision de Mme Seeling. Le lieu de travail était toxique et non professionnel, ce que de nombreuses personnes ont indiqué à plusieurs reprises.

[152] Dans son témoignage, Mme Deol a indiqué que des exercices de promotion du travail d’équipe avaient été menés au bureau de Burnaby en 2006 et de nouveau en 2011 et en 2012 à cause des tensions au bureau. Quand des réponses négatives ont été données au Sondage auprès des fonctionnaires fédéraux en ce qui concerne le bureau de Burnaby, M. Mori a envoyé une communication, dans laquelle il avouait que des problèmes évidents devaient être réglés et un deuxième exercice de promotion du travail d’équipe a eu lieu.

[153] M. Shelley a avoué qu’en 2006, la tension au sein du programme de l’inspectorat avait donné lieu à la tenue d’un exercice de promotion du travail d’équipe qui portait entre autres sur le respect au lieu de travail et sur l’inclusion. La situation s’est améliorée et est restée positive pendant environ deux ans, mais est revenue à ce qu’elle était avant quand les personnes ont relâché leur vigilance. En 2012, le problème de l’inclusion est revenu dans une certaine mesure. Il a indiqué que l’organisation en 2006 était différente de l’organisation actuelle et que bon nombre des employés présents en 2006 étaient partis.

[154] Certains témoins ont fait part d’inquiétudes en ce qui concerne le harcèlement à cause des problèmes de dotation. On y a renvoyé précédemment en l’espèce. Ces préoccupations étaient liées à la façon dont les étudiants étaient traités et embauchés, l’incident du vernis à ongles ayant été mentionné, ainsi qu’à attribution d’affectations par intérim.

[155] En ce qui concerne le poste de superviseur par intérim, M. Shelley a indiqué que sept ou huit personnes environ avaient fait part de leur intérêt et que parmi celles-ci, Mme Seeling et M. Kakwaya s’étaient vu offrir cette possibilité. La fonctionnaire a indiqué que le fait de ne jamais avoir eu la possibilité d’occuper ce poste par intérim était une indication de harcèlement. M. Shelley a confirmé qu’en l’absence d’un SG-06, le remplaçant le plus probable était un SG-05.

[156] Il a indiqué qu’un processus de dotation visant à pourvoir le poste de supervision pour une période indéterminée avait été lancé. La candidature de la fonctionnaire a été examinée et M. Shelley l’a soumise au processus de présélection. D’autres n’ont pas réussi le processus de présélection. Il fallait choisir entre un candidat qui n’avait aucune expérience de gestion préalable et d’autres qui avaient déjà occupé le poste par intérim. M. Shelley a ajouté qu’il était difficile de voir comment un gestionnaire de premier niveau pouvait entretenir une relation de confiance avec un gestionnaire intermédiaire, à la lumière des nombreux griefs que la fonctionnaire avait déposés à son égard. Ce commentaire n’était pas lié à ses capacités générales.

[157] La fonctionnaire a témoigné qu’elle n’avait pas la permission de siéger aux comités de dotation qui embauchaient des étudiants participant à un programme d’alternance travail-études, même s’ils faisaient principalement du travail lié aux frontières et qu’elle participait à leur formation. Elle avait également pris cours sur les comités de dotation. On a dit à M. Shelley en contre-interrogatoire que la fonctionnaire n’avait siégé à aucun comité de dotation en 2012, en 2013 ou en 2014. Il ignorait si elle avait demandé de participer à l’un d’eux et s’était vu refuser sa demande. Il était d’accord avec le fait qu’à ce moment-là, elle possédait l’expérience de travail requise pour siéger à un comité.

[158] En mars 2014, des employés du bureau sont allés suivre une séance de formation à l’Institut de technologie de la Colombie-Britannique. Des collègues d’Ottawa et de Toronto ont fait des présentations. Selon Mme Deol, pendant le dîner, Mme Seeling a apporté un iPad pour prendre les commandes de repas; cinq ou six employés, y compris Mme Deol et la fonctionnaire, ne se sont pas fait demander ce qu’ils voulaient commander.

[159] Pendant le trajet de retour au bureau, ils en ont parlé et deux d’entre eux ont pleuré parce qu’ils avaient été blessés. Mme Deol a dit qu’elle avait envoyé un courriel à ce sujet à M. Shelley le même jour. Elle a également témoigné qu’elle en avait parlé à M. Shelley et qu’il avait dit qu’il parlerait à Mme Seeling. Mme Deol ignorait si cette conversation avait eu lieu, étant donné que M. Shelley n’avait pas fait de suivi avec elle. Dans son témoignage, M. Shelley a avoué ne pas l’avoir fait.

[160] Mme Deol a également témoigné qu’elle avait parlé de l’incident à M. Mori, en alléguant que Mme Seeling avait manqué de professionnalisme; Mme Deol lui a toutefois demandé de ne pas en parler à Mme Seeling, car elle serait punie. Même si l’un des témoins a indiqué que la commande de repas avait été prise sur une feuille de papier plutôt que sur un iPad, la fonctionnaire, Mme Deol et Mme Seeling ont toutes indiqué qu’un iPad avait été utilisé pour prendre les commandes. Quoi qu’il en soit, rien ne dépend de l’article utilisé pour faire la commande.

[161] En ce qui concerne cet incident, Mme Seeling a témoigné que l’on avait fait circuler l’iPad parmi les personnes qui souhaitaient commander des nouilles. C’est à sa table d’abord que l’iPad a circulé, car son propriétaire y était assis, et Mme Seeling l’a apporté à une autre table après avoir passé sa commande. Elle ne contrôlait pas l’iPad. Mme Seeling n’avait pas l’intention d’exclure personne, étant donné que quatre autres tables avaient été incapables de participer. Elle a nié que M. Shelley lui avait parlé de cet incident, mais a avoué qu’une personne, Klara Richard, était venue la voir afin de lui dire qu’elle s’attendait à ce que Mme Seeling, en tant que superviseure, ait dû s’assurer que tous puissent participer. Mme Seeling a indiqué qu’elle ne croyait pas qu’elle devait être responsable d’organiser la commande auprès du fournisseur de nouilles parce qu’elle était la superviseure. Elle a fait circuler l’iPad à une autre table, qui aurait pu l’acheminer à une autre. Cinquante personnes, assises à huit ou dix tables, étaient présentes pour le repas. Mme Seeling a dit qu’elle ignorait que plusieurs personnes avaient pleuré lors de la marche de retour au bureau.

[162] La fonctionnaire et Mme Deol ont toutes deux allégué que la direction avait des problèmes avec les parents qui tentaient de trouver un équilibre entre leurs vies personnelle et professionnelle. Dans le cas de Mme Deol, pendant qu’elle remplaçait Mme Seeling au poste de superviseur par intérim à l’été de 2013, elle a pris des dispositions avec M. Shelley pour faire quatre heures en télétravail les jeudis. Mme Deol en a informé Mme Seeling à son retour et a remarqué que celle-ci n’était pas ravie de l’apprendre.

[163] Mme Seeling est allée voir M. Shelley et Mme Deol a témoigné qu’elle avait entendu leur conversation et que M. Shelley avait indiqué que le rôle de mère de Mme Deol était plus important pour elle que son rôle d’inspectrice. Mme Seeling s’est souvenue que M. Shelley l’avait dit, mais elle n’était pas certaine du moment où il l’avait fait. M. Shelley a témoigné que Mme Deol ne voulait pas concilier son travail et sa vie personnelle et qu’en fait, elle voulait accorder plus de temps à sa vie à la maison.

[164] Mme Seeling a témoigné qu’en septembre, Mme Deol avait pris des dispositions avec elle afin de suivre un cours de trois heures les jeudis pendant huit semaines consécutives. Elle voulait le faire à la maison et faire du travail administratif le reste de la journée de travail. Par la suite, elle voulait continuer de travailler de la maison. Mme Seeling lui a répondu qu’il n’était pas approprié qu’elle recommande cette demande au directeur régional, mais que Mme Deol pouvait la présenter.

[165] Le 15 novembre 2013, pendant l’évaluation du rendement de Mme Deol, Mme Seeling lui a dit qu’elle ne pouvait pas être en télétravail. Mme Seeling a indiqué que lors de cette réunion, Mme Deol s’est fâchée et lui a dit qu’elle se sentait punie parce que Mme Seeling et M. Shelley n’avaient pas d’enfants et pas de vie. Mme Seeling a dit que cette remarque l’a tellement blessée qu’elle a mis fin à la réunion et qu’elle a pleuré jusqu’à son retour à la maison. Sa relation avec Mme Deol a changé à la suite de cet événement.

[166] Mme Deol est allée voir M. Shelley et lui a dit que Mme Seeling la harcelait. Elle a allégué qu’il lui avait demandé si elle connaissait la définition du terme « harcèlement » et qu’elle ferait mieux d’en être convaincue, car il s’agissait d’une allégation très forte. Quand Mme Deol a répondu que le fait qu’elle se sente harcelée suffisait, M. Shelley a répondu qu’un tiers dirait probablement que Mme Seeling ne faisait rien de mal. Il a dit qu’il était inapproprié d’alléguer du harcèlement à moins de pouvoir prouver une telle allégation.

[167] M. Shelley lui a dit qu’un processus officiel était en place pour gérer les allégations d’intimidation et de harcèlement, et qu’elle aurait pu s’en prévaloir. Il ne lui a pas dit de déposer une plainte et ne l’a pas dirigée vers quelqu’un d’autre avec qui discuter de son allégation de harcèlement. Dans son témoignage, M. Shelley a avoué qu’il n’avait pas consulté ses supérieurs au sujet de l’allégation à son égard de discrimination fondée sur la situation familiale et a indiqué qu’il aurait géré les allégations de façon plus agressive s’il avait eu une autre occasion de le faire.

[168] Mme Deol a allégué que ceux qui faisaient partie du groupe des préférés recevaient un traitement préférentiel, notamment en ce qui concerne le télétravail. Afin d’étayer cette allégation de traitement préférentiel, elle a fait référence à une collègue, qu’elle a décrite comme l’une des préférées de M. Shelley, qui avait eu la permission de travailler de la maison 37,5 heures par semaine après avoir déménagé en Alberta avec son mari. (À ce moment-là, l’Alberta faisait partie de la région de la C.-B. de Santé Canada.) Dans son témoignage, M. Shelley a indiqué que la situation n’était pas comparable, étant donné que la collègue souffrait à ce moment-là de problèmes de santé et habitait à Olds (Alberta), ce qui représentait un long déplacement jusqu’au bureau, situé à Calgary (Alberta). M. Shelley a témoigné que, de 2011 à 2014, hormis Mme Deol et cette collègue, aucun employé n’avait d’entente de télétravail.

[169] Mme Deol a demandé à M. Shelley de lui faire part de sa décision définitive sur le rejet de la demande de télétravail, qu’elle considérait comme une attaque à sa situation familiale. Elle lui a dit qu’elle avait entendu sa conversation au cours de laquelle il avait dit qu’elle jugeait son rôle de mère plus important que son rôle d’inspectrice; M. Shelley a présenté ses excuses à Mme Deol, mais a mis fin à son entente de télétravail, en indiquant ne plus être à l’aise avec celle-ci. Il a indiqué qu’il aimait mieux que les employés soient sur place, étant donné la nature du travail et les exigences opérationnelles.

[170] Mme Deol a remplacé Mme Seeling à l’été de 2013 et a témoigné que cette dernière lui avait dit de se méfier des mères qui abusent des congés de maladie lors d’une réunion avant le début de cette affectation. Mme Seeling l’a nié et a indiqué qu’elle avait peut-être dit à Mme Deol de faire preuve de diligence à l’égard des demandes de congé de la fonctionnaire. Mme Deol a également témoigné que Mme Seeling l’avait avertie que la fonctionnaire serait probablement son plus gros problème, que Mme Deol devrait assister à la téléconférence parce que la fonctionnaire ne faisait pas son travail, et qu’il serait nécessaire de la surveiller constamment. Mme Deol a indiqué que Mme Seeling n’avait donné cette directive pour personne d’autre.

[171] Quand Mme Seeling est retournée au bureau après son congé, la première chose qu’elle a faite a été de poser des questions au sujet de la fonctionnaire. Mme Deol lui a répondu qu’elle n’avait eu aucun problème avec elle et qu’elle l’avait traitée avec respect et professionnalisme. Mme Seeling a reconnu qu’elle aurait pu avoir dit que la fonctionnaire serait le plus gros problème de Mme Deol et, même si elle ne se souvenait pas du commentaire sur la surveillance constante, elle a indiqué qu’il était possible qu’elle l’ait formulé.

[172] Mme Seeling a indiqué ne pas se rappeler d’avoir dit à Mme Deol comment elle recherchait des rapports de tendances sur les personnes qui abusaient peut-être des congés de maladie, mais a reconnu que cela était possible. Elle a indiqué qu’elle n’a jamais fait de commentaire sur les tendances en matière de congé des mères.

[173] La fonctionnaire a allégué que le harcèlement dont elle a été victime s’étendait au traitement de ses demandes de congé. À l’appui de son allégation, elle a renvoyé à une rencontre entre elle et Mme Seeling, le 8 octobre 2013, au sujet de ce que Mme Seeling appelait une tendance en matière de congés constatée les jeudis en septembre 2013, ce qui renvoyait au fait que la direction soupçonnait qu’elle fréquente la SFU pendant qu’elle était en congé. La fonctionnaire a relevé des erreurs et indiqué que toutes ses demandes de congés étaient soutenues et qu’elles avaient été entrées dans le système de suivi des congés.

[174] La fonctionnaire a également témoigné avoir appris que Mme Seeling avait effectué une recherche dans Internet et qu’elle avait suivi la présence de la fonctionnaire à une conférence scientifique à Ottawa pendant ses vacances. Quelques jours plus tard, Mme Seeling a envoyé un courriel à la fonctionnaire et lui a demandé de présenter un certificat médical pour toute autre absence médicale, ce qu’elle n’avait pas dit lors de la réunion.

[175] À l’automne 2013, Mme Seeling a dit à la fonctionnaire qu’elle avait remarqué que celle-ci avait utilisé les cinq jours de congé pour responsabilités familiales chaque année. La fonctionnaire lui a répondu qu’il s’agissait d’un droit en vertu de la convention collective et qu’elle n’utiliserait pas de congés annuels à cette fin.

[176] La fonctionnaire a également renvoyé à la réprimande écrite (pièce G-2, onglet 40) qu’elle a reçue en raison de ses absences les 8 et 9 avril, pour lesquelles elle n’avait pas présenté de certificat médical. Mme Seeling lui a rappelé son obligation à la suite de leur réunion d’octobre 2013 et, selon Mme Seeling, la fonctionnaire lui avait dit qu’elle n’en avait pas et avait mis fin à la conversation en lui tournant le dos. M. Shelley a ensuite écrit à la fonctionnaire, le 2 mai 2014 (pièce G-2, onglet 28), afin de lui demander de fournir un certificat, et elle en a remis un, du 7 mai 2014, à Mme Seeling le 12 mai.

[177] Dans son témoignage, M. Shelley a reconnu que la fonctionnaire avait pris de façon appropriée les journées du 8 et du 9 avril en tant que congés de maladie et qu’elle devrait être payée pour celles-ci. Il l’a toutefois rencontrée le 20 mai 2014, car il croyait que la présentation d’un certificat longtemps après l’absence constituait une insubordination, et il a décidé de la réprimander. Elle a déposé un grief qui a éventuellement été retiré et dont je ne suis pas saisi.

[178] En octobre 2013, la fonctionnaire se sentait intimidée et harcelée au sujet de ses congés. À ce moment-là, les personnes du bureau la considéraient comme une persona non grata; personne ne voulait être associé à elle. Elle pleurait au bureau. Elle a montré à certains employés de l’information sur l’intimidation provenant du Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail et leur a dit que c’est ce qu’elle subissait. Mme Seeling a indiqué qu’elle n’avait jamais vu la fonctionnaire pleurer au bureau sauf à deux occasions, pour des affaires personnelles, et qu’elle ne l’avait pas vue pleurer à son bureau. Elle ignorait que la fonctionnaire était stressée au printemps de 2014.

[179] Au début du mois de janvier 2014, la fonctionnaire a décidé de communiquer avec M. Mori par courriel afin de lui parler du problème de harcèlement et du congé de deuil. Elle a indiqué qu’en décembre 2013, Roy Thaller, superviseur de la Sécurité des produits, lui a dit que Mme Seeling parlait d’elle et qu’elle s’en prenait à elle et lui a suggéré d’en parler à M. Mori. Étant donné que M. Mori était occupé pour le reste de la journée, il lui a dit de communiquer avec M. Thaller en cas de problèmes immédiats de harcèlement et d’intimidation. Elle a répondu qu’elle l’avait déjà approché. M. Mori et la fonctionnaire se sont rencontrés le 9 janvier 2014 dans le bureau de celui-ci. Il a pris des notes pendant la réunion (pièce E-7).

[180] M. Mori s’attendait à ce que la fonctionnaire lui présente une plainte de harcèlement et d’intimidation, mais sa conversation se concentrait sur l’existence d’un groupe de « préférés » et d’un groupe d’« employés exclus » au sein du programme de l’inspectorat. Elle a indiqué qu’elle appartenait au groupe des « employés exclus » parce qu’elle avait déposé des griefs. M. Mori lui a demandé de donner des exemples de représailles à cause des griefs qu’elle avait déposés, mais elle n’en a donné aucun. La seule fois où elle a parlé d’intimidation et de harcèlement, elle a dit que Mme Seeling avait intimidé une étudiante en lui demandant de lui appliquer du vernis à ongles et que l’intégration des étudiants pour leur assurer un service continu allait à l’encontre des politiques de ressources humaines. Elle a indiqué qu’on lui avait refusé des possibilités de formation et sa participation à un salon commercial d’une journée à Seattle (Washington) et que Mme Seeling dénigrait d’autres employés. La fonctionnaire a indiqué qu’elle se trouvait sur la liste des mauvaises personnes.

[181] M. Mori a témoigné qu’il a posé des questions au sujet du congé de deuil étant donné que la fonctionnaire n’en avait pas parlé. Elle voulait obtenir une autorisation spéciale du sous-ministre, comme le prévoit la convention collective, afin qu’on lui accorde un congé de deuil pour le décès de son oncle. Il lui a demandé de présenter une demande, accompagnée de documents à l’appui.

[182] Selon la fonctionnaire, elle a communiqué à deux reprises avec M. Thaller au sujet du harcèlement. La première fois où elle l’a approché, il occupait un poste SG-06. La deuxième fois, il remplaçait M. Shelley et participait aux réunions de la direction. M. Thaller lui a dit que M. Mori était au courant de l’ambiance qui régnait au bureau et qu’il ne voulait rien gérer.

[183] M. Mori a retenu de la réunion que le fait d’avoir un groupe de « préférés » et un groupe d’« employés exclus » pouvait constituer une source d’intimidation, de harcèlement et de stress au lieu de travail. Il n’a pas été suggéré de faire un suivi parce que la fonctionnaire avait porté le sujet de l’existence des deux groupes à son attention. Elle ne lui a pas demandé d’enquêter sur la question et n’a pas présenté de plainte de harcèlement officielle. Elle n’a rien dit au sujet du harcèlement dont elle était victime de la part de Mme Seeling et du harcèlement et de l’intimidation dont elle était victime de la part de M. Shelley. M. Mori a compris qu’elle avait porté à son attention une situation qui pouvait mener à de l’intimidation et du harcèlement. Le seul conseil qu’il lui a donné au sujet des deux groupes a été de recourir au système de gestion interne des conflits.

[184] La fonctionnaire a témoigné du souvenir qu’elle gardait de sa réunion avec M. Mori. Elle lui a raconté ce qu’elle vivait au lieu de travail. Elle avait apporté la politique en matière de harcèlement du Conseil du Trésor et le formulaire de plainte de Santé Canada. Elle a renvoyé à une section de la politique qui portait sur ce que M. Shelley et Mme Seeling lui faisaient subir. Elle lui a donné des exemples précis de ce qui se passait, comme son exclusion sociale, ses problèmes de congé, les commérages de Mme Seeling et le cas de l’étudiante qui avait appliqué du vernis sur les ongles de Mme Seeling. La fonctionnaire a dit à M. Mori qu’elle était prête à présenter le formulaire de plainte à l’administration centrale de Santé Canada, à Ottawa, s’il ne faisait rien. M. Mori a indiqué que sa plainte n’irait nulle part à cause de la hiérarchie au gouvernement fédéral : il soutenait M. Shelley, M. Cuddihey le soutenait et M. Cuddihey était soutenu par son patron à Ottawa.

[185] M. Mori a témoigné que ce n’était pas le souvenir qu’il gardait de la réunion et qu’il n’aurait jamais dit à la fonctionnaire que sa plainte n’irait nulle part. La fonctionnaire a témoigné qu’elle lui aurait ensuite dit qu’il s’agissait d’une plainte officielle, que les choses ne pouvaient plus se poursuivre comme avant et qu’elle s’attendait à un changement. Elle a indiqué qu’elle n’avais jamais retiré sa plainte de harcèlement. Elle n’a jamais eu de nouvelles de M. Mori et n’a assuré aucun suivi auprès de lui, car, de toute évidence, il n’allait rien faire.

[186] La fonctionnaire a témoigné qu’à la mi-avril 2014, elle a rencontré Mme Bourgeault, du bureau de résolution informelle des conflits. La fonctionnaire lui a raconté tout ce qui s’était passé. Mme Bourgeault a indiqué qu’elle examinerait la situation et qu’elle lui reviendrait à ce sujet dans deux semaines. Quand Mme Bourgeault ne lui a pas donné de nouvelles, elle n’a pas fait de suivi. Elle n’en voyait pas l’utilité, car elle était épuisée; elle s’est concentrée sur son emploi et a tenté de se trouver un nouvel emploi pour s’éloigner de M. Shelley.

[187] Selon le souvenir que Mme Bourgeault garde de la réunion, la fonctionnaire avait des documents officiels, qu’elle avait présentés à la direction, et qu’elle avait des lettres qui confirmaient ce dont elle parlait. Elles ont discuté de ses griefs et de ses préoccupations. Mme Bourgeault se préoccupait davantage du bien-être physique et mental de la fonctionnaire en tant que personne et lui a demandé si ses qualifications lui permettaient d’explorer d’autres possibilités, advenant le cas où la situation ne se règle pas. Elle a dit à la fonctionnaire de prendre soin d’elle et a indiqué qu’elle se rendrait à Burnaby le lendemain afin d’effectuer un suivi auprès du gestionnaire.

[188] Mme Bourgeault a indiqué que son bureau mène ses activités de façon informelle. Si une plainte de harcèlement ou un grief avaient été déposés, ils auraient été mis en attente afin que son bureau puisse fournir de l’aide. Si les circonstances sont telles qu’il est impossible de gérer le problème de façon informelle, elle ne participe pas au processus. Dans le cas de la fonctionnaire, Mme Bourgeault estimait qu’il fallait plus qu’une conversation informelle.

[189] Le lendemain, à Burnaby, Mme Bourgeault a rencontré un gestionnaire dont elle a oublié le nom, mais qui savait qu’elle avait rencontré la fonctionnaire. Le gestionnaire lui a dit que la direction s’employait à corriger ces problèmes, mais pas aussi vite que la fonctionnaire le souhaitait. Mme Bourgeault a demandé de quelle façon la direction le communiquait à la fonctionnaire et on lui a répondu qu’une réunion serait tenue la semaine suivante. Mme Bourgeault n’a pas poursuivi la conversation par la suite. Ils ont discuté d’autres problèmes au bureau de Burnaby. Elle a confié à la direction le soin d’avoir une conversation avec la fonctionnaire.

[190] Quand Mme Bourgeault a prévu de retourner à Vancouver, elle a communiqué avec le gestionnaire afin de savoir si les choses avaient progressé et on lui a répondu que la fonctionnaire n’était plus une employée. Mme Bourgeault a avoué n’avoir pris aucune autre mesure en ce qui concerne le dossier. Elle n’avait pas le pouvoir de communiquer avec une personne qui n’est pas un employé de Santé Canada ou qui est en congé. Elle n’a pas effectué de suivi afin de savoir si la réunion prévue avec la fonctionnaire la semaine suivante avait eu lieu, mais elle savait qu’il y avait un lien avec les préoccupations de la fonctionnaire à l’égard d’un milieu de travail toxique.

[191] La fonctionnaire a dit qu’elle n’avait pas retiré sa déclaration faite le 9 janvier 2014 à M. Mori selon laquelle elle déposait une plainte de harcèlement officielle. Le 25 juin 2014, elle a déposé un grief dans lequel elle alléguait être continuellement victime de harcèlement et d’intimidation. Entre les mois de janvier et de juin 2014, elle a communiqué avec le syndicat au sujet de ces questions tous les jours ou presque, par téléphone ou par courriel.

[192] La fonctionnaire a témoigné que l’employeur savait qu’elle se croyait victime de harcèlement. En septembre 2013, elle avait dit à Mme Seeling qu’elle croyait que celle-ci ne se comportait pas de manière professionnelle à son égard et qu’elle considérait cette conduite comme du harcèlement. Mme Seeling a indiqué que la fonctionnaire n’avait pas utilisé le mot « harcèlement » lors de leur réunion du 8 octobre 2013, mais elle a témoigné que la fonctionnaire avait indiqué se sentir ciblée depuis son arrivée au bureau.

[193] La fonctionnaire a témoigné qu’en octobre et en novembre 2013, elle a dit à M. Shelley qu’elle était victime de harcèlement quand les problèmes liés à ses congés ont commencé. En décembre 2013, elle a signalé le harcèlement à M. Thaller. Il était d’accord avec le fait que l’employeur faisait beaucoup de favoritisme. En janvier 2014, elle en a parlé à M. Mori. Elle l’a signalé à M. Brander lors de sa réunion avec lui en janvier 2015.

[194] Comme il a été indiqué précédemment dans la présente décision, la fonctionnaire a dit qu’entre les mois de janvier et de juin 2014, elle a communiqué avec le syndicat au sujet de ces questions tous les jours ou presque, par téléphone ou par courriel. Elle a confirmé qu’elle n’avait jamais déposé de plainte de harcèlement par écrit. Si la direction lui avait dit de le faire, elle l’aurait fait.

[195] Comme il a été indiqué précédemment, la preuve a montré qu’il existait une certaine confusion quant à la question de savoir si la fonctionnaire avait déposé une plainte de harcèlement et si elle l’avait retirée. Cette confusion s’est dissipée dans un échange de courriels entre Mme George et Crystal Johnston, une conseillère principale en ressources humaines. Dans le courriel que Mme George a envoyé le 28 mars 2014 à Mme Johnston, elle fait référence à un malentendu et au fait que la lettre de M. Cuddihey du 27 mars 2014 est une erreur. Dans cette lettre, M. Cuddihey avait indiqué que les Ressources humaines l’avaient informé que la fonctionnaire avait retiré sa déclaration selon laquelle elle avait déposé une plainte officielle auprès de M. Mori pendant leur discussion du 9 janvier 2014. Mme George a écrit que, selon la fonctionnaire, elle voulait parler à M. Mori pour déposer une plainte officielle à l’encontre de M. Shelley et de Mme Seeling et qu’elle n’avait rien fait pour retirer cette plainte. Mme George a ensuite écrit : [traduction] « Peut-être serait-il sage que Mme Wepruk confirme cette plainte par écrit. »

[196] Mme Johnston a répondu à Mme George par courriel le 1er avril 2014, en joignant la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail de Santé Canada. D’après ce qu’elle comprenait de Mme George, la fonctionnaire n’avait pas encore déposé de plainte de harcèlement par écrit. Mme Johnston a indiqué que M. Mori croyait que l’affaire était réglée. Elle a indiqué que, si la fonctionnaire était d’avis que ses préoccupations n’avaient pas été adéquatement comprises ou apaisées, [traduction] « […] il faudra déposer une plainte écrite officielle et le processus pour les plaintes de harcèlement officiel sera suivi ».

[197] La fonctionnaire a dit qu’elle n’avait pas vu les courriels avant l’audience. Elle ne se souvenait pas que Mme George lui ait déjà dit de déposer une plainte de harcèlement officielle. Elle croyait que le grief était le mécanisme de recours à utiliser.

[198] Selon Mme Seeling, M. Mori lui a parlé de sa conduite à une seule occasion, à la fin du mois de juin 2014. Le problème qu’il a soulevé concernait la façon dont la fonctionnaire avait traité M. Tsou, et l’allégation que Mme Seeling avait présentée à la fonctionnaire en novembre 2013 selon laquelle elle avait intimidé et harcelé M. Tsou. M. Mori lui a dit d’exprimer son opinion avec prudence si elle croyait que quelqu’un intimidait ou harcelait d’autres personnes. Il lui a dit de recueillir l’information seulement et de ne pas tirer de conclusion, comme elle l’avait fait le 22 novembre 2013. M. Mori voulait que Mme Seeling suive un cours sur la prévention du harcèlement en milieu de travail. Elle a suivi un cours en ligne sur le respect en milieu de travail qui mettait l’accent sur le rôle du superviseur dans les cas de harcèlement. Mme Seeling a indiqué qu’elle était anéantie quand M. Mori lui a parlé de son comportement et elle a assumé la responsabilité de cette déclaration.

[199] L’employeur a déposé des éléments de preuve, par l’intermédiaire de M. Kakwaya, afin de montrer que la menace proférée par la fonctionnaire n’était pas sa première référence à la violence au lieu de travail. M. Kakwaya a témoigné qu’elle lui avait montré un article en ligne au sujet d’une fusillade survenue récemment dans un lieu de travail à Nanaimo (C.-B.), à la fin du mois d’avril ou au début du mois de mai 2014. Il a indiqué qu’elle lui avait dit [traduction] « C’est ce qui arrive quand on n’écoute pas les gens » et « Voici ce qui se passe quand les griefs présentés par des personnes ne sont pas écoutés ». Il a indiqué que cette question n’avait plus jamais été abordée.

[200] Le 23 juin 2014, le collègue de la fonctionnaire, M. Kakwaya, a été nommé au poste de superviseur par intérim à compter du 2 juillet 2014. Il a témoigné qu’elle lui avait demandé s’il allait la harceler [traduction] « comme Dennis et Kim » l’avaient fait.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

[201] Selon l’employeur, ce cas concerne une menace. La menace en question était bien réfléchie et n’a pas été proférée sur un coup de tête. La fonctionnaire avait eu quatre jours pour rappeler le courriel qu’elle avait envoyé à Mme George, mais elle ne l’a pas fait. Qui plus est, elle n’a jamais présenté d’excuses à M. Shelley au moment où les événements sont survenus ou à tout moment par la suite. Les remords doivent être exprimés en temps utile.

[202] Même si la fonctionnaire croyait que sa représentante syndicale était son avocate, les menaces de mort ne sont pas visées par le secret professionnel de l’avocat.

[203] L’employeur a nié être au fait du harcèlement que la fonctionnaire alléguait subir et indiqué qu’elle n’avait présenté aucune information à cet égard pendant l’enquête. Même si elle alléguait que le processus d’enquête était vicié, elle avait choisi de ne pas parler. Quand elle a allégué, entre autres, que Mme Wass était limitée par son mandat, cette dernière a témoigné que si l’avocate de la fonctionnaire avait soulevé les allégations de harcèlement pendant l’enquête, elle les aurait examinées.

[204] La décision rendue dans British Columbia Ferry and Marine Workers’ Union v. British Columbia Ferry Services Inc., 2008 BCSC 1464 (« B.C. Ferry »), citée par la fonctionnaire, n’appuie pas la proposition selon laquelle l’employé a le droit de garder le silence jusqu’à la fin d’une instance criminelle. Si un employé est accusé d’avoir commis une infraction, on ne peut pas lui imposer de mesures disciplinaires pour son silence.

[205] Aucune circonstance atténuante pour la fonctionnaire n’a été présentée à la direction quand M. Brander a pris la décision de la licencier. L’employeur a présenté des précédents à l’appui de son argument selon lequel elles doivent être présentées en temps opportun et a soutenu que la Commission doit examiner ce que M. Brander avait devant lui.

[206] L’avocat a soutenu que le défaut par la fonctionnaire d’expliquer sa conduite ou de reconnaître son inconduite n’était pas un droit, dans le contexte des relations de travail. L’avocat a fait valoir que la question de savoir si un employé a été honnête avec l’employeur, qu’il a reconnu le caractère inapproprié de la conduite en question, qu’il a présenté des excuses et qu’il a exprimé des remords et une volonté de corriger le comportement sont des considérations clés pour déterminer s’il faut atténuer la mesure disciplinaire; voir Naidu c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2001 CRTFP 124; Ayangma c. Conseil du Trésor du Canada (ministère de la Santé), 2006 CRTFP 64.

[207] L’avocat a fait valoir que le conseil de l’avocate criminelle de la fonctionnaire de ne faire aucun commentaire n’éliminait pas son obligation de collaborer entièrement pendant l’enquête; voir Hughes c. Agence Parcs Canada, 2015 CRTEFP 75; Francis c. Conseil du Trésor (Procureur général – Service correctionnel du Canada), dossier de la CRTFP 166-02-24111 (19931007), [1993] C.R.T.F.P.C. no 169 (QL).

[208] L’avocat m’a aussi renvoyé à Brazeau c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62, pour la proposition selon laquelle les employés sont tenus d’être francs dans une enquête sur une inconduite.

[209] En ce qui concerne la question du harcèlement en tant que mesure d’atténuation, l’employeur a renvoyé à la jurisprudence qu’il a présentée.

[210] La conclusion selon laquelle le lieu de travail était empoisonné qu’a tirée l’arbitre de grief dans la décision en matière de dotation Wepruk (Wepruk c. Sous-ministre de la Santé, 2018 CRTESPF 14), était incidente (les commentaires ne sont pas cruciaux à une décision et n’ont aucune force obligatoire). M. Shelley et Mme Seeling n’avaient pas été appelés à témoigner dans ce cas. Le syndicat n’avait pas fait valoir la préclusion découlant d’une question déjà tranchée.

[211] L’employeur a fait valoir qu’un employeur a des obligations en vertu du Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2) de prévenir et de réprimer la violence dans le lieu de travail (alinéa 125(1)z.16). Au sens du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (DORS/86-304), constitue de la violence dans le lieu de travail « […] tout agissement, comportement, menace ou geste d’une personne à l’égard d’un employé à son lieu de travail et qui pourrait vraisemblablement lui causer un dommage, un préjudice ou une maladie » (à l’article 20.2).

[212] L’avocat de l’employeur m’a renvoyé à Robillard c. Conseil du Trésor (ministère des Finances), 2007 CRTFP 41, dans laquelle l’arbitre de grief a mentionné à quel point il était important que l’employeur protège la santé et la sécurité des employés. Dans ce cas, l’arbitre de grief avait confirmé le congédiement. L’avocat m’a également renvoyé à Ricard c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada), 2014 CRTFP 72.

[213] L’employeur a soutenu que les témoignages de la fonctionnaire et de son témoin, Mme Deol, étaient problématiques. Il a contesté la crédibilité générale de la fonctionnaire et fait remarquer qu’elle avait nié avoir envoyé le courriel, même si elle avait fait une déclaration solennelle du TSS. En ce qui concerne le témoignage de Mme Deol, il a soutenu qu’il se fondait en majeure partie sur des spéculations et des conclusions.

[214] Tout renvoi à l’état médical de la fonctionnaire ne saurait être pris en considération, car aucune défense médicale n’a été présentée. L’avocat de l’employeur a soutenu que l’amertume et la colère qu’elle ressentait ne créaient pas d’obligation pour l’employeur de répondre à ses besoins; voir Kingston (City) v. C.U.P.E., Local 109 (2011), 210 L.A.C. (4e) 205.

[215] L’employeur a fait valoir que la jurisprudence relative au licenciement présentée par le syndicat n’avait rien à voir avec la jurisprudence actuelle : la société a évolué à la suite de ces décisions. L’employeur a fait remarquer que, dans Guelph (City) v. Canadian Union of Public Employees, Local 241, [2000] O.L.A.A. No. 143 (QL), le fonctionnaire dans cette affaire avait été congédié parce qu’il avait dit qu’il ne serait pas surpris qu’une fusillade ait lieu à son lieu de travail. L’arbitre a mentionné que les arbitres avaient reconnu que les menaces de violence au lieu de travail sont très graves et qu’elles donneront lieu à des réponses disciplinaires graves.

[216] L’arbitre a également mentionné que dans l’affaire dont elle était saisie, contrairement à d’autres situations où les arbitres avaient déterminé que le congédiement constituait une sanction excessive, il n’y avait eu aucune provocation immédiate. Elle a également mentionné qu’aucun remords ou aucune excuse n’avaient été véritablement présentés. Elle a rejeté le grief.

[217] L’avocat m’a également renvoyé à Livingston Distribution v. Industrial, Wood and Allied Workers of Canada, Local 700, (2001), 94 L.A.C. (4e) 129, en ce qui concerne l’importance de reconnaître l’inconduite au moment de déterminer le caractère approprié d’une réponse disciplinaire.

[218] En ce qui concerne l’argument invoqué par le syndicat selon lequel l’employeur n’a jamais demandé à la GRC de lui donner de l’information, celui-ci a confirmé l’avoir fait, comme l’a indiqué M. Brander dans son témoignage. La gendarme Foote a indiqué que la GRC ne divulguait pas d’information.

[219] Si le grief est accueilli, l’employeur a demandé une instruction distincte pour gérer la réparation.

[220] Enfin, l’employeur m’a renvoyé à la jurisprudence suivante : Ontario Store Fixtures v. United Steelworkers of America, Local 5338, [2001] O.L.A.A. No. 237 (QL); McCain Foods (Canada) v. United Food and Commercial Workers International Union, Local 114P3 (2002), 107 L.A.C. (4e) 193; Vancouver (City) v. Canadian Union of Public Employees, Local 1004, [2003] B.C.C.A.A.A. No. 285 (QL); Toronto Transit Commission v. Amalgamated Transit Union, Local 113, (2005), 145 L.A.C. (4e) 139; Greater Vancouver Regional District v. Greater Vancouver Regional District Employees’ Union, (2006), 147 L.A.C. (4e) 319; Johnson Controls L.P. v. National Automobile, Aerospace, Transportation and General Workers Union of Canada (CAW-Canada), Local 222, (2006), 150 L.A.C. (4e) 303; Société des Casinos du Québec inc. v. Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3939, 2007 CanLII 80093 (QC SAT); Casey c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2005 CRTFP 46; Way c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 39; Mangatal c. Administrateur général (ministère des Ressources naturelles), 2016 CRTEFP 43; Peterson c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2017 CRTEFP 29; Briar c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), 2003 CRTFP 3; Joss c. Conseil du Trésor (Agriculture et Agroalimentaire Canada), 2001 CRTFP 27.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

[221] Dans son témoignage, la fonctionnaire a reconnu que sa conduite quand elle a envoyé le courriel constituait un grave manque de jugement qui justifiait une réponse disciplinaire. Son avocate a également accepté le fait qu’une infraction passible de mesures disciplinaires avait été commise. Son avocate a toutefois fait valoir que son congédiement dans les circonstances entourant ce cas et à la lumière de l’ensemble de la preuve était excessif, en raison de plusieurs facteurs atténuants importants. Par conséquent, la fonctionnaire a concédé la première question de « William Scott », soit de savoir si une infraction passible de mesures disciplinaires a été commise.

[222] Je fais remarquer que la fonctionnaire faisait référence au critère à appliquer dans les affaires disciplinaires, établi dans Wm. Scott & Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1977] 1 Can L.R.B.R. 1 : Y a-t-il eu une inconduite de la part du fonctionnaire s’estimant lésé? Le cas échéant, la mesure disciplinaire que l’employeur a imposée était-elle une sanction excessive dans les circonstances? Si elle était excessive, quelle autre sanction, qui serait juste et équitable, devrait-elle y être substituée dans les circonstances?

[223] Même si l’employeur a soutenu qu’il est important de tenir compte de ce genre de menaces et de ne pas les sous-estimer, la fonctionnaire a cité la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2015 CAF 273, pour la proposition selon laquelle le harcèlement psychologique n’est plus toléré non plus. Elle a soutenu que l’employeur ignorait l’existence du lieu de travail toxique en 2014, avant le licenciement.

[224] L’avocate de la fonctionnaire a fait valoir que les menaces proférées dans le lieu de travail doivent être examinées en fonction du contexte et à la lumière de toutes les circonstances pertinentes. Un décideur doit prendre en compte tous les facteurs atténuants. On m’a renvoyé aux décisions suivantes : Mohamed c. Conseil du Trésor (Revenu Canada, Impôt), dossier de la CRTFP 166-02-16134 (19880520), [1988] C.R.T.F.P.C. No. no 139 (QL); Ottawa-Carleton (Regional Municipality) v. C.U.P.E. Loc. 503, [1994] O.L.A.A. No. 133 (QL); Public General Hospital Society of Chatham v. S.E.I.U., Loc. 210, [1996] O.L.A.A. No. 67 (QL); Commemorative Services of Ontario v. S.E.I.U., Loc. 204, [1997] O.L.A.A. No. 1109 (QL); Canadian Pacific Railway Co. v. National Automobile, Aerospace, Transportation and General Workers Union, Local 101 (CAW-Canada), 209 L.A.C. (4e) 399; National Steel Car Ltd. v. United Steel, Paper and Forestry, Rubber, Manufacturing, Energy, Allied Industrial and Service Workers International Union, Local 7135, [2011] O.L.A.A. No. 574 (QL).

[225] La fonctionnaire n’avait aucun antécédent de violence et aucun casier judiciaire et n’utilisait pas ses armes à feu. Même si le syndicat n’a pas défendu ses déclarations, il faut voir son courriel dans son ensemble.

[226] En ce qui concerne l’article de journal qu’elle a montré à M. Kakwaya, le harcèlement avait eu des conséquences sur elle et elle n’était pas au mieux de sa forme. M. Kakwaya n’a rien fait après qu’elle lui a montré l’article; de toute évidence, il ne l’a pas prise au sérieux.

[227] Même si l’employeur a renvoyé à la fusillade survenue à OC Transpo, à Ottawa, et que M. Brander a témoigné que la fonctionnaire avait formulé des commentaires « comme ceux-là » avant cet incident, ce témoignage doit être écarté, car il est vague et sensationnaliste. Si la Commission est disposée à accorder de l’importance à ce témoignage, dans le rapport présenté sur ce cas, on a conclu que l’employeur avait eu de nombreuses occasions d’intervenir et qu’il ne l’avait pas fait. Quoiqu’il en soit, la preuve n’est pas assez précise pour qu’on lui accorde une quelconque importance.

[228] L’avocate de la fonctionnaire a déterminé que les facteurs d’atténuation suivants étaient présents :

· le long service de la fonctionnaire (12 ans);

· son bon dossier antérieur et l’absence de dossier disciplinaire;

· le lieu de travail toxique et dysfonctionnel, et le défaut de la direction de régler les problèmes;

· le harcèlement et l’intimidation dont elle était victime;

· l’état de détresse visible dans lequel elle se trouvait en juin 2014;

· l’absence de préméditation dans l’envoi du courriel, ce qui démontre un manque de jugement momentané;

· la menace ne devait pas être vue par M. Shelley et elle avait été envoyée de façon confidentielle;

· l’absence d’intention de menacer ou de blesser quiconque;

· l’expression de remords;

· le fait que l’enquête sur l’inconduite était viciée;

· l’incidence considérable du licenciement sur elle.

 

[229] En ce qui concerne la question du service de la fonctionnaire, son avocate a soutenu qu’elle en comptait 12 années. Elle a rejeté la prétention de l’employeur selon laquelle il faudrait soustraire ses périodes de congé au moment de calculer son nombre d’années de service, ce qui lui laisserait environ neuf ans de service à Santé Canada. Le fait de ne pas compter son congé dans ses années de service serait discriminatoire. L’employeur n’a pas tenu compte du fait que son congé le plus long était d’ordre médical. Elle a invoqué que le fait de la traiter comme une employée ayant neuf années de service irait à l’encontre de la convention collective.

[230] Parmi les 11 circonstances atténuantes présentes en l’espèce, la fonctionnaire a soutenu que les plus importantes sont le milieu toxique et dysfonctionnel, le harcèlement, et le défaut de l’employeur de répondre à ses allégations de harcèlement. Cependant, n’eût été le lieu de travail toxique, la campagne de harcèlement et l’absence d’intervention de l’employeur, le courriel n’aurait pas été envoyé.

[231] La fonctionnaire a soutenu que l’employeur avait une obligation importante de fournir un lieu de travail exempt de harcèlement et de maintenir la santé et la sécurité des employés qui y travaillent. Il y a une obligation de maintenir un lieu de travail sain sur le plan psychologique. L’employeur ne peut pas refuser de voir les faits dont il est au courant. Aucune politique n’exige de présenter une plainte par écrit; il s’agit d’une option. En ce qui concerne le harcèlement commis par M. Shelley, la fonctionnaire a soutenu que si la Commission concluait qu’il ne l’avait pas harcelée, il avait à tout le moins manqué à ses obligations en vertu de la loi et l’avait traitée injustement.

[232] En contre-interrogatoire, M. Mori a confirmé que le favoritisme pouvait constituer du harcèlement. La fonctionnaire n’était peut-être pas une employée avec qui il était facile de travailler ou même bien aimée de ses pairs et gestionnaires, mais elle avait tout de même droit à la protection accordée par la loi en ce qui concerne le harcèlement en milieu de travail.

[233] Même si la fonctionnaire n’a présenté aucune plainte par écrit, ses allégations ont été présentées dans ses griefs.

[234] L’avocate de la fonctionnaire a soutenu que le lieu de travail était très dysfonctionnel et toxique, ce qui fournissait un contexte important dans lequel évaluer son congédiement. L’avocate a fait valoir que Mme Seeling avait identifié la fonctionnaire afin de lui faire subir un traitement dur et arbitraire et qu’elle entendait la congédier. La situation de la fonctionnaire était aggravée par l’inaction de l’employeur à répondre à ses allégations de harcèlement et autre. L’avocate a fait valoir que la décision rendue par la Commission dans la plainte en matière de dotation Wepruk appuyait la conclusion selon laquelle le lieu de travail était toxique quand l’arbitre de grief avait déterminé l’existence de favoritisme et d’un lieu de travail toxique. La fonctionnaire a reconnu que même si M. Shelley et Mme Seeling n’avaient pas été présents pendant la période en question dans cette décision, M. Mori, lui, l’était.

[235] L’avocate a soutenu que le témoignage de Mme Seeling selon lequel elle ne voulait pas congédier la fonctionnaire n’est pas crédible. Mme Deol a témoigné que Mme Seeling avait dit qu’elle voulait que la fonctionnaire soit congédiée et qu’elle n’était pas apte à occuper son poste. Mme Seeling a adopté la position déraisonnable selon laquelle la fonctionnaire était fâchée et irrespectueuse; elle a toutefois refusé de reconnaître que la fonctionnaire se trouvait dans un état de détresse émotionnelle.

[236] L’avocate a soutenu que la preuve de harcèlement au lieu de travail avant le retour au travail de la fonctionnaire en 2011 était très pertinente pour déterminer la sanction disciplinaire appropriée et qu’il convient de lui accorder une importance considérable. La conduite de l’employeur, y compris son inaction, est pertinente pour déterminer le caractère raisonnable de la sanction disciplinaire; voir l’ouvrage de Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e éd. au paragraphe 7:4410.

[237] L’avocate a fait valoir qu’en juin 2014, la fonctionnaire se trouvait dans un état de détresse et de frustration; elle pleurait à son bureau presque chaque jour. L’avocate a indiqué qu’à ce moment-là, la fonctionnaire a envoyé le courriel improvisé et mal fondé pour laisser libre cours à ses émotions (de façon confidentielle) auprès de sa représentante syndicale. Son avocate a mentionné qu’elle croyait que le courriel était visé par le secret professionnel de l’avocat. Elle a témoigné qu’elle avait reconnu avoir commis une erreur en l’envoyant, mais a laissé supposer qu’il fallait le lire en fonction du contexte. Sa frustration à l’égard d’un éventail de problèmes au lieu de travail s’accumulait et c’est ce qui transpirait dans le courriel. L’avocate a soutenu qu’un arbitre de grief peut reconnaître qu’un lieu de travail toxique ou du harcèlement peuvent causer du stress à un fonctionnaire s’estimant lésé; voir Proulx c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), 2002 CRTFP 45.

[238] L’avocate a abordé le fait que la fonctionnaire n’avait pas offert une défense médicale en soutenant qu’elle subissait un stress, que M. Shelley avait indiqué l’avoir remarqué et que l’employeur avait l’obligation de lui venir en aide. La Commission doit prendre en considération son stress en tant que facteur atténuant.

[239] La fonctionnaire a également soutenu que, même si la menace a été proférée, elle l’a été sur un coup de tête et ne l’avait pas considérée comme une menace. Elle avait même oublié l’avoir envoyé. Il n’y avait aucune preuve technique sur la suggestion de l’employeur selon laquelle elle aurait pu rappeler le courriel. Elle a témoigné qu’elle ne se souvenait plus de l’avoir envoyé, ce qui confirme donc qu’elle ne le considérait pas comme une menace.

[240] L’avocate a soutenu que l’employeur n’avait pas effectué une enquête juste sur l’inconduite, principalement en n’enquêtant pas sur les allégations de harcèlement en suspens présentées par la fonctionnaire ou en ne les évaluant pas. L’affirmation de Mme Wass selon laquelle son mandat ne comprenait pas d’enquêter sur ces allégations constituait une fausse déclaration contredite par la lettre de mandat. Les plaintes de harcèlement écrites en suspens à ce moment-là auraient dû être incluses, et ce, malgré le fait que la fonctionnaire n’a rien dit pendant l’enquête.

[241] L’avocate a fait remarquer que la fonctionnaire s’exposait à d’éventuelles accusations criminelles, ce qui signifiait qu’elle ne se trouvait pas dans une situation qui lui permettait de participer à l’enquête administrative, y compris de répondre aux questions de l’enquêteur.

[242] Dans B.C. Ferry, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a confirmé que même si la jurisprudence arbitrale établit que le silence en soi ne constitue pas une inconduite qui donne lieu à des mesures disciplinaires, le droit au silence n’est pas absolu. Dans ce cas, la Cour a déterminé que les intérêts de l’employeur à confirmer et à divulguer publiquement la cause de l’incident en question l’emportaient considérablement sur l’intérêt de l’employé à refuser de parler. L’avocate m’a renvoyé à l’exposé sur B.C. Ferry que l’on trouve dans Gill c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2009 CRTFP 19, au paragraphe 148. Les accusations criminelles à l’encontre de la fonctionnaire ont été abandonnées le 15 janvier 2015; à partir de ce moment-là, elle pouvait parler. Dès qu’elle a été en mesure de présenter sa défense, elle l’a fait.

[243] L’employeur a invoqué Naidu pour étayer la proposition selon laquelle le droit de garder le silence n’est pas enchâssé dans le régime des négociations collectives et que les employés sont tenus de collaborer aux enquêtes légitimes menées par l’employeur. Cependant, Naidu renvoie explicitement à la nécessité pour les deux parties d’entretenir une relation employeur-employé de confiance. Dans le présent cas, les lignes de communication et la relation de confiance étaient endommagées avant même le début du processus d’enquête à cause de l’inaction de l’employeur. Le défaut de l’employeur d’encourager une relation de confiance, comme l’allègue le syndicat, différencie le présent cas des faits sous-jacents à Naidu.

[244] L’avocate a fait valoir qu’aucune circonstance extraordinaire en l’espèce ne l’emporte sur l’intérêt de l’employé à refuser de parler, contrairement à B.C. Ferry. L’employeur avait pris les mesures qu’il jugeait nécessaires pour garantir la sécurité du lieu de travail. Il n’y avait aucun intérêt public à divulguer les détails entourant le courriel.

[245] Même si la fonctionnaire n’a présenté aucune excuse verbale à l’audience, l’avocate a indiqué qu’elle avait quand même exprimé des remords. Il faut garder à l’esprit qu’on lui demandait de présenter des excuses à une personne qui la harcelait et qui l’avait, pour reprendre les mots qu’elle a utilisés, [traduction] « torturée » pendant des années. Elle a soutenu que l’issue de ce cas ne pouvait pas dépendre de cette absence d’excuses. La preuve suffit à établir l’existence d’un lieu de travail toxique et de harcèlement, Mme Seeling en étant l’auteure principale. Mme Seeling n’a jamais dit qu’elle aurait pu faire des choix différents, comme ne pas surveiller la fonctionnaire ou parler à Mme Deol.

[246] La fonctionnaire a indiqué qu’il était raisonnable qu’elle juge que l’audience disciplinaire représentait une perte de son temps et qu’elle semblait inutile, étant donné que de multiples niveaux de gestion l’ignoraient à répétition depuis des mois.

[247] Dans ses arguments écrits, l’employeur a renvoyé au témoignage de M. Brander selon lequel la fonctionnaire n’avait présenté aucune défense et aucune allégation de harcèlement ou d’intimidation avant son licenciement. Elle a soutenu que cela était inexact et fait remarquer qu’elle avait déposé plusieurs griefs dans lesquels elle alléguait un harcèlement ou la mauvaise foi.

[248] L’avocate a affirmé que la fonctionnaire avait participé à l’enquête en janvier 2015 en présentant une explication. L’employeur n’était pas privé d’une explication et il en a reçu une avant qu’elle ne soit requise pour rendre sa décision définitive sur la mesure disciplinaire. La décision de la fonctionnaire d’exercer son droit de garder le silence et de compter sur sa conseillère juridique était justifiée. Sa décision ne devrait pas être utilisée contre elle au moment de déterminer la sanction appropriée. Elle a saisi la première occasion qui s’offrait à elle pour fournir une explication à l’employeur.

[249] L’avocate a présenté un long argument sur l’obligation de l’employeur de prévenir l’intimidation et le harcèlement. Je n’ai pas à résumer cet argument, car il est bien établi que l’employeur a des obligations en vertu de la convention collective, des lois, des politiques et des règlements pertinents de prévenir le harcèlement au lieu de travail.

[250] L’avocate a indiqué qu’il y avait des différences importantes dans les témoignages des témoins à l’audience. Il a été soutenu qu’il fallait appliquer le critère de crédibilité exposé dans Faryna v. Chorny, [1951] B.C.J. No. 152 (QL), aux paragraphes 11 et 12. En particulier, l’avocate a soutenu que le véritable critère à l’égard de la véracité du témoignage doit être son accord avec la prépondérance des probabilités qu’une personne pratique et bien renseignée reconnaîtrait facilement comme étant raisonnable dans cette situation et dans ces conditions.

[251] En ce qui concerne la question de la crédibilité, la fonctionnaire a fait valoir que Mme Deol avait témoigné en vertu d’une assignation à comparaître et qu’elle était réticente à témoigner sur M. Shelley et Mme Seeling. Qui plus est, elle avait une expérience de première main du harcèlement, sur lequel elle a témoigné. En ce qui concerne le témoignage de M. Kakwaya, la fonctionnaire a dit qu’il était le témoin de l’employeur et qu’il avait donné des exemples clairs de harcèlement.

[252] En ce qui concerne le témoignage de la fonctionnaire devant le TSS, l’avocate a soutenu que la fonctionnaire avait comparu devant lui sans avocat, mais qu’elle avait exprimé des remords et reconnu son inconduite devant la Commission. L’avocate a soutenu que cet incident isolé de malhonnêteté, survenu dans une situation financière très difficile et sous la menace de la perte de sa maison, ne diminuait pas le témoignage franc présenté par la fonctionnaire dans la présente instance. On lui a refusé sa demande de prestations d’assurance-emploi et a demandé de ne pas être pénalisée deux fois pour son erreur. L’avocate n’a pas dit qu’elle avait bien agi, mais que le témoignage qu’elle a livré à la Commission ne devrait pas être écarté dans son ensemble à cause de l’incident.

[253] L’avocate a soutenu que le grief de harcèlement déposé par la fonctionnaire était très pertinent pour déterminer la sanction disciplinaire appropriée et qu’il convient de lui accorder une importance considérable.

[254] Si l’on tient compte du contexte dans son ensemble et des facteurs atténuants importants dans le présent cas, ainsi que de la jurisprudence dans des affaires semblables, l’avocate a affirmé que le licenciement devrait être annulé et qu’une période de suspension devrait y être substituée en tant que sanction disciplinaire appropriée, et que la fonctionnaire devrait être réintégrée à un poste équivalent dans une section différente à Santé Canada.

[255] L’avocate a également soutenu que je devrais tirer des conclusions appropriées, établies par la preuve et de rendre les ordonnances et déclarations connexes appropriées en ce qui concerne le défaut de l’employeur de régler le problème du lieu de travail toxique et de gérer les plaintes à cet égard, ainsi que celles liées au harcèlement. L’avocate m’a demandé de faire une déclaration selon laquelle l’employeur a enfreint la convention collective, les politiques en matière de harcèlement applicables et la partie XX du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail en vertu de la partie II du Code canadien du travail. L’avocate m’a aussi demandé d’ordonner à l’employeur de mener une enquête indépendante sur les allégations de harcèlement et d’intimidation, et de faire des recommandations ou des ordonnances de réparation pour remédier à tout incident de harcèlement que je juge fondé.

[256] La fonctionnaire a été suspendue au début du mois de juillet 2014 et a été licenciée en octobre de la même année. L’employeur a présenté une demande d’accès à l’information à la GRC seulement après son licenciement. Elle n’était pas au lieu de travail et ne constituait pas une menace. Le fait que l’employeur lui offre d’accéder à son bureau et à ses dossiers électroniques montrait qu’il ne la considérait pas comme une menace. Il n’était pas nécessaire de décider à la hâte de la licencier. L’employeur avait l’information dont il avait besoin pour faire enquête, étant donné que des allégations de harcèlement étaient en suspens à ce moment-là.

[257] En ce qui concerne la question des griefs pour lesquels j’ai déjà conclu qu’il ne m’appartenait pas de les trancher et qui ont été retirés en vertu d’un mémoire d’entente, l’avocate a indiqué que l’employeur a tort d’affirmer que la réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs demeure en vigueur, étant donné qu’ils ont été retirés sans préjudice.

[258] En ce qui concerne la position de l’employeur selon laquelle les allégations de harcèlement qui précèdent les griefs ne peuvent pas être débattues, l’avocate a soutenu que la preuve du harcèlement dont la fonctionnaire a été victime avant son retour au travail en 2011 est très pertinente pour déterminer la sanction disciplinaire appropriée. La conduite de l’employeur, y compris son inaction, est pertinente pour déterminer le caractère raisonnable de la sanction disciplinaire.

[259] La fonctionnaire a contesté le défaut dans les cas présentés par l’employeur sur le licenciement, de se pencher aussi sur la question du harcèlement en tant qu’atténuation. Les cas qu’il cite commencent en 2000 et peu d’entre eux sont récents.

[260] L’avocate a également demandé le paiement de dommages non spécifiés à la fonctionnaire pour le défaut de l’employeur d’enquêter sur les plaintes ou pour son atteinte aux politiques en matière de harcèlement.

[261] Dans son plaidoyer final, la fonctionnaire a soutenu que l’employeur a l’obligation de fournir un lieu de travail sain, y compris un lieu de travail exempt de harcèlement. Au vu de l’ensemble de la preuve, Mme Seeling en particulier doit être reconnue responsable d’avoir créé un lieu de travail toxique.

[262] En ce qui concerne la question de l’instruction distincte demandée par l’employeur, si le grief est accueilli, la fonctionnaire a indiqué qu’il s’agirait d’une approche raisonnable, et elle s’en est remise à la Commission.

V. Analyse

[263] Les arbitres se sont penchés sur des menaces de violence au lieu de travail en tant que cas d’inconduite grave pouvant justifier un licenciement dans certaines situations, comme dans Guelph (City). J’accepte l’argument de l’employeur selon lequel ces menaces sont graves et qu’elles déclenchent la responsabilité de l’employeur prévue en vertu du Code canadien du travail. Toutefois, la jurisprudence n’établit pas que chaque cas où une menace est proférée justifie un licenciement automatique. Chaque cas doit être apprécié en fonction des faits qui lui sont propres et il faut évaluer les facteurs aggravants et atténuants.

A. Y a-t-il eu une inconduite?

[264] La fonctionnaire a concédé que le courriel constituait une inconduite qui justifiait une réponse disciplinaire de l’employeur. Je suis d’accord avec le fait que le courriel envoyé le 30 juin 2014 constitue une inconduite. La menace était explicite et crédible.

B. Les facteurs atténuants et aggravants

[265] Afin de déterminer si le congédiement constituait une réponse disciplinaire excessive de la part de l’employeur, je dois tenir compte des facteurs atténuants et aggravants. La fonctionnaire a le fardeau d’établir les facteurs atténuants; voir Wilson c. Conseil du Trésor (Procureur général – Service correctionnel du Canada), dossier de la CRTFP 166-02-25841 (19950301), [1995] C.R.T.F.P.C. no 23 (QL). Je me penche maintenant sur les facteurs atténuants qu’elle a avancés, mais j’ai modifié l’ordre dans lequel je les ai examinés.

C. Enquête viciée

[266] La fonctionnaire a soutenu que l’enquête viciée menée par l’employeur, en particulier en ce qui concerne la portée des questions couvertes dans l’enquête et son défaut d’examiner les allégations de harcèlement, constituait un facteur aggravant. La jurisprudence de la Commission a souvent confirmé que tout manquement qui survient dans le cadre d’un processus d’enquête préliminaire est corrigé par l’audience de novo (une audience qui se penche sur une affaire de nouveau) tenue devant la Commission; voir Pelchat c. Administrateur général (Statistique Canada), 2019 CRTESPF 105; Tudor Price c. Administrateur général (ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire), 2013 CRTFP 57; Patanguli c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 291, entre autres.

[267] L’argument avancé par la fonctionnaire selon lequel elle considérait le défaut de l’employeur de demander plus d’information à la GRC appartient aussi à cette catégorie, et tout manquement de la part de l’employeur a été corrigé par l’audience tenue devant moi.

[268] Il en va de même pour tout manquement de l’employeur à tenir compte de la question du harcèlement pendant le processus disciplinaire ou toute hâte alléguée à licencier la fonctionnaire avant d’avoir tous les faits en sa possession. Tous les faits et les facteurs atténuants ont maintenant été cernés et plaidés par la fonctionnaire, ce qui corrige tout manquement antérieur qui aurait pu exister dans le défaut de l’employeur de tenir compte de l’ensemble des circonstances pertinentes.

D. Le nombre d’années de service

[269] La fonctionnaire a soutenu qu’elle comptait 12 années de service, ce qui constitue une longue période et un facteur atténuant. L’employeur a quant à lui fait valoir qu’elle était une employée dont le nombre d’années de service était relativement faible, quand on tient compte des périodes de congé qu’elle a prises dans le cadre de son emploi.

[270] Je suis d’accord avec l’argument soutenu par la fonctionnaire selon lequel il pourrait être discriminatoire de ne pas tenir compte de certaines périodes de congé comme un congé de maternité et un congé de soins et d’éducation ou un congé de maladie. Il ne faisait aucun doute qu’elle avait droit aux périodes de congé qu’elle a prises et que celles-ci étaient des droits garantis en vertu de la convention collective pertinente, et je ne vois aucune raison de les soustraire de son nombre d’années de service. Je conclus qu’elle était une employée ayant un nombre d’années de service moyen, ce qui représente un facteur atténuant.

E. Dossier disciplinaire

[271] Le dossier de la fonctionnaire indiquait certaines mesures de discipline, sous la forme de deux lettres de réprimande, avant que l’inconduite dans le présent grief ne soit commise. Le syndicat a soutenu qu’il ne fallait pas tenir compte de ce dossier étant donné qu’il était le fruit du harcèlement dont la fonctionnaire était victime. Je ne suis pas saisi des griefs qui contestent ces mesures. Il s’agit d’un facteur aggravant mineur.

F. La nature de l’inconduite

[272] La fonctionnaire a soutenu que l’envoi du courriel constituait un manque de jugement momentané, qu’elle n’avait pas l’intention de blesser quiconque et que la menace avait été proférée de façon confidentielle. Même si, dans son argument, elle énumérait chacun de ces points en ayant des facteurs atténuants distincts, je suis d’avis qu’ils forment un tout et je les ai donc examinés ensemble.

[273] Je n’accepte pas que la menace de violence ait constitué un écart de jugement momentané. Même s’il n’a peut-être pas fallu beaucoup de temps pour rédiger le courriel et que ce dernier était peut-être attribuable à la pression intense qu’elle ressentait, la fonctionnaire était en colère et éprouvait beaucoup de ressentiment contre l’employeur depuis un certain temps. Elle avait fait référence à cette colère quand elle avait suggéré à un collègue de travail dans les jours précédant l’envoi du courriel qu’une fusillade au lieu de travail était possible, en parlant d’une fusillade survenue à Nanaimo. Elle y a aussi renvoyé pendant l’audience, quand elle a reconnu que ses pensées à ce moment-là étaient devenues [traduction] « plus extrêmes »; pourtant, elle a aussi reconnu qu’elle n’avait pas demandé de l’aide pour résoudre ses problèmes. De plus, elle n’a pas tenté de rappeler son courriel ou de faire un suivi en présentant une rétraction ou des excuses. Même si elle a soutenu qu’elle avait exprimé des remords, elle a accepté qu’elle n’avait pas présenté d’excuses. Je reviendrai aux remords, mais une expression immédiate de regret peut indiquer une erreur de jugement momentanée.

[274] J’accepte que la fonctionnaire n’avait probablement pas l’intention de blesser M. Shelley. Il était toutefois impossible pour l’employeur (ou pour la police) de déterminer son intention au moment où la menace a été proférée. L’intention peut être prise en considération dans le contexte du droit pénal, mais il ne s’agit pas d’un facteur important dans le contexte du lieu de travail.

[275] Une menace est une menace, et le fait que la fonctionnaire croyait l’avoir faite en toute confidentialité est sans importance. Il n’y a aucune attente de confidentialité quand une menace de violence crédible est proférée; voir Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur une revendication du secret professionnel de l’avocat, mais a fait remarquer qu’étant donné que le secret professionnel est le privilège ultime dans un litige, l’analyse s’appliquait aussi à tout autre privilège.

[276] Je n’accepte pas que la communication entre la fonctionnaire et sa représentante syndicale soit visée par un privilège. Je n’ai donc pas à déterminer à quelle catégorie de privilège ces communications pourraient s’appliquer. Je mentionne toutefois qu’il existe généralement une attente de confidentialité quand un employé parle à un représentant syndical. L’analyse de la Cour suprême est pertinente, car elle expose les cas dans lesquels il est approprié d’enfreindre le secret professionnel et de révéler des menaces à la police, comme le syndicat l’a fait en l’espèce. D’après ce que je comprends de l’argument de la fonctionnaire, elle n’a pas revendiqué le privilège, mais s’est plutôt fondée sur la nature confidentielle elle-même en tant que facteur atténuant.

[277] La Cour suprême a conclu qu’il faut tenir compte des trois facteurs suivants afin de déterminer si la sécurité publique l’emporte sur un privilège (voir Smith, au par. 77) :

· Une personne ou un groupe de personnes identifiables sontelles clairement exposées à un danger?

· Risquentelles d’être gravement blessées ou d’être tuées?

· Le danger estil imminent?

 

[278] Dans le présent cas, il y avait une menace exprimée de tuer un gestionnaire, ce qui constitue à la fois un risque clair pour une personne identifiable et un risque de blessures graves. En rétrospective, le danger ne semblait peut-être pas imminent. Toutefois, mieux vaut laisser les représentants de l’application de la loi, qui sont formés pour évaluer les risques de violence, évaluer un danger. Selon moi, il faut accorder moins d’importance à ce troisième facteur.

[279] Par conséquent, je conclus que la fonctionnaire n’aurait pas dû s’attendre à ce que le courriel qu’elle a envoyé à son syndicat demeure confidentiel quand elle y menaçait de recourir à la violence à l’encontre de son gestionnaire.

[280] En conclusion, je conclus qu’il s’agissait d’une inconduite grave. Il ne s’agissait pas d’un manque de jugement momentané et la fonctionnaire n’aurait pas dû s’attendre à ce que la menace qu’elle avait proférée demeure confidentielle.

G. Reconnaissance de l’inconduite et expression de remords

[281] La sanction disciplinaire imposée se fondait en partie sur la position de la fonctionnaire pendant l’enquête administrative et l’audience disciplinaire. Suivant le conseil de son avocate, elle n’a pas répondu aux allégations, étant donné que des accusations criminelles étaient en suspens.

[282] Dans l’affaire B.C. Ferry, citée par l’avocate de la fonctionnaire, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a confirmé que même si la jurisprudence arbitrale établit que le silence en soi ne constitue pas une inconduite qui donne lieu à des mesures disciplinaires, le droit au silence n’est pas absolu. Dans les circonstances extraordinaires entourant ce cas (la disparition de deux passagers à bord d’un navire), les intérêts de l’employeur à confirmer et à divulguer publiquement la cause de l’incident en question l’emportaient considérablement sur l’intérêt de l’employé à refuser de parler.

[283] En l’espèce, l’avocat de l’employeur n’a présenté aucun argument convaincant sur le caractère extraordinaire de l’affaire. Au vu de la preuve recueillie pendant l’enquête, il n’était pas nécessaire que la fonctionnaire participe au processus pour que l’employeur tire une conclusion sur l’inconduite. Par conséquent, je conclus qu’elle n’a pas fait preuve d’inconduite en maintenant son droit de garder le silence en ce qui concerne le courriel ayant mené à son arrestation et à la possibilité continue que des accusations criminelles soient déposées au moment où l’enquête administrative et son entrevue disciplinaire ont eu lieu. Par conséquent, il ne s’agit pas d’un facteur aggravant et l’employeur n’aurait pas dû en tenir compte au moment de déterminer la mesure disciplinaire appropriée.

[284] L’un des principaux facteurs atténuants dans les affaires de mesures disciplinaires est la question de savoir si l’employé a montré qu’il comprenait la gravité de son geste et avait exprimé des remords quand les inquiétudes relatives à son comportement ont été portées à son attention pour la première fois; voir Brazeau, dans laquelle l’arbitre de grief a accepté l’énoncé général de principe établi comme suit dans Oliver c. Agence des douanes et du revenu du Canada (une demande de contrôle judiciaire a été rejetée dans la 2004 CAF 1462) :

[…]

La reconnaissance de la culpabilité ou d’une certaine responsabilité pour ses actions est un facteur essentiel dans l’évaluation du caractère approprié de la mesure disciplinaire. Il en est ainsi puisque la possibilité de réhabilitation du fonctionnaire s’estimant lésé est fondée sur la confiance, et la confiance est fondée sur la vérité. Si un fonctionnaire s’estimant lésé a trompé son employeur, a omis de coopérer à une enquête légitime d’allégations de conflit d’intérêts et refuse d’admettre toute responsabilité en dépit des preuves qui montrent une faute, alors le rétablissement de la confiance nécessaire à une relation d’emploi est impossible.

[…]

 

[285] J’ai déjà accepté que l’on puisse comprendre que la fonctionnaire ne reconnaisse pas son inconduite quand des accusations criminelles pouvaient peut-être être déposées. Toutefois, il faut toutefois se pencher sur son défaut continu de reconnaître son inconduite après que la possibilité que des accusations criminelles soient déposées se soit dissipée (en janvier 2015). Ce n’est qu’à l’audition du grief en l’espèce qu’elle a reconnu son manque de jugement.

[286] En décembre 2015, près d’un an après que la possibilité que des accusations criminelles se soit évaporée, et dans un témoignage sous serment devant un arbitre du TSS, la fonctionnaire a dit qu’elle n’avait jamais reconnu avoir envoyé le courriel menaçant. En fait, les notes de son interrogatoire par la gendarme Foote confirment qu’elle a bel et bien reconnu l’avoir envoyé. Devant le TSS, la fonctionnaire a soutenu que l’employeur n’avait pas prouvé qu’elle avait envoyé le courriel. En outre, elle n’a pas reconnu que les gestes qu’elle avait posés avaient contribué à son licenciement. Elle a reconnu devant moi qu’elle avait menti sous serment devant le TSS et témoigné qu’elle l’avait fait, car elle se trouvait en détresse financière. Selon moi, il ne s’agit pas d’une excuse suffisante pour mentir sous serment.

[287] Le défaut de la fonctionnaire de reconnaître son inconduite à la première occasion, dans ce cas, à l’audience devant le TSS, est un facteur aggravant. Je considère aussi son témoignage clairement mensonger à l’audience devant le TSS comme un facteur aggravant.

H. Le milieu de travail toxique, le harcèlement dont la fonctionnaire était victime et son état d’esprit en juin 2014

[288] La fonctionnaire s’est fondée dans une large mesure sur ses allégations de harcèlement afin d’expliquer en partie sa menace de violence. Dans son plaidoyer, son avocate a indiqué que le milieu de travail toxique et dysfonctionnel, le harcèlement, et le défaut de l’employeur de répondre à ses allégations de harcèlement constituaient les facteurs atténuants les plus importants. Cet argument ressemble à un argument de provocation.

[289] La provocation peut constituer un facteur atténuant au moment de déterminer le caractère raisonnable de la mesure disciplinaire imposée pour des menaces de violence, mais, comme il a été dit dans Guelph (City), la provocation doit être immédiate. Comme il a été indiqué plus tôt dans la présente décision, le jour où la fonctionnaire a envoyé le courriel en question, on l’avait informée que sa demande de congé pour raisons familiales avait été refusée. Toutefois, selon moi, cela n’équivaut pas au niveau de provocation qui pourrait être considéré comme un facteur atténuant. Qui plus est, l’argument de la fonctionnaire se concentrait sur la nature à long terme du harcèlement, jusqu’à un moment où elle a réagi en envoyant le courriel menaçant.

[290] Comme on le suggère dans Guelph (City), il existait un mécanisme auquel la fonctionnaire pouvait recourir pour faire part de ses inquiétudes relatives à son lieu de travail. Elle a déposé un grief portant sur le harcèlement qui contestait directement ses allégations d’intimidation et de harcèlement continu au lieu de travail quelques jours seulement avant de proférer la menace (le 26 juin 2014). Même si elle avait exprimé des inquiétudes par rapport à des problèmes que l’employeur aurait dû voir comme un cas possible de harcèlement, elle ne s’était pas prévalue des mécanismes officiels en place pour les apaiser. Elle pouvait recourir aux processus de grief et de plainte pour répondre à ses inquiétudes, mais elle ne l’a pas fait. Je conclus qu’aucune provocation immédiate n’était telle qu’il aurait pu être justifié de la considérer comme un facteur atténuant dans le présent cas.

[291] La fonctionnaire a déposé beaucoup d’éléments de preuve sur sa perception selon laquelle elle était victime de harcèlement de longue durée sur un certain nombre d’éléments; comme je l’ai indiqué, toutefois, le grief dont je suis saisi conteste son licenciement. Je ne suis saisi d’aucun grief affirmant un cas de harcèlement ou de violation d’une convention collective ou d’une loi et, par conséquent, je n’ai pas compétence pour conclure qu’il y a eu violation d’une convention collective ou d’une loi. Ma compétence s’étend à l’évaluation de la crédibilité de ses allégations de harcèlement et à l’importance à accorder à son affirmation selon laquelle les gestes posés par l’employeur fournissent une circonstance atténuante.

[292] Je conclus qu’à tout le moins, la fonctionnaire a prouvé qu’elle se croyait totalement victime injuste de harcèlement. L’employeur a semblé accepter ce fait, car il a attaqué le fond de ses allégations de harcèlement, et pas sa croyance selon laquelle elle était victime de harcèlement.

[293] Mme Deol et M. Kakwaya ont tous deux présenté des témoignages crédibles en ce qui concerne l’existence perçue d’un milieu de travail toxique, où ceux qui faisaient partie du groupe des employés exclus croyaient que la direction s’adonnait à des activités inappropriées et à du favoritisme. La section avait participé à deux reprises à des exercices de promotion du travail d’équipe et avait fait l’objet d’une décision antérieure en matière de dotation de la Commission, dans laquelle bon nombre des mêmes allégations de harcèlement avaient été soulevées. Les témoins de la direction ont reconnu être au fait du milieu de travail négatif et la fonctionnaire a prouvé qu’elle avait porté les questions relatives à ce qu’elle considérait comme un comportement inapproprié de la direction à plusieurs reprises auprès de Mme Seeling, de M. Shelley, de M. Mori et de M. Thaller.

[294] Même si l’employeur a nié savoir que le problème de harcèlement avait été soulevé adéquatement, je trouve cette thèse malhonnête. Même si la fonctionnaire n’avait peut-être pas utilisé spécifiquement le mot « harcèlement » dans ses nombreuses discussions avec l’employeur, ses plaintes étaient clairement de cette nature et n’auraient dû laisser aucun doute dans l’esprit de l’employeur quant à sa perception des événements. Dans son témoignage, M. Mori a indiqué que le favoritisme pouvait correspondre à du harcèlement et la preuve a montré que la direction avait été informée des allégations de favoritisme, comme la commande de repas avec l’iPad, entre autres incidents. L’employeur était au courant de ce qui était à tous le moins un malaise chez certains employés en ce qui concerne la dotation, l’embauche et le maintien en poste des étudiants estivaux et les faveurs qu’on leur demandait (comme l’application de vernis à ongles), les rebuffades sociales et les pratiques de gestion que les employés ont définies comme de l’espionnage. Il y avait aussi une perception selon laquelle toute opposition soulevée à l’encontre de pratiques répréhensibles donnerait lieu à des représailles. La direction était au courant des allégations selon lesquelles les employés qui tentaient de concilier leur travail et leur vie personnelle n’étaient pas vus d’un bon œil et un témoin de l’employeur a avoué qu’il n’avait pas pris la question assez au sérieux et qu’il avait ignoré une conversation à ce sujet sans prendre de mesures.

[295] Je conclus que l’employeur était au courant d’un certain niveau de discorde et de tristesse dans la section en ce qui concerne un certain nombre de pratiques de gestion et d’attitudes perçues et qu’il n’a pris que les mesures minimales qu’il jugeait nécessaires pour gérer la situation. Toutefois, le simple fait que la fonctionnaire se soit trouvée dans un milieu de travail stressant et toxique ne l’absout pas en soi de toute sa responsabilité à l’égard de sa conduite. Qui plus est, le fait qu’elle se croyait la victime précise de harcèlement ne suffit pas en soi à l’absoudre de son inconduite.

[296] Je ne souscris toutefois pas à l’argument avancé par l’employeur selon lequel la décision en matière de dotation Wepruk rendue précédemment par la Commission devait être écartée parce que la conclusion de l’existence d’un milieu de travail constituait une remarque incidente. Je n’ai cependant pas accordé une grande importance à cette décision et j’ai fondé mes conclusions de fait sur la preuve qui m’a été présentée.

[297] Je dois mentionner que je rejette l’allégation de la fonctionnaire selon laquelle la direction s’efforçait de la congédier. Même s’il y a amplement de preuve pour appuyer l’allégation selon laquelle la direction la considérait comme une employée difficile, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle n’a pas prouvé que la direction cherchait à la congédier. Même si Mme Deol a témoigné que Mme Seeling lui avait fait part de ce désir, la preuve ne montre pas qu’elle a mené une campagne pour licencier la fonctionnaire. Malgré les sentiments qu’elle entretenait à l’égard de la fonctionnaire, Mme Seeling lui a donné une évaluation du rendement positive et a témoigné en toute franchise que la fonctionnaire accomplissait un bon travail et qu’elle occupait un poste clé. Ni le témoignage de Mme Seeling ni celui des autres témoins de l’employeur n’a divulgué le type de sentiment qui indiquait son intention de la licencier. La preuve des mesures disciplinaires que la direction a prises à l’encontre de la fonctionnaire, dont il faut accepter le fonds, n’étaye pas l’allégation selon laquelle une campagne visant à la licencier avait été menée.

[298] Étant donné que je ne suis saisi d’aucun grief de harcèlement et qu’il m’incombe seulement d’évaluer la question du harcèlement comme un facteur atténuant, je ne suis pas contraint de tirer de conclusion sur l’existence de harcèlement, au sens de la politique du Conseil du Trésor ou de la loi. Ma compétence en l’espèce s’étend à déterminer si la fonctionnaire se croyait victime de harcèlement et si cette perception l’a ultimement menée à envoyer le courriel menaçant et, si tel est le cas, à quel point le harcèlement constitue un facteur atténuant dans la détermination de la sanction. Si je conclus que sa perception de harcèlement était honnête et raisonnable, mon rôle est donc de déterminer l’importance à donner à ce facteur.

[299] J’ai conclu, selon la prépondérance des probabilités, que la fonctionnaire a établi que le milieu de travail au moment où les événements en question sont survenus était effectivement tendu et stressant et qu’elle avait manifesté des signes évidents de stress accru au lieu de travail, comme le prouvent le fait qu’on l’a vue pleurer à son bureau et sa référence à d’autres fusillades au lieu de travail. Je conclus que la preuve étayant sa croyance selon laquelle elle était victime de harcèlement est crédible et, selon la prépondérance des probabilités, raisonnable. Je ne conclus toutefois pas ici qu’elle a bel et bien été victime de harcèlement, mais seulement qu’elle croyait l’être. Je conclus aussi qu’elle a envoyé le courriel, car elle était de plus en plus en colère et stressée. Par conséquent, je dois déterminer l’importance à accorder à son état d’esprit au moment où les événements en question sont survenus. Selon mon raisonnement exposé ci-dessous, je suis seulement disposé à accorder une importance minime à l’état d’esprit de la fonctionnaire en tant que facteur atténuant.

[300] Même si le faux témoignage que la fonctionnaire a livré devant le TSS met en doute sa crédibilité, je ne suis pas prêt à écarter l’ensemble de sa preuve pour cette seule raison. Je conclus que la preuve qu’elle a présentée sur le problème de harcèlement et sur son état d’esprit au moment où les événements en question sont survenus était étayée par celles présentées par M. Kakwaya et Mme Deol, et que cette preuve formait une grande partie de son témoignage.

[301] J’accepte l’argument de l’employeur selon lequel je ne puis aller plus loin sans preuve médicale sur l’état d’esprit dans lequel la fonctionnaire se trouvait à cause du harcèlement perçu dont elle se croyait victime. J’accepte qu’elle a prouvé qu’elle était triste et en colère au moment où les événements en cause sont survenus, mais je ne dispose d’aucune preuve médicale de sa culpabilité pour l’envoi du courriel et par conséquent, aucun fondement ne me permet de conclure que sa responsabilité mentale à l’égard de ses actes était réduite.

I. État de détresse visible

[302] La fonctionnaire a invoqué son état d’esprit quand elle a proféré la menace en tant que facteur atténuant. Dans Rahmani c. Administrateur général (ministère des Transports), 2016 CRTEFP 10, un grief portant sur la violence au lieu de travail, la Commission a pris en considération en tant que facteur l’état de santé dans lequel se trouvait le fonctionnaire s’estimant lésé dans ce cas quand elle a réduit la sanction disciplinaire. Toutefois, dans ce cas, la Commission avait accepté une preuve considérable du médecin traitant du fonctionnaire s’estimant lésé pour expliquer en partie son comportement. Il n’y a dans le présent cas aucune preuve du genre.

[303] J’accepte que la fonctionnaire était frustrée et se sentait harcelée. Toutefois, sans rien de plus, son état d’esprit ne justifiait pas la profération d’une menace de violence et n’a pas atténué suffisamment la gravité de l’inconduite pour justifier l’annulation de la décision de l’employeur.

J. L’incidence du licenciement sur la fonctionnaire

[304] Même si la fonctionnaire a invoqué l’incidence que le licenciement a eue sur elle en tant que facteur atténuant, aucune preuve ne m’a été présentée selon laquelle cette incidence a été plus grave pour elle qu’elle l’est en temps normal. Les licenciements sont toujours graves et menacent les moyens de subsistance des personnes licenciées, mais il faut en prouver davantage pour qu’il s’agisse d’un facteur atténuant.

VI. Conclusion

[305] La fonctionnaire ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir des facteurs atténuants suffisants qui me porteraient à croire que la mesure disciplinaire imposée par l’employeur constituait une sanction excessive dans toutes les circonstances présentées à cette audience. Je conclus que la fonctionnaire est coupable d’inconduite et qu’elle a proféré une menace crédible et grave à l’endroit de son employeur. Même si ce genre de menace ne justifie pas toujours une décision de licenciement, je conclus qu’en l’espèce, je n’ai pas suffisamment de motifs pour annuler la décision de l’employeur.

[306] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


 

VII. Ordonnance

[307] Je rejette la demande d’anonymisation de cette décision présentée par la fonctionnaire.

[308] Le grief est rejeté.

Le 24 juin 2021.

Traduction de la CRTESPF

Steven B. Katkin,

une formation de la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le

secteur public fédéral

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