Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté un grief à l’encontre de son licenciement – l’employeur est un organisme distinct qui n’est pas désigné en vertu du paragraphe 209(3) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral – par conséquent, seul un grief découlant d’un licenciement de nature disciplinaire peut être renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) – l’employeur a affirmé que le licenciement reposait sur des motifs liés au rendement et qu’il ne découlait pas d’une mesure disciplinaire – par conséquent, l’employeur a déposé une objection préliminaire à la compétence de la Commission de trancher le grief – la Commission a conclu que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas formulé dans son grief et ses arguments la moindre allégation selon laquelle son licenciement constituait une mesure disciplinaire déguisée – la Commission a conclu que, même si toutes les allégations étaient vraies, il n’existait aucune cause défendable permettant de démontrer que le licenciement était le fruit d’une mesure disciplinaire ou d’une mesure disciplinaire déguisée – par conséquent, la Commission n’avait pas compétence pour instruire le grief en vertu de l’alinéa 209(1)b).

Grief rejeté.

Contenu de la décision

Date: 20210805

Dossier: 566-33-42514

 

Référence: 2021 CRTESPF 88

Loi sur la Commission des

relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral

Coat of Arms

Devant une formation de la

Commission des relations de

travail et dans l’emploi dans

le secteur public fédéral

ENTRE

 

Robert Fry

fonctionnaire s’estimant lésé

 

et

 

AGENCE PARCS CANADA

 

employeur

Répertorié

Fry c. Agence Parcs Canada

Affaire concernant un grief individuel renvoyé en arbitrage

Devant : Bryan R. Gray, une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

Pour le fonctionnaire s’estimant lésé : Robert Basque, c.r., avocat

Pour l’employeur : Laetitia Auguste, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits

déposés le 9 février, le 12 mars, le 20 avril, le 30 juin et le 15 juillet 2021.

(Traduction de la CRTESPF)

 


MOTIFS DE DÉCISION

(TRADUCTION DE LA CRTESPF)

I. Résumé

[1] Robert Fry, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), était employé en tant que gestionnaire de l’expérience des visiteurs (poste classifié PM-06) au parc national du Canada Fundy de l’Agence Parcs Canada (l’« employeur »). Il affirme avoir eu d’excellentes évaluations du rendement pendant plusieurs années. Cependant, en 2018, des problèmes sont survenus : ses gestionnaires ont critiqué son rendement, en indiquant qu’il n’avait pas atteint les objectifs annuels. Il a contesté ces critiques et allègue que la direction a fait preuve de harcèlement et d’intimidation à son égard en vue de le forcer à quitter son poste.

[2] Le 23 octobre 2020, l’employeur a mis fin à l’emploi du fonctionnaire au motif indiqué d’un rendement insatisfaisant. Il a déposé un grief à l’encontre de ce licenciement le 5 novembre 2020. L’employeur a rejeté le grief et, le 22 janvier 2021, le fonctionnaire a renvoyé le grief à la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public (la « Commission ») pour arbitrage.

[3] Selon les alinéas 209(1)c) et d) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (L.C. 2003, ch. 22, art. 2; la « Loi »), les griefs portant sur des licenciements pour rendement insuffisant ou pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, peuvent seulement être renvoyés à la Commission par des employés de l’administration publique centrale ou par des employés d’un organisme distinct désigné au titre du paragraphe 209(3). Il est incontesté dans la présente affaire que l’employeur est un organisme distinct qui n’est pas désigné en vertu de cette disposition.

[4] Par conséquent, les griefs déposés par ses employés au sujet de licenciements pour rendement insuffisant ne peuvent pas être renvoyés à la Commission pour arbitrage. Le fonctionnaire a toutefois précisé à la Commission qu’il renvoyait le grief à l’arbitrage en vertu d’une autre disposition, soit l’alinéa 209(1)b) de la Loi, qui stipule qu’un grief individuel peut être renvoyé à l’arbitrage s’il est issu d’une mesure disciplinaire entraînant le licenciement.

[5] L’employeur a déposé une objection préliminaire à la compétence de la Commission à trancher le grief. Il soutient que le grief porte sur un licenciement non disciplinaire et que l’alinéa 209(1)b) n’est pas en cause.

[6] Pour que les griefs comme celui en l’espèce soient déposés à bon droit devant la Commission, le renvoi à l’arbitrage doit avoir reposé sur des allégations crédibles de discipline ou de mesure disciplinaire déguisée en tant qu’élément lié au licenciement du fonctionnaire. L’employeur a mentionné que la lettre de licenciement du fonctionnaire indique explicitement qu’il a été licencié pour des motifs liés à son rendement qui n’étaient pas disciplinaires. L’employeur a également indiqué que le fonctionnaire n’a jamais allégué dans son grief que son licenciement était le fruit d’une mesure disciplinaire déguisée.

[7] J’ai examiné les arguments écrits des parties et présidé une conférence de gestion des cas afin de discuter du grief et de la requête déposée par l’employeur de le rejeter. J’ai ensuite offert aux parties la possibilité de présenter d’autres arguments écrits.

[8] En tenant compte de l’ensemble de ces renseignements, je conclus pour les motifs qui suivent que le fonctionnaire n’a pas présenté une cause défendable ou même donné à penser dans ses arguments que son licenciement était disciplinaire ou qu’il était le fruit d’une mesure disciplinaire déguisée.

[9] Par conséquent, la Commission n’a pas compétence pour être saisie du renvoi à l’arbitrage et j’ordonne le rejet de l’affaire.

II. Résumé des faits

[10] Dans le formulaire utilisé pour renvoyer son grief à l’arbitrage, le fonctionnaire devait présenter une description factuelle détaillée des événements, circonstances ou gestes ayant donné lieu au grief.

[11] Dans le formulaire, il a confirmé qu’on l’avait informé de son licenciement par un appel téléphonique et que la raison qu’on lui a donnée était : [traduction] « […] nonobstant les efforts considérables déployés pour vous aider, vous êtes incapable de satisfaire aux exigences de votre poste […] De plus, il est peu probable qu’une formation ou un soutien supplémentaires vous aident à surmonter les lacunes cernées. »

[12] Il a ensuite donné plusieurs exemples de projets de travail et de résultats issus de projets réussis, ainsi que des faits saillants d’ententes de rendement. Ses commentaires portaient surtout sur l’exercice 2018-2019. Il a parlé d’un projet de pont dans un parc en indiquant : [traduction] « […] j’ignore pourquoi la question du pont a été mentionnée spécifiquement dans les objectifs de travail, mais il convient de mentionner que ce projet n’avait pas été soutenu en grande partie parce que la direction de l’unité sur le terrain n’avait pas été consultée dès le début de la discussion. »

[13] Pour conclure sur ce point, le fonctionnaire a écrit : [traduction] « Il est devenu évident qu’à ce moment-là, les relations normales et la progression du projet ne fonctionnaient plus. »

[14] Enfin, il a mentionné qu’en octobre 2018, un gestionnaire lui a dit que la relation ne fonctionnait pas et qu’on avait offert de l’aider à faire la transition vers un autre rôle.

[15] L’employeur a répondu au renvoi à l’arbitrage par une lettre le 12 mars 2021. Il a indiqué que la Commission n’avait pas compétence pour en être saisie. La lettre indiquait aussi que la lettre de licenciement et la réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs indiquaient clairement que le fonctionnaire avait été licencié à cause de son mauvais rendement et qu’à aucun moment de la procédure de règlement des griefs il n’a été donné à penser que le licenciement était lié à une mesure disciplinaire déguisée.

[16] L’employeur a également indiqué qu’il a une politique en place qui prévoit l’examen des licenciements par un tiers indépendant, dont le fonctionnaire aurait pu se prévaloir, mais ne l’a pas fait.

[17] Le fonctionnaire a répondu par écrit le 20 avril 2021. Il a insisté sur son rendement exceptionnel, tel qu’il est indiqué dans les examens du rendement qui couvrent plus de neuf ans. Il a également indiqué avoir été victime de harcèlement et d’intimidation de la part d’un de ses gestionnaires entre 2018 et 2020. Il a mentionné que l’intimidation visait à attaquer sa crédibilité, sa dignité et sa conscience de sa propre valeur. Il a également indiqué que la discorde avec sa direction relative à ses objectifs de rendement et à l’atteinte de ceux-ci est survenue au même moment.

[18] J’ai organisé une vidéoconférence de gestion des cas le 18 mai 2021. L’état des différents aspects du dossier a été confirmé et chacune des parties s’est vu demander de présenter un court exposé des principaux aspects de sa thèse. Le fonctionnaire et l’employeur étaient tous deux représentés par un avocat.

[19] La question de la requête visant le rejet du grief pour absence de compétence présentée par l’employeur était le point central de cette discussion. L’avocate de l’employeur a exposé sa position sur la loi et sur la jurisprudence pertinente et a soutenu que le fonctionnaire n’avait pas allégué avoir fait l’objet de quelque mesure disciplinaire que ce soit de la part de l’employeur.

[20] L’avocat du fonctionnaire n’a présenté aucun argument selon lequel il déposerait des éléments de preuve à l’audience afin d’établir que le fonctionnaire avait fait l’objet d’une mesure disciplinaire.

[21] J’ai ensuite proposé un processus pour faire avancer le dossier et invité les deux avocats à formuler leurs commentaires. Aucun n’a soulevé de préoccupations ou d’objections.

[22] J’ai ensuite expliqué et confirmé plus tard par écrit que l’avocate de l’employeur pourrait présenter tout autre argument écrit qu’elle souhaitait sur sa requête visant le rejet. Le fonctionnaire aurait ensuite le droit de présenter des arguments écrits en réplique, après quoi j’examinerais les documents et me prononcerais possiblement sur la requête présentée par l’employeur. Si je rendais effectivement une décision et que celle-ci était en faveur de l’employeur, aucun autre argument ne pourrait être présenté et le renvoi du grief à l’arbitrage serait rejeté, car je n’aurais pas compétence pour en être saisi. Toutefois, si je rejetais la requête, ou que j’étais d’avis que l’on devait me présenter des arguments écrits ou des éléments de preuve, je fixerais une audience. J’ai proposé un calendrier pour recevoir les arguments, qui a été établi avec le consentement des parties.

[23] L’employeur a présenté un argument détaillé étayé par la jurisprudence. Il a indiqué que le licenciement du fonctionnaire aurait dû être de nature disciplinaire ou constituer une mesure disciplinaire déguisée afin que j’aie compétence pour être saisi du renvoi à l’arbitrage.

[24] L’employeur a soutenu que le fonctionnaire n’a jamais allégué dans ses arguments que les actes qu’il contestait constituaient une forme de mesure disciplinaire ou étaient liés à une telle mesure de la part de l’employeur ou de sa direction.

[25] L’avocat du fonctionnaire a écrit à la Commission après avoir reçu cet argument et indiqué que le fonctionnaire ne présenterait aucun autre argument que ceux qui se trouvaient déjà au dossier, comme je l’ai déjà indiqué dans la présente décision.

[26] J’ai écouté attentivement les deux parties et les ai interrogées lors de la vidéoconférence de gestion des cas. J’ai ensuite examiné leurs arguments écrits. Après avoir fait cela, il m’est impossible de conclure que les actes reprochés à l’employeur étaient liés d’une façon quelconque à une mesure disciplinaire.

III. Le droit et analyse

[27] La portée du pouvoir de la Commission d’être saisie de tels griefs est claire et non controversée. L’article 209 de la Loi ne donne pas à la Commission compétence pour entendre des renvois à l’arbitrage de griefs issus de licenciements pour des motifs autres que disciplinaires à des organismes distincts non désignés, comme l’Agence Parcs Canada.

[28] L’employeur a soutenu qu’étant donné que le fonctionnaire a été licencié pour un motif non disciplinaire, sa décision de le licencier ne rendait pas admissible un renvoi à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b). Les mesures disciplinaires déguisées sont souvent soulevées afin de faire relever de la compétence de la Commission une question autrement non admissible à l’arbitrage.

[29] L’employeur a indiqué reconnaître que la Commission peut déterminer si un licenciement constituait effectivement une mesure disciplinaire déguisée, comme la Cour d’appel fédérale l’a conclu (voir Boutziouvis c. Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, 2013 CAF 118; Monette c. Agence Parcs Canada, 2010 CRTFP 89, au par. 40).

[30] L’employeur a toutefois indiqué que le fonctionnaire n’avait pas allégué que son licenciement était le fruit d’une mesure disciplinaire déguisée dans les arguments qu’il a présentés à la Commission et il n’a pas avancé l’argument des mesures disciplinaires déguisées dans le cadre de la procédure de règlement des griefs avant son renvoi à la Commission.

[31] Comme l’employeur le fait remarquer à juste titre, le fonctionnaire n’a pas le droit de modifier son grief afin de présenter l’argument d’une mesure disciplinaire déguisée à l’arbitrage. Le grief renvoyé à l’arbitrage doit être sensiblement le même grief que celui présenté tout au long de la procédure de règlement des griefs (Burchill c. Canada (Procureur général), [1981] 1 C. F. 109).

[32] Par conséquent, à la lumière de ces arguments, je dois me demander si le grief présente même une cause défendable qui relèverait de l’alinéa 209(1)b), et dans la négative, le rejeter sans entendre aucune preuve.

[33] Comme la Commission l’a récemment fait remarquer dans Burns c. Section locale no 2182 d’Unifor, 2020 CRTESPF 119, aux paragraphes 83 et 84, pendant qu’elle renvoyait à Hughes c. ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences, 2012 CRTFP 2, le critère à appliquer en l’espèce est de se demander, si tous les faits allégués sont vrais, s’il existe une cause défendable selon laquelle le licenciement du fonctionnaire était le fruit d’une mesure disciplinaire déguisée.

[34] Si la Commission entretient un doute quelconque sur ce que les faits révèlent, en supposant qu’ils soient vrais, elle doit donc conclure qu’il existe une cause défendable pour le lien requis selon lequel l’employeur a enfreint la Loi et la Commission doit maintenir la possibilité pour le fonctionnaire de faire entendre son grief dans une audience.

[35] J’ai examiné l’ensemble des allégations que le fonctionnaire a présentées dans son grief, son formulaire de renvoi à l’arbitrage et sa réplique écrite à l’objection à la compétence soulevée par l’employeur. Il indique très clairement qu’il est en désaccord avec les allégations de l’employeur sur ses problèmes de rendement pendant son emploi, en insistant sur les examens du rendement positifs qu’il a obtenus au fil des ans. Il allègue avoir été victime, entre 2018 et 2020, d’incidents d’intimidation et de tentatives visant à le dépeindre comme incapable d’atteindre ses objectifs de travail approuvés. Il prétend que les suggestions de la direction selon lesquelles il songe à explorer d’autres possibilités d’emploi constituaient aussi une forme d’intimidation visant à le contraindre à quitter son poste. Toutefois, il n’a jamais même fait allusion à des mesures disciplinaires que l’employeur aurait prises à son encontre et ne formule pas la moindre allégation selon laquelle son licenciement constituait une mesure disciplinaire déguisée.

[36] Par conséquent, je conclus que même si les faits allégués dans le grief et dans les arguments écrits présentés par la suite par le fonctionnaire sont vrais, il n’existe aucune cause défendable selon laquelle son licenciement était le fruit d’une mesure disciplinaire déguisée.

[37] Pour paraphraser Burns, au paragraphe 162, si une partie ne présente pas une cause défendable qui permettrait à la Commission de déterminer qu’elle a compétence pour être saisie du grief, l’affaire ne justifie pas un investissement des ressources limitées de la Commission pour tenir une audience complète sur son bien‑fondé.

IV. Conclusion

[38] Étant donné que j’ai conclu que les arguments avancés par le fonctionnaire n’établissent pas une cause défendable selon laquelle son licenciement était lié à des mesures disciplinaires ou à des mesures disciplinaires déguisées, je conclus que je n’ai pas compétence pour être saisi du grief.

[39] J’accueille la requête visant le rejet du grief déposée par l’employeur.

[40] Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)


V. Ordonnance

[41] Le grief est rejeté pour défaut de compétence.

Le 5 août 2021.

Traduction de la CRTESPF

Bryan R. Gray,

une formation de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.